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Les déterminants de l'itinéraire therapeutique au sud Bénin

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par Barthelemy Mahugnon SENOU
Université de Cocody Abidjan - DEA 2002
  

Disponible en mode multipage

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INTRODUCTION

1°/ Contexte de l'étude et problématique

La définition d'une bonne politique de santé, objectif de toute nation soucieuse du développement de ses ressources humaines passe par une maîtrise des facteurs agissant sur les composantes des ressources humaines. Au Bénin comme dans d'autres pays africains, il existe une multitude de pratiques médicales ; les analyses anthropologiques ont largement contribué à la question des choix thérapeutiques qui permettent d'envisager le patient comme un individu placé « dans un contexte de pluralisme médical»1(*) et de tenter d'appréhender la logique de ses décisions face aux alternatives qui se présentent à lui. Cette approche des itinéraires thérapeutiques a souvent été fondée sur l'analyse du choix entre médecine traditionnelle et biomédecine. De plus le Bénin, par sa proximité avec le Nigeria, a un marché fortement inondé de produits pharmaceutiques, ce qui favorise l'automédication2(*). Dans ces conditions, les individus, considérés comme dotés d'une rationalité leur permettant d'exercer des choix entre les divers types de prestation sanitaire, selon des critères d'ordre démographique, anthropologique et culturel, économique et subjectif, se trouvent en situation de pluralisme médical. Quels sont alors les éléments qui déterminent le recours à une forme de pratique médicale plutôt qu'à une autre ? Telle est la problématique centrale du thème que nous nous abordons à travers le présent travail. Les critères économiques, anthropologiques déterminent-ils en réalité les itinéraires thérapeutiques des populations du Sud - Bénin ? Les caractéristiques des itinéraires thérapeutiques offrent-elles des éléments de renforcement de la politique sanitaire ? De ces différentes questions relève l'objectif de notre étude.

2°/ objectifs de l'étude

L'objectif général de la présente étude est d'analyser les itinéraires thérapeutiques des populations du Sud - Bénin. De manière spécifique, il s'agit de :

- Rechercher les appréciations que font les populations du sud -

Bénin des diverses pratiques médicinales utilisées dans

leur milieu.

- Identifier les facteurs qui favorisent la pratique de l'automédication chez les populations du Sud - Bénin et celles qui déterminent le recours aux soins traditionnels ou aux soins modernes en cas de maladie.

- Dégager des éléments de politiques thérapeutiques dans le but d'assurer une meilleure utilisation des ressources.

Nous ne pouvons atteindre les objectifs ci-dessus énumérés sans poser des hypothèses de travail.

3°/ Hypothèses

L'hypothèse principale est que les individus ne choisissent pas au hasard leur itinéraire thérapeutique, mais ce choix dépend de variables tant relatives aux individus, à leur culture, à la maladie et à l'environnement économique du milieu où ils vivent. Spécifiquement, nous supposons que :

- Plusieurs pratiques médicinales sont utilisées simultanément

par les populations du sud - Bénin.

- Les caractéristiques démographiques des individus et / ou de leur milieu de vie ainsi que celles des maladies déterminent le choix des soins médicaux.

- Des variables d'ordre économique influencent les choix thérapeutiques que font les individus.

- L'appréciation que font les individus de l'efficacité des soins détermine le choix thérapeutique pour lequel ils optent.

4°/ Cadre méthodologique : organisation de la collecte et traitement de l'information

Dans le but de procéder à la vérification des hypothèses, nous avons procédé à une collecte de l'information. Cette collecte est organisée en deux étapes :

a°/ La revue documentaire :

L'étape documentaire nous a permis de disposer d'informations secondaires pouvant faciliter la collecte d'informations primaires ; des institutions telles que l'INSAE, l'OMS, le centre de documentation du MSP, le CREDESA ont été visitées ; les informations collectées dans ces institutions proviennent de résultats d'enquêtes telles que l'EDSB-I et le RGPH-II. Ces données nous ont permis de nous situer sur la méthode à utiliser pour collecter les informations dans la deuxième phase, celle de l'enquête.

b°/ La phase d'enquête

C'est la phase qui nous a conduit sur le terrain auprès des individus pour la collecte d'informations primaires.

· Zone d'enquête

Compte tenu de la non disponibilité des résultats du RGPH-III avant notre recherche3(*), nous avons utilisé les résultats de l'EDSB-I comme outil de définition de la structure de l'échantillon; nous avons enquêté dans les départements de l'Atlantique, du Mono et de l'Ouémé4(*). Selon les résultats de l'EDSB-I, ces départements regroupent 3553 enquêtés répartis comme suit : Atlantique : 43,5% ; Mono : 25,7% ; Ouémé : 30,8%. Des informations ont été aussi recueillies auprès des cadres du MSP.

· Echantillonnage

La taille de notre échantillon est de 200 unités ; en utilisant la méthode des quotas, les 200 unités sont réparties dans les trois départements d'étude proportionnellement aux pourcentages enquêtés dans l'EDSB-I, soit :

Atlantique : 200 unités x 43,5% = 87 unités.

Mono : 200 unités x 25,7% = 51 unités.

Ouémé : 200 unités x 30,8% = 62 unités.

· Sélection des unités

Nous avons tiré les unités au hasard dans chacun des départements et ce dans toutes les circonscriptions et sous-préfectures, à raison de 39,7% d'individus en milieu rural et 60,3% en milieu urbain5(*). Les individus tirés sont rencontrés à leur domicile. L'entretien a lieu avec le chef de ménage dans le but d'avoir des informations de grande précision. Le questionnaire 6(*) est adressé à un ménage si celui-ci compte au moins un individu ayant été malade dans la période d'un mois avant le déroulement de l'enquête. La période d'un mois est choisie dans le but de limiter au maximum le nombre d'individus ayant présenté un épisode morbide. Si ce nombre est supérieur à 1, les informations sont recueillies puis une seule fiche est tirée au hasard dans le ménage afin de limiter le risque de singularité de la matrice des variables exogènes.

· Technique de traitement des données

Le traitement des données est organisée en en deux étapes :

- Une estimation des statistiques descriptives (fréquences, moyennes, écart - type, coefficients de variation).

- Une estimation des modèles probabilistes de choix thérapeutique et une analyse des résultats économétriques. Cette estimation est précédée d'une recherche d'éventuelle corrélation entre les différentes variables explicatives. Le test de significativité des coefficients est celui du z - statistique. Nous avons utilisé la statistique LR pour tester la significativité des modèles entiers. Le McFadden R² nous a permis de confirmer la validité des modèles.

Le traitement des données a été fait à l'aide du logiciel Eviews et du tableur Excel.

Le présent mémoire comporte deux parties. La première partie expose les fondements et la typologie des choix thérapeutiques. Dans la deuxième partie, nous avons procédé à l'identification des déterminants de l'itinéraire thérapeutiques au sud - Bénin et à la formulation de politiques en matière de santé.

Première partie :

FONDEMENTS ET TYPOLOGIE DES CHOIX THERAPEUTIQUES

Chapitre 1 : LES FONDEMENTS DES CHOIX THERAPEUTIQUES

Les choix thérapeutiques des individus en cas de maladie présentent une complexité qui mérite d'être présentée. Nous situons les aspects généraux de ces choix thérapeutiques dans les pays en développement puis nous présentons un exemple de modèle d'utilisation des services de santé.

Section 1 : Les aspects généraux

I - Les choix thérapeutiques dans les pays en développement

En pays en développement, l'utilisation des services de santé revêt plusieurs spécificités dont les principales résident dans la diversité des recours thérapeutiques des personnes malades, la sous - utilisation des services de santé publics en regard des normes existantes et la complexité des itinéraires thérapeutiques ; la figure suivante résume ces spécificités (figure 1).

Figure 1 : Utilisation des services de santé en pays en développement

Point de vue Macroscopique Coexistence de traditions médicales

Systèmes médicaux pluralistes

Offre de service diversifiée

Répartition de l'utilisation Sous - utilisation de services

Utilisation concomitante ou séquentielle de moyens thérapeutiques

Itinéraires Thérapeutiques complexes et diversifiés

Mobilité importante Nombreux recours potentiels

Point de vue individuel Indépendance à l'égard des dispensateurs de services.

Source : Haddad, S., 1992.

La diversité des recours thérapeutiques est l'expression d'une offre de services diversifiée et d'un enchevêtrement complexe de systèmes et de sous-systèmes médicaux que l'on peut opposer à la relative homogénéité des systèmes `'modernes'' des pays occidentaux.

Cette pluralité va s'exprimer dans le `'marché des services utilisés'', les formations sanitaires publiques ne constituant qu'une partie des choix thérapeutiques que les personnes malades peuvent envisager. Celles-ci peuvent habituellement s'adresser à plusieurs types de praticiens traditionnels, à d'autres services dits `'modernes'' (missions, médecins ou infirmiers privés, hôpitaux, etc.), à divers vendeurs de remèdes du réseau formel et du réseau informel (pharmaciens, vendeurs itinérants, boutiquiers, etc.) et / ou recourir à une des multiples formes d'auto - traitement.

Malgré la diversité des services disponibles, les services de santé modernes semblent en moyenne, plus fréquemment utilisés dans de nombreux pays traduisant ainsi la large diffusion de la médecine moderne à travers le monde7(*).

Les habitants des pays en développement ont habituellement moins de 2,5 contacts par an avec les services de santé, ce qui contraste fortement avec les valeurs des pays occidentaux ou la moyenne se situe entre 5 et 10 contacts par an 8(*) (la plupart des observations rapportées ne concernent que des services de santé modernes, de sorte que l'on ne sait pas très bien quel est le nombre moyen de contacts par individu et par an des populations avec l'ensemble des dispensateurs de services).

La complexité des itinéraires thérapeutiques des personnes malades est la troisième grande caractéristique de l'utilisation en pays en développement. Cette complexité trouve principalement son origine dans l'extrême mobilité des personnes qui pour un même épisode de maladie utilisent le plus souvent plusieurs formes de thérapies et de ressources de santé. Ainsi, de nombreux exemples d'utilisation concomitante -`'shot Gun Therapy''- de différents dispensateurs de services sont-ils rapportés. Ces dispensateurs peuvent aussi être utilisés de manière séquentielle, les malades effectuant au cours d'un même épisode, de fréquents « aller-retour » d'un praticien à l'autre9(*). Ces comportements traduisent une « fidélité très relative » à l'égard des fournisseurs de services et donnent à penser que contrairement aux pays occidentaux, l'offre des services n'a qu'un contrôle marginal sur la demande. L'utilisation va ainsi traduire essentiellement les choix des individus et leurs itinéraires thérapeutiques vont être particulièrement diversifiés.

De nombreux facteurs sont associés aux décisions de santé et à l'utilisation des services. Ils peuvent être répartis en trois catégories selon qu'ils réfèrent : (1) aux caractéristiques des individus ; (2) aux caractéristiques de la maladie et aux perceptions qu'en ont les patients ou (3) aux caractéristiques des services offerts et aux perceptions qu'en ont les patients.

II - Les modèles d'utilisation des services de santé en pays en développement

Plusieurs éléments peuvent être associés à l'émergence et à la diffusion récente de modèles visant à comprendre et analyser l'utilisation des services de santé par les populations.

Ces modèles sont extrêmement diversifiés. Certains sont spécifiques aux pays en développement, d'autres ne le sont pas. Il en est dont la construction est de type hypothético-déductive et qui servent de cadre de référence à des études d'utilisation ultérieure, tandis que d'autres, plus rares sont des modèles à posteriori où à partir d'observations empiriques, l'on cherche à reconstituer les facteurs et les mécanismes impliqués dans le processus d'utilisation. Certains s'adressant exclusivement à des comportements de prévention ou de recherche de soins curatifs, d'autres ont une vocation plus « universelle » ou ne précisent pas la nature exacte des services ou des comportements de santé qu'ils cherchent à prédire ou expliquer 10(*).

Trois autres critères de différenciation complètent cette typologie des modèles. Le premier réfère à la perspective disciplinaire dominante avec laquelle l'utilisation est abordée. On distingue ainsi des modèles démographiques, socioculturels, socio-psychologiques, organisationnels, économiques, « de systèmes », géographiques, etc. Un second critère permet de les différencier selon qu'ils mettent l'accent sur les facteurs associés à l'utilisation ou sur les processus décisionnels d'éventuels utilisateurs de services. Enfin, nous distinguons deux sous-ensembles de modèles selon que l'utilisation y est perçue comme le produit d'une démarche personnelle (modèle individuel) ou de la rencontre d'un patient et d'un dispensateur de soins (modèles interface)

La diversité des concepts et des approches rencontrés rend malheureusement extrêmement complexe toute tentative de synthèse globalisante de ces modèles. Toutefois que les modèles qui réfèrent au contexte des pays en développement se distinguent à plusieurs égards. Tous tiennent compte de la pluralité des systèmes médicaux en présence et des situations de choix multiples que rencontrent d'éventuels utilisateurs. L'accent y est souvent mis sur l'importance du contexte socioculturel dans lequel s'inscrit l'utilisation.

L'influence des référentiels étiologiques prévalant dans la communauté, des croyances et des pratiques associées aux maladies y est souvent soulignée, en conformité avec les résultats des observations empiriques. Plusieurs auteurs mettent également de l'avant le rôle de l'entourage dans le diagnostic et la prise en charge des individus souffrants, le groupe de référence étant habituellement étroitement associé aux décisions impliquant ses membres. Dans leur grande majorité, ces modèles sont de type « individuels », l'utilisation des services de santé étant relativement indépendante des dispensateurs de services.

Afin de cerner le processus d'utilisation des services par les populations, nous présentons dans la section qui suit un modèle d'utilisation des services de santé dans les pays en développement.

Section 2 : Un exemple de modèle d'utilisation

des services de santé : le modèle à

processus séquentiel

C'est un modèle fondé sur les processus décisionnels des individus. Il s'adresse exclusivement aux comportements à visée curative. Il tient compte des spécificités de l'utilisation dans le contexte du développement et emprunte des concepts et des formalisations théoriques provenant de différentes disciplines.

Le processus séquentiel qui va éventuellement conduire les individus à recourir à un dispensateur de services comprend quatre étapes comme l'indique la figure 2 : l'émergence d'un besoin de santé à la suite d'un stimulus physiologique ou fonctionnel , l'émergence d'un besoin de services dans lequel les individus (ou leur entourage) identifient le spectre des actions thérapeutiques potentiellement utilisables pour répondre au besoin de santé, l'évaluation des alternatives de services identifiées à l'étape précédente dans laquelle les utilisateurs potentiels vont réaliser une analyse intuitive des avantages et des coûts attendus des différentes alternatives offertes, et l'utilisation proprement dite, les individus concrétisant leur choix ( discret ) en matière d'alternatives thérapeutiques.

Cette séquence d'événements n'est pas univoque. Les étapes centrales peuvent être court-circuitées, par exemple si l'utilisation ne répond pas à une séquence décisionnelle mais à un comportement quasi - mécanique, généré par l'habitude. Il peut également y avoir sortie du processus, à l'issue de l'une ou l'autre des étapes intermédiaires. Un besoin de santé peut aussi conduire ou ne pas conduire à l'émergence d'un besoin de services. L'évaluation des alternatives de services peut éventuellement aboutir à une décision de non recours à une ressource de santé, etc.

Figure 2 : Processus et étapes décisionnelles

Stimulus

Emergence du besoin de services

Evaluation des alternatives de services

Emergence du besoin de santé

Utilisation

PROCESSUS

ENVIRONNEMENT

Source : Haddad, S. (1992)

I - L'émergence du besoin de santé

Il s'agit principalement d'une phase de reconnaissance et de repérage. Il y a d'abord reconnaissance de l'existence d'une situation anormale, puis attribution de cette situation anormale à l'existence d'un problème de santé.

La reconnaissance de l'existence d'un problème de santé est limitée par la perception de dysfonctionnements reconnus par les individus eux-mêmes ou par leur entourage signifiant. Ces dysfonctionnements peuvent trouver leur origine dans des phénomènes de diverses natures, tels qu'une agression physique, une perturbation physiopathologique ou la transgression d'un tabou ou d'une norme sociale. Pour que les symptômes soient signifiants, c'est à dire qu'ils conduisent à percevoir un changement par rapport à la normale, il est nécessaire que soient transgressées les normes qui caractérisent l'état d'équilibre de l'individu dans son milieu.

Il est à noter que l'attribution de cette situation anormale à un problème de santé n'est pas systématique. Elle dépend des modèles d'interprétation sociaux des phénomènes de la communauté et si ces modèles n`associent pas le dysfonctionnement à un problème de santé, un besoin d'une autre nature va apparaître.

Plusieurs facteurs peuvent donc conditionner le déroulement de cette étape. Les normes et les repères individuels et collectifs vont jouer un rôle essentiel, de même que les processus d'interaction avec l'entourage (dans des contextes où l'analyse des problèmes et les prises de décision sont traditionnellement des phénomènes de groupe). Enfin, les caractéristique du milieu physique : son agressivité, le climat, le degré de salubrité, etc., vont éventuellement être associées au stimulus à l'origine du besoin de santé.

II - L'émergence du besoin de service :

Le besoin de santé est une condition préalable mais néanmoins non suffisante à l'émergence d'un besoin de service. La perception d'un besoin de service va d'abord dépendre de la diversité et de la nature des besoins en compétition et notamment de l'existence de besoins considérés comme plus essentiels ou plus vitaux (alimentation, eau, etc.). A supposer que le besoin de santé soit jugé prioritaire, il faut ensuite que les individus et/ou le groupe de référence estiment nécessaire de recourir à un moyen thérapeutique. Il faut aussi qu'il y ait au moins une alternative thérapeutique qui apparaisse pertinente et adaptée pour la satisfaction du besoin de santé.

La nécessité de recourir à un moyen thérapeutique et l'adéquation des services disponibles vont être évaluées essentiellement à partir d'un système d'associations a priori entre le besoin de santé d'une part, et des actions thérapeutiques et des dispensateurs de services d'autre part (figure 3).

Figure 3 : Le système d'associations a priori

Caractéristiques du besoin Actions thérapeutiques Dispensateurs

de santé de services

Type de maladie

M1

Ne rien faire

M2

M3

Attendre et voir

M4

M5

Actions à l'interne

M6

M7 Dispensateur A

M8 Dispensateur B

Dispensateur C

MP Recours à une ressource externe

Source : Haddad, S., 1992

Si la maladie est considérée comme inguérissable ou si le patient s'attend à ce qu'elle guérisse spontanément, il ne va pas y avoir émergence d'un besoin de services. Si en revanche, les patients estiment nécessaire de faire quelque chose, ils vont par exemple, envisager de recourir à l'automédication et/ou à tels ou tels dispensateurs de services, en fonction des caractéristiques de leur besoin de santé.

Parmi l'ensemble des alternatives existantes, seules quelques unes vont donc apparaître à priori pertinentes. Les associations a priori ne sont ni définitives ni systématiquement partagées par tous les individus, car si elles dépendent des modes d'interprétation des maladies et des modèles étiologiques ancrés dans la communauté, elles sont également influencées par les caractéristiques personnelles des patients (éducation, âge, sexe, réceptivité à l'invocation, espace de référence, etc.) et par leurs expériences concernant les maladies, les traitements et les services disponibles. Enfin, l'offre de services (sa densité, ses systèmes de référence, les modes de pratique, etc.) et le degré d'implantation des différents dispensateurs dans la communauté vont affecter la composition du panier de ressources présélectionné.

III - L'évaluation des services utilisables

Cette évaluation n'est pas systématique, puisqu'elle peut être court-circuitée quand les comportements de santé sont automatiques. Lorsqu'elle se produit- ce qui est probablement le cas le plus fréquent -, cette étape va conditionner les choix que les individus vont réaliser en matière de services à utiliser. Il y a alors deux cas de figure : 1) aucune des stratégies pré - identifiées dans la phase d'émergence du besoin de services n'apparaît satisfaisante, le choix est de ne rien faire et l'individu sort du processus ; 2) une stratégie thérapeutique se distingue des autres et c'est celle-ci qui est choisie (rappelons qu'une stratégie thérapeutique peut comprendre le recours concomitant à plusieurs dispensateurs de services).

L'analyse des itinéraires thérapeutiques et des facteurs qui leur sont associés suggère que le pragmatisme est le principal moteur des décisions individuelles en matière de choix de services de santé en pays en développement. Dans cette perspective qui conduit à mettre en avant la rationalité des individus et des groupes, les décisions vont être influencées par différentes composantes dont deux semblent essentielles : les avantages et les coûts des services envisagés.

Les avantages attendus vont être étroitement dépendants de la nature du besoin de santé, notamment au travers des associations que font les individus entre leurs maladies et les thérapies. Ils vont dépendre en premier lieu des résultats pressentis de l'emploi des différentes ressources de santé et de l'efficacité qui leur est attribuée. Deux composantes vont jouer un rôle essentiel dans l'évaluation de l'efficacité de chacun des dispensateurs : la compétence qui leur est attribuée et le degré de continuité du service, notamment la disponibilité des remèdes jugés nécessaires.

L'acceptabilité des dispensateurs de services est une seconde composante d'avantages. Elle dépend beaucoup de l'existence de valeurs et de références communes aux dispensateurs de services et aux individus (le degré de proximité socioculturelle). Les qualités humaines attribuées aux dispensateurs de services (l'écoute, le respect, la convivialité, la courtoisie, la compassion) et leur intégrité morale, vont aussi contribuer à définir le niveau d'acceptabilité de chacun des services. Il en est de même pour l'accessibilité organisationnelle (adaptation des horaires et des périodes de délivrance des services) et la flexibilité des modes de paiement (par exemple, la possibilité de paiements différés ou de paiement en nature).

Ces avantages vont ensuite être mis en parallèle avec les coûts attendus, ces coûts pouvant inclure honoraires et traitements, les coûts de transport et d'attente et éventuellement d'autre coûts directs (alimentation) ou indirects (manque à gagner).

Enfin, les capacités de mobilisation de ressources individuelles et collectives et l'éventuelle protection sociale des patients vont arbitrer l'analyse implicite des avantages et des coûts anticipés des différents dispensateurs de services comme l'indique la figure 4.

Figure 4 : Evaluation des avantages-coûts et choix des services à utiliser

. Besoin de santé Besoin de services

Dispensateur A Dispensateur B

Avantages Avantages

Capacités

d'utilisation

Coûts Coûts

A B

Utilisation

A et B Pas d'utilisation

Source : Haddad, S., 1992

Les énoncés précédents peuvent être formalisés de la manière suivante 11(*):

- Soient P une population de référence et i un patient appartenant à P. Chaque patient i fait face à un univers discret de j options thérapeutiques.

- On considère qu'il existe une situation notée O, qui consiste à « Ne rien faire » et qui est la situation de référence. Soient : A(.) et C(.) les niveaux d'avantages et de coûts que i attribue à chacune des alternatives thérapeutiques envisagées. Coûts et avantages sont bornés par Cmax et Amax et par convention, les avantages et les coûts de la solution « Ne rien faire » sont considérés nuls.

Ce modèle est basé sur quatre hypothèses. Les deux premières soutiennent que i va attribuer un niveau d'avantages A(.) et un niveau de coûts C(.) à chacune des alternatives thérapeutiques et que par convention, les avantages et les coûts de la solution « Ne rien faire » sont nuls. La troisième hypothèse stipule qu'un patient construit ses préférences à partir des niveaux d'avantages et de désavantages qu'il perçoit par rapport à la situation de référence. On considère dans la quatrième, qu'un individu va attribuer une utilité U(.,.) à chaque situation j en considérant ses niveaux d'avantages et de coûts. La solution qui sera choisie sera celle pour laquelle l'utilité sera la plus élevée.

On montre qu'une classe d'application U(.,.) vérifiant les propriétés précédentes, est constituée par les applications U(.,.) où >0, définie sur [0, Amax] x [0, Cmax], telle que :

avec

où : c est le niveau de coût anticipé, a le niveau d'avantages anticipé, û est le niveau d'utilité de la solution « ne rien faire », est un réel positif. U est fonction du besoin de santé et des capacités de mobilisation des ressources de i. La forme générale de U(.,.) est convexe. La figure 5 en donne une représentation graphique pour un cas particulier ( = Amax = Cmax = 1 et û=1/4).

Figure 5 : Forme générale de U(.,.)

1 utilité

¼ 1 Coûts

1

Avantages

IV - L'utilisation des services

Le comportement d'utilisation qui découle des étapes précédentes va s'exprimer dans le pluralisme des systèmes existants comme l'indique la figure 4. L'impact des services utilisés va ensuite être évalué. Il peut alors se produire deux cas de figure. Soit le contact avec le ou les fournisseurs répond de manière satisfaisante aux attentes - l'état de santé perçu rejoint l'état de santé anticipé - et les individus sortent alors du processus ; soit le contact n'a pas conduit aux résultats anticipés et d'autres recours peuvent être envisagés à nouveau.

Dans les deux situations, l'information que va retirer l'individu du contact qu'il a eu avec son dispensateur est rémanente sur les processus ultérieurs. L'utilisation va realimenter les connaissances, les perceptions et les jugements des patients et de leur entourage à l'égard des maladies et des fournisseurs de santé. Ceux-ci vont éventuellement être amenés à réajuster le diagnostic qu'ils avaient initialement posé, voire à modifier les classifications et les modèles étiologiques des maladies auxquelles ils réfèrent.

Le système d'associations Maladie - Alternatives thérapeutiques - Dispensateurs de services est également susceptible d'être réajusté, par exemple par exclusion d'un dispensateur n'ayant pas donné satisfaction et inclusion de ressources initialement délaissées. En conséquence, même dans le cas d'un besoin de services inchangé, le champ des alternatives thérapeutiques défini lors de la phase d'émergence du besoin de services peut être modifié.

L'ampleur de ces changements et le fait que toutes les étapes du processus soient susceptibles d'être affectées par le contact avec un ou plusieurs dispensateurs expliquent que pour une même épisode, l'on puisse observer d'importantes variations dans le temps des services pressentis, le patient pouvant procéder à une séquences d'utilisations dans le temps.

Chapitre 2 : Typologie des itinéraires thérapeutiques

De nombreuses pratiques médicales existent et sont utilisées par les populations des pays sous - développés en général et au Bénin en particulier. Malades, les individus peuvent recourir aux services d'un centre de santé moderne ; ils peuvent solliciter les services d'un tradipraticiens ; certains peuvent se procurer les produits pharmaceutiques très souvent au marché et les utiliser sans aucune prescription ; d'autres peuvent aussi faire recours à des pratiques religieuses ou ne rien faire face à la maladie. Dans cette gamme de pratiques, nous nous intéressons à l'automédication, à la médecine traditionnelle et au recours aux structures de soins modernes.

Section 1 : L'automédication

I- La pratique de l'automédication

L'automédication est une méthode qui consiste à utiliser soi-même sans prescription d'une personne indiquée, les produits pharmaceutiques à des fins de traitement de maladies.

C'est une méthode très répandue dans les pays sous - développés ou très souvent, les populations se procurent les médicaments au marché ou même chez des agents de santé non autorisés et opérant dans la clandestinité 12(*). Une enquête conduite par le Ministère de la Santé Publique, l'OMS et le PNUD en 199113(*) révèle que 76% de l'échantillon enquêté, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, pratiquent l'automédication. Ce chiffre ne fait pas une distinction entre milieu urbain et milieu rural ; cependant, le nombre élevé de cadres déclarant pratiquer l'automédication (24 sur 31) et leur forte concentration en milieu urbain confirment la fréquence de cette pratique dans les milieux urbains béninois.

La pratique de l'automédication est encore soulignée par une enquête menée par Do Ango PADONOU F et al.(1990) qui précisent que 54% des malades admis au service de dermatologie du Centre Nationale Hospitalier et Universitaire de Cotonou 14(*) ont reconnu avoir auto-traité leur affection avant de s'adresser à l'hôpital ; ils notent une prédominance des cadres dans la pratique (38% des cas recensés), suivis des vendeurs et commerçants (24%) et des étudiants, élèves et apprentis (18%).

De multiples travaux se sont intéressés aux facteurs favorisant cette pratique ; ces facteurs sont de plusieurs ordres.

II - Les variables économiques et l'automédication

Théoriquement il est justifié que le coût du traitement a une influence sur la décision de se soigner et sur le choix du producteur de soins ; mais le problème qui se pose est celui de l'approche du coût dans un contexte où le coût réel de traitement n'est connu qu'après les soins ; faut - il prendre le coût anticipé du traitement (en se basant sur les informations reçues chez les personnes ayant traité une pathologie) ou le coût effectif qui est une donnée ex - post révélée après que le patient a fait son choix ?

Des études empiriques ont montré que le coût de traitement (composé des frais de consultation, des frais d'examens médicaux, d'hospitalisation et des coûts des médicaments) ont une composante coûts des médicaments faible, ce qui justifie le recours à l'automédication de la part de nombreux patients. On peut citer celles de BANGOURA Kalifa (1997) selon laquelle 66% des personnes enquêtées et ayant souffert de maladie du 1er au 31 juillet 1996 dans les communes de Sèhouè, Kpomè et Sey au Bénin estiment que les prix pratiqués dans les CCS sont chers et que les prix affichés des soins au niveau de ces CCS varient de 250 fcfa à 1650 fcfa tandis que la dépense moyenne engagée par elles est de 3801 fcfa soit une augmentation de 230%. Il trouve chez 25,7% des personnes enquêtées comme raison d'une faible utilisation des services de soins au profit de l'automédication ou d'un autre type de soins l'inaccessibilité financière des services.

Cependant les raisons réelles de recours à l'automédication au Bénin ne semblent pas seulement relatives au coût de traitement dans les structures de soins, mais il y a aussi la proximité du Nigeria qui inonde le marché béninois de médicaments frauduleux très souvent moins chers et reconnus efficaces par les populations (BOIDIN, B. ;1996).

Outre le coût du traitement, le revenu des individus est supposé justifier le choix de l'automédication ; en effet, si les patients préfèrent directement acheter les médicaments venus du Nigeria jugés moins chers, c'est que le problème de pouvoir d'achat se pose. Chez les Senufo de Côte d'Ivoire par exemple, les familles vivant dans un confort relatif (indicateur du pouvoir d'achat) recourent moins à l'automédication et la pauvreté augmente chez ces populations la probabilité de recourir à l'automédication ( Audibert, M. et al. 1998).

III - Les variables socio-démographiques et l'automédication

Des travaux empiriques ont montré que les variables socio - démographiques telles que l'âge, le sexe, la situation familiale et le niveau d'instruction ont un impact sur les choix thérapeutiques en général.

La probabilité de recourir à l'automédication pour soigner un enfant est plus forte que pour un adulte en milieu rural ivoirien (Dor et al. ; 1988) et chez les Senufo de Côte d'Ivoire, les femmes ont plus recours à l'automédication que les hommes (Audibert, M. et al., 1998) alors qu'en Egypte, le phénomène est contraire (Ellis, R. et al. , 1994). Audibert M. et J Mathonnat ont aussi estimé un effet non significatif de l'âge sur le recours à l'automédication chez les Senufo de Côte d'Ivoire.

La situation familiale peut être appréhendée par deux variables : le nombre d'enfants du malade s'il est adulte et la taille de la famille dans le cas contraire ; logiquement, une famille nombreuse a moins de ressources à consacrer à chaque personne malade et optera pour un type de soins à moindre coût. L'effet de la taille de la famille reste cependant indéterminé à priori, car il dépendra aussi largement de l'âge des membres de la famille.

L'éducation peut influencer directement la nature de la demande de soins de plusieurs manières ; elle peut exercer un effet non déterminable à priori (favorable ou défavorable) sur le recours à l'automédication : en favorisant l'accès à la connaissance, elle peut amener les personnes d'un niveau scolaire élevé à utiliser elles - mêmes les médicaments sans prescription ; en agissant sur la productivité et le revenu, elle peut exercer un effet négatif sur l'automédication dans un contexte où les contraintes financières jouent en défaveur de l'automédication. Cependant chez les Senufo de Côte d'Ivoire, L'effet de l'éducation sur le recours à l'automédication est négatif quoique non significatif (Audibert, M. et al. 1998).

Dans l'ensemble, ces études montrent que les variables socio - démographiques peuvent modifier les choix thérapeutiques des individus.

IV - Le type de symptôme, la sévérité et l'automédication

Parmi les maladies qui prévalent en zone intertropicale, il y en est dont la régularité et l'ampleur ont amené les autorités sanitaires à sensibiliser les populations à prendre des dispositions dans le but de se prémunir ; On considère que les types de symptôme peuvent donc influencer le choix entre les alternatives de soins disponibles. Au Bénin l'automédication est plus utilisée par les populations pour traiter le paludisme et la fièvre, maladies dont les médicaments sont relativement moins chers (MSP, PME et PNUD, 1991).

La durée de l'épisode morbide est un indicateur de sévérité de la maladie ; chez les Senufo de Côte d'Ivoire, plus la maladie dure, moins les individus recourent à l'automédication (Audibert, M. et al., 1998), ce qui indique que pour un problème de santé sérieux, les individus entreprennent le recours à des soins autres que l'automédication.

Section 2 : Le recours aux structures de soins modernes

Outre l'automédication, les structures de soins modernes peuvent être utilisées par les populations ; elles regroupent les centres de santé publics ou privés où le pratiques médicale est la médecine moderne depuis le diagnostic jusqu'aux traitement ; y font partie les hôpitaux, les CCS, les cabinets médicaux, les cliniques et toutes les structures sanitaires décentralisées offrant des services variés aux populations des villes et campagnes.

Les petits prestataires biomédicaux offrent des services peu éloignés de la demande et adaptés en partie aux besoins élémentaires des populations urbaines (Boidin, B, ; 1996a). Au Bénin, on note une faible utilisation des structures de soins modernes, surtout en milieu rural: le taux moyen d'utilisation des services de soins curatifs dans les CCS de Toffo est de 54,08% (BANGOURA, K., 1997). Plusieurs raisons peuvent expliquer la volonté des populations d'utiliser ou non ces structures de soins modernes.

I - Les variables économiques et l'utilisation des structures de soins modernes

Les études empiriques de la demande médicale ont confirmé le rôle du prix dans les choix opérés entre soins médicaux de toutes sortes, l'assurance maladie ayant pour effet de modifier le prix net des soins pour le consommateur qu'est le patient.

Au Bénin, les coûts des services dans les centres de santé ont un impact négatif sur l'utilisation de ces structures par les populations (Bolduc, D. et al. ;1996), de même qu'au Nigeria (Akin, J.S. et al. ; 1995). En retenant le coût ex-post du traitement médical et le coût moyen du traitement comme une approximation du coût anticipé, Audibert, M. et al (1998) estiment un effet positif et significatif du coût du traitement sur la demande de soins modernes chez les Senufo de Côte d'Ivoire. Le coût élevé du traitement dans les structures de soins modernes constitue un facteur limitant le recours aux structures de soins modernes pour les populations rurales du sud Bénin dont 50% des femmes déclarent que les prestations sont chères ( Alihonou, 1992) . Les augmentations de prix touchent deux à trois fois les pauvres que les autres personnes, ce qui entraîne une diminution des services de soins curatifs (Dor,A et al., 1988). Si donc les coûts des prestations sont élevés, les populations n'ont pas tendance à recourir aux structures de soins modernes en cas de maladie et préfèrent opter pour d'autres alternatives de soins. L'augmentation des tarifs officiels de 230% au niveau des CCS de Kpomè, Sèhouè et Sey au Bénin est la principale raison de non - utilisation des services de soins curatifs dans ces localités (Bangoura,K.,1997). Des études ont montré l'existence d'un effet significatif du coût des soins sur l'utilisation des services de soins curatifs ; nous pouvons citer celle de Waddington, C.J. et Enyimayem (1989) menée au Ghana selon laquelle un relèvement des prix entre 1983 et 1985 s'est traduit par une chute brutale de l'utilisation des services de soins curatifs.

Selon les travaux de BANGOURA Kalifa 15(*), 52,2% des personnes enquêtées ont un revenu mensuel moyen inférieur à 4600 FCFA, ce qui est en deçà du seuil de pauvreté dans les zones rurales au Bénin qui est de 4708 FCFA (PNUD, 1995) ; plus le revenu mensuel des individus est bas, moins les services de soins curatifs sont utilisés par ces individus ; tel est le cas chez les individus n'ayant pas utilisé les CCS durant leur maladie. Il signale aussi que l'incapacité financière chez les enquêtés n'ayant pas utilisé les CCS est très élevée et que 90,1% de ces enquêtés expliquent le non recours aux CCS par la non - disponibilité de l'argent au moment de la maladie ; ils ne sont pas capables de réunir l'argent nécessaire pour faire face aux tarifs pratiqués dans les formations sanitaires des localités enquêtées.

Cependant, même si le revenu augmentait, Durand Quenum conclut que la disponibilité financière va toujours persister, parce que d'autres facteurs tels que la demande de soins plus coûteux, le manque de prévision, l'insuffisance d'épargne et la tarification dans les centres de santé entrent en jeu 16(*).

Le problème qui se pose pourtant est celui de l'approche du revenu dans un contexte ou la plupart des individus en pays sous - développés n'ont pas un revenu fixe. Sauerborn et al.(1994), Grosh et Baker (1995) ont montré qu'il existe des indicateurs indirects permettant d'approcher un revenu difficilement mesurable. Audibert, M.et J. Mathonnat (1998) utilisent certains de ces indicateurs construits en fonction des caractéristiques socio-économiques des Senufo de Côte d'Ivoire. Ces indicateurs visent à cerner la richesse relative des ménages à travers des angles d'observation différents, bien que non totalement indépendants ; ils retiennent notamment la production du coton, la pauvreté relative caractérisée par la présence ou non de maison en dur, la possession ou non de certains objets de confort, et l'exercice d'une profession artisanale ou de commerce.

II - Les effets des variables socio - démographiques sur l'utilisation des services de soins moderne

En général, au fur et à mesure que les gens « s'usent » plus vite (qu'ils deviennent plus vieux), ils exigent davantage des soins médicaux ; de plus des différences systématiques apparaissent entre hommes et femmes (Phelps, C., 1995).

Des travaux empiriques ont montré ces phénomènes ; Dow (1996), Dor, A. et al. (1988) et Audibert, M. et al. (1998) ont d'après des estimations constaté que les femmes ont moins recours aux structures de soins modernes en milieu rural ivoirien contrairement à ce qui est le cas en Egypte (Ellis, R.P et al., 1994).

De même, plus la taille des ménages est grande, plus les dépenses de santé sont élevées, les célibataires dépensant moins que les jeunes couples à un enfant qui à leur tour dépensent moins que les ménages polygames (Kpégba, P.K., 1997).

La variable âge a un effet positif mais non significatif sur le recours aux structures de soins modernes chez les Senufo de Côte d'Ivoire (Audibert, M. et al., 1998) et en milieu béninois (Bolduc, D. et al., 1996) contrairement au cas en milieu rural ivoirien (Dor, A. et al., 1988) où l'effet est négatif et significatif.

Le niveau d'instruction des individus est aussi un facteur discriminant quant au choix du type de soins ; il joue sur la probabilité de recourir au secteur de soins privé de santé au Nigeria et au Ghana (Akin, J.S., et al., 1995), mais son effet sur le choix thérapeutique chez les Senufo de Côte d'Ivoire est non significatif (Audibert, M. et al., 1998) de même qu'au Bénin (Bolduc, D. et al., 1996).

A la lumière de ces résultats, on peut penser que les variables socio - démographiques peuvent influencer les choix thérapeutiques des individus. Observons ce qu'il en est des caractéristiques de l'offre des soins.

III - Caractéristiques de l'offre et demande de soins de santé modernes

L'offre des soins de santé moderne peut être caractérisée par la disponibilité du personnel, des services et des médicaments, et l'accessibilité géographique.

Les services publics de santé en pays en développement sont souvent caractérisés par une insuffisance du personnel ; cette insuffisance du personnel présente deux aspects en milieu rural au Bénin 17(*) :

· L'aspect quantitatif : le nombre de sages-femmes et d'infirmiers requis pour les localités concernées n'est pas satisfait.

· L'aspect qualitatif : certains postes au niveau des services de soins curatifs ( consultations par parfois et injection ) sont tenus par les aides-soignants formés sur le tas ; il se pose à ce niveau un problème de qualité des prestations.

Selon Bangoura,K. (1997), 54% des personnes enquetées dans la commune de Toffo et ayant souffert de maladies déclarent que le personnel et les services ne sont pas disponibles dans les CCS. La même déclaration est faite par 50% des enquetées dans l'étude sur les déterminants du faible taux d'utilisation des services de santé à Tori-Bossito (Fagninou,D., 1995).

De plus la disponibilité des médicaments essentiels est un facteur important pour la fréquentation des services de soins curatifs des CCS au Bénin ; dans son étude réalisée à Tori-Bossito, Fagninou trouve que 50% de ses enquêtés expliquent le recours aux formations sanitaires par ce que les médicaments sont disponibles. Au niveau des CCS, la disponibilité des médicaments essentiels n'est pas totale ; 18% des personnes interrogées lors d'une enquête ont déclaré que les médicaments ne sont pas disponibles, les CCS accusant les ruptures de quelques molécules de médicaments essentiels pendant certaines périodes où la totalité des médicaments n'est pas obtenue au niveau des CCS, le reste étant fourni sur la prescription des ordonnances externes (Bangoura, K., 1997).

L'accessibilité géographique a été longtemps citée comme un facteur favorisant l'accès aux services de soins dans beaucoup de régions ; au niveau de la Sous Préfecture de Tchaourou au Bénin, elle est de 42% (Tolomè, G., 1993). A Toffo dans les communes de Sèhouè, Kpomè et Sey , elle est de 69,5% ( Bangoura, K., 1997) ; A la manière de Bolduc et al.(1996), Audibert, M. et J. Mathonnat (1998) estiment un coefficient significativement positif de la distance du lieu de résidence du patient au centre de santé dans la demande de soins.

Section 3 : La médecine traditionnelle

Un groupe d'experts de l'OMS réuni à Brazzaville du 9 au 13 Février 1976 définit la médecine traditionnelle comme étant l'ensemble de toutes les connaissances et pratiques explicables ou non, pour diagnostiquer, prévenir ou éliminer un déséquilibre physique, mental ou social , en s'appuyant exclusivement sur l'expérience vécue et l'observation transmises de génération en génération, oralement ou par écrit18(*).

Outre les tradipraticiens officiellement recensés, une multitude d'officines non réglementées abondent dans les villes béninoises ; 41% des habitants de Cotonou déclarent se rendre chez le guérisseur en cas de maladie, chiffre biaisé à la baisse compte tenu de la réticence de certaines catégories à révéler cette pratique notamment dans le cas des couches nanties (Boidin, B., 1996). Plusieurs raisons peuvent jouer en faveur de l'utilisation de la médecine traditionnelle.

I - Les raisons de l'utilisation de la médecine traditionnelle

Parmi les raisons souvent évoquées pour ce type de choix, les critères économiques ne semblent pas primordiaux, contrairement aux arguments parfois avancés en faveur des atouts de la médecine traditionnelle ; une enquête menée par le MSP, l'OMS et le PNUD en 1991 rapporte que la part occupée par la variable de coût semble moins importante pour les catégories modestes que pour les employés et cadres. Il faut cependant remarquer que l'idée selon laquelle les soins traditionnels sont moins onéreux est discutable dans la mesure où les modalités de paiement, souvent par partie en nature, engendrent des frais qui n'apparaissent pas forcement au départ du traitement.

Les facteurs de préférence tels que la confiance, la croyance et les habitudes, et de lacunes perçues dans les structures officielles de soins, semblent aussi déterminants dans les choix thérapeutiques des patients. L'importance des critères de préférence réside dans la dimension symbolique de nombreuses pratiques médicales traditionnelles et que les structures modernes n'intègrent pas. Quant aux critères relatifs aux lacunes perçues dans les structures officielles, ils portent à croire que l'accueil et la prise en charge des malades dans les structures officielles publiques les incitent à aller vers d'autres prestataires pouvant leur prodiguer des soins plus adaptés.

II - Les études empiriques

Des travaux empiriques ont montré que des variables d'ordre économique, socio - démographiques, culturelles et relatives aux types de symptôme influencent d'une manière ou d'une autre le recours à la médecine traditionnelle.

Audibert, M. et al. (1998), en approximant le coût des traitements par le coût ex-post, estiment un effet positif et significatif du coût sur la demande de soins traditionnelle chez les Senufo de Côte d'Ivoire ; ils obtiennent aussi un effet positif du revenu sur le recours à la médecine traditionnelle, revenu qu'ils approchent à partir d'indicateurs visant à cerner la richesse relative des ménages à travers des angles d'observation différents : production de coton, pauvreté relative caractérisée par la présence ou non de maison en dur, etc.

Selon les travaux de Bolduc et al. (1996), la variable coût influence négativement les choix thérapeutiques des patients. Tout comme Audibert M. et al, Bolduc et al. obtiennent un effet non significatif de l'âge sur le recours à la médecine traditionnelle et un effet non significatif du niveau d'éducation sur le choix de ce type de soins.

Toute cette littérature sur les itinéraires thérapeutiques nous apporte des éléments pouvant nous permettre de d'identifier dans la deuxième partie de notre travail les déterminants des choix thérapeutiques au Sud Bénin.

Deuxième partie :

LES DETERMINANTS DU CHOIX THERAPEUTIQUE ET LES IMPLICATIONS EN MATIERE DE POLITIQUE SANITAIRE

Chapitre 3 : Analyse des déterminants

Nous présenterons successivement le cadre opératoire de l'identification des déterminants puis les résultats d'enquête, les estimations et les analyses.

Section 1 : Le cadre opératoire

A la lumière des fondements et de la typologie que nous avons présentés dans la première partie, nous définissons ici les variables susceptibles d'influencer les choix thérapeutiques des individus et nous présentons le modèle théorique permettant d'expliquer ces choix.

I - Les variables

Nous retenons deux groupes de variables explicatives :

Des variables relatives aux caractéristiques des individus

( le malade et sa famille). Il s'agit de :

· Les variables démographiques :

- Le lieu de résidence de l'individu avec les modalités suivantes : urbain = 1 ; rural = 0. Le signe attendu du coefficient de cette variable est le signe positif dans le recours aux structures de soins modernes , le signe négatif dans le recours aux tradipraticiens et les deux dans l'automédication.

- L'âge du malade exprimé en années révolues. On s'attend à

ce qu'il agisse négativement sur le recours aux structures de soins modernes et positivement sur le recours aux tradipraticiens et l'automédication.

- Le sexe du décideur de soin avec les modalités suivantes : masculin = 1 et féminin = 0. Le signe attendu du coefficient de cette variable est le signe positif dans le recours aux structures de soins modernes , le signe négatif dans le recours aux tradipraticiens et les deux signes dans l'automédication.

- La taille du ménage; elle sera exprimée en nombres de personnes. Elle est supposée agir positivement sur le recours à l'automédication, négativement sur l'utilisation des structures de soins modernes ; son effet sur la tradithérapie est imprécis.

- Le niveau d'instruction du décideur de soins; les modalités

sont : aucun = 0 ; alphabétisé = 1 primaire = 2 ; secondaire = 3 ; supérieur = 4. Le signe attendu du coefficient de cette variable est le signe positif dans le recours aux structures de soins modernes , le signe négatif dans le recours aux tradipraticiens et l'automédication.

- La catégorie socioprofessionnelle du décideur de soins ; nous retenons les modalités suivantes :0 = transporteur ; 1 = salarié ; 2 = commerçant ; 3= artisan ; 4 = agriculteur, pêcheur ou éleveur. Le signe attendu sur les recours thérapeutiques n'est pas précis.

· Une variable caractéristique du niveau de vie du décideur de soins afin d'appréhender les revenus. Nous retenons ici le montant des dépenses mensuelles19(*) et de l'épargne du ménage. Cette approche du revenu par les dépenses nous semble être la meilleure que nous pouvons utiliser dans un contexte où les individus sont réticents à déclarer leur revenu mensuel et ou la plus part des individus n'ont pas un salaire mensuel. Les revenus estimés seront classés en classes comme suit avec les modalités correspondantes: 1 = revenu estimé ]0 ; 25000] ; 2 = revenu estimé ]25000 ; 50000] ; 3 = revenu estimé ]50000 ; 75000], 4 = revenu estimé ]75000 ; 100000] ; 5 = revenu estimé ]100000 ; 125000] ; 6 = revenu estimé >125000 ; Tous les revenus estimés sont en fcfa. On s'attend à ce qu'il agisse positivement sur l'utilisation des soins modernes, négativement sur l'automédication. L'effet sur la tradithérapie est imprécis.

· Une variable muette socioculturelle dont l'indicateur est la conception faite par le décideur de soin à propos des potentialités médicinales traditionnelles de son milieu; les modalités sont : 1 = efficaces et 0 = non efficaces. Il est attendu qu'elle agisse positivement sur le recours aux tradipraticiens et négativement sur les autres recours.

Des variables non relatives aux individus mais relatives soit à la maladie, soit à l'environnement du cadre où ils vivent. Il s'agit de :

· La disponibilité du personnel médical et des services prenant les valeurs 0 (personnel et services non disponibles) et 1 ( personnel et services disponibles). On en attend un effet positif sur le recours aux structures de soins modernes. L'effet attendu sur les autres recours est imprécis.

· La disponibilité des médicaments essentiels ; les modalités sont : 1 si services disponibles et 0 si services non disponibles. On en attend un effet positif sur le recours aux structures de soins modernes. L'effet attendu sur les autres recours est imprécis.

· Le type de symptôme ; nous retenons les maladies suivantes nous permettant de définir les différentes modalités après des entretiens avec les cadres du MSP au Bénin :Paludisme et fièvre, diarrhée, maladies de la peau, maladies des yeux, MST, maladies respiratoires. 

Les modalités sont : 1 si oui et 0 si non ; les effets attendus sont variables.

· Le coût de chaque type de traitement ; les différents coûts sont exprimés en francs cfa. Nous obtenons ces coûts suite à des entretiens avec les différents acteurs de l'offre des types de soins et des enquêtes auprès des individus, relativement aux différents symptômes que nous avons retenus avec les acteurs de l'offre de soins. Bien que ces coûts varient des structures de soins privées à celles de soins publiques, nous retenons le coût moyen de prestation relative à chaque symptôme dans le souci de simplification de l'analyse. Nous présentons en annexes les éléments de calcul de ces coûts, éléments que nous avons obtenus après des entretiens avec les acteurs des différents types de soins. Il est attendu un effet négatif de ces coûts sur les recours thérapeutiques.

· La durée de l'épisode morbide: il s'agit du temps pendant lequel la maladie s'est manifestée avant le recours aux soins. Elle sera exprimée en jours. Nous en attendons un effet positif sur l'utilisation des structures de soins modernes et un effet négatif sur l'automédication. L'effet sur le recours aux tradipraticiens est variable.

· L'accessibilité géographique ; nous retenons la distance exprimée en km parcourue par le patient pour atteindre le centre de traitement. Il est attendu qu'elle agisse positivement sur l'utilisation des structures de soins modernes ; son effet sur les autres recours est imprécis.

La variable expliquée est la probabilité de recours à une forme de traitement en cas d'épisode morbide. Les modalités sont : 1 si recours au type de soin et 0 si non. Nous noterons : PMODERNE = probabilité de recours aux structures de soins modernes ; PTRADIT = probabilité de recours aux tradipraticiens ; PAUTO = probabilité de recours à l'automédication.

Ces différentes variables et les effets que nous attendons d'elles sont résumés dans le tableau suivant :

Tableau n°1 : variables explicatives et effets attendus.

Variable

Description

Modalités

Effet attendu sur

PMODERNE

PTRADIT

AUTOMED

RESIDENCE

Lieu de résidence du malade

Urbain = 1

Rural = 0

+

-

+/-

AGE

Age du malade

En nombre d'années

-

+

+

SEXE

Sexe du malade

Masculin = 1

Féminin = 0

+

-

+/-

TAILLEMGE

Taille du ménage

En nombre de personnes

-

+/-

+

EDUC

Niveau d'instruction du décideur de soin

Aucun = 0 Alphabétisé = 1

Primaire = 2 Secondaire = 3

Supérieur = 4

+

-

-

CATSP

Catégorie socioprofessionnelle du décideur de soin

transporteur = 0 ; salarié = 1 ; commerçant = 2 ; artisan = 3  agriculteur, pêcheur ou éleveur=4

+/-

+/-

+/-

REVENU

Revenu du décideur de soin

1=]0 ;25000] ; 2=]25000 ;50000]

3=]50000 ;75000]

4=]75000 ;100000]

5=]100000 ;125000]

6= >125000

+

+/-

-

CULT

Croyance efficacité des ressources locales

1 = efficaces

0 = non efficaces

-

+

-

PERSMED

Disponibilité du personnel médical

1 = disponible

0 = non disponible

+

+/-

+/-

MEDICAM

Disponibilité des médicaments essentiels

1 = disponible

0 = non disponible

+

+/-

+/-

PALUFIEVRE

Paludisme ou fièvre

1 = l'individu en souffre

0 = l'individu n'en souffre pas

+/-

DIARRHEE

Diarrhée

MALPEAU

Maladies de la peau

MALYEUX

Maladies des yeux

MST

Maladies sexuellement transmissibles

MALRESP

Maladies respiratoires

COUTMOD

Coût du traitement moderne

En fcfa

-

 
 

COUTTRAD

Coût du traitement traditionnel

En fcfa

 

-

 

COUTAUTO

Coût de l'automédication

En fcfa

 
 

-

DUREE

Durée de l'épisode morbide

En jours

+

+/-

-

ACCGEO

Accessibilité géographique du milieu

1 = accessible

0 = non accessible

+

+/-

+/-

Source : notre conception

II - Le modèle économétrique

Le modèle que nous estimerons est un modèle probit de recours aux différents types de soins médicaux, modèle approprié aux estimations à variables dépendantes limitées 20(*).

Appelons Uij l'utilité que l'individu i espère tirer de l'alternative j ; on a

Uij = uiXi + ßZij + ij

où les Xi représentent les caractéristiques des individus ou des ménages, les ui les coefficients associés aux caractéristiques individuelles et les Zij représentant les caractéristiques des alternatives, les ß les coefficients associés. On fait l'hypothèse que les ij sont normalement distribués.

En supposant que le choix d'une alternative n'est pas lié à la présence d'une autre alternative, nous utilisons le modèle probit multinomial et évitons ainsi la contrainte du modèle logit emboîté selon laquelle une même variable explicative ne peut être retenu comme déterminant de plusieurs alternatives.

Ainsi la probabilité Pik pour un individu i de recourir à une alternative k sera donnée par

où k = 1, 2, 3

(U, ø) la fonction de densité de probabilité de U N(0, 1)

Nous estimons donc trois modèles respectivement pour les trois itinéraires thérapeutiques que sont : le recours aux structures de soins modernes, le recours aux tradipraticiens et l'automédication.

Nous prenons : k = 1 pour le recours aux structures de soins modernes

k = 2 pour le recours aux tradipraticiens.

k = 3 pour l'automédication.

Section 2: Résultats d'enquête, estimations des modèles et analyses

I - Résultats de l'enquête

Les principaux résultats de l'enquête que nous avons menée sont regroupés dans les tableaux de l'annexe 2. Nous présentons ici l'essentiel de ces résultats.

1°/ Taux de réponse et structure de l'échantillon

Nous avons obtenu un bon taux de réponse (72,5%) puisque sur les 200 individus choisis, 55 ont été défaillant dans les réponses. Ce bon taux peut s'expliquer par le fait que nous avons fait une pré-enquête, que nous soyons nous-mêmes déplacés pour l'administration du questionnaire et avons aidé les individus à une bonne compréhension du questionnaire. L'échantillon est composé de 54% d'individus de sexe féminin et 46% de sexe masculin. 71% des individus ont moins de 30ans ; 36% vivent en milieu rural et 64% en milieu urbain. Les salariés représentent 38% de l'échantillon ; Toutes les circonscriptions et sous-préfectures concernées sont dotées d'au moins un centre de santé, un tradipraticien et d'un lieu de vente de médicaments ( caisse de médicament, pharmacie ou cabinet médical). Seuls 30% des individus ont un niveau d'instruction supérieur au primaire ; la taille moyenne d'un ménage est d'environ 5 individus et le revenu mensuel moyen du décideur de soins est de la classe ]50000 fcfa; 75000 fcfa] ; 38% des décideurs de soins sont animistes, 39% chrétiens et 23% musulmans.

2°/ Point de vue des populations sur les recours thérapeutiques

A l'exception des maladies respiratoires dont le taux de morbidité de l'échantillon est de 49%, pour toutes les autres maladies retenues (paludisme et fièvre, diarrhée, maladie de la peau, maladie des yeux, MST), le taux de morbidité de l'échantillon est supérieur à 50%. 28% de l'échantillon pensent que leur milieu de vie dispose des potentialités médicinales traditionnelles efficaces ; 57% des individus ayant présenté un épisode morbide un mois avant l'enquête déclarent s'être rendus dans les centres de santé modernes, 46% chez les tradipraticiens et 58% déclarent avoir eu recours à l'automédication. Parmi les 67 individus ayant eu recours aux tradipraticiens, 57% ont d'abord eu recours à la médecine moderne dont 26 soit 68,% pour un diagnostic et 12 soit 32% pour un diagnostic et un traitement. 69% des 145 individus ayant été malades ont eu satisfaction du type de soins choisi et parmi les 31% non satisfaits, 22% sont disposés à se rendre dans un centre de santé moderne, 71% sont disposés à se rendre chez un tradipraticien et 7% sont prêts à pratiquer l'automédication pour continuer le traitement. Notons aussi qu'il ressort des résultats de notre enquête que les raisons financières constituent le motif du choix thérapeutique chez 27% de l'échantillon tandis que la croyance à l'efficacité constitue le motif chez 73% et que 75% des individus ont commencé le traitement après une semaine d'épisode morbide.

3°/ Point de vue de la population sur les caractéristiques des soins dans les structures de santé modernes

A la question de savoir ce qu'ils pensent des prix pratiqués dans les centres de santé modernes, 63% des individus répondent que les prix sont bas, 31% jugent les prix raisonnables et 6% pensent que les prix sont élevés. De même 41% des individus mettent moins de 30mn pour se rendre dans le centre de santé le plus proche tandis que 59% en mettent plus. De l'avis de 81% des personnes enquetées, le personnel médical n'est pas disponible dans les centres de santé alors que 19% pensent le contraire. Pour 44% des individus, les médicaments essentiels ne sont pas disponibles dans les centres de santé tandis que pour 56%, ces médicaments sont disponibles.

Les caractéristiques centrale et de dispersion (moyenne, écart-type et coefficient de variation) de chacune des variables explicatives et expliquées sont présentées dans le tableau suivant.

Tableau n°2 : description des variables.

Variables

Description

Moyenne

Ecart-type

Coefficient de variation (%)

PMODERNE

Recours aux structures de soins modernes

0,572

0,496

0,86713287

PTRADIT

Recours aux tradipraticiens

0,462

0,5

1,08225108

PAUTOMED

Recours à l'automédication

0,579

0,495

0,85492228

RESIDENCE

Lieu de résidence

0,634

0,483

0,76182965

AGE

Age du malade

22,31

14,977

0,67131331

SEXE

Sexe du malade

0,455

0,5

1,0989011

TAILLEMGE

Taille du ménage

5,51

2,555

0,46370236

EDUC

Niveau d'instruction du décideur de soins

1,993

1,057

0,53035625

CATSP

Catégorie socioprofessionnelle du décideur de soins

2,062

1,6

0,77594568

REVENU

Classe de revenu du décideur de soins

3,179

1,2

0,37747719

CULT

Croyance à l'efficacité des ressources locales

0,283

0,452

1,59717314

PERSMED

Disponibilité du personnel médical

0,559

0,496

0,88729875

MEDICAM

Disponibilité des médicaments essentiels

0,559

0,498

0,89087657

PALUVIEVRE

Paludisme ou fièvre

0,559

0,498

0,89087657

DIARRHEE

Diarrhée

0,586

0,494

0,84300341

MALPEAU

Maladies de la peau

0,586

0,494

0,84300341

MALYEUX

Maladie des yeux

0,558

0,498

0,89247312

MST

Maladies sexuellement transmissibles

0,614

0,488

0,79478827

MALRESP

Maladies respiratoires

0,496

0,502

1,01209677

COUTMOD

Coût du traitement moderne

20620,69

10280,1

0,49853327

COUTTRAD

Coût du traitement traditionnel

6275,172

3149,086

0,50183262

COUTAUTO

Coût de l'automédication

6741,724

3293,428

0,48851421

DUREE

Durée de l'épisode morbide

5,503

3,064

0,55678721

ACCGEO

Accessibilité géographique du centre de santé moderne

0,731

1,314

1,79753762

Source : d'après nos résultats d'enquête.

N.B. Pour les modalités de ces variables, confère le tableau n°1.

Les données de ce tableau montrent que dans l'ensemble les variables connaissent une variation énorme autour de leur moyenne, ce qui traduit l'hétérogénéité énorme de l'échantillon.

II - Estimation des modèles

1°/ Test de multicolinéarité

Toutes les variables n'ont pas été prises en compte dans les estimations ; en effet, après l'estimation de la matrice de corrélation entre les variables, nous avons découvert une multicolinéarité entre certaines variables. Nous avons donc procédé à une élimination de certaines variables présentant une colinéarité avec d'autres variables, après quoi les variables suivantes ont été retenues : RESIDENCE , AGE , SEXE , TAILLEMGE , EDUC , CATSP , REVENU , CULT , MEDICAM , PALUFIEVRE , DUREE et ACCGEO.

2°/ Résultats des estimations

Après l'élimination de la multicolinéarité entre les variables, nous avons abandonné après des simulations certaines variables systématiquement non significatives, ce qui nous a conduit à estimer les modèles plus restreints dont nous présentons les résultats dans le tableau suivant où figurent les coefficients estimés puis en parenthèses les z - statistic (suivant une loi normale).

Tableau n°3: Résultats des estimations des modèles probit de choix thérapeutique.

Modèles

Variables

Modèle 1 : (variable dépendante = PMODERNE)

Modèle 2 : (variable dépendante = PTRADIT)

Modèle 3 : (variable dépendante = PAUTOMED)

Constante

AGE

SEXE

TAILLEMGE

EDUC

REVENU

CULT

MEDICAM

DUREE

PALUFIEVRE

MALPEAU

-2,077539 *

(-2,809700)

-0,013739

(-1,232584)

0,864056 *

(2,814625)

0,037455

(0,628313)

0,102735

(0,707471)

0,145556

(1,135693)

0,386397

(1,234573)

0,028130

(0,573745)

1,740140 *

(4,924975)

0,275416

(0,495194)

0,0008203

(0,898446)

-0,102741

(-0,389996)

-0,297262 *

(-2,237380)

-0,149975

(-1,300532)

1,901183 *

(5,525357)

0,213750

(0,720845)

0,331107

(0,516627)

-0,004433

(-0,511765)

0,093290 **

(1,663702)

-0,003942

(-0,032546)

-0,022755

(-0,174567)

-0,176311 *

(-3,901336)

0,975419 *

(2,824847)

Nombre d'observations pour variable dépendante =

0

62

78

61

1

83

67

84

Total

 

145

145

145

(LR)

McFadden R²

88 ,07787

0,444926

61,57491

60,39669

*: significatifs à moins de 5% ; ** : significatifs à moins de 10%

Source : D'après estimation sur Eviews.

3°/ Test de significativité des coefficients

Il s'agit de voir si les variables explicatives retenues sont individuellement significatives dans l'explication de la variable endogène ( recours à un type de soins donné) ; nous nous servons pour ce fait du z - statistic pour tester l'hypothèse Ho contre l'hypothèse H1 où :

H0 : ßi = 0 (la variable affectée du coefficient ßi n'explique pas le recours à l'alternative de soins)

H1 : ßi 0 ( la variable affectée du coefficient ßi explique le recours à l'alternative de soins).

Nous rejetons si le z - statistic estimé est supérieur au z - statistic tabulé au seuil où est la probabilité d'erreur que l'on commet en affirmant que le paramètre est nul alors qu'il ne l'est pas.

Les z - statistic estimés sont entre parenthèses dans le tableau ci-dessus. La comparaison des z - statistic théoriques au seuil de 10% ( t = 1,645 ) et au seuil de 5% ( t =1,96 ) avec les z - statistic donnés par les régressions (en valeur absolue) permet de conclure que :

· Dans le modèle 1, les variables SEXE et MALPEAU sont significatives au seuil de 5% .

· Dans le modèle 2, les variables EDUC et CULT sont significatives au seuil de 5%.

· Dans le modèle 3, la variable TAILLEMGE est significative au seuil de 10% et les variables DUREE et PALUFIEVRE sont significatives au seuil de 5%.

4°/ Test de régression entière

Le test de régression entière correspond dans les modèles à variables dépendantes limitées au test du ratio de vraisemblance et utilise la statistique LR qui suit une loi de ² à k degrés de liberté où k est le nombre de variables explicatives 21(*). Dans le cas de nos régressions, nous avons :

· Pour le modèle 1, LR = 88,07787

· Pour le modèle 2, LR = 61,57491

· Pour le modèle 3, LR = 60,39669.

Dans le modèle 1, k = 8 ; dans chacun des modèles 2 et 3, k = 6 et la table de ² nous donne la valeur 16,81 à 6 ddl et 18,48 à 8 ddl à 1% ; chacun des LR étant supérieur aux valeurs tabulées correspondantes , nous pouvons conclure que les variables retenues pour chaque modèle contribuent donc conjointement à expliquer le modèle correspondant.

La validité du modèle 1 dont la constante est significative est aussi mesurée par le McFadden R² = 1-(lnL/lnL0) avec L la fonction de vraisemblance dans le modèle incluant toutes les variables et L0 celle dans la fonction contenant uniquement le terme constant 22(*). Le McFadden R² correspondant au modèle 1 ( voir tableau n°3 ) nous permettent d'accepter la bonne adéquation des modèles.

5°/ Pouvoir de prédiction des modèles.

Il est donné par les tableaux de prédiction suivants :

Tableau n°4 : table de prédiction du modèle 1.

 
Valeurs observées

0 1

Total prédit

0

Valeurs prédites

1

50

10

60

 

73

85

Total observé

62

83

145

Nombre de bonnes prédiction 123

% de bonnes prédiction 84,83%

 

Source : d'après estimation sur Eviews

Tableau n°5 : table de prédiction du modèle 2.

 
Valeurs observées

0 1

Total prédit

0

Valeurs prédites

1

75

27

102

 

40

43

Total observé

78

67

145

Nombre de bonnes prédiction 115

% de bonnes prédiction 79,31%

 

Source : d'après estimation sur Eviews

Tableau n°6 : table de prédiction du modèle 3.

 
Valeurs observées

0 1

Total prédit

0

Valeurs prédites

1

47

9

56

 

75

89

Total observé

61

84

145

Nombre de bonnes prédiction 122

% de bonnes prédiction 84,14%

 

Source : d'après estimation sur Eviews

Les tables de prédiction ci-dessus montrent ce qui suit :

Modèle 1 : sur les 83 recours aux soins modernes observés, 73 ont été prédits correctement par le modèle, soit un pourcentage de 87,95%. Quant aux 62 non recours aux soins modernes, le modèle les prédit à 80,65%.

Modèle 2 : sur les 67 recours aux tradipraticiens observés, 40 ont été prédits correctement par le modèle, soit un pourcentage de 59,70%. Quant aux 78 non recours aux tradipraticiens, 75 ont été correctement prédits par le modèle, soit un pourcentage de 96,15%.

Modèle 3 : sur les 84 recours à l'automédication observés, 75 ont été prédits correctement par le modèle, soit un pourcentage de 89,29%. Quant aux 61 non recours à l'automédication, 47 ont été correctement prédits par le modèle, soit un pourcentage de 77,05%.

Dans l'ensemble, les modèles 1, 2 et 3 ont respectivement un pouvoir de prédiction de 84,83%, 79,31% et 84,14%, pourcentages élevés qui confirment l'adéquation des modèles 1, 2 et 3 obtenue dans le test de régression entière.

III - Analyse des résultats

1°/ Analyse des résultats d'enquête

Les résultats d'enquête que nous avons présentés suscitent les analyses qui suivent :

Les différents recours thérapeutiques (recours aux structures de santé modernes, recours à la tradithérapie et recours à l'automédication) sont dans l'ensemble utilisés par les populations du sud Bénin. La majorité de ceux qui font recours aux tradipraticiens font d'abord recours à la médecine moderne, surtout pour un diagnostic ; c'est la preuve que même si les individus apprécient beaucoup l'efficacité de la médecine traditionnelle, ils font recours à la médecine moderne dans le but de savoir de quels maux ils souffrent avant de venir subir les traitements traditionnels ; là se trouve déjà la complémentarité entre la médecine traditionnelle et la médecine moderne ; Cet engouement qu'ont les individus pour la médecine traditionnelle apparaît aussi dans le fort taux de volonté de recours à la tradithérapie de la part de ceux qui n'ont pas eu satisfaction du type de traitement qu'ils ont choisi (71%)23(*) .

Un autre constat est que dans l'ensemble, les individus n'apprécient pas l'automédication car de ceux qui n'ont pas eu satisfaction du traitement suivi, seuls 7% optent pour le recours ultérieur à ce type de traitement.

Dans l'ensemble, nous constatons que le revenu n'est pas déterminant pour les choix thérapeutiques puisque seulement 27% des personnes enquêtées évoquent les raisons financières pour justifier leur choix. Ceci peut être confirmé par le taux de ceux qui jugent bas les coûts de traitement dans les centres de santé, sachant que d'après les coûts de traitement par maladie et par type de soin présentés dans le tableau 29 de l'annexe 2, les soins dans les centres de santé modernes sont plus coûteux que les deux autres recours de soins.

L'utilisation conjointe de la médecine traditionnelle et de la médecine moderne par les populations est aussi un des constats que révèlent les résultats de nos enquêtes.

2°/ Interprétation des coefficients des modèles

a°/- Interprétation statistique

Il s'agit ici de voir si les variables explicatives sont pertinentes dans l'explication du choix de recours thérapeutique.

Les résultats des modèles 1, 2 et 3 présentés plus haut (tableau n°3) montrent que :

· Le sexe du malade et les maladies de la peau sont les seules variables significatives (au seuil de 5%) dans le choix de recours aux structures de soins modernes.

· Le niveau d'instruction du décideur de soins, sa croyance en l'efficacité des soins traditionnels et les maladies de la peau sont les seules variables significatives ( au seuil de 5%) dans le recours à la médecine traditionnelle.

· La durée de l'épisode morbide et le paludisme ou la fièvre sont les variables significatives (au seuil de 5%) dans le recours à l'automédication ; la taille du ménage n'est significative qu'au seuil de 10%.

b°/- Interprétations économiques

Les différents coefficients obtenus dans les modèles 1, 2 et 3 suscitent les interprétations suivantes :

i - Du recours aux structures de soins modernes

Les coefficients affectés aux variables SEXE et MALPEAU sont significatifs et positifs. Cela traduit le fait que les hommes ont plus tendance à recourir aux structures de soins modernes que les femmes et que le fait de souffrir des maladies de la peau amène plus les individus à recourir aux structures de soins modernes. Le signe obtenu pour le coefficient de la variable SEXE est conforme à ce que nous attendions. Ces variables sont donc selon nos travaux, celles qui déterminent le recours aux structures de soins modernes dans le sud Bénin. Signalons que la significativité de la variable SEXE corrobore les résultats obtenus par Dor et al. (1988) et Dow (1996) en Côte d'Ivoire, mais ceux-ci ont obtenu un signe négatif.

Les autres variables ne sont pas significatives, mais en dehors de la taille du ménage (TAILLEMGE), toutes les autres variables apparaissent avec le signe attendu.

· L'âge du malade, le niveau d'instruction du décideur de soins, son revenu, la taille du ménage, la disponibilité des médicaments essentiels et la durée de l'épisode morbide n'exercent pas d'influence significative sur la décision d'opter pour le recours aux structures de soins modernes.

· La non significativité de l'âge et le signe négatif de son coefficient que nous avons obtenus corroborent les résultats obtenus par Audibert M et Mathonnat J (1998) dans leur étude chez les Senufo de Côte d'Ivoire et aussi ceux obtenus par Bolduc (1996) en milieu rural au Bénin , mais contredisent les résultats de Dor et Van der Gaag (1998) en Côte d'Ivoire.

· La positivité du coefficient relatif à la variable DUREE, indicateur de la sévérité de la maladie, peut expliquer la volonté des populations d'entreprendre un recours aux structures de soins modernes pour un problème de santé sérieux ; nous confirmerons cela si dans le modèle 3, cette variable apparaît avec un signe négatif.

· La non significativité de la variable EDUC, indicateur du niveau d'instruction du décideur de soins, va dans le sens des résultats de Bolduc (1996) pour le Bénin , et de ceux de Audibert M et Mathonnat J (1998) pour les Senufo de Côte d'Ivoire , mais ces derniers ont obtenu un signe négatif.

· La disponibilité des médicaments essentiels n'exerce pas d'effet significatif sur le recours aux structures de soins modernes ; ceci confirme nos résultats d'enquête selon lesquels 44% des personnes enquêtées jugent les médicaments non disponibles alors que 57% de ces enquêtées ont recours aux structures de soins modernes.

· Contrairement à ce à quoi on devrait s'attendre, le revenu du décideur n'exerce pas d'effet significatif sur le recours aux structures de soins modernes même s'il apparaît avec un coefficient positif ; on peut expliquer cette situation par les efforts menés par les pouvoirs publics pour rendre les soins de santé accessibles à tous dans le contexte où la santé fait partie intégrante de la qualité des ressources humaines, condition nécessaire au développement des nations.

ii - Du recours aux tradipraticiens

Ici, deux variables sont significatives au seuil de 5% ; il s'agit du niveau d'instruction (EDUC) et de la croyance à l'efficacité des ressources locales dans le traitement des maladies (CULT). Ces deux variables ont les effets attendus d'elles (effet négatif pour EDUC et positif pour CULT). Ce résultat traduit le fait que plus les individus sont instruits, moins ils ont tendance à opter pour le recours aux tradipraticiens et plus ils croient en l'efficacité des ressources locales dans le traitement des maladies, plus ils ont tendance à recourir aux tradipraticiens..

L'interprétation que nous pouvons donner à la significativité de la variable EDUC et à son signe est que les individus ayant un niveau d'instruction élevé sont plus en contact avec les pratiques occidentales ; ils sont de ce fait si encrés dans le modernisme qu'ils préfèrent ne pas faire usage de la médecine traditionnelle et utiliser peut-être la médecine moderne; ceci est d'ailleurs confirmé par la positivité du coefficient relatif à cette variable dans le modèle précédent (recours aux structures de soins modernes).

La significativité de la variable CULT et son effet positif sur la décision d'opter pour la tradithérapie peuvent s'expliquer par le caractère rationnel des individus : puisqu'ils pensent que les ressources sont efficaces et sachant que la tradithérapie utilise rien que ces ressources, ils y ont recours.

La variable SEXE apparaît avec le signe attendu (signe négatif), mais de manière non significative. Ceci (la négativité) peut s'expliquer par le fait que les femmes, dans leurs travaux de ménage et par la cohabitation avec les personnes âgées, ont en général une grande connaissance des potentialité de la médecine traditionnelle.

La variable REVENU apparaît avec un signe négatif mais est non significative ; ceci (la négativité) signifie que plus les individus ont revenu élevé, moins ils recourent à la tradithérapie, ce qui justifie le snobisme des individus qui ont tendance à imiter l'occident ; une autre explication pertinente est que l'échantillon est composé en grande partie de salariés24(*) qui ont tendance, en cas d'augmentation de revenu, à recourir à des soins modernes ( comme vu dans le modèle 1) afin d'avoir des pièces médicales pour justifier leur absence au service.

Le signe positif du coefficient de la variable AGE signifie que le recours aux tradipraticiens est plus utilisé pour soigner les adultes que les enfants et les jeunes. Ce signe est conforme à ce que nous attendions.

iii - Du recours à l'automédication

Ici, trois variables sont significatives : il s'agit de la taille du ménage (TAILLEMGE au seuil de 10%), de la durée de l'épisode morbide (DUREE ) et du type de symptôme « paludisme ou fièvre » (PALUFIEVRE), toutes deux au seuil de 5%. De plus les variables TAILLEMGE et DUREE ont les effets attendus. Ce résultat signifie que dans les ménages de taille élevée, l'on fait plus recours à l'automédication ; c'est une manifestation de contraintes financière puisque le chef de ménage n'est pas en mesure de conduire tous ceux qui tombent malade dans les structures de soins modernes ou chez les tradipraticiens où en général, les coûts de traitement sont plus élevés que dans l'automédication 25(*).

Comme nous avions proposé de le vérifier plus loin dans le recours aux structures de soins modernes, nous constatons que la variable DUREE apparaît ici avec un signe négatif ; ceci confirme le fait que cette variable, indicatrice de la sévérité de la maladie, justifie la précaution chez les individus de recourir à des soins plus efficaces (selon eux) pour des problèmes de santé sérieux.

La variable PALUFIEVRE apparaissant avec un signe positif et étant significative, on peut dire que le paludisme et la fièvre sont des symptômes qui amènent plus les individus à faire de l'automédication ; cela se justifie par le fait que les médicaments qui soignent ces maladies sont répandus sur le marché informel, souvent importés du Nigeria voisin, et les individus s'en procurent facilement sans aucune prescription d'agent de santé indiqué.

Le niveau d'instruction apparaît comme prévu avec un signe négatif, même s'il est non significatif ; ceci peut s'expliquer par le fait que les personnes d'un niveau d'instruction élevé connaissent les inconvénients de l'automédication et n'ont pas tendance à y recourir.

De même, le revenu apparaît avec un signe négatif même s'il est non significatif ; la négativité signifie que si le revenu des individu augmente, ils auront tendance à ne pas recourir à l'automédication.

La variable AGE apparaît avec un signe négatif, contrairement à ce que nous attendions ; cela signifie que l'automédication est plus utilisée pour soigner les enfants et les jeunes que pour soigner les personnes âgées.

iv - Effets marginaux des variables

L'effet marginal d'une variable Xk est donné par

où F est la fonction de répartition et f la fonction de densité de probabilité.

A l'aide d'une procédure de programmation sur Eviews, nous estimons les effets marginaux des variables explicatives en chaque observation puis ceux aux valeurs moyennes.

les tableaux des effets marginaux en chaque observation (annexe 4) montrent que les variables significatives au niveau de chaque modèle ont les effets marginaux les plus élevés (en valeur absolue), ce qui signifie que suite à un changement de modalité au niveau de ces variables, la probabilité de recourir à un type de soins varie plus que suite à un changement de modalité au niveau des variables non significatives.

Les effets marginaux des variables à leur moyenne (calculés suivant la même méthode) sont présentés dans le tableau suivant ; nous interprétons les effets marginaux des variables significatives.

Tableau n°7 : effets marginaux aux valeurs moyennes

Variables

EMMOY1

EMMOY2

EMMOY3

AGE

-0.005230

0.000327

-0.001760

SEXE

0.319072 *

-0.040943

 

TAILLEMGE

0.014628

 

0.032611 **

EDUC

0.040135

-0.099502 *

-0.001573

REVENU

0.052173

-0.053403

-0.009054

CULT

 

0.656257 *

 

MEDICAM

0.150596

 
 

DUREE

0.041387

 

-0.043931 *

PALUFIEVRE

 
 

0.328074 *

MALPEAU

0.412760 *

0.084608

 
 

* relatif à une variable significative au seuil de 5%

** relatif à une variable significative au seuil de 10%

Source : d'après estimations sur Eviews

A la lecture de ce tableau, nous pouvons dire que être de sexe masculin augmente la probabilité de recourir aux structures de soins modernes de 31,3072%. L'augmentation d'une unité de la taille du ménage augmente la probabilité de recourir à l'automédication de 3,2611% et le l'amélioration du niveau d'éducation (passage d'un niveau inférieur à un niveau supérieur) diminue de 9,9502% la probabilité de recourir à la médecine traditionnelle.

Quant à la croyance en l'efficacité des ressources locales, elle augmente la probabilité de recourir à la médecine traditionnelle de 65,6257% ; l'augmentation d'une journée de la durée de l'épisode morbide diminue de 4,3931% la probabilité de pratiquer l `automédication alors que le fait de souffrir du paludisme ou de la fièvre augmente de 32,8074% cette probabilité. Enfin, souffrir des maladies de la peau augmente de 41,2760% la probabilité de recourir aux structures de soins modernes.

Il ressort des analyses que nous venons de faire que :

· Le sexe du malade et les maladies de la peau sont les déterminants principaux du recours aux structures de soins modernes en cas de maladie chez les populations dans le sud Bénin.

· Le niveau d'instruction, la croyance en l'efficacité des ressources locales pour le traitement des maladies et les maladies de la peau constituent les principales variables explicatives du recours aux tradipraticiens dans le sud Bénin.

· La taille du ménage, la durée de l'épisode morbide et le paludisme ou la fièvre sont les déterminants principaux du recours à l'automédication.

Ces différentes conclusions nous permettent de dégager des éléments de politique en matière de santé.

Chapitre 4 : Implications de politiques en matière de santé

Au terme de notre étude, nous proposons ici des mesures de politique visant à améliorer l'utilisation des recours thérapeutiques afin d'assurer une bonne santé à la population et améliorer ainsi la qualité des ressources humaines, condition nécessaire au développement d'une nation.

Section 1: Réformes et réglementations

I- Réformes économiques et institutionnelles

Le rôle que la médecine traditionnelle et les tradipraticiens peuvent jouer pour réaliser l'objectif de la santé pour tous a été reconnu dans la déclaration d'Alma-Ata de 1978 26(*). Dans sa résolution AFR/RC34/R8 de 1984, le comité régional de l'OMS pour l'Afrique demandait instamment aux Etats membres de préparer une législation spécifique sur l'exercice de la médecine traditionnelle dans le cadre de la législation sanitaire nationale et de prévoir des allocations budgétaires suffisantes pour un développement efficace de cette médecine.

Le Comité régional, lors de sa quarante-neuvième session, a invité l'OMS à élaborer une stratégie régionale complète sur la médecine traditionnelle. Nous suggérons la formulation des politiques propres à renforcer le développement de la médecine traditionnelle, son utilisation et la poursuite des recherches pour améliorer l'accès aux remèdes traditionnels essentiels et promouvoir l'utilisation appropriée des plantes médicinales dans les systèmes de santé. Cette stratégie visera à optimiser l'utilisation de la médecine traditionnelle afin d'accélérer l'instauration de la santé pour tous. Elle reposera sur un certains nombre de principes qui sont : le plaidoyer, la reconnaissance par les gouvernements de l'importance de la médecine traditionnelle pour la santé des populations, l'institutionnalisation de la médecine traditionnelle et la mise en place de partenariat. Les interventions prioritaires consisteront à formuler des politiques, à renforcer les capacités, à promouvoir la recherche et à développer la production locale.

Nous suggérons entre autre:

· Que le pouvoir public subventionne le secteur (organisé et réglementé ) de la médecine traditionnelle afin de permettre des recherches dans le domaine de la médecine traditionnelle.

· Que le partenariat avec les institutions internationales intervenant dans le domaine de la santé soient orienté aussi vers le soutien de la médecine traditionnelle pour permettre le financement des recherches en la matière.

· L'organisation de rencontres internationales entre les acteurs de la médecine traditionnelle d'une part, et entre les acteurs de la médecine moderne et ceux de la médecine traditionnelle d'autre part afin de briser les asymétries d'informations dans le secteur de la santé et permettre ainsi des échanges de connaissances et de compétences.

II - Le renforcement de l'éducation en matière de santé par les ressources locales et naturelles

Nous suggérons :

· L'intégration dans le système éducatif des enseignements sur la médecine traditionnelle afin de faire connaître aux individus dès le bas âge les vertus des ressources locales en matière thérapeutique et susciter en eux la volonté de faire usage des ressources locales pour le traitement des maladies.

· L'instauration des spécialisations en phytothérapie dans la formation des agents de santé avec une collaboration avec les tradipraticiens de renommée qui existent dans presque toutes les localités du pays.

III - La réglementation du secteur de la médecine traditionnelle

La médecine moderne est légalement reconnue et agit dans des institutions qui jouissent de la sollicitude administrative de l'Etat, alors que ce n'est pas le cas en ce qui concerne la médecine traditionnelle, accusable d'illégalité quand bien même les populations y sont attachées. Si tradipraticiens et médecins modernes n'ont pas le même statut juridique au chevet du malade, c'est parce que souvent dans les faits, il manque une prise de position claire des autorités politico - administratives qui soit de nature à revaloriser la médecine traditionnelle. Nous recommandons que le secteur de la médecine traditionnelle soit correctement réglementé et que l'ordre des guérisseurs et des herboristes traditionnels créé par décret N° 86-69 du 3 mars 1986 sous le nom de A.NA.PRA.ME.TRA.B soit plus dynamisé afin que la traditionnalité médicale puisse jouir aussi, dans toute la mesure du possible, des droits modernes qui l'aideront dans sa promotion et dans son développement.

IV - La collaboration entre acteurs de l'offre de soins de santé

Nous recommandons une franche et parfaite collaboration entre les différents acteurs de médecine traditionnelle (les tradipraticiens) et ceux de la médecine moderne ; il serait même souhaitable d'associer au chevet d'un malade les deux types de pratiquant, le diagnostic devant revenir à la médecine moderne et le traitement se faisant dans une franche collaboration. Signalons que cette collaboration est déjà à ses débuts à certains niveaux comme à l'hôpital de Porto-Novo où le tradipraticien Dossou-Yovo Cossi Fulbert dispose d'un local où il offre des soins de santé à des patients en collaboration avec les acteurs de l'offre des soins modernes de cet hôpital et d'autres structures de soins modernes.

Section 2: Le renforcement des stratégies IEC

I - La sensibilisation des populations sur les potentialités de la médecine traditionnelle

Les résultats de nos travaux montrent que les individus qui ont eu recours à la tradithérapie ont en général eu satisfaction ; de plus, le rôle que la médecine traditionnelle et les tradipraticiens peuvent jouer pour la réalisation de l'objectif santé pour tous comme nous l'avions vu, a été reconnu dans la déclaration d'Alma - Ata de 1978. Nous recommandons donc que des efforts soient menés tant par le pouvoir public que par les ONG intervenant dans le domaine de la santé pour faire connaître aux populations que la médecine traditionnelle possède des vertus remarquables et est à la portée de tous ; les traitements s'y font à moindre coût et sont sans en général sans effets pervers lorsqu'ils sont faits par des personnes indiquées.

Nous recommandons aussi que l'accès aux médias soit facilité aux praticiens de la médecine traditionnelle afin qu'ils puissent montrer aux populations les vertus des multiples recettes dont ils disposent et les résultats des recherches qu'ils font en matière de phytothérapies.

II - Le développement de la communication en matière de santé

Nous recommandons le développement d'un réseau de communication et d'échange afin d'assurer la vulgarisation tant dans le secteur de la médecine moderne que traditionnelle ; une telle option pourra permettre aux pratiquants locales d'échanger les expériences et de se mettre au parfum des innovations qui ont lieu dans d'autres régions du pays.

III - L'information en matière de prévention contre le risque.

En raison des effets pervers que risquent les populations en matière de santé, nous recommandons :

· Le renforcement des systèmes d'information sur les risques encourus dans la pratique de l'automédication.

· Le développement des systèmes d'information sur les risques de l'utilisation conjointe de plusieurs pratiques médicales, ceci dans le but d'éviter les problèmes de surdosage dans la mesure où les plantes et les produits utilisés dans la tradithérapie contiennent généralement les mêmes substances que certains produits pharmaceutiques;  cette recommandation implique une collaboration entre tradipraticiens et pratiquants de la médecine moderne, ce qui fait l'objet de la recommandation suivante.

CONCLUSION GENERALE

En commençant cette étude, nous avions pour objectif de rechercher les appréciations que font les populations du sud - Bénin des diverses pratiques médicinales utilisées dans leur milieu et d'identifier les facteurs qui favorisent la pratique de l'automédication chez les populations du Sud - Bénin et celles qui déterminent le recours aux soins traditionnels ou aux soins modernes en cas de maladie. Les résultats obtenus suggèrent que les variables tant démographiques, culturelles et relatives aux maladies déterminent les choix thérapeutiques des individus en cas de maladie et que le revenu n'influence pas les choix thérapeutiques des individus malades au sud - Bénin.

Le grand enseignement à tirer de cette étude, c'est qu'il est indispensable de prendre en compte le rôle de la médecine traditionnelle dans l'efficacité des systèmes de santé dans les pays africains en général et plus particulièrement au Bénin. Si l'on reconnaît qu'une collaboration plus ouverte et constructive entre la médecine traditionnelle endogène et la médecine moderne exogène est de plus en plus sentie comme une nécessité eu égard, d'une part à leurs limites et compétences respectives et d'autre part à la complexité des situations de morbidité que rencontrent les populations, force serait aussi de penser aux dispositions à prendre pour cela. En effet comme nous l'avons vu, les itinéraires thérapeutiques des populations du sud-Bénin sont fonction de caractéristiques des populations et des types de soins qui leur sont offerts. C'est pourquoi, malgré la chasse contre la médecine traditionnelle, déployée par le colonisateur pour faire dominer en maîtresse absolue la médecine occidentale au nom d'une prétendue mission de modernisation et de civilisation, des efforts doivent être encore déployés par les pouvoirs publics et les ONG pour assurer l'efficacité des pratiques médicales locales en agissant sur les variables susceptibles de provoquer une utilisation plus accrue de cette médecine dans la mesure où ses vertus sont reconnues par les organismes internationaux compétents. Il est à noter que le danger que constitue l'automédication doit être davantage expliqué aux populations afin de réduire les risques auxquels elles s'exposent.

Notons cependant que cette étude comporte des limites dont les difficultés d'approche des caractéristiques de l'offre des soins afin de mieux cerner leur impact sur les alternatives de soins, la restriction faite aux seuls individus malades laissant ainsi les comportement de prévention des individus.

Nous espérons que des travaux futurs prendront en compte ces limites et que l'étude que nous venons de faire apportera un plus à l'élaboration et la mise en oeuvre de stratégie mieux adaptées pour une concrétisation de la collaboration entre la médecine moderne et la médecine traditionnelle au Bénin.

* 1 Boidin, B. ; 1996 a

* 2 Boidin, B., (Op. cit.)

* 3 résultats devant tenir compte du nouveau découpage territorial

* 4 Suivant l'ancien découpage territorial

* 5 d'après l'EDSB-I

* 6 voir annexe 1

* 7 CREDESA, 1996

* 8 Kifouli, E.B., 1992

* 9 Nalabou, D.F., 1991

* 10 Haddad, S., 1992

* 11 Haddad , S., 1992

* 12 Kpégba, P.K. , 1997

* 13 MSP, OMS, PNUD, 1991

* 14 Aujourd'hui Hôpital Hubert MAGA.

* 15 Bangoura, K., 1997

* 16 Durand ,Q.N., 1993

* 17 Bangoura Kalifa, 1997

* 18 Ceci est tiré de la thèse de doctorat de Nalabou Dégbé Faustin en 1991.

* 19 voir questionnaire d'enquête

* 20 Maddala, G.S., 1983

* 21 Greene, W.H., 2000

* 22 Greene, W.H (Op. cit.)

* 23 Voir résultats d'enquête.

* 24 voir résultats d'enquête

* 25 voir tableau 29 des résultats d'enquête.

* 26 OMS, (2001)






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