La pin-up et ses filles: histoire d'un archétype érotique( Télécharger le fichier original )par Camille Favre Université Toulouse Le Mirail - Master 2 Histoire des civilisations modernes et contemporaines 2007 |
1.2 Les filles d'Aslan.Alors que Playboy attend quatre ans avant de faire appel au service de Vargas et renouer avec l'érotisme du dessin, Lui dés son septième numéro, celui de juin 1964, présente son nouveau collaborateur Aslan : « la pin-up, née aux Etats-Unis pour soutenir le moral des troupes et élevée avec tendresse dans le Pacifique par les Marines américains tout au long du second conflit mondial, a survécu à la paix...Vingt ans après l'épopée d'Iwo Jima, la pin-up se porte parfaitement bien et cela, grâce à deux hommes qui perpétuent la tradition de la femme à épingler. Antonio Vargas pour les Américains et Gourdon Aslan sur le Vieux Continent. Lui vous présente aujourd'hui les filles d'Aslan, père tranquille du dessin, mais ardent recréateur de l'Eve idéale que l'on peut plier et déplier, afficher et abandonner à son gré. Fille de papier, la pin-up a pourtant un ennemi affirmé : la fille de chair qui n'aime pas la voir entrer dans la chambre des hommes, elle redoute son pouvoir de fascination. La pin-up, symbole d'une époque troublée doit-elle être brûlée ou adorée ? A vous de juger195(*) ». Dans cette présentation, Lui décide de mettre au même niveau les deux dessinateurs malgré leurs parcours très différents : Vargas a déjà fait depuis fort longtemps ses preuves dans le dessin de pin-up (depuis 1940, il crée de nombreuses pin-up pour différents magazines américains) et Aslan est un jeune inconnu dans le monde des pin-up mais pas dans celui de l'illustration. Implicitement, Lui nous présente ce dessinateur, Aslan, comme un jeune disciple suivant les traces du grand maître des pin-up mais comme un disciple innovant, qui égale son maître voire le supplante. Cet « ardent recréateur de l'Eve idéale » doit alors tout mettre en oeuvre pour répondre aux attentes du public masculin des années soixante. Pour cela, il défriche le vieux concept de la pin-up pour répondre aux goûts et aux demandes de ce nouveau public. Les filles d'Aslan constituent une transition entre le dessin et les playmates. Leurs hyper réalisme notamment avec la représentation des organes génitaux et la pilosité pubienne à partir des années quatre-vingts, les rapprochent de la photographie. Cet artiste les définit comme pin-up et elles sont bel et bien une vision idéalisée du corps féminin. Néanmoins elles ne sont pas incluses dans une mise en scène représentant le monde quotidien et sont beaucoup moins innocentes que les autres pin-up. Elles ont une sexualité plus franche et plus assumée, certaine de ses même pin-up sont représentées en train de se masturber. Mais là aussi leurs désirs ne comptent guère car elles nous regardent et effectuent leurs gestes avant tout pour le spectateur. L'exhibitionnisme semble être le credo des filles d'Aslan. Chez Aslan, l'accent est mis sur les jambes, la poitrine, les fesses selon la tradition des pin-up. Des bas, porte-jarretelles ornent leurs jambes, les chaussures à talons les affinent. Les décolletés sont plongeants, les seins ronds semblent, là aussi, vouloir s'échapper des tee-shirt. Les jupes se soulèvent sur des postérieurs arrondis. Mais Aslan sait que cela ne suffit pas. La concurrence des photographies est difficile et chaque jour les filles du mois se déshabillent un peu plus. L'érotisme léger des pin-up dessinée des années quarante et cinquante n'arrive peut-être plus à susciter suffisamment le fantasme et le désir. C'est pourquoi l'accent est aussi mis, chez les filles d'Aslan, sur le sexe. Les jambes des filles s'écartent et on devine le motif fleuri d'une petite culotte. Les sous-vêtements se complexifient, deviennent de plus en plus originaux : parure culotte soutien-gorge très échancrés et reliés ensemble. Les culottes minuscules sur les corps ne cachent plus grand-chose (Ill. 158, 159). Les modèles apparaissent plus souvent nues. A l'inverse Aslan s'inscrit dans la pure tradition des pin-up en légendant ces dessins de manière humoristique. Ces légendes doivent susciter l'amusement et renforcer l'érotisme des dessins. Ainsi une pin-up, habillée juste d'une culotte peau de bête apparaît, pour le numéro 26 de l'année 1966, dans un décor de jungle comme le souligne la légende : la jungle est aussi pavée de bonnes attentions (Ill. 165). Je saute donc je suis pour la pin-up du numéro 37 de l'année 1967 (Ill. 160), cette jeune fille sautant à la corde, à la jupe relevée, nous dévoile ses bas et son porte-jarretelles. Une pin-up assise en tailleur, pour le numéro 43 de 1967, nous offre une vue sur sa petite culotte mais aussi sur sa poitrine grâce à un décolleté très plongeant ; c'est la légende accompagnant ce dessin qui met alors l'accent sur ses seins : pour jouer aux boules, il ne manque que le cochonnet (Ill. 161). Une autre, celle du numéro 37 de 1967, est uniquement vêtue d'un déshabillé transparent, celui-ci se soulève et dévoile ses fesses nues : le vent se lève, il faut tenter de vivre (Ill. 162). La légende la plus belle « attrape-mari » du siècle accompagne la pin-up du numéro 41 de 1967 (Ill. 163), celle-ci nous offre une vue imprenable sur sa poitrine. La pin-up du numéro 49 de l'année 1968 est uniquement vêtue de ses bas comme le précise la légende : dans la femme, il y a toujours un haut et des bas (Ill. 164). Les légendes s'inspirent aussi de slogans publicitaires : une tigresse à la recherche d'un moteur pour la pin-up du numéro 46 de l'année 1967 ou de phrases culturelles : ne cachez pas ce sein que je voudrais voir pour la pin-up du numéro 52 de 1968. Mais elles pratiquent aussi de mauvais jeux de mots : l'enfer vaut l'endroit pour la pin-up du numéro 55 de 1968, de faux proverbes teintés de misogynie : le silence est le plus bel ornement de la femme mais il est peu porté pour celle du numéro 57 de la même année ou encore : les femmes sont comme des spaghettis, plus on les chauffe plus elles collent pour la pin-up du numéro 71 de l'année 1969. Enfin ces commentaires peuvent être fortement grivois ou graveleux : j'aurais aimé la photographier sous son meilleur angle, hélas, elle est assise dessus pour la pin-up du numéro 76 de l'année 1970. Ces légendes de manière générale sont beaucoup moins spirituelles que celles que l'on trouve sous les dessins de Gil Elvgren par exemple. Les pin-up d'Aslan sont révélatrices de l'évolution des figures féminines dessinées dans la presse érotique masculine. Elles sont évocatrices de la dérive de la pin-up classique. En effet, on assiste au passage d'un érotisme frais à un érotisme plus appuyé, plus démonstratif. D'aguicheuses, les pin-up deviennent racoleuses. Aslan dessinera aussi dans les années 70 des pin-up féministes aux visages sévères, coincées dans leur corps. Pour lui, les féministes ne peuvent être que rébarbatives comme si la prise de conscience de la liberté de leur sexualité et de leurs propres désirs annule aux yeux d'Aslan l'envie de désir et d'érotisme. Ces féministes ne peuvent être que anti érotiques et anti sexuelles. * 195 Lui, numéro 7 du mois de juin 1964, p.77. |
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