B- Une démarche extensive
En 2004, le Secrétaire Général des
Nations Unies, Kofi Annan a lancé un appel vibrant au Secrétaire
Général de la Francophonie afin qu'il incite les Etats
francophones à prendre part à la mission des Nations Unies pour
la stabilisation en Haïti. C'est cette alerte, «qui constitue le
véritable point de départ de l'engagement de la Francophonie en
faveur des opérations de paix»156.
Ainsi, depuis Saint Boniface et davantage encore, depuis le
Sommet de Québec en 2008, «la Francophonie a fait de
l'accroissement de la participation aux OMP onusiennes et africaines un des
grands terrains de mobilisation»157. A ce titre, l'OIF
«développe avec les grands acteurs directs du maintien de la
paix les partenariats dans le but de contribuer à l'instauration d'une
véritable paix durable, fondée sur la considération de la
démocratie»158 même si elle n'est pas une
actrice directe en matière de maintien de la paix et qu'il n'entend pas
non plus le devenir.
La Francophonie étant une organisation civile, elle ne
dispose pas de forces de maintien de la paix. Sa contribution aux
opérations de maintien de la paix consiste d'une part à
encourager les pays francophones au renforcement de l'effectif des forces de
maintien francophone dans les conflits, et d'autre part à formuler des
plaidoyers auprès des organisations internationales.
En ce qui concerne le premier point, il est important de faire
remarquer que les OMP des Nations Unies sont caractérisées par un
manque criard des contingents francophones sur les terrains de
déploiement. Or la conduite des opérations par des contingents
francophones particulièrement dans les pays francophones constitue
une
156 OIF, « La contribution de la Francophonie aux
opérations de maintien de la paix », Réseau d'expertise et
de Formation pour les Opérations de Maintien de la Paix janvier 2017,
p.5.
157 GUICHERD Catherine, « Profondeur stratégique
de la Francophonie en Afrique», in BAGAYOKO Niagalé et
RAMEL Frédéric (dir), op.cit., p.40. Dans le cadre de la
Francophonie, il importe de préciser que cette action est portée
par le Canada, secondée par la France et relayée par des
réseaux spécialisés (notamment le réseau de
recherche sur les opérations de paix (RESOP), le réseau
d'expertise et de diffusion d'information basé à
l'université de Montréal). Pour Catherine Guichard, cette action
est fondée sur un argumentaire plutôt technique soulignant la
sous-représentation des francophones dans les OMP onusiennes, alors
même que la demande est allée croissante avec le
déploiement et l'expansion des missions telles que la MONUSCO ou
l'ONUCI.
67
158 OIF, DDHDP, Contribution de l'Organisation
Internationale de la Francophonie aux opérations de maintien de la
paix, p.4, voir www.opérations paix/net/DATA.pdf.
Cité par CHABI Basile, L'organisation Internationale de la
Francophonie et le règlement des conflits en Afrique noire francophone,
mémoire précité, p.46.
garantie de la réussite des opérations dans la
mesure où la proximité linguistique entre la population locale et
les forces de maintien permet de créer un lien de confiance qui peut
facilement rendre les opérations probantes. C'est dans ce contexte qu'on
a assisté à une «appropriation
géoculturelle»159 des OMP consistant à un
transfert progressif « de responsabilité,
d'imputabilité, de compétences et de capacités à
une organisation dont les pays membres jouissent d'une proximité
culturelle et linguistique servant, dans une certaine mesure de point de
ralliement et d'ancrage de collaboration»160.
'ONU»162.
Encore appelée «francophonisation des
opérations de paix»161, cette appropriation
géoculturelle a permis «une augmentation substantielle bien que
tardive et modeste, de la contribution francophone aux opérations de la
paix de l
Les opérations de maintien de la paix ont pour objectif
d'aider les pays en proie à des conflits à créer les
conditions de retour à une paix durable. L'action de l'OIF consiste,
d'un point de vue pratique, à informer les Etats francophones sur la
mécanique onusienne relative au montage des Omp, l'objectif étant
de permettre aux Etats de saisir toute la mesure des opportunités
offertes et de prendre les décisions relatives à leur
participation auxdites opérations en pleine connaissance du dispositif
existant. L'OIF appuie ainsi le développement de programmes, en
coopération avec des partenaires bilatéraux et
multilatéraux, visant à renforcer la capacité des Etats
membres à participer à ces opérations.
Concrètement, cet appui prend la forme de formations dispensées
en partenariat avec les écoles de formation spécialisées,
telles que l'Ecole de maintien de la paix Alioune Blondin Beye
(EMP)163 de Bamako, l'Ecole Internationale des Forces de
Sécurité (EIFORCES)164 d'Awaé au Cameroun et
les séminaires in situ de formation aux normes des Nations
Unies dans les pays qui offrent des disponibilités immédiates de
mise
159 MASSIE Jean et MORIN David, « Francophonie et
opérations de paix : vers une appropriation géoculturelle »,
Revue Etudes Internationales, Vol. 42, n°3, 2011, pp. 313-
336.
160 LARRAMENDY Damien, MORIN David, THEROUX-BENONI Lorie-Anne
et ZAHAR Marie-Joëlle, La participation francophone aux
opérations de paix : état des lieux, Montréal,
ROP/CERI, 2012, p.21, cité par CHABI Basile, op.cit., p.48.
161 MASSIE Jean, et MORIN David, op.cit. Ce terme
traduit la nécessité de déployer les casques bleus
maitrisant la langue française dans les champs des hostilités des
pays francophones afin de faciliter la communication avec les populations
locales.
162 Ibidem., p.320.
163 Cette école a été ouverte en 2006 et
a pour mission de contribuer au renforcement des capacités des Etats
africains en matière de soutien à la paix et prioritairement
à la Force Africaine en Attente de la CEDEAO.
68
164 L'EIFORCES a été créée en 2008
et est appelée à devenir la première institution africaine
dans le domaine des missions non militaires de maintien de la paix.
à disposition de contingents, mais dont les troupes ont
besoin d'une formation complémentaire pour se présenter aux
examens de recrutement organisés par l'ONU (comme ce fut le cas en 2006
des fonctionnaires de police du Sénégal et du Cameroun).
Enfin, deux autres pôles de formation intéressent
la Francophonie. Il s'agit de la formation des contingents non francophones
à l'usage et à la pratique de la langue française et
l'identification d'un vivier d'experts civils dans les domaines liés aux
Omp.
Le second mode de participation de la Francophonie aux
opérations de maintien de la paix consiste en des actions de plaidoyers
auprès des organisations internationales notamment l'ONU. Elle
mène ainsi des actions de plaidoyers auprès de cette organisation
universelle où se déroulent les négociations
internationales sur le concept, l'architecture et le déploiement des
Omp. Cette initiative a conduit en mars 2004 à la signature d'un
partenariat ONU-OIF lorsque l'ONU a pris attache avec l'OIF en sollicitant son
concours pour la mobilisation des contingents francophones dans la perspective
du déploiement dans les pays francophones.
Les actions de l'OIF en matière de plaidoyer visent
principalement à assurer la promotion de l'usage du français dans
la documentation onusienne relative aux opérations de paix, ainsi qu'au
sein du Secrétariat et des missions, notamment pour ce qui a trait aux
processus de recrutement. En s'appuyant sur le rapport du Comité
spécial sur les Opérations de maintien de la paix des Nations
unies (dit « C-34 »), auquel l'OIF participe
en qualité d'observateur, elle a sollicité l'ONU
«à rééquilibrer sa
politique linguistique»165 notamment en exhortant l'ONU
à ce que tous les documents produits par elle soient publiés en
français et afin d'inciter à l'insertion des francophones dans
les Omp, notamment en argumentant en faveur de l'ajustement de la
manière dont l'ONU conduit les entretiens de recrutement (en
français avec évaluation d'un anglais fonctionnel).
Dans ce cadre, l'OIF a ainsi adressé, en mars 2015, une
contribution écrite au Groupe indépendant de haut niveau sur les
opérations de paix des Nations unies, mis en place par le
Secrétaire général des Nations unies. Cette contribution a
notamment mis
69
165 OIF, Contribution de l'Organisation Internationale de la
Francophonie aux opérations de maintien de la paix, op.cit.,
p.19.
70
l'accent sur la nécessité de favoriser le
multilinguisme et de prendre en considération la dimension linguistique
dans les phases de préparation, d'intervention et de consolidation des
opérations de paix, ainsi que sur l'importance de promouvoir une
meilleure prise en compte de la diversité des spécificités
locales propres aux pays d'intervention.
Par ailleurs, l'OIF mène des actions de plaidoyer
également auprès des États membres pour les sensibiliser
aux avantages stratégiques procurés par la participation aux
opérations de maintien de la paix. Celles-ci constituent en effet un
instrument de rayonnement politico-diplomatique et un levier d'influence aux
plans régional et international, ainsi qu'un vecteur de modernisation de
l'appareil de défense et de sécurité. C'est dans ce cadre
que se sont inscrits en 2009 les forums de Bamako et de Yaoundé qui ont
permis de sensibiliser les responsables d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique
centrale à l'importance de la contribution francophone aux OMP. Il
s'agit aussi de la Co-organisation avec la Direction de la coopération
de sécurité et de défense du ministère
français des Affaires étrangères (DCSD), la
Délégation aux affaires stratégiques du ministère
français de la Défense (DAS) et le Centre de politique de
sécurité de Genève (GCSP) du cycle de séminaires
2012-2013 (Addis-Abeba, Dakar, Genève, New York) sur le rôle des
pays francophones dans les opérations de maintien de la paix de
l'ONU.
Conclusion de la première partie
71
Le rôle joué par l'OIF dans le rayonnement
démocratique des Etats de l'Afrique noire francophone est
évident. La mise en place des instruments juridiques très
ambitieux et des mécanismes d'action originaux ont permis de promouvoir
la stabilité démocratique en faisant obstacle ou en
atténuant les dérives dans la gestion du pouvoir par les
responsables politiques. Le partenariat qu'elle a créé avec les
organisations internationales et régionales engagées dans la
construction démocratique fait de sa contribution un atout
irremplaçable auprès des Etats d'Afrique noire francophone.
Et pourtant, et en dépit de toutes ces
réussites, les actions de la Francophonie dans la construction
démocratique se heurtent à bien des obstacles ; ce qui rend sa
contribution perfectible.
UN ACCOMPAGNEMENT PERFECTIBLE
DEUXIEME PARTIE :
72
Le projet politique d'accompagnement de la démocratie
mis en oeuvre par la Francophonie en Afrique noire francophone en dépit
des réussites évidentes enregistrées est plus qu'à
parfaire. En effet, bon nombre d'écueils liés aussi bien à
l'environnement politique des Etats qu'à l'organisation interne de
l'OIF, corsètent les initiatives mises en oeuvre par cette
dernière. L'analyse de ces difficultés est donc pertinente en vue
d'une meilleure action politique de l'OIF en faveur de la démocratie en
Afrique noire francophone.
Nous parlerons alors d'une part de la double difficulté
à laquelle fait face l'OIF (Chapitre 1) et d'autre part
des défis qu'elle doit relever en vue d'un meilleur accompagnement
démocratique (Chapitre II).
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