La pin-up et ses filles: histoire d'un archétype érotique( Télécharger le fichier original )par Camille Favre Université Toulouse Le Mirail - Master 2 Histoire des civilisations modernes et contemporaines 2007 |
III. La pin-up désarticulée par certains artistes contemporains.Le « système » des pin-up est un système qui « marche », preuve en est la pérennité de ces figures féminines et leur capacité à s'adapter aux modes, goûts et attentes du public. De nos jours on trouve encore des représentations féminines érotiques que l'on peut rattacher à l'iconographie des pin-up. Ces dernières semblent être inhérentes à l'histoire de l'érotisme du XXe siècle. Pourtant ces images des femmes et les valeurs qu'elles véhiculent dérangent aussi de nombreux artistes. Ils vont alors se servir d'éléments caractérisant les pin-up, les modifier, les exagérer, afin de dénoncer et de critiquer l'image stéréotypée qu'est la pin-up. La pin-up morcelée devient alors le symbole des luttes contre les structures normalisées de l'érotisme et notamment la prégnance du regard masculin dans l'art érotique, les représentations traditionnelles de la sexualité, les exigences corporelles auxquelles sont soumises les femmes et le cantonnement de celles-ci à des rôles figés. Ces artistes prennent un à un les codes des pin-up pour les étudier et les rattacher à des questionnements modernes. Le corps féminin est toujours utilisé comme support pour véhiculer des messages (opinions, dénonciations, expérimentations) mais de façon moins consensuelle. Sont alors repris de façon parodique, caricaturale ou hypertrophiée, les particularités communes à l'art des pin-up à savoir : les accessoires de séduction, l'érotisme innocent, le corps féminin lisse et sain. 1. Les accessoires de séduction.Les pin-up représentées la plupart du temps avec bas, gants, jarretière ou porte-jarretelles, chaussures à talons s'inscrivent dans une certaine tradition de l'art érotique. Ces mêmes accessoires fascinent les artistes du XIXe siècle et ceux du début du XXe siècle. Les dessinateurs contemporains de pin-up comme Dominique Wetz et Jean Yves Leclercq utilisent également ces accoutrements. Mais des artistes non spécialisés dans l'art des pin-up vont aussi les faire apparaître dans leurs oeuvres. L'utilisation de ces accessoires prend, alors, des sens différents : fascination, symbolisme, dénonciation.... Ainsi, Tapiés (1923- ), dans un de ces tableaux, Marron aux bas216(*), nous présente une vraie paire de bas en nylon fixée sur un panneau couleur terre. Cet artiste, qui travaille principalement sur les symboles et les signes, choisit ici d'exposer un des symboles de la féminité et de la séduction. Les interrogations posées par cette oeuvre semblent nombreuses : les bas, seuls, exerce-t-il encore leurs pouvoir de fascination ? Sont-ils encore support de fantasme, une fois sortis d'une mise en scène érotique ? La femme sans ses bas est-elle encore érotique ? Qu'a-t-elle fait avant, pendant et après avoir enlevé ces bas ? Qui porte ces bas ? Dans une lignée plus traditionnelle, des artistes continuent d'utiliser ces accessoires pour créer des oeuvres chargées d'érotisme. Dans cette pure tradition de la fin du XIXe siècle, Gerhard Richter (1932- ), nous présente, dans l'Etudiante217(*), une jeune femme nue juste vêtue de ses bas noirs. John Kacere (1920-1999), dans nombreux de ses travaux, représente les femmes, parées d'accessoires, dans des atmosphères très sensuelles. Ces tableaux, hyper réalistes, se rapprochent de la photographie par une maîtrise de l'huile très proche de certains dessinateurs de pin-up comme Aslan ou Wetz. L'accent est mis sur les zones corporelles féminines qui suscitent le désir : les cuisses, les fesses. Avec Linda218(*), l'artiste nous présente une femme vêtue d'un déshabillé de satin. Ce déshabillé, remonté jusqu'aux hauts des cuisses, nous offre une vue sur un petite culotte beige en dentelle, un porte-jarretelles blanc et des bas de la même couleur. Ici l'artiste joue sur la frontière, entre ce qui nous dévoile et ce que nous aimerions qu'il nous dévoile. La femme s'efface puisque l'artiste ne représente pas son visage. Elle n'est plus que son corps, corps séducteur et érotique, concentré autour de sa culotte, ses bas et son porte-jarretelles (Ill. 212, 213, 214). L'artiste utilise le même dispositif dans Llena 82219(*). Un haut de dentelle est remonté sur les hanches du modèle nous dévoilant sa culotte noire et son porte-jarretelles assorti. Ici, la femme est représentée de dos, nous n'apercevons pas son visage. Elle se résume alors à ces accessoires de séduction. Les dimensions importantes de ces deux tableaux soulignent l'importance accordée au corps séducteur féminin. William N. Copley (1919-1996) représente lui aussi une femme réduite à ses accessoires de séduction dans son tableau The Devil in Miss Jones220(*). Dans cette oeuvre, une femme dont la tête n'est pas visible, est en train d'enlever sa jupe, nous dévoilant sa culotte et son porte-jarretelles. A l'inverse des oeuvres de Kacere, c'est le modèle qui se dénude, la femme reste active, crée la situation érotique et se donne en spectacle. Le spectateur est alors en position de voyeur. D'autres artistes, comme Kacere, vont surdimensionner certaines parties du corps féminins soit pour mettre en valeur leur fascination ou une fascination culturelle pour ces parties du corps, soit pour dénoncer la réduction des femmes à certaines parties de son corps. Allen Jones (1937- ), avec Filles sur commandes III221(*), nous présente une femme aux seins énormes, juste vêtue de gants et de bas noirs et de chaussures à talons. Gottfried Helnwien (1948- ), quant à lui, va plus loin avec son tableau Lulu222(*). Il représente une femme géante dont les bas, la jarretière et le sexe sont visibles. A côté d'elle, un homme nain. Déesse érotique ? Ou peur de la femme réductrice, castratrice ? Même peur peut-être pour Eric Stanton (1926-1999). Dans une illustration pour FaceSitting effectuée au cours des années soixante-dix, il réalise une photographie d'une femme aux bas noirs portant un porte-jarretelles, un homme étranglé, est dessiné entre ses jambes. La femme parée d'accessoires érotiques fascine encore ou fait peur comme nous venons de le voir. Mais durant les années soixante, de nombreuses réactions vont s'opposer à la figure de la femme accessoirisée. En 1968, la manifestation contre l'élection de Miss America à Atlantic City inquiète les conservateurs : en queue de cortège, les manifestantes enlèvent divers accessoires vestimentaires symboliques - soutiens-gorge, bas, gaines, chaussures à talons - en signe de protestation contre la soumission des femmes aux canons habituels, étroits et contraignants, de la beauté féminine. Elles jettent tous ces accessoires dans une grande poubelle portant l'étiquette « Liberty » et y mettent le feu. Cette manifestation semble aujourd'hui modérée, mais, à l'époque, elle apparaît comme l'expression d'une révolte effrayante, définitive. Dans les médias populaires, les féministes deviennent « ces folles qui brûlent leurs soutiens-gorge ». De cette appelation, on ne tarde pas à dériver vers : « les féministes se fichent de la beauté, elles veulent détruire la famille, ce sont toutes des lesbiennes ». Ces déclarations montrent à quel point le féminisme suscite l'angoisse dans la culture dominante. Le but initial de la manifestation - montrer le rapport entre les contraintes vestimentaires et l'oppression politique des femmes - est presque passé au second plan. Cette oppression découle en grande partie du contenu idéologique des images, en particulier celles concernant les images et les rôles des femmes dont les sous-vêtements deviennent le symbole. Les femmes refusent le moule dans lequel une partie de celles-ci ne se reconnaissent pas ou ne veulent pas être réduites. * 216 TAPIES Antoni, Marron aux bas, 1970, huile et bas nylon, 73 x 116 cm, Coll. part. * 217 RICHTER Gerhard, Etudiante, 1967, huile sur toile, 105 x 95 cm, Friedrichshafen, Galerie Bernd Lutze. * 218 KACERE John, Linda, 1989, huile sur toile, 101 x 162 cm, New York, O.K Harrès. * 219 KACERE John, Llena 82, huile sur toile, 122 x 183 cm, New York, O.K Harrès. * 220 COPLEY William. N, The Devil in Miss Jones, 1972, acrylique sur toile, 130 x 97 cm, Anvers, Lens Fine Art. * 221 JONES Allen, Filles sur commandes III, 1971, huile sur toile, 182,88 x 139,7 cm, Londres, Waddington Galleries. * 222 HELNWIEN Gottfried, Lulu, 1988, aquarelle, 63 x 55 cm, Berlin, Coll. George Lutz. |
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