Les déterminants géopolitiques des difficultés de la gestion communautaire des conflits en Afrique de l'Ouest. La CEDEAO face au règlement de la crise post-électorale de 2010-2011 en Côte-d'Ivoire.par Christophe C. H DAVAKAN Institut de Relations Internationales et Stratégiques - Paris - Master 2 en stratégie internationale 2018 |
2- L'épilogue de la crise ou le coup de grâce des forces françaises contre GbagboEn dépit de la dissipation de la mésintelligence qui a semblé affecter les positions de l'UA et de la CEDEAO, le processus de règlement du conflit ivoirien a presque totalement échappé aux instances multilatérales africaines. Dès le vote de la résolution 1975 par le Conseil de sécurité, les FRCI, visiblement assurées de la couverture que leur fournit ce texte plutôt extensible, ont multiplié les offensives contre les FDS de Laurent Gbagbo. Ces attaques menées en chaîne contre les positions des FDS entrent 84 Voir Résolution 1975 (2011) adoptée par le Conseil de Sécurité à sa 6508ème séance le 30 mars 2011 en annexe 3 85 Quand on connaît la proximité entre l'Afrique du Sud, La Chine et la Russie, tous membres du groupe des BRICS, on peut à raison soupçonner une manoeuvre sud-africaine dans l'échec du projet de résolution précédemment introduite par le Nigeria pour obtenir de l'ONU un mandat favorable à une intervention militaire, pour les raison que l'on peut imaginer.
77 certainement dans une stratégie visant à provoquer les forces pro-Gbagbo en vue de les obliger à riposter de façon disproportionnée, et ainsi fournir des alibis aux forces de l'ONUCI et les forces françaises de la Licorne afin qu'elles mènent des frappes contres les armes lourdes dont les FDS auraient commencé par faire usage contre des populations civiles. Désormais contre les forces pro-Gbagbo combattent trois armées à savoir Les FRCI, les forces de l'ONUCI et celles de l'opération française de la Licorne. Après que les FDS de Gbagbo aient réussi à regagner du terrain à Abidjan début avril en reprenant le contrôle de plusieurs quartiers, les forces françaises de la Licorne et l'ONUCI lancent une campagne de frappes sur les bastions du président ivoirien sortant, le 10 avril.87 Le rapport de force change littéralement en défaveur de Laurent Gbagbo qui capitule. Les frappes des forces française de la Licorne et l'importance décisive qu'elles ont eu pour la victoire de Alassane Ouattara, ont suscité de nombreuses interrogations. Le porte-parole du Parti Socialiste français, Benoît Hamon, a interpellé le gouvernement français et souhaité notamment qu'il « précise les conditions d'engagement « de la force Licorne en Côte d'Ivoire, tout en réitérant le soutien de son parti à cette opération.88 La Russie et certains pays africains opposés à une intervention militaire, l'Afrique du Sud en tête, se sont aussi inquiétés de l'interprétation faite par la France et ses soutiens africains de la résolution 1975, et dénonce une ingérence dans les affaires intérieures ivoiriennes. Mais le ministre français de la défense, Gérard Longuet, rétorquera lors d'une conférence de presse à Paris que « l'objectif fixé par la communauté internationale était de faire en sorte que le président élu puisse présider«, en indiquant l'engagement de l'ONUCI et de la Licorne comme « un soutien à l'offensive des forces pro-Ouattara.89 87 88 89 www.lexpress.fr, Op Cit. www.lemonde.fr, La chute de Laurent Gbagbo, 11 avril 2011 www.lemonde.fr, Op Cit 78 Cette grande implication de la France vient matérialiser son retour sur le continent après son pivot diplomatique des années 1990 marqué par un désintérêt pour l'Afrique au lendemain de la fin de la guerre froide. On croyait plus aguerrie la CEDEAO qui avait vaille que vaille su jouer le gendarme en Afrique de l'Ouest face aux nombreux foyers de tensions qui ont accompagné le vent de démocratisation qui a soufflé sur le continent au début des années 1990, mais face à la crise post-électorale ivoirienne, nombre d'observateurs ont été surpris par ses limites pour des raisons qui semblent tout même, pour le moins évidentes. 79 De la mission d'intégration régionale qui lui a été dévolue à sa création, la CEDEAO s'est plus intensément investie ces dernières décennies dans la prévention des conflits et le rétablissement de la paix dans les Etats membres. Engagée sur le fil du rasoir avec un certain volontarisme dans le conflit libérien au début des années 1990, elle s'est au fil du temps dotée d'un cadre réglementaire et institutionnelle qui fait d'elle, l'organisation sous-régionale disposant d'une architecture de paix et de sécurité appréciable. Du point de vue des efforts conceptuels pour un encadrement juridique du dispositif de prévention et de gestion des conflits, comme celui du volume de ses engagements dans la sous-région, la CEDEAO peut se réjouir d'avoir réalisé un certain progrès. En effet, appelée à se démener pour ramener la paix dans une région ensanglantée par des revendications politiques à la suite du «lâchage« des puissances tutélaires dont la diplomatie ne faisait plus de l'Afrique une priorité au lendemain de la fin de la guerre froide, la CEDEAO a montré sa grande utilité. «Au fil des ans, l'organisation sous-régionale est devenue le « pompier » de l'Afrique de l'Ouest, a fortiori un instrument indispensable de règlement des conflits. Prête à dégainer la menace d'une intervention militaire pour remettre dans le rang un chef de l'Etat tenté par les prolongations ou qui serait menacé par une rébellion et souvent la première à intervenir sur les lieux du drame pour tenter d'y éteindre le feuÉ«90 Mais en dépit de ses relatifs succès enregistrés dans différentes missions à travers la sous-région, l'organisation dont le rôle est devenu in fine, plus politique qu'économique a montré des limites dans son projet politique. L'absence de critères clairement définis pour évaluer les situations de crise et définir conséquemment les modalités de mise en oeuvre du mécanisme de gestion et de règlement des conflits fait que les réponses de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement, organe suprême de décision sont souvent influencées par la qualité des parties en conflit. Le
l'Afrique de l'ouest?, www.jeuneafrique.com, 16 décembre 2016 80 caractère politique de cet organe qui assigne à des Etats la charge de prendre des décisions devant affecter la situation intérieure d'un autre Etat voisin contraint le plus souvent les membres de la conférence à évaluer prioritairement la situation en jeu sous le prisme de leur propre géopolitique interne. Aussi, la maîtrise du processus de règlement du conflit se complique-t-elle pour l'organisation sous-régionale dans les cas où les enjeux du conflit touchent aux intérêts stratégiques de puissances occidentales ayant une certaine influence dans da zone géographique. Dans le cas de la gestion de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire, la conjugaison de ses différents facteurs a largement affecté la médiation et compromis les attentes de la communauté internationale par rapport à l'action de la CEDEAO dont le volontarisme ne peut être tout de même mis en doute. La cacophonie des ambitions et les calculs politiques ont fragilisé la cohésion au sein des Etats, ce qui a permis aux manoeuvres diplomatiques françaises de réussir à imposer l'approche de l'ex- puissance coloniale de résolution de la crise. Même si les forces françaises ont, une fois de plus, permis de mettre fin à l'effusion de sang, le rôle influent de l'ancienne puissance coloniale dans la crise ivoirienne constitue un fardeau pour la réconciliation nationale en Côte d'Ivoire.91 Pour la CEDEAO, l'expérience ivoirienne qualifiée d'un échec indéniable par nombre d'observateurs, doit inspirer l'organisation sous-régionale en vue de l'élaboration d'une grille d'évaluation claire des situations de crise, et réduire par conséquent les influences politiques dans les solutions préconisées. Aussi les projets d'intervention militaire communautaire seraient-ils plus rassurants, avec de meilleurs chances de prospérer si on y incluait un volet d'assistance aux pays les plus exposés aux mouvements potentiels de population, véritable noeud gordien redouté par les Etats voisins de tout théâtre d'opérations militaires. 91 Wyss, (Marco), Op Cit, p 103 81 |
|