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Lieux de mémoires et citoyen.ne.s numérique : un dialogue impossible ?


par Paul GOURMAUD
L'École de design Nantes Atlantique - Master 2 Digital Design 2024
  

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Lieux de mémoires et citoyen.ne.s numérique, un dialogue impossible ?

PAUL GOURMAUD

-

Promotion 2023-2024

Master 2 Digital Design
en double diplôme avec l'ENSAM

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ABSTRACT

This dissertation is a grouping of my research carried out during the first phase of my end-of-study project about places of memory and how they participate in shaping collective memory. Regarding the multiplication of contemporary conflicts and their media coverage, from the war in Ukraine to the war between Israel and Hamas, memories are accumulating, and it is legitimate to ask how we will remember those events and their victims in the next future ?

Looking at the way we remember the past today, from the First World War to the Algerian War commemorations, this can give us few ways to predict how we will pratice remembrance in the future. Thereby, our contemporary places of remembrance: monuments, museums, battlefields are at the centre of the commemoration process. Among this list, I choose to focus on monuments, places that can be summed up as a few metal plaques hidden in an alley or large concrete esplanades in memory of thousands of soldiers. They only live when they are looked at, surveyed or touched, which is also why I have chosen to question the relationship between those places and the contemporary citizens

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PRÉAMBULE

Début d'année 2023, j'ai un peu de temps devant moi et je me dis que ce sera l'occasion de chercher de l'inspiration pour mon projet de fin d'étude. Je ne sais pas pourquoi, à ce moment, me vient en tête ce chapitre de cours d'histoire sur le « devoir de mémoire », il y avait quelque chose que je trouvais assez mystérieux et profond dans cette notion, mais je n'arrivai pas vraiment à mettre le doigt dessus. Vendéen de naissance, je me rappelle qu'un mémorial sur les guerres de Vendée se situe à quelques kilomètres de chez moi. Étant plus petit, j'avais déjà pu le visiter avec mes parents, probablement un peu trop petit, car je n'en n'avais gardé aucun souvenir. Je décide donc de m'y rendre, peut-être que des souvenirs me reviendront.

Une fois sur place, je me rends compte que le site est séparé en deux parties : l'Historial, permettant d'arpenter l'histoire de la Vendée, de la préhistoire au Moyen Âge à nos jours. Et de l'autre côté, le mémorial, un gros bloc de béton posé au-dessus de la rivière de la Boulogne et faisant partie d'un parcours de marche un peu plus grand. Je décide donc de commencer par l'Historial et de visiter le mémorial juste après, le meilleur pour la fin. L'Historial étant grand et dense en informations, même un après-

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midi entier ne suffira pas pour lire tous les détails. Je me dirige donc enfin vers la partie qui m'intéresse le plus : le mémorial.

Je me retrouve alors debout devant deux grandes portes, le grand bâtiment aux inspirations brutalistes semble fermé. Je décide quand même de tenter ma chance en tirant un peu sur l'une d'elles. La porte grince et s'ouvre lentement, me laissant assez de place pour entrer à l'intérieur. Malgré la beauté sobre du lieu, une voix provenant d'un haut-parleur me rappelle que je suis sur les terres d'une tragédie : 564 villageois des Lucs-sur-Boulogne et des communes alentours seront massacrés par les troupes républicaines les 28 février et 1er mars 1794. Bon, le ton est donné, mais je reste cependant figé dans un étrange mélange de tristesse et de contemplation, une sensation particulière qui deviendra le point de départ de mon projet sur les lieux de mémoires.

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SOMMAIRE

2.1 - Big Data et maîtrise de l'archivage 27

2.2 - Mémoire numérique et rôle du citoyen 34

INTRODUCTION 8

I - LES COMPOSANTES DE LA MÉMOIRE 10

1 - Les enjeux de la mémoire 12

1.1 - Mémoire & Histoire 13

1.2 - Que sont les lieux de mémoires ? 17

2 - Les lieux de mémoires 2.0 26

RÉFÉRENCES 121

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II - LES MUTATIONS DE LA MÉMOIRE 46

3 - Les lieux de mémoires : rien ne se perd tout se transforme 48

3.1 - Les témoins dans l'histoire 49

3.2 - les fondations du monument aux morts 54

3.3 - Le monument aux morts contemporains 58

4 - Une réappropriation compliquée 68

4.1 - Les politiques mémorielles et leurs limites 69

4.2 - Le cas complexe de la Guerre d'Algérie 72

5 - Nouveau secteur, le tourisme de mémoire 76

5.1 - Le tourisme de mémoire pré & post covid 77

5.2 - De l'expérience transmise à l'expérience vécue 81

III - PENSER LA MÉMOIRE AUTREMENT 94

6 - Réveiller le monument 96

6.1 - Le monument, une relation tactile 97

6.2 - Rendre le monument vivant 100

7 - Le point de vue du designer 106

7.1 - Le designer, un acteur social 107

7.2 - Le designer, un acteur sensible 109

SYNTHESE 118

1 Murphy, M [@MariaRMGBNews]. (2023, 15 avril). Today I had one of the most harrowing experiences of my life [Tweet]. X. https://urlz.fr/pD12

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INTRODUCTION

« Aujourd'hui, j'ai vécu une des expériences les plus difficiles de ma vie. En revanche, il ne semble pas que tout le monde l'ait trouvée aussi poignante. » (traduit de l'anglais)1. Ce tweet posté le 15 avril 2023 par la journaliste britannique Maria Murphy est également accompagné d'une photo sur laquelle une touriste prend la pose en étant assise sur les rails menant au camp d'Auschwitz en Pologne. Ces nouveaux comportements sur les lieux de mémoires ne sont pas anodins, ils sont le signe d'une mutation de la manière de commémorer. Il ne s'agit pourtant pas que de changements à échelles individuelles. Les institutions liées à la mémoire, que ce soit les musées, les ministères, font de plus en plus appel au numérique afin de continuer à intéresser un public qui souhaite découvrir le passé autrement. Et ce en gardant des limites morales identifiables, en tout cas pour la plupart, un point sur lequel nous reviendrons par la suite. Il n'est donc désormais pas anodin de découvrir la mémoire d'un lieu à l'aide de son téléphone ou avec un casque de réalité virtuelle. Pourtant, un grand nombre de lieux de mémoire plus discrets s'invisibilisent progressivement en se confondant dans le paysage urbain. Cette statue commémorant les morts Lavallois de la guerre franco-prussienne de 1870-

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71 est posée entre le parking d'un Intermarché et un carrefour passant. Ou encore cette plaque, en souvenir des civils nantais morts pendant les bombardements de 1943, entourée de boutiques et d'une borne de vélos en libre service. Et pourtant, il s'agit bien pour la plupart de monuments érigés par et pour les citoyens. Partant de ce constat, quelles relations peuvent exister entre les lieux de mémoire et le citoyen à l'ère de la transition numérique ?

Dans un premier temps, il s'agira donc d'expliquer comment fonctionne la mémoire au sens historique du terme, et pourquoi elle est nécessaire à l'échelle individuelle comme à l'échelle collective. L'enjeu sera également de faire le lien avec le citoyen d'aujourd'hui et son rôle dans la préservation de cette mémoire, notamment sur le plan numérique, en questionnant les limites de cet outil. Par la suite, nous verrons que les besoins et les moyens de commémorer se transforment, ce qui ne favorise pas la reconnaissance de ces lieux particuliers que sont les monuments aux morts, pourtant symbole fort de la transmission de la mémoire. Nous questionnerons dans le même temps les politiques mémorielles menées depuis la fin du XXe siècle en France et comment elles peuvent entraver une réappropriation citoyenne des lieux de mémoire. Enfin, nous tenterons de voir comment des approches d'artistes et de designers centrées sur le sensible et le social peuvent apporter un regard nouveau sur la mémoire et la citoyenneté.

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LES COMPOSANTES DE LA MÉMOIRE

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« Nous portons toujours avec nous et en nous une quantité de personnes qui ne se confondent pas. » (Halbwachs. M, 1950)

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Les enjeux de la mémoire

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1.1 Mémoire & Histoire

« L'histoire et la mémoire ont en commun une actualisation du passé, mais l'histoire cherche à comprendre le passé pour en libérer le présent, alors que la mémoire entretient le poids du passé sur le présent. » 2 (Tudesq. A, 2007) Ainsi, même si chacune souhaite éclairer le passé, elles n'ont pas les mêmes approches. L'Histoire cherche à avoir une vision globale et tend vers une quête de vérité, même si en réalité cette discipline reste humaine et donc sélective dans son éclairage du passé. Le travail des historiens est donc en partie guidé par la mémoire, qui entretient un rapport affectif avec le passé et sélectionne sciemment des événements qu'elle juge importants au regard de ses propres valeurs morales. Et par mémoire, je parle ici de mémoire collective, une notion sur laquelle nous reviendrons plus tard, mais que l'on peut assimiler à une famille, une association, un État... Le lien entre ces deux notions s'est cependant renforcé et conscientisé à partir de la fin du XXe siècle.

2 Tudesq, A. (2007). Histoire et mémoire : une relation ambiguë et contradictoire Dans Presses universitaires de Bordeaux eBooks (p. 97-106). consulté le 14 novembre 2023, à l'adresse https :// doi.org/10.4000/books. pub.26371

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On pourrait situer l'émergence de cette « révolution mémorielle » 3 (Noël P. M., 2011) à partir des années 70, marquées notamment par les procès d'Adolf Eichmann (1961) et un peu plus tard celui de Klaus Barbie (1987), tous deux responsables de la mort de milliers de juifs sous l'Allemagne nazie. Ces deux procès seront filmés, mais celui de Klaus Barbie, plus récent, s'étant déroulé à Lyon en France, semble davantage documenté. En effet, on retrouve facilement des vidéos retraçant le déroulement du procès ainsi que sa médiatisation. Ainsi, à l'extérieur du tribunal, il est difficile de ne pas ressentir d'empathie pour les victimes qui témoignent devant les micros. Une transition est alors en train de s'opérer : la mémoire des années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale célèbre les valeurs de la résistance, sacrifice, courage, abnégation. Mais à la suite des procès évoqués plus haut, la mémoire du résistant laisse progressivement sa place à la mémoire de la victime juive. Les modalités de discours mutent également dans ce sens avec un « plus jamais ça » qui se transforme en « devoir de mémoire ». Cette volonté se traduit par la transmission d'une mémoire douloureuse par les victimes. À l'école, aux commémorations, dans les musées, les témoignages veulent assurer une passation de connaissances entre générations : il ne faut pas oublier. Cette

3 Noël, P. (2011, 15 avril). Entre histoire de la mémoire et mémoire de l'histoire : esquisse de la réponse épistémo-logique des historiens au défi mémoriel en France. Conserveries Mémorielles. Consulté le 14 novembre 2023, à l'adresse https://journals.openedition.org/cm/820

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rhétorique est aussi reprise et accentuée par les institutions, quitte parfois à faire peser le poids d'une mémoire non vécue sur les épaules d'une génération qui devrait ainsi assumer le rôle de nouvelle victime. Comme en février 2008, où le président Nicolas Sarkozy demandait à ce que chaque enfant de CM2 se voit attribuer la mémoire d'un enfant français victime de la Shoah. Une décision spontanée, qui fut vivement critiquée par la suite. Ces multiples insistances n'auraient donc pas favorisé la transmission de valeurs fortes contre l'antisémitisme, mais au contraire plutôt amorcé une repentance contreproductive. « Peut-être trop de mémoire a-t-il provoqué sélection et oubli chez les récepteurs, au lieu de les prémunir contre l'antisémitisme » 4 (Benbassa. E, 2005). Ainsi, en septembre 2022, une étude de l'IFOP réalisée pour l'Union des étudiants juifs de France démontre qu'environ 33 % des jeunes Français âgés de 15 à 24 ans estiment que la commémoration de la Shoah empêche l'expression de la mémoire d'autres drames de l'histoire. 5

D'autre part, nous pouvons aussi questionner la place de l'historien dans ce nouveau paysage mémoriel. Ce

4 Benbassa, E. (2004). Regain antisémite : faillite du devoir de mémoire ? MéDium, 2(1), 3-15. consulté le 14 novembre 2023, à l'adresse https://doi. org/10.3917/mediu.002.0003

5 Dabi, F., & Legrand, F. (2022), Le regard des jeunes sur la Shoah : connaissance, représentations et transmission, IFOP, consulté le 14 novembre 2023, https :// urlz.fr/os1t

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dernier, en établissant les faits du passé et en tentant de leur donner du sens, nous permet aussi de nous construire au présent et de mieux appréhender l'avenir. Pourtant, comme nous l'avons vu précédemment, le concept de « devoir de mémoire » s'est développé et s'est substitué à l'histoire pour penser l'avenir. Désormais, il s'agit moins d'apprendre une suite d'événements diversifiés et structurants pour comprendre le présent. Mais il s'agit plus de se souvenir d'événements marquants émotionnellement en espérant ne pas reproduire les mêmes erreurs dans le futur. Alors pourquoi encore pratiquer l'Histoire aujourd'hui ? Face à cette question identitaire, certains historiens ont préféré adopter une approche épistémologique sur leur discipline, en questionnant notamment l'histoire de la mémoire :

« L'objectivation de la mémoire permet, par ailleurs, à l'historien d'affirmer sa fonction sociale, mise en cause par le défi mémoriel. » 6 (Noël . P.M, 2011)

Ainsi, l'intérêt est de diversifier les pistes de recherche afin d'offrir de nouvelles perspectives à la compréhension du passé et de sortir du cône de vision imposé par « le devoir de mémoire ». On pourrait citer par exemple les recherches menées par la sociologue polonaise Barbara Engelking sur les récits de rêves durant la période de l'Holocauste

6 Noël, P. (2011, 15 avril). Entre histoire de la mémoire et mémoire de l'histoire : esquisse de la réponse épistémo-logique des historiens au défi mémoriel en France. Conserveries Mémorielles. Consulté le 14 novembre 2023, à l'adresse https://journals.openedition.org/cm/820

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7 (Engelking. B, 2018), permettant une approche sensible qui vient compléter d'autres sources plus « froides ». Ou encore la pratique de « l'ego-histoire » théorisée en 1987 par l'historien français Pierre Nora dans la publication de son ouvrage Essais d'ego-histoire, que l'on pourrait résumer à une collection d'autobiographies d'historiens. Cependant, il s'agit plus finement d'un exercice délimité par un cadre formelle empêchant l'expression du « je » en faveur du récit d'un travail d'historien mis en parallèle d'un contexte historique plus global. Parmi l'ensemble de ces nouvelles pratiques, les travaux de Pierre Nora sur les « lieux de mémoires » constitueront une avancée majeure, et c'est ce que nous nous attacherons à mieux définir dans ce qui suit.

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