L'administration publique locale face à la sécurité des personnes et de leurs biens dans la province du Sud Kivu( Télécharger le fichier original )par Jean-Luc Malango Kitungano Université de Kisangani - Graduat en Sciences Politiques et Administratives 2002 |
II.1.4. La détérioration des rapports de convivialité entre autochtones et allochtones.Historiquement, les rapports de convivialité entre autochtones et allochtones des territoires de Fizi et Uvira ont commencé à se détériorer à partir de 1979. Nous référant aux données historiques, il apparaît que l'idée de la création des nouvelles entités administratives propres aux immigrés tutsi habitants les territoires de Fizi et Uvira fut à l'origine de l'exacerbation des tentions interethniques dont les conséquences perdurent. Cette hypothèse est soutenue par Bwami Wilangasha85(*) à la suite de Mathieu, P., et Jean-Claude Willame et Bahone Nedjo86(*). « ...ainsi, en 1982 et 1987, il y aura perturbation des élections municipales et legislatives dans les hauts plateaux d'Uvira et de Fizi. Plusieurs bureaux de vote, les urnes et les bulletins de vote ont été respectivement pillés, cassés ou brulés. Les assesseurs torturés et tabassés à mort par les banyarwanda tutsi armés »87(*) Peu avant octobre 1996, les disputes entre les populations allochtones et autochtones se muèrent en guerre. De part et d'autre, il y eut formation des milices. Les Babuyu, quoique autochtones, sont entrés en conflit foncier avec les Babembe. Ainsi ceux-ci, alliés aux allochtones (immigrés tutsi) ont progressivement développés des réactions d'autodéfense, avant et après 1996, réactions caractérisées par une insoumission toujours croissante à l'autorité tradirionnelle Bembe d'une part, et à l'autorité politico-administrative du MPR, puis de l'AFDL et enfin du RCD d'autre part. La coalition Banyamulenge-Babuyu entre 1996 et 2000 a été perçue par les Babembe comme une mise en péril de leur existence Ayant participé activement à la rébellion de l'AFDL (1996), puis à celle du RCD (1998), vu leur armement moderne fourni par le Rwanda, les Banyamulenge amorceront un processus d'expropriation des propriétés foncières traditionnelles des tribus autochtones dans les moyens et les hauts plateaux de Fizi, Uvira et Mwenga (Itombwe). Ce processus sera cautionné par l'administration pro-rwandaise du RCD dans une multiplication des entités politico-administratives illégales. Néanmoins, le RCD, à travers son chef de département chargé de l'administration du territoire, Maître Mudumbi semble avoir donné son aval de manière directe ou indirecte à cette entreprise d'usurpation. En effet, en Septembre 1999, par son arrêté n°001/MJ/DAT/ROUTE/MB/1999 ? Maître Mudumbi créait les territoires provisoires de Minembwe et Bunyakiri. A la suite de cet arrêté, les Banyamulenge vont intensifier l'annexion des propriétés foncières dans les territoires d'Uvira, Fizi et Mwenga. Ils procédéront également à la création des entités (localités et groupements) administratives sur lesquels le Rcd Goma n'avait aucune emprise. L'arrêté départemental n°056/ADM-TER-MPJSL/ 2000 du 17 octobre 2000 du RCD avait approuvé, sans aucune enquête de viabilité préalable, 35 groupements au profit des immigrés Tutsi à qui fut donné ethniquement le territoire de Minembwe. Les limites aussi bien que les noms des chefs traditionnels des ces entités n'étaient pas connues par l'administrateur de Minembwe nommé par le RCD. Ce dernier n'avait concrètement aucune emprise sur ces localités. Il estimait dans son rapport transmis à la division des affaires intérieures du Sud-Kivu que les localités étaient au nombre de 186, mais que les noms des chefs de localités n'étaient pas repris faute de transmission des rapports par les différentes collectivités88(*). Il est très étonnant qu'un administrateur ignore les noms de ses différents collaborateurs alors qu'il se prétend originaire de Minembwe. En outre, il était incapable d'intimer l'ordre aux chefs de collectivités pour qu'ils accomplissent leurs obligations administratives. Il semble que la grande partie des collectivités dont certains groupements furent illégalement morcelés continuait à dépendre de l'autorité de la collectivité estimée légale. Ainsi ces groupements échappaient au contrôle de l'administrateur de Minembwe. Le plan d'expropriation aurait débuté dans son exécution par l'assassinat de l'autorité coutumière autochtone et de certains de ses collaborateurs par les Banyamulenge. « Du 17 au 18 juin 1998, le chef Munyaka et ses proches furent assassinés à Itombwe par les groupes armés Banyamulenge »89(*). Conséquemment, les milices bembe s'organisèrent à Itombwe et se mirent à harceler, militairement aussi bien les milices banyamulenges que les militaires du RCD (majoritairement Tutsi). Théoriquement, le territoire de Minembwe englobait les groupements de Basimukindje 1 et 2, de Basimukuma, de Basimwenda, de Casimunyaka, de Basika-makulu. Les chefs des localités furent pourchassés par les Banyamulenge et la plupart s'exilèrent en Tanzanie90(*). Sur le plan sécuritaire, les conséquences ne se feront pas attendre au sein du territoire de Minembwe, nouvellement créé par le RCD, le rapport du territoire de Minembwe 2000 rapporte: « Cette jeune entité reste confrontée à des multiples problèmes d'ordre sécuritaire (...) l'accessibilité par voie routière est pour le moment impossible (...) à cause des ennemis de la paix qui érigent les barrières sur la route »91(*) Nous estimons pour notre part que l'insécurité dans les hauts plateaux de Fizi et Uvira s'est accrue parce que les populations autochtones (Bembe, Masanze, Bafuliru, Babwari...), au lieu d'être sécurisées par les militaires du RCD (majoritairement tutsi) d'une part, et les différents services de sécurité que contrôlaient les banyamulenge d'autre part, ont été exploitées et terrorisées par ces différents services mono-éthniques. Une telle situation d'insécurité aurait suscitée de la part des populations autochtones des réactions insurrectionnelles sans vergogne contre l'ordre tutsi imposé. Plusieurs personnes que nous avons interviewées dans le cadre de notre étude estiment que, pour le rétablissement de la Paix, il faut annuler l'arrêté créant le territoire de Minembwe92(*). * 85 Bwami W'ilangasha, Tentative de résolution pacifique des conflits dans le territoire de Fizi, TFE, ISDR, Bukavu, 1998. * 86 Bahone Nandjo, Essai s'analyse de la position bembe dans les conflits interethniques suscités par les immigrations tutsi au Sud-Kivu, Cas du territoire bembe, Mémoire SPA, UNIKIS, Kisangani, 1991, Inédit. * 87 Bwami W'ilangasha, op.cit, p.36 * 88 Territoire de Minembwe, Rapport Annuel 2000, pp. 1-2. * 89 Nous tirons cette information du mémoire d'Ilutelo Mbobochi, Les conflits ethniques et leur impact dans le territoire de Fizi au Sud-Kivu (R.D.Congo), TFC, ISDR-Bukavu, 1998, p.23 * 90 Territoire de Minembwe, Idem, pp. 2-3 * 91 Territoire de Minembwe, Ibid. * 92 Voir le résultat du questionnaire d'enquête, pages précédentes. |
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