La pin-up et ses filles: histoire d'un archétype érotique( Télécharger le fichier original )par Camille Favre Université Toulouse Le Mirail - Master 2 Histoire des civilisations modernes et contemporaines 2007 |
3.2 Des soldats artistes.La plupart des créateurs de ces pin-up du Nose Art70(*) restent fortement méconnus et n'apparaissent que dans les ouvrages spécialisés. Il faut tout d'abord remarquer que la majorité des dessins du Nose Art ne sont pas signés. Les quelques artistes connus sont des civils, qui avant de s'engager, ont plus ou moins fréquenté un milieu artistique : écoles d'art pour Donald E. Allen, Rusty Restuccia et Thomas E. Dunn. D'autres comme Arthur De Costa, Al Merkling, Philip Brinkman sont déjà des artistes amateurs ou professionnels (publicité). A l'inverse, à la fin de la guerre, certains artistes improvisés du Nose Art décident de poursuivre leur carrière révélée lors de la création de ces peintures de guerre : Anne Joséphine Hayward, Philip Brinkman, Arthur De Costa, Donald E. Allen. Pour devenir artiste du Nose Art le parcours semble assez simple finalement : les dons de l'artiste sont repérés par le reste des soldats notamment lors de réalisation de fresques ou de décors pour les lieux de vie des militaires et ensuite, le bouche à oreille faisant le reste, les commandes pleuvent (Ill. 55, 56). Les techniques de dessins nous apparaissent assez difficiles à cerner en raison de sources partielles. Mais il est possible de repérer certaines permanences et habitudes artistiques. La première difficulté à laquelle doit faire face l'artiste est le manque de matières premières et d'outils : peintures, laques, pinceaux. Pour pallier ce manque les artistes font soit appel à leur famille qui leur envoie le matériel manquant comme James C. Nickley, soit à leurs réserves personnelles comme Arthur De Costa qui a emporté avec lui son matériel de dessinateur. Mais la plupart du temps les artistes se débrouillent avec ce qu'ils trouvent sur les bases : peintures volées aux autres corps de l'armée (notamment chez les Marines*), brosse à nettoyer découpée pour servir de pinceaux, essence utilisée comme solvant... Le choix du dessin résulte la plupart du temps d'un accord entre les dessinateurs, qui proposent une série d'esquisses et l'équipage de l'avion. Les artistes avouent souvent s'inspirer des pin-up de la presse comme Esquire (Ill. 58) ou de certaines bandes dessinées comme Male Call (Ill. 59, 60) ou Jane (Ill. 57). Il arrive parfois que le dessinateur travaille à partir de la photographie de la femme ou de la petite amie d'un des membres de l'équipage mais plus rarement. Chaque artiste possède ensuite ses propres techniques pour réaliser le dessin : application d'une base blanche à la laque pour Arthur de Costa, peinture directement appliquée sur la tôle pour Al G.Merkling. Rares sont les artistes qui se font payer pour leurs réalisations, à part Philip Brinkman qui demande 50 dollars, les autres se contentent de peu : quelques dollars pour Leland J. Kessler ou des bières pour Al Merkling. La production de ces artistes est assez difficile à mesurer, certains affirment n'avoir réalisé que quelques avions, d'autres atteignent facilement la vingtaine. Anthony L. Starcer quant à lui détient le record en laissant son empreinte sur plus de 130 véhicules militaires. Les artistes réalisent la plupart de leurs oeuvres durant leurs temps libres. Les avions dont les fuselages ont été le plus souvent peints sont : les B.17, P.47, B.24, Les Liberator, Les Forteresses Volantes et les Halifax. Il est très fréquent que les artistes reproduisent sur les blousons de l'équipage le même motif que celui peint sur leur avion, comme une multiplication des cercles de protection. D'abord le talisman porte-bonheur apparaît sur le véhicule, ensuite sur le blouson et parfois à même la peau avec le tatouage, augmentant ainsi, dans un imaginaire en proie aux superstitions, le pouvoir magique de celui-ci. Il devient alors symbole de l'attachement du soldat à une unité, un clan comme le blason symbolise une famille, un groupe. A ce titre, certains artistes refusent tous types de rémunération lorsqu'ils effectuent des pin-up sur le nez des avions de leur unité, mais se font payer lorsqu'ils travaillent pour un autre escadron. Cette association femmes sexy et objet de guerre trouve son apogée avec la présence de pin-up sur les bombes larguées par les avions. Rita Hayworth (1918-1987) aurait été dessinée sur la bombe atomique lâchée sur Hiroshima71(*). Dès le début du conflit, les pin-up contribuent à remonter le moral des troupes sur le front. Pendant la guerre, le nez de milliers de bombardiers américains arbore une pin-up. Sur chaque base aérienne, les meilleurs artistes se voient confier la mission prestigieuse de peindre une fille sexy sur les fuselages. Les pilotes et leur équipage pensent que la belle porte chance. Pour les mêmes raisons, les pilotes arborent une pin-up, peinte sur leurs blousons, ou tatouée sur leurs corps. A leur manière, les pin-up contribuent elles aussi à la victoire. Comme Miss Lace, elles donnent du courage aux hommes mobilisés mais elles permettent également de pallier une absence affective et sexuelle. A la fin du conflit, les pin-up se trouvent au seuil d'une nouvelle ère pleine de promesse. Non seulement elles sont devenues socialement acceptables et sont parfaitement intégrées dans la culture populaire de la nation.
* 70 Nous renvoyons aux biographies de ces artistes en Annexe 1. * 71 HESS Thomas. B, Woman as a Sex Objet, Studies in Erotic Arts, 1730-1970, Londres, Allen lane, 1972, p.224. |
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