L'organisation internationale de la francophonie et la démocratie en Afrique noire francophone.par Abdou-Ramane MAMA Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Droit international et organisations internationales 0000 |
B- Un appui spécial à la justice constitutionnelleEn tant que jeune institution de l'ère démocratique africaine, la justice constitutionnelle bénéficie d'un accompagnement spécial de la part de la Francophonie en raison du rôle éminemment important que les Cours et conseils constitutionnels sont appelés à jouer pour la préservation de l'Etat de droit. Représentées dans leur début par une Chambre spéciale au sein de la Cour suprême, les Cours constitutionnelles sont désormais érigées de façon indépendante des autres juridictions dans la majorité des constitutions d'Afrique noire francophone. En effet, elles sont gardiennes de la promesse constitutionnelle de l'indépendance de la justice et pour jouer efficacement leur rôle, elles se doivent d'être indépendantes des autres pouvoirs et en occurrence le pouvoir exécutif. Cet idéal n'est pas encore une réalité en Afrique noire francophone. C'est pourquoi l'OIF a pris la mesure de cette exigence depuis la Déclaration de Caire et de Paris en soulignant avec lucidité le devoir pour les Etats de renforcer l'indépendance de la justice en général et de la justice constitutionnelle en particulier. Cette indépendance de la juridiction constitutionnelle doit être à la fois organique et budgétaire car « l'absence d'autonomie budgétaire et la faiblesse des moyens diluent les objectifs vertueux d'indépendance et d'efficacité de la justice»132. C'est donc de manière tout à fait pertinente que la sixième Conférence des chefs des institutions membres de l'ACCPUF s'est saisie de la question du statut du juge constitutionnel. Soutenue par l'OIF, cette conférence a été l'occasion de rappeler utilement les garanties statutaires nécessaires à la préservation de l'indépendance du juge constitutionnel. Formalisée dans les engagements francophones du Caire, érigée en priorité dans la Déclaration de Hanoi, l'indépendance des juridictions constitutionnelles est l'un des principaux défis de la mobilisation francophone en faveur du renforcement des institutions démocratiques. A ce niveau, l'OIF joue un rôle important dans l'interpellation des gouvernants et des acteurs de ces institutions en s'appuyant sur ses réseaux institutionnels. Elle apporte notamment son soutien aux activités de 52 132 KASSI BROU Olivier Saint Omer, Francophonie et justice: contribution de l'organisation internationale de la Francophonie à la construction de l'Etat de droit, op.cit., p.88. l'Association Africaine des Hautes Juridictions Francophones (AAHJF), de l'Association des cours constitutionnelles ayant en partage l'usage du français (ACCPUF) et de l'Association des Hautes Juridictions de Cassation des pays ayant en partage l'usage du français (AHJUCAF) qui, à travers leurs rencontres thématiques, favorisent les échanges d'expériences et de bonnes pratiques pour la promotion et la consolidation de l'indépendance des juridictions constitutionnelles. Par ailleurs, en raison de l'implication des juridictions constitutionnelles dans le domaine électoral et eu égard à l'enjeu de ces scrutins dans les démocraties contemporaines, l'OIF s'est engagée pertinemment à soutenir la justice constitutionnelle pour contenir les digressions de la rationalité électorale. Elle leur apporte un appui polymorphe soit directement 133 , soit par le truchement du réseau des juridictions constitutionnelles francophones, l'ACCPUF dont elle a contribué à la mise en place et dont elle soutient les activités. Le but est de faire en sorte que le juge constitutionnel puisse corriger les imperfections de l'Etat de droit, afin que le mirage134 ou l'illusion135 démocratique de l'élection, se transforme en réalité, partout dans l'espace francophone. L'action de l'OIF s'inscrit ici dans le cadre de sa mobilisation en faveur du renforcement des capacités des institutions nationales de l'Etat de droit et de l'appui aux processus électoraux. L'OIF apporte son soutien aux institutions et acteurs impliqués dans l'organisation et le contrôle des élections 136 . Dans le cadre de son appui au renforcement des capacités du « service public électoral »137, la Francophonie, en plus de son soutien aux Commissions électorales, appuie le perfectionnement technique et humain des structures nationales en charge du contentieux électoral. Outre 133 Au Mali par exemple, l'OIF a organisé en juin 2013, au bénéfice de la Cour constitutionnelle, un séminaire d'échange d'expérience sur le contentieux électoral. OIF, Rapport du Secrétaire Général de la Francophonie, 2012- 2014 : de Kinshasa à Dakar, Paris, 2014, p. 83. 134 DARRACQ Vincent et MAGNANI Victor, « Les élections en Afrique : un mirage démocratique ? », Politique étrangère, 2011/4 (Hiver), IFRI, pp. 839-850. Cité par KASSI BROU Olivier Saint Omer, op.cit., p. 269. 135 HERMET Guy, « L'illusion électorale », in BADIE Bertrand et VIDAL Dominique (dir.), Nouveaux acteurs, nouvelle donne, L'état du monde 2012, Paris, La Découverte, 2011, pp. 147 et ss. 136 Au titre de l'action de l'OIF en faveur du renforcement des capacités des organes de gestion et de contrôle des élections, voir pour les plus récentes, OIF, Rapport du Secrétaire général de la Francophonie, 2012-2014 : de Kinshasa à Dakar, Paris, 2014, p. 85. Il faut également souligner ici que l'OIF soutient les activités du Réseau des compétences électorales francophones (RECEF), créé en 2011. 53 137 MELEDJE Djèdjro Francisco, « De l'impossible service public électoral en Côte d'Ivoire. Le phénomène des crises électorales », in MELIN-SOUCRAMANIEN Ferdinand (études réunies par Espace du service public), in Mélanges en l'honneur de DU BOIS DE GAUDUSSON Jean, ouvrage précité., pp. 455 - 478. 54 les dotations en équipement138et les séminaires qu'elle organise139, l'OIF apporte son appui aux travaux de ses réseaux institutionnels sur le rôle des juridictions constitutionnelles dans les processus électoraux. Sensible à la question électorale et aux enjeux qu'elle soulève, la Francophonie soutient de manière générale les réunions statutaires et scientifiques de l'ACCPUF et en particulier les séminaires consacrés au traitement du contentieux électoral140. Convaincue de la centralité du juge dans la sécurisation des processus électoraux, l'OIF a par exemple, en novembre 2013, en partenariat avec l'ACCPUF et la Cour Constitutionnelle du Bénin, organisé à Cotonou un colloque sur la pratique du contentieux électoral dans l'espace francophone. En facilitant la réflexion, la formation et les échanges de bonnes pratiques sur la gestion du contentieux électoral, le réseau des juridictions constitutionnelles francophones ayant en partage l'usage du français, peut permettre à ses institutions membres de prendre conscience de l'importance de leur rôle dans la conduite des processus électoraux et donc dans la stabilisation de la démocratie et dans l'enracinement de l'Etat de droit. La justice constitutionnelle est indéniablement l'une des avancées les plus remarquables de l'histoire constitutionnelle de l'Etat démocratique moderne en Afrique. 138 La juridiction constitutionnelle doit disposer d'une administration interne autonome, avec un siège distinct et séparé, des experts, assistants et agents administratifs nommés et rémunérés directement par l'institution, et enfin des moyens techniques et bibliographiques adaptés. Elle doit jouir d'une parfaite liberté dans le recrutement et la gestion de son personnel administratif. 139 Du 7 au 10 août 2015, l'OIF a par exemple organisé, en partenariat avec la Cour constitutionnelle centrafricaine, un séminaire de renforcement des capacités sur le contentieux électoral. 140 La Francophonie apporte son soutien aux congrès et autres conférences des chefs d'institutions de l'ACCPUF. Elle a accompagné notamment le congrès tenu à Ottawa en Juin 2003 sur : « Le rôle et le fonctionnement des Cours constitutionnelles en période électorale ». Elle a également contribué à l'organisation de la conférence des chefs d'institution de l'ACCPUF, qui s'est tenue à Bucarest du 31 mai au 1er juin 2005 et qui portait sur « L'indépendance des juges et des juridictions ». L'OIF a apporté son appui financier à l'organisation du cinquième congrès de l'ACCPUF qui s'est tenu à Cotonou du 22 au 28 juin 2009 sur « Les juridictions constitutionnelles et les crises » et a soutenu le 2e congrès de la Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africaines (CJCA) toujours à Cotonou du 11 au 13 mai 2013. Par ailleurs, la Cour Constitutionnelle béninoise a reçu un appui financier et matériel de l'OIF pour la formation des assistants juridiques à Paris en septembre 2015 et a contribué à la conception et à l'installation du premier site web de la Cour Constitutionnelle et son hébergement sur le serveur de l'OIF. L'OIF a également contribué à l'Organisation des élections présidentielles au Benin en appuyant financièrement la Cour dans l'impression des
plaquettes sur le rôle de la Cour Constitutionnelle et à la
formation des Si elle n'est pas une innovation réelle du point de vue de la technique juridique, elle marque tout de même, à l'aune des droits fondamentaux, une profonde évolution dans les modalités d'exercice du pouvoir. C'est donc avec conviction que la Francophonie doit continuer à appuyer les juridictions constitutionnelles et à renforcer leurs capacités. Qu'il intervienne dans sa fonction de juge électoral ou de juge de la constitutionnalité des lois, le trait dominant du juge constitutionnel le conduit à inscrire son action dans l'élan d'édification d'un ordre juridique et démocratique, protecteur des droits fondamentaux. La Francophonie fait déjà un effort croissant dans ce domaine. Toutefois, son apport plus accru est souhaitable. Une justice efficace et accessible ne garantissant pas forcément l'éviction des crises politiques, l'OIF s'investit également dans le maintien de la stabilité démocratique par la prévention et la gestion des crises politiques qui surgissent dans l'espace noir francophone. |
|