La pin-up et ses filles: histoire d'un archétype érotique( Télécharger le fichier original )par Camille Favre Université Toulouse Le Mirail - Master 2 Histoire des civilisations modernes et contemporaines 2007 |
3. Le corps féminin lisse et sain.3.1 De la femme consommatrice à la femme consommée.Sylvie Fleury (1961- ) se fait connaître au début des années 90 par ses Shopping Bags, arrangements de sacs de créateurs de mode qui semblent avoir été laissés par terre dans la galerie après un grand shopping. Les sacs sont rendus encore plus attrayants et énigmatiques par le fait que leur contenu est caché par de fins tissus. Fleury transfère les articles du luxe féminin dans le contexte de l'art sous forme de ready-mades, par accumulation d'emballages et de sacs de shopping230(*), par des agrandissements photographiques de pages de titres de magazines de mode glamour231(*) ou par de vastes installations de tapis moelleux, de meubles élégants et d'innombrables chaussures et cartons à chaussures de grandes marques232(*). On peut voir Sylvie Fleury comme une artiste qui « réalise ses oeuvres avec une carte de crédit », et un peu comme pour Andy Warhol, la question a été posée de savoir si l'art de Fleury est un art critique ou affirmatif. Beaucoup d'oeuvres de Fleury semblent conforter clairement le cliché selon lequel l'intérêt pour la mode et la décoration est une des activités préférées des femmes, et les déclarations et la mise en scène de l'artiste comme fashion victime nous la montrent d'abord comme une consommatrice enthousiaste des articles présentés dans son oeuvre. Ce n'est sans doute pas un hasard si les premières oeuvres de Fleury remontent au moment où le capitalisme se voit conforté dans sa position de modèle socio-économique dominant. Fleury travaille principalement avec une pléthore de produits plus ou moins exclusifs destinés à la consommation des femmes (Ill. 224). Mais elle décale aussi les standarts de la haute culture occidentale en recodant les oeuvres célèbres de l'histoire de l'art récente, et en les assortissant d'un « accent féminin ». Ainsi ses sculptures de boîtes de Slim-Fast233(*) renvoient aux célèbres Brillo Boxes234(*) d'Andy Warhol (1930-1987), les produits diététiques suscitant en même temps des associations avec les idéaux de minceur et autres rituels d'amaigrissements. Cette artiste par son travail met alors en évidence le cantonnement des femmes à un environnement typiquement féminin. « Pourquoi nous montre-t-on une image plutôt qu'une autre ? » Tel est l'un des slogans avec lesquels l'artiste américaine Barbara Kruger (née en 1945) se fait connaître depuis le début des années 80. Cette interpellation directe adressée au spectateur renvoie aux thèmes abordés par ses combinaisons de texte et d'image : Kruger s'y penche sur la manière dont la violence, le pouvoir et la sexualité sont générés dans notre société, et comment ils sont visualisés par les mass media. La position de Kruger suppose que notre vision de la réalité, notre conception de la normalité, nos rôles sexuels admis et l'acceptation de la violence quotidienne, sont constamment suscités et influencés par l'image et le langage. Ainsi, ses photographies aux trames grossières reproduisent des modèles qui sont déjà eux-mêmes des reproductions de grande diffusion. Il s'agit avant tout de livres de photos, de prospectus et de modes d'emploi des années quarante et cinquante, par lesquels les clichés conservateurs furent diffusés avec une insistance particulière. Par exemple, un sac de courses conçu par Kruger et portant le slogan « I shop therefore I am » (j'achête donc je suis), remis par les vendeurs aux acheteurs, commente la recherche d'identité inhérente au shopping. Elle s'interroge sur le rôle dévolu aux femmes de consommatrices effrénées et s'interroge sur la permanence de ce stéréotype. En 1974, au cours d'une performance d'un soir, Rhythm O235(*), destinée à explorer la dynamique de l'agression passive, Marina Abramovic (1946- ) s'est offerte aux spectateurs, debout près d'une table sur laquelle sont posés certains objets que l'on peut utiliser sur elle à volonté (Ill. 225). Un texte affiché sur le mur dit : « il y a soixante-douze objets sur la table, que l'on peut utiliser sur moi comme on le désire. Je suis l'objet ». Parmi les objets, on trouve un pistolet, une balle, une scie, une hache, une fourchette, un peigne, un fouet, du rouge à lèvres, une bouteille de parfum, de la peinture, des couteaux, une plume, une rose, une bougie, de l'eau, des chaînes, des clous, des aiguilles, des ciseaux, du miel, du raisin, du sparadrap, du soufre et de l'huile d'olive. A la fin de la performance, elle est dénudée, ses vêtements ont été tailladés à la lame de rasoir, elle a été coupée, peinte, nettoyée, décorée, couronnée d'épines et on lui a braqué le pistolet chargé sur la tempe. Des spectateurs inquiets font arrêter la performance au bout de six heures. Pour Marina Abramovic, cette action est le point d'orgue de ses recherches sur le corps féminin comme objet à consommer. Poursuivant sa critique de l'institution religieuse et des stéréotypes féminins notamment celui de la femme comme objet à consommer, l'artiste Orlan (1947- ) effectue, en 1977, une performance à la Foire internationale d'art contemporain (FIAC) qui suscite l'ire et les passions du public. Cette performance, Le baiser de l'artiste, lui vaut même d'étendre sa renommée hors de la sphère artistique. Orlan, engoncée dans un montage-sculpture de sa création, vend ses baisers aux amateurs d'art intéressés. Installée derrière une photo de son buste dénudé, elle propose aux passants, pour cinq francs, soit de recevoir l'un de ses baisers, soit d'allumer un cierge posé au pied de l'icône de Sainte Orlan. Mettant en rapport des stéréotypes de femmes - la sainte et la putain - et les plaçant dans un cadre institutionnel, Orlan opère une « déterritorialisation » qui interroge leur pertinence. * 230 FLEURY Sylvie, The Art of Survival, 1990, installation, sacs de shopping de dimensions variable avec les achats à l'intérieur, Lausanne, Galerie Rivolta. * 231 FLEURY Sylvie, Dramatically Different, 1997, photographies sur aluminium, 164 x 124 cm, Grenoble, Le Magasin. * 232 FLEURY Sylvie, Vital Perfection, 1993, installation, tapis, chaussures et cartons, Paris, Hervé Mikhaeloff c/o Emmanuel Perrotin. * 233 FLEURY Sylvie, Slimfast (Delices de Vanille), 1993, impression sur bois, 18 x 15 x 10 cm, Genève, Galerie Art & Public. * 234 WARHOL Andy, Brillo Boxes, 1964, sérigraphie sur bois, 44 x 43 x 35,5 cm, Bruxelles, Coll Privée. * 235 ABRAMOVIC Marine, Rhythm O, 1974, Naples, Studio Morra. |
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