![]() |
La production participative dans le domaine de la musique : craintes et benefices du modele( Télécharger le fichier original )par Iman AZAAMAR Université Bordeaux 3 - Master ingénierie de projets culturels 2011 |
I-SONGCe label participatif est édité par E-CORP SARL, le créateur du site en France est Cédric Sauvaget, les administrateurs sont Stéphane Thomas, Charles-Henri Poniard. Le site s'apparente à une plate-forme de mise en ligne des créations des artistes et d'écoute en streaming, l'aspect « production » est très peu mis en avant. On y retrouve les slogans suivants : « Écoutez les artistes I-song, votez pour vos artistes préférés, offrez leur la chance d'être produit ». Peu d'informations sont données concernant l'identité des entrepreneurs, probablement étrangers. BETNBOOST Ce concept crée par Grégory Costa est accompagné par l'Insa de Lyon (école d'ingénieurs) et l'incubateur Crealys (laboratoire). Le site est inexistant (septembre 2011). ARTISTE A VENDRE ( ex BE YOUR MUSIC) Artiste à vendre est un site de financement de carrière musicale participatif destiné aux artistes phase de professionnalisation ( ayant sorti au moins un album et fait des concerts). Il est actuellement en construction. . JAZ'ZIL Le site est en cours de maintenance REMARQUES Les informations concernant ces sites ont été recueillies courant septembre 2011, leur évolution s'adapte au gré du marché et des concurrents. Certains sites tels que BETNBOOST, JAZ'ZIL, ARTISTE A VENDRE, par exemple, n'existent plus ou sont en cours de maintenance. Difficile d'interpréter ce fait, il peut s'agir d'un arrêt temporaire ou définitif lié à d'éventuelles difficultés (financières ou autres). (b) La référence : My Major Company Créé en 2007, le label communautaire My Major Company s'est distingué par le succès de son artiste Grégoire mais aussi par ses importants partenariats média, le tout ayant suscité l'intérêt des investisseurs, nécessaires à la stabilité financière. Ses co-fondateurs , issus de l'industrie de la musique se définissent comme « un vrai label », « une major des internautes », leur but ne serait pas « simplement de recueillir des fonds pour les artistes mais de les accompagner pour l'écriture du disque, la promotion et le marketing »26. MyMajorCompany revendique une audience de 150 000 visiteurs par mois et totalise 30 000 producteurs inscrits, dont un quart aurait investi sur un artiste. Michael Goldman est en charge du recrutement des artistes et de la partie studio au sein de MMC. Sevan Barsikian, ancien responsable du service artistique de BMG Publishing (Sinik, Vitaa, Ridan) dirige la partie développement promo. Antony Marciano, ancien directeur artistique chez Sony-BMG (Amel Bent) est responsable de la production exécutive en studio, du choix des titres. Simon Istolainen est en charge du développement Web, de la conception et de la mise en oeuvre marketing du site et de la stratégie. En permettant, pour la première fois, à 347 « internautes producteurs » de financer le single « Toi +Moi » de Grégoire dont album a été vendu à plus de 700 000 exemplaires, ces dirigeants ont suscité un intérêt des médias pour la production participative. Beaucoup d'observateurs, notamment les journalistes concentrent leur attention sur My Major Company, renforçant ainsi sa visibilité et contribuant à son essor au détriment des autres qui ont, pourtant, un principe de fonctionnement similaire. Les artistes produits par ce label prennent de l'ampleur dans le sillage musical et s'assurent une diffusion en radio presque immédiate, c'est le cas, par exemple, de Joyce Jonathan, de Thierry de Cara, d'Agonie, d'Irma et bien entendu de Grégoire. La réussite de MMC s'expliquerait, tout d'abord, par le parti-pris d'une pré-sélection des artistes assurée par l'équipe artistique . Mais aussi, grâce au réseau de partenaires médias, détenu par le label, qui semble important. Le label possède un réseau et carnet d'adresses important qui lui 24 26 htp:// www.lexpress.fr/culture/musique/les-internautes-prennent-le-pouvoir_512374.html 25 permettent un accès aux plateaux télé, aux radios etc. Rappelons que la promotion d'un artiste est primordiale dans une industrie de la musique qui impose à l'artiste d'être vu et entendu et au mieux de créer du buzz. Ce facteur influence fortement les ventes car les acheteurs potentiels sont attentistes à ce que leur propose la télévision, la radio, internet etc. En effet, le « consommateur » lambda de musique n'a pas pour habitude de « chiner » dans les rayons des disquaires, d'aller vers les producteurs de musique pour découvrir de nouveaux talents, il est donc très sensible à ce que lui propose les médias. Par ailleurs, l'ancrage du réseau de distribution Warner, partenaire du label participatif fait figure d'atout supplémentaire. En contre-partie, la major encaisse sur un « album vendu, 56% du prix de vente, les 44% restant sont partagés entre MMC (50%), les internautes producteurs (30 %) et l'artiste (20 %)27. Enfin, les investisseurs permettent à My Major Company une stabilité financière. En effet dans un entretien accordé à Ouest France, Simon Istolainen annonce que Stéphane Courbit, l'ancien patron d'Endemol aurait l'intention d'injecter « au minimum 3 millions d'euros, via sa structure d'investissements Financière Lov, au jeune label, sur les trois ans à venir, en échange de 49 % du capital »28. Cette opération valorise la start-up à « 10 millions d'euros, le reste du capital est détenu par les quatre cofondateurs (Sevan Barsikian, Anthony Marciano, Michaël Goldman et Simon Istolainen) et le fond HP Communications qui avait investi 250 000 euros pour l'amorçage de la société »29. Pierre angulaire du « système » de la production communautaire, l'apport financier a permis, dans le cas de MMC, des levées de fonds pour atteindre la jauge financière déterminée, en complément de la mise des internautes-producteurs. Cet investissement a soutenu les projets d'internationalisation, notamment celui de l'Angleterre, cible prioritaire de la la start-up qui exporte ainsi son concept. Pour ce faire, le label a sollicité les conseils d'Alain Levy, P-DG de la major britannique EMI, mais sur ce marché, MyMajorCompany devra affronter la concurrence de Slicethepie, site similaire. Toutefois, souligne Simon Istolainen, « aucun des sites concurrents présents sur le marché britannique n'est un véritable label qui produit et finance des artistes. Et surtout aucun n'a connu un succès commercial comme nous l'avons fait avec Grégoire. Le défi est donc de dénicher le bon artiste. » 27 htp:// madame.leigaro.fr/loisirs-et-voyages/enquetes/397-demain-tous-producteurs/3, Sandra de Vivies 28 idem 29 htp:// www.zdnet.fr/actualites/musique-stephane-courbit-invesit-dans-mymajorcompany-39386379.html 26 2) Les atouts du modèle (a) L'investissement raisonnable : « valeur refuge » dans un contexte de crise La production participative apparaît comme une valeur refuge en temps de crise de l'industrie phonographique, en effet c'est un moyen de sécuriser l'investissement sur la production en amont. Rappelons que My Major Company, le label communautaire considéré comme « leader » sur le marché de la production participative a été créé en 2007 en pleine crise financière. Ses trois fondateurs, Sevan Bariskian, Michaël Goldman et Anthony Marciano, dressent un constat : les maisons de disque ne signent plus de jeunes artistes, avec une tendance à s'intéresser aux chanteurs ou aux groupes musicaux confirmés, parce qu'elles en n'ont plus les moyens. Or, internet a permis la découverte de talents. "De ce paradoxe est née l'envie de fonder notre propre major avec l'aide des internautes, en les faisant participer à la production, en mutualisant les risques mais aussi les revenus quand il y en a"30, explique Sevan Bariskian. Par ailleurs, l'économie du cinéma ou du théâtre étant plus complexe par son mode de financement, par ses retours sur investissement puisque, par exemple, dans le 7 e art, on parle en millions d'euros. Les risques sont donc plus importants dans certains domaines artistiques, la production communautaire dans la musique apparaît pour les entrepreneurs plus opportune31. Le foisonnement de plate-formes de production participative est significatif du « potentiel de ce marché qui accompagnent les jeunes artistes ou groupes musicaux ». En effet, « En 2009, les labels participatifs ont poussé comme des champignons. Aveuglés par le succès (unique) de MyMajorCompany. » 32 De plus, le « système » ou modèle économique de la production participative ne nécessite pas un lourd investissement financier dans la mise en oeuvre du site. Selon Paul Dewachter, fondateur de Belgodisc, « les dépenses de fonctionnement de Belgodisc se limitent aux frais de gestion, d'administration générale et de la représentation. Ce qui représente 27% du budget d'une production dont 3% environ découlant des frais liés aux transactions (cartes de crédit et Paypal) »33. 30 htp:// www.franceculture.com/2011-05-14-le-mecenat-culturel-en-crise.html 31 Mohammed Aissaou, L'argent n'est pas le moteur, Le igaro, 21 octobre 2010 32 htp:// label-musicom.over-blog.com/aricle-label-paricipaif-re-venons-a-la-musique-50427868.html 33 htp:// fr.locita.com/diverissement/musique/inancement-paricipaif-une-nouvelle-plateforme-musicale- paricipaive-belgodisc/ 27 Cependant, pour perdurer le site doit être entouré de solides partenaires et investisseurs car toute production n'est pas, bien entendu, synonyme de vente du disque. L'une des difficultés, selon Paul Dewachter, fondateur de Belgodisc, serait la procédure de sécurisation des paiements. Il affirme : « les conditions d'octroi sont strictes et le codage en rebuterait plus d'un ! » (b) Le public au coeur du système : une « philosophie » qui fait vendre Ces « e-majors » sont nées d'une philosophie qui tend à s'affranchir du circuit classique de l'industrie du disque, des majors regroupées en oligopole sur le marché. De plus, elles revendiquent le fait de « donner » aux « internautes-producteurs » la possibilité de choisir une création. Cependant, certains observateurs y voient une technique d'astroturfing, c'est à dire le fait de dissimuler des intentions commerciales en prétextant l'intérêt du public. En effet, il est vrai que certains sites possédant un réseau professionnel important et des investisseurs pourraient se dispenser des mises apportées par les internautes, mais cela reviendrait à se priver d'un « formidable » échantillon de consommateurs potentiels et de la légitimité d'un public. Le producteur internaute ne serait pas recherché pour sa mise d'argent mais plutôt pour accréditer un artiste, ainsi on pourra dire « c'est le public qui l'a produit donc qui l'a choisit ». Il deviendrait plus « légitime » que l'artiste produit par la major, cette opposition entre le choix du public et celui des majors est perceptible dans l'imaginaire du public. Cette représentation profite donc aux sites de production participative. 3) Rouages du « système » et fonctionnement (a) Les fondements Les labels communautaires sont le résultat des possibilités offertes par le Web 2.0, terme qui désigne l'ensemble des techniques, des fonctionnalités et des usages du World Wide Web, en particulier les interfaces permettant aux internautes ayant peu de connaissances techniques de s'approprier les nouvelles fonctionnalités du web. Dans le Web 2.0, l'internaute devient acteur en alimentant les sites en contenu, comme les blogs, les wikis (en collaboration avec d'autres internautes), voire des dispositifs très rigoureux de type « science citoyenne ». On retrouve actuellement pléthore de sites dits « participatifs » dans des domaines divers, citons par exemple Agoravox pour le citoyen- journaliste, Wikipédia etc. 28 L'expression « Web 2.0 » a été utilisée par Dale Dougherty en 2003, diffusée par Tim O'Reilly en 2004 et consolidée en 2005 avec l'article de ce dernier « What Is Web 2.0 ». En 2007, elle s'impose dans le microcosme scientifique qui s'approprie cet acquis. La « production communautaire », « production participative » ou « financement participatif » désignent l'application des méthodes combinées du crowdsourcing, il s'agit, dans ce cas précis, des artistes qui mettent en ligne leur création et du crowdfunding (ou encore financement par la foule) incarné par les « internautes-producteurs ». L' « internaute-producteur » constitue un « acteur » de la communauté, il échange avec cette dernière, alimente ses réseaux sociaux dans le but de donner son avis par le post de commentaires. En somme, il apparaît être un formidable « outil » de communication en faveur de la production participative et plus particulièrement pour les artistes soutenus. Cependant, l'internaute, ici, n'est pas désintéressé puisqu'il est explicitement informé de la contrepartie financière ou du service escompté à l'issue de la production de l'album ou du single. La survie des sites de production participative dépend des stratégies de communication, la meilleure d'entre elles serait le succès de vente d'un artiste produit par les internautes, comme ce fut le cas pour Grégoire. Après consultation de ces sites, on comprend l'importance de la communication qui permettrait d'amener du flux. En effet, plus le nombre de visiteurs est important, plus la potentialité d'inscription des nouveaux internautes-producteurs est forte. Bien que les investisseurs puissent intervenir en amont du lancement de la start'up, la plupart sont nettement plus intéressés à partir du moment où le site fait ses preuves. Dès lors, la stabilité financière que les investisseurs amène permet de finaliser la production du disque d'un artiste, de développer le concept à l'étranger ou encore d'acheter des encarts publicitaires. Bref, autant d'initiatives qui consolident l'entreprise et lui permettent de s'inscrire dans la durée. Enfin, même si cela n'est pas crié sur les toits, les intérêts émanant du placement des mises des internautes-producteurs constituent une ressource financière supplémentaire pour les sites de production participative. L'aspect « développement de relations privilégiées » entre l'internaute, l'artiste et le site est crucial, chaque site s'efforce de créer une « ambiance amicale » et de valoriser les « internautes-producteurs » avec des attentions particulières qui contribuent à renforcer l'idée de « club privilégié ». 29 (b) Comment ça fonctionne ? Dans l'ensemble, le mode de fonctionnement des sites de production participative est similaire. Cependant, ils se distinguent par certains aspects notamment la mise en place d'une pré-sélection, le pourcentage et la durée de rémunération sur les ventes du disque, les contre-parties et avantages accordés aux internautes ( invitation aux show-cases, figuration dans un clip, accès aux coulisses du concert de l'artiste produit etc.). Ces labels communautaires développent deux concepts distincts : - Le financement d'un album offrant du contenu exclusif à l'investisseur. Cet investissement leur donne droit à un grand nombre de contenus exclusifs. Par exemple, l'internaute pourra assister à l'enregistrement de l'album, aux répétitions et se verra offrir des partitions ou des cours de musique personnalisés pour jouer les chansons de son artiste préféré. C'est le cas par exemple du site Artishare. - Le financement d'un album offrant une part des bénéfices à l'investisseur. C'est le cas des sites comme MyMajorCompany, Spidart ou encore NoMajorMusik qui proposent à l'internaute de financer l'album d'un artiste et de toucher une partie des revenus générés par la vente de ce même album. La visée de la plate-forme est de réunir l'artiste et les internautes, les protagonistes sont donc invités à créer un compte. Comme dit, précédemment, l'artiste peut être soumis à une sélection effectuée par la « direction artistique ». Concrètement, les artistes mettent gratuitement à disposition leur « portrait », leurs oeuvres sous forme de fichiers musicaux pouvant être écoutés en streaming. Les sites de production participative se transforment en plate-formes de vente de fichiers numériques. Les internautes, en investissant, achètent donc une part du budget de financement de l'artiste, il devient une sorte de « coproducteur ». Une somme palier est fixée à l'origine. Une fois la jauge exigée atteinte, l'enregistrement,mix, mastering du single ou de l'album sont effectués en studio, s'en suit le tournage du clip. Parallèlement, une distribution numérique du titre a lieu et les réseaux-partenaires pour la diffusion et la promotion sont activés. Enfin, l'album est distribué dans le cas des sites ayant un contrat avec une maisons de disque. Au final, les bénéfices des ventes du disque sont partagés entre l'artiste, le site et les internautes-producteurs. La somme exacte que reçoit chaque « internaute-producteur » dépend du nombre de parts qu'il a achetées. En général, l'argent misé par les internautes sert à financer l'enregistrement, la fabrication, la distribution et la promotion du disque. Au vu des informations recueillies, il semblerait que le fonctionnement des sites de production communautaire soit semblable à celui des majors. En effet, on s'aperçoit que peu de risques artistiques sont pris, la sélection opérée par la direction artistique tient compte des tendances actuelles, de celles qui « marchent ». Voilà le paradoxe de ces sites, ils prétendent faire émerger de nouveaux talents mais en réalité leur fonctionnement est similaire à celui des maisons de disques qui ne prennent guère de risques et se concentrent sur l'artiste qui pourrait « faire vendre » au détriment de l'originalité susceptible d'intéresser un petit nombre, par exemple. B) ELEMENTS DU CADRE SOCIOLOGIQUE DE LA PRODUCTION PARTICIPATIVE 1) L'engouement de la société pour le web 2.0 Cette partie ne prétend en aucun cas exposer de façon exhaustive les facteurs sociologiques ayant pu favoriser le développement du « phénomène » de la production participative. Elle vise à contextualiser l'objet d'étude en s'attardant sur quelques paramètres émanant de la société et expliqués par des spécialistes (sociologues, chercheurs etc.) Selon l'observatoire des Usages Internet34 qui a étudié l'évolution de la population internaute et les usages des Français en matière d'Internet, la France serait « accro aux sites communautaires », en effet les internautes vivant en France en sont de plus en plus adeptes. Ces derniers permettent de mettre en relation des internautes partageant des centres d'intérêts communs, comme par exemple les goûts musicaux, des passions ou encore un réseau professionnel. Bien que l'observatoire n'est pas élargi son étude aux plateformes communautaires de crowdsourcing (« approvisionnement par la foule ») et de crowdfunding (« financement par la foule ») que sont les sites de production participative, ce constat sociologique favoriserait leur développement. En effet, au 2ème trimestre 2008, 5.2 millions de personnes sont inscrites sur un site communautaire, soit une augmentation de 14% par rapport au trimestre précédent. 30 34 htp:// label-musicom.over-blog.com/aricle-la-france-accro-aux-sites-communautaires-50476913.html Globalement, ce sont 15,9% des internautes qui sont inscrits sur au moins un de ces sites. En juin 2008, 32.3 millions de personnes, de 11 ans et plus se sont connectées à Internet au cours du dernier mois, soit une progression de 5 % en un an ; soit aussi plus de 6 personnes sur 10 (61,1%) reliées à la toile. Les sites de production participative répondraient donc à une demande au vu de l'engouement des internautes pour les sites communautaires. En somme, l'appropriation rapide des outils du web 2.0 par la société serait le résultat de la convergence entre une l'évolution technologique et l'attente sociologique. S'ajoute à ce fait, la tendance de « la culture de la participation » dont témoigne « la démocratisation du web 2.0 ». 2) « La culture de la participation » Les sites de production baignent dans un contexte sociologique favorable qu'est « la culture participative », elle peut être définie comme cette tendance à la participation de l'individu au sein d'un collectif. Devenue un modèle de société, voire un mode de vie s'apparentant à une nécessité, elle reflète une société individualiste qui tend à affirmer son existence. De plus, les consommateurs actuels, de plus en plus exigeants, ne veulent plus acquiescer un « système » mais être des acteurs à part entière, chose permise par la production participative. L'individu devient un actif, un participant, il affirme ses choix au nom du « respect de sa personne ». C'est ce qui se constaterait dans toutes les démocraties abouties. Par ailleurs, cette « culture de la participation » est vu par Joël de Rosnay35 comme l'un des facteurs de l'émergence du « pronètariat », en effet « l'arrivée de nouvelles technologies typiques de la culture Internet et venant à la rencontre de l'aspiration de la société à des formes d'organisation plus participatives . Un besoin de participation lié à des facteurs positifs (comme l'augmentation du niveau culturel global), mais aussi négatifs (comme la crise de la démocratie représentative). A travers cet « univers commercial parallèle à celui des firmes classiques » que pourrait être la production participative, il s'agit selon l'auteur « d'une révolution pronétarienne d'abord sociétale avant d'être économique ». 31 35 De Rosnay Joël, La révolte des pronétariat, des mass média aux média des masses, Fayard, 2006 32 Dans la préface du livre d'Andrew Keen36 qui traite de l'impact destructeur de la révolution numérique sur notre culture et nos valeurs, Denis Olivennes explique, à ce sujet, « que ce n'est pas Internet qui invente cela. Le mouvement profond est , celui sociologique, d'accomplissement de la société démocratique, égalitaire et individualiste, anti-autoritaire, anti-hiérarchique. Mais Internet est venu comme par enchantement traduire, rendre possible, amplifier une nouvelle étape de ce développement, à la fois merveilleux et funeste que Tocqueville a le premier décrit » Partant de cette analyse, il semblerait que la production participative dans la musique répondrait à « la frustration » de l'amateur qui aspire à être « un professionnel », mais aussi à affirmer son existence par le choix d'un artiste moyennant finance. Concernant ce dernier point, Andrew Keen explique qu'« au lieu d'utiliser Internet pour nous informer et nous cultiver, nous cherchons à ETRE nous-mêmes des sujets d'information et des objets de culture ». 3) Paradoxe : développement de la production participative en plein « âge d'or » de la gratuité. Le « culte de la gratuité » qui émane du « sacre d'Internet », selon Denis Olivennes37, semble côtoyer le système de la production participative qui permet le financement de l'album d'un artiste. En effet, alors que la gratuité suscite la crainte d'une « démonétisation » des oeuvres qui entraînerait la dévalorisation de «ceux qui les créaient et les produisent », des comportements d'internautes qui payent pour soutenir un créateur sont constatés à travers la production communautaire. C'est la réponse qu'il n'y a pas de fatalité et qu'il est encore temps de « réapprendre » à l'internaute à « acheter » une oeuvre, encore faut-il agir sur ce qui est de l'ordre de l'affect et non pas donner l'impression d'une privation de liberté. Nicolas Auray, maître de conférences en sociologie à l'Ecole nationale supérieure des télécommunications, explique dans son article Le prix à l'épreuve de la gratuité : le cas des biens culturels38 que « les biens culturels, proposés sur internet deviennent non exclusifs, au sens où il est tout à fait possible d'en jouir sans payer. Et puis, ce sont des biens « particuliers » également, parce qu'ils sont des biens d'expérience. Leur valeur ne peut pas être estimée au moment de l'achat». 36 Andrew Keen, « le culte de l'amateur, comment Internet détruit notre culture » Scali impr. 2008 37 Olivennes Denis, La gratuité, c'est le vol : quand le piratage tue la culture , B. Grasset impr, 2007 38 Nicolas Auray, "La gratuité et la culture", in Actes des ateliers de la DGCCRF , "Le prix a-t-il encore une valeur?", 2010 33 Le propos de l'auteur pourrait être élargi au téléchargement illégal, possibilité offerte par le Peer to Peer ou encore aux sites proposant l'accès aux biens culturels via le streaming. Se dresse le constat d'une société qui accepte difficilement de payer un bien culturel, ce qui entraînerait une perte de la « valeur » de la création, dans ce cas précis de la musique. Le propos, ici, n'est pas d'affirmer une quelconque sous-estime de l'Art par les consommateurs, mais plutôt de pointer les conséquences d'Internet dont la «philosophie » est l'accessibilité à tous, la gratuité. A ce propos, David Carzon, rédacteur en chef du pôle web d'ARTE France affirme qu' « Il y a donc bien un problème spécifique lié à la valeur de la musique »39. Selon une étude mondiale dévoilée au premier jour du Midem, la musique est le passe-temps numéro un des 8.500 personnes interrogées dans 13 pays différents. 63% sont passionnés de musique contre 6% qui n'en ont rien à faire. Et s'ils sont un tiers à télécharger illégalement, ils sont de plus en plus nombreux à utiliser le streaming (Spotify ou Deezer pour la France). Dans ce contexte, la production participe soulève un paradoxe « les internautes ne paient plus la musique, mais voilà qu'ils la financent »40 Un fait qui laisserait penser que cette production, qui appelle au financement des internautes-producteurs, pourrait atténuer le piratage ou téléchargement illégal. Cependant, la production communautaire dont la vocation n'est pas d'être une solution au piratage, ne pourrait modifier les habitudes des consommateurs de musique mais fait figure d'initiative pouvant responsabiliser « l'internaute-producteur » vis-à-vis de la création musicale. En effet, on peut avoir téléchargé illégalement et vouloir s'inscrire sur un e-label communautaire, sans pour autant que ces deux activités paraissent contradictoires pour l'internaute. A ce sujet, Guillaume Rostain, cofondateur de NoMajorMusik ( BuzzMyBand) explique qu'il n'y a pas de contradictions entre les habitudes de piratage et le fait de mettre la main au portefeuille pour produire de la musique en affirmant : « Le phénomène du piratage n'est absolument pas incompatible avec le fait de financer un artiste. De même que les gens qui téléchargent illégalement achètent aussi les titres qu'ils aiment ». Bien que peu de spécialistes ne se soient intéressés au lien entre production participative et gratuité, cette dernière pourrait être un argument favorable au développement de la première. En effet, démocratiser cet acte d'investissement, de « mécénat » dans le but de soutenir la création musicale 39 htp:// www.slate.fr/story/16249/hadopi-musique-gratuite-telechargement-midem / Lundi 25 janvier 2010 40 htp:// madame.leigaro.fr/art-de-vivre/demain-tous-producteurs-241108-25773 Sandra de Vivies, 24 novembre 2008 34 pourrait favoriser des comportements d'utilisateurs « responsables ». Ainsi, l'investissement affectif et financier de « l'internaute-producteur » pourrait influer son rapport à la création musicale. En devenant un acteur financier dans la production de l'album et donc en étant un maillon dans la chaîne de l'industrie de la musique, l'internaute en tant qu'un acteur financier se sentirait investi d'une responsabilité vis-à-vis de la création musicale. Car, il a le pouvoir de choisir son artiste en contrepartie d'un montant non imposé. Par ailleurs, Nicolas Auray affirme que « le prix doit probablement aujourd'hui se déplacer vers un bien qui incorpore une grande partie de services et probablement aussi un bien qui incorpore des communautés, c'est-à-dire la possibilité donnée aux consommateurs d'appartenir, de s'identifier et d'exprimer des valeurs communautaires ». Comme dit précédemment, la production participative ne pourrait à elle seule être la solution aux effets néfastes de la gratuité sur l'industrie du disque. Cependant, les fondateurs de ces sites n'hésitent pas brandir cet argument, ils espèrent notamment de la part de l'État une défiscalisation des bénéfices ( le retour sur investissement). 35 C) ELEMENTS DU CADRE JURIDIQUE 1) Analyse des « conditions générales d'utilisation » des sites de production participative Cette analyse concerne les « conditions générales d'utilisation » des sites suivants : My Major Company, Buzz My Band et All In My Music. Si le mode de fonctionnement de la production participative est relativement simple et limpide, beaucoup d'inconnues entourent les droits et les devoirs des parties ( le site de production, l'internaute et l'artiste). Cependant, ce modèle de production ayant pris de l'importance, depuis deux-trois ans, dans le sillage de l'industrie phonographique, il s'est donc doté de « conditions générales » plus précises. En préambule de cette sous-partie, il est important de préciser qu'aucun contrat ne lie « l'internaute-producteur » et le site. Le contrat entre l'artiste et le site intervient une fois que la jauge est atteinte. Droits et obligations des artistes La cession des droits (droits cédés par l'artiste à l'éditeur) Buzz My Band « L'artiste reste titulaire des droits patrimoniaux sur l'oeuvre, mais il s'engage, pour une durée qui ne saurait être inférieure à douze (12) mois, à en accorder, sous forme de licence, l'exclusivité de diffusion et de promotion à l'éditeur »41. Buzz My Band se définit comme un « éditeur » en charge de la diffusion de l'oeuvre. L'artiste est rémunéré à chaque utilisation de son oeuvre (droits patrimoniaux), il doit accorder au site, sous forme de licence, l'exclusivité de diffusion (diffusion numérique sur le site (BMB), sur les plate-formes de vente en ligne (Itunes, Fnac music etc.), diffusion audiovisuelle (radio, télévision, vidéo musique), représentations, concerts etc.). Cette licence accordée, s'apparente au « contrat d'enregistrement exclusif » qui confère le droit d'exploitation du titre produit à l'éditeur. En échange, l'artiste devrait percevoir des royalties. A ce propos, il est précisé que « l'éditeur s'engage à affecter à l'Artiste 40 (quarante) % d'une assiette constituée des Revenus Nets générés sur toutes les plateformes sur lesquelles le titre ou l'album en question sera en vente sous déduction, selon le cas, soit du Budget Single, soit du Budget Album. » 41 htp:// www.buzzmyband.com/page/Condiions-generales-duilisaion 36 All In My Music « Il est précisé que All In My Music sera seul propriétaire des droits corporels et incorporels attachés aux phonogrammes ainsi enregistrés et qu'il en sera le seul producteur au sens de l'article L213-1 du code de la propriété intellectuelle »42. A travers cette condition, All In My Music jouit du même droit qu'un producteur « classique » en vertu de l'article qui stipule que « Le producteur de phonogrammes est la personne, physique ou morale, qui a l'initiative et la responsabilité de la première fixation d'une séquence de son. L'autorisation du producteur de phonogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son phonogramme autres que celles mentionnées à l'article L 214-1. ». My Major Company « L'Artiste concède à MY MAJOR COMPANY, à titre exclusif et gracieux, pour le monde entier et pour toute la durée des présentes, les Droits tels que précisés ci-dessous »43. Ce sont les droits de reproduction, droits de représentation et d'adaptation , droits de diffusion (sur le site etc.) il « autorise en outre expressément MY MAJOR COMPANY à assurer la promotion et/ou la publicité du Contenu, et à diffuser avec les Contenus des messages publicitaires, commerciaux et/ou promotionnels relatifs à des produits ou services de tiers. » L'exclusivité interdit à l'artiste « d'être présents sur des plateformes concurrentes le temps du contrat. »44 Droits et obligations de « l'internaute-producteur » En tant que non- professionnel de la production phonographique, « l'internaute-producteur» n'est pas censé connaître le contexte de crise du disque qui se concrétise par une baisse des ventes et qui minimise le retour sur investissement. Si certains sites évoquent ce risque, d'autres le font de façon plus vague, voire l'occultent complètement. On peut lire, par exemple, dans les conditions générales d'utilisation de My Major Comapany : « L'Internaute-Contributeur est averti et comprend que les processus liés au développement d'Artistes sont des processus longs et imprévisibles, pouvant durer plusieurs années et dépendant notamment de la capacité de l'Artiste à enregistrer un Album complet ou un Ouvrage définitif et de 42 htp:// www.allinmymusic.com/cgu.php 43 htp:// www.mymajorcompany.com/condiions-pariculieres-aristes/ 44 htp:// www.20minutes.fr/aricle/208945/Culture-Notre-but-est-d-aider-un-ariste-a-realiser-son-premier-album.php 37 l'accueil réservé par les médias (radios, presse, etc.) et le public à un Album ou à un Ouvrage. »45 De plus, l'information concernant le délai d'attente qui peut s'élever à plusieurs années est parcimonieuse dans certains cas, car si les cas de production rapide (deux semaines) existent, le risque qu'un artiste ne soit jamais produit est également réel. Tout internaute-producteur peut demander le remboursement de sa mise, qui lui sera restituée après déduction des frais bancaires. « La somme versée à l'Internaute-Contributeur par virement pourra être diminuée d'un montant variable correspondant au montant des frais bancaires liés à ce virement. L'Internaute-Contributeur sera dûment informé, préalablement au virement sur son compte bancaire, de ces frais. »46 Le pourcentage sur les ventes du support physique et numérique attribué aux parties (site, artiste, internaute) est clairement défini, c'est une information accessible. Mais, derrière ce semblant de transparence, les sites peuvent, pour des raisons qui leur sont propres, effectuer des prélèvements financiers. Par exemple dans les conditions générales d'utilisation de All In My Music, on lit que « 10 % du budget », c'est à dire de la somme des mises des internautes pour la production « sera payé à AIMM en tant que producteur exécutif. ». Donc, en amont du processus de production pour lequel les fonds ont été levés, AIMM, en tant que producteur exécutif, s'attribue un pourcentage de 10 %. Le site bénéficiera, par la suite, de 34% sur les ventes. Certes, ces particularités de gestion des finances sont très clairement précisées dans les conditions de certains sites, cependant la plupart continue à marteler l'argument de « l'équité dans le partage des revenus » qui rappelons le proviennent des mises des internautes. Par ailleurs, aucune information concernant les flux financiers n'est donnée : quel est le taux d' intérêts du « compte-tiers » dans lequel les mises des internautes sont placées ? Quelle est l'utilisation des intérêts perçus ? On peut lire dans les conditions générales de My Major Company : « Compte tenu des coûts qu'engendreraient le calcul des éventuels intérêts dus à chacun des Internautes-Contributeurs et leur redistribution, ainsi que du caractère modique des montants concernés, l'Internaute-Contributeur accepte que les éventuels intérêts rémunérant le Compte de Tiers soient automatiquement reversés à MMC. » Au vu des conditions générales d'utilisation de ces sites, l'internaute-producteur s'apparente à un « actionnaire » puisque son rôle principal est financier, même s'il peut être consulté sur l'aspect 45 htp:// www.mymajorcompany.com/condiions-pariculieres-internautes-contributeurs/ 46 idem 38 artistique. De plus, le retour sur investissement est limité dans le temps (deux à dix ans). Droits et obligations du site de production Les engagement de L'Editeur Buzz My Band ont « lorsque, les mises de fonds effectuées par les Partenaires (internautes) ont, atteint selon le cas, le montant du Budget Single ou celui du Budget Album :
Les sites de production participative se réservent le droit d'arrêter la production d'un artiste si ce dernier n'a pas atteint la jauge fixée un an après son inscription ; « Sans préjudice de cette même faculté pour l'Editeur, si, à l'expiration d'un délai de 12 (douze) mois suivant l'ouverture du Compte Dédié, le solde créditeur de ce dernier n'a pas atteint le montant du Budget Album, les sommes investies par les Partenaires seront recréditées à leur Compte Ordinaire respectif. Cette clause tend à se généraliser dans les conditions générales. Après analyse d'une partie des « conditions générales d'utilisation », les « personnes morales » qui dirigent les labels communautaire suivants : My Major Company, Buzz My Band, All In My Music jouissent des mêmes droits qu'un producteur ( article L213-1 du code de la propriété intellectuelle ) et qu'un éditeur de l'industrie phonographique « classique ». 2) Avis des avocats Dans une interview accordée à Musique Info.com47, Julie et Benjamin Jacob, associés au sein du cabinet d'avocats PDGE à Paris, soulignent qu'il est, actuellement, difficile de savoir qui est ou qui sont les producteurs des artistes proposés par les sites de production : « Le financement mis en oeuvre par la production participative implique donc de nouvelles approches contractuelles désormais très éloignées des modèles utilisés depuis plusieurs années. L'innovation juridique est donc de rigueur dans ce domaine ! » 47 htp:// www.pdgb.com/upIoads/tx_pdgbbdd/Janvier_2009_JJ_BJJ_Musique_Info_Les_contrats_proposes_par_Ies_ sites_de_producion_paricipaive.pdf 39 Ce « système » de la production participative, qui nécessite un cadre juridique spécifique à innover, propose actuellement des chartes d'utilisation, qui explicitent très clairement le principe mais qui semble faire l'économie d'une information juridique. Il est donc difficile de distinguer très clairement les prérogatives et droits du « producteur éditeur du site » ainsi que ceux du « producteur-internaute ». Dans l'hypothèse d'un conflit entre l'éditeur du site et le producteur internaute, se poserait la question de savoir qui est le producteur devant la loi, au sens juridique. Il manque, aujourd'hui, des éléments d'informations qui permettraient à chacun de prendre conscience de son statut dont découlent des droits et des obligations. Ce flou juridique s'explique par le stade de balbutiement de la production participative, elle nécessite donc un cadre juridique à définir, à innover. En effet, si l'on se réfère à l'article L.231-1 susvisé qui stipule que le producteur est celui qui prend le risque financier, il pourrait être considéré de prime abord que l'éditeur du site de production n'est pas le producteur. Or, l'éditeur du site engage des efforts et des investissements avant la production effective de l'enregistrement, notamment pour la direction artistique et le suivi de la production. L'éditeur du site web intervient, au moins en partie, comme producteur, voire comme distributeur puisqu'il assure la mise à disposition du public des titres musicaux. Les internautes, qui investissent également dans la production d'un artiste, quel que soit le montant investi, pourraient revendiquer la qualité de coproducteurs, puisqu'ils assument un risque financier en prenant en charge les coûts d'enregistrement, même s'ils ne participent pas directement à l'exploitation et à la promotion du titre. Ils ne sont en outre écartés du processus de production, dès lors qu'ils peuvent être invités à se prononcer, par vote, sur certains choix artistiques. A ce titre, les internautes sont évidemment récompensés de leur soutien, puisqu'en cas de production d'un single, ou d'un album, ceux-ci se partageront, selon le site, une part comprise entre 30 et 40% des recettes correspondantes. Ceci dit, compte tenu des difficultés de gestion qu'implique le statut de coproducteur (notamment au regard de l'exercice des prérogatives patrimoniales et de la perception de la licence légale ou de la rémunération pour copie privée), les éditeurs de sites de production participative semblent revendiquer seuls la qualité de producteur phonographique au sens de l'article L.213-1 DU Code de la Propriété intellectuelle. 40 II. LA PRODUCTION PARTICIPATIVE A L'EPREUVE DE LA QUESTION ARTISTIQUE : BENEFICES ET CRAINTES SUSCITEES PAR LE MODELE ? 41 II. LA PRODUCTION PARTICIPATIVE A L'EPREUVE DE LA QUESTION ARTISTIQUE : BENEFICES ET CRAINTES SUSCITEES PAR LE MODELE ? A) UNE SOLUTION POUR LES ARTISTES DANS UN CONTEXTE DE CRISE DE L'INDUSTRIE PHONOGRAPHIQUE? 1) La production communautaire : un tremplin pour les artistes ? (a) Témoignage d'artistes Face à la fébrilité des maisons de disques qui limitent le risque dans un contexte de crise du disque, la production participative et plus généralement Internet apparaissent pour les artistes comme un véritable « outil » pour se faire connaître. En effet, l'artiste dénué de réseau professionnel et d'expérience dans le milieu musical (concerts etc.) peut « émerger » grâce à ce modèle économique. De plus, selon Michaël Goldman, co-fondateur de My Major Company, les labels communautaires seraient plus rémunérateurs pour les créateurs : « Les majors reversent entre 7 et 10 % des ventes sur les disques, coûts de distribution inclus. Nous leur reversons une part supérieure de 14 % sur les ventes. »48 Interrogé, dans le cadre de ce mémoire, David Gourmandie, manager du groupe « The Enjoys » affirme que « l'inscription des artistes sur le site (Buzz My Band) a été un tremplin »49 . Il ajoute « c'est un tremplin, à l'heure actuelle c'est ça ou rien pour les artistes ! »50 Les labels communautaires apparaissent comme une réponse à l'attente des créateurs. En effet, Guillaume Rostain, co fondateur de NoMajorMusik (ancien Buzz My Band) a affirmé « Nous nous sommes lancés le 24 décembre, et nous avons été surpris du succès rencontré. A croire que les artistes attendaient devant notre porte. Aujourd'hui, nous avons 350 artistes et plus de 500 chansons » 48 htp:// nicolas-dehorter.suite101.fr/la-producion-paricipaive-dans-la-musique-a9397 49 Cf annexe (entreien semi direcif, David Gourmandie, manager du groupe The Enjoys) 50 idem 42 Dans un contexte de crise de la musique, les sites de production participative apparaissent comme une solution d'appoint et comme des partenaires « potentiels » pour les sociétés de production. Par exemple, les producteurs de Mademoiselle K ont sollicité les internautes de BUZZMYBAND afin d'aboutir la production du single de l'artiste. Cette « co-production » entre « la filière participative » et « la production classique » tend à se généraliser et démontre la capacité de la production communautaire à être un soutien, avant tout financier, à la création musicale. Damien Durou, membre du groupe The Vernon Project inscrit sur le site Buzz My Band (à l'époque NoMajorMusik) explique ses motivations : « Je fais de la musique depuis un moment, chez moi j'ai un petit home studio, mais je faisais ça sans beaucoup de retour. J'ai entendu parler de ces labels communautaires, qui sont un moyen de faire connaître sa musique mais surtout d'avoir un retour plutôt objectif. Il y avait deux ou trois sites, j'ai choisi NoMajorMusik car il n'y avait pas de sélection à l'entrée et on sentait chez eux l'envie de faire bouger le système musical. »51 Après avoir atteint la jauge des 3000 €, grâce aux internautes, pour l'enregistrement du single et la promotion, le groupe The Vernon Project a rencontré l'équipe de NoMajorMusik. « Ils nous proposaient d'enregistrer dans un studio parisien, Ramses, avec qui ils ont un partenariat. De mon côté, je viens du Sud-Ouest et je fais partie d'une association qui a pas mal de contacts avec le groupe Noir Désir. De là, j'ai rappelé NoMajorMusik pour leur dire que je préférais travailler avec ces gens-là, et ils ont été ravis. Tout le monde avait tout à y gagner. Ils ne m'ont jamais rien imposé. Pour tout ce qu'on fait, c'est toujours dans la concertation. »52 Margaux Simone, artiste « folk-pop » produit par les internautes de My Major Company raconte son parcours jusqu'à la production participative : « J'avais une maquette avec 4 titres donc je m'étais décidée à démarcher les maisons de disques. (...) un ami m'a dit qu'il avait des copains qui venaient de monter leur label, que ça allait cartonner car c'était une idée innovante. Il m'a dit qu'il fallait absolument que j'aille les voir. Grégoire n'avait pas encore atteint sa jauge c'était vraiment les débuts. J'y suis allée et j'ai signé dans la journée. »53 Margaux Simone, produite par 900 producteurs, a sorti son premier album « Nana ». 51 htp:// www.01men.com/editorial/382527/musique/ 53 htp:// coulissesmedias.com/interview/margaux-simone-na-na-my-major-company (b) Un système, générateur de désillusions Atteindre la jauge fixée pour être produit n'est pas chose suffisante. Il faut, par la suite, assurer « la visibilité » de l'artiste grâce aux partenaires-médias, en claire un carnet d'adresses important est nécessaire. Certains artistes ont pu être financés, rapidement, par les internautes sans pouvoir « fructifier » ce soutien, par la suite, car les médias n'ont pas répondu présent. Le « système » de production participative est ouvert à tous les artistes qui peuvent, sur certains sites, faire l'objet d'une pré-sélection (Belgodisc et My Major Company). L'inscription sur ces plate-formes pour les aspirants à la reconnaissance étant accessible, leur nombre est donc important, difficile alors de se distinguer dans un « amas » d'artistes. Même s'il faut préciser que les sites effectuent « des focus » sur quelques artistes, mais encore faut-il que ces derniers aient réussi à se démarquer par des mises intéressantes. Ce modèle économique offre une chance de production participative réelle mais peut être générateur de frustrations et de désillusions. D'autant plus, que la plupart des créateurs inscrits sont inexpérimentés et connaissent peu les rouages de l'industrie de la musique. Au final, peu d'élus rencontreront leur public. A ce propos David Gourmandie, manager du groupe The Enjoys précise : « C'est sur qu'il y a des désillusions, il faut être professionnel et avoir fait quelques dates, c'est ce qui garantie une meilleure reconnaissance de l'album, il ne s'agit pas d'arriver son aucun bagage. Dans la charte (conditions générales d'utilisation), il y a des informations, mais il n'y a aucune promesse ; »54 Ce qui différencie la production participative de la production « classique » c'est sa dépendance financière vis-à-vis des internautes, elle ne garantie donc aucune production effective et demande à l'artiste de patienter. Au départ, les sites de production participative n'informaient pas sur le fait que l'artiste pouvait attendre plusieurs années avant d'atteindre la jauge, voire ne l'atteignait jamais. Mais depuis peu, ils ont inscrit dans les « conditions particulières d'utilisation » à destination du créateur une « clause » leur donnant le droit de « fermer », au bout d'un an, le « le compte-artiste » si les mises sont insuffisantes pour la production. Le mode de production participative apparaît aussi comme « une roue de secours » suite à un refus de signature de contrat des majors, ces dernières ne se risquent pas à la découverte de nouveaux talents, préférant donc miser sur de valeurs sûres (artistes maisons « banquables »). 43 54 Cf annexe , entretien semi-directif , David Gourmandie, manager The enjoys 44 In fine, on peut dire qu'il y a beaucoup d'appelés, quelques près-sélectionnés, 30 artistes produits par an et très peu d'élus. Par la suite, les artistes qui « décrocheront » des passages radio, qui susciteront l'intérêt des médias afin d'être entendus et vus sont alors susceptibles de « rencontrer le public ». Artistes issus de la production participative ou pas, « les règles du jeu » imposées par l'industrie de la musique sont les mêmes, on constate que très peu d'artistes au label participatif sont connus du « grand public », parmi eux, citons par exemple Mademoiselle K, Grégoire, Joyce Jonathan. Le contrat conclu entre l'éditeur (site) et l'artiste les lie, en général, pour une période de 12 mois (cf conditions générales), le site jouit de l'exclusivité et du droit d'exploitation (reproduction, diffusion, promotion). A compter de ce délai, seul le facteur comptable prévaut, si l'artiste réalise des ventes honorables, l'éditeur lui proposera de prolonger son contrat. Dans le cas contraire et c'est le cas de la majorité des artistes, ils doivent, aidés de leur manager, optimiser la diffusion et la promotion de leur oeuvre. Cela suppose de faire « fructifier » le réseau construit grâce à la production participative, obtenir des contrats avec des salles de diffusion, postuler à des festivals, tout en assurant leur promotion sur les réseaux sociaux, médias etc. Autant dire que la production participative n'est pas une garantie, ni une fin en soi, elle demeure, cependant, un excellent moyen pour les artistes de se faire connaître. Les désillusions et les passages à vide sont donc monnaie courante et sont les conséquences du « marché de la musique » actuel. En somme, la production participative n'est pas une solution dans ce contexte de crise, elle s'apparente plus à une chance, à une offre de tremplin mais n'est en aucun cas une fin en soi, un aboutissement. L'artiste devra redoubler d'efforts , refaire le tour des maisons de disques en s'appuyant sur sa toute « jeune notoriété », créer du buzz etc. 2) « Les internautes-producteurs font l'artiste » : est-ce un gage de réussite ? Production communautaire, tremplin donc pour les artistes mais est-ce pour autant un gage de reconnaissance future, de réussite ? On dit communément que « le public fait l'artiste », l'importance accordée à son jugement serait liée au caractère non-intéressé de son approbation de l'oeuvre. En effet, le bien-être recherché en écoutant de la Musique est le résultat d'une expérience personnelle et affective et serait dénuée de tout intérêt, à part celui d'un « bonheur éphémère ». D'autant plus qu'il est étranger aux rouages de l'industrie musicale. Si l'on définit, dans ce cas précis, « le public » comme étant « les internautes-producteurs », l'artiste peut-il prétendre à une reconnaissance future, voire à une réussite ? Difficile de répondre à cette question tant « la magie » d'une rencontre entre le public et un artiste est inexplicable. Ceci dit, avoir été soutenu en amont par « un échantillon » du public est forcement gratifiant et fait figure d'argument principal pour les sites de production participative. Interrogé à ce sujet, David Gourmandie, manager du groupe The Enjoys répond que « c'est un avantage » indéniable par rapport à un artiste issu de la production « classique »55. 3) Responsabilisation de l'internaute vis-à-vis de la création musicale ? L'un des bénéfices attribué à la production communautaire serait sa capacité à responsabiliser l'internaute vis-à-vis de la création musicale. Ce « processus » qui fait du consommateur un véritable « acteur » dans la création de la valeur, le sensibiliserait aux enjeux de la production et contribuerait au soutien de la musique. Les site de production participative, en premier lieu, font état du bénéfice supposé de leur « système »,Guillaume Rostain co-fondateur de NoMajorMusik (actuel Buzz My Band) affirme : « Les internautes sont les producteurs, alors ils vont essayer de donner envie aux autres de payer pour avoir un titre. Si on arrive à faire comprendre que la musique, ça se paye, cela pourrait avoir un effet bénéfique. »56. Ces dires du co-fondateur font écho au problème du téléchargement illégal des oeuvres de l'esprit. 45 55 Cf annexe , entretien semi-directif , David Gourmandie, manager The enjoys 56 htp:// www.20minutes.fr/aricle/208945/Culture-Notre-but-est-d-aider-un-ariste-a-realiser-son-premier- album.php 46 B) LES CRAINTES VIS-À-VIS DU MODÈLE DE PRODUCTION ? Le principe de la production participative qui est de permettre aux internautes la mise sur un artiste semble faire l'unanimité auprès des intéressés. En effet, l'artiste reconnaît le soutien apporté par le site, le « producteur » apprécie la possibilité de donner son avis moyennant finance et de recevoir un retour sur investissement. Enfin, les fondateurs des sites voient dans leur start-up une valeur refuge en temps de crise, les internautes ayant un rôle de testeur. L'idée de la production participative est attractive et tout le monde semble y trouver son compte. En somme, les critiques des observateurs ne portent pas tellement sur l'idée et le principe de la production communautaire, mais plutôt sur la possibilité offerte par le Web 2.0 aux « internautes-producteurs » de juger de la valeur artistique d'une création, alors que ces derniers ne sont ni professionnels, ni des experts. Par ailleurs, la question de l'aspect spéculatif au détriment de l'aspect artistique est également soulevée. D'autre part, la crainte d'une amplification de la « culture de masse » permise par internet est aussi présente. Enfin, le « système » de la production participative participe-t-il à modifier notre rapport à la création, devient-elle, inconsciemment, désuète car pouvant être jugée et sollicitée moyennant finance ou bien le fait de miser sur un artiste renforce-t-il l'affect et conditionne à une valorisation de la musique ? 1) La participation des internautes-producteurs dans l'aspect artistique ? A ce propos, Andrew Keen dans son livre « The cult of the amateur » met en cause de façon radicale le web participatif qui contribuerait au « nivellement culturel qui brouille actuellement les distinctions entre auteur et spectateur, créateur et consommateur, expert et amateur ». Autrement dit, le jugement de la valeur artistique d'une création, par les « internautes-producteurs » est-il « viable » et est-il faussé par l'aspect spéculatif de l'investissement. Afin de tenter de répondre à ces interrogations, il est nécessaire de définir très clairement le rôle de « l'internaute-producteur » dans « le processus de sélection de l'artiste ». Nous avons, précédemment, vu que le « producteur-internaute » n'était pas un co-producteur au sens juridique, il s'apparente à un investisseur auquel on fait appel dans le but d'une production, son droit (le retour sur investissement) est limité dans le temps. Il n'est pas le « propriétaire du 47 produit fini » au sens de l'article L213-1. En effet, même si le rôle de « l'internaute-producteur » varie en fonction des sites de production, son investissement tant affectif que financier ne lui confère nullement le droit de donner son avis sur l'aspect artistique. Il n'est qu'un indicateur, un thermomètre, un testeur qui permet pour le site de présager d'un éventuel succès (sécuriser en amont la production pour lancer de nouveaux talents, à une période où c'est extrêmement risqué d'investir dans la production de nouveaux talents). Puisqu'avant d'être soumis aux mises des internautes, les artistes font l'objet, dans certains cas, d'une pré-sélection. Dans la plupart des sites, l'internaute-producteur endosse le costume de « responsable de la communication » en promulguant un artiste via les espaces communautaires fréquentés. Puisque, les sites de production participative s'appuient sur « le phénomène de buzz » ou également appelé « marketing viral », qui consiste pour les internautes à relayer massivement une information. Il constitue une nouvelle façon de faire du bouche à oreille. Cependant, d'autres prennent en compte les suggestions des internautes, c'est le cas, du site de production communautaire Belgodisc qui demande leur avis, à l'occasion de réunion. Ils peuvent donc formuler des propositions pour la définition du pseudo et de l'image de l'artiste (tenue vestimentaire, maquillage, attitudes etc.) et choisissent également le titre phare qui devra faire écho auprès des médias et du public. Belgodisc affirme demander, dans un deuxième temps, aux créateurs (auteurs ou compositeurs) de revoir leur copie pour mettre d'accord les « internautes-producteurs ». La participation des investisseurs du site de production belge n'est pas, pour autant, synonyme de prise de décision, elle s'apparente plutôt à une consultation puisque le dernier mot revient à la direction artistique de Belgodisc. De plus, la difficulté, pour tous les sites de production, d'assurer la gestion d'un grand nombre d' « internautes-producteurs » est réelle, et plus particulièrement quand il s'agit de l'aspect artistique. Même si une consultation peut être organisée dans certains cas, il apparaît très clairement que « l'internaute producteur » ne joue aucun rôle dans l'aspect artistique, il est avant tout un investisseur. Par ailleurs, tous les sites donnent la possibilité de laisser des commentaires sur les « pages profil » des artistes, on peut imaginer que des échanges ont lieu entre l'artiste et l'internaute, mais il est difficile d'évaluer l'influence de l'internaute sur le travail de l'artiste. Sur les sites de production participative, les commentaires laissés par des anonymes, peuvent influencer les professionnels, on peut imaginer qu'ils y portent une attention et repèrent « la 48 tendance ». Une fois la jauge atteinte grâce à l'investissement, les dirigeants de ces e-labels s'entourent d'une équipe artistique professionnelle dans le but d'obtenir un contenu qualitatif. Autrement dit, la crainte concernant le jugement de la valeur artistique par des non professionnels est sans fondement puisqu'aucun pouvoir de décision sur la création n'est donné aux internautes par les fondateurs des sites de production participative. Leur rôle dans la production artistique est donc inexistant. Mais l'important n'est pas là pour les internautes qui apprécient, en tant que passionnés et amateurs, de participer à une aventure artistique. 2) L'aspect spéculatif au détriment de la qualité artistique ? Cette crainte, légitime, découle du constat d'un « système » basé sur la mise d'argent et le retour sur investissement. Cependant, au vu des témoignages recueillis une affirmation s'impose : « l'internaute-producteur » n'est pas motivé prioritairement par l'aspect financier, il se réjouit plutôt de contribuer à « l'émergence » de nouveaux talents. Participer à une aventure artistique est donc sa motivation principale. Quels sont le profil et les motivations des « internautes-producteurs » ? (a) Le profil et les motivations du « producteur-internaute » Selon un sondage réalisé par le site My Major Company , concernant le profil de ses internautes. 72 % des inscrits, sur le site de production participative, sont des hommes, ils ont 30 ans en moyenne et sont en majorité des CSP+ urbains. « Un peu moins de 6 000 sur 600 000 visiteurs sur l'ensemble des visiteurs du site» 57auraient misé sur My Major Comapany, soit environ 1 %. Cette tendance concernant les sites de production communautaire peut être mise en parallèle avec la « loi des médias participatifs ou loi des 1/10/89 % : 1 % des internautes publient du contenu, 10% participent (par exemple commentaires déposés ou votes) et 89% en bénéficient en consultant simplement les informations »58. 57 htp:// madame.leigaro.fr/loisirs-et-voyages/enquetes/397-demain-tous-producteurs/3 58 Fayon David, Pujolle Guy, Pierre Kosciusko-Morizet, Web2.0 et au-delà : nouveaux internautes : du surfeur à l'acteur, P aris, Economica imp, 2010 49 Le Quotidien précise le profil de ces « internautes-producteurs " : « Il y en a trois sortes. Le producteur investisseur, purement financier, qui sera intéressé par ce risque qui peut, parfois, rapporter beaucoup. Il y a les producteurs amis, famille et fans qui veulent, eux, avant tout soutenir l'artiste- ils misent, en moyenne, 30 à 40 euros et sont satisfaits de recevoir le CD dédicacé et d'être invités au showcase... Et puis une troisième catégorie, ceux qui participent à dix euros et qui font, en somme, simplement un pré-achat d'album »59. Concernant les motivations, un article du Figaro, publié le 21 octobre 2010, informe que « les internautes qui misent sur des chanteurs (...) ont autre chose en tête que de gagner de l'argent. On le sent très fortement à travers les sites et les forums de discussion : ils aiment par-dessus tout participer à une aventure, être partie prenante, échanger avec l'auteur. »60 L'inscription de l' internaute sur le site de production semble être motivée par le désir d'affirmer son choix pour un projet artistique. Par cet acte, il a l'impression de contribuer à la diversité de la création musicale et de participer à un vrai projet musical. La satisfaction personnelle de contribuer à faire découvrir de nouveaux talents est également présente. Il n'est donc plus un consommateur de « produits finis » mais un contributeur, un acteur de l'industrie du disque. C'est la volonté de pas subir le choix des majors, de ne pas subir « un système » établi. Comme l'explique un internaute : « Parfois, on a envie de s'impliquer davantage pour ne pas avoir à toujours subir les goûts de la majorité ». Concernant l'aspect spéculatif pouvant accompagner tout investissement, le co-fonadateur Simon Istolainen, répond en affirmant « Nous n'avons pas l'impression de faire porter les frais de lancement aux internautes. Le montant moyen de la participation sera très faible, compris entre 10 et 20 euros. Ceux qui soutiendront leur artiste ne le feront pas dans une optique de spéculation financière. » Il est important de nuancer ces propos, en affirmant que l'internaute qui supporte les frais de lancement peut espérer un bon retour sur investissement s'il achète de nombreuses parts (coût d'une part : environ 10 euros). Toutefois, il ressort des témoignages d'internautes que leur motivation première est de contribuer à une aventure artistique. De plus, la plupart se définissent comme des amoureux qui souhaitent soutenir les artistes. 59 Pablo Chimieni , «Une producion risquée », le Quoidien, 4 décembre 2010, 60 Mohammed Aissaoui, L'argent n'est pas le moteur, Le Figaro, 21 octobre 2010 50 Interrogé au sujet des motivations des « internautes-producteurs », par le journal 20 minutes, Guillaume Rostain co-fondateur de NoMajorMusik devenu Buzz My Band répond «« Les gens ne sont pas forcément intéressés par l'argent ou par un retour sur investissement. Ils sont attirés par le fait de découvrir de nouveaux talents et de les aider à percer. Après si ça marche et s'ils ont un retour, ils seront encore plus contents. C'est une vraie communauté qui est en train de se créer. Notre objectif est de produire une dizaine de titres la première année.»61 Ceci dit, les profils des « internautes-producteurs » semblent difficiles à définir et distinguer tant leur motivations peuvent être contradictoires. En effet, ils peuvent être motivés par la création d'un artiste et mais aussi par l'investissement judicieux que peut permettre un autre. Les motivations du soutien peuvent être inconstantes et ne pourraient être schématisées. L'aspect spéculatif ne semble pas primé pour les internautes-producteurs, cependant on peut imaginer qu'à l'avenir et au vu du développement des sites de production participative, une « tendance boursière » se dessine voire se confirme. En effet, les médias pourraient contribuer à une accessibilité de la plateforme par un plus grand nombre. De ce fait, on retrouverait sur les sites une frange d' « internautes-producteurs- spéculateurs » qui occulteraient le choix personnel. A terme, cette évolution du profil des internautes pourrait s'avérer néfaste pour l'image des sites de productions et risquerait de les discréditer. L'idée que la musique, et plus généralement la Culture, soit considérée comme un « produit mercantile » sans distinction des autres produits pourrait heurter dans un pays où « l'exception culturelle » fait loi. Par conséquent, le soutien d'une création ne pourrait être motivé, prioritairement, par l'aspect financier au détriment de la valeur artistique, de la « qualité artistique ». La crainte d'une logique spéculative au détriment de valeur artistique d'un projet est-elle fondée ? Pour tenter de répondre à cette question, il nous paraît important de tenter d'évaluer le montant d'un retour sur investissement que peut espérer un « internaute-producteur ». Et ceci, afin d'évaluer le risque d'une prééminence de la spéculation au détriment d'un soutien à un artiste. 61 htp:// www.20minutes.fr/aricle/208945/Culture-Notre-but-est-d-aider-un-ariste-a-realiser-son-premier- album.phpI 51 (b) La teneur du retour sur investissement ? Selon un article de Guillaume Champeau publié dans Numerama62, « les internautes producteurs qui ont misé sur GREGOIRE, premier artiste produit par un label communautaire MyMajorCompany, ont été récompensés et ont profité d'un bon retour sur investissement. ». Tout en soulignant que « les revenus intéressants touchés par les internautes sont plutôt honorables et font figure d'exception au vu des retours sur investissements trop souvent précaires ». Les conditions de rémunérations par album vendu sont définies ainsi par le label participatif : 30% reviennent de droit à l'internaute au prorata de sa mise, My major company se réserve 50%, les 20% restant sont redevables à l'artiste Grégoire. Il explique que sur les 245 406 disques physiques vendus l'an dernier, les internautes producteurs auraient dû toucher 53,01 euros par part achetée 10 euros, soit un retour sur investissement qui serait de plus de 400%, ce qui semble assez exceptionnel et intéressant pour ces derniers. Cependant, ce principe en apparence simple ne reflète nullement la réalité qui semble bien plus complexe. En effet, selon le journaliste Guillaume Champeau, le distributeur Warner Music Group (maison de disque) associé à My Major Company, se serait octroyé une marge qu'il faudrait déduire de la part (30%) destiné aux internautes. En définitive et selon les dires du journaliste, sur un prix de gros hors taxe de l'album qui était fixé à 10,74 euros, les internautes auraient touché 1,51 euro par album vendu. Interrogé par Numerama, MyMajorCompany indique que 347 producteurs ont acheté des parts pour assurer le financement nécessaire à l'enregistrement de Grégoire. En moyenne, les internautes ont donc acheté 20 parts chacun (200 €), et recevront au total 1060 euros, pour un bénéfice moyen de 860 euros chacun. Collectivement, ils gagnent 311.000 euros. A travers cet exemple, on comprend que les revenus de l'internaute, émanant du succès de l'artiste Grégoire, se situe aux alentours de 1000 euros. Bien entendu, il est difficile vérifier ces chiffres, mais si l'on se base sur l'analyse du journaliste Guillaume Champeau, on peut affirmer que les revenus touchés par les internautes sont intéressants mais font figure d'exception au vu des retours sur investissements trop souvent précaires. En effet, précisons que quelque soit le montant investi, l'internaute prend le risque d'une longue 62 htp:// www.numerama.com/magazine/11728-exclusif-ce-que-gregoire-a-rapporte-aux-internautes-et-a- warner.html attente (jusqu'à 3 ans) avant que son artiste préféré n'atteigne la jauge exigée. De plus, rien ne lui garantit le succès de l'album produit, s'ajoute à cela la crise qui se concrétise par la baisse des ventes du CD. Enfin, il semblerait que la présence d'intermédiaires, en l'occurrence le distributeur (la maison de disque) qui s'octroie une marge, fasse diminuer les revenus devant revenir à l'internaute, comme l'explique le journaliste Guillaume Champeau. Pour limiter la dérive spéculative, Simon Istolainen (co-fondateur de My Major Company » affirme dans un article du journal Ouest-France que : « nous avons limité l'apport maximal à 1 000 € par internaute, contre 6 000 € pour Grégoire »63. Ce seuil financier à ne pas dépasser montre qu'il est facile, quand la limite est inexistante, d'investir sur un artiste comme on investirait en bourse. Après tout, il est difficile de connaître les réelles motivations des « internautes-producteurs ». De plus, même si, certains sites valorisent la philosophie dite du « mécénat », l'attrait financier peut l'emporter. Autrement dit, il est impossible pour les sites de production d'imposer une philosophie ou de contrôler les motivations spéculatives de certains internautes. De ce fait, les fondateurs de ces plateformes tentent de minimiser le phénomène spéculatif et protègent ainsi leur image. Rappelons que les sommes perçues par l'internaute sont soumises aux impôts, elles sont considérées comme des « bénéfices non commerciaux ». « Les acteurs du Net qui proposent cette nouvelle forme de souscription aimeraient bénéficier de coups de pouce fiscaux »64 Au vu de ces contraintes, il apparaît que même si l'internaute mise dans une optique spéculative, ce dernier pourrait vite déchanter tant il faut s'armer de patience et miser gros pour espérer un bon retour sur investissement. En effet, le système de la production participative n'est pas des plus rentable pour les internautes et pourrait décourager, prioritairement ceux dont la motivation est financière. On peut supposer, que les internautes qui restent fidèles au site sont ceux dont l'inscription est motivée par le désir de participer à une aventure artistique en soutenant un projet de production. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne seront pas tenter de miser sur un artiste dont la jauge serait presque atteinte et cela dans l'expectative d'un retour sur investissement plus rapide. 63 Philippe RICHARD, Ouest France « MyMajorCompany - Simon Istolainen : un nouveau modèle pour l'économie numérique ? », 26 mars 2010 64 Mohammed Aissaoui , L'argent n'est pas le moteur, Le Figaro, 21 octobre 2010 52 3) Diversité musicale et production communautaire ? 53 Rappelons que ce modèle de production ne repose pas sur la prise de risque artistique, il ne s'agit de surprendre en diversifiant l'offre musicale mais bien d'assurer un retour sur investissement. Dans un système oligopolistique où les majors dominent le marché, certains utopistes rêvent d'un paysage musical plus diversifié. Les labels participatifs, issus du web 2.0, donnent-ils le pouvoir de décision aux internautes, permettent-ils une diversité musicale ? Les spécialistes de musique formulent timidement le reproche d'un formatage musical que générerait la production participative. En effet, le concept de « plateforme »qui réunit les artistes et les internautes s'apparente à « un marché » visant une adéquation entre l'offre culturelle et la demande. Le choix des sites d'effectuer une pré-sélection renforce cette visée puisque les artistes choisis sont ceux susceptibles de « cartonner » en fonction de la « tendance musicale ». L'un des risques pouvant être à l'origine du formatage musical par les sites de production participative serait que l'internaute-producteur soit tenté de miser sur un artiste similaire à celui qui a été produit précédemment et dont les ventes d'albums sont honorables. Cette « dérive » spéculative relève de l'hypothèse, il est difficile de la vérifier actuellement car le « phénomène » des labels communautaires est encore récent. Seule, une analyse sur le long terme pourrait nuancer ce propos. De plus, les sites de production participative seraient des « majors sur internet », autrement dit, ce sont les copies conformes des maisons de disques qui emprunteraient les rouages d'une industrie au service de la culture de masse, dont la vocation est d'offrir une musique qui plaira à un grand nombre. Car pour certains, ce mode de production serait dite « populaire », elle encouragerait la culture de masse en proposant des formats standards et vendeurs. « La culture de masse » n'est pas définie ici de façon péjorative, elle est le propre de toutes les industries culturelles. Afin de nuancer ces hypothèses, il est préférable de définir les artistes présents sur ces sites de production participative : My Major Company et Buzz My Band. 54 (a) Les artistes produits : style de musique et analyse (septembre 2011) PRODUCTIONS MY MAJOR COMPANY Artistes produits, albums en vente Grégoire, a « révélé » la production participative, le style musical de cet artiste est défini comme de la variété / folk (type de musique qui se sert principalement des instruments « traditionnels » tels que le piano et la guitare). L'artiste se distingue par ses textes épurés qu'il accompagne de mélodies « entraînantes » et « poignantes ». Irma, grâce aux internautes de My Major Company, son album « Letter to the Lord » est sorti le 28 février 2011. Chanteuse folk teinté de soul, Irma se fait découvrir par le public grâce à ses reprises et ses compositions originales. 55 Meltones, l'album « Nearly Colored » du groupe, sorti en juin 2011, porte l'étiquette pop/Rock. Ce 1er album des Meltones a été enregistré et réalisé par l'éminent Philippe Zdar (Phoenix, Rapture, Bloc Party). « Il révèle des morceaux pop dansants et efficaces (...) , guitares ardentes et chant épatant ». My Major Company a été séduit par les compositions du groupe qui allient riffs (combinaison d'accords ou refrain joués de manière répétitive) et richesse mélodique Artistes produits, albums bientôt disponible David Parienti, artiste « variété » qui surprend par le mélange oxymorique de « chansons à texte » teintées d'une douce cruauté, avec par exemple son titre « petite conne ». Sélection label / en ours de production Zéro, groupe pop/rock qui associe « la violence du rock à la poésie des textes ». Dominante artistique La pré-sélection de My Major Company semble dictée par une exigence de chansons à texte. La production de chansons « variété » (chanson française) semble dominée, même si les styles sont divers (pop/rock, folk/soul etc.) Dans une interview accordée à Ouest France65, un des fondateurs de My Major Company affirme rechercher « un vrai catalogue des créneaux potentiellement porteurs. « Nous ne sommes pas dans 65 Philippe RICHARD, Ouest France « MyMajorCompany - Simon Istolainen : un nouveau modèle pour l'économie numérique ? », 26 mars 2010 56 les musiques spécialisées. Comme une grande maison de disques, nous cherchons des artistes qui puissent être plébiscités par le public. Mais nous allons pouvoir prendre plus de risques. » PRODUCTIONS BUZZ MY BAND Artistes produits The Enjoys Leur album « rock » éponyme « The Enjoys » est dans les bacs depuis le 21 mars 2011. Parallèlement à cette sortie, la production de leur album « Made in France » est en cours. Repérés par Endemol, le style rappelle celui des Beatles, un rock très british. Artistes en cours de production Mademoiselle K, artiste « pop/rock) est inscrite sur le site depuis le 16/02/2009, la production de son EP 4 titres est en cours. Le label Buzz My Band Band s'est associé au label indépendant Roy Music pour le « développement » de Mademoiselle K. Parallèlement, son album « jouer encore » au label EMI Music / Delabel est en vente depuis le 28 mars 2011. 57 Damien Vanni and The Chancellors, groupe pop rock .
Le style pop/rock des artistes semble dominé sur le site, on y retrouve également des artistes « variété française » comme Xavier Ducas, Rio Taxi ou encore « Electro » comme Aberration Chromatique. My Major Company et Buzz My Band ne constituent qu'un échantillon issu de la quinzaine de sites existants, il ne peut donc être représentatif. Cependant, au vu des éléments ci dessus, il apparaît que chaque site possède une « sensibilité » musicale. En effet, un style de musique s'affirme sur chaque site ; « chanson française »/ « variété » pour My Major Company, et « pop/rock » pour Buzz My Band. 58 III. UN MODELE ALTERNATIF A LA PRODUCTION « PROFESSIONNELLE » OU SIMPLE EFFET DE MODE ? 59 III . UN MODÈLE ALTERNATIF À LA PRODUCTION « PROFESSIONNELLE » OU SIMPLE EFFET DE MODE ? A) LE POIDS DES PRODUCTEURS INTERNAUTES FACE LA PRODUCTION « CLASSIQUE » De nombreux spécialistes, se sont penchés sur l'importance accordée au « savoir», aux avis et commentaires émanant de la «foule», des amateurs (au sens de non-professionnel, non institutionnel) et qui prolifèrent sur le web. Le savoir «populaire» met-il en danger le savoir « institutionnel», c'est-à-dire celui détenu par une «élite» et qui fait l'objet d'une rétention lui conférant une rareté et une certaine valeur. Pour Joël De Rosnay, « les pronétaires sont en train d'inverser les rapports de forces traditionnels. Ils disposent des mêmes outils que les professionnels tout en ayant la capacité de se connecter en réseau immédiatement et de manière fluide »66. Il s'agit donc, dans cet objet d'étude, de « mesurer» le « poids » des internautes producteurs face à la production dite « classique ». Quelle est la place de l'amateur dans la production phonographique ? En somme, les « internautes-amateurs-producteurs » peuvent-ils compromettre l'avenir des producteurs professionnels, ou s'agit-il plutôt d'une alternative, permise par le web 2.0, et dont la légitimité reste à consolider. Rappelons, tout d'abord, que le choix de l'internaute est à relativiser, dans ce cas précis puisque les artistes entrant sur les sites, font l'objet d'une présélection par l'équipe artistique. Le choix de l'internaute est en quelque sorte limité, nous avons donc conclu que le rôle de l'internaute s'apparentait à celui d'un investisseur plutôt qu'à celui d'un « directeur artistique ». D'autant plus, qu'après financement du projet, il ne décide nullement du contenu artistique à l'occasion, par exemple, de l'enregistrement, mastering etc. (cf. partie 2) Nous avons vu, également, (partie 2) que le soutien des internautes pouvait être « un argument de vente » pour l'artiste et n'est pas considéré comme un inconvénient par le public. En effet, au vu du succès de Grégoire, rien ne laisse penser que le public ait une certaine appréhension vis-à-vis des 66 Joël De Rosnay, La révolte des pronétariat, des mass média aux média des masses, Fayard, 2006 60 artistes produits par les « internautes-producteurs ». « Les modèles d'affaires partageant les droits d'édition ou de production avec les amateurs avertis constituent une alternative crédible et bien souvent complémentaire à l'heure du numérique : Mymajorcompany, Touscoprod (...) sont quelques témoignages de la valeur apportée par les clients, lorsque le système est pensé autour d'eux. »67 Selon le Journal Du Net « l'idéal 2.0 d'un financement de produits culturels uniquement par la communauté a du plomb dans l'aile. En deux ans, le modèle dominant semble en tout cas avoir évolué de la coproduction entre internautes uniquement à la coproduction entre internautes et producteurs "professionnels". Ce mouvement se retrouve, à des degrés divers, chez pratiquement tous ces sites. »68 Certains acteurs se rendent, en effet, progressivement compte des limites d'un financement exclusivement communautaire. BuzzMyBand par exemple - ancien NoMajorMusik- a signé un partenariat avec Roy Music. Ce label fait ainsi profiter ses artistes des possibilités de financement du site. Autre partenaire, le groupe MTV, qui fait figure de mécène de certains artistes et diffuse leurs clips. Parmi les nouveaux entrants, beaucoup ont choisi au contraire dès leur lancement d'appuyer leur modèle sur les maisons de production. Les internautes viennent en fait en complément, leur investissement est partiel dans ce cas précis. Chez Touscoprod.com, dans le cinéma, cette part ne dépasse pas les 5 %. "Nous sélectionnons des films qui ont déjà un financement acquis, afin de limiter les risques", explique Nicolas Bailly, le dirigeant de ce site lancé en janvier 2009. Cette production alternative tend à obtenir une légitimité grâce à son partenariat avec la production « classique ». Prenons l'exemple de My Major Company, lié par un contrat à la maison de disque Warner, Buzz my Band en contrat avec Sony pour la distribution des CD. La « teneur » du partenariat entre le circuit « participatif » et le circuit « classique » reste discret. Certains observateurs parlent même de « transfert » de catalogue d'artistes de maisons de disque vers les sites de production communautaire. Cette tendance au partenariat se généralisera à l'avenir et amène les sites à réintégrer le circuit normal de l'industrie phonographique, seul le mode de production serait diffèrent. Ces « e-labels » 67 Marin Alban , Et toi, tu télécharges ? : Industries du diverissement et des médias à l'ère du numérique, Pearson cop. 2010 61 semblent s'être, rapidement, rangés dans la liste des labels standards. Au sujet de l'avenir de la production participative, Philippe Astor, journaliste, affirme : « Après, dire que ça va devenir LE modèle absolu, j'y crois pas un instant. Je pense qu'il y a beaucoup de modèles qui vont cohabiter » Interrogé, dans le cadre de ce mémoire, David Gourmandie, manager du groupe THE ENJOYS, assure que la production communautaire est « un modèle destiné à perdurer à condition qu'elle arrive à consolider sa légitimité auprès des professionnels de la musique et des majors en particulier ». Ce dernier ressent encore une « hostilité » de la part des majors envers le modèle participatif. Nicolas Claramont, fondateur du site de production participative Spidart (liquidation judiciaire en 2009) affirme dans un entretien accordé au journal 20 Minutes que le label EMI a sollicité un partenariat : «ce sont eux qui sont venus nous voir dix jours après notre lancement. Il était intéressant de se rapprocher car ils peuvent prendre en charge la partie publication et l'aspect promotion qui est très important. Aujourd'hui, EMI a un droit de préférence sur les artistes qui atteindront les 50 000 euros nécessaires à la production de leur album. Les artistes étant libres de refuser évidemment. »69 L'idée « d'une attention particulière » des labels par les maisons de disques est également souligné par David Gourmandie, manager du groupe The Enjoys qui affirme : « les maisons de disques comme Sony, Yema surveillent de près la production participative » En effet, si les sites de productions réussissent à produire des « têtes d'affiches », lesquelles assureront leur légitimité auprès des majors et plus généralement dans l'industrie du disque, alors, la collaboration et le partenariat entre la production participative et la production classique tendra à s'intensifier. En effet, il est plus confortable pour une major de distribuer une production pour laquelle aucun engagement financier n'a eu lieu, elle limite ainsi le risque financier dans un contexte de crise. La prise en considération naissante des majors laisse présager une assise de la production communautaire qui confortera à l'avenir ce mode de production. Donc, la production participative est une alternative sérieuse puisqu'elle intéresse les majors. Par ailleurs, les sites de production trouvent dans le partenariat avec les majors l'assurance d'un circuit commercial pour la distribution du cd, ce qui lui permet donc une certaine stabilité. Cependant, assumer une proximité d'avec les majors pourrait discréditer un modèle qui s'est construit en opposition au « système dominant » et qui revendique être une alternative. Cela, pourrait générer une confusion dans l'esprit des « consommateurs » et des « internautes-producteurs » qui voyaient dans la production communautaire une expression d'indépendance face à un « système » établi. Néanmoins, il serait trop prématuré d'affirmer que les sites de production connaîtront un désengagement des « internautes-producteurs » et une dévalorisation de leur image. En effet, bien que ces concessions soient d'ordre économique, elles peuvent à terme déstabiliser quelques « internautes-producteurs » qui espéraient vivre une aventure à taille humaine, une aventure où seul la musique compte. Les plus pragmatiques y verront l'assurance d'une stabilité de son investissement et sont susceptibles de renouveler l'expérience. B) CAPACITÉ DU PRINCIPE DE CE MODÈLE À PERDURER ? 1) Le label participatif : révolutionnaire ou temporaire ? Si les les sites de production participative concluent des partenariats avec les acteurs de la profession , notamment les distributeurs, et tentent de gagner une légitimité, leur capacité à perdurer est néanmoins remise en question. Ces nouveaux labels participatifs sont-ils vraiment révolutionnaires ? Alors qu'ils auraient du mal à décoller ? Le « cas Grégoire » faisant figure d'exception dans un modèle économique fragile. Selon un article publié sur le site Electronlibre « en dehors de MyMajorCompany avec Grégoire, aucun acteur du secteur n'est parvenu à transformer l'essai de manière convaincante. La crise économique n'est certainement pas étrangère à la faible propension du public à financer en amont la production d'artistes émergents, d'autant que les structures de production, de promotion et de distribution ne semblent pas suivre derrière »70. Au delà du financement, c'est tout un « écosystème » de production qui fait défaut. La première gratification de l'internaute-producteur, c'est à dire voir l'album, qui a été financé, sortir n'est même pas garantie. Est-ce que ce modèle de production n'aura été que celui d'un artiste ? Il est vrai que la plupart des artistes produits restent encore inconnus du grand public. 62 70 htp:// label-musicom.over-blog.com/aricle-signe-de-vie-pour-sell-a-band-47909577.html 63 « Est-ce uniquement un effet de mode, un effet buzz qui s'est déjà estompé. Certes ce n'est pas vraiment la révolution annoncée et la résolution des problèmes de financement de disques, mais ces sites ont ouvert des portes, créer un marché et des opportunités. Comme toute innovation, ils sont loin d'être parfaits, de nombreux freins ralentissent leur développement et mettent en péril leur avenir. Quand ils réussiront à être mieux acceptés par le milieu de la musique, à acquérir une légitimité et surtout avoir des frais de gestions moins important. L'effet multiplicateur et viral d'internet pourra avoir un vrai effet »71. Sans oublier l'importance du carnet d'adresses, des partenariats et du soutien de la presse. En effet, tout concept ayant ses limites, on est en droit de s'interroger sur la durabilité de ces e-labels sur le long terme. Les sociétés sont dans une phase de lancement, pour la plupart, et comme toutes sociétés naissantes sur le net, leur priorité est de survivre, en attendant une maturité du marché. De plus, le seuil de rentabilité des CD à vendre reste difficile à atteindre dans la conjoncture actuelle. MyMajorCompany, par exemple, présente un seuil de rentabilité de 30 000 CD, cela signifie que l'artiste doit écouler 30 000 copies de son premier album pour être rentable, ce qui ne parait pas évident. Pour l'un des dirigeants, Paul Dewachter, fondateur belge de la plateforme de production musicale BELGODIS, le modèle économique de la production participative pourrait être viable à long terme , il affirme : « Vu l'efflorescence des sites à caractère participatif (...). Ce qui me surprend, c'est la création des sites d'édition d'ouvrages et de production de films, notamment. J'ai du mal à interpréter ce mouvement socioculturel mais c'est un véritable phénomène de société. De là, à dire que c'est la solution idoine à la crise du disque, du livre ou du film, je n'en sais rien ». En somme, le modèle, du fait des avancées du web 2.0 et du contexte sociologique favorable, n'est pas près de disparaître. Néanmoins, seuls les sites qui réussiront à produire des têtes d'affiches gagneront en légitimité auprès des majors, partenaires pour la distribution. Ainsi, ils se feront une place dans l'industrie de disque. On peut supposer que l'avenir d'un site de production participative dépendra de sa capacité à effectuer une présélection « correcte » d'artistes qui seraient capable de trouver un public. Autrement dit, l'exigence artistique devra s'accroître, il ne s'agit plus de l'optique de départ qui était de donner une chance à un artiste d'être financé par les internautes, (en mettant en lien l'offre et la demande), mais plutôt dans l'optique d'une major qui ferait sa présélection et qui l'a confronterait à l'avis des internautes. Pour l'artiste, il est évident qu'il sera de plus en plus difficile d'avoir une place parmi les présélectionnés puisque les critères seront d'offrir des albums « grand public », des albums susceptibles de marcher, car cela dépend de la survie du 71 htp:// nicolas-dehorter.suite101.fr/la-producion-paricipaive-dans-la-musique-a9397 64 système, du site de production participative. Même s'il est trop pour se prononcer, il est fort probable que le marché de la production participative sera de nature oligopolistique, quelques-uns (ceux qui réussissent à produire un succès) seront implantés, on peut même imaginer des partenariats entre ces sites. C'est donc celui qui suscitera l'investissement tant affectif que financier de l'internaute, car n'oublions pas que l'internaute n'est pas dans une logique financière, ce qui l'intéresse avant tout c'est de vivre des moments exceptionnels avec son artiste préféré, il est motivé par l'impression de contribuer à la création musicale, c'est le besoin d'accomplissement qui est assouvi (pyramide de Laslow). En effet, l'internaute lambda est loin de connaître les rouages de l'industrie du disque, il ne vit pas cette aventure par rapport un contexte du marché, de la crise etc mais plus par rapport à« sa personne ». On peut imaginer, à terme, si le modèle participative fonctionne et se stabilise une récupération du « circuit de production participative » par les majors. Les sites de production, quant à eux, sont confiants sur l'avenir du modèle de la production participative, le fondateur de Belgodisc affirme : «j'entrevois un développement harmonieux et inscrit dans une logique cohérente. Nous allons grandir et grossir ». Pour Grégory Nicolaidis, ancien chef de projet chez Universal Music se réjouit de l'initiative : « il ne fait aucun doute que l'industrie musicale a plus que jamais besoin d'expériences communautaires». 2) Failles du modèle Le modèle de la production tend à s'imposer comme une alternative à la production « professionnelle », cependant quelques failles pourraient, à l'avenir, le discréditer. Le manque de transparence des flux financiers A travers l'exemple de My Major Company, Guillaume Champeau dans un article publié dans Numerama72, met en évidence le manque de transparence des flux. En effet, « les internautes-producteurs » ne seraient pas assez informés au sujet de l'utilisation de leur apport financier. Même si les conditions de rémunérations sont très clairement indiquées sur la « charte producteur », le détail des dépenses de l'argent investi par les internautes est inexistant. En effet, selon le journaliste Guillaume Champeau, Warner Music Group (maison de disque) qui assure la distribution de l'album serait rémunéré sur les 30%, destinés à l'internaute. 72 htp:// www.numerama.com/magazine/11728-exclusif-ce-que-gregoire-a-rapporte-aux-internautes-et-a- warner.html 65 Difficile de vérifier ces dires, mais il est évident que les « internautes-producteurs » constituent la principale ressource financière du système de la production participative. Le propos n'est pas d'affirmer que les investisseurs n'obtiennent pas leur dû, mais de souligner le manque de clarté dans les flux financiers. Les sites de production participative affirment que les sommes investies par l'internaute sont bloquées sur un compte tiers jusqu'à la production, mais ne font nullement état du devenir des intérêts émanant de « l'épargne provisoire ». Interrogé par Numerama, MyMajorCompany nous indique que 347 producteurs ont acheté des parts pour assurer le financement nécessaire à l'enregistrement de Grégoire. En moyenne, les internautes ont donc acheté 20 parts chacun, et recevront au total 1060 euros, pour un bénéfice moyen de 860 euros chacun. Collectivement, ils gagnent 311.000 euros. Pour avoir joué les intermédiaires et pour avoir assuré le marketing (réussi) de l'album, MyMajorCompany touchera environ 700.000 euros. Et Warner Music Group, avec lequel MMC a un contrat de distribution exclusif, 1,4 million d'euros. L'artiste, Grégoire, devrait quant à lui toucher près de 250.000 euros. Bien que surprenant, le résultat de cette enquête est plausible et reflète le « mécanisme » du marché du disque qui fait du distributeur, de la maison de disque la clé de voûte et donc le principal bénéficiaire financier de la vente du disque. Cet article de Guillaume Champeau publié dans Numerama, soulève la question de la transparence sur le flux des apports des internautes, ceci dit il semblerait qu'à l'heure actuelle aucun « producteur internaute » ne s'est plaint du système. Peut-être, à cause du fait que la plupart des sommes misées sont « petites » et ne suscitent aucun questionnement, aucune inquiétude ou craintes concernant le suivi de l'argent misé. En somme, « l'internaute producteur » semble avoir confiance au site de production participative et se contente des informations générales reçues par mail. La nécessité d'une tête d'affiche L'équilibre de ce modèle de production dépend de sa capacité à repérer le talent qui pourrait être une « tête d'affiche ». L'artiste « grand public » qui sera l'étendard du site, celui qui donnera l'envie aux internautes de miser sur les artistes du label communautaire, mais aussi celui qui sera le « représentant » du site et suscitera l'intérêt des maisons de disques, des potentiels investisseurs. Cette quête de la « tête d'affiche » impose un seuil de rentabilité pour assurer un retour sur investissement, difficile à atteindre dans ce contexte de crise du disque. Il diffère en fonction des 66 sites (entre 30000 à 200000 albums vendus). Cette nécessité de produire un artiste qui trouvera un public détermine l'avenir et surtout la capacité du modèle à perdurer. Si l'on fait un tour rapide des labels communautaires ayant trouvé sa « tête d'affiche », on peut citer My Major Company avec Grégoire et Joyce Jonathan, ces artistes ont bénéficié d'une bonne visibilité (diffusion radio, attrait médiatique). Cette contrainte fait naître un risque de formatage musical. En effet, l'artiste qui trouve sa place dans l'industrie de la musique, deviendrait un modèle à « imiter » afin de réitérer une réussite. Dans l'hypothèse où la réussite des artistes, produits par les internautes, ne serait pas présente, le risque que ces derniers ne poursuivent pas leur effort financier est réel. Le fondement de la production participative s'avère donc fragile, une solution reste à trouver à ce problème. Du « gagnant-gagnant » ou juste un gagnant ? Le modèle de la production participative, revendique sa vocation « communautaire » en donnant la possibilité à des internautes lambda de produire un artiste. Cependant, les risques pris par l'internaute, les fondateurs du site et l'artiste ne sont nullement équitables et communs. En effet, les « internautes-producteurs », principaux investisseurs, réduisent la prise de risque du label de production dans le contexte de crise actuel. De ce fait, en cas de vente du Cd, ce dernier est le principal bénéficiaire d'un système dans lequel il n'a pas investi financièrement. Le modèle de la production participative ne répond pas au besoin des artistes (trouver leur public) ou à celui des audiences (découvrir de nouveaux artistes) mais à celui des labels (faire baisser la prise de risque) et des maisons de disque (réintégrer rapidement les artistes « manqués » dans le circuit traditionnel). 3) Cas spidart Spidart, 1er label musical communautaire (2007) n'aurait pas trouvé le bon modèle économique, il a été mis en novembre 2009 en liquidation judiciaire par le Tribunal de commerce de Lyon. Le premier artiste qui fut produit sur la plateforme est Naosol & The Waxx Blend. La faillite de Spidart ou la cessation de paiement de Sellaband ne sont pas anodines et posent la question de l'avenir de la production participative. Il ne s'agit pas, ici, de blâmer l'un des premiers sites de production communautaire à avoir fait le pari d'un nouveau modèle de production mais de tenter de comprendre à travers cet exemple, l'origine du dysfonctionnement afin mesurer probabilités d'un autre « cas Spidart ». « L'offre présentée par l'un des repreneurs n'étant pas suffisamment satisfaisante pour assurer la pérennité de l'entreprise, le Tribunal a choisi de ne pas la retenir » a précisé Nicolas Claramond (fondateur du site) sur Spidart.com. Il semblerait que depuis plusieurs mois déjà, Spidart avait besoin d'investisseurs, mais ces derniers ont tardé à injecter de l'argent dans la société. Résultat, Spidart accuse des difficultés financières importantes, au point de pousser son fondateur à contacter le Tribunal de Commerce de Lyon « en vue de l'ouverture d'une procédure qui préserve au mieux les intérêts de l'entreprise ». Interrogé par Challenges sur ce point, Sevan Barsikian, co-fondateur de MMC avec Michaël Goldman a amèrement regretté cette situation : « Ce n'est pas une bonne nouvelle pour les labels musicaux communautaires. Ça risque d'entamer la confiance des internautes dans le modèle d'affaires. » La question du devenir des artistes et des mises des « internautes-producteurs » s'est posée. Nous avons tenté d'obtenir des informations sur ces points, mais aucune réponse n'a été formulée par les intéressés. Parmi les artistes, Arno Santamaria, dont l'album est sorti le 19 octobre 2009, a créé Santaprod.com pour réunir ses fans-producteurs, très actifs sur le forum de Spidart. Jade, dont l'album était déjà prêt, a pour sa part contacté ses fan-producteurs « afin de continuer l'aventure ensemble ». Bien d'autres artistes ont entamé une posture similaire. Enfin, Selen (produite en septembre 2009) et Jalane (produite en décembre 2008) n'ont pu signer de contrat et se sont retirées de Spidart. Elles manifestent leur colère et leur incompréhension face à ce qui ressemble à un abandon de la part de l'équipe Spidart, comme elle affirme dans un communiqué73 67 73 htp:// www.pcinpact.com/actu/news/54344-label-paricipaif-spidart-crise-concept.htm?vc=1 68 |
|