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La problématique de la mise en œuvre des recours judiciaires en cas de violation des droits économiques, sociaux et culturels en RDC.


par Christophe KISAMA SHINDANO
Université officielle de Bukavu - Licence en droit 2019
  

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§.2. Le déni de justice du juge au regard des droits économiques, sociaux et culturels.

Le juge qui refuse ou qui diffère de juger sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, se rend coupable d'abus de pouvoir ou de déni de justice. La notion de déni de justice est souvent assimilée à l'épuisement vain des voies de recours internes. La jurisprudence comme la doctrine distinguent généralement différentes formes de dénis de justice, telles que le déni de justice formel, le déni de justice procédural et le déni de justice substantiel101(*). Le premier, résulte du défaut d'accès à la justice et fait en réalité partie des dénis de justice dits procéduraux. Le déni de justice procédural, résultant de toute défaillance dans la procédure judiciaire, et le déni de justice substantiel, résultant, lui, d'un défaut manifeste dans l'application du droit interne par les autorités juridictionnelles nationales.

La notion de déni de justice a évoluée avec le temps. Ainsi, il « n'est plus seulement aujourd'hui cette négligence, cette désinvolture ou encore cet acte de volonté d'un juge qui refuse de juger une affaire mais, plus simplement et plus largement, tout dysfonctionnement entravant une procédure tendant à voir une prétention formulée être entendue102(*). Dès lors, le déni de justice ne peut plus être entendu seulement comme le refus de juger, ..., mais aussi, et peut être surtout à l'époque contemporaine, comme tout fonctionnement défectueux du service public de la justice interdisant à un justiciable non seulement d'être remplie dans ses droits mais aussi de l'être correctement, selon son attente légitime. Il y aura donc désormais déni de justice lorsque « le comportement critiquable du juge tient soit à un refus d'exercer son office, soit à une ineffectivité du procès au détriment du justiciable »103(*). Il y a là un changement de culture juridique qui correspond à une nouvelle approche du service de la justice dans lequel l'effectivité des droits des justiciables doit primer sur toute autre considération104(*). Or, dans les deux affaires citées, l'attitude du juge peut conclure à un déni de justice dans le sens où le comportement du juge est critiquable. Ce déni de justice ne tient pas au refus du juge d'exercer son office mais plutôt de l'ineffectivité de ces procès au détriment du justiciable.

Cette manière de faire du juge congolais n'est pas isolée. Dans une autre affaire, il s'est abstenu de dire le droit en se basant sur une décision de la CSJ dans laquelle « il a été jugé que bien que les requérants aient invoqué l'illégalité des actes du Haut Conseil de la République-parlement de transition sans en solliciter l'annulation, par application de l'article 87 alinéa 3, la cour suprême de justice se déclare incompétente pour examiner la régularité de ces actes105(*)». . Il s'agit de l'affaire inscrite sous RCA 4570 à la cour d'appel de Bukavu

Dans cette affaire, les peuples autochtones vivant à Bulindi, dans le groupement d'Irambi/katana en territoire de Kabare, province du Sud-Kivu en RDC ont assignés l'ICCN et l'Etat congolais pour violation d'un certain nombre de leurs droits (notamment le droit à la propriété, l'expulsion sur leurs terres ancestraux...).

Par déclaration faite au greffe de la cour d'appel de Bukavu, maître jerry NTONDO avocat et porteur d'une procuration spéciale lui remise le 08.03.2011 par les appelant précités, a relevé appel au jugement RC 4058, rendu le 28.08.2011 par le tribunal de grande instance d'Uvira siège secondaire de Kavumu.

Aux termes de ce jugement, le tribunal précité a reçu et dit fondée l'exception d'irrecevabilité de l'action originaire pour incompétence du tribunal, soulevée par les parties défenderesses ; et s'est déclaré incompétent pour statuer de l'inconstitutionnalité des ordonnances-loi No 70-316 du 3.11.1970 et No 75/238 du 22.07.1975, a dit superfétatoire l'examen des autres moyens et a mis les frais de l'instance à charge du demandeur.

Quant aux faits en cause, ceux-ci peuvent être résumés comme suit : «  les appelants soutiennent qu'ils sont autochtones habitant depuis le temps de leurs ancêtres, les collines CHANTAMBO, KATASOMWA, MUNANGO, KAKUMBUKUMBU, se trouvant entre le territoire de Kabare et de Shabunda au Sud-Kivu. Cependant, ils affirment que par son décret no18/AGRI du 27.07.1937, l'autorité coloniale avait décidé de faire cette partie de terre une réserve zoologique et forestière du Mont kahuzi tout en préservant leur droit d'habitation, de chasse, de la cueillette, liés à leur mode de vie ;

Par son ordonnance-loi no 70/316 du 30.11.1970, la République démocratique du Congo, autrefois république du Zaïre, transforma cette réserve en parc national de kahuzi Biega (PNKB), avec une superficie de 60.000 hectares qui devint plus tard 600.000 hectares par l'ordonnance-loi du 22.07.1975. Ces deux actes, affirment-ils, ont ainsi restreint leurs droits entant que peuple autochtone, sans les avoir consultés ni indemnisés, lorsqu'ils furent dépouillés de tout espace de vie et d'épanouissement parce qu'étant expulsés de leurs terres vitales. Ils allèguent que même la partie de basse altitude de forêts qu'occupent les communautés de NINDJA, NZOVU, KATUSI, NYAMBEMBE et KALONGE, ne permet pas à ces communautés de pratiquer leur mode de vie, parce que devenu incompatible avec la politique de conservation de la nature en République Démocratique du Congo. Ils estiment que ces actes ou mesures, sont contraire d'une part, aux dispositions de la loi no 77-001 du 02.02.1977 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, telles que consacrées par la constitution du 18.02.2006 en son article 34 qui garantit le droit à la propriété individuelle ou collective, et d'autre part, contraire aux instruments juridiques internationaux, notamment le pacte international relatif aux droits civils et politiques et celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ».

S'estimant préjudiciés par ces mesures, ils saisirent le 1er juge pour solliciter réparation des préjudices subis et leur réintégration dans leurs collines respectives.

Exposant les motifs de leur appel, les précités appelants soutiennent que « le 1er juge a statué ultra petita et s'est à tort déclaré incompétent de connaitre de la demande lui soumise. Dans leurs explications ils affirment « qu'au regard de l'exploit introductif d'instance qui a saisi ledit juge, aucun des chefs de demande lui soumis n'était de nature à solliciter l'inconstitutionnalité des textes de lois sus évoqués ; que donc, il devait pas se déclarer incompétent sous prétexte qu'il ne pouvait pas examiner la constitutionnalité des textes de loi sus évoqués ». Ils sollicitent à la cour dire leur appel « recevable et fondé, d'annuler le jugement attaqué en toutes ses dispositions et de statuer à nouveau en condamnant solidairement les intimées à la somme en franc Congolais de 100.000000 de dollars Américains au profit de chacun des appelants pour trouble de jouissance et d'autres préjudices confondus, et d'ordonner leur réintégration dans leurs collines respectives ».

Le juge d'appel marche sur les arguments du premier juge et « se déclare incompétent pour statuer sur l'inconstitutionnalité des ordonnances no 70-316 du 30.11.1970, et no 75/238 du 22.07.1975 ». Il ajoute « qu'il est superfétatoire d'examiner les autres moyens soulevés par les parties ». Or, comme disent les avocats de la défense, l'action ne portait pas sur l'inconstitutionnalité des ordonnances citées mais sur la violation des droits de ces peuples autochtones. Le juge a trouvé une échappatoire pour ne pas statuer sur le problème de fonds.

En agissant de la sorte, le juge veut se dédouaner de déni de justice.

A côté du juge, les obstacles à la justiciabilité peuvent venir aussi des justiciables eux-mêmes et des défenseurs des droits de l'homme congolais. La passivité ou l'oublie de ces droits dans leurs revendications fait que, les justiciables, souvent illettrés ou non informés de l'existence de ces droits subjectifs qui leurs sont reconnus, ne puissent pas agir en justice alors que leurs droits à l'éducation, au travail, au logement, à la nourriture, à un niveau de vie suffisant, à l'eau, à l'électricité,...sont violés au quotidien. Nul n'a besoin de rappeler que « les accords des droits de l'homme les plus vastes et juridiquement contraignant qui aient été négociés sous les auspices des nations unies sont les deux pactes internationaux : l'un relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et l'autre aux droits civils et politiques ».106(*)

* 101 Laure-Marguerite HONG-ROCCA, le déni de justice substantiel en droit international public, Université Panthéon-Assas (Paris II), Thèse de doctorat en droit soutenue le 14 décembre 2012, p13.

* 102G. Weiderkher , la responsabilité de l'Etat et des magistrats du fait de la justice in la responsabilité des gens de justice : justices, janv.-mars 1997, p. 21.

* 103 F. Terré, introduction générale au droit, Précis Dalloz, 5e éd., n° 221.

* 104 Jean-Marc MOULIN, « Le juge commet un déni de justice s'il refuse d'évaluer un dommage admis dans son principe », note sous Cass. 3ème civ., 6 février 2002, société Poilâne, arrêt n. 222 FS-P+B, Droit 21, 2002, ER 013 Copyright Transactive 2000-2002, pp. 10-11.

* 105 CSJ, 21.08.1996, RA.320, USOR et alliés, Etienne Tshisekedi et consorts C/ le président de la République et consorts. Cité par KATUALA KABA KASHALA in Arrêts de principes et autres décisions de la cour suprême de justice, p.29.

* 106 D.I.N.U, ABC des nations unies, éd. Copyright, Nations-Unies, New-York, 1998, p. 246.

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