CHAPITRE I : CADRE THÉORIQUE ET APPROCHE
MÉTHODOLOGIQUE
Ce chapitre, qui s'articule autour de deux points, aborde
d'abord le cadre théorique, puis l'approche méthodologique.
1.1 Cadre théorique
Cette partie est constituée de six (6) points qui
seront successivement abordés à travers la justification du choix
du sujet, la revue de la littérature, la problématique, les
hypothèses de la recherche, la définition des concepts et les
objectifs de la recherche.
1.1.1 Justification du choix du sujet
Notre choix pour ce thème intitulé «
la stratégie du Niger dans la lutte contre la radicalisation
et l'extrémisme violent : cas de la région de
Tillabéri », se justifie par des raisons
multiples que nous annonçons de manière suivante :
Premièrement, ce sujet nous permet d'élargir nos
connaissances sur le processus de la radicalisation et de l'extrémisme
violent qui sévit dans les pays du Sahel et plus particulièrement
au Niger.
Il s'en suit que le Niger est l'un des pays du Sahel qui est
affecté dans ses parties Nord-ouest et Sud-est par le
phénomène de la radicalisation et de l'extrémisme violent.
Toute chose qui met à rude épreuve la paix, la quiétude
sociale, la cohésion sociale, la sécurité et les
conditions de développement socioculturelles du pays. À cet
effet, il est important de mettre l'accent sur cette thématique pour
trouver, comprendre et mieux endiguer le mal à la racine.
Enfin, l'insuffisance de travail de recherche nous a
inspiré l'idée d'apporter un début de solution à la
question de lutte contre la radicalisation et l'extrémisme violent. Nous
avons relevé que la thématique est devenue une
préoccupation majeure pour le gouvernement nigérien depuis au
moins une décennie, en ce sens qu'elle perturbe la cohésion
sociale et le vivre-ensemble. C'est pourquoi nous avons pensé d'une
part, d'apporter une contribution peu
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qu'elle soit dans ce domaine et d'autre part, adopter une
approche pondérée des problèmes liés à la
radicalisation et à l'extrémisme violent.
1.1.2 Revue de la littérature
Dès le début de cette recherche, nous avons
consulté quelques documents en vue de permettre de voir clair et de
comprendre facilement le sujet de mémoire d'étude. À cet
effet, quelques auteurs et chercheurs ont donné leur point de vue
à travers leurs écrits sur la question de la radicalisation et de
l'extrémisme violent. Parmi ces auteurs, nous avons entre autres :
KHOSROKHAVAR, Farhad (2014), a
évoqué les phénomènes de la radicalisation qui
suscite aujourd'hui tant la curiosité que la crainte. La partie
introductive de l'ouvrage s'intéresse au sens et aux enjeux entourant la
notion de la radicalisation et s'interroge sur deux aspects éminemment
contemporains liés aux questions de la radicalisation. En premier lieu,
les défis en matière de gestion de déradicalisation ou de
sortie des trajectoires djihadistes. Alors que le modèle
républicain de la laïcité soulève une série
des frictions quant à la mise en place de structures de prises en charge
où se côtoieraient autorités, membres de la
société civile et figures religieuses, seules à même
de déconstruire les systèmes de croyances endossés par les
individus radicalisés. Dans un second temps, l'auteur s'interroge avec
raison, quant à la montée de ce que certains nomment aujourd'hui
un extrémisme réactionnaire, illustré par les actions
violentes d'acteurs isolés comme les terroristes.
DAVID PUAUD (2018) dans «LE
SPECTRE DE LA RADICALISATION» tente quant à lui de
saisir plusieurs problématiques : il met l'accent sur l'analyse des
dispositifs et discours liés à l'administration sociale en temps
de menace terroriste avec l'hypothèse d'un développement d'une
administration socio-sécuritaire qui réagit à la peur,
mais paradoxalement la produit également (P.14). Dans les faits, deux
axes sont privilégiés par l'auteur : le premier, c'est
l'étude du dispositif de mobilisation institutionnelle et le second,
c'est la focalisation politique, médiatique et sécuritaire sur la
notion de radicalisation.
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Ensuite, Mathieu Pellerin (2017) dans son
analyse sur «Les trajectoires de la radicalisation religieuses
au Sahel» a évoqué le poids des facteurs
extérieurs dans le processus de la radicalisation. Selon lui, les
contextes locaux ne sont pas les seuls à prédisposer à la
radicalisation religieuse. Ce sont les influences extérieures qui
nourrissent quotidiennement l'amertume des populations sahéliennes. Il
souligne ensuite que tous les pays du Sahel ont pour l'heure
échoué à concevoir et à mettre en oeuvre des
politiques de lutte contre l'extrémisme violent et le radicalisme, qui
sont l'objet d'un consensus entre les différentes tendances
représentatives de l'Islam. Cet auteur démontre dans son
étude que les facteurs de radicalisation au Sahel sont très
nombreux, qu'aucune trajectoire privilégiée ne se dessine, mais
qu'elles se construisent autour d'un dénominateur commun qui est le
sentiment de l'injustice. Il peut s'agir, selon l'auteur, d'une injustice
sociale, d'une injustice étatique, d'une injustice économique,
d'une injustice religieuse, etc. qui nourrissent des frustrations productrices
de radicalisation.
Pour cet auteur, une analyse détaillée de
trajectoire de la radicalisation au Sahel donne à voir l'engagement
d'individus majoritairement jeunes qui se trouve dans l'Islam, et parfois dans
les groupes djihadistes, une voie d'expression de leurs frustrations sociales,
communautaires, économiques ou politiques. Dans son étude,
l'auteur observe sur le cas du Niger, les conséquences des prêches
inadaptés au type de gouvernance laïque, du fait qu'elle n'apporte
qu'injustice et pauvreté. Cette situation a eu plus d'échos dans
la région de Diffa, qui a toujours été laissée pour
compte dans les politiques publiques en matière de
développement.
Dans un Rapport du PNUD (2016), les
participants ont souligné la précarité économique
et sociale qui prédispose les personnes vivant à la
frontière à des comportements radicaux et violents. Aussi, ils
ont souligné le manque de régulation de l'expression religieuse,
notamment dans les médias et l'utilisation de la religion à des
fins économiques et politiques qui favorisent le développement de
comportements radicaux. C'est ainsi que les populations
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ressentent une augmentation de l'insécurité et
de la violence aux frontières, mais ne l'associent quasiment jamais
à la présence de discours des groupes religieux radicaux.
Marc-Antoine Pérouse de Montclos
(2020) a souligné la question de fanatisme et de
l'endoctrinement religieux, qui seraient à l'origine des insurrections
qui ravagent aujourd'hui le Sahel. Selon lui, les leaders religieux les plus
radicaux n'auraient rencontré aucune difficulté pour embrigader
de jeunes chômeurs dans la guerre sainte, en leur promettant le paradis
après la mort. Leurs messages sont diffusés dans les
mosquées et dans les écoles coraniques. Ces discours constituent
le début d'un extrémisme, et ont gagné la bataille
idéologique sans que les États interagissent.
Paul-Henri Sandaogo DAMIBA, (2021), a
évoqué les actions violentes s'inscrivant dans l'idée de
déstabiliser la société et de faire péricliter
l'ordre ou le système établi de gouvernance. Dans la poursuite de
son programme, un dialogue de circonstance est très souvent
observé entre les extrémistes radicaux et les groupes de toute
tendance déjà opposés aux dépositaires de l'ordre
établi (en particulier les groupes idéologiques ou politiques et
les groupes criminels ou hors-la-loi). Pour être effective, la relation
entre criminels et extrémistes religieux passe par le biais
d'éléments de liaisons, de finances, de refuges
sécurisés, de soutien en combattant, de laissez-passer et bien
d'autres types de services offerts (par exemple santé, école,
hydraulique, etc.). Dans ces zones où ne s'exerce plus l'autorité
politique légale, la cohabitation entre pouvoirs tribaux, criminels,
mafieux, groupes indépendantistes et cellules islamistes radicales se
sont fortement consolidés.
Selon Theophilus Ekpon (2017), les groupes
extrémistes violents ont profité d'une gouvernance inefficace et
d'une mauvaise prestation de services, de niveaux élevés de
divisions sociétales basées sur des critères ethniques ou
religieux, exacerbés par les élites et combinés avec de
faibles niveaux de confiance. Le sentiment de marginalisation politique et
économique, les niveaux élevés de pauvreté, le
sentiment d'injustice et d'inégalité à l'échelle
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sont perçus comme les causes des conflits (PNUD,
rapport 2016). C'est dans ce contexte que les groupes extrémistes
radicalisent et recrutent des jeunes, hommes et femmes, pour terroriser les
populations dans la région du lac Tchad3.
Selon Guilaine DENOEUX et Lynn CARTER
(2009) qui ont distingué deux types de facteurs ou niveaux
d'explications sur les phénomènes de l'extrémisme violent
: premièrement, les causes profondes, d'ordre structurel qui, dans un
environnement social donné, pousse des individus vulnérables sur
le chemin de la radicalisation et de la violence extrémiste. En effet,
la pauvreté généralisée, le chômage des
jeunes, le manque d'opportunités économiques, la mauvaise
gouvernance, les violations des droits humains par un régime
répressif, l'inaccessibilité ou la mauvaise qualité des
services publics de base, et la corruption sont les facteurs dits incitatifs.
Cependant, ces facteurs à eux seuls ne suffirent pas, comme l'ont
montré Guilaine Denoeux et Lynn Carter, à expliquer pourquoi
certaines personnes vivant dans les mêmes conditions structurelles
s'engagent sur le chemin de l'extrémisme violent et d'autres pas.
D'où le besoin de faire à un deuxième niveau
d'explication.
Deuxièmement, les facteurs attractifs, ce sont des
éléments qui jouent un rôle critique pour attirer certains
individus vers des groupes extrémistes : par exemple le charme d'un
leader charismatique, la satisfaction psychologique ou spirituelle qu'une
personne a ressenti d'appartenir à un certain groupe ou de participer
à certaines activités, le besoin de reconnaissance, ou encore un
certain idéal de réussite sociale.
Selon BODE Sambo et al. (2016) deux grandes
catégories de facteurs sont à distinguer : ceux qui poussent vers
l'extrémisme violent (la situation
3 Une recherche faite par Théophilus Ekpon
sur `»Le rôle des jeunes dans la Prévention de
l'Extrémisme Violent dans le Bassin du Lac Tchad»
dans le cadre de contribution à l'étude des
Progrès réalisés sur La Jeunesse, la Paix et la
Sécurité mandatée par la résolution 2250 (2015) du
Conseil de Sécurité des Nations Unies.
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structurelle et conjoncturelle dans laquelle la radicalisation
se produit) et ceux qui attirent (le parcours individuel et les motivations
personnelles) tous jouant un rôle déterminant dans le passage des
idées abstraites et du mécontentement à l'action violente.
Dans cette optique, aucun pays n'est épargné avec une
diversité de facteurs conduisant à l'extrémisme violent.
Néanmoins, lorsqu'un pays connait la précarité du fait de
la rareté de ses ressources comme la région sahélienne par
exemple, et qu'un seul groupe, ou une communauté détient le
pouvoir politique et économique au détriment d'autres groupes, le
risque de tensions intercommunautaires, de stigmatisation,
d'inégalités entre les sexes, de marginalisation, d'exclusion et
de discrimination s'accroissent. Cela se traduit par des problèmes
d'accès aux services publics et à l'emploi, mais au sentiment
d'être écarté du développement, ou celui
d'être privé de sa liberté de religion ou voulant propager
une idéologie (Grégoire Emmanuel, 2015). Dans ces situations, les
individus, en particulier les jeunes qui se sentent exclus, peuvent alors
céder à la tentation de l'extrémisme violent, dans lequel
ils voient un moyen d'atteindre leurs buts.
Dans certains cas, poursuivent BODE et al.
(2016) l'extrémisme violent a aussi tendance à prospérer
en cas de déficit démocratique où règnent la
mauvaise gouvernance, la corruption et une culture de l'impunité pour
l'État ou de certains agents qui se livrent à des actes
illicites. Il a d'autant plus d'attrait que la mauvaise conduite des affaires
publiques va de pair avec des politiques répressives et des pratiques
contraires aux droits de l'homme et à l'État de droit.
Dans les pays sahéliens, les conflits prolongés
et non réglés sont un terreau fertile pour l'extrémisme
violent, non seulement à cause de la détresse occasionnée
par l'état de guerre et des problèmes de gouvernance qui
s'ensuivent, mais aussi par le ressentiment qu'ils créent
peut-être exploités par les groupes étrangers
extrémistes violents en vue de mettre la main sur des territoires, des
populations et des ressources. Dans ce cas, il faut d'urgence prendre des
mesures de prévention visant à régler les conflits
prolongés, car c'est ainsi qu'on limitera les effets du discours
insidieux des groupes extrémistes
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violents. Lorsque la prévention échoue, la
meilleure stratégie à adopter pour assurer une paix durable et
lutter contre l'extrémisme violent doit inclure des solutions politiques
(actions de développement) qui ne fassent pas de
laissés-pour-compte et donnent toute sa place au principe de
responsabilité.
Les experts en la matière pensent que le risque
général de conflit va augmenter avec ses corollaires comme les
frustrations sociales, économiques et politiques de la population et
notamment la jeunesse ainsi que les conflits concernant l'accès aux
ressources naturelles, dans un environnement en mutation (Bonnecase, 2014).
Dans la zone d'étude, les constats font apparaitre que l'origine
ethnique et religion ont une profonde influence sur les relations sociales
(Choplin, 2008).
Les groupes extrémistes violents dénaturent la
foi, exagèrent les différences ethniques et pervertissent les
idées politiques ; ils se servent de fausses vérités pour
légitimer leurs actes, justifier leurs revendications et recruter dans
les camps des frustrés comme cela se passe actuellement au nord Mali
avec une répercussion dans les pays voisins comme le Niger et le Burkina
Faso.
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