2.2 Les pin-up de Gino Boccasile.
Tout comme les pin-up, les filles de Gino Boccasile
atteignent une plastique idéale. On remarquera néanmoins que les
pin-up de Gino sont légèrement plus plantureuses que les
américaines : les cuisses, les hanches sont plus marquées.
Leur buste est un peu moins fin ainsi que leurs épaules. Elles ont, dans
leurs formes maternelles, quelques liens avec les femmes italiennes des
affiches de propagande. Gino Boccasile dessine des pin-up plutôt
méditerranéennes. Elles sont plus européennes et moins
universelles que leurs homologues américaines. Il les présente
avec les accessoires de séduction usuels. Elles sont, elles aussi,
souriantes, pleine de vie et de jeunesse. Les scènes dans lesquelles
apparaissent ses pin-up sont également des scènes de vie
quotidienne. La grande différence avec les autres dessinateurs de pin-up
réside dans le fait que Boccasile emploie un petit garçon pour
instrumentaliser la scène afin de découvrir les accessoires
érotiques ou des zones du corps féminins.
Ce garçonnet qui ressemble fortement au chérubin
de la Renaissance italienne, tourmente les pin-up. Vêtu comme les enfants
de six ans (short et tee-shirt), le garçon aux joues rouges
apparaît systématiquement dans toutes les couvertures de Paris
Tabou. Très espiègle, il profite et nous fait profiter de
toutes les situations, volontairement ou non. Dans la couverture de Paris
Tabou numéro 15 de l'année 1950, il dessine des moustaches
à une pin-up endormie (Ill. 68). Celle-ci est juste
habillée d'un peignoir de satin rouge, dévoilant ainsi ses
jambes. Mais nous pouvons aussi apercevoir sa poitrine car en grimpant sur le
haut de fauteuil, le garçonnet a coincé son pied dans les plis du
tissu encartant du coup ceux-ci. Même scénario pour le Paris
Tabou numéro 6 de la même année, le garçonnet
effrayé par un cygne s'accroche aux hanches et aux fesses de la pin-up
(Ill. 69). Celle-ci en robe blanche à bustier et talons
assortis perd légèrement l'équilibre. Le petit
garçon, ainsi accroché, soulève avec son pied la jupe, et
nous offre ainsi une vue sur les bas de la jeune fille. Gino Boccasile avec ce
petit garçon respecte le code graphique des pin-up, puisqu'il les
présente dans une situation improbable et irréelle. Il se place
dans la continuité de l'iconographie des pin-up tout en renouvelant
légèrement le genre. Grâce au petit garçon, le
voyeur est alors matérialisé et le spectateur devient un voyeur
indirect par un truchement subtil.
Tout comme les autres dessinateurs de pin-up, afin
d'éviter la censure, Gino présente ses pin-up dans des
vêtements sexy ou en déshabillés. Mais ces
déshabillés sont d'autant plus érotiques et supports de
fantasme qu'ils sont parfois malencontreusement mouillés, notamment dans
la couverture du numéro 91 de Paris Tabou datant de 1952
(Ill. 70). La pin-up est étendue sur un lit. Sa cigarette
oubliée est posée à coté du cendrier ; elle
est encore allumée. Le petit garçon muni d'une lance à
incendie intervient pour éteindre le début de feu, mouillant
alors le déshabillé de la jeune femme. Sa nudité et ses
formes sont ainsi moulées par le tissu plaqué et
dévoilées par transparence.
Une autre couverture du même magazine, celle du
numéro 30 de l'année 1952, nous propose une pin-up qui est en
train de s'habiller (thématique très commune à l'univers
des pin-up) (Ill. 71). Elle porte uniquement des bas et des chaussures
à talons. Un tissu (une serviette ou un vêtement) est
disposé de telle manière à cacher son sexe. Elle tient son
porte-jarretelles noir à pois blancs devant elle, perplexe. Un de ses
bras masque habillement une partie de sa poitrine dévoilant juste
l'arrondi du sein et le téton. En regardant de plus près on
s'aperçoit qu'il manque une des quatre jarretelles servant à
attacher le bas. Près du gros coussin sur lequel est assis la pin-up, le
petit garçon essaye son nouveau lance-pierre dont l'élastique
n'est autre que la jarretelle manquante. Les bêtises de ce petit
garçon profitent alors au spectateur, ce qui rend le petit garnement
d'autant plus touchant.
Avec ce dispositif, ce couple pin-up-garçonnet
espiègle, Gino renouvelle l'art des pin-up tout en restant dans sa
tradition : instrumentalisation de la mise en scène pour
dévoiler le corps féminins et l'érotiser. Cette
érotisation reste légère et innocente grâce à
la présence de l'enfant qui renforce aussi le côté
improbable mais aussi humoristique du dessin. Le voyeur a alors un complice
physique au sein même du dessin. Certains artistes américains tel
Harry Ekman, ont souvent utilisé un chien dans leurs mises en
scène afin de dévoiler les dessous de la pin-up. Mais Gino
Boccasile avec la présence de ce chérubin permet une projection
plus réelle du spectateur. Comme si le spectateur agissait par
procuration. L'enfant met finalement en scène les fantasmes masculins.
Grâce ce chérubin, l'homme pénètre dans
l'intimité des femmes, intimité à laquelle ont
accès les enfants seulement durant leur jeunesse. La présence du
garnement permet aussi aux spectateurs masculins de renouer avec leurs premiers
fantasmes et émois. Comme un nouveau éveil de leur
sexualité. Le garçonnet est une sorte de « madeleine de
Proust » pour les hommes. Il leurs rappelle la proximité
perdue du monde féminin en échange du désir. Il est
symbole de la perte de l'innocence enfantine pour le gain de la
sexualité.
Après la Seconde Guerre Mondiale, l'iconographie
américaine des pin-up, alors en pleine expansion, va trouver des
échos dans d'autres pays européens et notamment en
Allemagne, car elles symbolisent alors un monde insouciant et optimiste, plein
d'espoir pour l'avenir. Elles deviennent presque garantes d'une économie
florissante et abondante. A l'inverse de leurs homologues américaines,
ces figures féminines allemandes ont un regard plus direct. Leurs
invitations sexuelles sont plus franches. Mais la pin-up trouve aussi un public
en France. Gino Boccasile renouvelle alors leur genre en incluant un voyeur
complice et substitut du spectateur voyeur. Ce procédé va
être utilisé aussi durant la même période, les
années cinquante, par un artiste américain de pin-up, un peu
particulier, Bill Ward.
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