VIII. Approche de l'ancien.
L'Histoire lausiaque raconte que Cronios, jeune
prêtre de Nitrie, ayant fui le
monastère où il résidait, s'en va vers la
montagne d'Abba Antoine pour le rencontrer mais qu'il doit attendre cinq jours
avant de pouvoir s'entretenir avec l'ancien77 ! Cassien et
Germain doivent verser des larmes pour être reçus par Abba
Moïse dont ils connaissaient l'inflexibilité et l'hésitation
à ouvrir les portes (Coll. 1.)
Cassien écrit que Paphnuce garde le silence avant
d'adresser la parole aux deux jeunes venus de très loin pour le
rencontrer (Coll. 3. ) L'entretien peut parfois durer une nuit
entière et sa clôture revient souvent à l'initiative de
l'ancien. (Coll. 7)
Paradoxalement, les discours des Pères
interrogés sont souvent très longs. On observe que Cassien et
Germain accusent fréquemment de la fatigue, voire un
découragement à la fin
76 Paterica arméniens : 6,1 II, 122. ( in
D.Louis Leloir : « Désert et communion. » S0
n°26. Bellefontaine.1978.)
77 PALLADE in « Histoire lausiaque »
S0 n° 75. Bellefontaine 1999.
des entretiens. Certains discours étonnent sans
rassasier (Coll. 9) mais il faut dire parfois que les disciples
semblent insatiables d'enseignement. Les jeunes moines abordent les anciens
avec d'infinies précautions, leur respect est immense. Chez Cassien, les
Pères sont des icônes vivantes pour Germain et lui,
néophytes assoiffés d'enseignements qui veulent à tout
prix les imiter et transmettre à d'autres et ailleurs, leurs sentences
et conférences. Il apparaît souvent que le jeune lui-même
relance l'ancien dans l'entretien, par d'autres questions non
élucidées, ce que réprouve Abba Théonas lorsqu'il
emploie la métaphore suggestive du bateau à peine entré au
port du silence qui doit déjà reprendre les voiles pour un nouvel
entretien. Cette approche du jeune disciple démontre son empressement
d'en connaître plus, et de percer ce mystère de la vie
érémitique qui ne s'élucide pourtant qu'avec le temps.
A notre sens, l'approche de l'ancien est symbolique : s'il est
porteur de la parole qui peut éclairer le jeune, ce dernier ne peut
l'atteindre que s'il s'est en partie dépouillé des
premières couches d'orgueil amenées du monde. L'ancien ne veut se
laisser trouver que par celui qui cherche vraiment, qui s'est
déjà donné du mal en vue d'un premier entretien et dont la
quête de Dieu est l'unique finalité de la recherche.
D'après les sources étudiées, il apparaît que c'est
le disciple qui cherche le maître, jamais l'inverse. Dieu appelle, mais
le jeune doit partir en quête de son guide, cela fait partie du
début de la démarche spirituelle du novice.
Pallade lui-même « ...partit vers le grand
désert, à une demi-journée de marche, dans cet
établissement dépendant de Nitrie qu'on appelle les Cellules(...)
Macaire l'Alexandrin était reconnu par tous comme une autorité
spirituelle à laquelle il convenait de faire appel en cas de besoin(...)
C'est donc ce grand vieillard qui accueillit Pallade et le guida dans le combat
proprement spirituel 78. »
Même s'il n'est pas prouvé que Pallade ait
marché si longtemps, l'idée générale est celle du
chemin, de « la marche vers » ce à quoi on semble
appelé. La motivation réside dans la preuve du dépassement
de soi-même. Pour atteindre ce qu'il cherche, le débutant doit se
donner du mal. Pallade l'explique en exprimant qu'il a marché et sans
doute prié et préparé son entretien, avant
d'écouter les premiers préceptes de son maître et de se
mettre à son école. Cette première étape de la
recherche du maître est importante, ce qui nous est expliqué est
qu'elle est un chemin important dans le contexte de la quête de
l'ancien.
78 PALLADE in « Histoire lausiaque.
» S0 n° 75. Bellefontaine. 1999.
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