Réconciliation et socialisation politique post-guerre civile libanaisepar Nisrine HADDAD Université Clermont-Auvergne - Master II, Relations Internationales 2021 Dans la categorie: Droit et Sciences Politiques > Relations Internationales |
III. La socialisation politique confessionnelle« Le système libanais est fait d'une façon pour établir et construire l'idée des chefs féodaux, et les individus libanais sont privés de la liberté de se rebeller contre leurs appartenances confessionnelles, ils sont parqués comme des animaux dans leurs confessions. Ce n'est pas simplement la diversité religieuse et culturelle qui existe dans toutes les sociétés, mais c'est un usage de la diversité culturelle pour faire une espèce d'apartheid soft entre des différentes communautés au profit des féodaux »- Professeur Ghassan Salamé (2021) 174. En effet, la mosaïque culturelle et multiconfessionnelle au Liban constitue sa richesse folklorique, culturelle et touristique, mais au niveau politique et social elle n'a infligé que des complexités et des faiblesses. Au Liban, au sein d'une même société, il existe plusieurs sociétés. Une grande partie des libanais ne considère pas que le Liban est une nation, comme Ghassan Salamé qui le considère comme une confédération de communautés, Tarek Daher qui le considère comme « un ensemble de communautés qui vivent en autrice, et qui ne voient pas le Liban comme un pays, mais ils le voient comme un ensemble de petits pays »175, Rami Ollaik qui le voit comme une juxtaposition de religions176 et Mario Abinader qui le considère comme inexistant177. Toutes ces interprétations constituent le résultat de la socialisation politique confessionnelle libanaise. Dans cette troisième partie, nous allons expliquer la notion de socialisation politique (A), comment elle est confessionnelle dans le cas libanais (B) et comment elle remplace la socialisation nationale à plusieurs niveaux (C). A. La socialisation politique, une notion moderne avec une définition ambiguë faisant l'objet de plusieurs recherches La notion de socialisation politique est introduite pour la première fois à la fin des années 50 par le sociologue américain Hyman qui a guidé les travaux de plusieurs autres auteurs de son époque comme Easton et Dennis, Greenstein et Hess et Torney qui tous limitaient la socialisation politique aux inspirations béhavioristes et fonctionnalistes. Jusqu'aux années 70, la socialisation politique était définie comme « l'ensemble des mécanismes et processus de transmission et d'incorporation des opinions et représentations politiques des individus »178, mais cette approche a été critiquée et élargie par plusieurs travaux dès la fin des années 60 comme ceux d'Annick Percheron (1978 et 1985), Jennings et Niemi (1968) , Pacheron (1985) et autres qui ont montré que la socialisation politique n'était pas limitée à 174 SALAME G., « Chaos au Liban: l'analyse de Ghassan Salamé », Figaro Live, 05 Novembre 2021. [en ligne] : Chaos au Liban: l'analyse de Ghassan Salamé ( lefigaro.fr). 175 ALBERTINI D., « Le Liban n'est pas une Nation, encore moins, un pays... », HEM Réseau, 11 Août 2021. [en ligne] : TD : «le Liban n'est pas une Nation, encore moins, un pays...» par Dan Albertini - Réseau HEM Global ( reseauhem.com). 176 OLLAIK R., « Le Liban n'est pas une nation, c'est une juxtaposition de religions », Atlantico, Extraits de La route des abeilles, Éditions Anne Carrière, 1 Mars 2012. [en ligne] : Le Liban n'est pas une nation, c'est une juxtaposition de religions | Atlantico.fr. 177 ABINADER M., « Le Liban n'existe pas », L'Orient-Le Jour, 17 Août 2018. [en ligne] : Le Liban n'existe pas - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com). 178 BOUGHABA Y., DAFFLON A., MASCLET C.,« Introduction. Socialisation (et) politique. Intériorisation de l'ordre social et rapport politique au monde », Sociétés contemporaines, vol. 112, no. 4, 2018, pp. 5-21. 50 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. l'âge d'enfance, que le citoyen avait un rôle actif et que la socialisation politique se résumait par l'ensemble d'attitudes, de représentations et d'opinons politiques. Cela jusqu'à l'arrivé des travaux sociologiques de Bourdieu (1972 et 1977) qui mettait en question le caractère politique de la socialisation et la fin des années 80 quand les recherches sur la socialisation politique ont pris un recule malgré les tentatives de relance par Hepburn en 1995, Joignant en 1997 et Tournier en 1997. Dans les années 2000, une nouvelle génération de chercheuses et chercheurs a pris le relais des études sur la socialisation politique. Une diversité d'approches a été faite, que ça soit des enquêtes sur la socialisation professionnelle (Mennesson, Pudal, Sainsaulieu) et la socialisation militante (Juhem, Collovald, Yon), des enquêtes sur la mutation des identifications collectives et individuelles (Haegel et Lavabre), d'autres sur les conséquences biographiques de l'engagement (Fillieule et al., Gottraux, Leclerq et Pagis, etc.) ou même la socialisation juvénile et enfantine (Simon, Recchi, Lignier et Pagis, Sapiro, Renahy, Boone, etc.). En générale, deux diversités d'auteurs et de travaux sont apparues179. La première visant à définir la socialisation politique à travers la définition de la politique et la deuxième à étudier les normes et pratiques sociales formant la socialisation politique. Jusqu'à nos jours il n'existe pas une définition universelle de la socialisation politique ni une liste exhaustive de ses mécanismes. Dans ce mémoire notre intérêt n'est pas d'analyser les différentes approches ni de présenter les différentes définitions de cette notion jeune et ambiguë en Science Politique, mais d'adopter la définition qui rentre le plus dans la situation libanaise et dans les intérêts de notre recherche. Commençons par la socialisation définie dans le dictionnaire des Sciences économiques comme un processus d'adaptation de l'enfant à la vie en société et de l'individu à la société. Pour avoir une définition plus précise de la socialisation nous pouvons faire référence à la définition donnée par Dominique Bolliet et Jean Pierre Schmitt qui lient la socialisation au fait de « comprendre les mécanismes de transmissions de la culture, comment les individus incorporent les valeurs, les normes, les rôles »180 en faisant intervenir 4 dimensions : la transmission et l'intériorisation de la culture, la construction des identités, l'intégration des individus au groupe et la capacité du groupe à intégrer et à créer un lien. Nous pouvons conclure que la procédure de socialisation dure tout au long de la vie de l'individu. Durant cette procédure ce dernier apprend à intérioriser la culture, les normes et les valeurs de sa société, il construit son identité et s'intègre au groupe qui à son tour créé un lien entre ses individus. Par ici, la socialisation est politique lorsqu'elle forme et transforme le système individuel d'opinions, d'attitudes et de représentations politiques à partir de contraintes imposées par des agents sociaux et des interactions entre l'individu et son environnement. Alors, la socialisation politique regroupe une culture politique transmise par l'Etat (la culture nationale), mais aussi la culture communautaire résultante de l'existence de plusieurs cultures 179 BOUGHABA Y., DAFFLON A., MASCLET C., .,« Introduction. Socialisation (et) politique. Intériorisation de l'ordre social et rapport politique au monde », op.cit. 180 GRAINGER M., « Socialisation », Les concepts en sciences infirmières. 2ème édition, réf. BOLLIET D., SCHMITT J.P., La Socialisation, Thèmes et Débats, Chez Bréal, 2002, 124 p., Association de Recherche en Soins Infirmiers, 2012, pp. 276-278. 51 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. dans une même société. Ici nous parlons par exemple de cultures confessionnelles ou bien de classes sociales. Cette définition de la socialisation politique a été tirée à partir de la définition de Philippe Braud qui considère dans son livre «Sociologie Politique» que la socialisation politique est un « processus d'inculcation des normes et valeurs qui organisent les perceptions par les agents sociaux du pouvoir politique (dimension verticale) et des groupes de références (dimension horizontale) »181, et d'Annick Percheron, dans son livre «La socialisation Politique», qui considère que le processus de la socialisation politique « donne aux individus la matière profonde de leurs perceptions, de leurs représentations, de leurs attitudes. Elle les aide à construire le fond de carte sur lequel viendront s'inscrire avec des contenus différents , des reliefs différents, les évènements successifs »182. Plusieurs éléments doivent être soulignés en parlant de la socialisation politique. D'abord, comme c'est déjà précisé dans la définition de socialisation, la socialisation politique ne s'arrête pas à un âge déterminé, elle accompagne l'individu tout au long de sa vie au sein d'une société. Durkheim a précisé deux formes de socialisations183 ; la socialisation primaire ou initiale qui regroupe les enfants et les adolescents et qui se fait au sein des premières communautés d'appartenance (sa famille, la crèche, l'école, les amis, etc.), et la deuxième étant la socialisation secondaire ou continue qui concerne les dernières phases de l'adolescence et les adultes. Durkheim précise que la socialisation de la nouvelle génération par l'ancienne constitue l'éducation permettant d'avoir des normes et valeurs au fondement d'une société. Ensuite, les événement politiques et sociaux que les individus connaissent affectent leurs identités politiques qui se construisent par le processus de la socialisation politique. Nous faisons référence ici au « fond de carte » que Percheron a mentionné dans sa définition. En effet, ce fond de carte évolue avec le temps selon les événements qui viennent, qu'ils soient sociaux (mariage, poste de travail etc. ) ou bien politiques (élections, guerre, tensions, révolutions, etc.). Alors la socialisation politique est interactive (en interaction avec l'entourage) et continue (elle ne s'arrête pas à un âge précis). Enfin, d'après Philippe Braud (Sociologie Politique, 2008), il faut distinguer entre agents de socialisation et milieux de socialisation. Les milieux de socialisation, sont les communautés sociales structurées comme la famille, l'école et les médias. Ces endroits peuvent ne concerner qu'une partie de la société comme la religion, l'ethnie ou le militantisme politique. En général, c'est l'endroit où se passe la procédure d'inculcation. Tandis que les agents de socialisation sont les personnes qui effectuent cette inculcation, c'est le cas des instituteurs (prof, nourrice, etc.) et des pairs (voisins, copains, cousins, etc.). Dans son ouvrage « L'expérience politique des jeunes »184, Anne Muxel a expliqué l'impact des relations entre pairs sur la socialisation politique d'un individu. 181BACOT P., « Philippe Braud, Sociologie politique », Mots. Les langages du politique, vol. 84, no. 2, 2007, pp. 104-109. 182 PERCHERON A., La socialisation politique, Textes réunis par MAYER N., MUXEL C., Armand Colin, Paris, 1993, 226 p. 183 OUMEIMA CHERIFA M., Socialisation Familiale et sphère domestique : Les usages sociaux de temps selon une approche contextuelle, générationnelle et de genre, La Socialisation Selon Durkheim, Thèse doctorale, Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Université d'Oran 2, Oran, pp. 132-135. 184 MUXEL A., L'expérience politique des jeunes. Presses de Sciences Po, 2001, 192 p. 52 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. Les mécanismes de la socialisation politique diffèrent d'un environnement à un autre et d'une société à une autre et connaissent des changements d'une génération à une autre. D'où la projection des éléments théoriques sur la situation de la socialisation politique libanaise (B) B. L'intensification de la socialisation politique confessionnelle avec la guerre civile libanaise Reprenons la définition de la socialisation politique proposée dans la partie précédente et projetons là sur la situation libanaise : « la socialisation est politique lorsqu'elle forme et transforme le système individuel d'opinions, d'attitudes et de représentations politiques à partir de contraintes imposées par des agents sociaux et des interactions entre l'individu et son environnement. Alors, la socialisation politique regroupe une culture politique transmise par l'Etat (la culture nationale), mais aussi la culture communautaire résultante de l'existence de plusieurs cultures dans une même société. » Alors le système individuel d'opinions et d'attitudes politiques est formé à travers l'entourage de la personne et ses interactions avec cet entourage. Au Liban, il existe 18 communautés religieuses et une division géographique confessionnelle renforcée suite à la guerre civile. Par la suite, la socialisation politique de chaque Libanais dépend de sa religion et sa région d'enfance et d'habitation. Ce qui est normal dans une société multiculturelle. Par contre, dans la situation libanaise, la « culture nationale » précisée dans la définition de la socialisation politique n'est pas unifiée au niveau des écoles et des établissement éducatifs, la culture nationale est plutôt communautaire même avant la création de l'Etat libanais. Suite à la guerre civile, la division géographique s'est devenue encore plus hétérogène religieusement et la culture nationale plus confessionnelle vu que chaque leader politico-confessionnelle a pris part du pouvoir à travers l'accord du Taëf. En plus, avec le manque de réconciliation après la guerre civile, chaque partie du Liban, selon ses appartenances politico-confessionnelles, éduquait ses enfants, ce qui a divergé de plus en plus la socialisation politique entre ces sociétés. Ce qui nous mène à considérer que la socialisation politique au Liban est confessionnelle. Le Liban a toujours connu une socialisation politique confessionnelle divisant son opinion publique en plusieurs camps politico-confessionnels. Durant l'empire Ottoman, la Montagne a connu des massacres de mai jusqu'à septembre 1860185 entre les Druzes et les Maronites suite à l'effondrement de la féodalité et le mauvais fonctionnement du double caïmacamat (système instauré en 1942 séparant les Maronites et les Druzes par la route allant de Beyrouth à Damas). Même durant la période de la première guerre mondiale, l'effondrement de l'empire Ottoman et les Accords Sykes-Picot, deux camps existaient au Liban, le premier plutôt chrétien demandait toujours une intervention occidentale et une assistance française, tandis que le deuxième musulman insistait sur la protection et l'assistance arabes. Même après la mise en place du mandat français au Liban, les Chrétiens, les Chiites et une partie des Druzes l'ont accepté tandis que les Sunnites avaient peur de la dominance maronite et demandaient le 185 KRUSE C., « Mont-Liban (1840-1860) », Les clés du Moyen-Orient, 09 Mars 2012. [en ligne] : Mont-Liban (1840-1860) ( lesclesdumoyenorient.com). 53 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. rattachement du Liban à la Syrie, cela jusqu'à l'indépendance du Liban en 1943186. En effet, ce qui a renforcé la socialisation politique confessionnelle est la communitarisation du système politique libanais ; d'abord, l'Etat libanais a été créé en 1920 sur une base communautaire sous le mandat français. Ensuite, le Pacte Nationale conclu suite à l'indépendance du pays en 1943, même si non écrit, a instauré un système communautaire confirmé en 1989 par le Taëf symbolisant la fin d'une guerre civile mais renforçant une socialisation politique confessionnelle qui peut mener à une guerre plus sanglante et plus violente. En effet, la guerre civile libanaise a renforcé l'hétérogénéité de la répartition géographique des confessions libanaises187. Depuis 1932, il n'y a pas eu un recensement officiel se basant sur les appartenances confessionnelles de la population libanaise, et cela d'après Hervé Amiot188 est dû à la fragilité de l'équilibre confessionnelle rompu en 1975 causant une guerre civile. Un nouveau comptage officiel risque de mettre devant les yeux des libanais la situation démographique réelle de leur pays, ce qui peut causer des réactions de mécontentement des minorités ou bien des réactions d'augmentation du pouvoir des majorités vu que le Taëf divise le pouvoir équitablement entre Chrétiens et Musulmans en considérant qu'ils étaient égaux démographiquement en sortant de la guerre civile. Des enquêtes sont réalisées après 1932 mais avaient beaucoup de lacunes et n'étaient jamais officialisées, comme l'enquête menée sous la présidence de Fouad Chéhab en 1970 qui ne comptait que la population résidente. Même après la guerre civile il y'a eu deux enquêtes avec des grandes différences de résultats (plus que 20%), en 1996 et en 1997. Tandis que dans les années 2000 des universitaires ont aussi initiés des enquêtes qui se divergent entre elles. Ces divergences s'expliquent d'abord par la nombre de libanais qui quittent le pays, qui émigrent et qui augmentent avec le temps et selon les circonstances, ensuite par le nombre d'immigrés et des réfugies qui viennent au Liban et dont le nombre est difficile à cerner. Comme conséquence au manque de recensement officiel, le seul recours pour avoir une idée sur la répartition démographique confessionnelle au Liban sont les listes électorales qui donnent une idée générale de la répartition des confessions dans le pays malgré leurs limites (mineurs non cités, ne montrent que les personnes inscrites sur les listes, ne prennent pas en compte les non-libanais). Les figures (1)189, (2)190 et (3)191 représentent les répartitions démographiques des confessions sur le territoire libanais entre les années 2000, 2012 et 2018. En observant les trois cartes, nous pouvons conclure qu'il n'y a pas eu de grands changements ; les 4 communautés principales sont réparties de la façon suivante : les Chiites sont majoritairement entre la frontière israélienne et Saïda, dans le Sud du Liban, dans la Bekaa surtout entourant Baalbeck 186 Baron X., Le Liban, une exception menacée: en 100 questions , op.cit., p. 60. 187 Référence Intro, I. 188 AMIOT H., « Le Liban : géographie d'un Etat multiconfessionnel », Les Clés du Moyen-Orient, 22 Octobre 2013, modifié le 07 Août 2020. [en ligne] : Le Liban : géographie d'un Etat multiconfessionnel ( lesclesdumoyenorient.com). 189 Ibid. 190 MAIGRE F., « Le Liban, une mosaïque confessionnelle fragile », LaCroix, 14 Septembre 2012. [en ligne] : Le Liban, une mosaïque confessionnelle fragile ( la-croix.com). 191 Libandata.org., «Les circonscription électorales du Liban (élections législatives de 2018) », Libandata, 19 Mars 2018. [en ligne] : Les circonscriptions électorales du Liban (élections législatives de 2018) | Libandata.org. Réconciliation et socialisation politique après la guerre civile libanaise. HADDAD Nisrine, 2021-2022 54 Figure1 : Répartition des confessions au Liban sur la base des listes électorales de l'année 2000. Figure 2 : La répartition des confessions selon les estimations faites en juillet 2012. Figure 3 : Les sièges législatifs selon la répartition confessionnelle sur les circonscriptions électorales du Liban (élections 2018) et dans la banlieue sud de Beyrouth. Tandis que les Sunnites, depuis l'empire Ottoman, sont majoritairement situés dans les zones commerciales de Beyrouth, Saïda et Tripoli. En générale, les sunnites sont les plus nombreux dans le Nord du Liban entre les frontières syriennes et Tripoli et autour de Baalbeck. Par contre, les Druzes, même avant l'empire Ottoman ont toujours habités les montagnes libanaises. Ils sont établis dans la région du Chouf et à Alay dans l'est de Beyrouth et le pied du mont Hermon. Enfin, les Chrétiens sont dispersés dans les divers régions libanaises, mais surtout les maronites, même avant l'empire Ottoman, au Nord du Mont-Liban et dans la montagne au-dessus de Tripoli. Les Chrétiens se situent également au sud autour de Jezzine, à la Bekaa autour de Zahlé et à Zahlé (majoritairement grec-catholique) et vers les frontières israéliennes. Cette répartition n'est pas la même qu'avant la guerre civile libanaise. Réconciliation et socialisation politique après la guerre civile libanaise. HADDAD Nisrine, 2021-2022 Figure 4 : Le nombre d'émigrés libanais chrétiens entre 1975 et 2007. 55 En effet, la guerre civile libanaise a causé l'immigration de 990 000192 libanais, dont jusqu'à 1978, 75%193 étaient des chrétiens (figure 4)194 et a provoqué des déplacements forcés des citoyens à l'intérieur du Liban selon leurs confessions. Nous avons déjà vu la frontière qui a eu lieu au centre-ville de Beyrouth, séparant Beyrouth Est des Chrétien et Beyrouth Ouest des Musulmans. En pratique, avant la séparation définitive, un délai a été donné aux Chrétiens de Beyrouth Ouest pour se déplacer à Beyrouth Est et inversement pour les Musulmans. Pareil, un clivage entre les Druzes et les Chrétiens a touché le Sud de Mont Liban (le Chouf) lors de la guerre de la Montagne qui a eu lieu entre 1982 et 1984, ou environ 160 000195 Chrétiens ont étés amenés à fuir les massacres et à se déplacer de forces tandis que d'autres ont décidés de rester196. Concernant les Chiites libanais, entre 1977 et 1981197, ils étaient forcés à quitter le Sud du Liban vers les banlieues de Beyrouth suite à l'avancée de l'armée israélienne. Des moindres mouvements de populations ont eu lieu aussi, comme dans le Bekaa ou des villages chrétiennes ont perdus leurs populations, à Tripoli aussi de nombreux Chrétiens se sont dirigés vers Zghorta. En conclusion, la répartition géographique communautaire existait au Liban même avant l'empire Ottoman, ce dessin des 4 communautés existait avant la guerre civile libanaise mais a été renforcé par la guerre qui a diminué le taux de coexistence régionale entre les majorités et minorités confessionnelles, mais quand même il existe toujours une coexistence entre différentes confessions dans une même région. En effet, malgré la « politique des déplacés » mise en place par le gouvernement libanais après la guerre civile, l'ONG locale «l'Institut libanais pour le développement économique et social» (ILDES) a précisé qu'uniquement 20%198 des déplacés forcement sont revenus à leurs villes et villages. 192 SEIFEDDINE W.S., « Crise économique : un rapport met en garde contre une troisième vague d'émigration du Liban », AA, 01 Septembre 2021. [en ligne] : Crise économique : un rapport met en garde contre une troisième vague d'émigration du Liban ( aa.com.tr). 193LABAKI B., « Les chrétiens du Liban (1943-2008). Prépondérance, marginalisation et renouveau », Confluences Méditerranée, vol. 66, no. 3, 2008, pp. 99-116. 194 Ibid., p. 103. 195 KANAFANI-ZAHAR A., « Réflexion sur le blocage des « dernières réconciliations » au Mont Liban », Cahiers de la Méditerranée, Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine (CMMC) - Université Côte d'Azur, 71 décembre 2005, pp. 129-143. 196 CHIPAUX F., « Visite aux chrétiens dans le Chouf », LeMonde, 01 Octobre 1984. [en ligne] : Visite aux chrétiens dans le Chouf ( lemonde.fr). 197 AMIOT H., « Chronologie illustrée du conflit libanais (1975-1990), Les clés du Moyen-Orient, 30 Octobre 2013. [en ligne] : Chronologie illustrée du conflit libanais (1975-1990) ( lesclesdumoyenorient.com). 198 AMIOT H., « Le Liban : géographie d'un Etat multiconfessionnel » op.cit. 56 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. Suite à ce renforcement de la division géographique confessionnelle par la guerre civile, le Liban a connu plusieurs sociétés dans une seule société. Chaque région, selon sa confession dominante, a créé sa propre société et une socialisation politique confessionnelle propre à ses enfants. Même dans les régions où coexistent plusieurs confessions, chacune a sa propre socialisation politique. (nous verrons en détails comment cette socialisation politique confessionnelle remplace la socialisation politique nationale dans la partie C). C. Le remplacement de la socialisation politique nationale libanaise par la socialisation politique confessionnelle Plusieurs politistes, sociologues et psychanalystes ont travaillé sur le lien entre la socialisation politique et les sociétés multiculturelles. Dans son livre « De la division du travail », Emile Durkheim a parlé du lien entre le degré de primitivité des sociétés et le degré de ressemblance entre les individus les formants. « Plus les sociétés sont primitives, plus il y'a ressemblance entre les individus dont elles sont formées »199, alors plus les sociétés sont composées, plus il y'a dissemblances entre les individus dont elles sont formées. Tandis que dans « L'individu et sa société » 200, Abraham Kardiner a introduit la notion de la « personnalité de base » qui est commune pour tous les membre du groupe parce qu'elle est liée à la culture de base de l'individu. Alors si nous voulons projeter la notion de personnalité de base sur les sociétés divergentes, il est probable d'avoir plusieurs personnalités de base différentes dans une même société. La notion la plus simplificatrice et proche des sociétés différenciées est celle des « habitus » introduite par le sociologue français Pierre Bourdieu dans son livre « Le Sens pratique »201 en 1980. En effet, les habitus sont le résultat des « conditionnements associés à une classe particulière de conditions d'existence »202 en étant « durables et transposables ». Dans sa définition, le sociologue français précise que les habitus fonctionnent comme des « principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente de fins et la maitrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre »203. Bourdieu parle d'habitus comme étant le produit de la socialisation mais en même temps générateur de nouvelles pratiques. Ils sont plutôt les dispositions qui intègrent toutes les expériences du passé et qui créées des réaction et des positions (pas forcément conscientes) pour gérer ces expériences socialement. Par la suite, les habitus de chaque classe sont le résultat de l'ensemble d'expériences communes de cette classe qui fonctionnent sous forme de perception, d'appréciation et d'action. En d'autres termes, les habitus forment la conciliation entre les habitudes culturelles et le comportement des individus. En parlant de la socialisation 199 DIDIER-FEVRE C., « « L'individu, secrets de fabrication », Sciences Humaines, no. 256, Février 2014 », Les Clionautes, 17 Janvier 2014. [en ligne] : Emile Durkheim | The place to be ? ( hypotheses.org). 200 KARDINER A., L'individu et sa société, Essaie d'anthropologie psychanalytique, Bibliothèque des Sciences Humaines, Gallimard, 1969, Etats-Unis, 536 p. 201 BOURDIEU P., Le Sens pratique, Le Sens Commun, Les éditions de minuit, 1980, France, 500 p. 202 Ibid., p. 88. 203 Loc. cit. 57 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. politique, nous pouvons considérer les habitus comme résultants de la socialisation politique et menant au comportement politique individuel. Dans cette partie, nous allons expliquer comment les habitus différents des communautés confessionnelles libanaises renforcent la socialisation politique confessionnelle qui remplace la socialisation politique nationale au niveau identitaire (1), d'état civil (2), scolaire (3), psychologique (4) et socioéconomique (5). 1) Au niveau identitaire : Le remplacement de l'identité nationale par une autre confessionnelle «One might almost say : no memory, no identity; no identity, no nation.»204. Dans la deuxième partie (2) du paragraphe (A) de la partie (II) de ce mémoire, nous avons évoqué comment la mémoire individuelle crée la mémoire collective et vis-versa, et comment les deux sont primordiales pour l'unité sociétale et l'identité commune d'une nation, en faisant référence aux études de Halbwachs, Johan Michel et Marie-Claire Lavabre. En effet, l'unité sociétale protège l'identité nationale et cela d'après une mémoire collective commune. Nous avons introduit cette notion pour souligner le besoin d'une réconciliation nationale au Liban et les résultats du manque de cette dernière. Vu qu'au Liban il n'existe pas une mémoire collective nationale mais des mémoires collectives communautaires, alors, selon la logique expliquée ci-dessus, au Liban on n'a pas une identité nationale mais des identités confessionnelles différentes. Ce problème de mémoire collective ne concerne pas uniquement la mémoire de guerre, mais aussi l'origine de l'entité libanaise. Même sur le sujet des origines du peuple libanais il existe majoritairement deux camps et deux arguments qui datent depuis très longtemps et qui dépendent des religions. Pour la majorité des Chrétiens, le Liban est un pays phénicien vu que historiquement la Phénicie est née et s'est développée sur le littoral libanais pendant environ 9 siècles, tandis que la majorité musulmane le décrit comme pays arabo-musulman. Il existe même des mouvements nationalistes qui en se basant sur la géopolitique considèrent que le Liban fait partie de la Grande-Syrie (Bilad al Sham) qui regroupe le Liban, la Jordanie, la Syrie et la Palestine. Durant notre entretien, Monsieur Walid Zeitouny (Docteur en sociologie politique à l'Université Libanaise) a précisé qu'il existe 5 courants de pensées concernant l'identité libanaise205 et chacun se base sur son histoire et culture différentes de l'autre. La première lecture est la lecture orientaliste (Istichrakiya) qui a accepté la division faite par la France et l'Angleterre après la première guerre mondiale, la deuxième étant la lecture islamique qui considère que le Liban fait partie de l'Etat Islamique, la troisième étant la lecture Arabe dérivée de la lecture islamique, la quatrième étant la lecture d'entité (kira2a kayaniya) proche de la lecture orientaliste en prenant en considération les origines phéniciennes et la cinquième est la lecture du Parti Social Nationaliste Syrien qui considère que le Liban fait partie de la Grande Syrie en prenant en compte les frontières géographiques naturelles et en réfléchissant objectivement et non pas subjectivement. En effet, vu que Monsieur Zeitouny est un cadre du 204 SMITH A., «Memory and modernity: reflections on Ernest Gellner's theory of nationalism», Nations and Nationalism, 1996, vol. 02, p. 383. 205 Annexe 1, « Interviews faites au Liban », Monsieur Walid Zeitouny, 20 Mai 2022, Mreijat, 00 :35 :06, p. 08. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1Bln7ga1-OKgiaXjqD_n0DIn8TDiQuItU/view?usp=sharing. 58 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. PSNS, il explique que son parti ne considère pas le Liban comme une nation à cause des tensions confessionnelles existantes, même avant sa création, et leurs réglage par des solutions encore plus confessionnelles de la part des Etats tiers, ce qui mène au manque de structure sociale et par la suite au manque d'identité nationale commune. La majorité des auteurs qui ont travaillé sur le sujet de l'identité libanaise confirment que la question de définir l'identité nationale traverse l'histoire du Liban et pose un problème entre les différentes confessions. Si nous considérons l'identité comme un sentiment personnel d'appartenance et que l'identité nationale est le sentiment d'appartenir à une nation, alors au Liban il n'existe pas une identité nationale vu que le sentiment d'appartenance est confessionnel et communautaire pour des raisons d'origine, d'histoire et de culture différentes. Si nous prenons en compte les repères identitaires communs de la nation pour définir l'identité nationale, malgré l'existence du drapeau libanais, de l'hymne national libanais et de l'accent arabe libanais, certaines écoles enseignent l'hymne national français, d'autres l'hymne national iranien avant et même à la place de l'hymne national libanais. Concernant le drapeau libanais, la majorité des partis politiques porte le drapeau de leurs parti au lieu du drapeau libanais même pour des évènements nationaux. Et enfin, concernant l'accent libanais, selon les régions politico-confessionnelles, nous trouvons une dominance linguistique différente. En général, dans les régions chrétiennes, nous trouvons des écoles chrétiennes francophones qui mettent l'effort sur la langue française plus que la langue arabe, tandis que dans les régions musulmanes la langue arabe est beaucoup plus maitrisée. Sans oublier les écoles anglophones qui mettent plus l'accent sur l'anglais que l'arabe. Si nous prenons l'histoire et la culture communes pour identifier l'identité nationale, Ahmad Beydoun a mis l'accent sur le conflit historique islamo-chrétien en précisant que « l'historien chrétien et l'historien musulman sentent tous les deux une menace planer sur leur identité en tant qu'elle est rapport à l'origine. Le Chrétien voit la source du danger dans l'islam et dans l'arabisme et le Musulman la trouve incarnée dans le Chrétien et dans l'Occident »206. Cette peur de l'autre renforcée par les discours des dirigeants politico-confessionnels freine les possibilité d'une appartenance nationale commune basée sur une histoire objective unifiée. Tous ces habitus communautaires renforçant la socialisation politique confessionnelle et remplaçant l'identité nationale par l'identité confessionnelle sont renforcés par la mal gestion des conflits historiques, culturels et religieux par l'Etat Libanais. En effet, le système communautaire renforce les identités confessionnelles au Liban, ce qui est considéré comme meurtrier à la nation libanaise. Même en 1943, lors de l'indépendance du Liban, le Pacte National qui a conclu cette indépendance a essayé de trancher le conflit d'appartenance occidentale ou bien arabe du Liban en le considérant comme un pays ayant un « visage arabe »207. D'après Georges Naccache, « deux négations ne font jamais une nation »208, cette double négation a renforcé encore plus les tensions confessionnelles et la socialisation politique confessionnelle divergente entre les communautés. 206 BEYDOUN A., Identité confessionnelle et temps social chez les historiens libanais contemporains, Université Libanaise, 1984, Beyrouth, 610 p. 207 DEBS N., « L'identité libanaise, une difficile identité plurielle », Topique, vol. 110, no. 01, 2010, pp. 105-116. 208 NACCACHE G., « Deux négations ne font jamais une nation », Un rêve libanais, 1943-1972, Beyrouth, FMA, 1982. 59 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. 2) Au niveau de l'état civil: la confessionnalisation du statut personnel « Un Libanais à un autre : « es-tu chrétien ou musulman ? » « Je suis athée. » « Ah bon... très bien... Athée chrétien ou athée musulman ? » »209. Une boutade que Jihad Nammour a emprunté à Theodor Hanf. Cette boutade montre que le peuple libanais n'arrive pas à différencier la religion de l'identité. Pour lui, la religion n'est plus la foi mais l'identité qui l'introduit et le définie. Au Liban, pas tous les Chrétiens sont vraiment Chrétiens ayant la foi chrétienne ni tous les Musulmans ont la foi musulmane, mais une religion (celle de leur père) leurs a été imposée à la naissance et gère leur statut personnel même après la mort. En effet, la fiche individuelle d'état-civil de chaque libanais précise sa confession et selon cette confession toutes les affaires de son statut personnel seront régies (mariage, divorce, héritage, décès, etc.). D'après Charbel Nahas « L'Etat libanais reconnaît institutionnellement les confessions religieuses et abandonne le droit privé et le statut personnel à leurs juridictions respectives ce qui constitue les Libanais en communautés confessionnelles »210. C'est ce que Aïda Kafanani-Zahar définie comme le « religieux institutionnalisé »211 en introduisant deux types de ruptures entres les Libanais et leur Etat, la première étant celle du statut personnel confessionnalisé et la deuxième du confessionnalisme politique. Les religions sont devenus des institutions qui régissent juridiquement le statut personnel des Libanais et politiquement (confirmé par le Taëf) leur mode de vie. Une double autonomie distingue le système de statut personnel libanais. La première étant judiciaire par l'existence de tribunaux pour chaque communauté ; « tribunaux spirituels pour les chrétiens catholiques, orthodoxes et évangéliques ; tribunaux charaïques pour les sunnites, jaafarites pour les chiites et mat?habiyya pour les druzes. Enfin des tribunaux rabbiniques pour les israélites »212. La deuxième autonomie étant l'autonomie législative de chaque confession puisque chaque communauté a ses propres lois et législations213. Sans rentrer dans les détails de chaque loi régissant le statut personnel de chaque confession, nous pouvons déduire que tout au long de la vie du citoyen libanais, depuis sa naissance jusqu'à sa mort et même après, une confession lui est attribuée et le différencie de l'autre Libanais ayant une autre confession sur ses papiers officiels. Ce qui construit dès 209 NAMMOUR J., « Les identités au Liban, entre complexité et perplexité », Cités, vol. 29, no. 1, 2007, p. 49. 210 NAHAS C., Le confessionnalisme au Liban. Du fonctionnement discursive et idéologique vers une position du problème, Thèse d'anthropologie, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1980, p. 4. 211 KAFANANI-ZAHAR A., « Les tentatives d'instaurer le mariage civil au Liban : l'impact des Tanzîmât et des réformes mandataires (chapitre 23) », P.-J. Luizard, Le choc colonial et l'Islam. Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre d'islam, Paris, La Découverte, 2006, p. 427. 212 TOBICH F., Chapitre II : Le statut personnel libanais : le statu-quo normatif, Les Statuts personnels dans les pays arabes : de l'éclatement à l'harmonisation, Presse universitaire d'Aix-Marseille, Aix-en-provence, 2008, pp. 161-183. [en ligne] : Les statuts personnels dans les pays arabes - Chapitre II. Le statut personnel libanais - Presses universitaires d'Aix-Marseille ( openedition.org). 213 BASILE B., Statut personnel et compétence judiciaire des communautés confessionnelles au Liban (étude juridique comparée), Université St. Esprit, Kaslik, 1993, p. 15. 60 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. l'enfance de la personne une socialisation politique confessionnelle légitimée par l'Etat et l'article 9214 de sa Constitution. Cette divergence et multiplicité des statuts personnels des Libanais et l'absence d'une loi unique civile libanaise du statut personnel rend la séparation confessionnelle entre les Libanais plus simple. Surtout après la guerre civile libanaise et le renforcement des séparations géographiques confessionnelles, le fait que les statuts personnels sont régis selon les confessions diverge encore plus les types de socialisation politique confessionnelle de chaque région. Par exemple, si un couple est composé d'une personne catholique de Zahlé et d'une autre chiite de Saida, le mariage auprès des institutions libanaises ne sera pas possible sauf si une va convertir à la religion de l'autre vu que le mariage civil n'est pas possible. Alors l'homogénéisation par le mariage entre les confessions n'est pas possible pour casser un peu les habitus de chaque partie confessionnelle, au moins pas sur le territoire libanais. 3) Au niveau éducatif : une « autonomie éducationnelle» menant à la reproduction de la division confessionnelle et sociale au sein des écoles « L'école au Liban est le miroir d'une société basée sur un fonctionnement communautaire. Le manque de moyens dédiés à l'école publique supprime toute possibilité de voir un jour une unité quelconque entre les différentes communautés du Liban. L'école publique ne devrait pas être l'école des pauvres mais bien un lieu de partage, qui réunit avant tout des citoyens »215, les paroles de la sociologue Maissam Nimer. L'école joue un rôle essentiel dans la socialisation primaire des enfants (Durkheim), avec la famille, elle est la base du « fond de carte » (Percheron) de la socialisation de l'enfant. Dans le cas Libanais, d'après Antoine Messarra, une « autonomie éducationnelle »216 a été donnée aux confessions pour construire leurs établissements scolaires et cela d'après les articles 9 et 10 de la Constitution libanaise. Par la suite, à cause de la faiblesse du secteur public libanais, les écoles du secteur privé forment des établissements de socialisation confessionnelle, politique et politique confessionnelle. Ce qui forme des « fonds de cartes » sociaux et communautaires divers au sein d'un même peuple libanais. En 1943, le principe de l'autonomie éducationnelle a donné une certaine priorité au secteur privé face au secteur public pour protéger les libertés de toutes les confessions. Comme conséquence, les écoles privées ont connu une évolution et un développement plus rapides que les écoles publiques. Au niveau financier, le pourcentage des dépenses pour l'éducation publique sont très faibles par rapport aux autres dépenses étatiques. En 2012, le pourcentage des dépenses pour l'éducation présentaient 7.1%217 de la dépense publique, rapportée au PIB, 214 Cet article garantie aux populations le respect de leurs intérêts religieux et statuts personnels. 215 NIMER M., « Le système éducatif libanais reproduit la division sociale et communautaire », Solidarité Laïque, 03 Novembre 2016. [en ligne] : « Le système éducatif libanais reproduit la division sociale et communautaire » - Solidarité Laïque ( solidarite-laique.org). 216 MESSARRA A., « Le statut constitutionnel de l'enseignement. Intégration et limites de l'autonomie (chapitre 3) », dans Théorie générale du système politique libanais. Essai comparé sur les fondements et les perspectives dévaluation d'un système consensuel de gouvernement, Paris, Cariscript, 1994, p. 116. 217 NIMER M., « Le système éducatif libanais reproduit la division sociale et communautaire, op.cit. 61 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. la dépense d'éducation en 2020 était de 30%218 pour les écoles publiques tandis que 66% pour les écoles privées. Comme résultat, un grand nombre des bâtiments scolaires sont loués et ne remplissent pas les conditions exigées pour une éducation en sécurité et les matériaux utilisés sont insuffisants et anciens. Le problème le plus désavantageant est celui de la faible compétence des enseignants dans les écoles publiques. En effet, en 2016, 45%219 des enseignants dans les écoles publiques n'avaient pas de diplômes universitaires. Face au décalage entre les deux secteurs, la majorité des parents se tournent vers les écoles privées pour assurer une meilleur éducation et environnement éducatif pour leurs enfants (en 2013220, 64% des inscriptions étaient auprès des écoles privées tandis que 32% auprès des écoles publiques et 4% auprès des écoles générées par les NU pour les réfugiés palestiniens, ces chiffre ont changés aujourd'hui suite à la crise économique. Environ 55 000221 élèves ont changés leurs écoles privées en d'autres publiques en 2020-2021). Mais pour les parents n'ayant pas les moyens financiers, le choix est fixé sur les écoles publiques, ce qui créé un décalage social et éducatif entre les enfants. En d'autres termes, les riches auront une bonne éducation tandis que les pauvres non. Mais dans les deux cas, s'ils étaient les victimes du clientélisme politique, ils auront une éducation dans les établissements privés confessionnels. Nadine Picaudou222 explique le rôle du clientélisme politique dans le fonctionnement de l'Etat Libanais tout en insistant sur le fait que « le clientélisme repose sur l'usage personnalisé des ressources de l'Etat libanais au profit des confessions et de leurs réseaux de clientèle»223 ce qui explique l'existence de plusieurs établissements privés surtout éducatifs comme le précise Catherine Le Thomas224 en parlant des établissement éducatifs chiites. Cette dernière souligne comment les écoles confessionnelles renforcent et mènent à la domination politique des partis politico-confessionnels sur le peuple. En effet, le choix des écoles privées par les parents se fait selon la région ou habite la famille, la religion de cette dernière et ses appartenances politiques. L'école catholiques des Soeurs des Saint-coeurs de Jezzine n'est pas la même que le Lycée Chiite Moustapha (ìØÕãáÇ ÉíæäÇË) à Nabatiyeh ni que « Al Eman Model School » (ÉíÌÐæãäáÇ äÇãíáÅÇ ÉÓÑÏã) sunnite à Tyr. Chacune de ces écoles a son propre programme et ses propres manuels religieux. Par exemple, Le Thomas a expliqué que chez les écoles islamiques chiites, les manuels religieux se déclinent en deux versions225, la première concernant le « combat, le jihad et l'héroïsme guerrier » tandis que la deuxième traduit une « simple éducation religieuse sans trop de mise en perspective sociale ou politique ». Tandis que dans les écoles chrétiennes, les séances de catéchèse transmettent les interprétations 218 LE MONDE, « L'école c'est la véritable « banque » du Liban de demain», Le Monde, 01 Septembre 2020. [en ligne] : « L'école c'est la véritable «banque» du Liban de demain » ( lemonde.fr). 219 NIMER M., « Le système éducatif libanais reproduit la division sociale et communautaire, op.cit. 220 Ibid. 221 BAHOUS R., NASSAR F.N., OUAISS M., « Le secteur éducatif libanais est au bord du gouffre », l'Orient-Le Jour, 22 Avril 2022. [en ligne] : Le secteur éducatif libanais est au bord du gouffre - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com). 222 PICAUDOU N., « Le miroir libanais », Visages du politique au Proche-Orient, Paris, Folio, 2018, p. 35. 223 MOUMMI A., Entre confessionnalisme politique et « hypothèse laïque ». Le Grand Lycée Franco-Libanais comme espace de redéfinition du rapport au religieux dans la société libanaise ?, Débat durant la journée d'études des doctorants du CéSor, 20 Octobre 2020, LIER-FYT/ IFPO, 10 p. 224 LE THOMAS C., Les écoles chiites au Liban. Construction communautaire et mobilisation politique, Presse de l'IFPO, Beyrouth, Karthala, Paris, 2012, 419 p. 221-222. 225 Ibid. pp. 62 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. différentes de l'évangile selon la confession de l'établissement (grec catholique, protestante, évangélique, maronite, grec orthodoxe, etc.) . Cette divergence entre les établissements éducatifs privés ne concerne pas uniquement l'éducation religieuse mais aussi l'éducation civique et historique. Chaque parti politique exige l'enseignement de sa version de l'histoire libanaise à ses enfants selon sa vision des choses. Concernant le manuel d'histoire, chez les écoles francophones on apprend l'histoire de la France, c'est le cas par exemple du Collège des Soeurs des Saint-coeurs à Zahlé, tandis que dans les écoles Chiites proches du Hezbollah, ils substituent l'ouvrage officiel de l'Etat par l'ouvrage publié par la JTDI226 « conforte une version sacralisée et islamisée de l'histoire de la région » et réécrit l'histoire et la géographie des ennemis, des frontières et des héros de la communauté chiite »227. Les seules années où tous les élèves libanais étudient le même livre d'histoire sont les deux années des examens officiels (Brevet et Terminal), sachant que cette histoire commune finit avec l'indépendance du Liban en 1943. Concernant l'histoire récente du pays, surtout entre 1975 et 2022, chaque établissement selon son appartenance politico-confessionnelle interprète les évènement et enseigne sa version des évènements en mettant la lumière sur ses héros communautaires. Après la terminale, ces adolescents qui ont connu toute une enfance dans une école politico-confessionnelle et une éducation clientélisée, vont intégrer des universités où des élections ont lieu chaque année créant des tensions et même des blessés228. Concernant les universités, pareil comme les écoles, chaque établissement, selon son emplacement géographique sur le territoire libanais, est influencé par un parti politico-confessionnel dominant. Le clientélisme éducatif ne concerne pas uniquement les écoles et universités libanaises, mais aussi les scouts au Liban. Pour chaque confession dans chaque région il existe un scout politico-religieux qui renforce encore plus la socialisation politique confessionnelle chez les enfants et les adolescents. Nous pouvons citer le scout de la liberté des FL dans les régions chrétiennes comme à Kesserwan, le Scout de la Terre du CPL à Batroun, le « Imam Mahdi Scouts » du Hezbollah dans les régions Chiites comme à Baalbeck, etc. Le système éducatif libanais n'est pas national mais confessionnel. Chaque confession envoie ses enfants aux établissements éducatifs qui la ressemblent et qui sont financés par le leader politique qui la représente. Le manque du monopole national éducatif renforcé par la Constitution libanaise limite la capacité de l'Etat d'imposer un manuel unique d'histoire et d'éducation civique au sein de tous les établissements publics et privés. Le clientélisme et la cleptocratie redistributive (Salamé) nous mènent à conclure que les pauvres n'appartenant à aucun parti politique ou dont le parti politique ne finance pas leur éducation seront obligés d'avoir une éducation faible (aux écoles publiques) et moins importante que celle des écoles privées confessionnelles. En d'autres termes, la monnaie étatique est redistribuée par les 226 l'Association pour l'Enseignement religieux islamique, proche du Hezbollah. 227 Ibid. pp. 228-229. 228 Vidéo montrant un affrontement durant les élections universitaires à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth entre les FL et le Hezbollah : Lebanon Debate, « ÉíÚæÓíáÇ ÉÚãÇÌáÇ í áÇßÔÅÈ ìÍÑÌ :æíÏíáÇÈ », Lebanon Debate, 02 Décembre 2020. [en ligne] : ÉíÚæÓíáÇ ÉÚãÇÌáÇ í áÇßÔÅÈ ìÍÑÌ :æíÏíáÇÈ ( lebanondebate.com) 63 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. leaders politico-confessionnels sur leurs établissements scolaires confessionnels au lieu des établissement publiques laïques (Picaudou). 4) Au niveau psychologique : la peur de « l'autre » guide le comportement et l'opinion politique des libanais La socialisation politique confessionnelle au Liban est alimentée par la peur et la méfiance de l'autre. Chaque parti politico-confessionnel considère que les autres partis veulent l'éliminer et qu'il doit survivre face aux autres. Cet instinct de survie est due à la nature même de la société guerrière et conflictuelle. En effet, la guerre civile libanaise a duré 15 ans et est devenue un mode de vie. Les gens partaient au travail le matin et rentraient le soir avant le couvre-feu (quand les bombardements et les attaques armées commencent). Dans l'esprit et la tête des citoyens, le sentiment de guerre est devenu naturel et normal. Chaker Abou Abdalla, un comédien libanais né durant la guerre civile, racontait comment à la fin de la guerre il a fait un choc avec les jeunes de sa génération parce qu'ils ne connaissaient pas comment la vie se passait sans guerre ; « Durant la guerre, on se demandait avec mes amis si dans les autres pays il y'avait des tirements, parce que pour moi c'était le normal »229, « jusqu'à 12 ans je pensais que la guerre était partout et non uniquement au Liban »230. « La crise de nerfs que j'ai eu avec ma génération était post-guerre civile. Quand la guerre était fini, on a paniqué, toute ma génération, un après l'autre. C'est surement le Trouble de Stress Post-Traumatique (PTSD) »231. Pour Chaker et sa génération, le traumatisme causant la PTSD n'était pas la guerre civile mais la fin de la guerre et l'apprentissage que la vie normale n'était pas la guerre. Durant notre interview, Professeur Nahas a confirmé ce que Chaker disait : « La guerre civile libanaise est devenue un mode de vie, le peuple menait une vie normale, on travaillait dans la journée et tuait nos adversaires dans la nuit »232. Ce mode de vie a créé un reflex social et culturel de guerre. Aujourd'hui, dans la culture libanaise chaque confession se sente en danger et a peur de l'autre et cela n'est pas uniquement due au passé guerrier entre elles mais aussi au comportement des dirigeants politiques envers ce passé. En effet, les leaders politico-confessionnels prennent avantage de la peur et mal-confiance entre les confessions suite à la guerre civile pour garder leurs citoyens fidèles. Cela en renforçant la socialisation politique confessionnelle à travers plusieurs moyens, d'abord par leur discours confessionnel plein de menaces, de haine et de méfiance contre l'autres partis, ensuite par le financement de leurs peuples et la redistribution de l'argent étatiques et enfin par la religion. « Les musulmans nous ont mangés », « les Chrétiens veulent nous massacrer », « les Chiites veulent transformer le Liban en l'Etat El-Fakih », « les Chrétiens et les Musulmans n'ont jamais appréciés les Druzes », « nous devons rester unis et forts face aux autres » , « nous ne devons jamais lâcher l'affaire même après la guerre civile », toutes ces phrases sont des expressions clichées entendues partout au Liban (selon la confession de la région), même sur les réseaux sociaux. Cela est le résultat des discours confessionnels faites par les responsables 229 ABOU ABDALLA C., « Chaker Abou Abdalla : which generation had it better?», YouTube, sarde (after dinner), Podcast 80, , 03 Juillet 2022, 11:40. [en ligne]: CHAKER BOU ABDALLA: Which generation had it better? | Sarde (after dinner) Podcast #80 - YouTube. 230 Ibid, 11:50. 231 Ibid, 12:55. 232 Annexe 1, « Interviews faites au Liban », Professeur Charbel Nahas, 06 Juin 2022, Achrafieh, pp. 01- 02. 64 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. politico-confessionnels, appelés au Liban discours de « tirage de nerfs confessionnels » (chadd el 3asab al ta2ifi) qui se multiplient surtout avant chaque élection législative. Sayed Ali Fadlallah a confirmé233, même avant les élections législatives de 2022, que le Liban va « voir encore plus de discours et mots populaires visant à tirer les nerfs du peuple pour gagner leurs voix », Sayed Fadlallah a confirmé que les élections n'allaient pas mener à des changements radicaux puisque « malheureusement, les discours confessionnelles et communautaires continuent à chatouiller les oreilles des Libanais et les poussent à choisir leurs représentants sur une base confessionnelle ». Dans une plainte234 faite en 2019 par « l'initiative libanaise contre la discrimination et le racisme »235 contre 7 Hommes et activistes politiques libanais de différentes appartenances politico-confessionnelles (Gebran Bassil, Georges Aoun, Elie Marouni, Ali Barakat, Ziad Assouad, Naji Hayek et Rachid Jonblat), il a été précisé que l'objet de poursuite est « la mobilisation des tensions confessionnelles et civiles, crime décrit dans l'article 317 du code pénal libanais »236 en accusant Georges Aoun, le maire municipale de Hadath, d'avoir émis une décision interdisant toute vente de biens immobiles à un non chrétien à Hadath, Naji Hayek d'avoir publié des publications sur Facebook concernant les crimes de la guerre civile et insultant les victimes des batailles « Souk al Ghareb » de 1989, et enfin Gebran Bassil d'avoir publié des Tweets racistes sur son compte Twitter contre les non-libanais sur le territoire libanais. Alors il existe plusieurs moyens pour émaner le discours politique confessionnel. Outre les discours de « tirage de nerfs confessionnels», la religion est aussi utilisée pour émettre des directives politiques. Que ça soit par des Hommes politiques ou bien des Hommes religieux, dans chaque communauté des instructions émanent pour orienter le peuple vers un comportement politique précis. Ça peut être à travers les fatwas chez les confessions islamiques, al Taklîf237 précisément chez les Chiites ou bien à travers les sermons chez les Chrétiens. Ces instructions politiques peuvent même émaner des symboles religieux sans discours, par exemple, le jour des élections législatives, dans les régions chrétiennes, on sonne les cloches pour rappeler aux Chrétiens qu'ils doivent voter pour que « leurs cloches restent actives au Liban »238 (figures 1 et 2), et des photos des candidats et des responsables 233 Al MARKAZIYA « ÑííÛÊáÇ ÉíáãÚ ÞíÚí íÆÇØáÇ ÈÇØÎáÇ :Çááå áÖ », Al Markaziya, 20 Avril 2022. [en ligne] : (5) ÑííÛÊáÇ ÉíáãÚ ÞíÚí íÆÇØáÇ ÈÇØÎáÇ :Çááå áÖ -ÉíÒßÑãáÇ ( almarkazia.com). 234 WAKALAT, « äíÑÎÂæ íäæÑÇãæ ÏæÓæ áíÓÇÈ ÞÍÈ ÉíÆÇÖÞ ìæÚÏ», IMLEBANON, 22 Août 2019. [en ligne]: IMLebanon | äíÑÎÂæ íäæÑÇãæ ÏæÓæ áíÓÇÈ ÞÍÈ ÉíÆÇÖÞ ìæÚÏ! 235 Al OMK, «äííäíØÓááá ÇãÚÏ »ÉíÑÕäÚáÇæ ÒííãÊáÇ ÉÖåÇäãá ÉíäÇäÈááÇ ÉÑÏÇÈãáÇ« ÁÇÔäÅ », Al3omk, 22 Aout 2019. . [en ligne] : ÁÇÔäÅ íÈÑÛãáÇ ÞãÚáÇ - äííäíØÓááá ÇãÚÏ »ÉíÑÕäÚáÇæ ÒííãÊáÇ ÉÖåÇäãá ÉíäÇäÈááÇ ÉÑÏÇÈãáÇ« ( al3omk.com). 236 NASSAR A., « ÉíåÇÑßáÇ ÈÇØÎ ÉåÌÇæãæ äÇäÈá », Al-Arab, 24 Aout 2019. [en ligne] : | ÉíåÇÑßáÇ ÈÇØÎ ÉåÌÇæãæ äÇäÈá ÈÑÚáÇ ÉíÍÕ | ÑÇÕä ÏíÏÚ ( alarab.co.uk) 237 SANAA T., « Liban : l'inquiétude s'empare des Libanais après les « fatwas » de Hassan Nasrallah, Menanews, 11 Octobre 2021. [en ligne] : Liban: l'inquiétude s'empare des Libanais après les «fatwas» de Hassan Nasrallah - MENANEWS.info. 238 Slogan utilisé par plusieurs Chrétiens libanais pour insister qu'ils vont survivre dans le pays. Il y'a même une page Facebook qui a été créée sous ce nom. [en ligne] : (1) ÞÏÊ ÇäÓÇÑÌ áÖÊ ÇÏÈ äíã äíÏÈáÇÇ ÏÈ ìáÅ íÍíÓã | Facebook.
65 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. Figures 1-2 : Photos personnelles d'un jeune chrétien entrain de sonner la cloche de l'église à Zahlé le dimanche électoral 2022. Figure 3 : Photo personnelle des drapeaux des FL à côté d'un monument religieux chrétien à Zahlé le dimanche électoral 2022. s'accrochent à côté des monument religieux pour jouer sur les sentiments et les émotions d'appartenances religieuses chez le peuple (figures 3 et 4). 66 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. 5) Au niveau socio-économique: Le consociationalisme politique et ses conséquences Transparency International définit la corruption comme étant un « abus de pouvoir reçu en délégation à des fins privées »239. Dans son article « La corruption au Liban : les racines du mal »240, Joseph Maïla a précisé que trois éléments constituent la corruption : le clientélisme politique, la fragilité des institutions effectives de droit et la culture civique. Tandis que dans son article « Le clientélisme s'est adapté à la situation économique au Liban »241, Bassel Salloukh a défini le clientélisme comme étant « une relation verticale entre ce qu'on appelle un « patron » et un « client ». Il s'agit pour le patron de donner au client accès à des ressources extraites de l'Etat, en échange de son allégeance politique. La récompense du client peut prendre de nombreuses formes : emplois dans le secteur public, marchés publics, aides aux plus démunis... »242. Salloukh a ajouté que dans la cas Libanais, la relations entre patron et client se renforce dans le système communautaire sous le nom de « consociationalisme »243 permettant aux leaders politico-confessionnels de mobiliser leurs communautés. Au Liban, la socialisation politique, renforcée par le consocialionalisme, permet aux dirigeants politiques de garder leur pouvoir sur le peuple de leurs communautés. En d'autres termes, la corruption et le clientélisme politique sont au fondement du système politique Libanais vu la fragilité et la faiblesse de l'Etat asservi aux confessions. C'est à travers la redistribution des ressources que les leaders confessionnels gardent la fidélité et l'identité confessionnelle de leurs peuples. Ce qui a créé la cleptocratie redistributive d'après Ghassan Salamé. Comme nous avons déjà vu dans le premier paragraphe (1) de la partie II, section B, le confessionnalisme politique a sans doute renforcé et protégé la corruption et le clientélisme politique. C'est à travers le Pacte National et le Taëf que les institutions publiques se reposent sur un mode de fonctionnement clientéliste. En réalité, le communautarisme n'est qu'une manière pour gouverner, c'est un mode de gouvernance. Le fait d'avoir un système communautaire ne signifie pas forcément le clientélisme et la corruption. Mais dans le cas Libanais, et d'après Maïla, « c'est le lien clientéliste basé sur la relation entre un dirigeant local ou national et des hommes inféodés à lui en échange de leur soutien qui fait problème »244. C'est d'abord la nature de la classe dirigeante guerrière qui a pris sa légitimé à travers le Taëf et ensuite la fragilité de l'Etat supposé de droit en sortant de la guerre civile qui ont mené à la corruption totale et la dépendance économique du peuple de leurs dirigeants politico-confessionnels. En effet, pour protéger leurs intérêts personnels et politiques, les élites politiques, sous la jouissance de l'immunité politique, ont augmenté les ressources de leurs partis à travers le détournement des revenus étatiques et des aides internationales envoyées 239 Transparency International, « Corruption en général », TI Suisse. [en ligne] : Corruption en général | Transparency International Suisse. 240 MAÏLA J., « La corruption au Liban : les racines du mal », L'Orient-Le Jour, 20 Janvier 2021. [en ligne] : La corruption au Liban : les racines du mal - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com). 241 SALLOUKH B., « Le clientélisme s'est adapté à la situation économique au Liban », Le Commerce, 27 Janvier 2021. [en ligne] : Bassel Salloukh : « Le clientélisme s'est adapté à la situation économique au Liban » ( lecommercedulevant.com). 242 Ibid. 243 Ibid. 244 MAÏLA J., « La corruption au Liban : les racines du mal », op.cit. 67 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. pour secouer le Liban toujours endetté et en difficultés. Ces processus, avec les activités de financement illégales, ont affaibli le système économique national. L'exemple le plus pertinent du clientélisme politique au Liban réside dans l'évolution du nombre d'embauches dans le secteur public. Vu qu'un renforcement des quotas confessionnels s'est imposé au sein des administrations étatiques suite au Taëf, la qualité du travail est restée la même tandis que le nombre d'employés s'est explosé. En 1975, il y'avait 75 000 employés augmentés jusqu'à 175 000 en 2000 et 300 000 en 2017. A travers le renforcement des avantages ministériaux, le critère confessionnel est devenu la condition principale pour embaucher, l'appartenance politico-confessionnel augmente les chances d'embauchement selon le parti politique responsable de chaque institution. Sachant que l'accès aux ressources dépend d'une ministère à une autre, Salloukh a remarqué qu' « une personne pauvre sent qu'elle a plus d'intérêts en commun avec une personne riche issue de son groupe confessionnel qu'une personne pauvre de confession différente »245. A travers cette analyse, nous pouvons conclure que la divergence socio-économique du peuple libanais est utilisée par les élites politico-confessionnels d'une part pour financer leurs partis et d'autres part pour dominer financièrement leurs peuples communautaires. En plus, la corruption et le clientélisme créé une sorte de décalage socio-économique entre les différents parti politico-confessionnels. Ce décalage dépend du financement externe des partis, des ministères qu'ils régissent, des postes qu'ils occupent et de leurs représentations au sein des institutions. Depuis automne 2019, la situation économique n'a fait qu'empirer au Liban. Déjà en 2016 quand le FMI a sorti un rapport pointant l'immense faiblesse financière du Liban et le risque d'une crise économique face aux flux de réfugiés syriens (déjà 1.03 million enregistrés auprès du HCR en 2015)246, la Banque Centrale du Liban et son gouverneur Riad Salamé ont supprimé 14 pages de ce rapport247. Trois ans plus tard, le Liban a plongé dans sa plus grande crise économique depuis la guerre civile. Dans un rapport intitulé « Le naufrage du Liban » publié en juin 2021, la BM a placé cette crise économique parmi les trois pires crises au niveau mondial depuis le XIXème siècle248. Cette crise est le résultat de 30 ans de corruption et de clientélisme, elle s'est empirée en 2019 avec les manifestations (« Révolution » du 17 Octobre) qui ont bloqué le pays pour plusieurs mois, la crise sanitaire du Covid-19 et les restrictions qui l'ont accompagnée et enfin la double explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 qui a ralentie le commerce libanais et a détruit plusieurs quartiers de Beyrouth. Lebanon Economic Monitor 245 SALLOUKH B., « Le clientélisme s'est adapté à la situation économique au Liban », op.cit. 246EL KHOURI-TANNOUS D., BAUTES N., BERGEL P., « Les réfugiés de guerre syriens au Liban (20112016). Quel accès à la ville pour des citadins indésirables? », Espaces et sociétés, vol. 172-173, no. 1-2, 2018, p. 38. 247 HAGE BOUTROS P., « la BDL a caviardé un rapport alarmant du FMI, avec son accord, en 2016, selon la presse suisse », L'Orient-Le Jour, 07 Octobre 2021. [en ligne] : La BDL a caviardé un rapport alarmant du FMI, avec son accord, en 2016, selon la presse suisse - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com). 248 SUDOUEST.FR, AFP, « Liban : pourquoi la crise économique est l'une des pires au monde depuis 1850 », SudOuest, 01 Juin 2021. [en ligne] : Liban : pourquoi la crise économique est l'une des pires au monde depuis 1850 ( sudouest.fr). Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. (LEM) dans «The Deliberate Depression»249 a confirmé que la réponse des autorités libanaises à ces défis ont été extrêmement insuffisantes et cela est dû au clientélisme et à la corruption. Figure1 :Graphes montrant l'évolution de la crise économique libanaise entre 2010 et 2020 en fonction du PIB, la dette publique, le déficit publique et le taux de change. Source : FMI, HCR, AFP, Gouvernement libanais, lirarate.com. Figure 1: Graphe montrant l'évolution du taux de change de la livre libanaise face au dollar par rapport aux évènements qui ont touché le Liban de 1964 jusqu'à mars 2021. Sources : Banque du Liban, AFP. Comme résultat de cette inflation (voir figures 1 et 2), la monnaie nationale qui est officiellement fixée à 1.507 livres libanaises pour un dollar depuis 1997, à perdu dans deux ans 95%250 de sa valeur sur le marché. Le 4 janvier 2022, la livre libanaise a franchi la barre des 30 000 L.L contre 1 Dollar Américain251. Le PIB du Liban est passé environ 55 milliards de dollars en 2018 à 20.5 milliards de dollars en 2021252. Les dépôts bancaires des épargnants en devises étrangères sont bloqués depuis le début de cette profonde crise économique et financière. Selon la CESAO253, en 2021, le taux de pauvreté multidimensionnelle au Liban était 82% sachant qu'en 2019 il était 42%. Le salaire minimum au Liban représente à peine 25$/mois aujourd'hui. Au niveau social, les résultat de cette crise sont drastiques, selon l'Administration Centrale de la Statistique (ACS) le chômage a dépassé les 30%254 et les conditions de vie sont devenues extrêmement difficiles. Avec la crise énergétique, le secteur de l'énergie ne fournit que deux heures255 d'électricité par jour. Les familles et citoyens vivant dans les campagnes ne peuvent plus acheter des carburants pour chauffer leurs maisons et beaucoup de citoyens ont perdu leur travail à cause de la pénurie des marchandises et des produits essentiels du marché libanais. La dévaluation de la livre libanaise rend inaccessible le paiement de médicaments et des soins hospitaliers, alors que les tarifs de remboursement de 68 249 HARAKE W., JAMALI I., ABOU HAMDE N., Lebanon Economic Monitor : The Deliberate Depression, World Bank Group, no. 154631, vol. 01, Novembre 2020, Lebanon, 90 p. 250 AFP, « La livre libanaise atteint un plus bas record face au dollar », ArabNews, 05 Janvier 2022. [en ligne] : La livre libanaise atteint un plus bas record face au dollar | Arabnews fr. 251 OLJ, « Au 4eme jour de 2022, la livre franchit la triste barre des 30.000 L.L contre le dollar », L'Orient-Le Jour, 04 Janvier 2022. [en ligne] : Au 4e jour de 2022, la livre franchit la triste barre des 30.000 LL contre le dollar - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com). 252 WEHBE E., « Où en sont les discussions entre le Liban et le FMI », L'Orient-Le Jour, 29 décembre 2021. [en ligne] : Où en sont les discussions entre le Liban et le FMI ? - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com). 253 ONU, « Les trois quarts des libanais ont plongé dans la pauvreté, selon l'ONU », ONU Info, 03 Septembre 2021. [en ligne] : Les trois quarts des Libanais ont plongé dans la pauvreté, selon l'ONU | ONU Info ( un.org). 254 GEMAYEL F., « Au Liban, le taux de chômage avoisine désormais les 30% selon l'ACS », L'Orient-Le Jour, 12 Mai 2022. [en ligne] : Au Liban, le taux de chômage avoisine désormais les 30% selon l'ACS - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com). 255 ROTIVEL A., « Au Liban, vivre avec moins de deux heures d'électricité par jour », La Croix, 10 Octobre 2021. [en ligne] : Au Liban, vivre avec moins de deux heures d'électricité par jour ( la-croix.com). 69 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. l'Assurance-maladie n'ont pas été ajustés256. Selon la société al-Douwaliya lil Maaloumat, 61924257 Libanais ont quitté le Liban entre la mi-janvier et la mi-novembre 2019. Selon le président de l'ONG locale « Labora », dans les 4 premiers mois de l'année 2021, 230 000258 citoyens avaient émergés du Liban. La situation est devenue tellement grave que des libanais risquent leurs vies dans la méditerranée pour échapper du Liban259. Nous pouvons penser que les manifestations de 2019 et la crise économique flagrante dont passe le pays aujourd'hui vont affaiblir cette classe politique qui n'a plus de financement étatique due à la faillite de l'Etat, mais en réalité, plusieurs partis profitent de cette situation pour renforcer leur emprise en distribuant des colis alimentaires, en payant des factures et en donnant accès aux vaccins contre le Covid et aux hôpitaux. Le Hezbollah par exemple, a lancé en juin 2021, en pleine crise économique, une carte al-Sajjad qui permet aux bénéficiaires d'avoir des réductions au moins de 50% sur des produits de première nécessité de la chaine de supermarchés Al-Nour. En effet, la somme que chaque famille peut dépenser dépend de sa situation, les bénéficiaires peuvent dépenser entre 300 000 et 450 000260 L.L/mois. Tous ces événements ont bien sûr fragilisé le système politique, mais les dirigeants n'ont pas mis longtemps pour comprendre qu'ils pouvaient utiliser le clientélisme politique dans cette situation précise pour renforcer leurs bases. Evidemment il n'avaient plus de ressources comme avant avec un Etat en défaut de paiement, alors ils ont réorganisé la redistribution des fonds. Certains partis ont choisi de cibler les plus pauvres de leur public, d'autres se sont retournés vers les hommes d'affaires et les plus riches de leurs partis en demandant du financement vu que ces hommes sont devenus riches grâce à la redistribution des fonds étatiques par les partis (ils se sentent contraignis), et enfin des partis essaient d'inclure la diaspora confessionnelle pour faire rentrer de l'argent étrangère fraiche dans leurs comptes. La question qui se pose aujourd'hui par les économistes et les politistes concerne la durée d'adaptation du clientélisme à la crise économique actuelle face à une majorité populaire affamée. Dans un pays où la corruption est devenue une culture, une collaboration se fait entre ceux qui corrompent et ceux qui se laissent corrompre. Au Liban, rien ne semble fonctionner sans le recours aux moyen illicites. C'est l'éducation civique que le peuple a appris et vu. Que pouvons-nous attendre de générations qui n'ont vu que la corruption, et qui ont expérimenté que sans support politique ils n'arrivent nulle part. Maïla a insisté sur le fait que la corruption est devenue une mentalité et l'Etat est considéré inexistant chez le peuple libanais261. Cette situation nous fait penser à la citation de Montesquieu dans l'esprit des lois (1748) : « Lorsque dans une république les lois cessent d'être exécutées, l'Etat est déjà perdu ». Ishac Diwan et 256 SALLON H., « Au Liban, le calvaire des malades du cancer pour se payer des soins », Le Monde, 29 Décembre 2021. [en ligne] : Au Liban, le calvaire des malades du cancer pour se payer des soins ( lemonde.fr). 257 MAROUN B., « Ces Libanais qui ne veulent plus qu'une chose : partir », L'Orient-Le Jour, 10 Juillet 2020. [en ligne] : Ces Libanais qui ne veulent plus qu'une chose : partir - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com). 258 AA., « Liban : 230 Mille citoyens ont émigré en 4 mois », AA.com, 18 Octobre 2021. [en ligne] : Liban : 230 mille citoyens ont émigré en 4 mois ( aa.com.tr) 259 MOUSSET B., BOULET A., « Les Libanais nouveaux migrants en mer Méditeranée », Franceinfo, 12 Janvier 2022. [en ligne] : Les Libanais nouveaux migrants en mer Méditerranée ( francetvinfo.fr). 260 M.R., « Le Hezbollah élargit sa panoplie d'aides sociales, mais comment et combien peut-il tenir? », Le Commerce Du Levant, 03 Juin 202. [en ligne] : Le Hezbollah élargit sa panoplie d'aides sociales, mais comment et combien peut-il tenir? ( lecommercedulevant.com) 261 MAÏLA J., « La corruption au Liban : les racines du mal », op.cit. Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. Jamal Ibrahim Haidar ont fait une étude en juin 2016 sur le sujet de la corruption libanaise, et ils ont insisté que « Le Liban se caractérise par un environnement de «deals» plutôt que de «règles», qui avantage la création d'emplois à court terme, mais ce clientélisme étouffe la croissance et la création d'emplois à long terme »262. Ce remplacement des « règles » par les « deals » a causé la perte de confiance en l'Etat libanais de la part de son peuple et surtout ses jeunes. D'après un sondage cité par le Magazine The Economiste fait par le Lebanese Center for Policy Studies, le trois quarts263 des jeunes libanais croient que sans connexion politique on n'est pas capable de trouver un travail au Liban. Après avoir vu que la socialisation politique est confessionnelle au Liban et qu'elle remplace la socialisation politique nationale à plusieurs niveaux (identitaire, d'état civil, éducatif, psychologique et socioéconomique), il est important de voir que les habitus de cette socialisation politique confessionnelle sont renforcés par le manque de réconciliation qui elle-même est bloquée par la socialisation politique confessionnelle. En d'autres termes, la socialisation politique confessionnelle au Liban bloque la vraie réconciliation post-guerre civile, mais la réconciliation est la solution pour sortir de la socialisation politique confessionnelle (IV). Au Liban : HADDAD Nisrine- Mémoire 2021-2022 70 262 ROZELIER M., « Comment le Clientélisme politique entrave l'emploi au Liban », Le Commerce Du Levant, 01 Mars 2017. [en ligne] : Comment le clientélisme politique entrave l'emploi au Liban ( lecommercedulevant.com) 263 Ibid. 71 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. IV. La réconciliation: salvatrice de la socialisation politique nationale et bloquée par la socialisation politique confessionnelle. « Dans ce pays si tous les citoyens ne s'aiment pas, on n'aura jamais un vrai Etat, et si les citoyens ne se réconcilient pas comme avant, le Musulman aime le Chrétien et le Chrétien aime le Musulman et s'entendent entre eux, on n'aura jamais un vrai Etat, nous resterons comme des moutons »264- Les paroles d'un homme chiite libanais qui a participé à la guerre civile de 1975. Les paroles de ce monsieur le dimanche électoral, le jour où il y'a le plus des discours sentimentaux et de « tirage de nerfs confessionnels » par les dirigeants politiques, montre que même dans les moments les plus instinctifs confessionnellement au Liban, même parmi les personnes les plus touchées par la guerre, il existe des citoyens qui comprennent l'importance de la réconciliation pour sortir de la socialisation politique confessionnelle. La réconciliation est une nécessité au Liban265 et trois formes sont exigées pour atteindre une à tous les niveaux (A), mais en pratique, outre les limites mentionnées dans la deuxième partie du mémoire, un cercle vicieux bloque toute initiative de réconciliation alimenté par la socialisation politique confessionnelle (B). A. En théorie : trois types de réconciliations doivent être faitesLa réconciliation par le dialogue interreligieux crée un besoin mutuel entre toutes les confessions de vivre ensemble en écartant les religions comme motif pour s'éloigner l'un de l'autre (1), mais dans le cas libanais, l'absence de mémoire commune de guerre rend ce type de réconciliation insuffisant pour vivre ensemble et cela à cause de l'absence de vérité et de justice, d'où l'importance du deuxième type de réconciliations menant à une mémoire de guerre commune (2) et à l'éducation seine des jeunes (3). 1) La réconciliation par le dialogue interreligieux En parlant de la réconciliation libanaise, la première chose qui passe dans la tête de n'importe quelle personne, qu'elle soit spécialiste ou pas, est le système communautaire mis en place pour régler le multiconfessionnalisme libanais. Et cela pour une et simple raison, déjà expliquée en détails, qui est que le communautarisme est à la base de la guerre civile et renforce encore plus la socialisation politique confessionnelle. Alors en parlant de la réconciliation au Liban, nous devons commencer par le problème de base déclenchant de cette guerre et des tensions l'entourant, qui est la mal gestion socio-politique de la diversité confessionnelle à travers les années. Par la suite, le réflexe naturel, en évoquant la réconciliation au Liban, est de proposer des solutions concernant la pluralité confessionnelle libanaise, dont la mal gestion a 264Interrogations du dimanche électoral, « Citoyen chiite », 15 Mai 2022, 2022, Zahlé, 20 sec. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1hLqsDqiZqsWAMnXqZxjqx2g7-iN5KGsG/view?usp=sharing. 265 Référence Partie II, A. 72 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. créé un système communautaire, qui à son tour a renforcé la socialisation politique confessionnelle devenue au coeur de ce système. Une des solutions les plus étudiées par des chercheuses et chercheurs sur le sujet de la réconciliation libanaise est le dialogue interreligieux. Les finalités de cette solution ont même été introduites dans la définition de la réconciliation nationale libanaise regroupant « la normalisation des relations intercommunautaires et religieuses »266. Il existe plusieurs courants de visions de la réconciliation par le dialogue interreligieux libanais ; un courant considère que ce dialogue est la vocation du Liban, le destin du Liban et même appelle l'ONU à considérer le Liban comme pays de dialogue universel, c'est le cas de William Zard Abou Jaoudé, Edouard Alam et Guitta Hourani qui ont lancé l'association LDI267 (Lebanese Dialogue Initiative) en 2013 en collaboration avec l'Université Notre-Dame de Louaïzé pour organiser annuellement des forums internationaux pour prôner la paix, le dialogue et l'entente. Un autre courant considère que le Liban est le « laboratoire du dialogue interreligieux », c'est le cas de Harès Chehab, le secrétaire général du Comité national islamo-chrétien pour le dialogue (CNICD)268, et de tout le comité. Fouad Abou Nader considère même que le Liban est le laboratoire du dialogue interreligieux pour tout le Moyen-Orient269. Et finalement, un troisième courant considère que le dialogue interreligieux forme le fondement du « Liban message ». Cette appellation a été lancée par le pape Jean-Paul II durant sa visite en 1997 en insistant que « le Liban est plus qu'un pays, c'est un message, un message de liberté et de coexistence »270. Durant son discours, Jean-Paul II s'est adressé aux Musulmans et Chrétiens libanais en demandant une réconciliation interreligieuse271. « Une caractéristique du dialogue inter-religieux est de chercher à dépasser les antagonismes et les conflits. Apprendre à connaitre l'autre, c'est faire tomber peu à peu clichés et stéréotypes »272. Dans son article, Geneviève Comeau a montré l'importance du dialogue interreligieux pour surpasser les conflits et à connaitre nos compatriotes. En effet, dans un pays multiconfessionnel, le dialogue interreligieux rend la cohabitation et la paix plus simples à atteindre vu que chaque partie comprenne l'autre et fait tomber les préjugés « clichés ». Si nous projetons cette théorie sur la situation libanaise, nous ne devons pas oublier que la confession au Liban n'est pas limitée à la simple religion mais elle est devenue un parti politique influençant toute une communauté et initiant une guerre civile, ce qui rend la tâche du dialogue interreligieux pour construire la paix encore plus compliquée mais pas impossible. D'après 266 CHRABIEH P., « Pratiques de réconciliation au Liban : un état des lieux », op.cit., p. 230. 267 MEYER C., « Parce que le Liban se veut une terre de réconciliation », L'Orient-Le Jour, 06Novembre 2017. [en ligne] : Parce que le Liban se veut une terre de réconciliation... - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com). 268 OLJ, « ISLAM-CHRETIENTE Harès Chéhab : le Liban est un véritable laboratoire de dialogue », l'Orient-Le Jour, 27 Mai 2004. [en ligne] : ISLAM-CHRÉTIENTÉ Harès Chéhab : Le Liban est un véritable laboratoire de dialogue - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com). 269 ABOU NADER F., Liban : Les défis de la liberté, le combat d'un chrétien d'Orient, op.cit., p. 30. 270 ZENIT STAFF, « Le dialogue interreligieux, par l'ambassadeur du Liban près le Saint-Siège. Analyse de l'embassadeur Abi Assi », Zenit, 07 Juin 2007. [en ligne] : Le dialogue interreligieux, par l'ambassadeur du Liban près le Saint-Siège - ZENIT - Francais. 271 GEORGES L., « Jean Paul II veut contribuer à la réconciliation nationale au Liban », Le Monde, 10 Mai 1997. [en ligne] : Jean Paul II veut contribuer à la réconciliation nationale au Liban ( lemonde.fr). 272 COMEAU G., « Contribution du dialogue inter religieux à la paix », Revue Projet, vol. 281, no. 4, 2004, p. 53. 73 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. Paméla Chrabieh273 la réconciliation à travers le dialogue interreligieux suppose deux dimensions : la première étant la dimension institutionnelle et la deuxième universitaire. Le premier dialogue doit se faire entre les institutions confessionnelles, par exemple entre le Conseil Supérieur chiite, le Patriarcat maronite et Dar al Fatwa sunnite, et après ces institutions doivent initier des dialogues entres leurs communautés. Tandis que le deuxième doit se faire à l'initiative des académiques, que ça soit à travers des recherches, des colloques, des conférences, des débats, des sommets, de publications ou même des déclarations. Depuis la fin de la guerre civile, des initiatives académiques et institutionnelles se sont multipliées sur le sujet de la réconciliation à travers le dialogue interreligieux ; nous avons déjà cité l'association LDI et le CNICD, il y'a aussi des travaux de divers universités comme l'USJ, la AUB, l'université de Balamand, l'université Libanaise et autres. Même des association locales et des ONG travaillent sur le sujet, comme c'est le cas de l'ONG « One Lebanon » et de l'Institut catholique de la Méditerranée qui organise des colloques en partenariat avec des divers autres institutions comme celle des Sciences religieuses de l'USJ (ils ont organisé un Colloque à Marseille le 27 janvier 2007274). Ajoutons à cela que des ONG internationales sont impliquées dans le sujet du dialogue interreligieux libanais comme par exemple « Search For Common Ground » qui initie plusieurs projets dans toutes les régions libanaises pour consolider la paix à travers des sessions de dialogue entre des différents citoyens ayant des différents profils. Chrabieh a confirmé que les personnes prenant part à ces évènements « affirment souvent que le dialogue enrichit les participants et participantes. Il ouvre de nouveaux horizons intellectuels ou apporte une compréhension théologique plus profonde. En ce sens, dialoguer, c'est chercher une voie de partenariat sans renier sa vérité individuelle. L'idée est de constamment chercher à restaurer le lien, et non à le désintégrer»275. En réalité, trois types de dialogues interreligieux sont envisagés, le premier étant spirituel, le deuxième concerne les textes et la coopération et le troisième gère la vie commune entre les confessions au sein de la société. Depuis la fin de la guerre civile libanaise, la majorité des initiatives de dialogue ont été prises dans le domaine des deux premiers types mais rarement du troisième. Par exemple, en 2009, un décret a été signé promulguant la fête de l'Annonciation comme étant une fête nationale islamo-chrétienne, chômée. Depuis lors, le jour de l'Annonciation (le 25 mars) est considéré comme un jour férié national symbolisant la cohabitation islamo-chrétienne libanaise. Un évènement est organisé chaque année dans le collège jésuite Notre-Dame de Jamhour assisté par des Hauts fonctionnaires et des Homme politiques et religieux de toutes les confessions, durant lequel des chants et des prières de toutes les confessions ont lieux. Ce « rituel de communication »276 (notion de Peter Van der Veer), est devenu un rituel fortement médiatisé pour montrer une image de relation « saine » entre 273 CHRABIEH P., « Pratiques de réconciliation au Liban : un état des lieux », op.cit., p. 230. 274 RADA, « Colloque le 27 janvier « le dialogue interreligieux entre théologie et politique », Marseille-Liban, les informations sur le Liban à Marseille, 23 Janvier 2007. [en ligne] : Colloque le 27 janvier"Le dialogue interreligieux entre théologie et politique" | ( marseille-liban.com). 275 CHRABIEH P., « Pratiques de réconciliation au Liban : un état des lieux », op.cit., p. 230. 276 VAN DER VEER P., Religious nationalism : Hindus and Muslims in India, Londres, Berkeley, 1994, Los Angeles, University of California Press, 247 p. 74 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. les deux religions. Anne-Françoise Weber277, comme d'autres spécialistes de l'interreligieux, a considéré cet événement comme une institution de la religion civile libanaise à travers un dialogue médiatisé. L'Annonciation islamo-chrétienne est considérée comme un dialogue interreligieux spirituel (type 1). Plusieurs associations travaillent sur ce type de dialogue comme « le Comité national pour le dialogue ; le congrès permanent pour le dialogue libanais ; Adyân, la fondation libanaise pour les études interreligieuses et la solidarité spirituelle ; Darb Maryâm « le chemin de Marie » Mouvement islamo-chrétien de dialogue et d'échange ; Ma'ân hawla sayyidetnâ Maryâm « Ensemble autour de Marie, Notre Dame » fondée par Nagy Khoury, Muhammad Nokkari et Ibrahim Shams al-Din »278. Le deuxième type de dialogue interreligieux est plutôt textuel et tourne autour de la coopération. Il ne concerne pas les pratiques spirituelles et la prière comme le premier type mais tourne autour de la façon de gérer les choses au niveau national et éthique. Ce type de dialogue concerne par exemple toute question de droit humain, d'écologie, de droit de la femme, de liberté d'expression, etc. Ce sont des notions régissant toute question de justice et de paix en travaillant avec d'autres personnes ayant d'autres traditions et visions. Ceux qui gèrent ce type de dialogue sont plutôt des associations qui se multiplient avec le temps, comme Offre-joie, Laïque Pride, KAFA, Women in Front et autres. Le troisième type de dialogue est le dialogue de vie, il a surtout été traité par Pamela Chrabieh, il concerne le mode de vivre ensemble dans une même société, dans les mêmes écoles et les mêmes quartiers. « Le dialogue de vie prouve en quelque sorte qu'il ne suffit pas de reconnaitre les fondements et les objectifs du dialogue mais d'adopter une manière d'agir et, plus encore, une manière d'être en développant des relations riches et multiples »279. Outre Chrabieh, plusieurs auteurs ont travaillé sur ce type de dialogue comme Nada Raphael280 et Georges Corm281 qui mettent la lumière sur le manque de ces dialogues et sur leur importance pour une convivialité réussite. Ce troisième type de dialogue est le plus rare au Liban parce qu'il est le plus contraignant. Il ne concerne pas les religions en tant que telles ni les questions superficielles sociétales, mais il concerne la socialisation politique confessionnelle. C'est le dialogue socio-politique qui doit avoir lieu pour partager les maux de la guerre civile entre tous les partis politico-confessionnels, pour pouvoir trouver la vérité et créer une mémoire commune qui mène à une identité commune et à une socialisation politique nationale commune. Ce dialogue de vie n'est pas un simple dialogue interreligieux, c'est un dialogue inter-politique qui rapproche les partis de guerre en trouvant la vérité qui mène à des mémoires individuelles réconciliées pour créer une mémoire collective commune (2). 277 WEBER A.F., Le Cèdre islamo-chrétien. Des libanais à la recherche de l'unité nationale, Baden-Baden, Nomos, 2007, 255 p. 278 CRIVELLO, M., DIRÈCHE K., Traversées des mémoires en Méditerranée : La réinvention du « lien ». XIXe-XXe siècle., Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2017, pp. 97-107. 279 CHRABIEH P., « Pratiques de réconciliation au Liban : un état des lieux », op.cit., p. 232. 280 RAPHAEL N., Trait d'union Islam-Christianisme, Beyrouth, Arab Printing Press, 2009,p. 693. 281 CORM G., Histoire du pluralisme religieux dans le bassin méditerranéen, Paris, Société nouvelle Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1998, 321 p. 75 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. 2) La réconciliation par la justice et les travaux de mémoire « If there is an open and serious memorialisation program, where people can say out their minds, people can actually realize that it's possible for all Lebanese to win and no one has to lose »282- Paroles de Monsieur Maxwell Saungweme, directeur de l'ONG internationale Search For Common Ground durant notre entretien. Le traumatisme de la guerre civile libanaise, cédé d'une génération à une autre et qui diffère selon les confessions renforçant l'extrémisme politico-confessionnel et la socialisation politique, ne peut être résolu sans un vrai travail de mémoire au sein du peuple libanais. En observant le nombre de dossiers non traités283, que ça soit celui des disparitions forcées, des fosses communes non enquêtées ou bien des crimes de genre, et l'effet du non traitement de ses dossiers sur les victimes, leurs parents et les nouvelles générations, nous pouvons déduire que la vérité et la justice sont obligatoires pour avoir une vraie réconciliation nationale. Sans vérité les crimes commis durant la guerre ne seront jamais reconnus et par la suite la justice restera toujours bloquée. Pour avoir une vérité nous avons besoin d'un travail de mémoire au niveau institutionnel et étatique, suite à la vérité et au traitement des dossiers mis à part par les autorités libanaise, nous pouvons avoir des mémoires individuelles réconciliées formant une mémoire collective libanaise commune. « La mémoire est liée à la vérité, la mémoire est liée à la justice et c'est une forme de la justice »284, pareil que l'experte libanaise en justice transitionnelle Carmen Abou Jaoudé, la quasi-totalité des recherches, des rapports et des travaux faites sur les sujets de la réconciliation libanaise et du manque de justice suite à la guerre civile mettent la lumière sur l'importance du travail de mémoire. Aïda Kanafani-Zahar par exemple a commencé son article par la phrase suivante : « La reconstitution de la mémoire de la guerre illustre un besoin conscient de vivre ensemble. Ce faisant, les gens écartent la religion comme une raison de distance et de conflit. Pour une partie des Libanais, la guerre est restée incompréhensible, et cela même par le côté confessionnel qu'elle prit. L'interrogation d'une femme maronite, déplacée en 1983 et qui est revenue à son village dix ans plus tard, illustre ce point : «Pourquoi a-t-on été déplacé, pourquoi est-on revenu ? On ne sait pas. Pourquoi aurait-on des problèmes au retour puisqu'on n'avait aucun problème avant ?» »285 , les paroles de cette dame déplacée illustrent l'importance psychologique de comprendre la vérité pour surpasser le traumatisme de la guerre et vivre normalement. Dans un entretien avec Samir Kassir accordé à Amnesty International, le philosophe et journaliste confirme qu' « un travail de mémoire aurait dû et devra être pris en charge par une institution ou un organisme semblable à la Commission Justice et Réconciliation mise sur pied en Afrique du Sud après la disparition du régime d'apartheid », permettant de « déboucher sur la requalification de certains crimes de guerre en crimes contre 282 Annexe 1, « Interviews faites au Liban », Monsieur Maxwell Saungweme, 24 Mai 2022, SFCG HQ, 00 :08 :39, p. 15. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1w8kx1wWWKBOc1vd7Kym2FYXZx9Bk5xci/view?usp=sharing. 283 Référence partie II., A., (1). 284 ABOU JAOUDE C., « Carmen Abou Jaoudé: Du travail de mémoire libanais inachevé », IciBeyrouth, 15 Avril 2022. [en ligne] : Carmen Abou Jaoudé: Du travail de mémoire libanais inachevé - ( icibeyrouth.com). 285 KANAFANI-ZAHAR A., « Liban, mémoires de guerre, désirs de paix », La pensée de midi, vol. 3, no. 3, 2000, p. 75. 76 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. l'humanité », pour après rajouter qu'« à l'avenir, il faut amender la loi d'amnistie en renonçant à la distinction qu'elle établit entre, d'une part, les crimes « ordinaires » et d'autre part les assassinat politiques et les atteintes à la sureté de l'Etat. Comme si toute la guerre n'était pas en soi une atteinte à la sureté de l'Etat ». Le philosophe libanais a parlé de la nécessité de requalifier des crimes de guerre oubliés par les autorités libanaises en crimes contre l'humanité et continus pour pouvoir poursuivre leurs auteurs amnistiés. Dans son rapport sur les disparitions forcées et les détentions au secret, le CLDH a demandé la même chose : « Nous demandons à ce que certains crimes de guerre soient requalifiés en crimes contre l'Humanité et ne soient ainsi plus couverts par la loi d'amnistie de 1991. »286. En plus, Kassir a mis l'accent sur l'importance d'amender la loi d'amnistie et ses effets sur le renforcement de l'impunité après la guerre civile287. Pareil, le rapport de LAW sur les crimes de genre durant la guerre civile libanaise a émis 5 recommandations pour une réconciliation nationale dont 4 tournent autour d'un travail de mémoire : « (1) Increase documentation of women's experiences of gendered crimes during Lebanese Civil Wars in order to counter the male-dominated narrative of the Civil Wars and amplifying survivor and victims' voices. Document sexual violence committed against men during Lebanon's civil wars. (2) Promote truth-telling including through disseminating the findings and recommendations of the gendered crimes research and other complimentary research to a wide range of audiences, including youth, through panels, university lectures, social media campaigns, roundtables, and discussions. (3) Utilize documentation and truth telling to contribute to an environment that is conducive to women's role in truth-seeking, reconciliation, justice, and peacebuilding. Enhance collective healing by truth telling and memorialization of the Lebanese Civil War through a survivor - centered approach and community-based activities. (4) Empower the National Commission of the Missing and Forcibly Disappeared in Lebanon by providing it with information and evidence gathered and support it in the collection of further evidence, to pursue acknowledgement, recognition, and apology to victims and survivors of gendered crimes and other violations and abuses perpetrated during the Lebanese Civil Wars.»288 Même d'un point de vue international, Nadim Houry (Human Rights Watch) a confirmé que « Le Liban ne peut pas avancer sans aborder de manière adéquate les problèmes du passé »289. Plusieurs formes de travaux de mémoire peuvent avoir lieux, comme par exemple la documentation de témoignages de personnes impliquées dans la guerre et de leurs proches (victimes, combattants, leaders, témoins, etc.), pour après les utiliser dans des procédures de promotion de « dire la vérité » (truth telling) (LAW), à travers des organismes semblables à la Commission Justice et Réconciliation (Kassir), à travers la mémoire reconstruite de l'espace (Kanafani-Zahar), à travers des monuments détruits qui rappellent de la guerre civile (Abou Jaoudé), à travers une commission de vérité (Abou Jaoudé), à travers un dialogue entre les 286 Rapport CLDH, op.cit., p. 47. 287 Le renforcement de l'impunité par la loi d'Amnistie est expliqué en détails dans les deux premières parties du mémoire. 288 Rapport LAW, op.cit., p. 44. 289 HRW, « Liban : Il faut mettre en place une Commission nationale d'enquête sur les disparitions forcées », op.cit. 77 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. différentes parties de la guerre civile, à travers des campagnes sur les réseaux sociaux et les médias, etc. Le travail de mémoire le plus urgent et efficace au Liban est celui qui émane de l'Etat, c'est le travail institutionnel étatique qui touche toutes les régions et partis libanais. Le travail de mémoire étatique doit mener à une identification des crimes commis durant la guerre civile à travers des enquêtes sur toutes sortes de dossiers non traités, ces enquêtes doivent inclure les versions de tous les côtés et les témoignages de toutes les parties du conflit. La vérité doit résulter de ces travaux d'enquête et le droit à la vérité doit être assuré à tous les libanais et non-libanais inclus dans la guerre civile. A travers la vérité, les raisons déclenchantes de la guerre civile vont être identifiées et les événements aussi, le sort des 17000 disparus forcément va être révélé et la vérité sur les fosses communes et les victimes de violences sexuelles aussi. Les victimes de toutes sortes de crimes et leurs proches vont finalement recevoir leur droit de savoir, ce droit est pour eux une forme de justice290 d'après Abou Jaoudé. A travers la reconnaissance et l'identification des crimes, les responsables doivent être reconnus et identifiés. Suite à l'expression et l'échange entre tous les côtés et les classes sociales de la guerre civile, à l'identification de la vérité, au traitement des dossiers et à l'identification et la reconnaissance des responsables, le pardon peut avoir lieu au Liban et la page peut se tourner après l'avoir lu et traité. C'est à travers le travail de mémoire et le dialogue interreligieux et confessionnel (1) que les mémoires individuelles vont changer, surtout celles des victimes et de leurs proches, ce qui va mener à une mémoire collective nationale. Cette mémoire collective nationale peut mener à un livre d'histoire commun et à la troisième forme de réconciliation (3). 3) La réconciliation à travers l'éducation des jeunes La réconciliation effective au Liban ne concerne pas uniquement les impliqués directement dans la guerre civile, mais les concernés indirectement qui sont les jeunes et les nouvelles générations. La socialisation politique confessionnelle libanaise cède le traumatisme et les effets de la guerre des grands parents, aux parents, aux enfants et ensuite à leurs enfants qui à leur tour vont les transmettre à leurs enfants si un vrai travail de réconciliation ne prend pas place. En effet, comme nous avons déjà vu dans la partie III, la base de la socialisation politique de l'individu se fonde durant son enfance et adolescence, c'est ce que Durkheim a appelé la socialisation primaire. Vu que le remplacement de la socialisation politique nationale par la socialisation politique confessionnelle renforce l'extrémisme politico-religieux chez les jeunes dans chaque région libanaise (partie III, C), alors la réconciliation doit résoudre ce problème pour être effective et durable. Et cela à plusieurs niveaux ; au niveau académiques (les écoles et les universités) au niveau social institutionnel (associations, scoutisme, ONG, etc.) et au niveau social interactionnel personnel (réseaux sociaux, amis, famille, entourage). Alors c'est un ensemble de plusieurs projets qui doivent prendre place en parallèle et qui impliquent le travail de plusieurs acteurs (école, famille, enseignants, ONG, institutions, organisations, influenceurs, etc.). Mais comme c'est le cas pour les deux premières formes de réconciliation, l'acteur principal doit être l'Etat libanais qui est le seul à avoir le monopole 290 ABOU JAOUDE C., « Carmen Abou Jaoudé: Du travail de mémoire libanais inachevé », op.cit., 06:34. 78 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. d'imposer des curriculums précis et unifiés au niveau scolaire et académique, il peut de même imposer des normes et directives à respecter au niveau institutionnel et sociétal. Au Liban il n'existe pas une éducation civique et politique nationale, comme conséquence, si nous prenons la définition de Boehm de la conscience politique, nous pouvons déduire que la majorité des Libanais n'en n'a pas une. En effet, Boehm considère que la conscience politique est le « faite d'envisager consciemment toutes les directions qui s'offrent à nous et d'expliquer les raisons pour lesquelles celle-ci serait favorable à celle-là »291. Dans le cas libanais, l'individu n'envisage pas « toutes les directions » possibles, il est extrêmement impliqué dans la direction héritée par ses parents et son entourage sans aucune comparaison objective avec les autres points de vues. Durant les interrogations faites le jour des élections législatives de 2022, la majorité des citoyens interrogés n'avaient pas lu le programme électoral de la liste et le candidat pour lesquels ils ont votés. Leurs voix ont été données à la liste du parti politique qu'ils ont l'habitude de suivre ou bien au candidat qui a payé le plus (cleptocratie redistributive, Salamé). Par exemple : - Une jeune libanaise qui vote pour la première fois a répondu à la question « pourquoi avez-vous voté cette année ? » par « parce que je supporte une personne qui m'a aidée à plusieurs reprises. Nous n'avons jamais demandé de l'aide sans qu'elle réponde. Moi personnellement j'ai envoyé plusieurs personnes qui avaient besoin d'aides médicales et de financement pour des opérations chirurgicales et elle leurs a aidées »292. Elle a répondu à la question « avez-vous lu son programme électoral ? » par « Non, je vote pour les personnes qui m'aident »293. - Une femme Libanaise qui vote et travaille pour le Hezbollah a répondu à la question « pourquoi avez-vous voté pour le Hezbollah » par «si tu toques la porte des membres du Hezbollah, ils t'aident. Par exemple en hiver ils m'ont aidé à acheter du carburant à moins cher. Ils regardent les pauvres et ils les aident »294 , « il y'a la carte al-sajjad où je peux faire les courses à moins cher de leurs supermarchés »295, « il ont même fait des cartes vitales pour avoir une sécurité sociale et des cartes d'assurance pour meubler et réparer les meubles de la maison »296 Comme conséquence du clientélisme renforçant et renforcée par la socialisation politique, il n'existe pas une conscience politique au Liban. Par la suite, la vraie réconciliation doit résulter d'une éducation politique et civique des jeunes créant une conscience politique permettant à chaque libanais de voter après avoir consciemment regarder toutes les options possibles. 291 ARTUR J., « La conscience politique », ConscienceChanging, 13 Octobre 2021. [en ligne] : La Conscience Politique - Conscience ( consciencechanging.org). 292 Interrogations du dimanche électoral, « Jeune Libanaise-Premier vote », 15 Mai 2022, Zahlé, 00 :37.[en ligne]: https://drive.google.com/file/d/1CvjYdJ0_lkg_zdh8eFVKsKsYNCd6Kskm/view?usp=sharing. 293 Ibid. 00 : 02 :00. 294 Interrogations du dimanche électoral, « Libanais qui a voté pour le Hezbollah pour les aides financières», 15 Mai 2022, Ain Kafarzabad, 01 : 47 :00. [en ligne]: https://drive.google.com/file/d/1Cwm73dFYLsz4m07ko7R0u0gv9yOwamVk/view?usp=sharing. 295 Ibid. 00 : 02 :50. 296 Ibid. 00 : 03 :45. 79 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. L'importance de la réconciliation par l'éducation des jeunes n'est pas uniquement exprimée par les experts et politologues mais aussi par les partis politiques et la société civile. En effet, la majorité des personnes interviewées considèrent que l'éducation des enfants au niveau politique est la solution pour une vraie réconciliation lente mais efficace à long terme : - Docteur Fayez Araji (extrême gauche) considère que « la seule vraie solution pour le Liban commence par l'éducation civique à l'école. Nos sociétés aujourd'hui sont guerrières, je vois de quoi mon fils discute avec ses collègues à l'écoles et de quoi je discute avec mes amis, ce n'est pas une société de paix », « nous devons apprendre aux enfants que l'histoire libanaise ne se limite pas à l'histoire du Mont-Liban, nous devons apprendre à nos enfants qu'ils ont la liberté politique de suivre qui ils veulent et de respecter les avis politiques des autres, cela à travers une éducation civique qui met le Liban en priorité »297. - Monsieur Dany Fayad (Phalangiste) considère qu'il n'existe pas une éducation politique au Liban, « Nous n'avons pas une bonne éducation ni politique et ni patriotique, ça doit commencer à l'école. Dans les écoles du Hezbollah les enfants apprennent les hymnes de Khomeini avant l'hymne du Liban. Nous avons besoin d'une éducation nationale civique avant tout »298 - Madame Dima Abou Daya (indépendante candidaté sur la liste des FL) insiste que l'éducation civique nationale est la solution. « En tant que maman je peux te dire que tout dépend de ce que nous disons à nos enfants, il y'a une grande différence entre dire que « ton grand-père a été tué par les autres » et de dire « au Liban il y'avait une guerre, mais aujourd'hui nous devons créer un Liban qui nous ressemble tous en tant que LIBANAIS »299 - Monsieur Alain Mounayer (enseignant et cadre des FL) a donné un exemple de son éducation pour montrer l'importance de l'éducation des jeunes à la maison: « Mon papa me disais toujours «quand quelqu'un critique les Islams devant toi, souviens toi de la belle voix du Muezzine» même durant la guerre j'avais la réconciliation dans mon coeur malgré la forte volonté de tuer pour protéger ma maison. La réconciliation est un mode de vie, c'est une éducation à la maison et à l'école »300. - Madame Doha (société civile et experte en résolution des conflits) a critiqué le livre d'éducation civique libanais en insistant sur le fait que nous devons apprendre nos jeunes à critiquer et à poursuivre. « le livre d'éducation civique actuel n'a pas été changé depuis mon enfance et même avant. Il n'est pas un livre intéressant. Il est vraiment inactif. nous devons transmettre aux enfants que la politique est dans la vie 297 Annexe 1, «Interviews faites au Liban », Docteur Fauez Araji, 23 Mai 2022, Zahlé, 01 :06 :30, p. 04. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1D57da5PNK0N8XZkCQWsl7NrETHp1WqVR/view?usp=sharing. 298 Annexe 1, «Interviews faites au Liban », Monsieur Dany Fayad, 19 Mai 2022, Zahlé, 00 :31 :40, p. 06. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/16nZnYaHLjcFbcHUl9FAAMxeLz28jvWIB/view?usp=sharing. 299Annexe 1, «Interviews faites au Liban », Madame Dima Abou Daya, 23 Mai 2022, Zahlé, 00 :10 :10, p. 10. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/15jm8LoDxNV33Vb1CWMl5myrnR--SyEZK/view?usp=sharing. 300 Annexe 1, «Interviews faites au Liban », Monsieur Alain Mounayer, 27 Mai 2022, Zahlé, 00 :27 :45, p. 13. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1FqeRNEOOl3iPk-d9Iom9Xuts277aKduc/view?usp=sharing. 80 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. quotidienne. Nous devons créer un esprit critique chez les jeunes, une volonté de poursuivre et de juger. » 301 - Le psychologue politique Ramzi Abou Ismail (société civile) a mis la lumière sur la nécessité d'avoir un livre d'histoire commun et un livre d'éducation civique commun. Il a ajouté qu'après cette étape, « le ministre de l'éducation en collaboration avec les écoles et les municipalités doivent organiser des activités populaires touchants le plus de tranches de la société »302. - Monsieur Sami Braidy (intellectuel et un enseignant retraité) a critiqué le système éducatif libanais en considérant les écoles comme des fermes. Braidy a ajouté que nous devons sauver l'identité libanaise pour pouvoir se réconcilier, et cela se fait à travers une histoire commune enseignée à nos jeunes.303 »304 Tous ces points de vues nous mènent à conclure que l'éducation civique et politique saine et correcte des jeunes dans leurs familles, leurs écoles et leurs sociétés leurs aide à créer une conscience politique et à réconcilier tout un pays. Avoir une identité commune sur les bases d'une histoire commune et de principes civiques communs (après la réconciliation par les dialogues interreligieux et les travaux de mémoire collective) créé des générations de plus en plus reconciliées et surtout ouvertes à des différentes attitudes politiques sans tensions de post-guerre. Certaines organisations qui travaillent sur la reconstruction de la paix et la réconciliation au Liban mettent l'effort sur les jeunes d'aujourd'hui qui vont devenir les futur leaders du pays plus que les adultes déjà fortement impliqués dans la socialisation politique confessionnelle depuis des dizaines d'années. C'est ce que le directeur de l'ONG internationale « Search For Common Ground » au Liban, Monsieur Maxwell Saungweme, a confirmé durant notre entretien : « what SFCG is trying to do is work on young people who are going to become the future leaders of Lebanon. We are trying to work on developing multidimensional identities and the ability to live in confessional diversity. Après avoir vu les trois types de réconciliation les plus convenables pour une réconciliation idéale de post-guette civil libanaise (dialogue interreligieux, travail de mémoire et éducation des jeunes), la réalité montre qu'un cercle vicieux bloque toute initiative de ce genre (B) 301 Annexe 1, « Interviews faites au Liban », Madame Doha Adi, 24 Mai 2022, CFCG HQ, 00 :12 :00, pp. 21-22. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1G-HVu1TwTNN9ZR_oDGNi9HnbZJr0eWtg/view?usp=sharing. 302 Annexe 1, « Interviews faites au Liban », Monsieur Ramzi Abou Ismail, 15 Juin 2022, Zoom, 00 :09 :31, p. 23. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1b9jh-Iv0hETYvJiRCuuPn2NMwub-cEcI/view?usp=sharing. 303 Annexe 1, «Interviews faites au Liban », Monsieur Sami Braidy, 21 Mai 2022, Zahlé, 00 :41:50, p. 27. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1G-dLA5UIO2pIEWYHP0leySWldOTI6B6c/view?usp=sharing. 304 Annexe 1, « Interviews faites au Liban », Monsieur Maxwell Saungweme, 24 Mai 2022, SFCG HQ, 00 :05 :40, p. 14. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1w8kx1wWWKBOc1vd7Kym2FYXZx9Bk5xci/view?usp=sharing. 81 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. B. En pratique : un cercle vicieux freine toute initiative étatique de réconciliation Les initiatives d'une réconciliation nationale libanaise, qu'elles soient pour un dialogue interreligieux, un travail de mémoire ou bien dans le but d'unifier les programmes éducatifs au sein des écoles privées et publiques, doivent émaner de l'Etat pour qu'elles soient effectives. Cela non uniquement pour toucher tout le peuple libanais, pour promulguer des lois imposables à tout le monde et pour initier des enquêtes légitimées partout, mais aussi pour abolir et modifier les loi et pactes qui forment la réconciliation mythique (Partie I, C) qui a bloqué la vraie réconciliation au lieu de la promouvoir. Dans son article comparatif entre 4 types de réconciliations différentes, Valérie Rosoux305 a précisé qu'il existe quatre sortes d'initiatives de réconciliation ; du bas en haut (à l'initiative des individus), du haut en bas (venant d'une décision politique), de l'extérieur (venant à l'initiative d'une organisation ou de pays tiers) et enfin, la réconciliation peut être intime (avec soi-même). Rosoux a précisé que peu importe l'acteur initiant la réconciliation, s'il n'y pas une volonté populaire et une réelle volonté politique, la réconciliation nationale ne peut avoir lieu. Nous avons vu tout au long de ce mémoire que des divers initiatives ont été prises par des organisations et des associations locales et internationales dans le but de réconcilier le peuple libanais, que ça soit par des dialogues, des évènement, des projets, des travaux académiques ou autres sans vrais résultats effectives, et cela pour une et simple raison : le manque de volonté chez les dirigeants (Partie II, B, (1) et (2)). Effectivement, les responsables de la guerre civile libanaise devenus Hommes d'Etat trouvent leur légitimité à travers l'accord du Taëf et la loi d'amnistie qui bloquent la justice transitionnelle et la vraie réconciliation nationale (Partie I, C, (3)). Alors chaque travaille de réconciliation ne peut prendre place sans modifier ou bien abolir le Taëf et la loi d'Amnistie ce qui va mettre leurs responsabilités juridiques en oeuvre et va faire tomber leur légitimité politique. Par la suite, un vrai travail de réconciliation ne peut avoir lieux sans la nécessité d'une vraie réforme institutionnelle éliminant le partage de pouvoir sur la base du Taëf. Cette réforme institutionnelle doit émaner du pouvoir qui est lui-même en danger au cas où le partage du pouvoir selon le Taëf est éliminé. Outre cette élimination du partage du pouvoir sur la base confessionnelle, le Centre international pour la justice transitionnelle rajoute la nécessité de responsabiliser les puissances étrangères jouant un rôle dans la guerre civile Libanaise. Sachant que les puissance étrangères influencent toujours les décisions politiques nationales libanaises (Partie II, B, (3)), une décision de réconciliation nationale reste très loin d'être prise. Face à ce danger de perdre leur légitimité et de se responsabiliser, les leaders politico-confessionnels se sont retournés vers le renforcement de la socialisation politique confessionnelle pour protéger et garder leurs rôles comme références et protecteurs de leurs confessions. Que ça soit à travers le clientélisme au niveau éducatif (Partie III, C, (3)) et socioéconomique (Partie III, C, (5)), les discours de « tirage de nerfs » au niveau psychologique (Partie III, C, (4)), ou même la religion au niveau du statut personnel (Partie III, C, (2)) et de l'identité sociopolitique (Partie III, C, (1)), les leaders politico-confessionnels ont 305 ROSOUX V., « Réconciliation post conflit: à la recherche d'une typologie », op.cit., pp. 557-577. 82 Réconciliation et socialisation politique
après la guerre civile libanaise. renforcé leur place au coeurs du système communautaire libanais devenu dépendant de la corruption et du clientélisme. En d'autres termes, la socialisation politique confessionnelle est devenue au coeur du communautarisme libanais. Nous pouvons faire référence à l'ouvrage «Children in the Political System »306 de David Easton qui met l'accent sur le rôle important que joue la socialisation politique dans le maintien du système politique. Selon Easton, la socialisation politique peut être utilisée par le pouvoir en place pour maintenir le système et cela à travers quatre étapes : la politisation, la personnalisation, l'idéalisation et enfin l'institutionnalisation307. En analysant les étapes nous pouvons conclure que les leaders politiques libanais l'ont effectuées et ont même rajouté d'autres supplémentaires. Face à la socialisation politique confessionnelle renforcée suite à la guerre civile libanaise (Partie III, B) qui remplace la socialisation politique nationale (Partie III, C), la peur de l'autre, le manque de confiance entre les différentes confessions libanaises et la dépendance socioéconomique du parti politico-confessionnel, poussent les Libanais a voter pour les même leaders politico-confessionnels pour assurer, selon eux, leur survie au sein du Liban. Durant l'interview avec Madame Doha Adi, elle parlait du manque de confiance entre les confessions libanaises en racontant une histoire personnelle : « j'ai demandé à mon frère de ne plus voter pour le Courant Futur mais pour les indépendants, il m'a répondu qu'il n'était pas confiant que les «autres » n'allaient pas voter pour leurs dirigeants traditionnels»308. Les paroles du frère de Madame Adi sont exactement le but que les dirigeants politico-confessionnels veulent atteindre à travers le renforcement de la socialisation politique pour la protection de leurs postes et garder leur légitimité. Comme conséquence, chaque quatre ans les mêmes partis politiques gagnent aux élections législatives et les ex-chefs de milices restent au pouvoir. Ces derniers évidemment ne veulent toujours pas une réconciliation nationale qui ne rentre pas dans leurs intérêts personnels. Et le cercle vicieux continu (page 83). 306 EASTON D., DENNIS J., Children in the political system: Origins of Political Legitimacy, US, McGraw-Hill Inc., 1969, 458 p. 307 Le Politiste, « La Socialisation Politique », LePolitiste.com. [en ligne] : La socialisation politique: Le Politiste ( le-politiste.com). 308 Annexe 1, « Interviews faites au Liban », Madame Doha Adi, 24 Mai 2022, CFCG HQ, 00 :15 :37, p. 22. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1G-HVu1TwTNN9ZR_oDGNi9HnbZJr0eWtg/view?usp=sharing. Réconciliation et socialisation politique après la guerre civile libanaise. HADDAD Nisrine, 2021-2022 83 HADDAD Nisrine- Mémoire 2021-2022 84 Réconciliation et socialisation politique
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