Introduction
L'infection au Virus de l'Immunodéficience Humaine (VIH)
et sa conséquence, le Syndrome de l'Immunodéficience Acquise
(SIDA), demeurent une priorité mondiale majeure, depuis 1983. Ils
représentent l'un des défis redoutables pour le
développement, le progrès et la stabilité du
système de santé dans les pays à ressources
intermédiaires. A l'ère où les stratégies
diagnostiques et thérapeutiques tendent à dépasser les 95%
de patients dépistés, traités et indétectables
fixés par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), la
continuité du traitement antirétroviral (TAR) demeure une
priorité au cours du suivi des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) dans
les programmes de prise en charge du VIH/SIDA(Unal G, 2019). En Haïti, La
couverture de la TAR s'apparentant au 2ième 95% s'établit
à 64% pour un nombre de patients actifs de l'ordre de 103 400 au 30 juin
2019 (PNLS/MSPP, 2019).En dépit d'une couverture programmatique
améliorée et très réussie avec le traitement
antirétroviral (TAR), un nombre significatif de patients abandonnent le
continuum du traitement ARV surtout dans les pays à ressources
limitées, à voire l'étude réalisée au Mali
en 2013 où 51% de patients abandonnés à la TAR ont
été épinglés (Kone, 2013). En Haïti, Selon une
étude réalisée sur la relance communautaire de janvier
à septembre 2018, les résultats de cette enquête nationale
par réseaux de soins ont montré qu'il y a eu 14 082 PDV sous ARV
dont 11 965 (85%) contactés. Parmi ces derniers, 3 818 (32%) ont
été retrouvés (Tableau no.1). En dépit des travaux
d'implémentation effectués depuis juin 2015, le
phénomène d'abandon des PVVIH à la TAR est peu
documenté. Ce manque de données peut-être expliqué
en partie, par la difficulté de joindre les patients abandonnés
du fait de certaines difficultés logistiques occasionnées ou
encore du fait des problèmes d'adresse au détriment des relances.
De plus, par la difficulté de réaliser des recherches sur des
populations au départ absentes, puis quoiqu'ayant été
contactées et retrouvées, les raisons de leurs rendez-vous
manqués n'ont pas été renseignées à
l'entretien ou n'ont pas été rapportées au système
de données. Une étude a été menée au
programme de prise en charge de l'Hôpital Immaculée Conception
(HIC) des Cayes dans le but d'étudier le profil
épidémiologique des patients abandonnés et d'analyser les
facteurs liés à l'abandon à la TAR des PVVIH
enrôlés dans ce centre de janvier à décembre
2019.
Méthodologie
Il s'agit d'une étude transversale, descriptive et
analytique, rétrospective, unicentrique réalisée sur la
cohorte de patients abandonnés au programme de prise en charge des
PVVIH à l'Hôpital Immaculée Conception (HIC) des Cayes sur
la période de janvier à décembre 2019 soit 12 mois. Nous
avons inclus à l'étude tout PVVIH des deux sexes,
enrôlé d'âge supérieur à 15 ans, ayant
manqué son rendez-vous depuis 30 jours ou plus à compter de la
date de prochain rendez-vous prévu au site et dont les médiateurs
communautaires ont eu de ses nouvelles à partir de la relance (par
appels téléphoniques ou visite domiciliaire) durant la
période de l'étude.Nous avons exclus dans l'étude : tout
PVVIH de moins de 15 ans, tout PVVIH du programme ETME, toute personne
dépistée non encore enrôlée, tout PVVIH sous
dispensation communautaire d'ARV (DAC), tout PVVIH transféré dans
un autre centre,tout perdu de vue, sans nouvelle aucune,tout PDV ayant
retourné en soins, tout patient décédé.
La collecte de données s'est déroulée de fin
février à mars 2021 dont les données ont été
colligées sur une fiche de recueil attribuée à chaque
patient inclus, au départ, puis directement sur l'ordinateur. La
démarche consistait à la sélection des patients
abandonnés éligibles pour l'étude et la saisie
convenablement des variables en utilisant étroitement les dossiers
médicaux électroniques (DME/ i-santé) et la base de
données MESI contenant toutes les informations concernant chaque
patient. Après avoir consulté la liste des relances des patients
PDV sur MESI, on a pris le code ST de chaque patient pour consulter son DME sur
i-santé. A partir de la dernière fiche d'ordonnance, nous avons
vérifié la date de dernière visite du patient au centre et
la date de prochain rendez-vous notifié par le prestataire. Puis,
à partir de la date de prochain rendez-vous prévu, nous avons
vérifié si le patient ne s'est pas présenté au
centre à cette date jusqu'à plus de 30 jours pour le
catégoriser comme PDV sous ARV. Et s'il a donc été
retrouvé par relance durant la période de l'étude, il a
donc été considéré comme abandon. La
vérification des variables manquantes ou indisponibles dans les dossiers
consultés a permis de faire des recommandations à l'institution
pour un remplissage complet du registre électronique selon les normes du
MSPP.
Le logiciel Excel version 2010 a été utilisé
pour le traitement et l'analyse descriptive des données suivants un
modèle univarié. Puis, le logiciel SPPS : IBM SPSS version
21 a été utilisé pour déterminer par
régression statistique les facteurs associés à l'abandon
des patients enrôlés sous ARV suivant un modèle
univarié. Cette régression a été effectuée
en adoptant un seuil de significativité de 5%.
Résultats
Selon les rapports de relance, la base de données MESI
www.mesi.ht comptait du 1er janvier au 31 décembre 2019 au
programme de pris en charge des PVVIH à l'HIC, 789 patients à
rechercher dont 536 contactés. Parmi ces patients contactés, 232
ont été retrouvés. Des 232 patients indexés comme
abandon, ont été exclus de l'étude 21 faux abandons, 14
abandons pédiatriques, 9 abandons en période de transition. 188
patients ont été retenus pour l'étude, en final.
Profil épidémiologique des patients
abandonnés
Les données sont retrouvées dans les tableaux
(2,3,4,5,6). La majorité soit 57% des patients abandonnés
étaient de sexe féminin. Le sexe ratio (H/F) était de
0.7.Les tranches d'âge de 25-34 ans et 35-44 ans étaient les plus
représentées de notre étude à 28% chacune.
L'âge moyen des patients abandonnés était de 42 ans avec
des extrêmes de 16 à 76 ans. La majorité des patients
abandonnés (42%) vivaient en concubinage. Les commerçants
représentaient 45% des patients abandonnés de notre série.
La majorité des patients (57%) résidaient dans la commune des
Cayes. La majorité des patients abandonnés (49%) avait un IMC
dans les limites de la normale soit entre 18.5 et 24.9. Plus de la
moitié (52%) des patients environ avaient effectué une CV 6 mois
avant leur abandon. Des 98 patients qui ont effectués une CV 6 mois
avant leur abandon, 58% avaient une CV supprimée. Plus de la
moitié (54%) des patients abandonnés étaient sous le
régime: 3TC+TDF+EFV. La majorité des patients abandonnés
(60%) avaient plus de 36 mois sous TAR. La durée de suivi sous TAR
était en moyenne 53 mois avec un minimum de 0 mois et un maximum de 157
mois. La majorité des patients (78%) ont été
retrouvés par visite domiciliaire. La majorité des patients
abandonnés (43%) ont été retrouvés au cours de la
deuxième visite à domicile. La majorité des patients ont
été retrouvés d'abord au mois de mars (27%), puis au mois
d'avril (24%) et enfin au mois de juin (15%) 2019.28% des patients
abandonnés n'avaient pas de raisons d'abandon dans leur dossier. Les
raisons d'abandon majeures des patients au traitement rapportées
étaient : occupation (14%), problèmes de transport (13%),
déménagement (10%).
Facteurs associés à l'abandon des PVVIH
enrôlés
Les résultats de la régression logistique sont
présentés dans le tableau 12. Après ajustement de
certaines co-variables (Catégorie d'âge, Suppression Charge
Virale, et Durée de suivi), les femmes sont 0.94 fois plus susceptibles
de devenir des abandons que les hommes, toutefois ce résultat n'est pas
statistiquement significatif. Après ajustement de certaines co-variables
(Sexe, Suppression Charge Virale, et Catégorie d'âge), les
patients qui ont une durée de suivi de moins de 6 mois sont 3.65 fois
plus susceptibles de devenir des abandons comparées à ceux qui
ont plus de 36 mois de suivi, et ce résultat est statistiquement
significatif au seuil de 5 %. L'un des facteurs liés à l'abandon
à la TAR des PVVIH enrôlés au programme de prise en charge
des PVVIH à l'HIC des Cayes de janvier à décembre 2019 est
la durée de suivi. Globalement, la tendance des odds ratio pour la
variable durée de suivi montre que plus un patient a une longue
durée de suivi, moins il est susceptible d'abandonner le traitement ARV.
Les autres variables ne sont pas statistiquement significatifs.
Discussion
Notre étude est à comparer aussi avec
l'étude réalisée sur le traçage des PDV à
l'Hôpital du district de Manhiça en Mozambique où 691
(62%) PDV dans les 12 mois du diagnostic de l'infection à VIH ont
été identifiés. Cependant, parmi les PDV, 557 (81%) ont
été visités à leur domicile et 321 (58%) ont
été retrouvés (Fuente-Soro L, 2020). Ces chiffres sont
nettement supérieurs à ceux de notre étude peut-être
par le fait que les relances dans notre étude n'ont pas
été effectuées de manière régulière
permettant de rechercher et de retrouver le plus de patients que possible
(Véhicules de transport en panne, tablettes non fonctionnelles,
problème d'électricité et de connexion internet). Des 232
patients abandonnés, 21 (9%) patients considérés comme des
faux-abandon ont été exclus parce qu'ils ont été
relancés à tort sans pour autant abandonner et ont montré
leur carte de visite de l'Hôpital lors de leur visite à domicile.
Une défaillance du système de données également
retrouvée dans l'étude du district de Manhiça (Fuente-Soro
L, 2020) pour des résultats nettement supérieurs : 16 (23%).
On a noté une prédominance féminine de 57%
des patients abandonnés dans notre étude. Cela reflète la
tendance nationale par le fait que la prévalence du VIH est plus
élevée chez les femmes que les hommes telle que la montre
l'EMMUS-VI (EMMUS-VI 2016-2017). Elle s'expliquerait aussi par le fait que les
femmes se consacrent davantage à leur activité que les hommes.
Cette prédominance fémininea été aussi
retrouvée dans les études à l'Hôpital de Sikasso
(Berthe, 2019), du District de Wakiso en Ouganda (Opio D, 2019) , du Centre
Hospitalo-Universitaire du point G (Kone, 2013) qui ont rapportées
respectivement des chiffres de 62%, de 61% et de 59%. Par contre, Kazungu dans
son étude a montré que le sexe masculin était
prédominant (56%) (Kazungu, 2014).
Les tranches d'âge des patients abandonnés les plus
représentées dans notre étude étaient celles de
25-34 et 35-44 ans avec le même pourcentage (28%). Ceci peut-être
dû par le fait que ce sont les patients de ces catégories qui
n'ont pas beaucoup de temps, vacant le plus souvent à leur occupation.
L'?âge moyen des patients abandonnés était de 42 ans avec
des extrêmes de 16 et 76 ans. Ce résultat concorde avec celui
trouvé par Kone dans l'étude du CHU du point G (Kone, 2013), 42
ans pour la même moyenne d'âge. Par contre, les extrêmes ont
été différents : 28 et 55 ans.
La plupart des patients abandonnés (42%) vivaient en
concubinage, suivis des célibataires (21%) dans notre étude. Ce
résultat s'explique du fait que vivre en union libre ou seul est
très fréquent chez nous. Alors que dans les études du
District de Wakiso (Opio D, 2019) et du CHU du point G (Kone, 2013), la
majorité des patients abandonnés étaient mariés
dont les chiffres sont respectivement 50% et 68%.
Près de la moitié des patients abandonnés
(45%) étaient des commerçants; le commerce, une activité
consacrée, le plus souvent à plein temps. 6% des patients
abandonnés n'avaient aucune donnée dans leur dossier sur leur
activité. Cela expliquerait que ces dossiers étaient incomplets.
Alors que Kazungu a montré que la majorité (80%) des
enquêtés étaient des cultivateurs, seulement 10%
étaient des commerçants (Kazungu, 2014). Cependant, dans les
études de Kone et de Berthe, les ménagères étaient
les plus représentées ; qui ont été respectivement
41% (Kone, 2013) et 46% (Berthe, 2019).
Aucune donnée n'a été retrouvée sur
la croyance religieuse et sur le niveau d'éducation des patients
abandonnés dans notre étude. Ce qui pourrait nous aider à
décrire l'influence de ces paramètres sur l'abandon des patients
à la TAR. Kazungu a montré dans son étude que la
majorité des patients étaient analphabètes (Kazungu,
2014). Kone a, cependant, montré que les données sur le niveau
d'instruction n'existaient pas pour la majorité des patients (77%).
Cependant, 18% patients étaient scolarisés (Kone, 2013).Par
contre, Berthe a montré que 65% étaient scolarisés
(Berthe, 2019).
La majorité des patients abandonnés venaient des
Cayes (57%). Ce qui démontre l'ampleur du problème et la
nécessité de continuer avec une décentralisation de la
prise en charge des PVVIH hors des Cayes de façon à ce que les
patients restent toujours sous TAR. Toutefois, le soutien psychosocial est de
rigueur afin que les patients puissent relater les problèmes qu'ils
pourraient confronter dans le suivi de leur infection dans un site de desserte
proche de leur zone de résidence. Ce phénomène a
été aussi observé dans les études de Kone et de
Berthe où la majorité des patients résidait dans la ville
du site où a lieu l'étude : 81% (Kone, 2013) et 77% (Berthe,
2019).
En ce qui concerne la durée sous traitement, nous avons
constaté que 60% des patients abandonnés avaient plus de 36 mois
de traitement antirétroviral avant leur abandon. On peut penser que ces
patients avaient une tendance à la rétention dans ce centre. La
durée de suivi sous TAR était en moyenne 53 mois. Ces
résultats sont plus satisfaisants par rapport à la durée
moyenne de traitement ARV avant abandon qui était de 21(+/- 28)
semaines retrouvée dans l'étude de la Clinique ThembaLethu
(Maskew M, 2007) et de 18 mois dans l'étude du CHU du point G.
Cependant, cette moyenne n'est pas transparente en raison du fait que ces
patients pourraient avoir des périodes de pertes de suivi avant la
période de l'étude. D'où une étude sur le suivi des
patients sous ARV serait très importante.
78% des patients ont été retrouvés par
visite domiciliairedans notre étude. Seulement 4% des patients
abandonnés ont été retrouvés par appel
téléphonique ; cela peut s'expliquer par le fait que
l'accès à l'électricité dans le Sud est difficile
et/ou limité d'une part ; et par l'ambiguïté des
coordonnées des patients d'autre part, rendant les contacts par appel
inefficaces. Berthe et Kone ont seulement retrouvés les patients par
appel téléphonique: 68% (Kone, 2013) et 81% (Berthe, 2019).
Dans la plupart des études consultées, les facteurs
associés n'ont pas été démontrés par des
tests statistiques. A l'analyse multivariée de la régression
logistique dans notre étude, l'un des facteurs associés à
l'abandon au TAR était la durée de suivi < 6 mois (OR: 0.365,
IC à 95%: 1.03-12.9,p: 0.04). Alors que Opio et al dans leur
étude ont utilisé la régression des risques proportionnels
cox pour déterminer le fait d'avoir un poids normal par rapport à
une insuffisance pondérale (rapport de risque ajusté (aHR): 0.64,
IC à 95%: 0.45-0.90, p: 0.01) comme l'un des facteurs associés
à l'abandon au traitement dans leur étude (Opio D, 2019)
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