Introduction Générale
Les pays en voies de développement ont besoin
d'amorcer une croissance économique durable sans laquelle le
développement économique ne peut être atteint. Pour ce
faire, il apparaît nécessaire de mettre l'accent sur le
renforcement des capacités de production dans l'économie ;
ce qui suppose que le secteur financier devra jouer un rôle moteur
prépondérant.
Au Sénégal, une crise
financière latente s'est déclarée durant les
années 80. Pour sa résorption, une série de mesures visant
l'émergence d'un système financier viable avait été
initiée par les autorités.
Parmi les objectifs visés par ces mesures, la
libéralisation y a occupé une place prestigieuse. Celle ci
prône, en théorie, la libre concurrence et s'oppose à
l'intervention de l'Etat et à la constitution de monopole privé.
A son sens, par le biais du libre jeu des initiatives individuelles dans le
marché, on doit parvenir à l'allocation optimale des faibles
ressources mobilisables.
Par ailleurs, ces réformes ont nécessité
la revitalisation d'une forme de système financier dite
décentralisée, dont l'objectif est de complémenter les
carences des banques classiques dans le cadre de la lutte contre la
pauvreté.
Ainsi coexistent, dans le marché financier, deux types
d'institution entretenant des relations ambiguës. Sont-elles
complémentaires dans le cadre du financement de l'économie? et/
ou, au contraire, entretiennent elles des relations de concurrence? Quelles
orientations devrait-on promouvoir dans leurs relations afin de réunir
les conditions d'un développement économique et social
adapté à nos spécificités ?
A travers les lignes qui suivent, nous essayerons d'apporter
des réponses informées aux questions précédemment
formulées. C'est ainsi que nous traiterons ce sujet en trois parties.
La première évoquera l'environnement du
système financier d'avant les réformes afin de déceler les
causes proches ou lointaines de la crise. La seconde portera sur la nature des
réformes. L'objectif visé dans cette partie est
d'appréhender l'anatomie des réformes afin de mieux cerner leurs
effets sur les relations entre Banques et SFD que la troisième partie
aura l'intention de traiter.
Auparavant, nous nous intéresserons à
l'évolution du système bancaire depuis ses origines.
HISTORIQUE DU SYSTÈME
BANCAIRE
Dans une économie de type domanial ou de Robinson
Crusoe, la banque ne serait que du superflu car l'instrument à travers
lequel elle intervient dans l'économie, et qui constitue sa
matière première, n'a aucune utilité. Les transactions
sont facilitées par le style d'organisation qui en assure la
fluidité; l'épargne y est mal vue et l'investissement inconnu.
Cependant, en atteignant une certaine complexité due
à la masse d'individus devant entrer en échange et à la
distance à parcourir, le troc, avec toutes ses contraintes, devient trop
fastidieux : l'usage d'un médiateur devient une urgence. Toutes les
sociétés, à un certain moment de leur évolution,
l'ont engendré, souvent de façon autonome, mais avec des
caractéristiques presque identiques. Ainsi, la monnaie est universelle
et a toujours suscité convoitise et méfiance de la part des
agents économiques. Copernic, physicien Anglais, la comptait parmi les
quatre principales sources de l'effondrement d'une puissance, lorsqu'elle se
dépréciait très sensiblement.
Dès son apparition, sa garde a été
affectée à des agents : les cambistes, qui peuvent
être considérés à juste titre comme les
ancêtres des banquiers.
Au Sénégal, l'abolition de l'esclavage a
été à l'origine de la création de la
première banque. Les effets perturbateurs qu'elle a
entraînés devaient être corrigés par l'octroi de
crédits aux anciens propriétaires pour qu'ils puissent poursuivre
leurs activités. Cette Banque du Sénégal, fondée en
1853, avait ses locaux à Saint-louis. Elle était
spécialisée dans le crédit à court terme.
Cependant, elle n'a jamais pu servir à une réelle politique de
mise en valeur de la colonie.
La création de l'Afrique Occidentale Française
(AOF) suite à une extension du domaine colonial et au
développement de l'économie de traite, dont la
matérialité était observable à travers la
remarquable augmentation de la production agricole, finirent par
démontrer l'urgence de l'extension et du renforcement des
possibilités d'intervention du système bancaire. Ce dernier
devait se charger d'apporter en qualité et en quantité le
lubrifiant nécessaire à la dynamisation de la machine
économique.
En 1901, la Banque du Sénégal est mise en
liquidation et transfèrera son actif à une nouvelle banque
d'émission de nature commerciale: la Banque de l'Afrique de l'Ouest.
Dans les années 1920, la montée de la
concurrence internationale, suite aux effets d'entraînement de la
révolution industrielle, a fini par faire naître chez les
protagonistes des attitudes protectionnistes. Avec ces changements dans les
relations internationales, il fallait adapter le système bancaire pour
la distribution des crédits aux secteurs jugés prioritaires; ceci
en vue d'une plus grande autonomie vis à vis du RDM.
Vu la multiplicité et la densité des
interventions du système bancaire, son activité atteignait des
proportions non négligeables et son contrôle devenait un enjeu de
taille : la nouvelle Banque de l'Afrique Occidentale aura désormais
son siège social en France et non plus en Afrique. Ainsi le
système bancaire venait d'être rapproché des politiques
françaises. Sa création fut une tentative d'adaptation de la
distribution du crédit dans une phase d'expansion du capitalisme. Cette
banque qui, à l'origine était sous tutelle privée,
devenait une société d'économie mixte à partir de
1929 avec une participation minoritaire de l'Etat qui allait se renforcer de
façon décisive en 1940.
Ces périodes sont marquées, au
Sénégal, par un développement de l'économie
arachidiére produite par une agriculture extensive. Le paysan vendait sa
production aux commerçants (sous- traitants) Libanais ou Africains qui
se chargeaient de l'exporter. En retour, ces derniers lui procuraient des
produits importés. Les périodes de soudure entraînaient des
endettements massifs qui, après paiement, ne laissaient au paysan que
des signes monétaires. Jamais il ne joignait les deux bouts. Il
était laissé à la merci d'usuriers impitoyables dans le
bourbier de l'endettement.
Dans un tel contexte, l'établissement d'un
contact direct avec les ruraux n'était pas du domaine de l'urgence.
Cependant, vu la fertilité du milieu dont l'engrais était
constitué par l'usure, les banques se sont prolongées dans les
grandes compagnies de crédit immobilier qui, de par leur degré
d'implantation adaptée aux spécificités du milieu,
pouvaient s'assurer du remboursement des crédits octroyés aux
ruraux. La plupart de ces grandes compagnies finirent par être des
propriétés des banques
Durant la seconde guerre mondiale, l'aide substantielle
apportée les pays colonisés à une France malmenée
par le voisin Nazi a fini par apporter du sang neuf aux relations
Métropole - Colonies. Cela s'est matérialisé par la
constitution de la Zone Franc dont la caractéristique principale est
l'existence d'une parité fixe entre le Franc Français (FF) et le
Franc des Colonies Françaises d'Afrique (FCFA). Elle semble être
née des conséquences de la seconde guerre mondiale, du
contrôle des changes et de celui du commerce extérieur.
Auparavant, des banques françaises avaient
installé des succursales à Dakar. Il s'agit essentiellement de la
Banque Nationale pour le Commerce et l'Industrie (BNCI en 1939),du
Crédit Lyonnais et de la Société Générale en
1941. L'avènement de ces nouvelles banques avaient entraîné
une certaine division du travail en ce qui concernait la fourniture des
services et la répartition de la clientèle.
Certaines banques livraient des crédits à
l'industrie et au commerce tout en essayant de se rapprocher du secteur
informel. Il s'agit de la BNCI, du Crédit lyonnais...
La BAO et la Banque Commerciale Africaine s'activaient dans
la consolidation de leurs liens privilégiés avec les grandes
maisons de traite. Leurs crédits étaient destinés à
la commercialisation de l'arachide. En 1956, ils représentaient 56%
des crédits consentis.
Cependant, l'influence des banques africaines se
réduisait. En 1945 le BAO détenait à elle seule 60% des
dépôts. En 1952, la tendance commençait fortement à
être inversée. Les grandes banques métropolitaines
s'intéressaient désormais à la crème du monde des
affaires (grandes sociétés de commerce). Aussi elles se
lancèrent dans des travaux d'investissement minier et le financement des
travaux correspondant à l'équipement collectif de la colonie.
L'octroi de crédits pour le développement de
l'industrie locale s'est effectué au moment de la pénurie de
l'après guerre où la France, durant sa reconstruction
(1948-1974), n'arrivait plus à fournir certains éléments
de base aux colonies. Ainsi a-t elle encouragé une industrialisation
de très faible ampleur, non pas par altruisme, mais en vue de
préserver sa vache laitière au moment où l'Afrique
faisait l'objet d'enchères idéologiques.
Les crédits à l'équipement immobilier et
hypothécaire ont été octroyés par la
Société Immobilière et Financière de l'Afrique
(filiale de la BCA), le Crédit Foncier de l'Afrique de l'Ouest ( CFAO),
le Crédit Foncier d'Afrique ( filiale de la Banque d'Indochine). Le
Crédit du Sénégal (CDS) octroyait des crédits
à court et moyen termes aux entreprises artisanales ainsi qu'aux
exploitations et coopératives. Ces prêts étaient
destinés à l'acquisition de propriétés
immobilières et de biens de consommation semi- durables.
Les indépendances ont joué un rôle
décisif dans l'évolution du système bancaire. Elles ont
surtout été marquées par un processus d'africanisation des
banques dans le capital desquelles, privés et publics cohabitent.
Parallèlement, de nouvelles banques à capitaux
uniquement publics (Sénégalais et Français) ont
été créées en vue de fournir des crédits
aux populations méprisées par le système bancaire
classique (artisans, agriculteurs)...
Le processus d'africanisation s'est déroulé en
plusieurs étapes.
Un partenariat financier est scellé entre le
Sénégal et le Crédit lyonnais. Sa matérialisation
se trouve dans l'érection de l'Union sénégalaise des
Banques (USB).Son capital fut augmenté avec l'entrée de banques
étrangères telles Morgan Guaranty (USA), Deutsche Bank (RFA),
Banca Commerciale Italiana (USA- Italie).
L'USB fut régie par le droit local et n'avait aucune
obligation de service public. Elle était mue par des objectifs de
rentabilité avec pour mission de promouvoir les hommes d'affaire
sénégalais.
Le 13 janvier 1960, la Banque Sénégalaise de
Développement vit le jour. Elle avait pour rôle de constituer un
relais aux lignes de crédits accordées par le Fonds d'Assistance
et de Coopération, du Fonds Européen de Développement et
autres institutions de coopération financière. Malgré le
volume important des dotations financières à son profit, elle
n'avait pu jouer le rôle qui lui était assigné.
La complémentarité des missions de la BDS et du
Crédit du Sénégal a été
institutionnalisée par la création de la Banque Nationale de
Développement du Sénégal en 1964. Cette banque
héritait des missions de ses ancêtres (BDS et CDS). Elle a pu
bénéficier d'importants financements qu'elle pouvait
difficilement renouveler à cause des taux d'intérêt
internationaux plus compétitifs.
Dans la poursuite du processus d'africanisation, la
Société Générale des Banques du
Sénégal (SGBS) verra le jour le 03 décembre 1962. Elle a
repris les activités de la Société Générale
qui en était l'actionnaire majoritaire avec 51% d'un capital ouvert
à des étrangers (USA, Suisse, Italie, France, Allemagne).
La Banque Internationale pour le Commerce et l'Industrie au
Sénégal fut créée en 1962 pour poursuivre les
activités de la BNCI qui en est l'actionnaire majoritaire.
Des indépendances jusqu'au début des
années 70, le fonctionnement du système bancaire
Sénégalais a fortement été marqué par la
présence de l'autorité publique. L'objectif visé
était d'accompagner les différents plans nationaux mis en oeuvre
pour le développement social et économique du pays.
Cependant, malgré toute cette volonté de
contrôle du système qui, entre autres était plus que
nécessaire dans une économie embryonnaire et planifiée, il
fallait l'existence d'un secteur privé libre, pouvant servir à
drainer les capitaux extérieurs privés en quête de
sécurité, liquidité et rentabilité. A cet effet,
il fallait répondre aux exigences de la concurrence.
Le problème à résoudre, allait
être la répartition du marché et la distribution des
compétences entre les différentes catégories
d'établissement de façon à pouvoir mobiliser les
ressources pour le financement des plans sans porter atteinte aux
activités du secteur privé, parce qu'il est le seul à
pouvoir réaliser de façon satisfaisante les mouvements de
capitaux avec l'extérieur.
Le début des années 70 correspondait, sur le
plan international, au premier choc pétrolier, à la disparition
de l'étalon de change or et à la fin des 30 glorieuses.
Au Sénégal, malgré l'épaisseur du
tissu bancaire qui se trouvait être l'un des plus moelleux de l'Union
Monétaire Ouest Africain, il fallait favoriser la création
d'établissements spécialisés en vue de compléter le
travail accompli par les banques commerciales. Une loi allant dans ce sens a
été votée par la représentation nationale en 1974
: les organismes spécialisés dans la distribution de
crédits à moyen et long termes aux entreprises créatrices
de richesse pouvaient bénéficier de faveurs fiscales.
Dans la même année, la Société
Financière Sénégalaise pour le Développement de
l'Industrie et du Tourisme (SOFISEDIT) et la Banque
Sénégalo-Koweitienne, avec une participation de l'Etat dans
chacune, venaient de se constituer.
Le SOFISEDIT ( 09 Mars 1974) fut le fruit d'un partenariat
entre l'Etat, la totalité du système bancaire nationale et de la
Fidelity International Bank (USA). A partir de 1975, son capital fut
élargi à d'autres partenaires. Pour son démarrage, la
SOFISEDIT a pu bénéficier d'importantes lignes de crédit
(République Fédérale d'Allemagne, Banque Mondiale). La
participation de l'ensemble du système bancaire nationale
témoigne de la volonté du Gouvernement Sénégalais
de coordonner les activités des différentes catégories
d'établissement et d'en utiliser les compétences diverses pour
les projets de développement initiés sous sa
responsabilité.
La BSK vit le jour dans la même année que le
SOFISEDIT. Ses principaux actionnaires furent le Koweït Foreign Trading
Contracting and Investing 50%, l'Etat Sénégalais 25% et un
privé Sénégalais 25%.
C'est à la fois, un aspect de la coopération
entre le Sénégal et le Koweït et un circuit de recyclage en
direction de l'Afrique des surplus accumulés grâce à une
inflation sans précédent du prix du baril de pétrole.
L'Etat du Koweït fut le principal bailleur. Cependant la nomination du
privé Sénégalais comme Président Directeur
Général témoigne de la volonté des partenaires
à conférer à la banque un statut privé, tout en
orientant ses activités en fonction des objectifs de la politique
économique nationale. Pour son démarrage la BSK a pu obtenir
une ligne de crédit de 2,5 milliards.
L'objectif visé dans la création de ces deux
banques était d'encourager l'épargne privée nationale et
étrangère à venir s'investir pour des horizons lointains
au Sénégal. Les deux institutions ont entretenu des relations de
libre concurrence. Mais, compte tenu de l'étroitesse du marché
une entente apparut souhaitable. Il fut finalement admis que la BSK
évoluera dans le segment de la pêche, de l'immobilier, de
l'élevage... tandis que la SOFISEDIT s'occupera du financement des
activités industrielles et touristiques. A partir de 1975, peu de
changements ont été enregistrés dans le système
bancaire.
Il est intéressant de voir que l'évolution
constatée au niveau des structures économiques et de
l'environnement national et international a entraîné une
révision du système Sénégalais en vue de
répondre aux besoins de financement des nouvelles unités
industrielles et commerciales.
Avant d'aborder le fonctionnement du système bancaire,
il convient de le situer dans son contexte socio-économique et socio
politique.
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