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L'Obligation Essentielle dans le contrat

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par Alima Sanogo
Université de Bourgogne - Master II Recherche Droit des Marchés,des Affaires et de l'Economie 2005
  

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« L'OBLIGATION ESSENTIELLE DANS LE CONTRAT »

SOMMAIRE

Introduction...................................................................................................5

Partie 1. La détermination de l'obligation essentielle.............................6

Chapitre I. les critères de la détermination.........................................................7

Section 1. objectivisme ou subjectivisme ?..................................................................7

Section 2. L'obligation essentielle et notions voisines..................................................14

Chapitre II. Les fondements de l'obligation essentielle.......................................... 23

Section 1. L' objet du contrat en tant que fondement de l'obligation essentielle..................23

Section 2.La théorie de la cause du contrat........................................................................27

Partie 2. Rôle et Sanctions de l'obligation essentielle dans la pratique contractuelle.................................................................................... 36

Chapitre I. Le rôle de l'obligation essentielle.........................................................37

Section 1. L'obligation essentielle et les clauses afférentes à la responsabilité contractuelle...............................................................................................................37

Section 2. L'obligation essentielle et la théorie de la résolution du contrat ........................51

Chapitre II. Sanctions de l'obligation essentielle....................................................57

Section 1. la violation de l'obligation essentielle assimilée à la faute lourde......................57

Section 2. Les autres sanctions...................................................................64

Conclusion...........................................................................................................................72

INTRODUCTION

La théorie des obligations est l'une des branches les plus vivantes du droit civil français. Elle est fondée sur les droits des contrats et de la responsabilité civile. Le contrat est une source potentielle d'obligations. Le terme obligation recouvre diverses réalités. En droit civil, l'obligation est un terme désignant le lien de droit créé par l'effet de la loi ou par la volonté de celui ou de ceux qui s'engagent en vue de fournir ou de recevoir une prestation. Il existe plusieurs types d'obligations: les obligations contractuelles, qui résultent de la conclusion d'un contrat, et les obligations délictuelles qui émanent du fait juridique.

Le droit civil contractuel, est au « coeur des préoccupations humaines ». C'est pourquoi il est en perpétuelle évolution, il change au gré de l'économique, et des occupations de l'homme. Toutefois, cette évolution est rendue moins brutale par la perpétuité des grands principes du droit civil contemporain résultant du droit romain et surtout par la méthode de codification à droit constant qui permet au législateur d'introduire des changements tout en maintenant les textes immuables.

Au début, la tendance du droit des obligations était le libéralisme contractuel :« Le laisser faire et le laisser passer ».

Le libéralisme proclame une liberté contractuelle totale. Elle s'appuie sur le principe de l'autonomie de la volonté. Selon ce principe « Le contrat repose sur la volonté de ceux qui s'engagent. L'homme est libre et ne peut être lié que par ce qu'il a voulu et dans la mesure de ce qu'il a voulu ». Le libéralisme fut délaissé à cause des abus de l'autonomie de la volonté. Et depuis, le droit des contrats s'est très « humanisé » ; l'objectif a changé, désormais ce sont la protection et la défense du contractant le plus faible qui ont droit de cité. La nouvelle ère contractuelle essaie de substituer à l'égalité théorique du Code civil, l'égalité concrète de traitement des contractants. Le temps de la protection du plus faible et de l'interventionnisme judiciaire a sonné. Un courant doctrinal a fait de ce nouveau slogan son cheval de bataille : c'est le courant solidariste. Pour les solidaristes, « la libre volonté et l'égalité sont des mythes quand les parties sont inégales en force. Les hommes étant concrètement inégaux, ils ne peuvent exercer tous pleinement les droits dont ils sont titulaires. Tout en critiquant l'autonomie de la volonté, les solidaristes gardent la volonté comme source de l'effet obligatoire du contrat, mais en soumettent aux exigences sociales supérieures du solidarisme. Dans cet esprit, le juge et le législateur ont créé ou développé diverses obligations à la charge des contractants forts économiquement, pour que ceux-ci n'abusent pas de leur puissance. La loi solidariste soustrait, en tout ou en partie, certains domaines à la liberté contractuelle. Elle a imposé l'ordre public économique, de direction ou de protection.

Mais il y a surtout le solidarisme judiciaire qui impose au juge de sanctionner les abus de puissance économique non prévenus par la loi : c'est la protection du consentement, c'est surtout la chasse aux clauses qui corrompent l'univers contractuel. Justement cette dernière est au centre de la tendance actuelle du droit civil des contrats. Elle a eu pour créneau la loi du 10 janvier 1978 sur les clauses abusives. Avec cette législation, "Dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effets de créer au détriment du non professionnel un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat". Cette nouvelle définition, est désormais en conformité avec celle prescrite par la directive n° 93/13/CEE du 5 avril 1993 que la France devait transposer. L'article L.132-1 nouveau du Code de la consommation ne fait toutefois que confirmer les récentes avancées jurisprudentielles en matière de lutte contre les clauses abusives : d'une part celles qui présument l'abus de puissance économique dès lors que le contrat est un contrat d'adhésion, c'est-à-dire impossible à négocier pour le consommateur et, d'autre part, celles qui reconnaissent au juge, en l'absence de tout décret d'interdiction, le pouvoir de déclarer nulle et non écrite une clause limitative de responsabilité insérée dans un contrat .

La définition de l'article L.132-1, en ne retenant plus comme critère de la clause abusive que celui du « déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » élargit le champ d'application de la réglementation puisque le consommateur confronté à une clause abusive n'a plus à prouver l'abus de puissance économique dont le professionnel profitait pour lui imposer un contrat contenant des clauses abusives (par ex. : dans les contrats de location de véhicules automobiles de longue durée, la clause qui fait supporter au preneur la totalité des risques de perte ou de détérioration de la chose louée est l'expression d'un abus de puissance économique du bailleur. De plus, l'article L.132-1 n'écarte pas non plus "les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives" et continue donc de s'appliquer aussi bien aux contrats de consommation de droit privé qu'aux contrats de service public fixés par voie réglementaire (par ex. : les contrats de transport de gaz et d'électricité...).

La législation sur les clauses abusives limite la protection contre ces clauses aux seuls consommateurs. La notion de consommateur est alors entendue dans son sens le plus large. Elle a donné lieu a d'abondantes interrogations et à une jurisprudence fluctuante. Si la directive du 5 avril 1993 penche pour une définition restrictive du consommateur et le considère comme une personne physique n'entrant pas dans le cadre d'une activité professionnelle (art.2, b), la loi française vise non seulement le consommateur mais aussi le "non professionnel". La Cour de cassation a adopté une définition extensive du consommateur en considérant qu'une personne morale pouvait bénéficier de la protection dès lors qu'elle était relativement au contenu du contrat "dans le même état d'ignorance que n'importe quel autre consommateur". Elle a ensuite adopté une vision plus restrictive en délimitant le domaine de protection aux contrats n'ayant pas un rapport direct avec son activité professionnelle.

Mais depuis quelques années, la jurisprudence étend cette protection aux professionnels aussi. Cela est très étonnant car le professionnel était supposé avoir une initiation aux mondes des affaires .Cette présomption faisait que, si le professionnel était victime d'une clause abusive, il était moins favorablement traité que le consommateur. Mais exceptionnellement et surtout grâce à la notion d'obligation essentielle on fait fi de cette présomption non irréfragable pour protéger le professionnel au même titre que le consommateur. Ainsi, tandis que le fondement de la protection est la législation sur les clauses abusives pour le second, pour le premier, elle est l'obligation essentielle.

Peu connue car n'ayant pas fait jusque là l'objet d'écrits abondants, la notion d'obligation essentielle est pourtant l'un des bastions du droit actuel des obligations. Elle existait déjà en droit international privé avant 1938 sous le nom d'obligation caractéristique avant d'être systématisée par le doyen BATIFFOL. De plus, beaucoup d'autres systèmes juridiques

( anglais, belge ,italien) connaissent la notion. Elle est également présente dans le système européen du droit des contrats .En droit des contrats, la théorie de l'obligation essentielle est de plus en plus appelée sur «la sellette « .Mais à notre connaissance, seul M.Ph .Delebecque a étudié en profondeur la notion dans sa thèse sur « Les clauses allégeant les obligations dans les contrats ». Même là, l'auteur n'étudie la notion que dans le cadre de son influence sur les clauses allégeant les obligations dans les contrats. Cette étude est certes très intéressante mais elle ne peut que nous servir partiellement dans notre étude sur « L'obligation essentielle dans le contrat » . Une telle étude a pour intérêt théorique de montrer toute la place qu'occupe la notion dans la théorie des obligations. Elle a aussi un intérêt pratique inestimable notamment dans la pratique contractuelle et surtout au niveau des techniques contractuelles .A ce niveau, il ne fait aucun doute que la notion d'obligation essentielle est l'un des moyens les plus efficaces pour lutter contre les clauses abusives.

A la différence de M. Delebecque, nous allons envisager la théorie de l'obligation essentielle dans sa globalité et dans son effectivité dans le processus contractuel. Et comme la notion est omniprésente dans tout ce processus, a priori, il peut paraître intéressant de démontrer son importance à la formation, à l'exécution et à l'extinction du contrat. Une telle vision recouvre un intérêt et une simplicité évidents, mais elle ignore la logique du plan bipartite et surtout aboutira à un travail très déséquilibré. Bref elle conduirait à une restriction de l'envergure de la notion.

La première difficulté que soulève la notion d'obligation essentielle dans le contrat est le souci de détermination de cette dernière. Comment faire, pour identifier l'obligation qui serait essentielle dans le contrat étant donné que ce dernier contient une panoplie d'obligations ?

Cette première interrogation va nous conduire à retenir en première partie de notre travail la détermination de l'obligation essentielle (première partie) ; cette détermination nécessite des mécanismes particuliers ou des critères (chapitre I) . Une fois déterminée, il serait intéressant d'identifier dans un souci d'originalité la notion par rapport à des notions voisines (chapitre II). De cause à effet, la détermination de l'obligation essentielle implique l'importance de la notion. Cette importance s'exprime à travers le rôle que l'obligation essentielle joue au sein du contrat. Jouant un rôle unanimement jugé important, il est très logique que la violation ou le non respect de la notion soit soumis à sanctions. C'est pourquoi il nous a fallu retenir en deuxième partie de notre travail, le rôle et les sanctions de l'obligation essentielle(deuxième partie) .

Le rôle de l'obligation essentielle n'est pas des moindres. Ce rôle s'impose avec évidence surtout à l'exécution et à l'extinction du contrat. A l'exécution, l'obligation essentielle intervient pour limiter les clauses afférentes à la responsabilité contractuelle. A l'extinction du contrat, la notion d'obligation s'érige en condition du prononcé de la résolution judiciaire (chapitre I). Après toute cette démonstration, nous exposerons les sanctions de la violation de l'obligation essentielle (chapitre II).

Pour mener à bien notre recherche sur l'obligation essentielle dans le contrat, nous nous sommes butés à maintes difficultés. D'abord, un problème de documentation. Il n'existe pas à notre connaissance un seul ouvrage général portant spécifiquement sur la notion. De plus, les ouvrages généraux en droit des obligations ne lui consacrent en général q'une brève présentation. Ensuite, la thèse de M..DELEDECQUE qui a été notre document de base n'est malheureusement pas disponible dans notre bibliothèque universitaire locale. Enfin, tous les articles que nous avons pu répertoriés n'abordent la notion que dans ses rapports avec les clauses afférentes à la responsabilité.

Toutefois, ces difficultés ne nous ont pas empêché de parvenir à des résultats. Ce sont justement ceux-ci que nous allons vous restituer dans le présent document.

PREMIERE PARTIE

LA DETERMINATION DE L'OBLIGATION ESSENTIELLE

Déterminer l'obligation essentielle conduit tout d'abord définir la notion de façon concise et précise. Cela peut se révéler une tâche très difficile car aucune définition n'a été vraiment donnée à la notion, du moins en droit des contrats. Ni la doctrine, ni la jurisprudence ne se sont employées à donner une définition précise à cette notion qui apparaît de plus en plus incontournable en droit des contrats.

Toutefois, à travers les fondements juridiques que la Cour de cassation a développé au sujet de la notion à l'occasion d'arrêts qui y sont relatifs plus ou moins, on peut déduire une certaine définition. C'est ce raisonnement qu'a suivi le Professeur DELEBECQUE pour proposer la tentative de définition suivante : «L'obligation fondamentale ne peut être définie dans l'absolu, il convient de dégager des critères permettant de déterminer très efficacement la notion. Les parties font ce qu'elles peuvent dans un contrat, mais seulement jusqu'à un certain point ; le point à partir duquel l'engagement est vidé de toute substance, tel étant le cas lorsque le créancier ne peut en obtenir l'exécution. » Cette analyse, bien que rendant compte de la notion, n'en donne pas pour autant une définition claire. Elle souligne par conséquent de tout le problème de définition de la notion. En dépit de cette difficulté, nous pouvons retenir que l'obligation essentielle est l'obligation déterminante du contrat. Celle sans laquelle celui-ci manquerait inéluctablement, soit de cause, soit d'objet, soit serait tout simplement entaché de potestavité.

Donc au titre de cette première partie, tous nos efforts seront consacrés à définir le mieux possible la notion d'obligation essentielle. Pour ce faire, nous nous appliquerons à dégager des critères permettant de déterminer très efficacement la notion (chapitre I).

En second lieu nous nous attarderons sur les fondements que les tribunaux arrogent à l'obligation essentielle(chapitre II).

CHAPITRE PREMIER

LES CRITERES DE LA DETERMINATION

Dans son étude sur l'obligation fondamentale intitulée «L'obligation et la sanction : à la recherche d'une définition de l'obligation fondamentale », M. JESTAZ fait la distinction entre l'obligation fondamentale par nature et l'obligation fondamentale par la volonté des parties. Cela implique l'existence de deux critères, à savoir objectif et subjectif peuvent également s'appliquer. Mais à la différence de l'étude de M. JESTAZ, nous pousserons plus loin la réflexion en ce sens que nous rechercherons lequel de ces deux critères sied le plus à la notion. Aussi, nous nous interrogerons si le ou les critère(s) retenu(s) procure(nt) à la notion une certaine autonomie. Autonomie grâce à laquelle on pourrait comparer la notion d'obligation essentielle avec des notions voisines.

En somme, ce chapitre sur les critères de la détermination de l'obligation essentielle nous impose une réflexion en deux temps. Tout d'abord nous présenterons lesdits critères (Section I) et après nous procéderons à la comparaison de la notions avec des concepts voisins (Section II).

SECTION I : OBJECTIVISME OU SUBJECTIVISME ?

Pour déterminer ou désigner l'obligation essentielle, deux critères peuvent être retenus : le critère objectif et le critère subjectif. Le premier correspond à la désignation de l'obligation essentielle par nature tandis que le second implique la désignation de cette même obligation par la volonté des parties.

Pour mieux rendre compte de ces deux critères nous allons les présenter dans un exposé (paragraphe1), puis nous les analyserons afin de savoir s'il y a primauté ou complémentarité entre eux (paragraphe 2).

PARAGRAPHE I : EXPOSE

1) L'obligation essentielle par nature

Sur un plan formel, il est très facile de distinguer l'obligation essentielle des autres types d'obligations contenues dans le contrat, notamment des obligations secondaires, car parfois l'obligation essentielle donne son nom au contrat. Il en est ainsi du contrat d'entretien. Dans la pratique les choses sont toutes autres, dans la mesure où les parties peuvent porter des clauses et sur l'obligation essentielle et sur l'obligation secondaire. La jurisprudence essayant d'établir une distinction théorique entre les obligations fondamentale et secondaire a, par la même occasion dressé une liste d'obligations essentielles en fonction des contrats. Par exemple dans le contrat de vente l'obligation essentielle du vendeur est la délivrance de la chose, c'est-à-dire la mise à la disposition de l'acheteur de la chose vendue. Cela a été entériné par H. BATTIFFOL en ces termes « la délivrance est l'essence de la vente ; elle ne peut être que différée dans son exécution et l'on ne conçoit pas un acheteur qui renoncerait définitivement à l'usage de la chose ... La délivrance est l'acte spécifique de la vente par lequel le contrat va se manifester ».

M. DELEBECQUE a illustré ce propos par une décision de 1977 de la Cour d'appel d'Aix. Il y était question d'un garagiste belge récupérant des véhicules interdits dans ce pays, les acheminant avec les pièces nécessaires à un cocontractant en France, qui les réparait et les commercialisait. Le contrat s'exécute ainsi pendant un bon moment jusqu'au jour ou le garagiste envoie un véhicule irrécupérable, plus « pourri » que les précédents. Son cocontractant le refuse. Une expertise est initiée. Il s'est avéré que le véhicule litigieux n'aurait pas pu être remis en circulation qu'après des réparations trop importantes pour un véhicule vieux de dix ans. La Cour d'Aix a accepté la prétention du cocontractant français en relevant que celui-ci «auquel il ne peut être reproché de revenir à une saine conception commerciale, refuse à bon droit de régler le prix d'un véhicule qui lui a été envoyé si ce véhicule est insusceptible d'être remis en état ».Ce raisonnement de la Cour d'appel d'Aix implique selon M.DELEBECQUE «que le véhicule a perdu sa destination qui est de circuler » et que « le vendeur de véhicule a pour obligation fondamentale de livrer un engin apte a rouler, obligation dont le vendeur ne pourrait s'exonérer » .

Beaucoup d'autres décisions considèrent que l'obligation de délivrance est l'obligation essentielle du contrat de vente. Ainsi, si l'article 1603 du Code civil met à la charge du vendeur deux obligations principales, à savoir celle de délivrer et celle de garantir la chose vendue, c'est à la condition de considérer la garantie comme corollaire de la délivrance. Seule cette dernière est essentielle, c'est pourquoi les parties ne peuvent, ni l'écarter, ni en donner une exception écartant les critères légaux.

Dans le contrat de bail, il existe une ambiguïté à propos de la détermination de l'obligation essentielle. Cette ambiguïté résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet expressément que le bailleur n'est pas obligé de permettre la jouissance paisible à son locataire. Une décision de 1945 a relevé que «l'obligation pour le bailleur de faire jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant la durée du bail n'est pas de l'essence du contrat de louage. En réaction à cette jurisprudence, un auteur a précisé que lorsque la Cour de cassation déclare que « l'obligation de faire jouir n'est pas de l'essence du contrat», elle ne vise là que l'engagement global de l'article 1709 du Code civil et non la prestation de jouissance de l'article 1719 alinéa 3.

En définitive, l'obligation pour le bailleur d'assurer la jouissance au preneur est l'obligation essentielle du contrat de bail . Cette même remarque semble convenir à tout contrat de louage ; c'est ainsi qu'il fut établi à propos de la location d'un système d'alarme que l'obligation fondamentale, donc essentielle, est celle de « mettre à la disposition du client un système en état de marche et propre à rendre les services qu'un tel système laisse supposer ».

Toutefois dans le contrat de location de wagons, la détermination de l'obligation essentielle semble fort délicate car il faut distinguer selon la nature du wagon en question . Si celui est isotherme, c'est-à-dire insensible aux variations de température, l'obligation fondamentale ou essentielle du loueur est de mettre à la disposition de l'usager un wagon apte à l'isolation.

Si le wagon est isotherme mais non pourvu d'une installation produisant le froid, aménagée pour maintenir la glace, l'obligation essentielle du loueur est de fournir un wagon non seulement apte à l'isolation mais aussi équipé de telle sorte qu'il puisse recevoir et maintenir la glace.

Dans le contrat d'affrètement, l'obligation essentielle du fréteur est de mettre à la disposition de l'affréteur, son cocontractant, un navire en bon état de navigabilité, c'est-à-dire présentant un ensemble de qualités relatives tant à la navigabilité qu'à la préparation du voyage, qu'à la structure ou au fonctionnement des cales, des ponts, des aménagements concernant la marchandise.

On ne saurait clore cette partie sur les exemples d'obligation essentielle sans parler de l'obligation de bonne foi que le juge impose à toute relation contractuelle et même extra contractuelle. A ce titre, on peut retenir, non pas sans réserve, que l'obligation de bonne foi est une obligation essentielle dans toute convention. Mais la question qui se pose est de savoir si cette obligation résulte ou de la nature du contrat ou de la volonté des parties.

Pour répondre à cette question on peut dire que les parties, en concluant, ont par là même entériné implicitement la bonne foi comme obligation essentielle. Et cette bonne foi semble inhérente à la notion même du contrat en général.

A côté de ces exemples d'obligations essentielles, on peut opposer quelques exemples d'obligations accessoires. L'obligation accessoire, annexe ou secondaire, est une obligation nécessaire au contrat mais insuffisante pour entraîner la nullité de celui-ci. C'est le siège des clauses afférentes à la responsabilité. L'obligation accessoire est très souvent relative car elle peut être essentielle dans un contrat et accessoire dans l'autre. Par exemple, l'obligation de surveillance est accessoire dans le contrat de parking. Cette même obligation devient essentielle dans le contrat de gardiennage. De même l'obligation d'entretien est annexe dans le contrat de parking et essentielle dans le contrat de garage.

Il y a des obligations qui sont accessoires par nature. Tel est le cas de l'obligation de garantie des vices cachés ou des vices apparents (article 1642 du Code civil). C'est cette obligation de vices apparents qu'on retrouve dans le contrat de bail sous le nom d'obligation de délivrer le logement en bon état. Logiquement, celle-ci n'a rien d'essentiel. C'est le même cas pour l'obligation d'entretien en cours de bail au sujet duquel la Cour de cassation a relevé que « si le bailleur est tenu en principe d'entretenir la chose louée.... Il ne lui est nullement interdit de s'affranchir contractuellement de cette obligation ».

D'autres obligations accessoires sont apparues récemment. Entre autres on peut citer l'obligation de conseil (banquiers, notaires, architectes, médecins et assureurs) ; l'obligation de coopération dans le domaine informatique ; l'obligation de sécurité (pour le transport de personnes , des produits défectueux ) ; l'obligation de mise en garde face à un risque ; l'obligation d'efficacité des agences de voyage ; l'obligation de prudence (pour les agences d'intérim, auto-école , colonies de vacances etc.). Toutes ces obligations accessoires peuvent, selon les circonstances ou selon la nature du contrat, se transformer en obligations essentielles.

Le manquement à une obligation accessoire n'a pas d'effets sur la validité du contrat sauf si ce manquement empiète sur une obligation essentielle. Cela confirme ce que nous avons déjà constaté, à savoir que les obligations essentielle et accessoire tendent à se confondre ; tout dépend de la volonté des parties.

2) L'obligation essentielle par la volonté des parties

La théorie de l'autonomie de la volonté est au coeur du droit français des contrats . Elle implique le concept du consensualisme qui se manifeste par une extériorisation des intentions des contractants posant la difficile question du type de volonté devant être prise en compte.

Est-ce la volonté interne (ou réelle) ? ou la volonté externe ( ou explicite)? Ce débat ayant fait couler beaucoup d'encre est dépassé aujourd'hui. En effet, le droit français demeure attaché au système de la volonté interne car l'accord au contrat ne prend une entière valeur juridique que dans la mesure où son expression correspond aux représentations intellectuelles de son auteur. Mais la volonté réelle ou interne peut être exprimée soit de façon implicite soit de façon explicite. La détermination de l'obligation essentielle par la volonté des parties n'ignore pas cette démarche. Autrement dit, les parties peuvent déterminer l'obligation essentielle soit par leur volonté explicite soit par leur volonté implicite.

La volonté explicite est la volonté déclarée, elle doit correspondre à la volonté réelle. Les parties n'ont pas besoin de qualifier telle ou telle obligation d'essentielle car « l'on considérera comme essentielle toute stipulation qui met en exergue l'élément tenu pour essentiel, en particulier lorsque cet élément justifie expressément un supplément de prix ». Les parties peuvent désigner cet élément comme essentiel d'un commun accord. Mais rien n'empêche à une seule d'entre elles de désigner solo consensus l'obligation essentielle, sous réserve de la porter à la connaissance de l'autre partie. Dans la pratique, les parties désignent l'obligation essentielle au moyen d'une clause. Cette dernière, peut servir soit à mettre en exergue l'obligation tenue pour essentielle, par exemple suggérer un supplément de prix (comme l'a dit M. JESTAZ)soit renforcer une obligation déjà contenue dans le contrat . Ce fut le cas de la clause de célérité, contenue dans le contrat de transport donnant lieu à l'arrêt Chronopost . Dans cette affaire le contrat conclu avait généré à la charge de la société Chronopost une obligation de célérité qui constituait la cause de l'engagement de la société expéditrice. Et cette obligation se justifiait par le paiement d'un prix à la charge de celle-ci. En l'espèce, le prix était plusieurs fois supérieur au prix d'envoi normal d'un courrier.

Ainsi, nous pouvons retenir que dès que les parties prennent une clause pour préciser ou pour mettre l'accent sur une obligation (même secondaire) du contrat, celle ci sera considérée comme essentielle ou principale. Cette affirmation se confirme aussi dans l'arrêt du 2 décembre1998 où les juges relèvent, à propos de l'obligation de prévenance, que dès qu'elle « avait été stipulée par une clause expresse, de sorte qu'elle en constituait une des conditions substantielles ».

Les parties peuvent également désigner l'obligation essentielle par leur volonté implicite. Dans ce cas, l'obligation essentielle se déduit de ce que les parties ont voulu lors de la conclusion du contrat . Le juge va chercher ce qui était implicitement prévu dans le contrat. Pour ce faire, il se réfère aux circonstances ou même au tarif, au prix même si celui-ci n'est pas enfermé dans une clause particulière.

Comment distinguer l'obligation essentielle par nature et l'obligation essentielle par la volonté des parties ?

Cette tâche est très délicate. Mais il est sûr qu'en présence d'une obligation essentielle par nature, les parties n'ont pas besoin de désigner quoi que ce soit ; tout se passe comme si elles avaient désigné implicitement cette obligation à moins qu'elles ne veuillent ériger une autre obligation (obligation accessoire par exemple) en obligation essentielle.

Qu'elle soit désignée de façon implicite ou explicite, le juge s'attache à la volonté réelle des parties pour établir l'obligation essentielle.

Les modes de désignation de l'obligation essentielle étant exposés, il convient de les analyser afin de voir les rapports qu'ils entretiennent entre eux.

PARAGRAPHE II : ANALYSE

L'obligation essentielle désignée par la volonté des parties soulève beaucoup de questions. En effet, si les parties ont la faculté de désigner leur obligation essentielle, ne faudrait-il pas leur permettre d'y porter atteinte à leur guise? Dans ce cas, sont-elles tenues par un « minimum contractuel » ? Ne doit-on pas leur permettre de changer d'obligation essentielle en cours de contrat ?

Nous ne saurons répondre à ces questions de façon précise. Toutefois, nous pensons que le principe de l'autonomie de la volonté faisant du contrat la chose des parties n'exclut pas a priori de tels rôles. Cependant, dans la pratique, les choses sont différentes. En face d'une obligation essentielle les moyens d'action des parties sont réduits. En dépit de l'article 1134 du Code civil, celles-ci ne peuvent y porter atteinte ou la modifier sans dénaturer ou disqualifier le contrat.

L'obligation essentielle a un caractère fondamentalement subjectif quand elle est désignée par les parties. Mais ce côté subjectif s'estompe très vite quand on sait que les parties sont tenues de préserver l'essence du contrat. L'essence du contrat renvoie au caractère objectif de l'obligation essentielle. Ainsi, même si les méthodes de désignation de l'obligation essentielle sont subjectivistes au départ, ce subjectivisme se trouve vite supplanté par un objectivisme patent résultant de l'essence du contrat.

En somme, nous estimons certes que l'obligation essentielle a un caractère subjectif, mais elle a aussi un caractère objectif qui a tendance à prendre le dessus. Ce caractère hybride explique toute l'hésitation de la doctrine à trouver un fondement sûr de la notion. De plus, les fondements retenus par cette dernière, à savoir l'objet et la cause du contrat, servent à confirmer la primauté du caractère objectif sur le caractère subjectif, l'objet et la cause étant considérés comme des éléments objectifs du contrat, contrairement à la capacité et le consentement qui sont les constituants subjectifs du contrat.

SECTION II : L'OBLIGATION ESSENTIELLE / NOTIONS VOISINES

A l'instar de toute autre obligation, l'obligation essentielle peut être de résultat ou de moyen. Mais elle ressemble très fortement à une obligation de résultat. Cette similitude ne se limite pas au seul niveau de leur violation où le seul constat de leur inexécution suffit à entraîner soit la résolution du contrat soit l'allocation de dommages et intérêts. Aussi, de même que les parties ont la faculté d' « essentialiser » une obligation accessoire, elles peuvent aussi transformer conventionnellement une obligation de moyen par une obligation de résultat. Hormis ces cas, les deux notions se dissocient pour tout le reste . Tandis qu'il existe forcément une obligation essentielle dans tout contrat, tout contrat ne contient pas forcément une obligation de résultat. Comme avec l'obligation de résultat, l'obligation essentielle tend à se confondre avec d'autres notions qui lui sont proches. Les plus importantes de celles-ci sont : les éléments essentiels du contrat (Paragraphe I), l'obligation fondamentale ou principale (Paragraphe II), et enfin l'obligation caractéristique en droit international privé (Paragraphe III).

PARAGRAPHE I : L'OBLIGATION ESSENTIELLE / ELEMENTS ESSENTIELS DU CONTRAT

Cette distinction a été établie par Maître Christian Lavabre. A priori, ces deux termes semblent recouvrir la même réalité. Cependant cela ne doit être affirmé qu'avec réserve. Si l'obligation essentielle est vue comme « la prestation qui donne à un contrat son caractère, qui permet de la distinguer des autres et qui constitue le centre de gravité et la fonction socio-économique de l'opération contractuelle » ; les éléments essentiels eux, sont perçus comme l'ensemble des composantes de la prestation qui donne son caractère au contrat assurant par là même l'efficacité du lien contractuel. Les éléments essentiels se rencontrent depuis la phase pré contractuelle où les parties négociant en toute liberté vont tout de même s'appliquer à s'entendre sur des points déterminants ou essentiels du contrat. Et ces éléments seront maintenus tels qu'ils dans le futur contrat. Cette technique contractuelle s'appelle la punctation contractuelle. Dans cette phase pré contractuelle ignorée par le Code civil, on ne peut pas nous semble-t-il parler d'obligation essentielle mais plutôt d'éléments essentiels. Ceux-ci apparaissent aussi dans le mécanisme de l'offre et de l'acceptation. Cela se comprend aisément car l'offre n'est efficace que si elle contient des références à ces éléments là. Dans le cas où l'offre est dépourvue de ces éléments essentiels, on bascule dans les pourparlers qui n'ont aucune valeur juridique aux yeux du législateur de 1804. L'accord sur les seuls éléments essentiels suffit à impliquer le contrat en dépit des désaccords persistants sur les points accessoires. Cela est précisé par l'article 1583 du Code civil à propos de la vente : « elle est parfaite dès qu'on est convenu de la chose et du prix». La Cour d'appel de Versailles avait déjà abondé également dans ce sens à l'occasion d'une décision portant sur une demande due à la rupture abusive du lien contractuel «Aucun contrat ferme et définitif n'est intervenu lorsque les parties ne sont pas parvenues à un accord parfait de volonté sur l'ensemble des éléments essentiels du contrat et qu'à tous les stades de la négociation l'une des parties a formulé des contre-propositions ou réserves impropres à former le contrat et cela jusqu'à la rupture des relations contractuelles ». Cette démarche de la Cour d'appel de Versailles est basée sur le fait que l'ensemble des éléments essentiels du contrat participent à la détermination de l'obligation essentielle qui, à son tour, contribue à qualifier le contrat.

La distinction entre obligation essentielle et éléments essentiels du contrat est très difficile car elle n'est pas claire. Mais ce qui demeure évident c'est que dans la notion d'obligation essentielle, il y a un sentiment de contrainte. Celle-ci est inhérente au terme d'obligation même et si elle n'est pas respectée, il y aura corrélativement une sanction. Ce sentiment de contrainte n'existe pas à propos des éléments essentiels du contrat. Pour schématiser, on relève tout simplement que si les éléments essentiels sont indispensables à la formation du contrat, pour que celui-ci soit viable, il faut nécessairement une obligation essentielle.

Le législateur a déterminé les éléments qu'il tient pour essentiels dans certains contrats. Ainsi, la charge de restituer certains biens en nature, constitue un élément essentiel du contrat de dépôt. De même, le caractère accessoire du cautionnement est un élément essentiel du contrat portant le même nom. Enfin, le rédacteur de la convention de Rome du 19 juin 1980 ,tient pour élément essentiel la prestation caractéristique. Cela se déduit de la présomption générale qu'il établit entre le contrat et le pays où la partie qui doit cette prestation a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale.

La jurisprudence aussi participe à la détermination des éléments essentiels des contrats, mais non de la même façon que le législateur. En effet, les tribunaux tentent d'ajuster « les qualifications incompatibles » avec les éléments essentiels du contrat. Ce qui peut les conduire à qualifier les faits et actes litigieux au delà de la qualification des parties. Selon M.E. PUTMAN, l'article 12 alinéa 3 du NCPC devrait permettre, lorsque aucune règle d'ordre public ne s'y oppose et que les parties agissent sans fraude, de « reléguer au rang d'accessoires des éléments habituellement essentiels ».

Enfin , nous retenons que l'obligation essentielle et les éléments essentiels du contrat sont des éléments vitaux du contrat, que sans eux on ne saurait parler de contrat.

PARAGRAPHE II : L'OBLIGATION ESSENTIELLE / SUBSTANTIELLE / PRINCIPALE

La notion d'obligation substantielle a été mise en évidence par la Cour de cassation dans un arrêt du 2 décembre 1997 en ces termes : " En ne prévenant pas les propriétaires du magasin qu'elle surveillait comme cela était prévu au contrat, la société BRINK'S avait manqué à une obligation substantielle."

Dans son commentaire de l'arrêt du 2 décembre Mme. BRITON fait la distinction entre les obligations essentielles et les obligations substantielles. Pour elle, le devoir d'avertir les propriétaires du magasin ne constituait pas l'obligation essentielle mais l'obligation substantielle contrat de télésurveillance.

Ce raisonnement ne semble pas convenir, car en pratique il n' y a pas lieu de faire une distinction entre ces deux réalités. Il aurait été plus simple et plus logique de considérer en l'espèce l'obligation de prévenance comme une obligation accessoire complétant et se confondant avec- l'obligation essentielle et finalement accédant au régime juridique de celle-ci. Il est imprudent de faire une distinction là où les textes ne distinguent pas. La tendance actuelle de la jurisprudence veut que l'on considère l'obligation substantielle comme une autre appellation de l'obligation essentielle. C'est ceci que M. D. MAZENAUD a relevé en commentant le même arrêt : « La première Chambre .civile emploie le terme de condition substantielle pour caractériser l'obligation violée et annihiler la clause litigieuse. Pour autant, même si l'habillage change, l'idée que sous entend la jurisprudence sur ce point demeure identique ».

Aussi, faut-il reconnaître que l'obligation substantielle est l'appellation de l'obligation essentielle dans d'autres droits tels que les droits allemand, italien et belge.

Quant aux rapports entre obligation essentielle et obligation principale, il faut savoir qu'une obligation peut être principale sans être essentielle, c'est-à-dire que l'obligation principale peut participer à la qualification du contrat sans pour autant être de son essence. Vue ainsi, l'obligation principale diffèrerait de l'obligation accessoire en ce sens qu'elle lui est serait supérieure, mais elle s'en rapprocherait car elle pourrait aussi être l'objet de clauses limitatives de responsabilité. Nous pouvons donc dire que le contrat se structure ainsi : obligation essentielle plus obligation principale plus obligation accessoire. Cette déduction résulte d'une interprétation de l'article 1603 du Code civil, qui dispose que le vendeur a deux obligations principales, et de la doctrine, qui fait de l'obligation de délivrance l'obligation essentielle du contrat de vente.

La distinction obligation essentielle et obligation principale nous paraît en réalité obscure dans la pratique ou du moins ne recouvre pas un grand intérêt, car une obligation ne peut être essentielle que si elle n'est pas principale. Mais l'inverse n'est pas vrai du moins dans les contrats de louage et de vente. De plus, cette distinction rend complexe la détermination de l'obligation essentielle. Elle contribue à créer une catégorie intermédiaire entre la distinction classique obligation essentielle et accessoire. Cette catégorie serait celle de l'obligation principale non essentielle et non accessoire. Donc il nous paraît plus simple de considérer l'obligation principale comme une autre appellation de l'obligation essentielle à l'instar de l'obligation substantielle. C'est à cette conclusion qu'est parvenu M.P. GLAVANIS en distinguant entre « obligations essentielles ou principales et obligations secondaires ou accessoires », la conjonction ou exprimant la similitude, la non différence.

Mais un autre auteur, Mme V. VIANNA, prétend que : « La différence entre l'obligation essentielle et l'obligation principale réside dans leur étendue ». Ainsi pour elle, l'obligation principale serait plus large que l'obligation essentielle. Mais cet auteur ne donne pas une explication consistante pour soutenir son affirmation. Au lieu de relever la prétendue différence existant entre les deux notions, elle se borne à passer en revue l'obligation essentielle dans différents contrats.

En définitive, il n'y a pas lieu de distinguer ces deux notions. Il suffit de retenir simplement que les obligations principales auxquelles font référence les articles 1603 du Code civil à propos de la vente et 1720 alinéa 1er à propos du bail ne sont que des obligations spécifiques inhérentes à la nature même de ces contrats.

PARAGRAPHE III : OBLIGATION ESSENTIELLE / OBLIGATION CARACTERISTIQUE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE.

Avant 1938, la théorie de l'obligation caractéristique siégeait déjà dans la doctrine du droit international privé. On la retrouvait dans les études de 1925-1930 sur les méthodes objectivistes et subjectivistes de détermination de la loi applicable au contrat. En 1927, après que la méthode subjectiviste ait révélé ces failles, il a été proposé d'adopter la méthode suivante : «Si le contrat comporte plusieurs obligations, ou prévoit plusieurs lieux d'exécution, il sera considéré comme soumis à la loi du lieu d'exécution de son obligation principale, caractéristique de sa nature juridique propre et dont dérivent les autres obligations ».

C'est en 1938 que le doyen H. BATIFFOL va systématiser la théorie de l'obligation caractéristique en droit international privé. C'est sur cette même notion que H.BATIFFOL basera sa théorie de la localisation. Pour lui, la règle de conflit en matière de contrats internationaux s'exprime dans la loi d'autonomie. Ainsi, les parties ne localisent pas la loi applicable à leur contrat , elles ne font que localiser exactement l'opération. Cette localisation est faite en fonction de l'économie du contrat. Elle consiste à détecter l'élément de localisation qui tient le plus compte de cette dernière, c'est-à-dire l'élément qui est essentiel au contrat. En l'absence d'indice clair, c'est l'obligation essentielle ou principale qui localise le contrat. Donc celui-ci sera régi par la loi du lieu d'exécution de celle-là. C'est cette loi qui est réputée avoir le plus de liens avec le contrat.

H. BATIFFOL ne donne pas de définition à l'obligation principale. Mais il détermine l'obligation principale en distinguant entre les types de contrats. Par exemple à propos du contrat de vente, il déclare que la prestation caractéristique est « celle pour laquelle la somme versée par l'une des parties est due ». Aussi, dans le contrat de transport, il pense que c'est la loi du lieu où s'effectue la délivrance qui est le but même du transport.

C'est M.Paul LAGARDE qui va donner une véritable définition à l'obligation essentielle. Il la définit comme « La prestation qui permet de donner à un contrat son caractère, qui permet de le distinguer des autres et qui constitue le centre de gravité et la fonction socio-économique de l'obligation contractuelle ».

Le principe de la prestation caractéristique recouvre beaucoup d'intérêts. Pour M. SCHNITZER qui propose de localiser le contrat d'après sa fonction dans la vie économique, la règle de la prestation caractéristique « ... est saine, facile à suivre et donne des résultats des plus pratiques » . En effet, ce principe comporte une solution organique, au lieu de partir d'éléments extérieurs, ou fortuits, elle part de la fonction économique de la catégorie du contrat en question.

L'intérêt pratique de la prestation caractéristique fait que la notion a reçu diverses applications dans certains droits internes (France, Suisse) et même en droit communautaire (la convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable à la vente mobilière internationale ; la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable au contrat d'intermédiaire et à la représentation).

La convention de Romedu 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles précise dans son article 4 paragraphe 2 qu à défaut de choix, le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale (article4 paragraphe, 1ère phrase). Mais la convention ne définit pas la prestation caractéristique.

La notion de prestation caractéristique est un élément permanent dans les systèmes de conflit de loi dont les règles de rattachement sont souples. Par exemple dans le Common Law et plus précisément dans le système anglais, la «Proper Law of Contract » ou la règle de conflit, implique que la loi applicable est celle qui a le lien le plus étroit avec le contrat. La doctrine anglaise suppose que cette loi est celle du lieu de l'obligation principale.

Dans le droit américain aussi, la validité du contrat est fonction de la loi interne de l'Etat avec lequel, le contrat a le « plus de parenté ». Cette loi peut être la loi choisie par les parties, à défaut on a recours à beaucoup d'autres indices tels que le lieu de l'essence du contrat.

La notion de prestation caractéristique en matière de conflit de loi connaît des insuffisances. Par exemple, dans les contrats de prêt et d'échange, la détermination de la notion paraît très difficile. En effet, toutes les prestations contenues dans ces contrats sont essentielles. Pour déterminer la loi applicable à propos des contrats où il est difficile d'établir la prestation caractéristique, on fait recours à d'autres éléments de rattachements.

La notion de prestation caractéristique existe aussi en matière de conflit de juridiction où, classiquement, la juridiction compétente est celle du tribunal du domicile du défendeur. Mais, en matière contractuelle, le tribunal du lieu d'exécution a tendance à prendre le dessus sur celui du domicile du défendeur. Dans ce cas, l'élément déterminant sera celui de la prestation caractéristique. C'est la logique soutenue lors de l'interprétation de l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles I du 27 septembre 1968 sur la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matières civile et commerciale. Ce texte disait qu'en dehors du domicile du défendeur sera compétent le tribunal du lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée. Une partie de la doctrine a vu dans cette obligation, l'obligation caractéristique même si la Cour de Justice de la Communauté Européenne ne l'entendait pas ainsi.

Le règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, plus spécifique que la convention de Bruxelles I, dispose plus clairement qu'en matière contractuelle, le tribunal compétent est celui « du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ». Cette affirmation est passible de deux interprétations. Soit elle fait de «l'obligation qui sert de base à la demande» l'obligation essentielle, ce qui est moins sûr sinon cela aurait été

précisé ;soit elle sonne tout simplement le glas à la notion d'obligation essentielle en matière de conflit de juridiction car une simple obligation accessoire peut servir de base à une demande en justice.

Toujours en matière de conflit de juridiction, mais cette fois-ci en droit interne, l'article 46 alinéa2 du Nouveau Code de Procédure Civile permet au demandeur de choisir soit la juridiction du lieu de résidence du défendeur, soit la juridiction du lieu de livraison de la chose soit le lieu de l'exécution de la prestation caractéristique. Ainsi en droit interne aussi la notion de prestation caractéristique est retenue.

La détermination de l'obligation essentielle était un préalable nécessaire à l'étude de ses fondements juridiques .

CHAPITRE II : LES FONDEMENTS DE L'OBLIGATION ESSENTIELLE

Dans sa thèse (précitée) M. Delebecque soutient que : « La notion d'obligation fondamentale du contrat n'est pas une notion originale au sens propre du terme ; l'obligation fondamentale n'est pas un nouveau concept du droit contractuel, que les juristes auraient imaginé pour répondre à certains problèmes ; la notion ne s'est pas dégagée du néant elle s'est élaborée simplement à partir de techniques préexistantes ; c'est en d'autres termes l'expression d'un des principes élémentaires qui ont étés affinés pour résoudre un certain nombre de difficultés.»

Parmi ces techniques préexistantes, figurent les notions de cause et d'objet du contrat, auxquelles recourt la Cour de cassation pour caractériser la notion d'obligation essentielle.

L'objet et la cause sont deux éléments du contrat intimement liés, ils sont tellement proches l'un de l'autre que certains droits étrangers, en occurrence le droit allemand, en ont fait une notion unique contrairement au droit français où la distinction est maintenue avec toutefois une sorte de primauté de la cause qualifiée de notion plus vivante. Ce caractère vivant influe-t-il sur la cause perçue comme fondement de l'obligation essentielle ?

Parmi ces deux notions laquelle explique le mieux la notion d'obligation essentielle ?

Pour répondre à ces questions, nous verrons respectivement l'explication de l'obligation essentielle et par les notions et d'objet du contrat (section I) et de cause du contrat (section II).

SECTION I : L'OBJET DU CONTRAT EN TANT QUE FONDEMENT DE L'OBLIGATION ESSENTIELLE

En droit français, la théorie de l'objet du contrat est plus rigide, comparée à celle de la cause qui apparaît plus souple et plus incertaine. Le Code civil fait la distinction entre l'objet de l'obligation (article 1129) et l'objet du contrat (l'art.1110, alinéa 1). Et la doctrine parle même d'objet de la prestation.

- L'objet du contrat est l'ensemble des obligations auxquelles le contrat donne naissance .

· L'objet de l'obligation est ce à quoi le débiteur s'oblige (donner, faire, ne pas faire) ou encore ses prestations, qui varient selon la volonté sous réserve des articles 1101 et 1126 du Code civil

· - L'objet de la prestation : c'est la chose objet de la prestation. Elle peut être corporelle ou incorporelle ; matérielle ou immatérielle.

Plusieurs auteurs contemporains voient dans l'objet du contrat l'objectif juridique des parties, l'opération qu'elles cherchent à réaliser, c'est-à-dire l'objet de l'obligation principale et caractéristique.

Une telle conception de l'objet du contrat a sans doute un lien étroit avec la notion d'obligation essentielle et impliquera de considérer l'objet du contrat non seulement comme le contenu fondamental du contrat mais également comme le reflet de la notion d'obligation essentielle (paragraphe I). Mais l'objet du contrat est classiquement considéré comme le contenu du contrat (paragraphe II).

PARAGRAPHE I : L'OBJET COMME CONTENU DU CONTRAT.

Au sens classique, l'objet du contrat est le contenu du contrat. Le contenu du contrat est l'ensemble des éléments relatifs à la constitution et à l'exécution du contrat et qui concourent tous, chacun pour sa part, à la réalisation de l'acte envisagé par les parties. Cette réalité fut mise en évidence depuis le XVIIIème siècle par Pothier qui repartit le contenu du contrat en « trois choses différentes ». Il s'agit tout d'abord des « essentialia » c'est-à-dire des éléments qui sont de l'essence du contrat. D'après lui, ce sont des choses " sans lesquelles le contrat ne peut subsister. Faute de l'une ou de l'autre de ces choses, ou il n'y a point du tout de contrat ou c'est une autre espèce de contrat "

Par exemple, il est de l'essence du contrat de vente qu'il y ait une chose à vendre et qu'il y ait un prix (d'achat). C'est pourquoi si quelqu'un vend une chose en sachant qu'elle a cessé d'exister, il n'y aura pas de contrat. Il ne peut pas y avoir de contrat de vente sans une chose qui ait été vendue. Si la cession d'un objet à un tiers se fait sans paiement, nous parlerons de cadeau ou de don, mais nullement pas de vente. Dans ces exemples, le défaut de l'une de ces choses qui sont de l'essence du contrat (d'une entente et de l'exécution d'une condition sine qua non) empêche qu'il y ait une sorte de contrat.

Ensuite viennent les « naturalia » c'est-à-dire les éléments qui dérivent de la nature du contrat sans être de son essence. Ces choses font partie du contrat quoique les parties contractantes ne s'en soient expliquées ; elles peuvent même y être sous entendues. Elles diffèrent des " essentialia" en ce "que le contrat peut subsister sans elles et qu'elles peuvent être exclues du contrat par la volonté des parties". Ces éléments constituent le champs d'application des clauses limitatives de responsabilité.

Enfin, il y a les « accidentalia » ou les éléments accidentels du contrat. Ces éléments, sans résulter de la nature du contrat, ni de son essence, y sont renfermés par des clauses particulières.

L'intérêt de cette distinction est que certains de ces éléments sont inhérents au contrat et ne peuvent en être séparés tandis que d'autres en sont facilement séparables notamment par le jeu de la volonté des parties. Aussi, il apparaît que l'obligation essentielle est constituée d' « essentialia ». Cela implique qu'on peut expliquer la notion d'obligation essentielle par la théorie d'objet du contrat. C'est d'ailleurs pourquoi l'objet du contrat est compris souvent comme le contenu fondamental ou essentiel du contrat.

PARAGRAPHE II : L'OBLIGATION ESSENTIELLE : REFLET DE LA THEORIE DE L'OBJET DU CONTRAT

Cette idée est reçue de la thèse (précitée) de M. Delebecque. En effet cet auteur explique l'obligation essentielle par la notion d'objet du contrat. Dans ce cas l'objet du contrat cesse d'être considéré comme le simple contenu du contrat mais plutôt comme le contenu essentiel et fondamental du contrat. Ainsi, l'auteur donne une définition de ce nouvel objet du contrat : « l'objet du contrat désigne la prestation à propos de laquelle l'accord de volontés intervient , autour de laquelle s'ordonne l'économie du contrat. Quand le contrat est conclu, il devient l'objet d'une obligation : c'est donc toujours bien de l'objet d'une obligation qu'il s'agit, mais cette prestation est l'élément en l'absence duquel les parties n'auraient songé à former le contrat, c'est à elle que se rapporte les autres obligations que le contrat ne peut créer ; elle absorbe, en quelque sorte, l'utilité économique du contrat. On est fondé à dire en ce sens que elle est l'objet du contrat. »

Cette définition a le mérite de mettre en valeur l'objet du contrat. Elle contribue à créer un renouveau de la théorie qui jusque là était considérée comme le simple contenu du contrat. Dans cette nouvelle perception on constate que l'objet du contrat ne se compose que d' « essentialia ». De ce fait, cette vision se démarque de la composition triptyque que Pothier avait établi à propos du contenu du contrat. Le raisonnement de M..Delebecque assimile l'objet du contrat à l'obligation essentielle. Ce point de vue est partagé par un autre auteur qui précise que « à la prestation essentielle correspond la notion d'objet du contrat ».

Dans l'arrêt du 2 décembre1997, la Cour de cassation a abondé dans ce sens en parlant d'obligation substantielle. La substance du contrat renvoie sans aucun doute à la notion d'objet mieux qu'à la notion de cause. De plus la dite décision n'était pas fondée expressément sur la notion de cause comme l'arrêt Chronopost1 ou Securinfor. Il est évident que l'objet du contrat peut être reçu comme un reflet de la notion d'obligation essentielle surtout si l'on tient compte que l'objet renvoie aux aspects quantitatifs du contrat et que ces aspects sont d'une très grande nécessité quand on doit apprécier l'obligation essentielle. Mais est-ce que l'objet du contrat peut être pris comme un fondement inébranlable de la notion d'obligation essentielle ?

Il semblerait que non. La notion de l'objet est très vague. Avec elle, l'on ne sait pas avec précision quand le contrat sera anéanti pour non respect de l'obligation essentielle. Aussi, l'incursion de nouvelles obligations dans le champ contractuel tend à étendre la notion d'objet du contrat, ce qui fait qu'on ne peut plus se fier complètement à cette notion comme fondement sûr de l'obligation essentielle. Cela n'a pas échappé à cet auteur qui a fait remarquer que « le contenu du contrat a été étendu à l'extrême par la jurisprudence qui y a ajouté certaines obligations accessoires comme l'obligation de sécurité qu'il convient de rejeter comme appartenant au contenu obligatoire du contrat ».

Parlant justement des insuffisances de la notion ici étudiée, M.Delebecque, considère que les failles de la notion d'objet du contrat « dévoileront que seul le concept de la cause est capable de regrouper en totalité les idées que renferme le nom générique d'obligation fondamentale et de donner ainsi la compréhension de cette notion ».

La théorie de la cause du contrat est-elle le fondement le plus sûr de la notion d'obligation essentielle comme l'affirme cet auteur ?

SECTION II : LA THEORIE DE LA CAUSE DU CONTRAT

La théorie de la cause du contrat est très complexe car son sens dépend de l'histoire et de l'utilisation pratique qui en est faite : la cause du contrat est une notion historique et fonctionnelle. L'histoire de la cause du contrat a commencé bien avant le Code civil car la notion existait déjà et dans le droit romain et dans le droit canonique. Après le Code civil, la notion traversa trois périodes, on est allé d'un causalisme initial à un anti-causalisme rude, pour revenir à un néo-causalisme. Dans le Code civil, la cause du contrat est prévue dans les articles 1131 à 1133.

Le causalisme a existé durant tout le 20ème siècle. La cause du contrat était vue dans sa conception abstraite et faisait du consentement la seule source du contrat. Cette cause là s'opposait à l'objet du contrat . Le causalisme était défendu par DOMAT.

L'anticausalisme s'est développé à la fin du siècle dernier. PLANIOL était le plus fervent des anticausalistes . Il démontra que la théorie de la cause du contrat était historiquement et logiquement fausse et inutile. Il reprochait à la théorie son absurdité et le cercle vicieux dans lequel elle s'enfermait.

Le néocausalisme consacre le renouveau de la cause du contrat. Celle ci n'est plus seulement une notion abstraite, elle permet de lutter contre certains abus contractuels; elle est le gage de la liberté contractuelle .

Au titre de cette partie sur la cause du contrat, nous allons présenter les différentes analyses causalistes (paragraphe I) et ce n'est après que nous pourrons aisément démontrer si la cause du contrat peut mieux rendre compte de la notion d'obligation essentielle ( paragraphe II).

PARAGRAPHE I : LES DIFFERENTES ANALYSES CAUSALISTES

Elles sont diverses mais une synthèse simplifiée permet de ne retenir que deux tendances :

A) Analyse unitaire

Elle est due à H.CAPITANT . Elle engendre deux principaux effets :

1° La cause est un élément permanent du contrat d'où son caractère objectif ;elle est donc inévitablement la contrepartie d'une obligation. Selon M.Delebecque reprenant Capitant, «Dans les contrats synallagmatiques où chacune des parties est créancière et débitrice de l'autre, la cause de l'obligation de chaque contractant se trouve dans la satisfaction de l'obligation qui doit lui être procurée par l'autre. Dans le contrat de vente, si l'acheteur s'oblige à payer le prix, c'est qu'il compte que le vendeur lui livrera la chose, réciproquement, si le vendeur s'oblige à livrer la chose, c'est qu'il compte que l'acheteur lui paiera le prix. En somme, la cause de l'obligation d'une partie réside dans l'existence et l'exécution de son obligation par l'autre. Il existe ainsi entre les obligations une interdépendance qui assure l'équilibre du contrat . Qu'une obligation vienne à manquer, l'équilibre est rompu et le contrat tombe ». Ainsi, la cause implique qu'un contractant ne s'engage pas sans contrepartie. Cette philosophie est au coeur de certaines décisions de la Cour de cassation.

2° La cause comprend certains motifs que l'on peut qualifier de déterminants d'où son caractère subjectif. Ces motifs doivent être déterminants et communs aux deux parties. Le motif déterminant c'est celui sans lequel la décision n'aurait pas été prise. Pour Capitant un motif n'est déterminant que s'il est commun aux deux parties. Mais un motif étant toujours individuel, pour qu'il soit commun il suffit que le contractant le porte à la connaissance de l'autre.

L'analyse unitaire ne semble pas envisager toutes les subtilités de la notion de cause c'est pourquoi on a fait recours à une autre analyse mais différente.

B) Analyse dualiste

Elle est basée sur les différentes fonctions de la notion de cause. Il est admis de façon générale que la cause n'a pas le même contenu selon la fonction qu'elle remplit. Son existence est vérifiée de façon abstraite et objective et c'est là qu'on parle de cause de l'obligation. L'absence de cause peut être totale, elle se confond très généralement avec l'absence d'objet. Elle peut être partielle mais n'entraîne pas la nullité du contrat comme la lésion.

Depuis quelques années l'absence de cause est définie de façon extensive; car elle se dissout dans la notion d'économie du contrat .

La notion d'économie du contrat n'implique pas une absence totale de contrepartie, mais l'absence d'intérêt qu'une des parties trouve dans l'exécution du contrat sous réserve que cet intérêt manqué résulte initialement de l'économie du contrat. La notion d'économie du contrat a été utilisée par la Cour de cassation à l'occasion de l'arrêt Vidéoclub. En l'espèce, la location de vidéo cassettes pour une exploitation commerciale a été annulée pour « défaut de contrepartie réelle » car celle-ci s'est révélée impossible en l'absence de clientèle dans un petit village rural.

Dans cette affaire, en décidant que la cause est déterminée en fonction de « l'économie (du contrat) voulue par les parties », l'absence de cause résultant de l'impossibilité d'exécuter le contrat selon cette économie, la haute juridiction a par là même substitué la cause « subjective impossible » à l'absence de cause objective comme source de nullité des conventions . Cette solution donne le départ à une nouvelle « conception unitaire et d'inspiration subjectiviste de la cause » . Selon cette nouvelle conception, la cause serait le but contractuel commun aux parties ou poursuivi par l'une d'elles et pris en compte par l'autre; le défaut de cause s'identifierait à l'impossibilité pour les parties d'atteindre ce but contractuel. Avec cette nouvelle conception, la distinction classique de la cause objective et subjective, retenue par la majeure partie de la doctrine contemporaine n'est plus tout à fait de mise.

Dans un contrat synallagmatique, la notion d'économie du contrat ne se réduit pas seulement à la connexité des obligations réciproques ; mais peut comprendre l'insertion du contrat au sein d'un groupe ou quelque avantage extérieur procuré à l'une des parties par la conclusion du contrat.Produit dérivé de la subjectivisation de la cause, la notion d'économie du contrat ne fait pas l'unanimité en doctrine car celle-ci, dans sa majorité, lui est hostile. La doctrine reproche à cette notion d'être un encouragement au manque de prévoyance du contractant. En effet, elle permet à celui qui prend le risque d'entreprendre, de se délier du contrat, quand il a mal évalué le risque de son entreprise; et conduit à faire supporter ce risque par celui qui a, par exemple; prêté de l'argent ou financé. Par ailleurs, la notion a été critiquée comme faisant échec à la volonté qui a été clairement exprimée; donc elle conduit à une atteinte à la liberté de la volonté. Enfin, on l'accuse de porter un mauvais coup à la stabilité contractuelle.

A notre avis ces critiques ne sont pas tout à fait fondées car la notion d'économie du contrat peut permettre de sauver des contrats et non seulement de les anéantir.

La notion de cause sert aussi à vérifier la licéité des intentions des contractants : elle est alors appelée cause subjective ou cause du contrat. Le contrôle de la licéité est celui du motif déterminant. Il n'est pas nécessaire que ce motif illicite soit commun aux deux contractants . «IL suffit que l'une des parties utilise le contrat à des fins illicites ou immorales pour que l'intérêt général exige son anéantissement ... Afin de multiplier les chances d'une annulation,, qu'exige l'intérêt général, il faut non seulement que la nullité soit absolue, ce qui permet aux deux parties de la demander, mais aussi que la psychologie du contractant irréprochable ne soit pas prise en considération, tout au moins comme la condition de la nullité»

Ces deux aspects de la cause ne sont pas sans lien car parfois l'absence de cause constitue une cause illicite. La cause illicite c'est celle qui est contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs. Le concept de bonnes moeurs aussi a connu un renouveau.

La notion de cause ainsi expliquée peut elle avoir les rapports certains avec l'obligation essentielle ?

PARAGRAPHE II : L'EXPLICATION DE L'OBLIGATION ESSENTIELLE PAR LA THEORIE DE LA CAUSE DU CONTRAT

Grâce aux explications que nous venons de donner, on peut faire la distinction entre la cause du contrat et la cause de l'obligation.

La cause du contrat sert à contrôler la licéité dudit contrat. La cause de l'obligation, quant à elle, sert à vérifier l'existence et la réalité de la cause.

Dans notre tentative d'explication de l'obligation essentielle par la cause, nous nous intéresserons à la seule cause de l'obligation sans doute parce que celle-ci implique une certaine notion de contrepartie. Est ce que cette cause là sert à expliquer parfaitement les applications de l'obligation essentielle?

Pour répondre à cette interrogation, nous allons partir des différentes étapes de l'existence du contrat :

La phase de formation du contrat : si l'existence et la licéité de la cause doivent être vérifiées à la formation du contrat, et si à ce moment précis les prestations se servent mutuellement de causes; on peut, dans ce cas, dire que la cause du contrat correspond à l'obligation essentielle. Mais si on appréhende la cause comme H.Capitant, à savoir l'exécution de son obligation par un contractant; l'obligation essentielle ne correspond pas forcément à la cause. Autrement dit, dans cette hypothèse, la cause du contrat ne serait plus l'obligation essentielle mais l'exécution ou les effets de cette obligation .

Ainsi, pour qu'une obligation ait une cause, il faut que le contractant exécute son obligation principale et que cette exécution corresponde à l'attente de l'autre partie. Cela s'entend bien si l'on sait que « la vie l'obligation une fois qu'elle est née, reste subordonnée à la réalisation de la fin poursuivie, car si cette fin ne se réalise pas, il n'est pas admissible que l'obligation garde sa force obligatoire ... »

La phase de l'exécution et de l'extinction du contrat : ici, c'est le mécanisme de la résolution pour inexécution du contrat qui démontre que la notion de cause peut être prise comme l'expression de la notion d'obligation essentielle. Selon ce mécanisme (comme nous allons le démontrer dans la partie sur le rôle de l'obligation essentielle), l'inexécution d'une obligation par l'une des parties, supprime la cause de l'obligation de l'autre. Certains auteurs précisent que « la résolution est justifiée par la disparition de la cause en cours d'exécution du contrat » et qu'elle ne peut être prononcée que si l'inexécution est suffisamment grave pour que l'obligation de l'autre partie manque de cause.

Sur un plan plus pratique, il faut reconnaître que la cause paraît le fondement le plus sûr pour l'obligation essentielle. En effet, la jurisprudence fait appel généralement à la notion de cause chaque fois que l'exécution d'une obligation essentielle se trouve menacée notamment par la disparition de la cause liée à une inexécution totale ou partielle ou par une clause afférente à la responsabilité contractuelle. Cette logique fut adoptée par la Cour de cassation au sujet de l'arrêt Chronopost et confirmée six ans plus tard dans l'arrêt Securinfor qui est une espèce siamoise de Chronopost . Ces deux décisions méritent notre attention.

Dans l'affaire Chronopost, il était question d'une société (Banchereau) qui avait confié, à deux reprises, un pli contenant une adjudication. La société Chronopost s'était engagée à acheminer celui-ci le lendemain de leur envoi avant midi. La société Chronopost n'ayant pas tenu cet engagement, la société Banchereau l'assigne en réparation du préjudice subi. Cette prétention se heurte toutefois à la clause limitative de réparation que Chronopost avait incluse dans le contrat. Cette dernière limitait le montant de la réparation au prix payé par l'expéditeur.

Le Tribunal de Commerce de Nantes avait, le 17 septembre 1992, condamné la société Chronopost sur le fondement de la faute lourde. Mais cette décision fut infirmée par la Cour d'Appel de Rennes, le 30 juin 1993. Cette dernière relevait que, « faute d'établir l'existence » d'une telle faute, la clause limitative de responsabilité devait être appliquée. L'arrêt du 22 octobre 1996 casse cette décision et répute non écrite la clause limitant la responsabilité au remboursement du prix du transport. La Cour d'appel de renvoi (Caen) enregistra cette solution tout en la complétant sur deux points :1) la Cour de Caen avait considéré que l'obligation de livrer dans le délai convenu devait s'analyser en une obligation de résultat dont le manquement engage la responsabilité du transporteur spécialiste du transport rapide.

2) la Cour de Caen avait déclaré inapplicable le droit commun des transports dans la mesure où le contrat comportait une obligation particulière de garantie de délai et de fiabilité. Elle justifiait cette démarche par le fait que seule la clause d'exonération était réputée non écrite mais qu'en revanche la stipulation de l'obligation essentielle, dérogatoire au droit commun des transports, restait intacte.

La Cour de cassation casse la décision de la Cour de Caen et renvoie l'affaire devant la Cour d'appel de Rouen. Pour ce faire, la haute juridiction relève que l'annulation de la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard de livraison, entraîne l'application du plafond légale d'indemnisation que seule une faute lourde pourrait tenir en échec et que le manquement de Chronopost à son obligation essentielle conduit à une absence de cause pour le client.

L'intérêt d'un tel arrêt ne fait pas de doute, vue la complexité de la procédure. Tout d'abord, il confirme l'influence du droit de la consommation sur le droit commun. Ensuite, il restitue à la notion de cause du contrat toute sa valeur. En effet, l'obligation de célérité générée par le contrat à la charge de la société Chronopost constituait la cause de l'engagement de la société expéditrice et justifiait le supplément de prix à la charge de celle-ci. Donc ici, il y a une interdépendance entre la rapidité et le prix élevé que paie l'adhérent. C'est justement à cause de cette rapidité que la société Bancherau a fait appel aux services de son cocontractant. Si la rapidité n'est pas respectée, l'obligation de Bancherau de payer si cher n'a plus de cause. Car on ne peut imaginer les parties valablement conclure tout en excluant la cause de leur engagement. De plus, en privant l'obligation de célérité (considérée comme essentielle en l'espèce) d'effets, on privait par la même occasion de cause l'obligation réciproque de l'expéditeur.

L'arrêt Chronopost bénéficie d'une appréciation controversée par la doctrine. Selon certains auteurs, cette décision est liée à la théorie de la cause selon Capitant. Ainsi, la cause serait devenue un instrument de justice commutative du fait de la prise en compte de l'équilibre du contrat par les juges; « la théorie de la cause permet de corriger l'économie du contrat, d'en rééquilibrer le contenu par l'annulation de la clause qui est à l'origine du déséquilibre ». D'autres auteurs, par contre, relèvent le caractère inutile et calamiteux du recours à la notion de cause car cela conduit à faire l'impasse sur l'article 1150 du Code civil, sauf faute dolosive.

Au delà de tout cela, tous les auteurs semblent d'accord pour considérer que le concept d'obligation essentielle est liée à la cause; seulement si la faute lourde n'est pas établie.

En dépit de cette controverse, la Cour de cassation semble restée fidèle aux règles qu'elle avait posées à propos de l'arrêt Chronopost. L'arrêt rendu par sa Chambre commerciale le 17 juillet 2001 en témoigne.

En l'espèce, il s'agissait de la société Securinfor qui avait conclu un contrat de maintenance du matériel informatique commercialisé par une autre société. Elle s'engageait à intervenir sur le site de la cliente dans un délai de « 48 heures chrono ». Ayant failli à cette obligation d'intervention, la cliente assigna Securinfor en paiement de dommages et intérêts, mais elle s'est vue opposer une clause limitative de responsabilité par Securinfor. Les juges du fond n'ont pas appliqué ladite clause. Ils furent approuvés par la Cour de cassation d'avoir « fait l'exacte application de l'article 1131du Code civil en retenant, pour écarter la clause limitative de responsabilité dont se prévalait la société Securifor; qu'une telle clause revenait à priver d'effet l'obligation essentielle souscrite par cette société ».

La similitude avec l'arrêt Chronopost est frappante. Une fois encore c'est la cause (à travers l'article 1131 du Code civil), qui est appelée au secours de l'obligation essentielle. De plus, cette décision consolide la construction jurisprudentielle selon laquelle lorsque le droit spécial est impuissant à corriger les excès de la liberté contractuelle, il y a un recours automatique au droit commun .

A travers ces décisions, on peut dire que la cause, bien que décriée par une partie de la doctrine, paraît être l'un des fondements sûr de l'obligation essentielle en ce sens qu'elle permet de condamner directement la clause portant sur l'obligation essentielle dès lors qu'elle est de nature à la priver d'effet.

Aussi ces deux décisions marquent une nouvelle ère dans la protection contre les clauses abusives. Avec elles, le domaine de la protection s'élargit, désormais, cette protection s'étend même aux professionnels. Cela était formellement exclu jusque là. Dans l'affaire Chronopost, le contrat était conclu entre professionnels car la société Banchereau contractait dans le cadre et pour les nécessités de son activité professionnelle. De même que dans l'arrêt du 17 juillet 2001 les parties en litige étaient toutes des professionnelles. Même si cette remarque est passée inaperçue aux yeux des commentateurs, nous pouvons dire que la Cour de Cassation, par le biais de la notion d'obligation essentielle, a aussi engagé la lutte contre les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels. En cela la jurisprudence française en matière de clauses abusives rejoint la jurisprudence américaine où les professionnels ont toujours étés protégés contre ces clauses.

L'obligation essentielle étant déterminée ainsi que ses fondements établis, il ne reste plus qu'à nous pencher sur son délicat rôle et l'épineuse question de sa sanction

Deuxième partie

ROLE ET SANCTIONS DE L'OBLIGATION ESSENTIELLE DANS LA PRATIQUE CONTRACTUELLE.

D'emblée, nous devons présenter ici la notion d'obligation essentielle dans ses aspects pratiques. Etant une notion de plus en plus incontournable en droit des contrats, l'obligation essentielle a évidemment un rôle capital à jouer. Ce rôle se constate à la formation du contrat,, à son exécution et à son extinction. Ce caractère omniprésent procure à la notion un intérêt indéniable. En clair, l'obligation essentielle régule les clauses afférentes à la responsabilité (chapitre 1er). En effet la prolifération de ces clauses, surtout dans les contrats d'adhésion, a provoqué la méfiance du législateur et du juge. Le premier, à travers ses outils favoris que sont les réglementations, se bat pour établir une certaine transparence en leur sein. Quant au second, à travers des montages juridiques tels que le forçage du contrat (art1134 lato sensu du code civil) et surtout la notion d'obligation essentielle ou principale, conditionne, façonne et modèle les clauses afférentes à la responsabilité.

Outre ces clauses, l'obligation essentielle joue un autre rôle qui n'est certainement pas le moindre. Ce dernier rôle consiste en son intervention dans l'inexécution du contrat. En effet, la notion d'obligation essentielle s'érige en condition de la résolution du contrat. Cet état de fait se constate tant en droit national qu'en droit communautaire. Ayant de telles fonctions, il est logique que la violation de la notion ici présentée soit sanctionnée. Dans la pratique, on rencontre deux catégories de sanctions de l'obligation essentielle. L'une exceptionnelle et surtout technique, c'est l'assimilation de la violation de l'obligation essentielle à la faute lourde. Cela implique que celle-là a le même régime juridique que celle-ci. L'autre, moins technique car classique, c'est soit la nullité du contrat soit sa disqualification.

Au titre de cette deuxième partie nous nous focaliserons surtout sur la pratique contractuelle. C'est dans ce sens que nous aborderons successivement le rôle et les sanctions de l'obligation essentielle dans deux chapitres respectifs.

CHAPITRE PREMIER : LE ROLE DE L'OBLIGATION ESSENTIELLE

Ici deux points susciteront notre attention. Il s'agit tout d'abord de détailler le rôle régulateur de l'obligation essentielle sur les clauses afférentes à la responsabilité (Section I) Ce n'est qu'ensuite que nous envisagerons l'intervention de la notion dans la théorie de la résolution du contrat (Section II).

SECTION I : L'OBLIGATION ESSENTIELLE ET LES CLAUSES AFFERENTES A LA RESPONSABILITE CONTRACTUELLE

Il existe une panoplie de clauses relatives à la responsabilité. Certaines ont pour fonction d'alourdir ou d'aggraver la responsabilité du débiteur en cas d'inexécution par celui ci de l'obligation contractuelle lui incombant (par exemple les clauses de garantie). D'autres à l'inverse allègent ou limitent la responsabilité du débiteur ou encore servent à écarter purement et simplement toute responsabilité:

- soit elles portent sur le contenu obligatoire donc sur l'obligation elle même.

- soit, ne portant pas à proprement dire sur l'obligation elle même, elles se bornent à façonner la responsabilité en écartant celle-ci ou encore en réduisant ou inversement en plafonnant la réparation conséquente de la responsabilité.

Ces clauses sont d'une importance pratique évidente surtout dans le domaine financier ou dans celui des affaires notamment pour l'industriel qui désormais pourra abaisser sa responsabilité au strict minimum. Toutefois, cette importance n'est pas apte à couvrir toutes les vicissitudes que les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité peuvent engendrer. Ces clauses, en effet, n'inspirent pas confiance notamment vis à vis de leur acceptation par la partie débitrice. Dans la pratique, elles ont très souvent pour siège les contrats d'adhésion, ce qui fait qu'elles sont rarement le fruit d'un échange de consentement. Cela ne semble pas inquiéter outre mesure les tribunaux qui, sous le couvert de la liberté contractuelle, se contentent d'une simple acceptation tacite du débiteur à condition que celui-ci ait, au préalable, pris connaissance de la clause.

Mais la tendance actuelle du droit étant indéniablement la protection du consommateur à tout prix, ces clauses sont de plus en plus très mal reçues. D'un point de vue déontologique, elles apparaissent même « malhonnêtes ». De plus, ces clauses sont fortement défavorisées par la réglementation sur les clauses abusives issues de la loi du 10 janvier 1978. Par ailleurs, l'article L 132-1 du code de la consommation, transposant la directive européenne du 5 avril 1993 sur les clauses abusives dans les contrats conclus entre consommateurs et professionnels, stipule clairement que : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effets de créer au détriment du non professionnel un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

L'alinéa 2 de cet article précise que les clauses abusives sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. Le décret numéro 78-464 du 24 mars 1978 a été pris dans ce sens. Ce décret a déclaré abusives les clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité dans les contrats de vente (mais pas dans les contrats de services). En 1991, une décision, de la Cour de cassation a donné l'aptitude au juge de déclarer abusives les clauses non prévues par le décret de 1978.

La diversité des clauses afférentes à la responsabilité nécessite une distinction (Paragraphe I) après cette dernière nous démontrerons l'influence de l'obligation essentielle sur elles (Paragraphe II).

PARAGRAPHE I : LES DIFFERENTES SORTES DE CLAUSES AFFERENTES A LA RESPONSABILITE.

Cette distinction a été mise en évidence très clairement par M. DELEBECQUE dans sa thèse précitée. De plus, la jurisprudence et la doctrine ont érigé des critères justifiant plus ou moins ladite distinction.(1) qui ne manque pas d'intérêts (2).

1° Les critères de la distinction

Les clauses relatives aux obligations diffèrent des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité en ce sens qu'elles « ont pour objet de déterminer les conditions de la responsabilité ».Ici, le critère proposé est l'objet de la clause. On pourrait imaginer dans ce cas que les clauses limitatives n'ont pas pour objet la détermination de la responsabilité. Mais pour certains auteurs, elles ont pour objet le montant de la réparation.

Cette vision est un peu simpliste car elle ne donne pas un vrai critère à la distinction. Un auteur, plus précisément .M. Albarzangi précise que le critère de la distinction de ces deux catégories de clauses « réside dans la réponse à la question suivante : la clause accorde t-elle au débiteur la faculté de s'abstenir délibérément de l'exécution de l'obligation ou de la diligence requise par le type de contrat, ou non ? En répondant par la négative, on est en présence d'une clause d'exonération de responsabilité. Sinon la clause écarte une obligation ou une partie de la diligence comprise par le type de contrat, en d'autres termes, elle concerne la détermination du contenu du contrat ; ou l'étendue de l'obligation ».

Un autre auteur, AUBIN, abondait déjà dans ce sens en 1897, au moyen de l'illustration suivante : « Primus propriétaire de chevaux les confie à Secundus propriétaire de prairies, qui accepte la surveillance; il accepte de nourrir les chevaux, de placer un gardien, de rentrer les animaux le soir. S'il stipule une clause d'exonération, il peut omettre volontairement de prendre certaines mesures de protection, sans commettre de faute : il peut par exemple ne pas placer de gardien, et s'il oublie une de ces précautions, auxquelles il est tenu, la clause lui dispensera d'en répondre. Mais pour qu'il y ait question d'étendue des obligations, il faut que la clause apparaisse dans l'esprit des parties comme donnant à Secundus le droit d'omettre telle ou telle mesure de précaution ».

Une seconde catégorie d'auteurs pensent que la dénomination de la clause dépend de « la volonté des parties », celles-ci ayant la volonté présumée d'alléger les obligations. Pour A.Tunc on peut « présumer, en règle générale, que les parties ont tenu la responsabilité pour la conséquence normale de l'obligation, et en déclarant rejeter la responsabilité, voulu écarter l'obligation ».

Ces deux thèses, bien que pertinentes chacune à sa façon, n'ont pas reçu l'adhésion totale de la doctrine. On les reprochait d'être superficielles et de ne pas aller au fond de la distinction. Cela nous conduit à une 3ème et dernière thèse représentée par M.Niboyet et M. Starck. Celle ci se base sur la notion même d'obligation. Ainsi, les prestations sont le domaine des clauses relatives aux obligations, tandis que la manière dont celles-ci doivent être exécutées constituent celui des clauses d'irresponsabilité. Pour M. Starck « il faut pour trouver le critère de la distinction des conventions exclusives d'obligation et des conventions exclusives de responsabilité, distinguer d'une part, l'objet de la promesse, d'autre part les facteurs susceptibles d'entraver son exécution.... L'objet de la promesse, c'est la prestation, c'est par exemple l'obligation de livrer une chose de tel genre ou un corps certain, « prester » un service ; mais on doit se garder de considérer la diligence du débiteur comme objet direct de la promesse. Une fois l'objet déterminé, il faut demander quels sont parmi les différents évènements propres à faire échouer l'exécution de la promesse -fautes, force majeure... ce que le débiteur prend à sa charge. Il faut en d'autres termes s'interroger sur l'étendue de la garantie dont jouit le créancier... Les conventions exclusives d'obligations intéressent l'objet même de la promesse. Les conventions exclusives de responsabilité visent l'étendue de la garantie. Elles ont pour objet de déplacer les risques d'inexécution du contrat, de mettre à la charge du créancier certains risques qui normalement pèsent sur le débiteur ».

En somme, la distinction entre les clauses relatives aux obligations et les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité est désormais fondée sur le critère de la prestation, objet de la promesse. Toutefois, en dépit de ce critère, la distinction en question reste purement difficile car parfois les deux types de clauses sont indissociables en pratique. Et la jurisprudence a encore des hésitations quant à retenir l'une ou l'autre qualification à propos du grief soulevé.

C'est ainsi que dans une décision du 22 novembre 1978, la première Chambre civile de la Cour de cassation a requis le caractère de clause délimitant l'obligation au sujet d'une clause manifestement limitative de responsabilité. En l'espèce le vendeur d'un engrais fait figurer sur les étiquettes un avertissement : « le produit peut être dans certaines utilisations inefficace et même nuisible ». La question soulevée était de savoir si cette clause était limitative d'obligation ou exonératoire de responsabilité.

La même ambiguïté s'est soulevée à propos de l'affaire Loto .Dans cette affaire il était question d'une clause d'un règlement du Loto qui prévoyait qu'au cas où le bulletin d'un joueur ne serait pas acheminé et traité par l'ordinateur central, la société de Loto ne rembourserait que la mise. Or, dans cette espèce, ce furent les préposés de cette société qui acheminèrent et traitèrent (mal) ces bulletins. Il fallait rechercher si cette clause était délimitative d'obligation ou limitative de réparation. La Cour de cassation a traité la clause comme délimitant l'obligation alors que pour la doctrine ce serait une clause limitative de responsabilité. Cette tendance va en grandissant car les tribunaux s'engouffrent de plus en plus dans un tâtonnement incroyable. Par exemple, ils ont traité de clause limitative de responsabilité les conditions générales d'un contrat de vente de meubles qui énonçaient que les délais de livraison étaient « indicatifs ».Or cette clause représentait la caractéristique d'une clause de délimitation d'obligation.Cette ambiguïté s'étend même à la transformation conventionnelle d'une obligation de résultat en obligation de moyen.

Ces différentes illustrations montrent toute la subtilité de la distinction des clauses afférentes à la responsabilité. Cette difficulté de distinction ne fait que confirmer tout l'intérêt que ladite distinction peut présenter!

2° intérêts de la distinction

Les clauses afférentes à la responsabilité sont différentes par nature. Cette différence de nature commande une différence de régime juridique. Et c'est là que réside tout l'intérêt de la distinction de ces clauses. Toutefois, la différence de régime juridique n'empêche pas que ces clauses soulèvent les mêmes difficultés juridiques résolues par les mêmes concepts de droit (la cause, l'objet, le consentement).

Les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité ont un régime connu. Ces conventions sont enfermées dans d'étroites limites. Le plus souvent elles sont nulles car on les considère comme incitant le débiteur à l'irresponsabilité. Par ailleurs leur nullité peut s'expliquer par des considérations morales. En effet, il paraît illogique voire malhonnête de la part d'un débiteur d'assurer une obligation tout en se déclarant irresponsable de sa violation. De plus, l'autonomie de la volonté qui procure à ces clauses leur force obligatoire n'est pas illimitée: la liberté contractuelle comme toute autre liberté est limitée quelque part.

Cependant les clauses exonératoires de responsabilité ont un principe de validité, c'est-à-dire qu'elles sont valables sauf prohibition expresse. Dans ce contexte, elles s'imposent aux parties comme au juge. Cela n'empêche pas non plus au législateur d'intervenir dans leur domaine. Celui-ci intervient par rapport à ces clauses dans quatre types de contrats : les contrats de transport, de vente , de bail et de travail).

Dans le contrat de transport, la validité de ces clauses dépend du type de contrat de transport considéré (le contrat de transport aérien; maritime, ferroviaire, routier, interne ou international). En outre, ces clauses ne sont valables que si elles sont acceptées par les parties. Cette condition fut établie par la Cour de cassation depuis 1967 en ces termes : « La clause de non responsabilité doit avoir été voulue par les parties et dans les conditions ordinaires de la formation des conventions ; ainsi, il appartenait à l'aéro-club et à son assureur de rapporter la preuve de l'accord des parties dont ils se prévalaient ».

Dans le contrat de transport terrestre de marchandises, la Loi Rabier du 17 mars 1905, soit l'article L133-1 du code de commerce, interdit ces clauses. Mais, il arrive que les tribunaux les reçoivent exceptionnellement. Dans le contrat de transport maritime de marchandises et de personnes, la loi du 18 juin 1968 dans ses articles 29et 30, écarte les clauses exonératoires de responsabilité. Il en est de même pour le contrat de transport aérien de marchandises ou de personnes où les articles L321-3 et L322-3 du Code de l'aviation civile écartent ces clauses.

Les clauses limitatives de responsabilité restent valables dans ces mêmes domaines. Dans un arrêt de principe., la Cour de cassation a relevé que : « La clause litigieuse a pour effet non de supprimer la responsabilité de la compagnie mais de réduire l'indemnité en compensation de la diminution du prix du transport résultant de l'application du tarif spécial. »

Cependant dans le domaine des dommages causés par les produits défectueux ou des dommages causés aux personnes, aucune clause limitative et exonératoires de responsabilité n'est reçue . Dans le premier cas, l'article 1386 du Code civil est plus qu'explicite: « Les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits défectueux sont interdites et réputées non écrites ». Dans le second cas, c'est-à-dire des dommages causés aux personnes, la doctrine prônant le caractère sacré de l'intégrité de la personne humaine et le droit à la sécurité met en garde contre toute transaction. Mais, il faut reconnaître qu'aucun texte juridique ne semble à priori s'opposer aux conventions relatives aux conditions de la réparation du dommage corporel faisant suite à l'inexécution d'une obligation contractuelle. En tout cas, la jurisprudence actuelle n'a jamais formulé de condamnation générale dans ce sens du moins à notre connaissance.

Si elles sont valables, les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité sont efficaces en cas de faute légère ou ordinaire du débiteur. Mais si le créancier arrive à démontrer que le débiteur a commis une faute lourde ou dolosive, l'exonération et la limitation ne jouent plus. Ce principe résulte d'une jurisprudence constante depuis 1959 « seuls la faute lourde ou le dol de la partie qui invoque, pour se soustraire à son obligation, une clause d'irresponsabilité insérée au contrat ou acceptée par l'autre partie, peuvent faire échec à l'application de ladite clause ». Cette jurisprudence est confirmée par l'arrêt Chronopost que nous venons de commenter.

Quant aux clauses relatives aux obligations, certains auteurs comme M.Starck et même certaines décisions de justice soutiennent que la faute lourde ou le dol laissent jouer ces genres de clauses; autrement dit, « on ne commet ni dol ni faute lourde en n'exécutant pas valablement une obligation non assumée : c'est là une évidence ».

Pour terminer avec cette partie sur les intérêts de la distinction des clauses afférentes à la responsabilité, il faut juste relever que ces clauses coexistent avec d'autres clauses telles que les clauses pénales qui prévoient une indemnité forfaitaire en cas d'inexécution totale ou partielle ou tardive du contrat; les clauses relative aux conditions de naissance et d'extinction de la responsabilité qui ont pour but d'attacher un effet exonératoire à des évènements qui d'ordinaire ne sont pas de nature à exempter le débiteur d'une obligation de résultat.

PARAGRAPHE II : L'INFLUENCE DE L'OBLIGATION ESSENTIELLE SUR LA VALIDITE DES CLAUSES AFFERENTES A LA RESPONSABILITE CONTRACTUELLE

A) L'OBLIGATION ESSENTIELLE : LIMITE A LA VALIDITE DES CLAUSES AFFERENTES A LA RESPONSABILITE EN DROIT FRANCAIS

Si en vertu de la liberté contractuelle les parties ont la faculté d'alléger les obligations résultant de leur convention, cette faculté est restreinte notamment par la notion d'obligation essentielle. Ainsi, les clauses délimitant les obligations contractuelles ne peuvent pas porter sur toutes les obligations contenues dans le contrat. Si les parties peuvent faire ou défaire les obligations accessoires; leur moyen d'action en ce qui concerne les obligations essentielles est limité. Elles peuvent y porter certes des allègements mais jusqu'à un certain seuil seulement. Si le débiteur d'une obligation essentielle ne peut esquiver son exécution par le jeu des clauses de non obligation, il peut par contre réduire cette obligation à son expression la plus simple. Ainsi la clause portant sur l'obligation essentielle doit laisser un sens et une utilité au contrat. Elle n'est donc efficace ou valable que si elle n'attente pas à l'équilibre économique de la convention. Si c'est le cas, la convention manquerait par là même de cause et serait du coup inutile. Par exemple un bailleur qui ne s'engage pas à assurer la jouissance de la chose louée ne s'engage à rien et du coup l'obligation réciproque du locataire (payer le loyer ) sera dépourvue de cause. Même disposant comme elles veulent de l'obligation accessoire, les parties dès qu'elles « essentialisent » celle-ci; elles ne pourront plus la modeler ni lui porter des atteintes que si celles-ci sont de nature à ne pas la vider de son essence.

Depuis 1863, il est établi qu' « un contrat ne peut légalement exister s'il ne renferme pas les obligations qui sont de son essence ». Si une clause de non obligation porte atteinte à une obligation essentielle du contrat, soit celui-ci sera qualifié (car la dénomination d'un contrat relève souvent de l'essence qu'il renferme) soit il sera atteint de nullité partielle, ce qui consolide le droit du créancier. Dans la pratique, la clause portant atteinte à l'obligation essentielle n'est pas nulle elle est seulement réputée non écrite c'est-à-dire censée n'avoir jamais existée. Cette solution à laquelle nous reviendrons plus amplement (dans la partie sur la sanction de l'obligation essentielle ) se comprend aisément quand on passe en revue les ambitions du juge pour le contrat. Très certainement cette solution découle de la volonté du juge de recourir le moins possible à la nullité. Mais ladite solution peut paraître ambiguë quant on sait que l'obligation essentielle est l'essence du contrat dont toute violation doit entraîner logiquement la destruction du contrat. Dans tous les cas, c'est une solution qui confirme que le contrat ne demeure pas totalement la chose des parties. Ce même raisonnement vaut pour les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité. Dans le cas où elles portent sur une obligation essentielle; elles sont purement et simplement écartées. Pour ce faire, le créancier n'aura qu'à prouver uniquement l'inexécution de l'obligation indépendamment de toute faute lourde. Celui-ci à son tour ne pourra s'exonérer qu'en démontrant la force majeure ou la cause étrangère. Très souvent, la clause limitative ou exonératoire de responsabilité violant l'obligation essentielle n'est pas nulle, elle est tout simplement réputée non écrite tout comme la clause délimitant l'obligation. C'est d'ailleurs ce que consacre l'arrêt Chronopost1 en ces termes : « ... la clause violant la portée de l'obligation essentielle est réputée non écrite... ».

Ainsi il apparaît clairement qu'en droit français, l'obligation essentielle constitue la limite des clauses afférentes à la responsabilité. Quid droit comparé?

B) L'OBLIGATON ESSENTIELLE ET LES CLAUSES DE RESPOSABILITE EN DROIT ANGLAIS ET EN DROIT BELGE.

La notion d'obligation essentielle est présente dans presque tous les systèmes juridiques des autres pays européens. Mais le sort des clauses de responsabilité en face de l'obligation essentielle varie d'un système à l'autre et est particulièrement intéressant en droit anglais et en droit belge.

- EN DROIT ANGLAIS

En droit anglais, il existe trois catégories principales de clauses afférentes à la responsabilité :

1) L'exception clause est la clause qui participe à la détermination de l'obligation du débiteur tout en la renforçant.

2) La limitation clause est l'équivalente de la clause limitative de responsabilité en droit français; elle rend souples les conséquences découlant de l'inexécution.

3) L'exemption clause a pour effet de restreindre, voire réduire à néant, la responsabilité découlant de l'inexécution d'une ou de plusieurs obligations.

Le droit anglais connaissait l'application automatique des clauses correctement rédigées. Cet automatisme fut écarté par la création de la théorie de l'inexécution fondamentale ou de la « Fundamental breach of contract » en 1950. Avant la notion de «fundamental breach of contract », la structure du contrat en droit anglais était constituée de deux éléments : les conditions et les warranties.

- Les conditions sont des droits qui forment l'essence même du contrat, ceux atteignant la substance du contrat et essentiels à sa nature à tel point que s'ils ne sont pas respectés l'autre partie peut équitablement considérer ce manquement comme une inexécution totale. D'autres auteurs, en occurrence Pratt et Haynes ont formulé cette definition des conditions en anglais de la façon suivante : « A condition is a term which goes so directly to the substance of the contract or in other words, is so essential to its nature that its non performance may fairly be considered by the other party as a subtancial failure to perform the contract all ».

- Les warranties sont des obligations non essentielles destinées le plus souvent à régler par des stipulations variables la situation de fait créée par l'exécution des conditions. La distinction conditions / warranties prime le droit anglais des clauses d'irresponsabilité.

La notion de « fundamental breach of contract » a donné naissance à un nouveau constituant du contrat en plus des conditions et des warranties. C'est le « fundamental term » ou la clause fondamentale. La jurisprudence anglaise de l'époque a décidé que les « fundamental terms » du contrat sont des éléments essentiels du contrat et qu'à leur égard on ne peut faire jouer aucune clause de non responsabilité. Sinon « la non exécution du contrat est totale et ce serait taxer les parties d'absurdité dans leur comportement que de penser qu'elles ont à la fois voulu faire un contrat d'une part et qu `elles ont entendu stipuler d'autre part, que ce contrat pourrait ne pas être exécuté à la place sans que leur responsabilité soit engagée. Une interprétation du contrat exige que malgré la clause de non responsabilité il existe quelque chose du contrat ».Ainsi, l'inexécution totale sert de fondement à la doctrine de « fundamental breach ». Pour illustrer cette affirmation un auteur Lord Aminger a fait la déduction suivante à l'occasion de l'arrêt Chanter v. Hopkins. Celui-ci précisait que dans un contrat sur la vente de pois, la livraison de haricots ne constituera pas une exécution correcte du contrat et qu'aucune clause d'exonération ne pourra jamais excuser l'envoi de haricots à la place de pois commandés. Il ajouta aussi que dans un contrat sur la vente d'acajou; l'envoi de bois de pin constituera une inexécution totale insusceptible d'être couverte par une clause d'exonération mais que si le vendeur avait livré de l'acajou de mauvaise qualité, la clause d'exonération aurait pu s'appliquer car, précise-t-il, la livraison de pin est un breach of fundamental terms tandis que celle d'acajou de mauvaise qualité est un simple « breach of contract ».

Les clauses d'exonération même efficacement rédigées ne peuvent détruire le fondamental term. Cette théorie d'inexécution fondamentale apparut par la suite très nuisible notamment dans le monde des affaires. De plus, elle servait d'alibi au juge qui pouvait désormais intervenir dans le contrat chaque fois qu'il jugeait l'inexécution fondamentale. La doctrine la critiquait comme manquant de logique interne . Les auteurs dénonçant cet illogisme, rejetaient le fait que le contrat prenne fin par sa seule inexécution imparfaite, inexécution qui rendrait inapplicable la clause exonératoire. Ils dénonçaient aussi le fait que les tribunaux acceptent l'action engagée par la partie lésée sur la base du contrat litigieux tout en écartant l'application de la clause qui répartissait le risque. Ces critiques ont conduit la jurisprudence à considérer non seulement l'inexécution mais aussi ses conséquences. Ce revirement apparut très efficace; à tel point que la Court of appeal a tenté d'élever la théorie de « fundamental breach » en règle de droit. Cette prétention n'a pas reçu l'approbation de la Chambre des Lords qui campait sur le fait que l'inexécution fondamentale ne peut en aucun cas être considérée comme une règle de fond. Pour elle, c'est une règle d'interprétation. Cette position de la chambre des Lords fut constatée en 1966 dans l'arrêt Suisse Atlantique en ces termes : «Si l'interprétation normale des clauses d'exonération consiste à dire que ces clauses ne jouent pas en cas de « fundamental breach of contract » il ne s'agit là que d'une règle d'interprétation (a rule of construction) et non d'un principe de droit (a rule of substantive Law) » . Cette position tranchée de la Chambre des Lords n'a pas tout de suite dissuadé la Court of appeal; celle-ci continuait à voir en l'inexécution fondamentale une règle de fond. Cela a incité la Chambre des Lords à confirmer aussi sa position précisément à l'occasion d'un arrêt dit Photo Production . L'espèce portait sur une usine incendiée par un des gardiens de la société chargée de la surveiller. A ce sujet, la Chambre des Lords précisa qu'une inexécution « si fondamentale qu'elle puisse paraître ne peut remettre en cause l'exécution du contrat ».

En somme, nous pouvons conclure que les clauses d'exonération ne sont reçues en droit anglais que si l'inexécution qu'elles couvrent n'atteint pas l'essence du contrat. C'est d'ailleurs ce que pense le Lord Justice Denning qui précisait à propos du contrat de dépôt que «l'essence du contrat pour un entrepositaire est de conserver les marchandises au lieu prévu et de les restituer à la demande du déposant. S'il les conserve dans un endroit différent ou s'il les conserve mal ou s'il les détruit, s'il les vend ou s'il les donne sans raison à quelqu'un d'autre, il commet une rupture fondamentale du contrat et ne peut invoquer les clauses d'exonération qu'il a stipulées. »

Il ressort de ces différents développements que l'obligation essentielle constitue aussi la limite à la validité des clauses exonératoires en droit anglais. Qu'en est-il en droit Belge?

- EN DROIT BELGE

Parlant des clauses de responsabilité en doit belge, Paul Durand utilisait la formule suivante :« Alors que la validité et les effets de la clause d'exonération de responsabilité ont donné dans la jurisprudence française à des hésitations sans fin, au point que, plus de 50 ans après, l'incertitude est encore complète sur la théorie de ces clauses, la doctrine de la Cour de Cassation (belge) est d'une rare simplicité de lignes».

Ainsi, les clauses de responsabilité n'ont pas eu beaucoup de mal à se faire accepter en droit belge. Elles ont tout de suite eu une validité de principe. Mais une interdiction textuelle ou l'intention de nuire peuvent entraver cette validité. De même, si ces clauses réduisent de par leur nature la valeur économique de la prestation promise et que cette réduction se révèle en une absence d'obligation; elles se rendent par de ce fait non valables. La doctrine belge prêche l'existence dans tout contrat d'une obligation minimale à la charge du débiteur, obligation que les parties ne peuvent s'amuser à abaisser par quelque clause que ce soit sans porter atteinte à l'essence du contrat.

A l'instar du droit anglais, on remarque que les notions d'obligation essentielle, ou d'essence du contrat ou d'économie du contrat sont de vrais critères encadrant le domaine des clauses afférentes à la responsabilité. Cette tendance demeure le sens de la jurisprudence belge en la matière depuis une décision de la Cour de cassation belge du 23 novembre 1911. Dans cette affaire, il s'agissait d'une agence de renseignement qui opposait à une demande de dommages et intérêts de l'un de ses clients se plaignant d'avoir reçu d'elle des renseignements inexacts. La clause convenue dans le contrat qu'elle proposait stipulait que l'agence «n'est pas responsable des conséquences d'une disposition quelconque prise par l'abonné. Les risques inévitables dérivant des correspondants et d'abonnés sont encourus exclusivement, ce dernier renonce à tout recours en cas de dommage attribués par lui à des erreurs ou fautes d'auxiliaires et renonce formellement à reconnaître la provenance des renseignements à lui fournis ».

Les juges du fond écartent cette clause aux motifs que les renseignements n'ont été ni recueillis ni contrôlés avec la diligence nécessaire et que les agissements étaient constitutifs de fautes graves enlevant toute valeur aux renseignements et détruisaient par la même occasion l'économie du contrat. Abondant dans le même sens, la Cour de cassation belge énonça :

« attendu que .... l'institut demandeur s'est engagé à répondre à la demande de renseignement adressée par un rapport concis basée sur les données qui lui sont fournies par son service ordinateur de recherche ... que les juges du fond constatant que les renseignements fournis au défendeur et sur la base desquels il a traité, les préposés du demandeur ont commis non une simple inadvertance mais un acte de mauvaise volonté devant fatalement produire des conséquences dommageables non recherchées par les auteurs mais que ceux-ci ont nécessairement prévu sans se donner la peine de les prévenir .... Que les juges ont déduit à bon droit que si la clause invoquée s'étendait à semblable faute, elle enlèverait tout effet utile au contrat ».

Depuis un arrêt de la Cour de cassation (belge) du 25 septembre 1959; la jurisprudence belge s'est démarquée des jurisprudences française et anglaise en ce qui concerne les clauses d'irresponsabilité. Désormais seul le dol du débiteur prive d'efficacité la clause d'irresponsabilité. Ainsi ni la faute lourde, ni la faute intentionnelle n'ont plus semblable effet.

L'arrêt de 1959 fut occasionné par le déplacement maladroit d'une voiture automobile effectué dans le monte charge d'un garage par un préposé du garagiste.

Le Tribunal de Liège statuant en dernier ressort avait accordé au propriétaire de la voiture des dommages et intérêts en dépit de cette clause exonérant le garagiste « des dégradations pouvant résulter des déplacements des voitures opérés dans le garage par le personnel de celui-ci et pour les besoins de l'exploitation et du service ».

Cette clause fut écartée par les juges du fond aux motifs qu'elle exonérait le garagiste ou son préposé de leur faute lourde. La Cour de cassation belge s'est inscrite en faux contre ce jugement en posant deux grandes règles : 1° En dehors des cas où la loi en dispose autrement et de celui ou l'obligation contractée serait anéantie, les parties à un contrat peuvent valablement convenir d'avance que le débiteur ne répondrait pas de la faute même intentionnelle de ses préposés.

2° Aucune disposition légale, sauf certaines exceptions étrangères en la matière, n'interdit aux parties contractantes de convenir que l'une d'elle ne répondra pas de sa faute lourde personnelle.

Ensuite elle renvoya l'affaire devant le Tribunal de commerce de Verviers qui donna raison au propriétaire de la voiture puis releva que le garagiste viderait le contrat de garage « de toute substance objective s'il lui était permis de s'exonérer conventionnellement de l'obligation de résultat qu'il assume en déplaçant les voitures dont il a la garde »

Commentant cet arrêt, M. Delebecque déclara : « La Cour de cassation belge isole l'atteinte à l'essence du contrat pour l'ériger en limite autonome de la validité des clauses d'irresponsabilité». Les principes de licéité de l'exonération conventionnelle de la responsabilité du débiteur en raison du fait intentionnel du préposé et de licéité de l'exonération conventionnelle de responsabilité en cas de faute lourde du débiteur lui même continuent de régenter le droit belge des clauses de responsabilité. Par exemple dans une décision de 1987, la Cour de cassation belge déclarait que « Les clauses d'exonération ne sont pas licites lorsqu'elles ont pour effet de détruire l'objet même de l'obligation et de vider le contrat de sa substance » .

SECTION II : L'OBLIGATION ESSENTIELLE ET LA THEORIE DE LA RESOLUTION DU CONTRAT.

La résolution est l'anéantissement total du contrat contrairement à la résiliation qui est son anéantissement pour le seul futur. C'est la remise en cause de la force obligatoire du contrat même pour les obligations déjà.

L'article 1184 du Code civil est le siège de l'action en résolution judiciaire . L'utilité économique et sociale de la résolution ne fait aucun doute. L'action en résolution judiciaire du contrat donne au créancier de l'obligation inexécutée l'équivalent d'une sûreté réelle. La résolution judiciaire a pour domaine principalement les contrats synallagmatiques. Dans ces contrats, l'institution est fondée sur l'interdépendance des obligations qui a été défendue pour la première fois en 1811 lors de l'arrêt Albertiniet confirmé en 1921 par l'arrêt Lucard en ces termes : « attendu que dans une convention synallagmatique, l'obligation de chacune des parties a pour cause l'exécution de l'obligation de l'autre ... »

Toutefois, il y a des contrats synallagmatiques qui sont soustraits à ce principe de la résolution judiciaire. Il en est ainsi de la cession d'office ministérielle, de la constitution de rente viagère (article 1978 du Code civil) ou du partage. A l'opposé, il existe des contrats non synallagmatiques ne relevant pas du domaine de la résolution judiciaire. C'est le cas des donations avec charge (article 954 du Code civil), de certains autres contrats unilatéraux à titre onéreux comme le contrat de gage (article 2082 du Code civil) ou le prêt à intérêt .

Pour qu'il y ait résolution il faut une inexécution. Mais est-ce à dire que toute inexécution vaut résolution? Certainement pas, sous réserve de la résolution prévue par la clause résolutoire expresse (clause prévoyant que le contrat sera automatiquement résolu en cas d'inexécution de ces obligations par l'une des parties). Pour qu'une inexécution puisse emporter résolution, il faut qu'elle soit caractérisée voire déterminante. Une inexécution déterminante est une inexécution dépouillant le contrat de toute utilité économique c'est-à-dire brisant l'équilibre économique du contrat, ce qui fait du contrat un déboire au lieu d'un profit. Parmi les inexécutions déterminantes de la résolution, il figure celle d'une obligation essentielle. Cela est une réalité et en droit national (Paragraphe I) et en droit communautaire (Paragraphe II) .

PARAGRAPHE I : EN DROIT NATIONAL

En droit interne, la notion d'obligation essentielle intervient lors de la résolution du contrat pour apprécier le degré de gravité de l'inexécution du débiteur de son obligation. Celle-ci est-elle assez grave pour entraîner l'anéantissement total du contrat ?

En cas d'inexécution totale par le débiteur de son obligation, il ne fait aucun doute que le juge en vertu de son pouvoir d'appréciation prononcera la résolution du contrat. Mais en cas d'inexécution partielle, le juge vérifiera si cette inexécution est susceptible d'entraîner la chute de toute la convention. Si oui, le juge s'interrogera sur la valeur de l'obligation violée et prononcera la résolution du contrat si celle-ci est une obligation essentielle. Ce raisonnement résulte d'un arrêt fort ancien de la Cour d'Amiens de 1881 : « la résolution ne doit être prononcée qu'autant que l'une des parties ne fournit pas à l'autre l'équivalent de son engagement principal... mais quant à la violation d'un engagement accessoire, elle n'est pas un motif de résolution, mais seulement une cause de dommages et intérêts».

Cette décision est pleine d'enseignements. En premier lieu, elle fait la distinction selon que l'inexécution soit celle d'une obligation principale ou celle d'une obligation secondaire et précise que seule la première catégorie d'inexécution entraîne la résolution du contrat . Ce raisonnement n'est pas fondé car l'inexécution d'une obligation secondaire peut entraîner la résolution du contrat notamment si elle est étroitement imbriquée à l'obligation essentielle. C'est l'hypothèse dans laquelle on n'arrive pas à distinguer l'obligation essentielle de l'obligation secondaire. Cette hypothèse se retrouve dans les faits de l'anecdote rapportée par M.Jestaz . Il s'agissait d'un « célèbre restaurant parisien où l'un des dîneurs s'est fait volé un jour un manteau en cashmere anglais. Le restaurateur n'affichait aucune pancarte déclinant sa responsabilité, mais selon lui, la clause résultait implicitement de l'absence de surveillance et de ticket. Le tribunal a décidé que l'obligation de garde trouve sa source dans le repas convenu dont elle n'était en définitive que l'accessoire indispensable, cette garde étant conditionnée par les circonstances et l'usage ». Ainsi la violation d'une obligation accessoire peut avoir les même conséquences que celle d'une obligation essentielle. En second lieu, la décision de 1881 ignore totalement la clause résolutoire expresse qui peut entrer en vigueur à propos de toute obligation même accessoire. Par ailleurs, il semble clair que l'inexécution d'une obligation essentielle entraîne de facto la résolution du contrat. Enoncée dans la décision précédente, cette affirmation fut confirmée par une décision en 1973 du Tribunal de Grande Instance de Paris « Si une obligation prévue dans le contrat est substantielle, son inexécution permet au créancier de demander la résolution du contrat quelle que soit la cause pour laquelle le débiteur ne satisfait pas à son engagement ». Cette dernière décision nous fait savoir que l'inexécution d'une obligation essentielle vaut résolution sans considération des causes de cette inexécution.

En dépit des décisions évoquées ci-dessus, il faut reconnaître que l'inexécution d'une obligation essentielle n'est pas vue unanimement comme un critère de la résolution; en tout cas ce n'est pas un critère très tenu en compte par la jurisprudence. Cependant la référence aux obligations essentielles est plus nette en matière de résolution unilatérale. Ce constat résulte par exemple de la résolution unilatérale en droit du travail où l'article L1780 du Code du travail et les divers articles sur le licenciement, permettent à l'employeur de rompre unilatéralement le lien contractuel en cas de violation par le salarié d'une obligation essentielle du contrat de travail. La violation de l'obligation essentielle dans le contrat de travail se traduit par une faute lourde; faute qui rend impossible le maintien de tout lien du travail.

Cette remarque est valable pour tous les contrats à propos desquels la résolution unilatérale est admise. Cette résolution appelée encore « résolution de plein droit » et la clause résolutoire expresse sont des exceptions au caractère judiciaire de la résolution du contrat. Cependant tandis que la résolution unilatérale confirme sans équivoque l'existence de l'obligation essentielle dont la violation justifierait ladite résolution, la clause résolutoire expresse au contraire infirme explicitement la distinction obligation principale / obligation accessoire car indistinctement la violation de l'une ou de l'autre de ces deux obligations entraîne l'écroulement du contrat. C'est pourquoi si l'on se situe sur le seul terrain de la clause résolutoire expresse, toutes les obligations d'un contrat sont essentielles de même que toutes les inexécutions.

Enfin, l'obligation essentielle intervient dans la théorie de la résolution judiciaire pour mesurer la gravité de l'inexécution et s'érige du coup en condition de la résolution du contrat. Ce constat demeure valable même en droit communautaire.

PARAGRAPHE II : EN DROIT COMMUNAUTAIRE

Le droit européen ne connaît pas à vrai dire la notion d'obligation essentielle. Pour faire référence à cette notion, il utilise le terme d'inexécution essentielle. Ces deux notions ne recouvrent pas la même réalité. S'il est sûr que l'inexécution d'une obligation essentielle correspond toujours à une inexécution totale ou essentielle du contrat, l'inexécution essentielle du contrat ne correspond pas toujours à la violation d'une obligation essentielle. Celle-ci peut résulter d'une série de violations d'obligations accessoires.

Selon les principes européens du droit des contrats, l'inexécution d'une obligation est essentielle si :

a) la stricte observation de l'obligation est de l'essence du contrat;

b) l'inexécution prive substantiellement le créancier de ce qu'il était en droit d'attendre du contrat de telle sorte que le créancier n'ait plus d'intérêt à l'exécution du contrat ;

c) ou l'inexécution est intentionnelle et donne à croire au créancier qu'il ne peut pas compter dans l'avenir sur une exécution par l'autre partie.

Cela implique que seule une inexécution essentielle peut conduire à la résolution du contrat et que cette résolution n'a pas à être prononcée par le juge. C'est le créancier qui constate l'inexécution du débiteur et considère le contrat comme résolu. Il est sûr que le juge a tout de même une appréciation de la résolution mais a posteriori. Cela marque une différence avec le système français dans lequel la résolution est toujours judiciaire et l'intervention du juge toujours antérieure sauf dans le cas de la résolution unilatérale .

La notion d'inexécution essentielle ainsi présentée équivaut à l'inexécution substantielle en droit danois. C'est ce que prévoit les paragraphes 21-28 et 43 de la loi danoise sur la vente. Mais cette loi ne définit pas comme elle aurait dû le faire la notion d'inexécution substantielle.

Le droit anglais connaît aussi la notion d'inexécution essentielle. Cette dernière s'apparente en droit anglais à la « fundamental non performance » (l'inexécution substantielle) qui diffère de la « fundamental breach » qui se définie comme la violation des éléments essentiels du contrat. Le concept d'inexécution essentielle se retrouve également dans le système juridique de beaucoup d'autres pays comme l'Italieet les Pays-Bas. Dans ces pays on n'utilise pas le terme « inexécution essentielle », mais pour qu'une inexécution emporte résolution, elle doit être importante .

En droit international, la convention sur la vente internationale de marchandise dans son article 25 dispose qu'une contravention au contrat « est essentielle lorsqu'elle cause à l'autre partie un préjudice tel qu'elle la prive substantiellement de ce que celle-ci était en droit d'attendre du contrat, à moins que la partie en défaut n'ait pas prévu un tel résultat et qu'une personne raisonnable de même, placée dans la même situation, ne l'aurait pas prévue non plus ».

Toujours en droit international, on retrouve la même notion notamment dans le droit international de construction où l'on parle de « violation substantielle du contrat ». Dans le contrat international de construction, il est dit « qu'en l'absence de stipulation expresse, le maître de l'ouvrage a, dans tous les systèmes juridiques, le droit de dénoncer le contrat si l'entrepreneur viole une obligation substantielle ».Mais il paraît loisible aux parties de préciser expressément ce qu'elles considèrent comme essentiel.

De même en droit américain, la notion d'inexécution essentielle recouvre un certain intérêt. En effet, ce droit connaît un mécanisme particulier dans sa résolution du contrat pour inexécution. Ainsi une partie ne peut se prévaloir de l'inexécution par l'autre que si elle peut justifier elle même d'une exécution substantielle « la substancial performance ». Ici, au lieu que ce soit l'inexécution qui soit substantielle, ce caractère est au contraire requis à propos pour l'exécution. Cela implique qu'une inexécution peut de façon flagrante être substantielle sans emporter la violation du contrat.

En droit américain, la « substancial performance » s'oppose à la « matériel breach » (rupture substantielle) et une rupture est qualifiée de substantielle quand l'inexécution totale atteint l'objet du contrat ou quand cette inexécution est partielle mais suffisamment grave car elle s'étend sur un élément essentiel du contrat. Il importe peu qu'il y ait faute du débiteur ; le juge a un rôle capital a jouer.

En somme la résolution pour inexécution du contrat en droit américain ressemble à l'exceptio non adiplenti contractus ou l'exception d'inexécution en droit français, du moins à des différences près .

CHAPITRE II : SANCTIONS DE L'OBLIGATION ESSENTIELLE

L'obligation essentielle est l'obligation qui centre le contrat. C'est le coeur du contrat, l'obligation la plus importante dans le contrat. Il est donc logique que sa violation, plus que la violation de toute autre obligation, implique des sanctions.

Toutefois, il fut une époque où la Cour de cassation assimilait ipso facto, la violation de l'obligation essentielle à la faute lourde, sans doute à cause de la grande importance que les hauts magistrats accordent à la notion.

Donc cette partie va nous imposer tout d'abord de nous reporter sur le concept de faute lourde synonyme de violation d'obligation essentielle (Section I). Et ensuite nous verrons les conséquences de cette violation (Section II).

SECTION I : LA VIOLATION DE L'OBLIGATION ESSENTIELLE ASSIMILEE A LA FAUTE A LOURDE

Depuis très longtemps, la Cour de cassation qualifie la violation de l'obligation essentielle de faute lourde. Pour comprendre le sens de cette démarche de la haute juridiction, la meilleure façon que nous ayons est de détailler la notion de faute lourde d'une part, et d'autre part , de voir si ladite démarche résiste à l'évolution sans cesse fulgurante du droit des contrats ; qui se meut inévitablement vers une notion autonome d'obligation essentielle. Ainsi, la notion de faute lourde exposée (paragraphe I), nous verrons dans une analyse nécessaire si cette notion continue d'exprimer la violation de l'obligation essentielle (paragraphe II)

PARAGRAPHE I : LA NOTION DE FAUTE LOURDE

La faute délictuelle est définie par l'article 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La faute est donc la défaillance de l'homme qui n'accomplit pas son devoir. La faute est une notion difficile à définir, même si la Cour de cassation a fait d'elle une notion de droit dont elle assure le contrôle.

La doctrine la définit très généralement à partir d'un critère général, critère fondé soit sur une obligation préexistante, soit sur un acte illicite. C'est Planiol qui a parlé d'obligation préexistante dans sa définition de la faute : « la faute est la violation d'une obligation préexistante ». Cette définition n'est pas claire d'autant plus qu'elle ne définit pas les devoirs préexistants. Le terme acte illicite se retrouve dans la conception de la faute en Allemagne et même en Suisse .Le droit Suisse dispose que « Celui qui cause , d'une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenue de le réparer » . Pour ces droits, la condition de la faute est l'illicéité ; cela prête à discussion car l'illicéité ne tient compte que de l'aspect objectif de la faute. Habituellement, la faute est considérée comme un acte blâmable, qui a une signification morale, et qui implique un jugement de valeur. Mais l'inexécution où la mauvaise exécution du contrat constitue aussi une faute. Elle conduit à la responsabilité contractuelle prévue par l'article 1147 du Code civil. Le fondement de cette responsabilité a longtemps divisé la doctrine. Certains auteurs affirmaient l'autonomie du droit des contrats et dissociaient la responsabilité contractuelle de la responsabilité délictuelle. Ils prétendaient que le Code civil n'envisagerait que l'allocation de dommages et intérêts sans mentionner le terme responsabilité.

Peut-on de nos jours souscrire à cette autonomie ? Ou alors doit-on rattacher la responsabilité contractuelle à la responsabilité délictuelle dans un ensemble unique de responsabilité civile?

Quand la responsabilité était liée à la faute, la distinction se justifiait ,mais depuis que la responsabilité a perdu sa connotation morale, c'est à dire dès qu'elle a acquis un une dimension sociale de solidarité avec les régimes d'indemnisation automatique,l'autonomie de la responsabilité contractuelle ne se justifie que difficilement. La question demeure débattue, mais nous, nous considérons ici que la responsabilité contractuelle n'est qu'une variante de la responsabilité civile; cela se confirme d'autant plus que les trois exigences d'un dommage, d'un fait dommageable et d'un lien de causalité de la responsabilité délictuelle se retrouvent dans la responsabilité contractuelle aussi

Il existe une hiérarchie des fautes; c'est la classification des fautes selon leur gravité. Selon cette hiérarchie, on trouve : la faute légère, la faute grave et surtout la faute lourde. Cette dernière ne suppose pas l'intention de nuire comme la faute intentionnelle ou dolosive, mais elle implique une gravité singulière soit en elle-même, soit par l'importance de l'écart de conduite qu'elle engendre. C'est un acte très grave, une négligence grossière que l'homme le moins averti ne commettrait pas soit en raison de la gravité de ses conséquences prévisibles par le responsable.

En principe, la faute lourde n'a pas de conséquences particulières en matière de responsabilité contractuelle ou délictuelle. Mais la jurisprudence applique très souvent l'adage : «Culpa lata dolo aequiperatur » à savoir que la faute lourde est équivalente à la faute dolosive. Cet amalgame a de très graves conséquences car elle sert à aggraver la responsabilité du fautif tout en le privant du bénéfice de l'article 1150 du Code civil .Pourquoi une telle assimilation ? Tout est une question de preuve ! La faute dolosive est très difficile à prouver, la

preuve de l'intention de réaliser le dommage est une « diabolica probatio », c'est une preuve impossible. Puisque la preuve de la faute lourde ne nécessite pas d'investigations impossibles car elle est non intentionnelle et le seul constat de la non- exécution de l'obligation du débiteur suffit à la caractériser, il a paru plus simple de la faire passer pour la faute dolosive. C'est pourquoi on lui attache les mêmes conséquences qu'à la faute dolosive.

Il y a deux conceptions de la faute lourde :

-La conception subjective ; qui fait déduire la faute lourde de l'attitude du débiteur. Le comportement de ce dernier est apprécié eu égard à la notion de bonne foi de l'article 1134 al 3 du Code civil. Cette conception subjective de la faute lourde est défendue par Rodière qui disait que : « la loi veut de façon impérative que les contrats soient exécutés de bonne foi. S'il y a dol et la faute lourde le présume, le débiteur est de mauvaise foi et aucune clause ne peut l'abriter ». La faute lourde subjective s'appuie ainsi sur la notion de bonne foi, qui irradie tout le processus contractuel : à la formation (et même au cours des négociations) à l'exécution, et à l'extinction (la résolution judiciaire et surtout la résolution unilatérale du contrat). La bonne foi est vue comme une règle de conduite comportementale, qui impose au contractant loyauté et honnêteté ; Ainsi, celui ne doit avoir aucune intention malveillante dans l'exécution du contrat. Chaque fois que le juge applique la notion, il essaie insuffler une sorte d'éthique ou de civisme dans le contrat, afin d'éviter que la sphère contractuelle soit une jungle où règnerait la raison du plus fort. Malgré ce noble rôle qu'elle est supposée jouer, la notion de bonne foi n'est pas bien reçue en doctrine. Pour les auteurs classiques, le contrat est avant tout un accord entre les intérêts antagonistes qui tire sa force de sa fonction de prévisibilité et de sa vertu de stabilité. Pour ces auteurs, la bonne foi doit avoir un rôle limité dans le processus contractuel car elle constitue une arme fatale contre la sécurité juridique et la stabilité du contrat. C'est une notion qui modifie l'économie du contrat en ce sens qu'elle permet au juge de substituer son sentiment de justice par les stipulations librement créées par les parties. Mais pour les auteurs de l'école sociale ou morale, le contrat est une oeuvre de coopération mutuelle, le rôle de la bonne foi est beaucoup plus important.

- La conception objective de la faute lourde ; ici la faute résulte non d'un quelconque comportement mais de la valeur et de l'importance de l'obligation violée. C'est cette dernière conception qui se trouve à la base de l'assimilation de la violation de l'obligation essentielle à la faute lourde. La conception objective de la faute lourde fut retenue dans plusieurs décisions. Entre autres on peut citer l'affaire Loto (précitée) où la Cour de cassation à la suite des juges du fond qui avaient étés influencés par l'ampleur du dommage subi, déclara que «La faute commise (par les employés de Loto), privant le joueur de sa participation au jeu et lui ôtant toute chance , fait disparaître « un élément substantiel » du contrat et ne saurait donc être couverte par une clause d'irresponsabilité » (en l'espèce, la clause limitative de responsabilité engendrant le litige portait sur une somme tellement dérisoire qu'elle a été considérée purement et simplement comme une clause de non responsabilité).

Ainsi chaque fois que dans un contrat il y avait une clause limitative de responsabilité, et dans le cas où cette clause empiétait sur l'obligation essentielle, la Cour de cassation annulait ladite clause au seul nom de la faute lourde. Cela était une jurisprudence assise depuis l'assimilation de la faute lourde au dol. Mais cette jurisprudence connaît de nos jours des changements.

PARAGRAPHE II : L'ABANDON DE LA NOTION DE FAUTE LOURDE EN MATIERE D'OBLIGATION ESSENTIELLE DU CONTRAT?

Depuis 1996, la Cour de cassation a tendance à ne plus évoquer la faute lourde au sujet de l'obligation essentielle. Désormais, une clause limitative violant la portée de l'obligation essentielle n'est pas nulle sur la base de la faute lourde mais sur celle de l'atteinte à la cause du contrat. Ce revirement spectaculaire résulte de l'arrêt Chronopost ; dans lequel la haute juridiction s'est fondée explicitement, sans équivoque, sur l'article 1131 du Code civil pour casser l'arrêt de la cour d'appel au détriment de l'article 1150 du Code civil qui, en l'espèce convenait très bien (à cause du manquement grave de Chronopost à son obligation de livrer à temps). Mais pour quoi un tel revirement ?

Pourquoi la haute juridiction ne s'en est-elle pas tenue à son fondement classique à savoir la faute lourde ou tout simplement requalifier la clause litigieuse en vertu de l'article1152 al2 ?

La première réponse qui nous vient en tête et qui est des plus banales, c'est que par ce changement, la Cour de cassation a entendu se débarrasser d'une notion devenue peut être usée à son goût.

Le recours à la faute lourde n'était nécessaire que dans le cas où elle permettait au débiteur défaillant de réparer l'intégralité du dommage résultant de sa faute. Dans ce cas, seule la conduite du débiteur était sanctionnée et non la clause afférente à la responsabilité dans son environnement, qui en l'espèce était le but visé. Alors qu'avec la notion de cause, les hauts magistrats faisaient d'une pierre deux coups : non seulement la conduite fautive du débiteur était réprimée, mais aussi la clause elle même dès qu'elle privait l'obligation essentielle de son effet (elle est réputée non écrite). Ce raisonnement revient à remettre la faute lourde au « seul profit salvateur » de la cause du contrat. Cela nous paraît fort regrettable.

Un auteur, G. Loiseau nous rassure en répondant que la faute lourde et la cause du contrat, « en réalité se complètent et assurent ensemble un service efficace de retranchement des clauses exclusive ou limitatives de responsabilité ».Ce point de vue implique que la jurisprudence Chronopost ou Securinfor n'est totalement acquise et qu'il ne faudrait pas être surpris si dans une autre affaire similaire à celles-ci la haute juridiction se servait encore de la faute lourde pour lutter contre les clauses afférentes à la responsabilité injustes. C'est d'ailleurs ce qu'elle fit dans le dernier arrêt Chronopost en date. En effet dans la décision Chronopost 3, la Chambre mixte revient à la solution de la Chambre commerciale (Chronopost 2). Elle renoue avec la faute en précisant qu'une « clause limitant le montant de la réparation est réputée non écrite en cas de manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat » et que «seule une faute lourde peut mettre en échec la limitation d'indemnité prévue au contrat type» Mais à la différence de la Chambre commerciale, la Chambre mixte ajoute que la faute lourde ne peut «résulter du seul retard à la livraison «.

La dernière décision Chronopost laisse croire que la Cour de cassation n'entend pas se débarrasser totalement de la notion de faute à propos de l'obligation essentielle. Bien au contraire! la faute lourde est présente plus que jamais dans ce domaine car elle fait échec non seulement à l'indemnisation instituée par le contrat type mais aussi à l'indemnisation prévue par la loi elle même. Dans cette décision, la Cour de cassation utilise la conception subjective de la faute mais de façon plus étroite, car elle précise que «la faute lourde ne peut résulter du seul retard à la livraison»; ni «du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d'éclaircissements sur la cause du retard». Cela sous-entend que la violation d'une obligation ne constitue pas en tant que telle une faute lourde, mais une faute ordinaire. En décidant que «la faute lourde ne peut résulter du seul retard à la livraison», la rapidité de la livraison étant considérée comme l'obligation essentielle de Chronopost, la Cour de cassation laisse entendre que même la violation d'une obligation essentielle n'implique plus ipso facto une faute lourde. Dans ce cas, il incombe à la personne qui invoque cette faute à la prouver. Cette preuve n'est pas n'importe laquelle car elle doit porter sur un fait précis permettant de caractériser une telle faute . De plus cette solution est nouvelle car jadis la jurisprudence a reconnu l'existence de la faute lourde en cas de retard de livraison d'un colis, notant qu'il est du au manquement de diligence du transporteur pour le retrouver. De même, la faute lourde d'un transporteur a été retenue pour trois retards en deux semaines .Il en fut de même en cas de carence d'un commissionnaire de transport qui, sachant le transport interrompu, n'en avise pas son client et ne prend aucune disposition pour limiter le retard. Ou encore dans le cas où un commissionnaire de transport ne suit pas l'expéditeur et commence à s'inquiéter de sa bonne arrivée à destination au bout de plusieurs semaines. Dans toutes ces décisions, « le simple retard» a suffit à entraîner la faute lourde.

Nous ne saurons expliquer le pourquoi d'un tel revirement, mais nous constatons qu'il n'est pas sans conséquences. L'inexécution ne suffit plus à qualifier la faute lourde et le fait pour le transporteur de ne pas pouvoir donner d'éclaircissements sur les causes et les circonstances du manquement contractuel ne l'établit plus non plus. Avec cette nouvelle solution, on assiste à l'instauration d'un vrai régime de faveur autour du transporteur. Cela est tellement évident qu'on se demande si l'obligation pesant sur lui demeure encore une obligation de résultat.

La décision Chronopost 3 semble confirmer la qualification de» bavure juridique» que certains auteurs ont retenu à la décision Chronopost 2. Pire on pourrait convenir d'autres qualificatifs comme « Affaire Chronopost un coup pour rien ?», ou encore beaucoup « Affaire Chronopost beaucoup de bruit pour rien »! Mais, nous, n'allons pas nous hasarder à de telles critiques ; nous espérons tout simplement que le recours à la notion de cause à l'aune de l'obligation essentielle ne s'arrêtera pas aux seuls arrêts Chronopost 2 et Securinfor. Il faut reconnaître que dans les contrats d'adhésion comme le contrat de transport rapide l'équilibre contractuel doit être le but suprême du juge. Pour parvenir à cet équilibre le juge doit avoir le choix entre la cause ou la faute lourde qui sont toutes deux des techniques appropriées.

Nous retenons ainsi avec M. Loiseau que : « moins rivales que complices, la cause et la faute lourde peuvent utilement se relayer et oeuvrer chacune à sa façon à la remise en cause des clauses limitatives ou exclusives de réparation stipulées dans les contrats conclus entre professionnels » De plus toutes les techniques sont précieuses pour assainir la charte contractuelle des clauses qui la corrompent.

La question de la faute lourde demeure donc d'actualité, mais elle n'est pas la seule sanction de la violation de l'obligation essentielle.

SECTION II : LES AUTRES SANCTIONS

Tout débiteur a la faculté de limiter ses obligations contractuelles. Cette faculté n'est limitée que par l'obligation essentielle. Lorsqu'une clause viole l'obligation fondamentale, le contrat est passible de deux sortes de sanctions. Soit le juge opte pour la nullité de la clause et le reste du contrat continue, soit il annule tout simplement toute la convention, et le contrat est anéanti. Autrement dit, la violation d'une obligation essentielle entraîne ou la nullité partielle et le maintien du contrat (paragraphe I) ou la nullité totale du contrat (paragraphe II).

Par ailleurs, la nullité d'un contrat ; qu'elle soit totale ou partielle, absolue ou relative, ne peut résulter que d'une décision de justice tout comme la résolution du contrat. Le jugement d'annulation entraîne l'anéantissement total et rétroactif du contrat. Cette solution a pour source l'adage : quod nullum est, nullum effectum producit. La jurisprudence traduit cette maxime par le principe « Ce qui est nul est réputé n'avoir jamais existé » et ce principe se retrouve au visa de beaucoup d'arrêts. Ce principe semble a priori fort simple. La théorie des nullités est en réalité complexe. Un contrat nul, en effet, n'en conserve pas moins une existence apparente : il a parfois été exécuté ou a reçu un début d'exécution. Sa destruction peut donc entraîner un préjudice, non seulement pour les parties mais également pour les tiers. Dans la mesure du possible, notre droit s'efforce d'atténuer les inconvénients de la nullité.

PARAGRAPHE I : LA NULLITE PARTIELLE ET LE MAINTIEN DU CONTRAT

La nullité partielle implique la nullité non de tout le contrat, mais d'une ou de certaines de ses clauses. Limiter la nullité à ce qui est strictement nécessaire est la tendance actuelle du droit des contrats. C'est aussi la solution retenue pour les principes d'Unidroit relatifs au contrat de commerce international (article 3 -1- 166) : « L'annulation se limite au seule du contrat visée par la cause d'annulation, à moins que eu égard aux circonstances, il ne soit déraisonnable de maintenir les autres dispositions du contrat ». Ainsi, chaque fois qu'une clause porte atteinte à une obligation essentielle, elle est réputée non écrite c'est-à-dire qu'elle est nulle mais que le reste du contrat continue. Cette sanction semble découler d'une technique de dissuasion du juge comme le disait Planiol : l'annulation de la clause seule « apparaît souvent comme le moyen le plus propre pour décourager les parties de l'insérer dans le contrat. Celui des contractants qui tient à l'insertion de la clause, court le risque de voir l'autre demander à la fois l'exécution du contrat et la nullité de la clause ».

Quelles sont donc les conséquences de la clause réputée non écrite dans un contrat ? Si conséquences il y a, celles-ci n'ont jamais été spécifiées par la jurisprudence. Toutefois en doctrine, la suspension d'une clause entraîne des transformations au sein du contrat. Celles ci se constatent non seulement dans le contenu du contrat mais aussi lors de l'exécution du contrat.

Contenu du contrat

La nullité d'une clause entraîne une modification de la substance du contrat. Si la clause est nulle ou réputée non écrite, il y aura un vide dans le contrat. La question qui se pose dans ce contexte est de savoir comment combler ce vide.

Plusieurs techniques sont à la disposition du juge pour ce faire. Il peut procéder à la réduction de la clause excessive. Cette technique est très souvent appliquée par la jurisprudence aux clauses de non concurrence excessives. Dans un arrêt de 1960 ; la chambre sociale de la Cour de Cassation a décidé qu `« une clause de non concurrence est en principe licite et ne doit être annulée que dans la mesure où elle porte atteinte à la liberté du travail en raison de son étendue ».

Dans une espèce toute autre, la même technique a été utilisée. C'était au sujet d'une reconnaissance de dettes pour un montant excédant le montant de la dette. La technique de la réduction de clause excessive a été critiquée comme permettant au juge de trop s'immiscer dans le contrat. Pour certains, elle va à l'encontre de l'article 1134 du Code civil. D'autres pensent que la réduction est une sanction plus grave que l'annulation totale du contrat .

Parfois, c'est la loi elle-même qui préconise cette technique. Ainsi, les donations excédant la quotité disponible sont immédiatement réduites ; de même le montant du loyer excessif ou du taux d'intérêt usuraire sera ramené au montant légal ou encore la convention d'indivision supérieure à cinq ans sera limitée à ce délai.

Il peut arriver que la clause réputée non écrite entraîne dans sa chute une ou plusieurs autres dispositions sans pour autant mettre l'existence du contrat en danger C'est le cas par exemple d'une clause de non concurrence assortie d'une clause pénale comme sanction. Dans ce cas, l'annulation de la première entraîne celle de la seconde. La clause nulle peut aussi avoir un lien d'indivisibilité avec d'autres dispositions du contrat. Dans ce cas aussi, seules les dispositions concernées seront réputées non écrites.

Une deuxième technique est utilisée par le juge pour pallier au vide laissé par l'annulation d'une clause du contrat. C'est l'application du régime légale en lieu et place de la clause litigieuse. Cela se révèle plus concrètement dans les contrats à statuts impératifs tels que le contrat de bail ou le contrat de travail. Dans ces contrats, très souvent, la disposition impérative ou légale prend la place de la clause nulle. Aussi, lors de la modification de l'article 79 de l'ordonnance du 30 décembre 1958 relatif aux clauses d'indexation par la loi du 9 juillet 1970 ; cette dernière stipulait que « toute clause d'indexation rendue illicite par les dispositions nouvelles est remplacée de plein droit et sauf accord des parties sur une autre indexation licite, par une clause portant indexation sur la variation de l'indice national du coût de la construction publié par l'INSEE ».

Dans une décision de 1972, la Cour de cassation abonde dans ce même sens. En l'espèce, il s'agissait de la vente à crédit d'un fonds de commerce d'un mécanicien garagiste. Les parties avaient choisi comme indice le salaire de l'ouvrier OP 4 de l'industrie automobile, publié dans les mercuriales professionnelles. Or il n'y avait pas d'officier OP 4 ni de mercuriales dans cette industrie.

La Cour d'appel de Caen avait alors substitué à cet indice inexistant une référence à l'évolution du salaire de l'ouvrier qualifié de l'automobile dans l'échelon le plus élevé, le salaire de l'OP 3. La troisième Chambre civile a approuvé cette substitution justifiée par le pouvoir des juges du fonds d'interpréter la volonté des parties.

Certains auteurs ont jugé qu'une telle solution doit être exceptionnelle.

La techniquement du remplacement de la disposition nulle par une disposition légale a été appliquée par la Cour de cassation dans les arrêts Chronopost. En effet, celle-ci releva : « Attendu que ...La clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, ce qui entraînait l'application du plafond légal d'indemnisation... ».

Hormis ces deux techniques, les parties peuvent convenir du moyen d'une clause que les stipulations annulées soient remplacées par des dispositions légales.

L'exécution du contrat

L'annulation d'une clause peut entraîner des modifications sur l'exécution du contrat. En effet les modalités d'exécution peuvent être superficiellement transformées. Un exemple type d'une telle situation est offerte par la nullité de « toute clause contraire » à l'obligation de résultat du transporteur terrestre. Cette nullité n'emporte pas l'annulation de tout le contrat et la responsabilité du transporteur peut se trouver aggravée par rapport aux dispositions contractuelles originaires. Un phénomène similaire se remarque aussi au sujet de la clause attributive de compétence. Si une clause attributive de compétence est nulle pour cause de fraude à la loi, le contrat sera soumis en guise de sanction à la loi que les parties ont cherché à éluder.

La modification des modalités d'exécution du contrat peut s'avérer très profonde quelques fois. C'est le cas en droit international où l'annulation d'une clause peut faire perdre au contrat son caractère international. Prenons l'exemple d'un contrat international soumis et à la législation française et à une autre législation (étrangère) par une clause pour certaines de ces modalités d'exécution. La nullité de cette clause fera que le contrat ne demeure plus attaché qu'à la seule législation française. Il est relégué au statut de contrat interne.

Pire encore, l'annulation d'une clause peut entraîner la transformation totale du contrat. L'illustration d'une telle situation est offerte par M.Teyssié : « soit un contrat de concession exclusive; la clause d'exclusivité est nulle. Supposons par extraordinaire, qu'elle n'ait pas été considérée comme essentielle de sorte qu'il n'aura point lieu à l'annulation totale du contrat. On se trouve en présence, dans ce cas, d'un système affadi de contrat de concession commerciale auquel cette qualification sera quelques fois refusée ».

Enfin, l'absence de participation et de contribution aux bénéfices et pertes, constitue une clause léonine nulle susceptible de faire passer le contrat de société pour un autre type de contrat.

PARAGRAPHE II : L `ANNULATION TOTALE DU CONTRAT

La chute de tout le contrat par la violation d'une ou de quelques unes de ces clauses est une situation fort exceptionnelle. Une telle situation se constate quand la nullité de la ou des desdites(s) clause(s) est d'ordre public ou encore si la clause nulle constitue une obligation essentielle du contrat.

L'annulation due à des motifs d'ordre public

L'annulation totale du contrat peut être prévue explicitement par la loi. C'est le cas de l'article 1172 du Code civil «Toute condition d'une chose impossible, ou contraire aux bonnes moeurs, ou prohibée par la loi, est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend ». Ici, le postulat du législateur est l'anéantissement total du contrat. Les textes peuvent prévoir implicitement aussi la destruction totale du contrat. Ainsi, chaque fois que les parties, malgré une disposition d'ordre public claire, prennent une clause contredisant celle-ci de façon flagrante; le juge va procéder à l'annulation totale du contrat.

Par exemple dans un contrat de bail, dont la clause de durée stipule la perpétuité, en dépit des dispositions de l'article 1709 du Code civil, le juge déclarera la nullité totale de tout le contrat sur la base de l'interdiction du bail perpétuel, alors qu'il avait la possibilité de modifier la durée de la clause en fonction de la disposition légale. Cette démarche du juge démontre qu'il est tenu par un vrai automatisme chaque fois que l'ordre public est en question.

L'annulation due au caractère essentiel de la clause

L'annulation totale du contrat peut être due également au caractère essentiel de la clause nulle. Dans une décision du 2 juillet 1958, il fut établi que « lorsque dans l'intention des parties, toutes les stipulations d'un contrat sont intimement liées entre elles et que les unes sont la cause déterminante des autres, la nullité des clauses illicites invalide les clauses licites ».

Faire dépendre le sort de toute la convention d'une seule de ses clauses, suppose que cette dernière est essentielle. Mais comment le juge peut il savoir que telle ou telle clause à un caractère essentiel ?

Le caractère essentiel d'une clause peut résulter d'une stipulation expresse des parties qui peuvent relever une clause au rang d'essentiel. Par exemple dans l'affaire Chronopost, les parties avaient tenu pour essentielle l'obligation de célérité dans la mesure où elle était assortie d'un supplément de prix.

Le juge peut également établir le caractère essentiel de la clause à travers les circonstances du contrat. De ces circonstances, il peut résulter une indivisibilité des clauses illicites et des clauses licites; les premières constituant « la cause impulsive et entre déterminante »des secondes. Autrement dit « l'élément vicié et l'élément sain forment un tout indivisible, le premier constituant une condition déterminante du second » et dans cette hypothèse, l'annulation de l'un ne va pas sans celle de l'autre.

En l'absence de ces indices, la Cour de cassation décide que pour juger de l'importance d'une clause, « Les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain pour apprécier si une clause nulle, présente un caractère essentiel au contrat dont dépendait l'existence de l'ensemble de la convention ». Mais la doctrine propose que le juge présume le caractère essentiel de certaines clauses, comme la clause d'indexation. Mais cette présomption n'est pas irréfragable.

Hormis le juge, le législateur les parties aussi ont la faculté de décider (au moyen d'une clause) que la nullité d'une clause du contrat emportera son annulation totale. Cette faculté se trouve toutefois altérée car le juge n'hésite pas à écarter de telles dispositions. Il est clair que face à de telles dispositions, le juge ne saurait qualifier la clause litigieuse de secondaire alors que les partie avaient expressément prévu tout le contraire. Ainsi, dans une décision la Cour de cassation a censuré les juges du fond pour avoir jugé que « la nullité de la clause ne s'étendait pas au contrat tout entier, malgré la stipulation d'indivisibilité, sous le prétexte qu'une clause ne saurait être considérée comme véritablement déterminante dès lors que son inefficacité ne détruit pas, en fait l'équilibre du

CONCLUSION

Le caractère très abstrait de la notion d'obligation essentielle du contrat nous empêche de tirer des conclusions sûres à son sujet. Toutefois, notre recherche nous a permis de constater que cette notion est incontournable en droit des contrats. Ce qui nous conduit à nous interroger sur l'avenir d'une telle notion notamment en droit des contrats et en droit international privé.

En droit international privé, plus précisément en matière de conflit de juridiction, on se demande si le règlement sur la compétence judiciaire , la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ne met pas fin à la notion. En effet , ce celui-ci prévoit que le tribunal compétent est celui du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande doit être exécutée. Mais on ne connaît pas la nature de cette obligation car toute obligation, même secondaire ,peut servir de base à une demande en justice. Ainsi nous nous demandons si la notion d'obligation essentielle a encore une utilité en matière de conflit de juridiction.

En droit des contrats, l'avenir de la notion est également mis en péril par l'existence de la clause résolutoire expresse. Avec cette clause, toutes les obligations du contrat sont égales en ce sens qu'elles peuvent toutes entraîner la résolution du contrat. Dans cette optique ,la clause résolutoire expresse tue la notion d'obligations essentielle , principale ou substantielle du contrat. De plus, ladite clause dénature les contrats auxquels l'obligation essentielle donne son nom.

Enfin cette recherche nous a permis de constater que l'obligation essentielle est indissociable du concept de faute lourde . Cela résulte de la dernière décision Chronopost qui finit de nous convaincre que la haute juridiction n'entend pas délaisser la faute lourde au sujet de l'obligation essentielle comme on l'avait cru

Quant à la théorie de la cause du contrat, nous estimons qu'elle paraît le fondement le plus sûr de l'obligation essentielle , en tout cas plus que la notion de l'objet du contrat. De plus, la cause et l'obligation essentielle ont quelque part le même but : la lutte contre les déséquilibres contractuels excessifs.

PLAN DETAILLE

Introduction...................................................................................................5

Partie 1. La détermination de l'obligation essentielle.............................6

Chapitre I. les critères de la détermination.........................................................7

Section 1. objectivisme ou subjectivisme ?..................................................................7

Paragraphe1. Exposé..................................................................................................................8

1. L'obligation essentielle par nature................................................................................................8

2. L'obligation essentielle par la volonté des parties..............................................................................11

Paragraphe 2. Analyse................................................................................................13

Section 2. L'obligation essentielle et notions voisines..................................................14

Paragraphe 1. Obligation essentielle et éléments essentiels du contrat....................................15

Paragraphe 2. Obligation essentielle / Substantielle / principale.............................................17

Paragraphe 3.Obligation essentielle / Obligation caractéristique en droit international privé.........19

.

Chapitre II. Les fondements de l'obligation essentielle.......................................... 23

Section 1. L' objet du contrat en tant que fondement de l'obligation essentielle..................23

Paragraphe 1. L'objet comme contenu du contrat .............................................................24

Paragraphe2.L'obligation essentielle :reflet de la théorie de l'objet du contrat..................... 25

Section 2.La théorie de la cause du contrat........................................................................27

Paragraphe1. Les différentes analyses causalistes..................................................................... 28

A. Analyse Unitaire.........................................................................................................28

B. Analyse Dualiste......................................................................................................29

Paragraphe 2. L'explication de l'obligation essentielle par la théorie de la cause du contrat.......31

Partie 2. Rôle et Sanctions de l'obligation essentielle dans la pratique contractuelle.................................................................................... 36

Chapitre I. Le rôle de l'obligation essentielle.........................................................37

Section 1. L'obligation essentielle et les clauses afférentes à la responsabilité contractuelle...............................................................................................................37

Paragraphe1. Les différentes sortes de clauses afférentes à la responsabilité contractuelle..........38

1. critère de distinction..............................................................................38

2. intérêts de la distinction.......................................................................41

paragraphe 2.L'influence de l'obligation essentielle sur la validité des clauses afférentes à la responsabilité contractuelle.................................................................................44

A. l'obligation essentielle : limite à la validité des clauses afférentes à la responsabilité en droit français....................................................................................44

B. L'obligation essentielle et les clauses de responsabilité en droit anglais et belge.......46

- en droit anglais..................................................................................................46

- en droit belge...................................................................................................49

Section 2. L'obligation essentielle et la théorie de la résolution du contrat ........................51

Paragraphe1. En droit national.....................................................................52

Paragraphe2. En droit communautaire...........................................................54

Chapitre II. Sanctions de l'obligation essentielle....................................................57

Section 1. la violation de l'obligation essentielle assimilée à la faute lourde......................57

Paragraphe 1. La notion de faute lourde........................................................................58

- la conception subjective.....................................................................................60

- la conception objective........................................................................................61

paragraphe2. L'abandon de la faute lourde en matière d'obligation essentielle du contrat ?........................................................................................................61

Section 2. Les autres sanctions...................................................................64

paragraphe 1. La nullité partielle et le maintien du contrat...........................................................65

-le contenu du contrat.............................................................................................66

-l'exécution du contrat...........................................................................................68

paragraphe2.L'annulation totale du contrat................................................................................................69

- l'annulation due à des motifs d'ordre public...........................................69

- l'annulation due au caractères essentiel de la clause...................................70

Conclusion...........................................................................................................................72






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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984