L'administration publique locale face à la sécurité des personnes et de leurs biens dans la province du Sud Kivu( Télécharger le fichier original )par Jean-Luc Malango Kitungano Université de Kisangani - Graduat en Sciences Politiques et Administratives 2002 |
III.4.ELEMENTS POLITICO-ADMINISTRATIFSLe premier poste administratif du territoire de Fizi fut fondé en 1896 à Kalembelembe qui devint en date du 1er octobre 1926 le chef lieu du territoire de l'Ubembe. Par le décret du 05 février 1935, ce territoire sera appelé territoire de Fizi. Dans l'optique belge de 1926, il fallait donner une définition ethnique (tribale) aux territoires. Cet objectif s'avéra impossible à réaliser d'autant plus que les Babembe comme d'autres tribus (ethnies) se retrouvaient à cheval sur plusieurs territoires (Burega, Kabambare...) Dès 1935, l'objectif qui visait la dénomination ethnique des territoires était abandonné. La plupart des territoires seront dénommés d'après leurs chefs lieux, ou d'après un élément géographique de leur paysage. III. 4.1. Subdivision administrative (Tableau n°4)
Cette subdivision administrative se conforme à l'Ordonnance-loi n°82-006 du 25 février 1982 portant organisation territoriale, politique et administrative de la République du Zaïre. En septembre 1999, par l'arrêté n° 001/MJ/ROUTE/MB/1999 du chef de département des rebelles du Rcd, Maître Mudumbi créait à titre provisoire les territoires de Minembwe et de Bunyakiri. Par la création du territoire de Minembwe, il morcelait les territoires de Fizi, d'Uvira et de Mwenga en violation des dispositions de l'O.L. n°82-006 du 25 février 1982. Ainsi en territoire de Fizi les groupements Basimukindje (collectivité de Mutambala), basimunyaka-sud (collectivité de Lulenge) et bien d'autres collectivités, ont été morcelés puis annexés illégalement au territoire de Minembwe53(*) attribués aux Banyamulenge par l'administration rebelle. Par l'arrêté n° 059/ADM-TER-MPJSL/2000 du 27 octobre 2000, le chef de département rebelle chargé de l'administration du territoire, mobilisation, propagande, jeunesse et loisirs approuvait 35 groupements au profit du territoire illégal de Minembwe54(*) . La plupart de ces groupements ont été créés à la volée et ne sont rien d'autres que des villages des hauts et moyens plateaux de Fizi, d'Uvira et de Mwenga usurpés par les Banyamulenge. III. 4.2. Rapport entre l'administration publique et les populations de Fizi.Les rapports entre l'administration publique et les populations du territoire de Fizi ont toujours été difficiles. Georges Weiss signalait déjà, en 1954, la difficulté de l'administration coloniale à s'imposer aux populations immigrées (Tutsi rwandais) connues sous le nom de Rwanda ; étant donné l'isolement particulier du haut versant et du plateau où ils habitaient, mais aussi leur mentalité réfractaire à toute action administrative (recherche d'autonomie). Pour ce qui est des Babembe, les rapports de l'administration coloniale mentionnent des conflits fréquents : « Leur réputation n'était pas meilleure parmi les autres populations de la province qui considéraient les Babembe comme un peuple de guerriers agressifs et courageux, toujours enclins à empiéter sur les domaines des autres »55(*). Durant la période postcoloniale, les Babembe s'opposèrent de manière farouche à l'administration publique. En effet, les agents publics originaires de ce territoire et les chefs coutumiers se rallièrent massivement à la rébellion de Pierre Mulele de 1964 : « Fizi fut occupé par les rebelles sans combat le 27 mai, soit dix jours après la prise d'Uvira et le même jour de la prise d'Albertville par les « jeunesses rebelles » locales. Les Babembe qui peuplent la région de Fizi se joignirent spontanément à la rébellion »56(*) Le 24 avril 1964, Soumialot - le principal leader de la rébellion à l'Est de la RDC - quittait Uvira à destination de Baraka. Il sera reçu solennellement par la population de ce territoire. Pendant la même période, les immigrés tutsis (actuels Banyamulenge) s'enfuiront dans les hauteurs des Monts Mitumba57(*). Lorsque les rebelles seront délogés dans les différents centres et qu'ils choisiront les montagnes où habitent les pasteurs immigrés comme leurs lieux stratégiques de repliement, s'étant livrés aux pillages des bêtes ; les immigrés (Banyamulenge) collaboreront en opportunistes avec l'administration publique et surtout avec l'armée pour pourchasser ces rebelles. Il semble que leur collaboration avec l'armée et l'administration fut, à l'époque de la rébellion de 1964, circonstancielle : la peur de subir les représailles de l'armée congolaise mais aussi le souci de protéger leurs bêtes. Après ces années de rébellions, les Banyamulenge ne feront plus parler d'eux. Les rapports de l'administration territoriale de Fizi de 1972, 1973...ne mentionnent rien sur leurs activités, ni sur leur effectif, ni sur leur statut juridique. Il semble qu'à cette période plusieurs d'entre eux se feront passer pour des Babembe ou des Bafulero dans les écoles et instituts d'enseignement supérieur en dehors du territoire de Fizi et d'Uvira. Il semble que les Babembe avaient continué à développer des rapports tendus avec les différentes autorités administratives. Les propos de l'administrateur du territoire dans le Rapport Annuel de 1973 corroborent notre argument. Ces propos traduisent un sentiment de rancoeur envers les Babembe : « Le peuple Mubembe a un esprit d'insoumission au pouvoir de l'autorité. Il a la tête dure et s'attache beaucoup au pouvoir coutumier (...) pour lui le pouvoir se règle par la violence (...). Il y a lieu de signaler que le personnel du cadre territorial ne parvient pas à effectuer l'itinérance comme cela est prévu par les instructions à cause de l'insécurité.»58(*) Les Banyamulenge se révèleront subversifs en 1996. En effet, ils braveront l'administration congolaise et l'armée corrompue de Mobutu59(*). Ils engageront donc un bras de fer avec le pouvoir central de Kinshasa. Certes, le Rwanda constituait le principal allié (on se rappellera qu'entre 1993 et 1994 plusieurs jeunes immigrés tutsi du Congo s'étaient fait enrôler dans les rangs de la rébellion du FPR et plusieurs d'entre eux se sont vus intégrés au Rwanda). Quant au Rwanda, il voulait, en 1996, faire des immigrés tutsi se trouvant dans les hauts et moyens plateaux de Fizi, Uvira et Mwenga la pointe la plus avancée de sa sécurité et la justification de sa présence militaire en République démocratique du Congo pour, soit disant, des raisons humanitaire : « arrêter un génocide de nos frères tutsi » disait pasteur Bizimungu60(*). Corollairement à cette situation, ce sont toutes les autres tribus du territoire de Fizi qui, en 1996, vont s'allier pour lutter - affirmaient-elles - contre l'expansionnisme tutsi. Les résistants (milices) retiendront la progression de l'AFDL pendant 3 mois (résistance de Mboko, Sebele, Micha, Kananda ; octobre, novembre et décembre 1996). Plus de 80000 personnes majoritairement des Babembe se réfugient en Tanzanie (Camps de Nyaruguse et Rugufu à Kigoma). En 1997, prise de pouvoir à Kinshasa par l'AFDL. Quand les relations politiques vont se détériorer entre Kabila et ses alliés rwandais et ougandais, les populations de Fizi (milices) combattront la nouvelle rébellion, le RCD. (Le RCD, en effet, était le mouvement rebelle formé par quelques leaders immigrés tutsi du Nord et du Sud-Kivu ainsi que des opportunistes politiques congolais dont principalement les anciens membres du MPR et les déçus de l'AFDL). En combattant le RCD, les milices combattent l'administration locale que s'est accaparée le RCD. En RDC en général et à Fizi en particulier, il semble que l'administration publique n'ait jamais été soucieuse de construire une fonction publique capable d'intégrer les paysans. L'isolement de fait des campagnes se combine à l'isolement administratif. Les administrations locales ont alors tendances à se replier sur elles-mêmes et elles sont encouragées dans ce processus par la négligence et, parfois, par la faiblesse de l'administration centrale qui se soucie très peu d'assurer l'irrigation financière, technique...des échelons inférieurs. Face aux différentes révoltes, les administrations locales tirent généralement la sonnette d'alarme mais les administrations centrales, par une bureaucratisation et une centralisation négative, n'apportent pas de réponses appropriées au moment opportun. Qui plus est, il semble que les administrations locales (hyper-politisées) ne prennent pas en compte les aspirations indispensables des populations. On ne peut donc pas s'étonner que, dans un tel contexte, les éleveurs banyamulenge et les paysans babembe, babuyu, babwari...abandonnent respectivement le bâton de berger, la houe d'agriculteur ou le filet de pêcheur pour les armes à feu, tout simplement parce que l'irresponsabilité d'un Etat et de son administration les acculent à le faire. A l'initiative des leaders locaux dont les conceptions sont différentes de celles du pouvoir en place et des semi-intellectuels locaux formés dans les campagnes et n'y trouvant pas d'exutoires à leur désir de progrès social ; les révoltes dans un tel contexte mobilisent les masses rurales de Fizi de façon maximale. La fin de l'ordre colonial, puis celle de l'ordre social du monopartisme (MPR), l'avènement des rébellions depuis octobre 1996 jusqu'à ce jour, avec les incertitudes d'une administration éclatée et se diluant dans les mouvements rebelles, sont autant de facteurs qui multiplient les occasions de tensions et ravivent les particularismes jusqu'alors latents. Les tribus et ethnies, du fait de l'insécurité généralisée, ont retrouvé dans ce cas une de leur fonction essentielle : la sécurité tribale (ethnique) du groupe. * 53 Territoire de Minembwe, Rapport annuel 2000, 10 février 2001. * 54 En effet la création d'un territoire aux termes de L'O-L. n°82-006 du 25 février 1982, à laquelle le RCD prétendait se référer, stipule que seul le président de la République a la compétence de créer un territoire. Or les territoires de Minembwe et Bunyakiri ont été créés par un chef de département, rebelle de surcroît. * 55 Verhaegen, B., Op. Cit., p. 263. * 56 Verhaegen, B., Op. Cit., p. 330. * 57 Au moment où les rebelles de Soumialot et de Marandura, un notable d'Uvira, occupent les territoires de Fizi et Uvira, les populations pastorales de l'Itombwe restent à l'écart du mouvement et prennent même la fuite (lire Verhaegen, B., Op. Cit., p. 81. * 58 Zone de Fizi, Rapport annuel 1973, p. 15 bis. * 59 On se souviendra qu'en 1995, le colonel Mandevu, commandant de bataillon de Fizi, sous pretexte que la foudre s'était abattue sur le dépôts des armes et munitions, avait vendu des armes à feu (échange contre les vaches) aux populations Tutsi habitant les hauts plateaux de Fizi. * 60 Propos de pasteur Bizimungu, président Rwandais à l'agence de presse Reuters, Décembre 1996. |
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