C / Les problèmes fondamentaux
De plus en plus de pays s'efforcent d'améliorer le
climat de l'investissement, et ils recueillent les fruits de leurs efforts
puisque leur croissance augmente et que la pauvreté recule.
Malgré les avantages très importants de
l'action sur le climat de l'investissement, les progrès dans ce domaine
sont souvent lents et laborieux. Pourquoi ?
1. L'antagonisme fondamental
La société dans son ensemble tire le plus
grand profit des activités des entreprises. Mais les
préférences des entreprises ne coïncident pas parfaitement
avec celles de la société, et ces antagonismes se manifestent
surtout dans les domaines de la fiscalité et de la
réglementation.
La plupart des entreprises se plaignent des impôts,
mais les impôts financent les services publics, qui sont utiles pour
améliorer le climat de l'investissement et promouvoir d'autres objectifs
sociaux. Beaucoup de firmes préfèreraient aussi une
réglementation moins pesante, mais lorsque la réglementation est
rationnelle, elle permet de remédier aux défaillances du
marché et donc d'améliorer le climat de l'investissement et de
protéger d'autres intérêts sociaux. Des antagonismes
analogues peuvent apparaître dans la plupart des domaines couverts par la
politique du climat de l'investissement.
Pour instaurer un bon climat de l'investissement, les
pouvoirs publics doivent s'efforcer de trouver un juste équilibre entre
ces intérêts. Mais les différences de
préférences et de priorités entre les entreprises
compliquent leur tâche. Les entreprises ont une optique commune sur de
nombreuses questions, mais leurs points de vue peuvent diverger sur d'autres
questions, qu'il s'agisse des restrictions au jeu du marché, de la
structure de la fiscalité ou de la priorité donnée aux
améliorations des équipements d'infrastructure dans tel ou tel
endroit. Il peut aussi y avoir des différences dans les choix
fondamentaux au sein des entreprises, différences entre les
propriétaires et les gérants sur les questions de gouvernement
d'entreprise, ou entre les propriétaires et les salariés au sujet
des politiques du marché du travail. Dans tous les pays, l'État
doit opérer un arbitrage entre ces différences dans un
environnement où les entreprises, les agents de l'État et
d'autres parties prenantes s'efforcent de faire pencher la balance en leur
faveur.
2. Les quatre principaux problèmes
Face à ces antagonismes, les gouvernants doivent
naviguer entre les écueils que représentent quatre
problèmes interdépendants, qui couvrent tous les aspects de la
politique relative au climat de l'investissement.
La façon dont ils s'y prennent a une incidence
importante sur le climat de l'investissement et donc sur la croissance et la
pauvreté (encadré 2).
Pour chaque problème, il ne suffit pas de modifier
les politiques officielles, il faut s'attaquer aux causes plus profondes de
l'échec des politiques. Les problèmes auxquels il faut faire face
sont les suivants : limiter la recherche de rente, établir la
crédibilité, renforcer la confiance dans les pouvoirs publics et
leur légitimité, et veiller à ce que les mesures prises
par l'État tiennent dûment compte des capacités
institutionnelles.
· Maîtriser les comportements de
recherche de rente
Les mesures axées sur le climat de
l'investissement sont une cible tentante pour les entreprises, les agents de la
fonction publique et d'autres groupes d'intérêt qui recherchent
des avantages personnels. La corruption peut alourdir le coût de
l'activité économique et, lorsqu'elle gagne les hautes
sphères de l'État, elle peut entraîner de profondes
distorsions dans les politiques gouvernementales. Les enquêtes de la
Banque montrent que la majorité des entreprises des pays en
développement s'attendent à verser des pots-de-vin lorsqu'elles
ont affaire avec les agents de l'État, et beaucoup d'entre elles
estiment que la corruption est le problème qui pèse le plus
lourdement sur leur bon fonctionnement. L'accaparement et le
clientélisme, qui reflètent l'asymétrie de l'information
et l'influence sur l'élaboration de la politique, peuvent créer
des distorsions importantes en infléchissant les politiques au profit de
certains groupes et au détriment d'autres groupes. Les marchés
sont réglementés, l'attribution des droits de
propriété est biaisée et le fonctionnement des
marchés financiers est faussé. L'élimination des
interventions injustifiées dans l'économie, la réduction
du pouvoir discrétionnaire laissé aux responsables et le
renforcement de la notion de responsabilité au sein de l'État,
notamment par l'introduction d'une plus grande transparence, permettent de
lutter contre la recherche de rente.
· Instaurer la
crédibilité
Étant donné le caractère prospectif
de l'investissement, toutes les décisions le concernant sont
entachées d'incertitude. Dans ces conditions, c'est la confiance des
entreprises en l'avenir, et en particulier dans la crédibilité
des politiques gouvernementales, qui va déterminer si elles vont
investir et de quelle manière elles vont le faire. Les politiques qui ne
sont pas crédibles ne pourront pas amener les entreprises à
investir. Quels sont les éléments qui compromettent la
crédibilité d'une politique ? Un passé
d'instabilité politique ou économique n'arrange pas les
choses.
Mais tous les gouvernants sont tentés de sacrifier
des politiques à long terme rationnelles au profit d'objectifs
immédiats ou étroits, tels que l'obtention d'avantages personnels
pour eux-mêmes ou de la faveur de certains électeurs. Pour
établir la crédibilité, il faut des mécanismes pour
contraindre les gouvernants à maintenir des politiques rationnelles, et
il faut aussi de la discipline et de la persévérance.
· Renforcer la confiance dans la puissance
publique ainsi que sa légitimité
Les entreprises et l'État n'interagissent pas dans
un vase clos. La confiance entre les acteurs du marché favorise les
échanges productifs et elle réduit le poids de la
réglementation et des dispositifs d'application des contrats. Les
comportements sociaux, et notamment la confiance dans les marchés et les
entreprises, influent aussi sur la faisabilité et la viabilité
(et donc la crédibilité) des mesures visant à
améliorer l'action gouvernementale. L'adhésion
générale du public conforte donc la qualité du climat de
l'investissement en ce qu'un consensus social se forme pour instaurer une
société plus productive qui facilite la mise en oeuvre des
réformes, quel que soit le parti ou le groupe politique en place. Les
politiques élaborées de manière ouverte et participative
et les mesures prises pour s'assurer que l'amélioration du climat de
l'investissement profite à l'ensemble de la société
peuvent contribuer à former ce consensus.
· Veiller à ce que les interventions
de l'État soient adaptées aux réalités locales
Pour être efficaces, les interventions des pouvoirs
publics doivent tenir compte des sources possibles de défaillance de
l'État, ainsi que de la diversité des situations locales. Sinon,
elles risquent d'avoir peu d'effets, voire des résultats pervers. Les
politiques dont l'application exige des moyens qui dépassent les
capacités disponibles non seulement ne pourront atteindre l'objectif
visé, mais elles favoriseront aussi les pratiques informelles et la
corruption et elles éroderont la crédibilité.
Les méthodes d'approche qui laissent une place
importante au pouvoir d'appréciation exposent les entreprises à
des incertitudes et des risques considérables si des mesures
appropriées n'ont pas été prises pour éviter les
abus auxquels peut conduire ce pouvoir discrétionnaire. Pourquoi ces
problèmes se posent-ils ? Très souvent, les méthodes
d'action et les réglementations sont importées d'autres pays sans
avoir fait l'objet d'un examen critique. Cette pratique remonte à
l'époque coloniale, lorsque les pays en développement ont
hérité de méthodes d'action qui avaient peu de rapport
avec les réalités locales. Des décennies plus tard,
beaucoup de ces pièces de musée ont encore leur place dans les
manuels. Mais, la tendance persiste. Les stratégies appliquées
aujourd'hui dans les pays riches peuvent certes offrir une source utile
d'inspiration, mais il faut les adapter aux réalités locales.
Dans certains cas, cela peut se traduire par le choix de règles plus
simples qui laissent moins de place au pouvoir d'appréciation et
l'adoption de mesures visant à limiter les pratiques
arbitraires.
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