La régionalisation du maintien de la paix et de la sécurité internationales. étude appliquée au conflit en république Centrafricaine.par Chrisogone Ignace MENEHOUL KOBALE Université de Yaoundé II (Cameroun) - Master recherche en Droit public 2016 |
B. Précisions terminologiquesLe professeur Luc SINDJOUN affirmait quela définition des concepts est un « pré requis analytique18(*) ». Et donc, il nous faut d'abord définir, les termes contenus dans le sujet (1),et ensuite le sujet lui-même (2). 1. Définition des termes du sujetNous clarifierons ici les termes régionalisation (a), maintien de la paix et de la sécurité internationales (b) et conflit (c). a- Régionalisation Le Grand Larousse définit la régionalisation comme « un transfert aux régions, de compétences qui appartiennent au pouvoir central19(*)». Au sens du Dictionnaire de Droit international public, il s'agit d'« un processus relatif à une région, qualificatif appliqué principalement à des accords ou organismes regroupant plusieurs Etats de même région20(*). » Toutefois, le concept de régionalisation ou du fait régional revêt des visages divers. Phénomène polymorphe en Droit international, il se prête mal à des classifications rigides21(*). Cette polymorphie se révèle lorsque l'on tente d'appréhender la notion de région. La région est un concept pour le moins énigmatique et aucune discipline scientifique ne peut en livrer un concept proprement objectif ; chacune retient sa propre définition ou ses définitions22(*). Pour le professeur Stéphane DOUMBE-BILLE, la régionalisation doit être analysée comme « une tentative de s'adapter aux nécessités auxquelles un groupe d'Etats doit faire face, par rapport auxquelles ceux-ci construisent des finalités particulières, dans le respect du droit international général. Ces finalités l'entrainent, selon les spécificités en cause, à présenter des visages multiples, ordonnées autour d'une double préoccupation dont l'une est plus classique et l'autre plus ambitieuse23(*). » Dans un premier cas, le professeur estime que la régionalisation peut en effet emprunter lavoie d'une simple coordination des fonctions étatiques. Elle constitue alors le « degré zéro » du rapprochement régional, les principes de fonctionnement demeurant profondément marqués par les caractères traditionnels de la souveraineté et de la coopération interétatique. Telle est d'ailleurs encore aujourd'hui la forme la plus courante de la régionalisation du droit international public, à travers le cadre d'organisations internationales régionales, qu'elles soient fermées ou ouvertes24(*). Dans le second cas, celui-ci pense que la régionalisation s'engage dans une coopérationplus avancée, plus renforcée, qui « oblige » les Etats à des abandons desouveraineté, afin de mettre en avant un nouveau sujet qui les résume à travers le caractère intègre de leur coopération. Cette seconde forme ne conduit pas pour autant à la disparition des Etats qui la constituent mais la superposition des régimes à laquelle elle n'est pas sans difficulténi ambiguïté sur la nature statutaire de la construction de l'oeuvre. Elle n'en apparait pas moins ambitieuse dans la volonté, peut-être fantasmatique, de création de nouvelles entités de caractère supra-étatique25(*). Toutefois, la régionalisation désignée dans le cadre de ce travail indique un phénomène, une dynamique de conjugaison d'efforts ou d'uniformisation de compétences, dans le respect du Droit international applicable, entre au moins deux entités étatiques regroupées au sein d'une organisation à l'effet de faire face aux problèmes de différents ordres et natures qui se posent ou s'imposent dans leur sphère. b- Maintien de la paix et de la sécurité internationales Le substantif maintien vient du verbe maintenir qui, selon le dictionnaire Larousse de poche, veut dire « tenir stable dans la même position ou le même état26(*). ». De ce fait, le maintien implique la quête d'un statut quo d'une situation donnée ou d'un état qui, dans le présent travail, est la paix et la sécurité internationales. Pour le professeur Gérard CORNU, la paix renvoie à la « situation d'un Etat qui n'est en guerre avec aucun autre ou qui ne l'est pas avec un autre déterminé, que cette situation résulte d'un traité de paix ou de la seule prolongation d'un état de non-agression.27(*) ». Mais cette définition ne semble pas suffisante, pour avoir relevé seulement l'absence de guerre entre Etats, alors que la guerre peut également avoir lieu dans l'Etat ; d'où préférence de retenir la conception selon laquelle la paix est l'absence de guerre ; elle est le « ...mythe fondateur de la société internationale régularisée28(*)». Divers auteurs traitent du maintien de la paix sans s'attarder ou inclure le mot sécurité. Par exemple, les professeurs Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT définissent le maintien de la paix comme un « ensemble d'opérations sans caractère coercitif décidées par le Conseil de sécurité des Nations Unies en vue d'exercer une influence modératrice sur des éléments antagonistes29(*). ». Et pour le professeur Jean SALMON, le maintien de la paix se présente comme une « action consistant à faire perdurer un état de paix, spécialement lorsque celui-ci est menacé » ou une « action concrète menée sur le terrain des Nations Unies pour maintenir la paix dans un territoire30(*). » En tout état de cause, l'évocation du maintien de la paix requiert la considération implicite de la sécurité qui est entendue, respectivement par leDictionnaire encyclopédique et le Dictionnaire de droit international public comme« la situation dans laquelle quelqu'un ou quelque chose n'est exposée à aucun danger. » et comme « ..., l'état d'une personne qui se sent ou se croit à l'abri d'un danger31(*). » En effet, le maintien de la paix et de la sécurité internationales peut être entendu comme la « prévention, la limitation, la modération et la cessation des hostilités entre ou au sein des Etats grâce à l'intervention d'une tierce partie organisée et dirigée à l'échelle internationale, faisant appel à du personnel militaire, policier et civil pour restaurer la paix32(*). ». En l'espèce, le maintien de la paix et de la sécurité internationales devra être compris comme un procédé à travers lequel un acteur de renommée internationale intervient pour faire face aux nécessités d'ordre, fut-il, politique, économique, sécuritaire, social ou culturel dans un milieu donné. c- Conflit Le conflit est généralement perçu comme une situation d'affrontement entre sujets antagonistes. Cette définition est suffisamment large pour inclure toutes sortes de conflits allant des disputes de ménage aux guerres. Selon TRAN VAN Minh, « la notion de conflit est une terminologie qui met en concurrence plusieurs termes : conflit, litige, différend, crise, tension, antagonisme, situation... 33(*)». Cette variabilité dans l'usage des termes est susceptible de créer une certaine confusion, d'où la nécessité de les disséquer et les distinguer. Premièrement, le conflit se distingue de la crise. Pour le politologue américainZARTMAN William, le conflit est le premier stade de la crise. Alors que celui-là renvoie« Au litige qui sous-tend les heurts entre les belligérants, celle-ci désigne le passage actif des hostilités armées34(*)». C'est une phase critique dans l'évolution du conflit ; « le conflit précède donc la crise35(*) ». Deuxièmement, la Charte de l'ONU utilise les notions de différend et de situation sans toutefois préciser leur portée. Le professeur CHAUMONT Charles, après avoir inventorié les différents cas d'utilisation des deux concepts, conclut que le différend a un caractère subjectif alors que la notion de situation serait objective36(*). Dans son arrêt du 30 aout 1924 sur l'affaire Mavrommatis, la Cour Permanente de Justice Internationale (CPJI) définit le différend international comme un « désaccord sur un point de droit ou de fait, unecontradiction, une opposition de thèses juridiques ou d'intérêts entre deux Etats37(*)». Bien que restrictive, cette définition se rapproche de celle du conflit. Troisièmement, il importe de faire la différence entre le conflit et les termes de tension interne et de trouble intérieur. Ce sont des situations de basse intensité n'ayant pas encore atteint le stade de conflit armé38(*).Ces situations ne présentent pas l'intensité et l'organisation militaire, nécessaire caractéristique du conflit armé. Le terme conflit est défini comme une « hostilité, lutte entre groupes sociaux, entreEtats, n'allant pas jusqu'au conflit armé et sanglant, que l'on oppose souvent à la guerre politique militaire39(*)».Lorsque la conduite de cette hostilité ou lutte est faite par les armes,le conflit devient armé et s'apparente ainsi à une véritable guerre qui est perçue comme« Un acte de violence dont le but est de forcer l'adversaire à exécuter notre volonté40(*)». Dans le langage courant, le mot « guerre » est souvent employé pour désigner les situations qui ne correspondent pas au « concept juridique » du même nom. Au sens du Droit international, la guerre est un procédé de contrainte avec emploi de la force qui comprend obligatoirement deux aspects : un aspect militaire et un autre interétatique. La guerre est une lutte armée avec intention de guerre. En tant que telle, elle se distingue de la rétorsion et des représailles pacifiques qui excluent le recours aux armes et des représailles armées qui s'exercent sans intention de guerre41(*). Utilisant les concepts de « conflit armé » pour expliquer le phénomène de guerre, la professeure Rosemary ABI-SAAB dit, quant à elle, que ces termes impliquent l'existence d'hostilités entre les forces armées organisées42(*). Les hostilités sont comprises comme les opérations de guerre ou l'état de guerre lui-même. « Un conflit armé existe chaque fois qu'il y a recours à la force armée entre Etats ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d'un Etat43(*). ». Le conflit armé peut être international ou non en raison de la nature des belligérants en présence. Lorsqu'il oppose des entités étatiques, mieux encore lorsqu'il y a confrontation armée entre Etats même si l'état de guerre n'est pas proclamé44(*), il s'agit d'un Conflit Armé International (CAI) ou d'une guerre interétatique. Mais, « Est réputé CANI[« Conflit Armé Non International »], tout conflit qui se déroule sur le territoire d'un Etat, entre ses forcesarmées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous laconduite d'un commandement responsable exerce sur une partie de son territoire uncontrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertéeset d'appliquer le droit international établi par ce type de conflit45(*)». Cette définition permet, au regard de la réalité des faits sur le terrain, de conclure sur la nature du conflit en RCA ; évidemment il s'agit d'un CANI. Dans le cadre de cette recherche, la notion du conflit doit être entendue comme la manifestation d'actes d'opposition entre au moins deux parties en présence pour des motifs avoués ou non, et lors desquels chacune d'elles peut emprunter un ou des moyen (s) selon sa convenance. * 18 Cours de Relations internationales, non publié. Consulté le 15 juin 2017 sur URL : http// : www.google.fr * 19 Le Grand Larousse, Paris, Cedex, 2015. * 20SALMON (Jean) (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant/AUF, 2001, p 959. * 21 GAUTRON (Jean-Claude), « Le fait régional dans la société internationale », dans SFDI, Régionalisme et universalisme dans le droit international contemporain, Paris, Pedone, 1976, p. 7 ; VIRALLY (Michel), L'Organisation mondiale, Paris, A. colin, 1972, p. 294. * 22De manière générale, voir NYE (Joseph), International Regionalism, Boston, Little, Brown and Co., 1968. * 23DOUMBE-BILLE (Stéphane) (dir.), La régionalisation du droit international, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp 15-16. * 24Idem. * 25Ibidem. * 26 Dictionnaire Larousse de poche, www.edition-larousse.fr.2012. * 27 CORNU (Gérard), Vocabulaire juridique, 11e éd, Paris, PUF, 2015,p. 729. * 28 SUR (Serge), Relations internationales, Paris, Montchrestien, 2000, p 290. * 29 GUILLIEN (Raymond) et VINCENT (Jean) (dir.), Lexique des termes juridiques, 14ème éd., Paris, Dalloz, 2003, p. 75. * 30 SALMON (Jean) (dir.), op. cit., p. 799. * 31Ibid., p 1023. Par ailleurs,Il existe une diversité des formes de sécurité au rang desquelles la sécurité juridique, la sécurité de l'Etat, la sécurité des personnes, des biens, des moyens de transport dans les relations internationales, la sécurité des relations contractuelles et la sécurité internationale proprement dite. Cette dernière renferme en son sein : La sécurité collective qui est un système par lequel une collectivité d'Etats conclut, en vue de prévenir l'emploi de la force contre l'un d'entre eux, des engagements de règlement pacifique des différends aux termes desquels chacun pourra bénéficier, sous forme d'actions communes, de la garantie de l'ensemble de la collectivité ; La sécurité de la navigation maritime qui est un ensemble de règles et mesures arrêtées par les Etats et les OI ayant pour objet de définir les règles minimales auxquelles sont soumis les navires et leurs équipages et d'assurer dans de bonnes conditions de sécurité la circulation maritime. * 32 TESSIER (Manon), « Qu'est-ce que le maintien de la paix ? », in Paix et sécurité internationales, Canada, IQHEI, Décembre 1999, information tirée sur internet au www.Iqhei.Ulaval.Ca/default.asp , consulté le 30 juillet 2018. * 33TRAN VAN (Minh), « Les conflits », in Encyclopédie juridique de l'Afrique, tome 2,Dakar, Nouvelles éditions africaines, 1992, pp. 311-340. * 34ZARTMAN (William), La résolution des conflits en Afrique, Paris, L'Harmattan, 2000, p. 14. * 35 Ibid. * 36 Cf. CHAUMONT (Charles), La sécurité des Etats et la sécurité du monde, Paris, L.G.D.J, 1948, 158 p. * 37 Aff. des Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt du 30 août 1924 CPJI. Série A n°2 p. 11. * 38 Pour une analyse sur le sujet, voir Pietro VERRI, Dictionnaire international des conflits armés, CICR, Genève, 1988. Sur cette question, voir EIDE (Alain) « Troubles et tensions intérieurs » dans UNESCO (éd.), Les dimensions internationales du droit humanitaire, Paris/Genève, 1986, pp. 279 ss. ; MOMTAZ (Djamchid). « Les règles humanitairesminimales applicables en période de troubles et de tensions internes », RICR, vol.80, 1998, pp.487 ss. * 39BOUTHOUL (Gaston), Traité de sociologie.Les guerres, éléments de polémologie, Paris, édition Fayard 1951, p. 35. * 40CLAUSEWITZ (Carl Von), De la guerre, (1832), (trad.) MURAWIEC (Laurent), éd. Librairie Académique Perrin, 1999. * 41 DAILLIER (Patrick), FORTEAU (Mathias) et PELLET (Alain), Droit international public, 8è édition, Paris, LGDJ, 2009, p 709. * 42ABI-SAAB (Rosemary), Droit humanitaire et conflits internes, Origines et évolution de la réglementation internationale, Paris, Pedone, 1986, p. 69. * 43 Tadic 1995, Chambre d'Appel du TPIY, affaire n° IT-94-1-AR72 § 70. * 44 SALMON (Jean) (dir.) op. cit. p. 233. * 45Voir l'article 1 du Protocole additionnel II de 1977 aux conventions de Genève de 1949. |
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