B- Une crédibilité
érodée
L'engagement de l'OIF en faveur de la démocratie
souffre d'un réel enthousiasme de la part des Etats dès lors que
cette organisation est considérée par l'opinion publique comme
étant une puissante arme au service de l'hégémonie
française ou encore «le dernier avatar de l'empire colonial
français»222. Cette situation amène
« plusieurs à s'interroger sur les finalités et la
nature de l'Organisation »223.
En effet, «pour l'opinion politique africaine, la
Francophonie sert à asseoir et pérenniser des dictatures, donc
à assurer le recul des démocraties. L'organisation profiterait
davantage aux acteurs politiques mais se soucierait très peu du sort des
jeunes»224. Une approche explicative de cette opinion
serait dans une moindre mesure le maintien au pouvoir de dirigeants politiques
au terme de leur ultime mandat et ceci sous la coupole des instances de la
Francophonie qui dans la plupart des cas s'effacent ou restent impuissantes
face à la détermination des «assoiffés du
pouvoir» dans ces genres de situation. Les exemples du Burkina Faso sous
le Président Compaoré, ou de la RDC sous Joseph Kabila en disent
long sur ce phénomène. L'OIF est ainsi «accusée
de faire plus la politique qu'autre chose».225
Par ailleurs, l'espace francophone est un espace où le
déséquilibre entre pays du sud et pays du nord est très
accru et cette inégalité est mise à profit par les plus
puissants
220 MASSART-PIERARD Françoise, La Francophonie:
complexité, ambivalence et jeu de position, in BEAUDOUIN
Louise et PAQUIN Stéphane (dir.), Pourquoi la Francophonie?,
Québec, VLB éditeur, 2008, p. 54.
221Ibid.
222 WOLTON Dominique, L'identité francophone dans
la mondialisation, Paris, CRSF, 2008, p.11. Cité par CHABI Basile,
L'OIF et la résolution des conflits en Afrique noire francophone
mémoire précité., p.71.
223Ibidem. La crédibilité de
l'OIF constitue davantage une problématique dans la mesure où les
modalités d'adhésion sont assez troubles, subjectives et
élastiques. L'on assiste alors à un élargissement
spectaculaire des membres de l'organisation avec une prise en compte
très critique des critères de promotion de la langue
française et des valeurs de démocratie et des droits de
l'Homme.
224
http://www.courrierinternational.com/article/2010/03/25/un-instrument-politique-au-service-de-la-france.
225Ibidem.
pour affaiblir les faibles car ce sont les premiers qui
assurent les financements du développement des derniers avec toutes les
contraintes que l'on connait très bien. «Ce
déséquilibre s'est accentué au fil du temps du fait du
poids de la France en rapport avec les visées
géostratégiques de l'Elysée»226.
Cette situation entraine au niveau des Etats un certain désenchantement
qui débouche sur une tendance à sortir de ce milieu assujetti aux
seuls intérêts français. Tel fut le cas du Rwanda qui a
fini par rejoindre le Commonwealth anglo-saxon étant membre de l'OIF.
Selon le quotidien Courrier International, «la
Francophonie est devenue un instrument politique au service de la France qui
profite du poids des pays membres pour rayonner à l'extérieur
(....). Le rayonnement culturel étant sous-jacent à l'influence
économique, la France qui n'a plus ses colonies, sent qu'elle perd de
son lustre d'antan; la Francophonie devient alors le cadre idéal pour
restaurer cette influence (...) Paris dissimule à peine qu'elle se
trouve au centre des prises de décision»227. La
remise en cause de la crédibilité de l'OIF est d'autant plus
juste dans la mesure où cet espace est devenu un terrain où
s'observent «de véritables luttes d'influence et de leadership
qui opposent de temps à autre Français, Belges, Canadiens,
Québécois et Suisses, entre autres»228
consumant ainsi les pays faibles constitués en partie par les pays
d'Afrique francophone. L'on ne saurait blâmer les pays d'Afrique
francophone du moment où la Francophonie est devenue «une
arène de compétition ouverte et déclarée entre
grandes puissances, en particulier la France qui tente de préserver sa
sphère d'influence et des intérêts économiques
vis-à-vis d'autres puissances présentes géographiquement
sur le continent, telles que les Etats Unis ou la Chine. A la francophonie et
à la Francophonie s'ajoute une troisième conception du monde
francophone : une franco sphère où l'OIF est ici
considérée comme instrument à la solde des
intérêts nationaux de ses membres les plus puissants, en
particulier la France et dans une moindre mesure le
Canada»229
226Ibidem
227 Ibidem.
228 Ibidem.
94
229 MASSIE Jean, MORIN David, « Francophonie et
opérations de paix. Vers une appropriation géoculturelle
», Revues Etudes internationales, vol 42, n°3, 2011, pp.315-
316.
Par ailleurs, notons qu'en dépit du fait que l'OIF fait
de la diversité culturelle et la valorisation des langues africaines une
priorité, les efforts sont beaucoup plus tournés vers le
rehaussement de la langue française dans les pays africains francophones
où résident d'ailleurs cinquante-cinq pour cent des francophones
du monde entier. Cet engagement de l'OIF à l'égard de la langue
française au mépris des langues africaines s'explique par le fait
que la langue est en perte de vitesse comparativement à l'anglais
anglo-saxon en pleine propagation. Comme le fait remarquer Courrier
international, «le français est devenu une langue fragile qui
emprunte de plus en plus aux autres. Naguère langue de la diplomatie
internationale, le français a progressivement cédé le
terrain face à l'influence grandissante de l'anglais
anglo-américain (...). Cela force l'admiration et donne davantage de
poids à la langue, instrument d'une belle
coopération»230.
Toutes ces insuffisances relevées dans l'engagement de
l'OIF en faveur de la démocratie, montrent que des défis restent
à relever pour une meilleure implication de l'organisation dans ce
domaine
95
230
http://www.courrierinternational.com/article/2010/03/25/un-instrument-politique-au-service-de-la-france.
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