INTRODUCTION
Les pressions opérées par nos
sociétés et leur mode de fonctionnement économique
mondialisée sont aujourd'hui à l'origine d'importants processus
de dégradation et de disparition des ressources forestières
à l'échelle mondiale et des changements climatiques
observés partout dans le monde (Naturefrance, 2022). Avec le
phénomène de mondialisation qui expose les forêts à
la pression des marchés internationaux, l'adaptation des territoires aux
changements environnementaux devient d'autant plus cruciale que
s'accélèrent et s'accentuent les bouleversements climatiques. En
effet, après la seconde guerre mondiale marquée par la
période de reconstruction et des changements profonds impulsés
par le phénomène de l'industrialisation, trois grands espaces de
déforestation active se dégagent dans le monde : l'Amazonie en
Amérique du Sud, l'Afrique équatoriale et la zone
Malaisie/Indonésie en Asie (FAO, 2006)1. Aujourd'hui,
l'Afrique est le seul continent où la déforestation et la
dégradation des forêts se poursuivent à un rythme alarmant
avec une progression la plus rapide au monde, d'après le dernier rapport
d'évaluation des ressources forestières mondiales de
l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO, 2020).
Selon le rapport de mission « Protection des forêts
tropicales et de leur biodiversité contre la dégradation et la
déforestation », la crise forestière mondiale est avant tout
une crise de surconsommation liée principalement aux activités
humaines (Le Guen, 2010). La mondialisation économique a entrainé
une consommation excessive des ressources naturelles, engendré des
pollutions de l'environnement et une destruction encore plus
accélérée des ressources déjà
surexploitées notamment les ressources forestières. Bien qu'elles
soient des ressources inégalement réparties
géographiquement sur le globe, les forêts du monde couvrent une
superficie totale estimée à 4,06 milliards d'hectares,
correspondant à 31% de la superficie terrestre mondiale, d'après
les résultats d'évaluation des ressources forestières
mondiales (FAO, 2020)2. L'Europe y compris la Russie héberge
le 1/4 de la superficie forestière mondiale. S'en suivent
l'Amérique du Sud (21%), l'Amérique du Nord et centrale (19%),
l'Afrique (16%), l'Asie (15%) et l'Océanie (5%). Plus de la
moitié soit précisément 54% des forêts mondiales se
trouvent localiser exclusivement dans cinq pays (Russie, 20% ; Brésil,
12% ; Canada, 9% ; USA, 8% ; Chine, 5%) et on estime qu'environ 45% de la
superficie forestière mondiale sont occupées par les forêts
tropicales en 2020.
1 FAO, Rapport d'évaluation des ressources
forestières mondiales « Résultats principaux de FRA 2005
»
2 FAO, Rapport d'évaluation des ressources
forestières mondiales « Résultats principaux de FRA 2020
»
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Figure 1 : Répartition mondiale des forêts par
domaine climatique 3
Les forêts mondiales ont longtemps joué un
rôle primordial dans la création des microclimats et la
régulation du climat du globe terrestre. On distingue les forêts
primaires communément appelées forêts vierges ou anciennes
(ou encore originelles) hébergeant généralement d'immenses
arbres centenaires, des forêts secondaires constituées davantage
d'arbres de plus petites tailles et jeunes. Les forêts primaires
structurellement plus intactes et complexes par rapport aux secondaires,
fournissent en plus de la préservation de la biodiversité, de
nombreux services écosystémiques (maintien et protection des sols
et de la qualité des eaux, séquestration du carbone...). Les
forêts secondaires sont des forêts victimes de perturbations
profondes et offrent également des services écosystémiques
(épuration des eaux, fournir des produits forestiers, protection des
sols contre l'érosion, stockage du carbone...). D'après le
rapport du Global Forest Watch sur l'état des forêts tropicales du
monde, les forêts tropicales primaires permettent de stocker plus de
carbone en comparaison avec les autres forêts et procurent un habitat
à une biodiversité riche et très rare (Global Forest
Watch, 2020). Selon le Directeur du
3 Source : FAO, Rapport d'évaluation des
ressources forestières mondiales 2020.
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Département des affaires internationales au
Ministère néerlandais de l'agriculture, de la nature et de la
qualité de l'alimentation, des études réalisées par
la FAO ont montré que les forêts emmagasinent d'énormes
quantités de carbone et on estime actuellement plus de 1000 milliards de
tonnes de carbone stockées par les forêts et les sols forestiers
mondiaux, soit l'équivalent de 2 fois plus que le volume présent
dans l'atmosphère (Hoogeveen, 2007).
D'après les résultats de l'étude
intitulée « Cartes mondiales des flux de carbone forestier du XXIe
siècle » publiés dans la revue Nature Climate Change, les
forêts mondiales ont absorbé 2 fois plus de gaz qu'elles n'en ont
émis sur la période allant de 2001 à 2019 (Férard,
2021). Chaque année, elles ont en moyenne consommé 16 milliards
de tonnes de CO2 annuellement contre 8,1 milliards de tonnes
libérées du fait de la déforestation et d'autres
perturbations (Harris et al., 2021). La destruction de ces forêts se
traduit par une réduction de la capacité de
l'écosystème mondial à stocker du carbone, donc moins de
CO2 absorbé et inversement une augmentation de l'effet de serre, cause
principale du réchauffement climatique de la planète. Depuis
2002, plus de la moitié des destructions de ressources
forestières tropicales sont enregistrées dans les forêts
localisées dans la région amazonienne ou dans ses environs
immédiats (Krogh, 2021). Selon l'ONG Rainforest Foundation Norway,
l'exploitation des ressources forestières et la conversion des terres
notamment pour des besoins de productions agricoles ont réduit à
néant 34% des forêts tropicales humides primaires et conduit
à la dégradation, la destruction partielle ou complète
puis à leur remplacement par des forêts secondaires de plus de 30%
des forêts tropicales primaires, les rendant plus vulnérables aux
feux de forêt ou à des potentielles exploitations
ultérieures.
La superficie forestière mondiale ne cesse de diminuer
au fil des années et les pertes de forêts dans le monde sont
énormes, même si toutefois le taux de perte forestière
nette a significativement depuis les années 90 grâce au recul du
rythme de la déforestation dans certaines régions et à
l'augmentation de la superficie forestière relative aux reboisements et
à l'expansion naturelle forestière, d'après le rapport de
l'Organisation mondiale de l'alimentation et l'agriculture sur
l'évaluation des ressources forestières mondiales (FAO, 2020).
Selon le même rapport, les pertes enregistrées à
l'échelle mondiale depuis l'année 1990 ont atteint près de
178 millions d'hectares de couvertures forestières, avec des taux
annuels de perte forestière nette respectifs de 7,8 millions d'hectares
durant la décennie 1990-2000, 5,2 millions entre 2000 à 2010 et
4,7 millions sur la période 2010-2020 (FAO, 2020). L'agriculture est
à l'origine de près de 80% de la déforestation ; les 20%
restants étant attribués par importance respectivement
accordée avant tout à l'industrialisation et la construction
d'infrastructures notamment les
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routes et les barrages, ensuite aux activités
minières et dernièrement à l'urbanisation, si on se
réfère sur les données du rapport de l'Organisation sur la
situation des forêts du monde (FAO, 2016)4.
Au Sénégal, les formations forestières
essentiellement représentées par les forêts claires, les
forêts galeries et les forêts denses sèches sont
généralement localisées dans la partie Sud du territoire.
De 1965 à l'année 2000, les superficies des forêts ont
progressivement reculées, passant respectivement de 4,4% du territoire
sénégalaise à 2,6% (Tappan et al., 2004). D'après
le Comité Permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse
dans le Sahel (CILSS), les forêts claires, les forêts galeries et
les savanes ont connu une importante baisse en termes de superficie, avec une
diminution de près de 12 000 km2 entre 1975 et 2013 (Solly et
al., 2021). Par ailleurs, une dégradation forestière très
avancée et une forte diminution de la couverture végétale
ont été constatées entre 1987 et 2018 dans la partie Sud
du pays, en région casamançaise d'après les enquêtes
réalisées dans le cadre d'une étude sur le suivi de la
déforestation par télédétection haute
résolution en Haute Casamance dirigée par des chercheurs du
département de géographie de l'Université de Ziguinchor
(Solly et al., 2018). De plus, l'étude avance que les principaux
facteurs à l'origine de ces phénomènes de
déforestation et dégradation forestière tournent autour
des défrichements agricoles, des nombreux feux de brousse, des coupes
démesurées ou non contrôlées de bois, l'augmentation
de la population et les variations de la pluviométrie.
Logiquement quand les forêts sont surexploitées,
détruites ou incendiées, elles deviennent elles-mêmes une
source de gaz à effet de serre (Sremski, 2022). Tout compte fait, la
destruction des forêts est synonyme d'émission de milliards de
tonnes de dioxyde de carbone chaque année dans notre atmosphère.
Aujourd'hui, il est nécessaire d'empêcher cette libération
de gaz dans l'atmosphère pour lutter contre le réchauffement
climatique, de protéger le patrimoine naturel forestier, le patrimoine
naturel mondial et l'environnement. Cette présente étude
s'intéresse de façon générale à la gestion
durable des ressources forestières en Afrique, plus
particulièrement au Sénégal. Elle cherche à traiter
les différentes pressions exercées sur les vastes forêts de
la région naturelle de la Casamance au Sénégal et à
proposer des solutions réalistes efficaces en faveur d'une
stratégie efficaces pour une gestion durable des forêts
casamançaises. Pour ce faire, l'étude tente dans un premier temps
d'aborder les cadres politique, juridique et institutionnel régissant la
gestion des ressources forestières et l'évolution de la
gouvernance forestière après un brève présentation
de la zone concernée par la présente étude. Ensuite,
elle
4 FAO, Rapport sur la situation des forêts du
monde, 2016.
s'oriente vers l'identification et l'analyse des
différentes pressions exercées sur les forêts de la
région de Casamance, les principales causes et les conséquences
découlant de ces différentes pressions. Enfin, elle cherche
à préconiser des solutions visant à améliorer la
stratégie pour une gestion durable des forêts après avoir
analysé la stratégie mise en oeuvre et identifier les principales
contraintes auxquelles elle est confrontée.
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