Chapitre II: Facteurs limitants de la filière
avicole sénégalaise
La filière avicole sénégalaise bien que
structurée et organisée, reste cependant confrontée
à des contraintes majeures communes à la plupart des pays
Africains. Parmi ces contraintes, on note: l'incompétence des principaux
acteurs, l'ouverture de son marché aux importations en provenance des
pays industrialisés (du fait de la mondialisation), la complexité
du marché (segmentation), la contrebande, la mauvaise qualité
sanitaire des produits et les contraintes climatiques et pathologiques avec la
menace de plus en plus grandissante de la Grippe aviaire.
11.1. L'incompetence technique des
acteurs.
L'un des problèmes majeurs de la filière avicole
sénégalaise est le manque de professionnalisme (CNA,
2004), caractérisé par l'incompétence technique
dans la gestion des élevages. Cette opinion est partagée par
certains experts et par certains chercheurs qui affirment qu'une mauvaise
conduite d'élevage empêche les oiseaux de couvrir l'ensemble de
leurs besoins alimentaires (IEMVT, 1991).
L'impact des importations a révélé les
faiblesses de certains producteurs qui n'étaient pas suffisamment
qualifiés. Au Sénégal, on trouve des producteurs qui ne
passent dans leurs élevages que le week-end et qui embauchent des
personnes non compétentes. De nombreux investisseurs ont voulu s'engager
dans la production avicole sans acquérir au préalable les
compétences techniques nécessaires. Ces observations prouvent que
la crise que connaît le secteur avicole a aussi été une
aubaine pour certains producteurs professionnels, qui eux en ont profité
pour augmenter leur part de marché. Il y a donc lieu de trouver le moyen
de moderniser la filière.
Les aviculteurs qui doivent satisfaire la demande du
marché national n'y parviennent logiquement pas. Car, ne respectant pas
les règles minimales de conduite d'un élevage de volaille, et ne
disposant pas d'infrastructures adaptées, ils ne peuvent qu'obtenir de
mauvaises performances zootechniques et économiques.
Les producteurs dans leur ensemble, insistent sur la
nécessité de construire un abattoir moderne. Ils sont convaincus
qu'une meilleure présentation de leur produit pourrait leur permettre
d'être plus compétitifs sur le marché. Certains grands
producteurs s'y sont lancés à l'instar du Complexe Avicole de
Mbao (CAM) qui a mis en place un mini abattoir à Dakar. Un constat
s'impose donc: il faut créer des infrastructures modernes et changer les
mentalités des éleveurs.
11.2. Les importations de viande
volailles
Comme dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne, le
Sénégal a été confronté au cours de cette
dernière décennie au problème de l'envahissement de son
marché avicole par la viande de volaille importée en provenance
des pays occidentaux. A cet effet, une enquête récente de l'ISRA a
permis d'évaluer objectivement les impacts des poussées soudaines
d'importation de viande de volailles sur les prix, les entreprises, la
consommation et les ressources publiques (Figure 8). Cette enquête
révèle que la forte compétition a fait chuter les prix du
poulet de chair de façon drastique: ces prix sont passés de 1400
F CFA le Kg à 1200 F CFA entre 1997 et 2003 (ISRA,
2005). Par contre, les prix du poulet fermier n'ont, semble t- il, pas
été affectés par la concurrence des importations. La
hausse des prix du poulet, présentée dans la figure 8, conduit
à émettre l'hypothèse que les importations concurrencent
fortement l'industrie avicole locale productrice de poulet de chair, tandis que
la production du poulet «fermier» («
poulet du pays») semble peu affectée.
La viande de volaille importée est davantage
appréciée pour son prix et sa facilité d'usage: les
viandes importées sont beaucoup moins chère que les viandes de
volaille locale et mieux présentées. En découpe, les
cuisses sont très pratiques. Les femmes les apprécient
très bien et c'est un produit prêt à l'emploi. La plupart
des consommateurs préfèrent le poulet local pour le goût et
la qualité de la viande. Cette segmentation du marché, s'explique
donc par ces préférences des consommateurs. Ainsi, comme le dit
DUTEURTRE (1998), la segmentation du marché constitue
un facteur déterminant pour la compétitivité des
élevages locaux en Afrique subsaharienne.
Fcfa/kg
1900
1800
1700
1600
1500
1400
1300
1200
1100
1000
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
Années
Poulet fermier en Fcfa/kg
Poulet de Chair Fcfa/kg
Figure 7: Prix au detail de la viande de poulet a Dakar
(source DP5)
Ces données de la Direction de la Prévision et
de la Statistique (DPS) renforcent l'hypothèse de segmentation du
marché (Figure 7). Elles nous révèlent combien est
complexe le marché de la viande de volaille et l'obstacle évident
et sérieux, que constituent les importations pour l'élevage
local.
Selon les organisations de producteurs et les structures
d'appui, la sous filière poulet de chair a été
sérieusement affectée par ces importations massives. La
production annuelle de poussins «chair» qui tourne autour de 4
millions depuis 10 ans est en très forte baisse. Le CNA affirme que le
premier semestre de 2003, a été une débâcle; le
nombre de producteurs de poulet de chair ayant considérablement
diminué (CNA, 2003). Toujours selon ce centre, les plus
gros producteurs ont d'énormes difficultés pour survivre et
poursuivre leurs activités.
La FAFA, affirme pour sa part que, 70% des exploitations ont
été fermées à cause des importations massives.
Rapportée par un article dans la presse internationale, un responsable
du CNA déclare ceci: «d'ici à 6 mois, nous pensons que la
filière du poulet de chair sera totalement anéantie»
(PIGEAUD, 2003).
La crise a également affectée
négativement les industries évoluant dans le secteur. La SEDIMA,
a été contrainte d'étouffer 60.000 poussins
«chair» qui ne pouvaient plus être
écoulés en Octobre 2003. Les provendiers ont été
gravement affectés eux aussi. Sur un total de 07 producteurs d'aliments
pour volaille, 3 ont fait faillite ou sont fermés. La SENAV par exemple
est fermée aujourd'hui suite à cette crise.
Le complexe Avicole de Mbao a choisi de se spécialiser
sur les poussins «futures pondeuses» afin
de faire face à la crise. (CNA, 2003). Selon Ndiongou
Fall, responsable du réseau des organisations paysannes et de
producteurs de l'Afrique de l'Ouest (ROPPA), les paysans aussi sont
affectés par ces importations ; ils estiment qu'elles
déstabilisent les marchés internes de leurs pays
(PIGEAUD, 2003).
11.3. La segmentation de la filière
Le secteur avicole sénégalais est
subdivisé en deux sous filières: la production de poulet de chair
et la production des oeufs de consommation. Contrairement à la sous
filière «poulet de chair», celle des oeufs de consommation
jouit d'une grande stabilité. Le Sénégal importait des
oeufs jusqu'en 2002, mais depuis Octobre 2002, ces importations ont
été suspendues. Car, des informations selon lesquelles des oeufs
de qualité douteuse arrivaient sur le marché avaient
créé des suspicions. Ainsi lors d'une réunion à
laquelle prenaient part tous les acteurs de la filière, un consensus
s'est dégagé pour reconnaître que les importations d'oeufs
de consommation revêtaient des risques sanitaires et économiques
énormes. Ce consensus assure depuis lors une protection du marché
des oeufs de consommation, lui garantissant ainsi une stabilité et une
plus grande rentabilité.
Suite à la crise liée aux importations de viande
congelée, beaucoup de producteurs se sont reconvertis vers
l'élevage des poules pondeuses. Ce fait a contribué à
surmonter la crise. Les industries qui évoluent dans le secteur avicole
ont réduit leur production de «poussins
chair» pour se focaliser sur celle de poussins
«futures pondeuses» et d'aliment pour
volaille. Le nombre de poussins «futures
pondeuses» achetés pour la production d'oeufs a
presque doublé entre 1999 et 2002, passant de 740 mille à 1.37
millions (Tableau II). La mesure de protection imposée sur l'importation
des oeufs a sensiblement réduit l'impact de la crise.
11-4. La contrebande
Les importations de volaille passent exclusivement par le port
et l'aéroport de Dakar, après autorisation du service de
contrôle sanitaire de la Direction de l'Elevage (DIREL). A cet
égard, l'approvisionnement des autres marchés du
pays est tributaire des importateurs basés à
Dakar. Les enquêtes menées auprès des grands distributeurs
de volaille de Saint-Louis et de Kaolack montrent qu'ils dépendent
étroitement de Dakar pour leur approvisionnement. Par contre, de petites
quantités de viandes de volailles entreraient dans ces villes
secondaires par les frontières avec la Gambie et avec la Mauritanie. De
cette fraude découle une disparité des prix chez les grossistes
(figure 8).
Prix en FCFA/ kg PAC (Prêt
A Cuire)
1200
1000
400
800
600
200
0
Com1 Dakar
Com2 Dakar
Com 3 Front Maur
Com 4 Front Gam
Com1 Dakar: Commerçant1 de
Dakar, Com3 Front Maur: Commerçant3 à la
Com2 Dakar: Commerçant2 de
Dakar, frontière avec la Mauritanie,
Comt4 Front Gam:Commerçant4
à la frontière avec le Gambie
Figure 8: Prix de vente en gros de la viande de volaille
observes dans les differents marches (Source ISRA' 200 5).
Cette contrebande était plus importante les
années précédentes. Les services des douanes
opérant dans les régions de Saint-Louis et Kaolack sont en alerte
depuis 2002. Cela a considérablement fait diminuer cette contrebande.
11.5. Qualite des produits et problemes
sanitaires
En Afrique, indubitablement, le transport des poulets vivants
est plus aisé que celui des viandes congelées. La rupture de la
chaîne de froid engendre beaucoup de problèmes sanitaires. Ainsi
certains commerçants ne manquent pas de souligner que des clients
viennent se plaindre de l'état de putréfaction dans lequel se
trouvent souvent les cuisses importées. Cela pose de sérieux
problèmes de santé humaine.
Le commerce transfrontalier de la viande congelée
occasionne des problèmes de qualité des produits. En effet des
cartons de viandes sont parfois transportés à la
température ambiante. Certaines commerçantes les transportent
dans des camions frigorifiques locaux qui font la navette entre le
Sénégal et la Mauritanie dans le cadre du commerce des produits
halieutiques. Mais d'autres les mettent directement sur les toits des
véhicules de transport en commun. On est obligé de se rendre
à l'évidence qu'une amélioration des conditions
d'hygiène dans le transport s'impose dans la distribution de ces
denrées.
11-6. La menace de la Grippe aviaire
Au regard de la menace que constitue l'influenza aviaire
(grippe aviaire ou peste aviaire vraie), les deux types d'élevage
(moderne et traditionnel) ne sont pas exposés de la même
manière. Les systèmes intégrés intensifs et
commerciaux correspondent à des exploitations plus ou moins connues,
plus ou moins identifiées, où les services
vétérinaires peuvent intervenir rapidement et donner des
consignes de conduite dans un but de circonscription d'un éventuel foyer
de maladie.
D'autre part, ces exploitations plus ou moins bien
protégées, sont beaucoup plus à l'abri d'un contact
probable avec des oiseaux sauvages (migrateurs ou autochtones). Ce n'est pas le
cas de l'élevage villageois dont la particularité ou la
caractéristique principale est son caractère extensif. Peu
d'éleveurs en milieu rural disposent d'un abri de nuit pour les
volailles, ainsi le contact avec les oiseaux vecteurs ou hôtes de maladie
est très facile. Il y a un risque pour les enfants au niveau des
villages. Ce risque réside sur le fait que ces enfants partagent les
mêmes espaces de jeux avec les aires de recherches de nourriture des
volailles. Ce dernier fait augmente le risque de contamination humaine de
grippe aviaire.
II-6.1. Statut actuel du pays
Pour le moment, le Sénégal est indemne de peste
aviaire vraie (grippe aviaire ou influenza aviaire).
Une cinquantaine de prélèvements ont
été faits sur des volailles aussi bien d'élevage dits
modernes, villageois, oiseaux sauvages, oiseaux migrateurs au niveau des points
d'eau et zones humides : parcs nationaux et réserves avifaunes (Parc
National des Oiseaux du Djoudj, Réserve de la
Langue de Barbari, Mares temporaires de Doddji, Iles
du Saloum etc.). Ces prélèvements effectués en
double, ont été analysés par les
laboratoires nationaux (LNERV et Institut Pasteur de Dakar) et par le
Laboratoire de référence situé en Italie. Les
résultats jusque là obtenus sont négatifs.
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