Le bien-être ou l'idée de «
l'ailleurs »
Les modèles et la migration. Le rôle des
retours.
Conquête de la ville. Quête de l'ailleurs,
celui où demeure le bien-être ? Des changements de
valeurs ont eu lieu, sans aucun doute en oeuvre "là-bas". Des influences
optimisées par la télévision, les retours et visites de
ces "conquérants" (les gens de la Sierra sont aussi déjà
venus à Lima, de là, rejet ou illusion), et d'autres, pessimistes
: la précarité dans la Sierra, la pauvreté, le manque,
l'abandon... De plus, un monde qui change, évolue
perpétuellement, et qui semblerait se paupériser. Mais aussi une
population qui a toujours été habituée à aller
chercher ailleurs ce qu'elle n'avait plus chez elle...
Déjà à l'époque des Incas, on peut
lire qu'il existait une forme de migration forcée, sorte de palliation
aux déséquilibres (alimentaires et hydriques), sorte de transfert
de population d'une vallée à l'autre132 appelée
"mitiniaq133" (en quechua) ou "minime" (terme
hispanisant). On lit aussi que cette migration forcée était un
déplacement organisé des populations pour coloniser des
régions faiblement peuplées ou dévastées par la
guerre ou une épidémie, ou pour assurer la défense dans
des régions peu sûres et aux frontières de
l'empire134.
Aujourd'hui, n'est-ce pas "la modernité", tout
simplement, qui propose autre chose, parfois considérée comme
meilleure, ce monde moderne qui attire ? Cependant, les choses ont
nécessairement évolué, le temps passe vite, d'autres
informations arrivent, des pratiques changent, des interactions
s'actualisent...
En deçà de cette "adaptation" des
représentations dans un discours montrant souvent que l'ici est
meilleur, peut-être s'opère-t-il aussi un changement
d'aspirations, par de nouveaux modèles, d'autres possibilités,
devenues désirables. Ces références sont, sans aucun
doute, véhiculées par la télévision, mais aussi par
les "néo-liméniens135 qui ont réussi". Des gens
comme soi, qui n'avaient rien, ou qui ne voyaient pas de meilleure issue, et
sont finalement partis conquérir la ville. Une illusion,
accompagnée d'une nouvelle perspective qui se fait évidente :
c'est là-bas qu'il faut aller ; pour le moins il faut tenter
131 Serge Latouche. L'autre Afrique, emre don et
marché. Khartala.
132 Oswald de Riveur. Le mythe du développement. Enjeux
planète. 2003, p. 220
133 En quechua, mitimaq signifie aussi « migrant
»
134 Carmen Salazar-Soler, Anthropologie des mineurs des Andes,
L'H.armanan, 2002, p. 358
135 Rolando Arellano C., David Burgos A. Cuidad de los Reyes, de
los Chaves, de los Quispe... EPENSA. 2004
L'argent, modèle ?
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Des visions qui s'opposent...
« Lima, todo es plata * » (A Lima, tout est
fric!)
Et son corollaire : à Lima, rien sans argent. Serait-ce
la dictature de l'argent en milieu urbain ? Répéter ces quelques
mots devenus adage*, c'est réitérer ce que les habitants n'ont de
cesse de rappeler. Ici. Et, là-bas136...
Cette idée est très répandue dans la
Sierra. C'est pour cette raison que beaucoup rechignent à rejoindre
leurs pairs à Lima... Ils rejettent cette vie matérialiste et
pénible : ce monde n'est pas désirable
A Lima, tous s'expriment également en ces termes, bien
qu'ils en aient, a priori, accepté le jeu. Sont-ils lassés de ce
monde régi à outrance (relativement, si on le compare au
Pérou non littoral/ urbain, mais d'aucune façon, avec nos
sociétés du tout monétaire), par l'argent, ou
dépassé par la quête qu'elle génère ?
Peut-être cela exprime-t-il la difficulté quotidienne pour
l'obtenir, pour s'émanciper en ville, la mesure de leur survie. Et de
leur vie.
Sentiment de pauvreté ? Au regard de
ce qui serait accessible, possible... Serait-ce un manque, dû à
une certaine abondance que l'on a connu ? On entendra toujours : «
l'argent qu'on a, c'est juste pour manger ». Alors qu'avant,
manger était à la portée de tous, c'était la terre
qui donnait, sa propre terre, ou sinon, la famille (« il y a tout de
la chacra »). Alors on peut se sentir limité. Parce que
l'argent, qu'on arrive péniblement à avoir, ne sert qu'à
s'alimenter, et ce n'est pas ce que l'on est venu chercher ici...
De fait, thésauriser quelques pécules pour
pouvoir obtenir un terrain, construire sa maison, devient plus
compliqué. Mais cela se réalise ! Malgré les
difficultés du quotidien tant déplorées, certains arrivent
à "mettre de côté". Probablement un changement dans la
façon d'obtenir ce qui est nécessaire à la vie, tant
matériellement que moralement.
Lima vs. Sierra
Ne nous engluons pas dans les visions romantiques des indiens
qui feraient mieux de rester sur leurs terres "sacrées" plutôt que
de venir surpeupler la ville : la situation dans les Andes est critique, nul ne
semble prendre en compte la population qui peuple la majeure partie du pays.
Lima, le dos toujours tourné à sa Sierra, semble rester indolente
aux besoins de celle-ci. Une situation andine qui semblerait s'aggraver.
Pourtant, le gouvernement semble s'en soucier peu... Des "mesures" ont
été prises, telle que la décentralisation (encore
faudrait-il savoir l'appliquer et lui permettre de s'accomplir
concrètement) ou le revenu contre l'extrême pauvreté,
encore de l'assistance... Remplir les bouches pour faire taire ? Le monde
urbain semble plus s'intéresser à la Sierra avantageuse pour les
escapades touristiques et ainsi vanter les merveilles du pays. Et pourtant,
tous savent déplorer la terrible situation des gens dans la Sierra. On
peut constater une certaine indifférence des habitants de la capitale.
Et parfois, un certain racisme...
136 Cette dichotomie "ici"/ "là-bas" a
peut-être été intensifiée par mes questions...Entre
ce qu'il racontait du présent et mes interrogations sur le lieu
d'où ils venaient. Ce sont bien deux espaces distincts et
séparés, mais plutôt dans la manière de dire. ils
s'entremêlent néanmoins dans la mémoire et dans les
faits...
Malgré ces jeux de discours et de
représentation, on peut penser qu'ils portent leur "culture " ("leurs
racines") en eux, la Sierra est présente en eux et se manifeste dans les
rapports sociaux et certaines pratiques, dans les "traditions", même
indirectement et involontairement « Alors... je suis toujours
ce que je suis. Et puis ici, c'est la communauté campesina [c'est
à dire, ce n'est pas comme si j'étais dans Lima]. »
Loin du bruit, de la confusion, de l'anonymat... dans
l'entre-soi
Mais jusqu'à quand la Vizcachera gardera ce
caractère retiré? A quoi aspirent-ils ?? Devenir un vrai quartier
urbanisé ? Rester un havre de tranquillité, avec la
proximité des possibilités et les "avantages" de
Lima ?
Quelle rupture ?
« Ya me acostumbre »
« Ça y est, je me suis
habitué ».
Ces quelques mots, si redondants semblent lourds de
signification...
Implicitement « J'ai eu du mal. Mais je m'y suis fait. Et
maintenant, j'ai décidé de continuer comme ça. Je
suis adapté ici. Je n'ai plus besoin de retourner là-bas.
C'est trop tard maintenant... ».
Cela veut dire l'adaptation, ou la résignation.
Cela veut dire la rupture, ou la coupure... Le pas est fait. Pas de retour en
arrière ? Ce n'est pas pour autant que la migration s'arrête en un
lieu. Elle est en de multiples endroits, rien ne peut laisser prévoir
d'autres pérégrinations, d'autres projets, rien ne coupe
complètement avec le passé. Toujours une
oscillation...
Incapacité de revenir en arrière, et
même si les conditions de vie à Lima sont aussi dures ; subsiste
l'espoir de réussir et d'accéder à toutes les
possibilités. Cette foi en demain permet d'accepter les
incertitudes d'aujourd'hui et à supporter le poids du quotidien.
Mais s'ils disent s'être habitués,
"enfin", ou "déjà", n'est-ce pas aussi pour avoir
goûté à un certain confort : gain matériel (argent),
transport, variété de la nourriture, etc. ? Autant de choses dont
on peut devenir quelque part "dépendant" ? La question se pose,
même s'ils lamentent sur le fait qu'ici tout soit contaminé, et
là-bas tout soit à portée de main (aliments...), et que
leur lot est la pauvreté : on a "juste de quoi manger"
De la coupure. Désirée ou subie
?
DESIR de couper avec le passé, en
renouvelant les appartenances ; d'intégrer le changement parce que c'est
un choix. Désir d'être dans un ici et maintenant, désir
pour demain. Désir de construire, de créer. Désir
de ne plus revenir en arrière mais de "se réaliser" jusqu'au
bout, d'assumer ses choix ? Hier appartient au passé, ils doivent y
renoncer.
Pour aller de l'avant, ne faut-il pas mettre un pied dans
l'inconnu?
SUBIR la rupture, la coupure parce que c'est trop loin,
dans le temps, dans l'espace, dans les liens, dans les sentiments... Parce
qu'on n'a plus les moyens (matériel --pas de
téléphone etc., ou humain) de garder le contact, ni
d'argent pour y retourner ou pour envoyer quelque
chose137. Parce que là-bas, on n'a plus de
considération ou de raison d'être, donc d'y
r retourner... Parce que l'on a dû tout changer pour
survivre ici, alors plus de retour en arrière. De la souffrance, on en
parle aussi. D'être loin, d'être parti.... Parce que l'on a
renoncé, bon gré, mal gré.
Parfois, les gens disent qu'ils n'ont plus de lien avec
"là-bas", mais lorsque arrive un proche à Lima « mon
dernier frère vient d'arriver de là-bas », ils sont au
courant. L'information passe toujours ; les liens et les réseaux,
peut-être moins ostensibles, sont toujours là.
Du reste, dans l'"entre-soi" de la communauté, chacun
sait d'où vient l'autre, même si cela ne s'énonce pas
directement (jusqu'à le dissimuler), les gens semblent le dire à
propos... Des moments de valorisation, ou son revers, selon qui, selon quoi.
Tout semble fonction de l'interaction 1 Ardu, pour l'oeil non averti, de
l'appréhender. Des identités versatiles ? La constitution d'une
nouvelle appartenance implique nécessairement d'autres rapports entre
les habitants, en vertu d'autres critères ?
Quel réel lien existe-t-il avec la terre des origines ?
Comment le maintenir ou le recréer sur ce nouveau territoire de vie ?
*
Discours sur pauvreté
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"Ici, il y a beaucoup de pauvreté, d'enfants
dénutris. On devrait faire un cornedor pour les petits enfants"
Lila
Ces propos sur la pauvreté dépendent de la
représentation que l'on s'en fait : on est pauvre, mais on peut sortir
de sa condition, et il y a toujours plus pauvre que soi....On parle toujours de
ces personnes, seules, avec des enfants et qui sont démunies de tout.
Mais restent la solidarité, les liens et la communauté.
u
H
|
Au Pérou on est pauvre, mais on l'est surtout à
l'aune de la pauvreté du lien social, du réseau. La
solidarité sert à pallier la pauvreté. C'est quand on est
seul que la pauvreté devient souffrance et vous isole, le vide. Le lien
est leur réelle richesse, absent de notre monde occidental. Ce ne sont
pas les différentes aides de nos pays industrialisés qui
couvriront les carences de l'isolement ; qui rétablira ce lien ?
Quelle transmission ? La mémoire par les enfants
ou la transmission de la mémoire
« Comme qui dirait je connais mes origines 1 »
Carine.
Comme enfants d'immigrés, et donc déjà
liméniens, on peut se demander quel rapport ils entretiennent avec leurs
origines et la culture qui lui est propre.
Leur famille ont évidement véhiculé des
pratiques, bien que parfois refoulées par l'arrivée en ville,
ainsi qu'un regard sur le lieu d'origine.
Pour certains, c'est un peu le lieu des vacances, où
l'on vient profiter des beautés du lieu. Certains n'y vont que pour
les fêtes, de temps en temps ou régulièrement : ce sont
elles qui
|
137 Les encomiendas :
beaucoup envoient des colis à leur famille restée
là-bas, ou, inversement, la communauté envoie à ses
migrés les produits locaux... moyen d'entretenir ce que l'on aime
là-bas, moyen de faire découvrir Lima... (on en reparlera plus
loin)
maintiennent le lieu d'avec l'origine des parents, par des
retours, ou tout simplement dans les lieux de retrouvailles des migrants du
lieu d'origine.
C'est en me racontant le parcours et la vie de leurs parents que
j'ai pu réaliser une certaine "transmission de la mémoire".
Cette transmission n'est parfois pas évidente ; la
langue est en générale mise de côté, par exemple, le
lieu d'origine reste "lointain" et le rapport avec les autres habitants "primo-
arrivants" (ou "lère génération") marque cette
différence.
« Le quechua...parfois, on dirait que c'est une honte
»
Le cas du quechua est éloquent. Langue
maternelle, elle est souvent parlée en parallèle avec l'espagnol.
Rares sont ceux qui ne connaissent pas l'idiome d'origine latine. Il arrive de
croiser quelques vieilles personnes, à Lima (dans a Sierra, il en est
encore beaucoup), qui sont venues très tardivement, ramenées par
leurs enfants. Souvent, elles ne parlent que très peu l'espagnol. Parmi
les autres générations, les deux langues étaient souvent
pratiquées dans le lieu d'origine. A Lima, les gens ne parlent quechua
qu'avec leurs vieux parents, ou avec leur famille ou quelques paisanos.
Il est très rare de les voir parler à leurs enfants dans ce
langage vernaculaire, et on voit vite les quelques tentatives d'enseignement
abandonnées.
Certains diront que le quechua leur donne un sentiment de
honte, les stigmatise. On peut se dire qu'il cherche à ne pas rester
"trop serranos" dans leur existence citadine... ! Il est vrai que ce
n'est plus la langue du lieu de vie... Ne leur sert-elle plus à rien ?!
Ne sont-ils pas fiers de cette langue qui est la leur, qui est si riche, comme
ils aiment à le dire ? A contrario, on peut s'aventurer avec les gens
avec quelques termes en quechua, ils en sont toujours ravis (bien qu'ils
prétendent avoir un peu "oublié" !)
Pourtant --et bien qu'ils aient une vision parfois
négative des autres "moins avancés"-- ils partagent avec les
autres (migrants) bon nombre de pratiques. Celles de la cuisine sont les plus
patentes. Le comedor semble jouer un rôle important dans cette
rencontre culturelle qu'est la préparation de plats (pour certaines, qui
ne viennent pas de la Sierra : c'est une façon de partager avec cette
culture), ceci dit, les pratiques culinaires s'adaptent également
à la ville et aux produits accessibles. D'autres pratiques, de type
communautaire et une certaine forme d'organisation sont aussi partagées.
Cela est peut-être dû à l'environnement dans lequel les
familles ayant migrées ont vécu : des quartiers constitués
en intégralité par les protagonistes !? Il en est sûrement
bien d'autres et il serait intéressant d'approfondir la question.
La façon d'imposer son habitat m'a
particulièrement attirée l'attention chez ces
"2ème génération", dans le contexte
liménien. Si l'on constate que les "invasions" (voir détail dans
le chapitre qui lui est consacré) sont toujours d'actualité,
beaucoup sont organisées et par les descendants d'immigrés qui
récupèrent cette pratique, cherchant à
s'émanciper du foyer familiali38 et à recréer
leur propre lieu de vie (en général ce sont de grandes fratries :
tous ne peuvent pas rester). Ils semblent donc adopter ce mode d'occupation de
l'espace, de construction du lieu de vie en repartant depuis les bases et de
conquête de la propriété. Paradigme à
élucider....
138 ll faut quand même noter que les enfants
restent longtemps dans le domicile familial et construisent souvent leur foyer
en rajoutant un étage à la maison des parents. En effet,
les maisons (en dur) ont toujours un aspect inachevé : elles sont
toujours en attente du prochain étage... I.
rj
r
Dans le chapitre qui suit, concernant les rapports sociaux au
sein de la communauté, j'aborderai les différences qui se
ressentent à travers leur discours sur les autres. (Accent,
éducation...)
Le melting pot d'origine, d'identité et de statuts
sociaux...
Des disparités d'origine géographique, sociale
ainsi que des parcours uniques viennent composer le peuple de la Vizcachera et
façonner la vie du quartier. Par delà, une histoire commune en
train de se créer, celle qui assoit l'appartenance dans le groupe.
Néanmoins, selon des moments d'arrivée
distincts, différents noyaux tendent à se créer,
s'agrégeant dans ce « nous » en construction... Des
générations différentes s'y entrecroisent : des
immigrés de longue date, des provinciaux récemment
arrivés, des enfants de migrés, et même quelque «
liméniens » (mais qu'est-ce qu'un liménien aujourd'hui ?).
Et toujours, de nouveaux venus.
La Vizcachera est (presque) un quartier de Lima. Mais à
la Vizcachera, on construit à côté. On s'intègre
à la ville, tout en s'éloignant, on prend ses distances pour
créer du soi, à l'intérieur d'un « nous ».
La Vizcachera est un prodigieux mélange, presque
harmonieux...
Et pourtant, la Vizcachera est mise en porte-à-faux par
de nombreuses réprimandes et querelles... On entend parler de
traîtres, d'une association contre la communauté, de conflits
à propos de terres. Comme spécifié
précédemment, l'attachement à la terre et à la
propriété (communale et/ou privée) est tangible, voir,
indubitable...
*
Les espaces de la mémoire sont difficiles à sonder,
ils se manifestent par des discours parfois flous (pour l'interlocuteur ?).
Au-delà des quelques difficultés
mentionnées réside une réelle volonté
d'identité. Mais qu'en est-il de l'esprit "campesino" ? Probablement se
manifeste-t-il dans d'autres manières de faire... On n'est pas de Lima,
mais on n'est plus de "là-bas". Au delà d'une assimilation ou
acculturation dans la ville, ou au contraire d'une pâle reproduction de
l'identité andine (catégorie qui n'a pas forcément
beaucoup de sens non plus...), ne s'agirait-il pas plutôt d'une culture
spécifique du migrant139, qui se développe et
s'invente entre ces pôles. Celle-ci s'inscrit peut-être dans
l'appartenance à la communauté, sous un autre visage, parce
qu'elle conquiert un nouveau lieu... La conquête d'un espace
matériel et social nouveau est le point de départ d'une nouvelle
identité, que l'on va valoriser, malgré les vicissitudes de la
vie à la Vizcachera. Serait-ce en un lieu de l'"entre-deux", où
oscillent des aspirations multiples... ?
Arriver à la Vizcachera, signifie une autre
arrivée, et aussi un nouveau départ. Qu'apporte la
communauté à la constitution d'une nouvelle identité ? Une
appartenance sans doute moins floue que dans l'immersion en ville, et qui
permet la constitution de nouveaux rapports, malgré la
versatilité des discours et des alliances ...
139Il est important de noter que ceux que j'appelle
les "migrants" ne se disent pas eux même "migrants" ou "immigrés",
d'ailleurs peu. de gens les appellent ainsi. Mais il est difficile de trouver
un terme qui convienne, et par ce terme, je prends en compte tout le mouvement.
Les gens de la ville utilisent des termes plutôt péjoratifs ou des
périphrases (voir analyse de vocabulaire dans la partie suivante)
Ainsi, si la communauté est constituée d'une
pluralité d'identités (réunies dans celle d'être
migrant, ou en quête de lieu ?), il semble se créer une
identité plus spécifique à la Vizcachera, Et ce,
même si (et d'autant plus !?) elle est altérée par les
conflits sous jacents... En effet, si le peuple de la Vizcachera vante son
unité, les uns et les autres expriment les différends qui hantent
leur quotidien, en raison de problèmes de terrain. Mais ces
dissensions sont peut-être le lieu d'exaltation du "nous" et des
enjeux propres à la terre et à la
propriété.
Les rapports au territoire et à la
propriété sont autant de manières d'appréhender
l'adaptation en ville et les rapports qu'ils suscitent entre les gens,
ainsi que les conflits d'appartenances qu'ils génèrent.
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