Source : RHV et RF, 1975, p. 95.
Ce tableau montre que les Bissa représentent l'ethnie
qui a le plus grand nombre d'émigrés à l'étranger
qui effectuent des migrations circulaires. 76% des émigrés Bissa
pratiquent la migration de mobilité en Côte d'Ivoire contre 58% au
Ghana. Une autre caractéristique de ce tableau est qu'il montre que
seuls les Bissa continuent à migrer au Ghana. Les autres ethnies
abandonnant la destination Ghana.
Les migrations internationales des Bissa pendant la
période postcoloniale s'expliquent par une situation
socio-économique complexe dans le pays bissa. Irissa ZIDNABA observe que
:
« Les caractéristiques migratoires des Bissa
tiennent aux facteurs sociohistoriques et géographiques : le
système colonial et l'insalubrité liée à
l'onchocercose. Les migrations de refuge vers le Ghana se sont en effet
inscrites dans un contexte de refus du système colonial qui a
duré jusqu'en 1947, date à laquelle le travail forcé a
été aboli, favorisant ainsi les installations définitives
dans les pays d'immigration. L'épidémie de l'onchocercose ne
favorisait pas également des retours migratoires, notamment dans les
villages riverains des cours d'eau, Nakambé, Nazinon à cause de
la contagion de la maladie. »124 Ainsi dit, on comprend
aisément le dilemme dans lequel étaient les émigrés
bissa, celui de choisir entre revenir au pays de départ avec tous les
risques que cela comporte ou soit rester dans les pays d'accueil tout en
risquant de ne plus revoir leur famille d'origine.
124 ZIDNABA Irissa, 2016, op.cit., p. 94.
71
L'analyse des flux migratoires des Bissa est riche en
données au regard des nombreuses études qui ont été
menées à partir des années 1960. Les Bissa ont une fois de
plus figuré parmi les populations dominantes en matière de
migrations internationales en Haute-Volta. Les résultats du Recensement
Général de la Population de 1975 chiffraient à 24 605
émigrés issus de la région du Centre-Est, un nombre
qui équivaut à 5,7% de la population totale résidente.
Quand bien même qu'il n'y ait pas de chiffres exacts sur le nombre de
Bissa émigrés, on sait tout de même que 25% des
émigrés de la région appartenait à Garango (terre
des Bissa)125. La recherche de meilleures conditions de vie
était le principal mobile des émigrés bissa.
Le Recensement Général de la Population et de
l'Habitat de 1985 fournit encore des données sur les flux migratoires
des Bissa à l'international. La province du Boulgou, province
peuplée en majorité par des Bissa, était la
quatrième province qui fournit le plus d'émigrés avec 5,4%
du flux total des émigrés du Burkina Faso. Les trois
premières provinces étaient respectivement la province du Yatenga
(14%), du Boulkiemdé (8%) et du Passoré (7%).126
Cette position de la province vient confirmer la présence des Bissa dans
les courants migratoires internationaux. Cette place avancée des Bissa
dans les mouvements migratoires au Burkina Faso les expose aussi aux
bouleversements subis par les migrations internationales. A partir des
années 1980, on assistait à des migrations de retour en masse
dans la province du Boulgou. L'INSD avait enregistré 12 825 migrants
de retour entre 1985 et 1991.127
I_3. Des années 1990 à nos
jours
Les années 1990 vont constituer des années
décisives dans les migrations internationales des Bissa dans la mesure
où elles riment avec une approche nouvelle du phénomène
migratoire. La crise sociale, économique et politique qui
caractérise cette décennie sème le désarroi dans
l'esprit des travailleurs étrangers. Et face aux licenciements
consécutifs dû au marasme économique ivoirien, les
étrangers étaient obligés de retourner sur les terres
d'origine ou de s'aventurer sur de nouveaux horizons. Pour Irissa ZIDNABA,
« c'est ainsi qu'à partir de ce pays [la Côte d'Ivoire],
les migrants bissa ont saisi l'opportunité offerte par les
réseaux cosmopolites
125 Institut National de la Statistique et du
Développement (INSD), 1982, Recensement Général de la
Population de 1975. Analyse des données démographiques,
Département du Centre-est, Ouagadougou, République de la
Haute-Volta, 57 p.
126 Institut National de la Statistique et du
Développement (INSD), 1989, op.cit., 57 p.
127 Institut National de la Statistique et du
Développement (INSD), 1994, Analyse des résultats de
l'enquête démographique 1991, Ouagadougou, République
de la Haute-Volta, 175 p.
72
pour émigrer en Italie. »128
L'émigration des Burkinabè vers l'Italie venait de commencer. Le
FORIM ajoute en disant que « les zones de départ sont par
ailleurs beaucoup plus localisées que dans les cas français et
ivoirien. Elles sont concentrées essentiellement dans la région
du Centre-Est et plus spécifiquement dans la Province du Boulgou et des
départements de Niahogo et de Béguédo.
»129 Autrement dit, les Bissa sont l'ethnie majoritaire en
Italie.
L'analyse des flux des migrations internationales des Bissa
à partir des années 1990 montre deux trajectoires migratoires
distinctes : les migrations de retour et les migrations en Italie. Au
Recensement Général de la Population et de l'Habitat de 2006,
la région du Centre-Est, région des Bissa, avait accueillie 1
653 migrants de retour. Ce chiffre est important car il équivaut
à 5,6% du total des émigrés de retour au Burkina
Faso.130 Cette situation traduit la pertinence de la
détérioration du contexte socio-politique et économique
ivoirien. Par contre, les statistiques en Italie ont connu de grands
bouleversements à partir des années 2000. Le FORIM observait que
« Entre 1993 et 2007, l'effectif des immigrés burkinabè
dénombrés en Italie par le Ministère de l'Intérieur
italien est passé de 763 à 5 178, soit une augmentation d'environ
300 individus par an. » Cela atteste que les migrants
burkinabè en l'occurrence les Bissa ont décidé de faire de
l'Italien, le « nouvel eldorado » après le Ghana et
la Côte d'Ivoire. Le FORIM ajoute que « la croissance de l'effectif
des Burkinabè en Italie s'est accélérée de 2007
à 2013 à travers une augmentation de près de 1 000
individus. »131
Depuis les années 2010, suite à la crise
économique de 2007-2008 en Italie et à une mécanisation
des industries, l'Italie est de moins en moins attractive pour les
émigrés bissa, surtout ceux qui sont à leur
première tentative migratoire. Les destinations actuelles des jeunes
bissa sont entre autres le Gabon, l'Algérie, la Guinée,
l'Allemagne ou encore les Etats-Unis d'Amérique.
128 ZIDNABA Irissa, 2016, op.cit., p. 95.
129 Forum des Organisations de Solidarité
Internationale issue des Migrations (FORIM), 2018, Comprendre et promouvoir
la contribution de la diaspora dans le développement du Burkina Faso :
Etudes de cas sur les organisations diasporiques en France, Italie et
Côte d'Ivoire et leur rôle dans la création et la
consolidation d'emplois, Made Afrique de l'Ouest, Paris, p. 16.
130 Institut National de la Statistique et du
Développement (INSD), 2009, Recensement Général de la
Population et de l'Habitat (RGPH) de 2006. Analyse des résultats
définitifs ; thème 8 : migration, Ouagadougou, p. 58.
131 Forum des Organisations de Solidarité Internationale
issue des Migrations (FORIM), 2018, op.cit., p. 18.
73
II_ Historique des migrations internationales des
Bissa de Béguédo
L'histoire des migrations internationales des Bissa de
Béguédo est en partie liée à l'histoire des
migrations internationales des Bissa. Les premiers bissa ayant
émigrés en Italie via la Côte d'Ivoire dans les
années 1980 étaient en majorité des ressortissants de
Béguédo. Si aujourd'hui la commune de Béguédo est
souvent appelée « petit Italien » ou «
little Italian », c'est aussi montrer à quel point les
ressortissants de Béguédo ont fait de cette destination
migratoire leur « préférence ». Par ailleurs,
la génération actuelle de jeunes émigrés semble ne
plus avoir les mêmes préférences que leurs
aînés ou leurs parents.
Cette partie est structurée en deux points : le
premier point traite des différentes vagues de migration en Italie et le
deuxième point présente les nouvelles destinations des
émigrés bissa de
Béguédo.
II_1. Les vagues d'émigration en
Italie
L'émigration des Bissa en Italie s'est faite autour de
trois vagues distinctes les unes des
autres.
Tous les Bissa de Béguédo qui ont
émigré en Italie avant 1990 en provenance de la Côte
d'Ivoire font partie de la première vague. Ainsi, on
comprend que les premiers émigrés Bissa en Italie n'ont pas
quitté Béguédo pour aller en Italie. Ils ont d'abord
émigré de Béguédo en Côte d'Ivoire et de la
Côte d'Ivoire à l'Italie. Irissa ZIDNABA explique qu' «
ils [les émigrés bissa] ont émigré en Italie
à partir de la Côte d'Ivoire comme précédemment
expliqué. La plupart des pionniers sont des Bissa qui se sont
appuyés sur leurs relations professionnelles nées avec des cadres
italiens en fin de mandat. »132 Quant au nombre et aux
mobiles des émigrés bissa de Béguédo en Italie,
Bernard HAZARD observe qu'« À partir de 1987, en fonction du
processus de recomposition des espaces migratoires en Afrique de l'Ouest, les
anciens migrants de Côte d'Ivoire reconvertis dans le commerce
allèrent alors tenter leur chance en Italie, dans l'espoir de trouver
des fonds permettant de redynamiser leurs affaires. De là, entre 1987 et
1994, ils organisèrent une filière familiale qui permit à
un millier de Béguédolais de « partir à l'aventure
», d'où ils assurèrent une diversification des sources de
production de revenus et un
132 ZIDNABA Irissa, 2016, op.cit., p. 100.
74
accroissement de la rente migratoire.
»133 Mais pour plus de détails sur les pionniers de
l'émigration bissa en Italie, Irissa ZIDNABA explique que le premier
bissa à émigrer en Italie en partant de la Côte d'Ivoire
est originaire du village de Ouarégou (5km de Béguédo) et
c'était en 1973. Le deuxième bissa est allé en 1975 en
provenance de la Côte d'Ivoire mais cette fois-ci originaire de
Béguédo.134
La deuxième vague concerne tous les
Bissa de Béguédo qui ont émigré en Italie entre
1990 et 1994. En effet, craignant une arrivée massive d'étrangers
sur son sol, l'Italie a décidé de conditionner l'accès sur
son territoire aux émigrés par la présentation d'un visa
à partir de 1994. Mais avant, la loi 419 du 30 décembre 1989
dite « loi Martelli » adoptée en février
1990135 avait commencé à contrôler les
entrées en Italie et établir des quotas annuels aux
émigrés. Par ailleurs, au regard du besoin ardent en main
d'oeuvre des activités arboricoles et maraichères au Sud de
l'Italie, des migrations clandestines ou illégales étaient
organisées : c'est le début de l'immigration clandestine en
Europe. En d'autres termes, cette loi dit loi Martelli n'a pas pu
arrêter les émigrations des Bissa en Italie. Les Bissa ont
usé de leurs réseaux familiaux pour aider les nouveaux à
s'insérer en Italie. Il y a eu très peu de chiffres sur les
émigrés de la deuxième vague au regard du type
d'émigration qui prévalait. Toutefois, Éric-Bertrand Pasba
BANGRE note que le Ministère de l'intérieur italien a
délivré 769 permis de séjour à des
émigrés Burkinabè136 qui sont en
majorité des émigrés bissa.
Les émigrés bissa de Béguédo
arrivés en Italie à partir de 1994 sont des émigrés
de la troisième vague. Ils sont rentrés sur le
sol italien à travers deux stratégies : les migrations de
regroupements familiaux et l'immigration clandestine. Pour les
émigrés ayant utilisés le premier canal, Irissa ZIDNABA
explique que « le regroupement familial est un droit accordé au
travailleur migrant résidant légalement dans un pays donné
de réunir les membres de sa famille afin de rétablir
l'unité familiale de façon permanente. » C'est donc en
application de ce droit, que la plupart des émigrés de la
première vague vont faire émigrer leurs femmes, leurs enfants et
leurs parents proches. Les candidats à l'émigration n'ayant pas
donc d'affiliation avec un immigrant bissa en Italie étaient contraints
d'utiliser l'autre canal : celui de l'immigration
133 HAZARD Benoît, 2004, op.cit., p. 8.
134 ZIDNABA Irissa, 2016, op.cit., p. 100.
135 ZIDNABA Irissa, 2016, Idem, p. 101.
136 BANGRE Eric-Bertrand Pasba, 2005, op.cit., p.95.
75
clandestine. Toutefois, les émigrés clandestins
avaient une trajectoire migratoire différente car ils devaient
transiter par la région de Naples (Sud de l'Italie) avant de
rejoindre la région du Nord, plus industrialisée avec des droits
de travail meilleurs que ceux du Sud. 137 Deux des
caractéristiques de cette troisième vague migratoire en Italie
sont la jeunesse de ses émigrés mais aussi la présence du
genre féminin. Tous les Bissa qui émigrent actuellement en Italie
sont classés dans cette troisième vague migratoire.
II_2. Les nouvelles destinations des
émigrés bissa de Béguédo
L'Italie n'est pas la seule zone d'accueil des
émigrés bissa. Ce pays a juste eu le mérite d'être
la première destination des Bissa en Europe mais aussi d'avoir permis
à plus de trois générations de populations bissa de
pouvoir se ressourcer financièrement pour offrir de meilleures
conditions de vie économique à leurs familles d'origine.
Par ailleurs, avec la crise économique de 2008 qui a
entrainé deux recessons en Italie (2008-2009 et 2011-2012), le
marché de l'emploi de la main d'oeuvre non qualifiée s'est
atténué. Il devenait plus difficile d'obtenir un emploi sans une
qualification dans un domaine. Aussi, la modernisation de l'agriculture
italienne à partir des années 2000 a rendu minime le besoin en
main d'oeuvre agricole. Souvent qualifiés de « cultivateurs de
tomates » par les autres ethnies burkinabè, la force de
travail des émigrés bissa semble ne plus être
nécessaire en Italie. Bref, on assiste doucement à une saturation
du marché italien. La réorientation du flux migratoire des Bissa
commence à se faire valoir.
A cette même période en Afrique, d'autres pays
laissaient entrevoir des besoins de main d'oeuvre pour soutenir leurs secteurs
économiques. En effet, certains pays de l'Afrique du Nord, de l'Afrique
centrale et de l'Afrique de l'Ouest ont mis en place une économie
florissante. C'est pour cela que de nos jours, les émigrés bissa
sont plus attirés par des destinations africaines comme le Gabon,
l'Algérie, la Guinée, la Libye, etc. Ces pays africains se
révèlent être en majorité des territoires de transit
vers l'Europe pour les émigrés.
En sommes, on retient que ce chapitre sur les migrations
internationales des Bissa nous a permis de retracer l'historique d'un
phénomène débuté au XXe siècle
pour se poursuivre au siècle suivant. En effet, l'administration
coloniale semble avoir été la variable qui a intensifié
137 Forum des Organisations de Solidarité Internationale
issue des Migrations (FORIM), 2018, op.cit., p. 30.
76
l'émigration des Bissa. Les premières
destinations étaient le Ghana et la Côte d'Ivoire puis vint la
traversée du continent africain vers l'Europe. Les flux migratoires
produits lors des migrations des Bissa à l'étranger sont
énormes et sont restés constants dans la majorité du
temps.
Les Bissa de Béguédo se singularisent dans
cette émigration de masse pour avoir eu le mérite d'être
aujourd'hui l'ethnie majoritaire d'émigrés en Italie. Ce statut
leur confère de nombreux avantages tels que l'amélioration des
conditions de vie de leurs familles restées à
Béguédo, la réalisation d'investissement immobilier
à usage économique ou social, des investissements
économiques.
77
En guise de conclusion, on retient que cette deuxième
partie qui traite du contexte des migrations internationales des Bissa a permis
de découvrir le climat socio-économique et politique dans lequel
les migrations internationales des Burkinabè en général et
des Bissa en particulier se sont déroulées. Partis de
l'étude des migrations des Burkinabè à l'étranger
dans un premier temps, nous avons pu établir que les mesures
administratives prises pendant la colonisation ont été à
l'origine de la migration de masse des Voltaïques avant les années
1960. Puis, ce sont les potentialités économiques de la Gold
Coast (Ghana actuel) qui attireront les travailleurs voltaïques avant que
la Côte d'Ivoire offre à son tour des conditions
économiques plus attractives aux Burkinabè. On s'aperçoit
donc que les principales destinations des émigrés
burkinabè ont été le Ghana et la Côte d'Ivoire dans
un premier temps puis le reste de l'Afrique et de l'Europe dans un second
temps.
Les migrations internationales des Bissa, une des ethnies les
plus mobiles du Burkina Faso, est singulière mais pas assez
différente de celles des Burkinabè en général.
L'émigration des Bissa tire son origine également de la
période coloniale avec les mêmes zones d'arrivée : Ghana,
Côte d'Ivoire, Italie. C'est surtout la préférence de
l'Italie (comme zone de destination) aux autres pays européens par les
Bissa qui fait la particularité de cette émigration. Les
émigrés bissa ont fait de l'Italie leur « fief
» en réalisant de fortes émigrations de masses depuis
les années 1980 jusqu'à nos jours. Ce choix de destination des
Bissa semble être efficace au regard des investissements
réalisés par ces derniers en pays bissa. Et c'est justement en
termes d'impacts socio-économiques des migrations internationales, que
les émigrés de la commune de Béguédo ou «
les Italiens »138 attirent toute l'attention de leurs
confrères. Par conséquent, on peut se demander de savoir :
quels sont les impacts socio-économiques des migrations
internationales dans la commune de Béguédo ?
138 Le terme Italien a été attribué aux
émigrés bissa d'Italie. Le terme offre un certain nombre de
prestiges à son porteur construisant un certain mythe au passage. Le
rêve de nombreux candidats à l'émigration est de pouvoir
porter un jour ce titre d'Italien nous confient les jeunes de la commune de
Béguédo.
78