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L'"arbitralisation" de la cour internationale de justice: une étude critique

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par Pierre Barry NJEM IBOUM
Institut des Relations Internationales du Cameroun - Diplome d'Etudes Supérieures Spécialisées 2010
  

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PARAGRAPHE 2

L'assistance dans la mise en oeuvre de la décision de la Cour.

Selon le juge Guillaume,

« [...] le problème de l'exécution forcée des décisions de la Cour se pose dans des termes radicalement différents de celui des jugements des tribunaux nationaux. En effet, ces derniers sont rendus au nom d'un Etat souverain qui en assure le respect et confie l'autorité nécessaire à cet égard soit au juge lui-même, soit à l'autorité administrative. Il peut certes arriver que certaines décisions de justice ne soient pas exécutées (par exemple en temps de guerre ou en cas de trouble à l'ordre public), mais ces situations demeurent exceptionnelles et dans les systèmes de droit les plus développés, le refus d'exécution engage la responsabilité de la puissance publique423(*) la situation est différente en droit international [...] de ce fait, les mécanismes d'exécution forcée demeurent imparfaits424(*) ».

Ce propos de Gilbert Guillaume restitue d'une façon parfaitement claire l'état des lieux de l'exécution des décisions de justice. L'article 94 de la Charte ne prévoit que le recours au Conseil de sécurité des Nations Unies pour remédier à une situation de refus d'exécution d'un arrêt de la Cour internationale de Justice. Ce recours en réalité semble bien problématique (A). Ce n'est sûrement pas par le fait de l'Assemblée générale que la situation pourrait se régler plus efficacement (B).

A : Le renfort du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Selon l'article 94, paragraphe 2 de la Charte des Nations Unies

« si une partie à un litige ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en vertu d'un arrêt rendu par la Cour, l'autre partie peut recourir au Conseil de sécurité et celui-ci, s'il le juge nécessaire, peut faire des recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter l'arrêt. ». Cette procédure ne serait pas différente de celle pratiquée en arbitrage où lorsque la partie perdante se refuse à exécuter la sentence, celle créditrice de l'arrêt introduit une demande d'exequatur425(*) auprès de l'État national de cette partie afin que force exécutoire soit donnée à la sentence et afin que exécution en soit assurée. Mais contrairement à l'arbitrage où l'État requis peut s'il le décide assurer l'exécution de la sentence, tout n'est pas acquis pour la Cour. Le Professeur Kamto dresse un tableau fort à propos de la situation.

« [...] la portée des dispositions de l'article 94, paragraphe 2 est à bien des égards limitée en comparaison de celles du Pacte de la Société des Nations en la matière426(*). Premièrement, ces dispositions ne visent que les « arrêts » à l'exclusion des autres décisions de la Cour, notamment les ordonnances ; en cela, elles diffèrent des dispositions équivalentes du Pacte de la Société des Nations, qui s'appliquent quant à elle à toute « sentence ou décision » [...]

Deuxièmement, aux termes de l'article 94, paragraphe 2, le Conseil de sécurité n'a pas une obligation de donner une suite au recours de la partie « victime » de l'inexécution de l'arrêt. Il dispose d'un large pouvoir d'appréciation et est maître du choix des mesures qu'il peut recommander ou des décisions qu'il peut prendre. L'expression « s'il le juge nécessaire » et l'utilisation du verbe « pouvoir » indique clairement que le Conseil de sécurité exerce à cet égard un pouvoir discrétionnaire.

Troisièmement, le Conseil de sécurité de l'ONU n'agit, éventuellement, qu'à la suite d'un recours de la partie au litige qui est confrontée au refus d'exécution de l'autre partie. Au contraire le Conseil de la Société des Nations avait le devoir d'agir proprio motu.

A ces limites résultant de l'article 94, paragraphe 2 de la Charte s'ajoute le fait que le Conseil de sécurité est un organe politique. Il ne veille aux intérêts de la communauté internationale que pour autant que ces intérêts ne heurtent pas ceux de ses membres permanents. Concrètement, cela signifie qu'il est impossible de faire appliquer l'article 94, paragraphe 2, contre un membre permanent du Conseil [de sécurité] voire contre un Etat « ami » ou un « allié »important de l'un des cinq membres permanents. La pratique confirme ces remarques. A la suite de l'arrêt rendu le 27 juin 1982 par la Cour sur le fond de l'affaire des activités militaire et paramilitaires427(*), le Nicaragua recourut au Conseil de sécurité afin qu'il fasse exécuter l'arrêt par les Etats-Unis qui avaient décidé de ne plus comparaître dans l'affaire après l'arrêt de 1984 sur les exceptions préliminaires. Mais les Etats-Unis, membre permanent du Conseil de sécurité s'opposèrent428(*) à toute action du Conseil dans cette affaire429(*) ».

Panorama qui n'appelle pas d'interprétation.

Cet état de fait n'étant pas pour assurer une exécution efficace de l'arrêt, l'Assemblée générale pourrait peut-être jouer un rôle favorable dans cette optique. Si, comme dans l'affaire des activités militaires elle est saisie.

B : Le recours à l'Assemblée générale des Nations Unies.

Bien que n'étant formalisé dans aucune disposition de la Charte430(*), le recours à l'Assemblée générale des Nations Unies peut être d'un secours, notamment en cas de blocage au Conseil de sécurité. Un tel recours a d'ailleurs été observé dans l'affaire du Nicaragua précitée. En effet, la résolution proposée par Managua s'étant heurtée au vote négatif des États-Unis, la question vint alors devant l'Assemblée générale qui sur la base de l'article 10431(*) a

« demand[é] instamment que soit pleinement et immédiatement appliqué, conformément aux dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies, l'arrêt que la Cour internationale de Justice a rendu le 27 juin 1986 dans l'affaire des « activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci 432(*)».

Un tel recours peut également être fait sur la base de la résolution 377 (V) du 3 novembre 1950433(*). Aux termes de cette résolution, l'Assemblée générale saisie d'une affaire où la paix se trouve menacée ou rompue et que le Conseil de sécurité n'a pu régler « en raison du manque d'unanimité des membres permanents », peut adresser à ses membres « les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre y compris, dans le cas d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression, l'emploi de la force armée, en cas de besoin ».

Le recours à l'Assemblée générale aurait pu être efficace dans l'optique d'une application d'une décision de la Cour car ici, il y'a un équilibre de voix entre les membres434(*) et de ce fait les blocages tels que ceux que l'ont peut vivre au Conseil de sécurité du fait du veto de ses membres permanents, ne sont pas possibles. En dehors du recours à la force armée, le point commun entre cet article 10 de la Charte et la résolution 377 (V) est qu'ils se contentent de faire des recommandations, et c'est là tout le problème.

En effet, une recommandation se définit négativement par son absence de force obligatoire.435(*) Tout au plus accepte-t-on de lui reconnaître une valeur politique, ou même simplement morale ; ce qui, dans l'esprit de beaucoup et malgré les protestations de convenance, est encore une façon de s'exprimer purement négative436(*). Si en principe, l'on puisse concevoir qu'une organisation internationale puisse faire des recommandations à un État membre, celui-ci s'étant par avance engagé à respecter par la signature de l'acte constitutif, les décisions (qui s'énoncent en droit et devoirs) de cette dernière, il est logique que pris sous le prisme de la parole donnée, ces recommandations devraient avoir une certaine force obligatoire. Il reste cependant que les États ne sont pas des sujets ordinaires : ils ont conservé leur souveraineté. Le Professeur Virally ne dit pas autre chose lorsqu'il affirme que :

« La Charte des Nations Unies a proclamé comme le premier des principes sur lesquels elle est fondée, celui de « l'égalité souveraine de tous les membres » et c'est aussi la base fondamentale de toutes les organisations « interétatiques ». a eux appartient donc aussi d'apprécier et de dire ce que la loi sociale exige devant chaque problème pratique, que l'organisation se soit ou non prononcée, et même s'ils sont invités à se conformer à une recommandation de cette dernière. Chacun d'entre eux n'a pas seulement à donner son avis, compté avec les voix de tous les autres, comme membre des organisations sociaux. Il a encore le droit d'apprécier seul et souverainement ce à quoi ses engagements sociaux l'obligent pour son propre compte : le droit d'accepter ou de rejeter la recommandation qui lui est adressée 437(*)».

Ce propos clair de Michel Virally traduit la quintessence de ce qu'est une recommandation. L'application de celle-ci est subordonnée, il l'a dit, à la volonté de l'État. Le regretté Professeur ajoute d'ailleurs que « [...] elle n'a pas d'autre objet [la recommandation] que de donner un contenu aux obligations sociales de ces États, mais n'est pas elle-même obligatoire : elle peut être contestée par ces derniers, qui restent libres de lui opposer leur propre appréciation (...) sous ce second aspect, la recommandation aux Etats membres se présente comme une simple proposition. En droit strict, son destinataire n'est obligé à rien : ni à appliquer ni même à tenir compte de son existence438(*) ». La nature juridique de la recommandation aurait pu être transformée selon le Professeur, si disparaissait « le droit de l'État membre d'apprécier individuellement la portée de ses obligations sociales : la compétence concurrente à celle de l'organisation dont il continue à disposer ». Mais la transformation serait telle qu'on ne parlerait plus de recommandation, on parlerait alors de décision ou d'action.

Il apparaît donc au final, vu les pesanteurs qui lestent l'action du Conseil de sécurité et vu la mollesse des « décisions » de l'Assemblée générale que tout repose en réalité sur ... la bonne foi de l'Etat en litigation devant la Cour. Toujours et rien que la bonne foi de l'État, qui comme une partie dans un arbitrage possède le dernier mot dans l'application d'une sentence (arbitrale ou judiciaire). Mais contrairement à l'État, l'individu partie à une instance devant un tribunal arbitral peut voire sa volonté brisée par la procédure d'exequatur qui fait surgir de sa retraite l'État, qui avec ses « muscles » forcera la décision.

* 423 Ainsi, selon la jurisprudence du Conseil d'Etat français, le défaut d'exécution d'une décision de justice engage la responsabilité de l'État (Couitéas le 30 novembre 1923, Recueil des décisions du C.E. , p.789 ; Sté la Cartonnerie et l'imprimerie Saint-Charles le 3 juin 1938, Recueil des décisions du C.E., p.521. cette solution a été consacrée par une loi du 9 juillet 1991 selon laquelle « l'État est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation ».

* 424 G. GUILLAUME « l'exécution des décisions de la C.I.J. » op. cit. à la p.178.

* 425 Procédure par laquelle le tribunal d'un État déterminé donne force exécutoire dans son ordre interne à une décision judiciaire étrangère ou à une sentence arbitrale ou à un acte public étranger. Jean Salmon (dir.) dictionnaire de droit international public op. cit. p. 480.

* 426 Cet article prescrivait : « 1. Les membres de la Société conviennent que s'il s'élève entre eux un différend susceptible, à leur avis, d'une solution arbitrale ou judiciaire, et si ce différend ne peut se régler de façon satisfaisante par la voie diplomatique, la question sera soumise intégralement à un règlement arbitral ou judiciaire. 2. Parmi ceux qui sont généralement susceptibles d'une solution arbitrale ou judiciaire, on déclare tels les différends relatifs à l'interprétation d'un traité, à tout point de droit international, à la réalité de tout fait qui, s'il était établi, constituerait la rupture d'un engagement international, ou à l'étendue ou à la nature de la réparation due pour une telle rupture. 3. La cause sera soumise à la Cour permanente de justice internationale, ou à toute juridiction ou cour désignée par les parties ou prévue dans leurs conventions antérieures.4. Les membres de la Société s'engagent à exécuter de bonne foi les sentences rendues et à ne pas recourir à la guerre contre tout membre de la Société qui s'y conformera. Faute d'exécution de la sentence, le Conseil propose les mesures qui doivent en assurer l'effet », Paul REUTER et André GROS, traités et documents diplomatiques, Paris, Presse Universitaire de France, 1959, à la p.30.

* 427 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d'Amérique).

* 428 La Résolution proposée par Managua s'est cependant heurtée à un vote négatif des Etats-Unis et par le jeu de l'article 27 paragraphe 3 de la Charte qui prescrit « le vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents », cette résolution n'a pas été adoptée.

* 429 Maurice KAMTO, « la volonté de l'État en droit international », op. cit. pp.423-424.

* 430 Nous parlons ici d'un recours à l'Assemblée générale dans le but de faire appliquer une décision de la Cour.

* 431 L'article 10 de la Charte prévoit que : « l'Assemblée générale peut discuter toutes questions ou affaires rentant dans le cadre de la présente Charte ou se rapportant aux pouvoirs et fonctions de l'un quelconque des organes prévu dans la présente Charte, et, sous réserve des dispositions de l'article 12, [art.12 1. Tant que le Conseil de sécurité remplit, à l'égard d'un différend ou d'une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l'Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande[...] formuler sur ces questions ou affaires des recommandations aux membres de l'Organisation des Nations Unies, au Conseil de sécurité, ou aux membres de l'Organisation et au Conseil de sécurité. »

* 432 Résolution 41/31, AG, 41ème session, 53e séance plénière, 3 novembre 1986. Disponible sur le lien http://www.un.org/french/documents/ga/res/41/fres41.shtml. Voir annexe 3.

* 433 Résolution de l'Assemblée générale « Union pour le maintien de la paix » dite résolution Dean Acheson du nom du secrétaire d'Etat américain qui s'employa à la faire adopter. Il faut relever juste en passant que la constitutionnalité de cette résolution a été contestée par l'URSS et la France dans la mesure où l'Assemblée générale pouvait s'approprier ainsi des pouvoirs réservés au Conseil de sécurité. Jean Salmon, Dictionnaire de droit international public op. cit., p.21.

* 434 Article 18 de la Charte des Nations Unies prévoit que chaque membre de l'Assemblée générale dispose d'une voix, et que les décisions de l'Assemblée générale sur les questions importantes - dont notamment, les recommandations relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationale - sont prises à la majorité des deux tiers des membres présents et votants.

* 435 Michel VIRALLY, « la valeur juridique des recommandations des Organisations internationales » AFDI, 1956, p.66.

* 436 Michel VIRALLY, ibidem.

* 437 Michel VIRALLY, ibid., p.83.

* 438 Nos italiques. Michel VIRALLY, ibidem.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe