L'"arbitralisation" de la cour internationale de justice: une étude critique( Télécharger le fichier original )par Pierre Barry NJEM IBOUM Institut des Relations Internationales du Cameroun - Diplome d'Etudes Supérieures Spécialisées 2010 |
PARAGRAPHE 2POUVOIRS DIRECTEURS DE L'ARBITRE. En tant que tiers faisant office de juge dans un litige, l'arbitre possède par cela même les attributs semblables à ceux d'un juge véritable. Il possède en effet tant l'imperium95(*) que la jurisdictio éléments de son autorité. Mais il faudrait tout de même souligner que cet imperium de l'arbitre n'est pas à tous points identique à celui du juge car étant dépourvu de divers éléments de pouvoir. C'est dans ce sens qu'affirmait le Professeur Oppetit qui, relevant les éléments de divergence entre l'arbitrage et la justice étatique affirmait : « Le juge arbitral ne possède pas d'imperium : sa décision est revêtue de l'autorité de la chose jugée, mais dépourvue de force exécutoire ; il ne peut ordonner des mesures conservatoires ou de sauvegarde, telles que des saisies96(*) ». À la réalité il n'en saurait aller autrement ces deux justices n'ayant pas la même source97(*), cela n'enlève cependant pas tout pouvoir à l'arbitre, (A) pouvoirs qui sont encore plus importants dans le cadre d'un arbitrage institutionnalisé (B). A : L'arbitre est un juge. Á s'en tenir à sa jurisdictio se serait un truisme que d'affirmer que l'arbitre est un juge. En effet, bien que justice formulée par les parties et donc justice privée, l'arbitre, juge en arbitrage, est institué dans la seule optique de rendre une décision, de dire le droit98(*), sur la question à lui soumise par les parties. Le recours constant à l'arbitrage99(*) est pour démontrer cette considération des parties de l'arbitre comme étant un juge d'ailleurs que les décisions des arbitres sont souvent revêtues de l'autorité de la chose jugée. Il n'en saurait aller autrement, le juge et l'arbitre utilisant presque les mêmes techniques de conception, de formulation et d'expression de la justice. En effet, si l'arbitre statue en droit, il est tenu d'en appliquer les règles et ne saurait dès lors statuer par exemple en équité100(*). Tenant également compte de l'imperium, pouvoir de commandement, méconnu à l'arbitre par le Professeur Oppetit101(*), il n'est certes pas aussi important que celui du juge mais en tant qu'exerçant une certaine autorité sur les parties, il devrait être admis qu'il puisse à tout le moins pour des nécessités d'organisation de sa fonction, avoir un certain pouvoir. C'est ainsi que l'on peut admettre qu'il puisse organiser la procédure102(*), et plus fermement il revient à l'arbitre comme à un juge ordinaire, de décider de proroger le délai accordé à une partie de présenter ses conclusions notamment duplique, triplique etc.103(*) Il lui revient également de décider après l'échange des écrits, si l'affaire est en état d'être jugée ou s'il convient d'entendre des témoins ou de nommer des experts104(*). Quand l'affaire lui parait en l'état d'être jugée - c'est à lui qu'il revient d'en décider - il fixe l'audience de plaidoirie105(*). Enfin à l'issue de l'audience il fixe la date à laquelle l'affaire sera mise en délibéré106(*), même si sur ce point précis l'on doive relever que très souvent le travail de l'arbitre est souvent encadré dans un délai bien précis. De même, selon l'alinéa 2 de l'article 1460 du CPC français, les arbitres sont tenus de respecter les principes directeurs du procès. Il s'ensuit que les arbitres sont liés par les limites du litige. En d'autres termes, ils ne peuvent statuer ultra petita. Ils ne pourront également pas prononcer une condamnation dont la demande n'a pas été formée par l'une des parties107(*). Le principe du contradictoire doit être respecté108(*). La jurisprudence a également tendance à transposer au litige arbitral les règles traditionnelles relatives à l'évolution du litige en procédure civile, par exemple pour admettre la recevabilité des demandes incidentes se rattachant aux prétentions originaires et aux prévisions de la clause compromissoire par un lien suffisant109(*). L'arbitre peut enfin prescrire des mesures provisoires ou conservatoires110(*). Cette autorité pour ne pas dire pouvoir de l'arbitre est encore pleinement mieux exprimée dans le cadre d'un arbitrage institutionnalisé. B : L'arbitrage institutionnel, pouvoirs réduits des parties, pouvoirs élargis de l'arbitre. L'arbitrage institutionnel tient son qualificatif tel du fait que celui-ci (arbitrage) est rendu dans le cadre et l'espace d'un centre permanent spécialisé dans l'arbitrage111(*). L'arbitrage institutionnel s'il ne remet pas en cause le caractère contractuel de l'arbitrage, n'en dessert pas moins - eussions-nous été dans un combat - l'étreinte des parties. En effet, il s'agit bien d'une sorte de contrat d'adhésion112(*) proposé par le centre aux parties. Dans cette situation plus encore que dans l'hypothèse précédente, l'autorité de l'arbitre et du tribunal arbitral est plus accentuée113(*). Ainsi ce qui dans l'arbitrage « ad hoc » était du ressort exclusifs des parties se trouve être de la compétence du Centre. Celui-ci peut donc entre autres : Ø Décider du nombre d'arbitres, si les parties ne l'ont pas prévu dans leur contrat Ø nommer les arbitres si les parties ne s'entendent pas sur le choix de celui-ci Ø décider des demandes de récusation d'arbitre Ø s'assurer que les arbitres conduisent l'arbitrage conformément à son règlement d'arbitrage applicable et de les remplacer au besoin Ø fixer les délais et les proroger, le cas échéant Ø déterminer les honoraires et frais des arbitres Ø contrôler la qualité des sentences arbitrales Le Règlement de la Chambre de Commerce International114(*) va dans cet optique, bien loin dans l'accroissement des pouvoirs de la Chambre. En effet, Les articles 9.1115(*) et 9.2116(*) du Règlement donne expressément à la CCI le pouvoir de refuser la confirmation d'arbitres choisis par l'une ou l'autre des parties ou même par les deux parties. Elle peut également refuser la confirmation de l'arbitre désigné par les co-arbitres au motif que les uns ou les autres ne seraient pas disponibles ou qu'ils sont incapables d'appliquer correctement le Règlement. Le pouvoir ainsi conféré à la CCI révèle à quel point le choix des arbitres échappe aux contractants puisqu'il donne à une tierce personne un pouvoir d'appréciation. L'article 23117(*) du Règlement de la CCI donne au Tribunal Arbitral le pouvoir de prendre des mesures conservatoires y compris celle d'ordonner une caution pour frais de procédure. Il va même plus loin en permettant à chaque partie de requérir du Tribunal Arbitral que la mesure conservatoire soit prise sous forme de sentence arbitrale et non point seulement sous forme d'ordonnance. Ainsi donc des traits de ressemblance peuvent être constatés entre le juge et l'arbitre et donc entre l'arbitrage et le règlement judiciaire ; mais ce constat a priori pourrait bien s'effriter à la suite d'une analyse plus approfondie. * 95 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENt nous renseignent que l'imperium est une prérogative du juge ayant un caractère plus administratif que juridictionnel : pouvoir de donner des ordres aux plaideurs et aux tiers, d'accorder des autorisations, des mesures d'instruction, d'organiser le service du tribunal et des audiences, etc. se rapporte à tout ce qui n'est pas appréciation du droit des parties ( acte de raisonnement) ; désigne les diverses manifestations du pouvoir de commandement qui est dévolu au juge (acte d'autorité).Dans le symbole traditionnel de la justice, c'est le glaive qui traduit l'imperium. Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT (dir.), Lexique des termes juridiques, 12ème édition, Paris, Dalloz, 1999. * 96 Bruno OPPETIT op. cit. à la p.30. * 97 Le Professeur OPPETIT affirme d'ailleurs à ce propos que : « justice privée, l'arbitrage tire son origine de la volonté des parties : là où le juge public bénéficie d'une investiture générale à raison de sa qualité personnelle de magistrat, le juge privé qu'est l'arbitre n'a reçu des parties une mission de nature juridictionnelle qu'à l'effet de trancher le litige ou la catégorie de litiges pour lesquels il a été institué ». Bruno OPPETIT ibid à la p. 32. * 98 Selon l'article 1474 du CPC français « l'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit, à moins que, dans la convention d'arbitrage, les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur ». * 99 Voir par exemple Blaise TCHIKAYA op. cit. note 61. * 100 CA Paris, 7 avril 1994, RTD com. 1994, p.701, observations, Dubarry J.-C et Loquin E. * 101 Note 97 supra. * 102 Même si l'on doive admettre que cette possibilité est en réalité secondaire, le principe étant que ce sont les parties qui organisent jusqu'à la procédure, ou alors l'arbitrage étant rendu dans le cadre d'un organisme spécialisé, la procédure soit organisée par l'organisme en question. * 103 Yves GUYON op. cit. à la p. 56. * 104 Yves GUYON ibidem. * 105 Yves GUYON ibidem. * 106 Yves GUYON ibidem. * 107 Cass-.2è civ., 3 juillet, 1996, n° 93-17. 918, Bull. civ. II, n°191, JCP G 1996, IV, n°1978, RTD com.1996, p.659, obs. Dubarry J.-C. et Loquin E. * 108 Cass. 2e civ., 23 oct. 1996, n° 95-17.207, Lamyline; Cass. 2e civ, 31 jan. 1996, n°93-19.413, Lamyline; * 109 Cass. 2e civ., 8 juillet, 2004, n°02-19. 468, Bull. civ. II, n° 349. Voir Collection Lamy droit civil op. cit. à la p. 398-70. * 110 CA Paris, 7 oct. 2004, 1e ch. C, n° 2004 / 13909, JCP G 2005, I, n°134, observations, Ortscheidt J., JCP G 2005, II, n° 10071, note Jacquet J.-M., D. 2005, p. 3062, obs. Clay T. * 111 Voir par exemple les centres cités plus haut, note 77. * 112 Contrat conclu entre deux parties dont l'une ne peut discuter les différentes clauses, et n'a que la liberté d'accepter ou de refuser le contenu global de la proposition de convention. * 113 Voir par exemple l'annexe 2 portant sur la procédure devant le Centre d'Arbitrage Commercial National et International du Québec. Source règlement d'arbitrage du CACNIQ disponible sur le site du Centre à l'adresse http:// www.cacniq.org , consulté le 17 01 2009. * 114 Disponible à l'adresse http://www.iccwbo.org/index_court.asp consulté le 18 02 2009. * 115 Libellé ainsi qu'il suit : « Lors de la nomination ou confirmation d'un arbitre, la Cour tient compte de sa nationalité, de son lieu de résidence et de tout lien avec les pays auxquels ressortissent les parties et les autres arbitres ainsi que de la disponibilité et de l'aptitude de l'arbitre à conduire l'arbitrage conformément au présent Règlement. Il en va de même lorsque le Secrétaire général est appelé à confirmer un arbitre selon l'article 9, paragraphe 2. » * 116 « Le Secrétaire général peut confirmer en qualité de coarbitres, arbitres uniques et de présidents de tribunaux arbitraux les personnes désignées par les parties ou en application de leurs accords particuliers si elles ont soumis une déclaration d'indépendance sans réserves ou si une déclaration d'indépendance avec réserves ne donne lieu à aucune contestation. La Cour est informée de cette confirmation lors de sa prochaine session. Si le Secrétaire général estime qu'un coarbitre, un arbitre unique ou un président de tribunal arbitral ne doit pas être confirmé, cette question est soumise à la décision de la Cour ». * 117 « 1. À moins qu'il n'en ait été convenu autrement par les parties, le tribunal arbitral peut, dès remise du dossier, à la demande de l'une d'elles, ordonner toute mesure conservatoire ou provisoire qu'il considère appropriée. Il peut la subordonner à la constitution de garanties adéquates par le requérant. Les mesures envisagées dans le présent article sont prises sous forme d'ordonnance motivée ou, si nécessaire, sous forme d'une sentence, si le tribunal arbitral l'estime adéquat.2. Les parties peuvent, avant la remise du dossier au tribunal arbitral et dans des circonstances appropriées après, demander à toute autorité judiciaire des mesures provisoires ou conservatoires. La saisine d'une autorité judiciaire pour obtenir de telles mesures ou pour faire exécuter des mesures semblables prises par un tribunal arbitral ne contrevient pas à la convention d'arbitrage, ne constitue pas une renonciation à celle-ci, et ne préjudicie pas à la compétence du tribunal arbitral à ce titre. Pareille demande, ainsi que toutes mesures prises par l'autorité judiciaire, devront être portées sans délai à la connaissance du Secrétariat. Ce dernier en informera le tribunal arbitral. » |
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