Contribution de l'oralité à l'étude des relations entre les pygmées Baka et les Bantous au sud-est du Cameroun ,des origines à 1960( Télécharger le fichier original )par Joseph Jules SINANG université de yaoundé1, Cameroun - maà®trise 2004 |
Mbendo(généraux)
Assi-Mbendo(officiers) Dika(sous officiers) Bibilo(hommes de troupe) Structure pyramidale de l'armée Bangando à l'époque précoloniale Certains de ces grades constituaient des castes dont les membres étaient détenteurs d'un pouvoir mystique acquis auprès des femmes qui s'occupaient spécialement de la préparation psychologique des guerriers. Une femme qui s'est particulièrement illustrée dans les campagnes guerrières chez les Bangando fut Sogou. Les traditions orales l'associent à tous les combats. C'était une mastodonte au physique impressionnant. L'on dit d'elle que ses seins étaient volumineux et pendants et que son abdomen était proéminent4(*)3. Elle n'avait nullement besoin de quoi que soit pour cacher sa nudité. Par ses prières, elle avait donné la force de vaincre à son peuple plus d'une fois. Il lui arrivait de préparer des potions magiques et des armes pour les combattants. L'armement même était le produit du développement de la métallurgie du fer. Cependant, les Zime avaient introduit dans la région des armes de traite acquises auprès de leurs anciens maîtres, les Bulu4(*)4. Dans l'ensemble, cet armement varié était l'oeuvre des forgerons dont les activités avaient une portée économique considérable. D. Organisation économique Bien que diverses et variées, les activités économiques des Bantou du Sud-Est ainsi que les techniques d'acquisition des biens s'articulaient autour de la subsistance. En dépit de la mobilité due à l'insécurité qui a naguère prévalu, la chasse, la pêche et la cueillette prirent le dessus sur l'agriculture qui était reléguée au rang d'activité secondaire. Toute une gamme de techniques de chasse émergèrent dans le Sud-Est au point où Koch, émerveillé, signale que : (Les Badjoué et les Bikelé, voisins Bantou des Baka) connaissent les trappes, les fosses, filets, les nasses, les collets, les trébuchets, les traquenards, les arbalètes, les assommoirs, les gluaux, les appeaux, les leurres, les hameçons, les poisons. Leur panoplie est si riche que l'on pourrait croire que toutes les techniques du piégeage se sont données rendez-vous dans ce pays4(*)5. L'homme, à la faveur de la division du travail, s'est vu affecter des activités viriles : chasse, défrichage, abattage des arbres, récolte du miel et des noix de palme , travail du fer et du lithique étaient de son ressort4(*)6. La femme est restée le principal agent de l'agriculture et de la poterie en raison de l'analogie que l'on peut établir entre la fertilité du sol et sa fécondité4(*)7. A cet effet, il lui revenait de semer, d'entretenir et de récolter tout ce que l'on met sous terre. Une terre du reste prélevée pour la fabrique des canaris et marmites indispensables à la conservation et à la cuisson des aliments. Elle pratiquait aussi la vannerie et le tissage. L'élevage étaient relativement pratiqué et le troc réglementait les échanges inter et intra-communautaires. Loin d'avoir fait une présentation exhaustive des données culturelles des deux sociétés en présence, nous venons, à la lumière des éléments ethnographiques susceptibles d'éclairer les interactions entre ces deux groupes, de réaliser que les Bantou et les Baka du Sud-Est sont deux sociétés qui ont développé des activités spécifiques répondant aux exigences de leurs écosystèmes respectifs. Ceci d'autant que la culture est enracinée dans son milieu, et son infrastructure, la subordonnée de l'environnement naturel. Ces deux sociétés ne sont pas radicalement opposées mais mènent plutôt des activités complémentaires. Tel est le fondement de l'interdépendance fût à la base de leurs rapports. DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DES RAPPORTS INTERCOMMUNAUTAIRES L'enracinement du Baka dans son environnement n'a jamais fait de lui un être vivant en autarcie. L'histoire de ses rapports avec son voisin Bantou laisse apparaître une longue tradition de vie commune variant en fonction des époques. Pendant la période précoloniale, la relation est essentiellement équilibrée ; une rupture intervient à l'ère coloniale. CHAPITRE III : DES RAPPORTS DE COLLABORATION A L'EPOQUE PRECOLONIALE La géopolitique du Sud Est, à l'instar de toute l'Afrique Noire précoloniale, est marquée par la permanence des conflits et le déroulement intensif des échanges. Aucun peuple ne pouvant vivre en vase clos, toutes les populations étaient engagées dans une logique de coopération, d'alliances et de rivalités faisant intervenir des pratiques magico-religieuses. I. Une coopération variée Bien des traditions du Sud-Est présentent les Baka comme un peuple pacifique dont les rapports avec leurs voisins Bantou ont généralement été harmonieux. En effet, depuis fort longtemps, s'est établie entre les deux communautés, une collaboration sur plusieurs plans . Certains auteurs relèvent l'ancienneté des rapports entre les deux communautés. Bahuchet par exemple écrit que les Pygmées sont en contact avec les populations d'agriculteurs depuis au moins cinq cents ans»1(*). David quant à lui remonte plus loin dans le temps et nous apprend que cette coopération date de 2400-500 avant J-C, et qu'elle a un fondement économique2(*). A. L'interdépendance économique Baka et Bantou, en raison de leurs modes de vie respectifs, ont été qualifiés les uns d'agro-chasseurs et les autres de chasseurs-collecteurs. Ce qui suppose d'énormes lacunes et le besoin de complémentarité dans leurs différents systèmes de production. Aussi la demande en ressources naturelles était-elle élevée chez le Bantou dont la structure sociale est très large. Sa production en viande ne pouvant rivaliser celle du Baka, véritable maître de la forêt. A cet effet, ses espoirs ne reposaient principalement que sur l'agriculture, activité secondaire qui, bien que fournissant des denrées limitées, a l'avantage de faire stocker les réserves toute l'année durant. Le Baka quant à lui se trouve dans une position d'infériorité technologique. En effet, il ne travaille ni argile ni fer dont les produits revêtent pour lui un caractère nécessaire. Le recours aux échanges s'avérait impérieux pour chacun dans le but de combler, ses manques. Il s'était ainsi installé entre les deux communautés, une symbiose qui se traduisait par le principe du «troc équilibré». Bahuchet écrit à ce propos : Dans la période précoloniale récente, la relation est principalement un échange économique, association qui permet aux deux partenaires d'exploiter mieux deux écosystèmes différents et juxtaposés, la forêt et les champs. Les groupes sont complémentaires3(*). Dans une perspective plus proche, Séverin Cécile Abega indique que : ces rapports étaient empreints de spontanéité, et les deux partenaires engagés dans le cycle de prestation et de contre prestation savaient ce qui était bon pour l'autre, n'hésitant pas à le lui offrir même si le besoin n'avait pas été exprimé4(*). Aussi le Baka troquait-il le produit de sa venaison composée d'excédents de chasse, d'amande de mangue sauvage, de miel et de plusieurs variétés de feuilles comestibles contre les féculents, les céréales, du sel, du tabac, des noix de kola, des ustensiles en argile ainsi que des objets métallurgiques5(*). Les biens ainsi échangés parvenaient au coeur de chaque société à travers des nombreux réseaux d'amitié établis entre les membres des deux communautés. Des amitiés qui, pour se consolider davantage, ont eu recours à la sacralité6(*). B. Alliances et pactes sociaux Le déroulement des échanges entre les deux communautés était entouré d'un mystère en raison des préjugés que les uns se faisaient des autres7(*). Les traditions orales rapportent que le Baka venait déposer dans le sous bois situé non loin de la concession de son partenaire les produits qu'il proposait ; tout en l'invitant à les découvrir à travers les signes. Plus tard, il repassait au même endroit récupérer ce qui lui était destiné car chacun connaissait les besoins de l'autre. La transaction étant devenue spontanée, il s'était établi une amitié (lothi) qui s'étendait aux membres de leurs familles respectives. Le Baka avait choisi par la suite, de s'installer derrière la concession du Bantou, au travers de la piste de ses champs (voir photo 2). Cette décision était motivée à la fois par un souci commercial et la recherche de la sécurité. En effet, le Baka, en se rapprochant de son associé, était mu par la fuite du Limassa8(*) ; une sorte de croque mitaine qui sévissait dans la forêt 9(*) ; d'où sa propension à se cacher dans le sous bois, au moindre contact avec un étranger. Il n'avait non plus choisi de s'installer au village car redoutant le Kaka ; un autre personnage avec qui il eut maille à partir dès les premiers contacts. Tout étranger pour le Baka est un Kaka envers qui il éprouve la peur et la méfiance. Aujourd'hui encore, son attitude trahit cette peur. Au moindre contact avec un inconnu, il penche sa tête, détourne son regard, à la manière d'une bête traquée qui cherche à s'enfuir. Dans ces conditions, il n'avait confiance qu'à son partenaire devenu son ami. Dans le souci de rendre ces liens inviolables, des pactes de sang (Mponi) furent scellés entre eux. Les parentés artificielles s'établissaient entre les membres des deux communautés. A Mbangoye I, village situé à dix-sept kilomètres de Moloundou, les traditions orales rapportent que Sakanda est l'ancêtre qui aurait établi le pacte avec les Pygmées qui s'y trouvent de nos jours1(*)0. Ainsi, des Baka étaient liés à des familles bantoues. Massa du village Mbatéké par Moloundou possède encore dans sa concession des Pygmées dont le pacte a été scellé entre les grand-parents1(*)1. Ces pactes ont servi de levier à une véritable fraternité entre les deux communautés allant jusqu'à la participation commune aux activités religieuses de chaque société. A cet effet, les Baka ont été les premiers à admettre les Bantou au sein du jengui, rite au cours duquel Komba le créateur manifeste sa bonté1(*)2. Dans un premier temps, les Bantou y assistaient par simple curiosité. Abasourdis par des miracles réalisés au cours de cette cérémonie dont les retombées du passage jengui s'appliquaient à la fois aux communautés Baka et Bantou, ils avaient décidé de l'intégrer véritablement1(*)3. Ces derniers voyaient leur récolte augmenter et les parties de chasse devenaient fructueuses1(*)4. Jengui indiquait aussi de nouvelles plantes médicinales dont les soins étaient destinés à tous1(*)5. Enfin, tous les initiés étaient désormais placés sous la protection de jengui et pouvaient par conséquent chasser dans la forêt sans se faire dévorer par un animal féroce représentant un esprit malveillant1(*)6. Par cet acte, les Baka avaient ouvert la porte de leur culture aux Bantou. Mieux encore, ils les introduisaient dans les profondeurs de la forêt dont ils maîtrisent les secrets. A ce propos, Guillaume dit des Baka qu'ils «contrôlent la mise en relation avec les puissances surnaturelles dont dépendent les possibilités d'évolution et d'action de l'homme dans l'univers forestier»1(*)7. Les enfants des deux communautés, tout en grandissant ensemble, étaient soumis aux mêmes rites d'initiation1(*)8. C'est le cas du Beka qui est une circoncision publique d'origine Essel. Cérémonie de grande envergure, elle mobilise l'ensemble de la communauté et nécessite beaucoup de dépenses de la part des aspirants. C'est à un Bantou qu'il revient d'exécuter l'opération. Les petits Baka et Bantou initiés au même moment deviennent des frères de sang et de classe d'âge. Ils partageront à jamais ce souvenir commun. Un brassage linguistique s'était établi entre les deux communautés. Cependant, le Baka était plus prompt à parler la langue du Bantou, nécessaire dans les échanges. Chaque Baka se trouvait ainsi annexé à une famille Bantou dont il devenait le membre sans pour autant devenir Bantou d'autant qu'«un morceau de bois, à force de séjourner longtemps dans l'eau, ne se sera jamais caïman». Les distances observées entre les deux communautés donnaient toute la mesure de cet adage. Jamais elles ne partageaient en commun leur repas. Pire encore, les interdits sexuels étaient formels entre les deux groupes qui tenaient chacun à sa pureté. Un Baka n'osait même pas regarder une femme bantoue avec convoitise ; et même s'il lui arrivait de le faire, sa demande n'aurait pas été agréée, en raison du complexe de supériorité qui animait les femmes bantoues. En revanche, le Bantou qui venait à transgresser cet interdit était déclaré impur et dénoncé tout de suite. Cela se révélait lors de la réduction du fer où la présence de celui qui avait touché à une femme Baka faisait échouer l'opération jusqu'à ce qu'il passe aux aveux et se purifie1(*)9. Cette distance n'était nullement une ségrégation entre les deux peuples plutôt une mesure visant à préserver la paix et l'harmonie entre les membres des deux sociétés qui vivaient dans la cordialité, les uns se mettant à l'école des autres. C. La transmission des techniques
Du fait de la non -maîtrise de la technologie du fer, le Baka se trouvait dans une position de faiblesse vis à vis du Bantou. En effet, cette technologie produit une gamme d'objets qui sont d'une grande utilité dans la vie courante : sagaies, haches, couteaux... qui accentuent et systématisent l'exploitation des ressources naturelles. Guillaume explique à cet effet que «c'est l'acquisition d'objets forgés qui constitue la base matérielle du rapport d'association et lui donne son caractère contraignant»2(*)0. Cette lacune ne constitue nullement un handicap dans sa relation avec le Bantou. Bien au contraire, le Baka est crédité d'une grande science dont il mettait les applications et les savoirs à la disposition du Bantou. A cet effet, on assistait à un véritable «rendez-vous du donner et du recevoir». On est même tenté de se demander si ce n'est pas le Baka qui donnait plus qu'il ne recevait étant entendu qu'il ne recevait de son associé que des objets usuels alors qu'en retour, il lui apprenait des techniques et des savoirs à perpétue un peu dans l'esprit de cet adage chinois qui dit : «Il vaut mieux apprendre à quelqu'un à pêcher que de lui donner du poisson». Tout d'abord, le Baka apprenait au Bantou les différentes techniques de chasse. Aussi une meilleure exploitation des richesses naturelles, exige-t-elle de remarquables capacités d'observation et d'analyse de l'environnement. Elle fait appel à une grande acuité visuelle et auditive. Le Baka, maître absolu de la forêt, trouve du gibier là où les autres trouvent inutile de chasser. Il prévoit même l'arrivée des animaux qu'il peut appeler2(*)1. Le Baka, à partir de cette haute éthologie, conditionnait l'accès du Bantou dans l'univers forestier en vue d'une exploitation optimale des ressources. Il lui apprenait à repérer les traces des animaux , à tuer les singes à l'aide des flèches empoisonnées et lui indiquait le procédé même de fabrication de cette substance dont les effets nocifs n'ont aucune répercussion sur le consommateur2(*)2. En outre, le Baka indiquait au Bantou comment se soigner des morsures des serpents et autres scorpions qui peuvent survenir dans la forêt. Koch a fort bien montré la présence des techniques de chasse des Baka dans l'univers des Bantou, marqué par la présence des campements de chasse dont l'architecture n'est pas moins un trait de la culture pygmée. Moussa Alphonse, un patriarche Mpouomam fait un témoignage élogieux de cette pédagogie quand il nous confie que «c'est grâce à eux que nous avons appris à chasser les éléphants»2(*)3. L'éléphant est un pachyderme qui fait partie des animaux les plus féroces de la forêt. Avec sa masse de chair estimée à plus de deux tonnes2(*)4, il peut à lui seul nourrir des villages entiers. Son ivoire a été de tout temps l'objet d'un commerce florissant entre les Bantou et les Européens. Aussi était-il vivement recherché. Cependant, les Bantou redoutaient cet animal car l'épreuve de sa chasse présente plusieurs risques. Pour avoir l'ivoire, il fallait faire recours aux Baka doués en la matière ; ils ont appris aux Bantou qu'ils pouvaient détecter sa présence, par le bourdonnement des mouches ; ainsi que la façon de l'aborder sans être perçu, et comment se défendre en cas d'attaque2(*)5. Toutes ces épreuves nécessitaient beaucoup de tact et de subtilité, d'où cette invite à la prudence contenue dans cet autre proverbe Baka qui dit : «Mo olo a la ya a» c'est-à-dire «on ne grimpe pas en face de l'éléphant». C'est pour cette raison que le chasseur d'éléphant était un homme vénéré. C'était l'échelon le plus élevé de la cynégétique. Il était suivi par le chasseur du gorille, car ces deux animaux réputés dangereux sont difficiles à abattre2(*)6; y parvenir relevait de l'exploit célébré par toute la communauté. Le chasseur était porté en triomphe. En guise de récompense, les autres membres de la communauté devaient lui offrir un autre gibier à consommer tout seul. Les Baka, en permettant aux Bantou d'accéder à cette gloire, s'étaient ouverts sans réserve à leurs voisins. En dehors de la chasse, les Baka initiaient également les Bantou à connaître les noms des plantes ainsi qu'à maîtriser leurs différentes vertus. Ces plantes servaient aussi bien dans le domaine médical que dans l'alimentation. C'est le cas de l'«ayous» dont la chair pilée permettait d'obtenir la salinité nécessaire à la cuisson des repas. En outre, ils leur enseignaient différentes thérapies à base d'écorce d'arbres. Ils leur ont appris par exemple qu'ils pouvaient faire usage des écorces de sapelli pour soigner les blessures. De même que les hémorroïdes pouvaient se traiter à partir de la tisane à base des écorces d'acajou ou encore, comment guérir les céphalées aiguës par les soins de la peau du singe magistrat2(*)7. Ceci fait dire à Guillaume que : C'est sur la base de cet ensemble diversifié de connaissances, de techniques et des capacités différentes de mise en valeur du milieu naturel que les Pygmées et les grands noirs se sont associés. Chaque partie bénéficie des potentialités originales de l'autre dans le cadre d'un vaste complexe régional de réseaux sociaux et de modes d'insertion dans l'environnement forestier et péri-forestier2(*)8.
II. Les relations diplomatiques au Sud-Est précolonial La guerre et le commerce étaient au centre de la vie communautaire au Sud-Est. A. Le poids des Pygmées Baka dans le commerce précolonial La région du Sud-Est, à l'image de tout le Cameroun méridional forestier, a connu le développement des échanges malgré l'absence des marchés, des routes commerciales, d'une classe de marchands et surtout de la monnaie2(*)9. Le troc suppléait à la monnaie dont le rôle est de déterminer la valeur marchande des biens. Les populations procédaient aux échanges en soupesant les objets et les biens qui étaient estimés à vue d'oeil. Les opérations se déroulaient à travers les nombreux réseaux d'amitié existant entre les peuples ; les intermédiaires facilitant les transactions dans le cadre du commerce à longue distance, devenu intensif avec l'ouverture aux commerces transatlantique et transsaharien. Du lieu de provenance ou de destination dépendait la nature des produits échangés. Ainsi, vers la côte étaient convoyés le caoutchouc, l'huile de palme, les peaux et dents de panthère, l'ivoire et les captifs. En retour, ils recevaient, des fusils, du sel, de la poudre et de la pacotille. Du Nord, partaient les chevaux et les vêtements qui étaient échangés contre la kola et les captifs3(*)0. Le Sud-Est constituaient un pôle commercial de grande importance en raison des multiples richesses naturelles dont il regorge, de sa position stratégique dans le bassin conventionnel du Congo, et de son ouverture sur la côte atlantique où Français, Allemands, Portugais et Belges avaient ouvert des factoreries. Les échanges se déroulaient à travers une chaîne commerciale organisée entre les Baka, les Bantou et les Européens. C'est à travers le Bantou que l'Européen entrait en possession des produits dont le Baka était la source. Le Baka était donc à la base de la production et le Bantou au centre de la transaction. Il s'établissait ainsi une prééminence de ce dernier sur son associé par qui les objets européens transitaient avant de lui parvenir, celui-ci ayant la latitude de choisir quel objet lui donner. Pour ce qui est de la traite négrière, les populations n'en gardent pas un souvenir dans la région. Cependant, la mémoire évoque avec amertume les incursions suivies d'enlèvements de certaines tribus islamisées du Nord désignés ici Simagalis3(*)1. Ces derniers faisaient irruption dans les villages, prenaient des enfants en otage jusqu'à ce que les parents se présentent aux fins de les embarquer3(*)2. Leur passage avait causé une psychose qui a profondément marqué les esprits au point où leur triste souvenir est évoqué avec émotion. Les Baka aidaient les Bantous à se réfugier dans la forêt, leur indiquant les points d'eau où s'abreuver tout en leur procurant de la nourriture. Cette collaboration dans la recherche de la sécurité s'est également poursuivie lors des guerres interethniques. B. Le rôle des Pygmées Baka dans les guerres interethniques La vie intercommunautaire dans le Sud-Est à l'époque précoloniale était aussi et surtout marquée par une intense activité guerrière. Les peuples depuis les migrations, se bousculaient à la recherche des espaces vitaux. Ainsi une cause aussi anodine fut-elle, était une source de violence pouvant dégénérer à tout moment en conflit armé. Edjondj Mempouth relève que «la multiplication des guerres était la conséquence de la maîtrise de l'arme à feu»3(*)3. Celle- ci avait été introduite dans la région par les Zimé qui l'ont acquise auprès des Bulu lors de leur captivité. Ils s'en servaient en organisant des incursions en territoire étranger dans le but d'asseoir leur hégémonie sur les autres peuples. Il s'agissait des expéditions punitives à l'endroit des populations Mpo'oh auxquels ils reprochaient de les avoir abandonnés en esclavage chez les Bulu. Pour cela, ils étaient déterminés à faire travailler les Mpoum-Mpo'oh et Kounabeemb dans leurs champs, ne se privant pas à les envoyer chasser comme ils l'avaient fait eux mêmes pour le compte des Bulu3(*)4. C'est au cours de leur détention que les Mpoum-Mpo'oh sont parvenus à voler les armes dont ils se sont servis plus tard dans leurs campagnes guerrières3(*)5. Les traditions orales des Mpo'oh confirment leur réclusion chez les Zimés à qui ils ont rendu d'innombrables services. Le souvenir de cette douloureuse époque se décrypte mieux dans cet adage répandu chez les Mpo'oh : «Kou ou - Kouam, Zimé dai» qui veut dire «à force de conserver la bonne nourriture, le maître Zimé viendra l'arracher et la consommer»3(*)6. Les Mpo'oh s'étaient libérés grâce à la ruse que leur avait conseillée les vieillards. Les Zimé avaient commis la bévue d'avoir parmi leurs captifs des vieillards; ils avaient en outre péché en prenant femme parmi les esclaves Mpo'oh. Les vieillards avaient recommandé aux jeunes de faire preuve de beaucoup de soumission3(*)7. Les femmes, tout en adoucissant le traitement de leurs frères, s'étaient mises à voler des armes et à les leur remettre. Celles-ci étaient associées à la quantité qu'ils détournaient eux-mêmes lors des parties de chasse ; car ils étaient devenues des gestionnaires de l'armurerie au plus profond de la confiance à eux faite par le maître, en raison de la soumission, de la docilité, et de la serviabilité dont ils avaient fait montre. Les zimé ont appris à leur dépens ce proverbe kounabeemb qui dit : «l'esclave ne rase pas le maître». Autrement dit, on ne fait pas confiance à quelqu'un qu'on opprime. Ce matériel avait servi à organiser la libération. Plus tard, ils ont décidé de dicter à leur tour, leur loi aux Mpyémo et aux Yanguéré. Les guerres contre les Yanguéré avaient pour but de repousser ces derniers au-delà de la Kadey afin d'être les seuls à contrôler le territoire. Contre les Mpyemo, les expéditions visaient à capturer la main-d'oeuvre pour leurs travaux et surtout les femmes en âge de procréer afin de combler le déficit démographique qu'ils connaissaient. Leur tactique consistait à tirer en l'air provoquant ainsi la panique propice à la capture des femmes et des jeunes. La tradition rapporte que les femmes Mpyemo ne sachant où mettre la tête pour fuir, préféraient se faire capturer par les guerriers Mpoum-Mpo'oh, d'où l'adage moqueur qui persiste jusqu'à nos jours : «O goua me, me ne meke m'abia», ce qui signifie «Ne me tue pas, je suis féconde»3(*)8. Dans cette mouvance, les uns et les autres bénéficiaient de la collaboration des Baka. Chaque groupe ne pouvant que compter sur l'appui de «ses Pygmées». Les Essel affirment leur devoir en partie leur victoire sur les Bangando lors de la guerre de Ndjenga intervenue à la fin du XIXe siècle. Les Bangando, sous la conduite de Bousse, avaient lancé des représailles sur les Essel dans le but de venger la mort d'un des leurs, Makoléa, tombé dans une embuscade. Les Essel avaient été informés de leur arrivée par «leurs Baka» qui s'étaient particulièrement illustrés dans le rôle d'éclaireurs. Les Essel déclarent que les Baka étaient leurs meilleurs agents de renseignements, qu'ils se liaient souvent l'amitié avec les guerriers du camp opposé et revenaient leur rendre compte par la suite, tout en les dirigeant vers les ennemis3(*)9. Fort de ce rôle, leur amitié était constamment recherchée car ils pouvaient renverser les alliances à tout moment. Ils se rendaient également utiles dans les pratiques magico-religieuses qui faisaient partie de la stratégie guerrière .Ils pouvaient par exemple permettre aux combattants de se dédoubler ou de devenir invisibles sur le champ de combat4(*)0. Malgré toutes ces guerres, les peuples du Sud-Est étaient soudés les uns aux autres grâce aux systèmes d'alliance. Les guerres concouraient à les rapprocher davantage tout en créant des solidarités nouvelles. Les femmes épousées dans ces conditions avaient particulièrement joué un rôle important dans la mesure où elles rapprochent les belligérants. Les enfants nés de ces unions s'imposaient en véritables médiateurs selon une sagesse proverbiale Mpyemo qui dit : «nkuala ya banlo a kondi mbo» c'est-à-dire «la machette ne peut pas blesser la paume de la main». Ainsi, la guerre empêchait la guerre. Ces mêmes femmes reproduisaient leurs habitudes alimentaires dans leur famille d'accueil tout en y infiltrant les influences de la langue d'origine. Tel était le double visage du Sud-Est sur le plan géopolitique, oscillant entre les impératifs de guerre et la nécessité de la paix entre les peuples . Les Baka ont joué un rôle important dans cette dynamique jusqu'à l'avènement de la colonisation. CHAPITRE IV : LES BOULEVERSEMENTS DE L'EPOQUE COLONIALE La seconde moitié du XIXe siècle en Afrique est marquée par l'avènement d'un nouvel ordre socio-politique et économique, suite à l'intrusion des puissances occidentales. La région du Sud-Est, à la faveur de la doctrine des «sphères d'influences» de laquelle découle le concept d'hinterland, passe sous le contrôle de l'Allemagne. Cette dernière organise et exploite le territoire à sa guise jusqu'en 1916 où, contre toute attente, elle est obligée de passer le témoin à la France qui y est restée jusqu'en 1960. Pendant un demi-siècle de domination, les Européens, grâce à leurs administrations, leurs militaires, leurs marchands, leurs missionnaires et leur monnaie ont mis sur pied des institutions politiques et socio-économiques qui ont profondément bouleversé les structures existantes entraînant par le fait même des modifications remarquables dans la nature des relations entre les Baka et les Bantou. I. La politique coloniale au Sud-Est Cameroun.
La colonisation du Sud-Est se déroule sur fond de rivalités entre puissances européennes1(*). En effet, Français, Belges et Allemands avaient chacun exploré la région par l'entremise des multiples cours d'eau riverains. Les Allemands n'ont eu leur salut qu'à la faveur de la clause de l'hinterland adoptée à la conférence de Berlin. Ils avaient la latitude de contrôler la parcelle de territoire comprise entre la côte atlantique et le bassin du Congo, à la limite des fleuves Ngoko et Sangha situés au Sud-Est jouant le rôle d'obstacle et partant, celui de frontière naturelle2(*). Ainsi avait commencé l'aventure coloniale de la région du Sud-Est qui a connu deux maîtres ayant chacun marqué son époque. A. La création des unités administratives Bien que la région du Sud-Est ait été placée sous l'autorité coloniale allemande, l'influence française était aussi grande notamment dans le domaine économique où la compagnie concessionnaire de la Sangha basée à Ouesso rivalisait avec la Sud Kamerun Gesellschaft. Force est de relever que l'exploitation de la région n'avait pas commencé de sitôt à cause des difficultés financières dues aux réticences du Reicht à engager des dépenses coloniales. A l'instar de l'ensemble de la colonie, l'exploitation du Sud-Est avait été confiée aux compagnies privées. La Gesellschaft Sud Kamerun recevait le 28 novembre 1898, une concession de 9.000.000 d'hectares dans le bassin de la Sangha sans contre-partie et à perpétuité3(*). Elle avait le monopole de l'achat du caoutchouc, des palmistes et de l'ivoire. De la même manière, la compagnie concessionnaire de la Sangha couvrait une superficie de 3.200.000 hectares dans la zone frontalière des possessions françaises et allemandes4(*). En dehors de ces deux compagnies, des traitants clandestins belges ayant des factoreries au Sud-Est infiltraient la région et réalisaient des opérations avec les populations locales. Le rapport Carnaquerrnheimb datant de 1898 relève que les richesses de la région étaient exploitées de façon anarchique par les marchands belges, français et allemands5(*). Les produits étaient écoulés vers l'Atlantique par la Sangha et le Congo, les taxes collectées par les Français. Devant cette situation préoccupante, le Docteur Plehn fut dépêché par Jesco Von Puttkamer en décembre 1898 pour ériger un poste administratif sur la Ngoko. Ce dernier fonda le poste de Moloundou le 1er avril 1899. Il avait en charge l'administration du Sud-Est6(*). En 1915, la subdivision de Moloundou était créée . Elle fut rattachée un an plus tard, à la subdivision de Doumé puis à celle de Lomié et de Lom-Kadey. En 1932, la région était créée avec pour capitale Yokadouma avant de disparaître en 1941 pour finalement revoir le jour en 1950. Durant toute cette période, Baka et Bantou étaient soumis au même maître. Ensemble, ils ont subi les affres des différents systèmes qui leur étaient imposés de l'extérieur. * 43 Ibid. * 44 Zila Emile, entretien du 12 novembre 2004 à Massiang. * 45 Koch, Magie et chasse dans la forêt camerounaise, Paris, Berger-Levrault, 1968, p.24. * 46 Synthèse des traditions orales recueillies dans les différents cantons. * 47 P. Laburthe Tolra, Les Seigneurs de la forêt, Paris, Sorbonne, 1981, p. * 1 S. Bahuchet, «Les Pygmées aujourd'hui en Afrique centrale», Africa, Londres, 1996, p.98. * 2 H. Guillaume et al., Encyclopédie des Pygmées Aka, techniques, langues et société des chasseurs-cueilleurs de la forêt centrafricaine, 1991, p.176. * 3 S. Bahuchet, «Les Pygmées d'aujourd'hui...», p.9. * 4 S.C. Abega, Pygmées Baka..., p.58. * 5 Moussa Moagound Alphonse, entretien du 26 février 2005 à Mbol XII. * 6 Mbita Léon, entretien du 13 mars 2005 à Nguilili. * 7 Ambata Philippe, entretien du 13 avril 2005 à Moloundou. * 8 L'évocation de ce nom continue à provoquer des frissons au sein de la communauté Baka. * 9 Moampi Romain, Baka, entretien du 19 novembre 2005 à Madoungué. * 10 Mambé Eugène, entretien du 13 mars 2005 à Mbangoye. * 11 Massa Ernest, entretien du 12 mars 2005 à Mbatéka. * 12 Mgbeni Bénoît, entretien du 5 février 2005 à Massiang. * 13 Mambé Eugène, entretien du 13 mars 2005 à Mbangoye. * 14 Ibid. * 15 Massa Ernest, entretien du 12 mars 2005 à Mbatéka. * 16 Infra, p.72. * 17 H. Guillaume et al., Encyclopédie des Pygmées Aka...p181. * 18 Mbita Léon, entretien du 13 mars 2005 à Nguilili. * 19 Jema Jean, entretien du 14 mars 2005 à Mbangoye. * 20 H. Guillaume et al., Encyclopédie des Pygmées Aka...p184. * 21 Dellemmmes, Le père des Pygmées..., p.64. * 22 Djiasso Timothée, entretien du 10 avril 2005 à Mbatéka. * 23 Moussa Mouagound Alphonse, entretien du 27 janvier 2005 à Mbol XII. * 24 Dellemmes, Le père des Pygmées..., p.79. * 25 Djiasso Timothée, entretien du 10 avril 2005 à Mbatéka. * 26 Un vieux Baka, Alamba, cloué par la maladie sur son lit pour magnifier ses exploits me disait «je fus un homme, j'ai eu à tuer le gorille et non l'éléphant». * 27 Ngbeni Benoît, entretien du 24 novembre 2004 à Massiang. * 28 H. Guillaume et al., Encyclopédie des Pygmées Aka...,p182. * 29 M. Mveng Ayi, «Echanges commerciaux au Cameroun méridional«, Contribution de la recherche..., p. * 30 Ibid. * 31 Il s'agirait d'une appellation déformée du terme sénégalais qui désigne un peuple de l'Afrique de l'Ouest à qui les populations du Nord-Cameroun étaient assimilées. * 32 Mekoulagna Basile, entretien du 26 février 2005 à Mbol XII. * 33 I.A. Edjondj Mempouth, «Etude ethno-historique des Mpo'oh... », p.57. * 34 S.E. Metindé, «Les Mpyémo de l'Est ...», p.100. * 35 Zila Emile, entretien du 4 novembre 2004 à Massiang. * 36 Mossadikou Eugène Raphaël, entretien du 20 mars 2005 à Moloundou. * 37 Epack Daniel, entretien du 4 novembre 2004 à Massiang. * 38 Les Mpoumpo'oh continuent à narguer les Mpyémo avec cet adage qui rétorquent que cres derniers mangent la bouche dans la fosse sceptique. * 39 Lessie Patrice, entretien du 14 mars 2005 à Nguilili. * 40 Tong Joseph nous a confié que son Grand père avait l'habitude de se dédoubler en Lion sur les terrains de combat à partir de l'initiation reçue auprès des Pygmées. * 1 Ces oppositions s'inscrivent dans le cadre des rivalités dans le bassin du Congo. * 2 La clause de l'hinterland stipulait qu'une puissance devait occuper le territoire à partir de la côte jusqu'à rencontrer un obstacle naturel (montagnes, cours d'eau) ou une puissance tierce. * 3 G. Bwele et al., Encyclopédie de la République unie du Cameroun, tome 2, Yaoundé, 1981, p.51. * 4 F. Etoga Eily, Sur les chemins du développement, Yaoundé, CEPER, 1971, p. * 5 Rudin Harry, Germans in the Cameroons 1884-1914, London, University Press, 1938, p.12. * 6 Ibid. |
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