1/L'eau matière stratégique pour les
états :
I/1 Les enjeux de l'eau pour les états
A- Les populations et les usages de l'eau :
Il est difficile d'estimer le volume d'eau dont on a besoin
pour obtenir des niveaux de vie acceptables ou minimum, de la population. En
outre, des sources différentes emploient des chiffres différents
pour mesurer la totalité de la consommation d'eau et par les divers
secteurs de l'économie. (1)
Selon Peter Gleick,- président de l'Institut des
études de développement, d'environnement et de
sécurité du Pacifique-, on estime en général que 20
à 40 litres d'eau douce par personne et par jour sont le minimum
indispensable pour répondre aux seuls besoins en boisson et en
assainissement. Si on ajoute l'eau qui sert à l'hygiène
personnelle et à la cuisson, ce chiffre varie entre 27 et 200 litres par
personne et par jour. (2)
Gleick propose que les organisations internationales et les
fournisseurs d'eau adoptent «un chiffre de base de 50 litres par personne
et par jour» à titre de norme minimum pour répondre à
quatre besoins fondamentaux -- boisson, assainissement, hygiène et
cuisson. En 1990, selon Gleick, la moyenne nationale n'a pas atteint ce niveau
dans 55 pays comptant près d'un milliard d'habitants (3). Falkenmark
emploie le chiffre de 100 litres d'eau douce employés par personne et
par jour pour usage personnel comme estimation approximative du volume
nécessaire pour donner aux pays en développement un niveau de vie
tout juste acceptable, son tenir compte de l'emploi de cette eau dans
l'agriculture et l'industrie.
Le volume d'eau que les habitants d'un pays utilisent
effectivement est fonction non seulement des besoins minimum et de la
quantité d'eau disponible mais aussi du niveau de développement
économique et de l'ampleur de l'urbanisation. Pour l'ensemble du monde,
parmi les trois catégories ordinaires d'emploi de l'eau douce --
agriculture, industrie et usages domestiques (usages personnels,
ménagers et municipaux) -- l'agriculture prédomine. Sur une
1-European schoolbooks. The battle for water. United Kingdom
(traduit en français)
2/3-GLEICK, P. International water, 21 ; 83-92.1996.
(trad en fançais)
base mondiale, l'agriculture absorbe environ 69 % de tous les
retraits annuels d'eau ; l'industrie, environ 23 % et les usages domestiques,
environ 8 %.
Entre les régions, les différences sont
considérables. En Afrique, on estime que 88 % de l'eau douce sert
à l'agriculture, 7 % aux usages domestiques et 5 % à l'industrie.
En Asie également, l'eau sert surtout à l'agriculture, à
hauteur de 86 %, contre 8 % à l'industrie et 6 % aux usages domestiques.
Par contre, en Europe, la plus grande partie de l'eau sert à
l'industrie, à hauteur de 54%, contre 33 % à l'agriculture et 13
% aux usages domestiques.
La consommation de l'eau dans le monde par
secteur
Eau douce et
développement économique : En règle
générale, le niveau de consommation d'eau douce d'un pays exprime
son niveau de développement économique, dont il est en fait l'une
des principales mesures. Dans les régions du monde qui sont en
développement, la population utilise beaucoup moins d'eau par personne
que celle des régions développées. En Afrique, les
retraits annuels moyens d'eau par personne n'atteignent que 17 mètres
cubes (soit l'équivalent de 47 litres d'eau par jour) (4) ; en Asie,
leur chiffre est de 31 mètres cubes (équivalent de 85 litres par
jour). Par contre, on estime la consommation comparable d'eau à 122
mètres cubes par an (334 litres par jour) dans le Royaume-Uni et
à 211 mètres cubes par an (578 litres par jour) aux Etats-Unis.
Les pays en développement consacrent à
l'agriculture la plus grande partie de l'eau dont ils disposent. L'Inde, par
exemple, emploie 90 % de son eau à des fins agricoles, contre à
peine 7% pour l'industrie et 3 % pour la consommation domestique. Plus le
développement est avancé, plus l'eau sert à des usages
domestiques et à des fins industrielles, et moins à
4-Eurppean scoolbooks, 1994
l'agriculture. Il y a cependant d'importantes exceptions
à cette règle. Le Japon, par exemple, continue à employer
la proportion la plus importante de son eau pour irriguer ses rizières.
En outre, dans certaines régions arides d'Europe, telles que l'Espagne
et le Portugal, la plus grande partie de l'eau disponible sert à
l'irrigation agricole.
Le
prélèvement et la consommation de l'eau dans le monde
Dans le monde entier, la demande d'eau douce par personne
s'accroît sensiblement au fur et à mesure que les pays se
développent sur le plan économique. Les retraits d'eau augmentent
dans toutes les trois grandes catégories d'utilisation -- pour
répondre à une demande industrielle grandissante, à
l'accroissement de la demande domestique (5), usages municipaux compris, et
à l'utilisation accrue de l'irrigation pour la production
alimentaire.
Urbanisation : Le niveau
d'utilisation de l'eau exprime aussi le niveau d'urbanisation d'un pays. Un
faible emploi de l'eau pour usages domestiques, dans de nombreux pays en
développement, s'explique souvent aujourd'hui par les difficultés
que pose l'obtention de l'eau douce. On trouve rarement des canalisations dans
les zones rurales. Les deux tiers de la population mondiale, qui vit surtout
dans des pays en développement, obtient l'eau de bornes-fontaines
publiques, de puits communautaires, de cours d'eau et de lacs, ou collecte
l'eau de pluie qui tombe sur les toits. Souvent, les populations rurales --
d'ordinaire les femmes et les
5- BOWMAN ; water is best, Oxford university presse.
(Traduit en français)
filles -- doivent faire de nombreux kilomètres à
pied et consacrer de longues heures pour aller chercher l'eau de leurs
ménages. En Afrique, par exemple, les femmes et les filles passent 40
milliards d'heures par an pour transporter de l'eau. (6)
L'urbanisation entraîne une augmentation spectaculaire
de l'emploi de l'eau. Par exemple, en 1900, le ménage américain
moyen utilisait à peine 10 mètres cubes d'eau par an, contre plus
de 200 aujourd'huis. Pourquoi ? Il y a un siècle, la plupart des
américains tiraient l'eau de puits ou de bornes-fontaines publiques. La
plupart des ménages ne disposaient pas d'eau courante, sauf dans les
villes, et la plupart des habitants vivaient dans les zones rurales. Par
contre, la quasi-totalité des ménages américains
d'aujourd'hui ont l'eau courante et cette eau est très bon
marché.
Au fur et à mesure que le monde devient surtout un
monde urbain, tandis que l'agriculture est de plus en plus tributaire de
l'irrigation, il devient difficile pour les villes de répondre à
la demande grandissante d'eau douce. Dans les pays en développement, une
croissance urbaine rapide exerce souvent des pressions extraordinaires sur des
systèmes d'adduction d'eau vétuste et insuffisante. Par exemple,
entre 1950 et 1980, de nombreuses villes d'Amérique latine, comme
Bogota, Mexico, São Paulo et Managua, ont vu leur population tripler,
voire quadrupler. En Afrique, des villes comme Nairobi, Dar es- Salaam, Lagos
et Kinshasa ont eu une croissance encore plus rapide et leur population s'est
multipliée par sept, essentiellement à cause de l'exode rural.
Durant les années 1990, les villes des pays en développement ont
dû absorber chaque année environ 60 millions de nouveaux arrivants
(7). Or, de nombreux services ne sont pas équipés pour
gérer l'alimentation des villes en eau, tandis que certains pays ont des
systèmes inefficaces d'affectation de l'eau: ils laissent les villes
manquer d'eau alors qu'ils utilisent l'eau disponible pour pratiquer une
agriculture subventionnée.
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