La relation maà®tre disciple dans le monachisme primitif, d'après les écrits de Jean Cassien( Télécharger le fichier original )par Isabelle PEREE Strasbourg (Théologie Catholique) - Master de théologie 2009 |
IV. L'apatheia.Michel Spanneut55 donne cette définition de l'apatheia : « L'apatheia ( áiraOeza ) est fondamentalement l'absence de pathos, terme dont le radical - path se retrouve dans iraó÷wí (subir). Est pathos tout ce qui est subi : accident, impression, émotion, sensation, passion. Etre apathès, (áiraOçc ) c'est être inaffecté devant l'événement, échapper à l'effet de l'incidence (...) » Ce terme s'applique à Dieu chez les anciens Grecs. « L'attitude des chrétiens quand iis'agit de l'homme est variée. Certains jugent naturelle la passion, dont un usage peu maîtrisé leur apparaît vertueux. D'autres évoluent au cours de leur oeuvre pour croire quelquefois, comme Augustin en finale, l'apatheia radicalement impossible56. » I.Gobry dira, lui, que « l'apatheia est l'incapacité d'être ébranlé dans l'intériorité57. » L'apatheia est en somme, l'absence de passions et ne doit pas être confondue avec l'ataraxie stoïcienne qui est l'absence de troubles, même si les deux termes connotent une liberté intérieure éprouvée par le pratiquant. L'apatheia est une notion philosophique prudemment appelée « pureté du coeur » par Cassien. « Grégoire de Nysse pense que l'élimination totale des passions en cette vie est chose néfaste, car elle priverait l'âme du désir de Dieu et des armes nécessaires pour combattre l'adversaire du bien58. » Il est mal aisé de démontrer si le Père du désert est impassible au sens premier de la définition. Pour tenter de comprendre, il faut partir d'Evagre. Pour lui, il faut que l'âme s'élève au-dessus de toutes les pensées qui concernent les choses et elle ne pourra y parvenir que si elle se dépouille des passions qui la lient aux choses sensibles. Il ne s'agit pas d'insensibilité envers Dieu, ni même envers les hommes, mais d'une parfaite liberté intérieure, de l'abandon et du dépouillement parfait. Il s'agit donc d'une doctrine bien différente de l'ataraxie, comparée à l'absence de trouble d'un Dieu immobile exempt de tout sentiment à l'égard de l'homme. C'est en se débarrassant des huit principaux vices que l'on aboutit, pour Evagre, à l'apatheia, donc à l'absence de passions néfastes au moine. Tout comme l'ataraxie stoïcienne, l'apatheia peut s'apercevoir dans la maîtrise des mouvements corporels. Athanase répète plusieurs fois qu'Antoine reste le même dans toutes les circonstances59. 55 M. SPANNEUT in « L'apatheia chrétienne aux quatre premiers siècles. » Proche-Orient chrétien 52, 2002. 56 Ibid. 57 I.GOBRY in « De Saint Antoine à Saint Basile. » Fayard 1985. 58 Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien : T.1 article : « apatheia. » Cerf. 1983. 59 Athanase d'ALEXANDRIE in « Vie d'Antoine » SC 400. Cerf. 1994. L'apatheia au désert est l'abandon du superflu qui empêche le moine d'être libre intérieurement et spirituellement. Dom Bernardo Olivera60 rappelle dans sa lettre aux moines et moniales de l'OCSO* que pour arriver à l'apatheia, Evagre parle de huit pensées ou tendances vicieuses que l'ermite doit affronter et vaincre. Cassien, lui, traduira la doctrine d'Evagre dans le contexte cénobitique occidental. Plus tard, Grégoire le Grand (t604) jouera un rôle fondamental dans cette évolution. Il suit Cassien mais change l'ordre des vices : l'acédie disparaît de la liste, même si certaines de ses manifestations sont incorporées à la tristesse. Il ajoute l'envie et enlève l'orgueil de la liste en considérant qu'il est la racine et la source de tous les péchés suivant la version de la Vulgate : « initium omnis peccati est superbia (Si 10,15.) » Plus tard, la vaine gloire et l'orgueil seront fondus en un seul vice et nous arriverons à la liste traditionnelle des sept péchés capitaux imposés en Occident à partir du XIIème siècle. Tableau comparatif.
C'est donc en se débarrassant de ces huit vices que l'on aboutit, selon Evagre, à l'apatheia, donc à l'absence de passions si néfastes pour le moine. Cassien ne parle pas d'apatheia mais de « pureté du coeur et tranquillité de l'âme. » (Coll. 1) Il identifie cette pureté du coeur avec la charité : « puritas cordis quod es caritas. » Cette charité de coeur, dit Dom Colombas61, est la fin à laquelle se subordonne tout l'ascétisme monastique. Mais à son 60 Dom B. OLIVERA in « lettre circulaire de 2007 aux moines et moniales de l'Ordre cistercien. » www.ocso.org * Ordre cistercien de la stricte observance. 61 G.M COLOMBAS in « El concepto del monje y vida monástica hasta el fines del siglo V.» (Article in «Studia monástica» Vol 1.) 1959. Montserrat/Abadia. Barcelona. tour, cette fin est elle-même subordonnée à la contemplation, véritable cîme de l'idéal monastique. De fait, l'apatheia, la purification, la charité sont souvent unies à la contemplation. Cassien définit la vie monastique comme une inébranlable union spirituelle avec Dieu. (Coll.1) |
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