L'"arbitralisation" de la cour internationale de justice: une étude critique( Télécharger le fichier original )par Pierre Barry NJEM IBOUM Institut des Relations Internationales du Cameroun - Diplome d'Etudes Supérieures Spécialisées 2010 |
CHAPITRE 1L' ETENDUE DE L'INFLUENCE DES ÉTATS SUR LE FONCTIONNEMENT DE LA COUR. L'usage qui est fait du mot influence ici mérite quelques éclaircissements avant d'aller plus avant. Normalement et logiquement dirons-nous, les États ont leur place au sein de la Cour ; déjà ce sont eux qui l'ont crée, la financent et lui fournissent autant les juges que les justiciables. Cet état des choses peut être comparé aux individus dans un État. En effet, l'on sait bien qu'il n'y a pas d'État sans individus et ce sont ces derniers qui donnent à leur État la conformation qu'ils veulent et ce sont toujours eux qui produisent les organes qui les dirigent. Que ce soit d'une façon médiate ou directe, ils jouent un rôle dans la politique de gestion de la cité. C'est ainsi par exemple qu'ils élisent le chef de l'État de leur choix qui a son tour formera le gouvernement et créera des institutions gérant la cité comme la justice. Par rapport à la Cour, la comparaison pourrait bien s'arrêter là. En effet les États devant la Cour - contrairement aux parties devant le tribunal étatique - tendraient à s'approprier carrément cette instance. Si certains aspects relèvent de leur compétence - comme celui de déclencher l'action en justice - il n'en reste pas moins que ceux-ci trouvent ou à tout le moins essaient de trouver un moyen de « violer l'intimité » de la Cour ; d'où pour nous l'idée d'influence. Au delà de cette influence, certains aspects de l'organisation et de la procédure devant la Cour tels qu'ils sont prévus amènent également à penser à une sorte de tribunal arbitral. Cette seconde idée peut se vérifier au niveau de la compétence de la Cour (section 1) et la première à l'analyse du fonctionnement de la Cour (section 2). SECTION 1LA VOLONTÉ DES ÉTATS, CONDITION DE LA COMPÉTENCE DE LA COUR. À plusieurs égards, la compétence de la Cour est tributaire de la volonté des Etats. Cela procède déjà d'un « programme » intégré dans le fonctionnement même de l'Organisation des Nations Unies dont la Cour est un organe. En effet, l'article 33 de la Charte148(*) offre une palette de choix aux États pour régler leurs différends. Entre la conciliation, la négociation, l'arbitrage, le règlement judiciaire etc., ils ont le choix. Á ce sujet, le juge Guillaume affirme que « [...] l'article 33 établit une obligation de règlement par des moyens pacifiques. Cependant le choix entre les procédures et le recours à chacune de celles-ci est libre. Comme on l'a dit : la situation des Etats peut être comparée à ce sujet à celle d'une personne qui aurait le devoir de se rendre dans un lieu déterminé mais qui aurait la faculté de refuser d'emprunter chacun des chemins qui y conduisent »149(*). Il n'en saurait sans nul doute aller autrement puisque l'essentiel étant la recherche de la paix et de la sécurité internationale. Logique à laquelle aboutissent Cot et Pellet lorsqu'ils affirment que : « La raison d'être du caractère non limitatif attribué à cette énumération... tient à ce que les fondateurs des Nations Unies voulaient essentiellement faciliter la solution pacifique des conflits, sans chercher à privilégier aucune voie de règlement, et ils souhaitaient en conséquence laisser l'imagination des Etats se donner éventuellement libre cours pour dégager un procédé pacifique quelconque150(*) ». Ensuite, lorsque les Etats décident d'aller devant la Cour, il faudrait qu'il y'ait concordance de volonté sinon l'action de la Cour sera paralysée par l'absence de consentement de l'un des litigants. La Cour elle-même l'a reconnue à plusieurs reprises151(*), ce qu'avait déjà reconnu la Cour permanente sa devancière152(*) ; laissant vraiment penser à une sorte de tribunal arbitral donc la mise en mouvement est subordonnée à l'accord préalable des deux parties. Enfin la maîtrise de l'objet du différend met également en exergue le rôle primordial des États. En effet, l'article 36 du Statut notamment en son alinéa 2 propose un échantillon de différends d'ordre juridique que les États peuvent soumettre à la Cour. Cet alinéa ne peut se lire sans le premier qui pose pour principe que « la compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires que les parties lui soumettent ». Cet alinéa peut se lire tel quel, mais également dans un argumentaire a contrario. Ainsi, si les parties ne lui soumettent aucune affaire, la Cour ne sera pas compétente, de même peut-on en déduire que la Cour ne connaît que des affaires à elle soumises par les parties153(*). Cela reste évident si l'on se rappelle que la justice internationale reste au final facultative. En réalité si l'idéal d'un système judiciaire avait été bien accompli, cet article aurait peut être pu se lire, « la Cour est compétente pour toutes les matières mettant en danger la paix et la sécurité internationales », traduisant un pouvoir d'auto saisine et un plus large domaine d'intervention154(*). À l'état donc, la Cour est compétente si les États décident de porter l'affaire devant elle155(*), que les deux parties participent à l'instance et enfin que les deux parties s'accordent sur l'objet du différend. Cet état de choses traduit d'une certaine façon l'apparence arbitrale du système de la Cour qui est plus évidente encore dans les modalités de saisine de la Cour (Paragraphe1) et dans la manière d'expression de cette compétence (Paragraphe 2). * 148 Il se lit comme suit : 1. Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix.2. Le Conseil de sécurité, s'il le juge nécessaire, invite les parties à régler leur différend par de tels moyens. ». * 149 Gilbert GUILLAUME « la politique des États et le règlement par tiers partie » op. cit. à la p.11. * 150 J.P. COT et A. PELLET, Commentaire de la Charte des Nations Unies p.569, cité par G. Guillaume ibid à la p.12 * 151 Dans l'affaire de l'or monétaire pris à Rome en 1943, l'Italie réclamait à l'Albanie une indemnité pour dommage prétendu. Or l'Albanie n'était pas présente en l'instance. La Cour conclut qu' «elle ne peut trancher le différend sans le consentement de l'Albanie. « statuer sur la responsabilité internationale de l'Albanie sans son consentement serait agir à l'encontre d'un principe de droit international bien établi et incorporé dans le Statut de la Cour internationale de Justice, à savoir que la Cour ne peut exercer sa juridiction à l'égard d'un État si ce n'est avec le consentement de ce dernier » rec. P. 17. Cette affaire fera même parler d'un principe dit de l'or monétaire et sera repris par la Cour dans l'affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie). La question était de savoir si, l'Indonésie absente, la Cour pouvait se prononcer. La Cour indique que « l'arrêt que demande le Portugal aurait des effets équivalents à ceux d'une décision déclarant que l'entrée de l'Indonésie et son maintien au Timor oriental sont illicites... les droits et obligations de l'Indonésie constituerait dès lors l'objet même d'un tel arrêt, rendu en absence du consentement de cet Etat. Un arrêt de cette nature irait directement à l'encontre du principe de droit international bien établi et incorporé dans le Statut, à savoir que la Cour ne peut exercer sa juridiction à l'égard d'un Etat si ce n'est avec le consentement de ce dernier. » Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 90. par. 34. voir également Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), requête a fin d'intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 25, par. 40; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C. I. J., Recueil 1984, p. 43 1, par. 88 ; Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 579, par. 49; Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras), requête afin d'intervention, arrêt, C.I. J. Recueil 1990, p. 114-1 16, par. 54-56, et p. 122, par. 73, et Certaines terres à phosphates a Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 259-262, par. 50-55). * 152 Dans l'affaire des concessions mavromatis en Palestine la CPJI affirme que : « la juridiction de la Cour se fonde toujours sur le consentement du défendeur » et dans l'affaire des droits des minorités en Haute-silésie la même Cour insistera sur le fait que « la juridiction de la Cour dépend de la volonté des parties ». Arrêt du 26 avril 1928, CPJI série A n°15, p.22. Voir également C.P.J.I., 14 juin 1938, arrêt, Phosphates du Maroc, Série A/B, n°74, 23 : « la juridiction [de la Cour] n'existe que dans les termes où elle a été acceptée ». * 153 Voir par exemple les réserves aux déclarations de compétence de la Cour de l'Autriche : « la présente déclaration ne s'applique pas aux différends que les parties auraient décidé ou décideraient de faire trancher de façon définitive et obligatoire en recourant à d'autres moyens de règlement pacifiques » déclaration du 19 mai 1971.De l'Australie « la présente déclaration ne s'applique pas à tout différend pour lequel les parties ont convenu ou conviennent d'avoir recours à une autre méthode de règlement pacifique » déclaration du 21 mars 2002, mais aussi de la Barbade, du Botswana, Cambodge, Canada etc. source site Internet de la Cour : http// www. Icj-cij.org. * 154 Car la formulation de cet article ouvre un boulevard aux Etats pour moduler et restreindre à volonté la compétence de la Cour. C'est ainsi que les déclarations d'acceptation de la compétence de la Cour sont truffées de réserves qui amènent à s'interroger sur le domaine de compétence réel de la Cour. Voir par exemple les déclarations du 10 mai 1994 du Canada, du 2 septembre 2005 de Djibouti, du 20 octobre 1990 de l'Espagne, du 06 juin 1986 du Honduras, du 22 octobre 1992 de la Hongrie, du 18 septembre 1974 de l'Inde, du 06 décembre 1966 de Malte, du 23 septembre 1968 de Maurice, du 30 avril 1998 du Nigeria, du 18 janvier 1972 des Philippines, parmi les plus significatives. * 155 Bien entendu qu'ils aient au préalable souscrit à la clause facultative de juridiction obligatoire de l'article 36 alinéa 2 du Statut. |
|