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Socio-histoire d'une offre alternative de transport urbain: etude du cas des «woro-woro» de yopougon (abidjan, cote-d'ivoire)


par Yerehonon Jean Zirihi
Université Alassane Ouattara (Ex Université de Bouaké) - Doctorat  2015
  

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UNIVERSITÉ ALASSANE OUATTARA (Ex Université de Bouaké)

UFR Communication, Milieu et Société Département d'Anthropologie et de Sociologie

SOCIO-HISTOIRE D'UNE OFFRE

ALTERNATIVE DE TRANSPORT URBAIN

:

ETUDE DU CAS DES «WORO-WORO» DE

YOPOUGON (ABIDJAN, COTE-D'IVOIRE)

THÈSE NOUVEAU RÉGIME

Pour l'obtention du Grade de Docteur en Sociologie Option: Sociologie Politique

Présentée et soutenue publiquement par: Zirihi Yéréhonon Jean

Le 29 juillet 2015

Directeur de Thèse: Francis AKINDES, Professeur des Universités

JURY

M. ABE N'doumy Sociologue, Professeur Titulaire, Université Président

Alassane Ouattara (ex-Université de Bouaké)

M. Francis AKINDÈS Sociologue, Professeur Titulaire, Université Directeur

Alassane Ouattara (ex-Université de Bouaké) de Thèse

M. AGHI Bahi Sociologue, Professeur Titulaire, Université Félix Membre

Houphouët-Boigny (ex-Université de Cocody)

M. Adolphe KPACTHAVI Anthropologue, Maître de Conférences, Membre

Université d'Abomey Calavi au Bénin

M. GUIBLEHON Bony Anthropologue, Maître de Conférences, Université Membre

Alassane Ouattara (ex-Université de Bouaké

:

UNIVERSITÉ ALASSANE OUATTARA (Ex Université de Bouaké)

UFR Communication, Milieu et Société Département d'Anthropologie et de Sociologie

Socio-histoire d'une offre alternative

de transport urbain: étude du cas des «woro-

woro» de Yopougon (Abidjan, Côte d'Ivoire)

Par

ZIRIHI Yéréhonon Jean

Thèse Nouveau Régime

Pour l'obtention du Grade de Docteur en Sociologie
Option: Sociologie Politique

Iv

Sommaire

SOMMAIRE... IV

RESUME . .V

LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS VII

LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX IX

REMERCIEMENTS X

AVANT-PROPOS .. XII

INTRODUCTION GENERALE . 1

MATERIELS ET METHODES 32

RESULTATS 55

PREMIERE PARTIE: PROCESSUS D'EMERGENCE DES INITIATIVES ALTERNATIVES DE MOBILITE 56

CHAPITRE 1 : AUX ORIGINES DES TRANSPORTS ALTERNATIFS 57

CHAPITRE 2: CROISSANCE D'ABIDJAN ET NAISSANCE DE YOPOUGON 76

CHAPITRE3: LES MECANISMES DE MISE EN PLACE DES STRUCTURES DE TRANSPORT A YOPOUGON 89

DEUXIEME PARTIE RECONSTITUTION DU PROCESSUS D'EVOLUTION DES WORO-WORO 101

CHAPITRE 1: TRAJECTOIRE D'EVOLUTION DU TAXI COMMUNAL «BLEU» ...104

CHAPITRE 2: QUELQUES ELEMENTS D'ANALYSE DU PASSAGE DU TAXI COMMUNAL AU TAXI INTERCOMMUNAL 113

CHAPITRE 3 : LE WORO-WORO, UNE EVOLUTION DANS LA STRUCTURE DE FONCTIONNEMENT ... .128

TROISIEME PARTIEANALYSE DE LA STRUCTURATION DES WORO-WORO . 146

CHAPITRE 1: LES WORO-WORO, UNE STRUCTURATION EN RAPPORT AVEC LA REGLEMENTATION ET

LES PERFORMANCES DE L'OFFREPUBLIQUE FORMELLE 147

CHAPITRE2 CONCURRENCE ENTRE RESPONSABILITES ET EMERGENCE DES SPECIALITES DES WORO-WORO 162

CHAPITRE 3 VERS UNE «AUTOCRATIE DES SYNDICATS»? . 181

DISCUSSION 198

BILIOGRAPHIE 257

ANNEXES .267

Mots clés: Yopougon, socio-histoire, offre alternative, woro-woro.

v

Résumé

Les modes de transports alternatifs d'Abidjan ont surgi dans l'informalité dès les années 1950, lorsque les premiers propriétaires de véhicules particuliers des quartiers africains de la ville ont entrepris d'exploiter la carence des transports publics formels. Ces transports et notamment les taxis collectifs woro-woro sont restés embryonnaires jusqu'à la fin des années 1970 avant de s'étoffer durablement dans les années 1980-1990, suite aux difficultés de l'offre publique de transport, à l'extension urbaine et à la paupérisation des populations dans un contexte d'application des Politiques d'Ajustements Structurels.

En partant de ce constat, celui d'un mode de transport autrefois combattu, mais aujourd'hui en émergence et établi sur la place publique, cette étude cherche à comprendre comment l'offre des woro-woro est née, a évolué et bénéficie à de nouveaux acteurs qui en diversifient les usages. Le regard porté sur Yopougon considérée dans la littérature urbaine d'Abidjan comme la plus grande commune de la Côte d'Ivoire et confrontée au problème de mobilité, permet de mettre en lumière le rôle majeur des périphéries urbaines dans le développement des initiatives alternatives de mobilité dans les villes-capitales des pays du Sud. En outre, entrer par la question du développement des réponses alternatives de mobilité, c'est mettre aussi en relief l'expression d'une société ivoirienne en mutation et autoriser une lecture approfondie des évolutions des espaces publics urbains de ces trente dernières années.

vi

ABSTRACT

Alternative modes of transport emerged in Abidjan in the informality of the years in the 1950s, when the original owners of private vehicles in the African neighbourhoods began to exploit the lack of formal public transport. These transports, including communal taxis (woro- woro), remained embryonic until the late 1970s before permanently expanding in the 1980-1990, due to the difficulties of public transport supply, urban expansion and impoverishment of the populations in the context of implementation of Structural Adjustment Policies.

Starting from this observation, that a mode of transport once opposed, but now emerging and established in the public arena, this study seeks to understand how the woro-woro was born, evolved and benefits new players in diversified uses. Taking a close look at Yopougon, which in the urban literature of Abidjan, is seen as the largest suburb in Côte d'Ivoire and faces the problem of mobility, helps to highlight the important role of urban peripheries in the development of alternative mobility initiatives in the capital cities of the South. In addition, enter through the issue of developing alternative responses to mobility is also to highlight the expression of a changing Ivorian society and allow a thorough reading of the evolution of urban public spaces of the last thirty year.

Keywords: Yopougon, social history, alternative offer, woro-woro.

VII

8

Liste des sigles et abréviations

AGETU: Agence des Transports Urbains

BIT Bureau International du Travail

B.M: Banque Mondiale

BNETD:

CODATU:

Bureau National d'Etudes Techniques et de Développement

Coopération pour le Développement et l'Amélioration des Transports Urbains et Périurbain

CTCFR Comité Technique de Contrôle de la Fluidité

Routière

CRS Compagnie Republicaine de Sécurité

DCGTX Direction et Contrôle des Grands Travaux

DSRP Stratégies de Relance du Développement et

de Réduction de la Pauvreté

FCFA Franc de la Communauté Financière

Africaine

FMI Fonds Monétaire International

IRD: Institut de Recherche pour le

Développement

LAMATA Lagos Metropolitan Area Transport

Authority

VIII9

LEM Loyer à Coût Modéré

OPV Occupations Provisoires de la Voirie

OSER Office de Sécurité Routière

P.A. S: Plans d'Ajustements Structurels

CI-PAST Programme d'Ajustement Sectoriel des

Transports en Côte d'Ivoire

PTU: Périmètre Urbain d'Abidjan

:

PRUD: Programmes de Recherche Urbaine pour

le Développement

RGPH: Recensement Général de la Population

et de l'Habitat

SIDECI:

SNTTCI:

SITRASS:

Société Immobilière de Côte d'Ivoire

Syndicat National des Transports Terrestres de Côte d'Ivoire

Solidarité Internationale sur les Transports et Recherche en Afrique Sub- Saharienne

SOGEFIHA: Société de Construction de Gestion et

de Financement de l'Habitat

SONATT: Société Nationale des Transports

Terrestres

SOTRA: Société de Transport Abidjanais

T.A Transport Authority

V.O: Voiture d'Occasion

UTB: Union des Transporteurs de Bouaké

ixi

Liste des figures et tableaux

Liste des schémas

Schéma 1: Les parties prenantes 61

Schéma 2: Schéma du transport de la ville d'Abidjan avant l'avènement de la SOTRA en 1960 74

Schéma 3: Schéma d'évolution des transports alternatifs de Yopougon 103

Schéma 4 : Chronologie des contextes socio-économiques favorables à l'évolution des taxis ...collectifs 106

Schéma 5: Mode de fonctionnement des groupes d'acteurs privés 158 Liste des tableaux

Tableau 1 : Répartition modale des transports collectifs en 1998 en % 16

Tableau2: Part des différentes offres de transports publics . 17

Tableau 3: Présentation et composition de l'échantillon 37

Tableau 4: Quelques modes de transports en Afrique 64

Tableau 5:Situation des populations d'Abidjan et de l'emploi en 1977 93

Tableau 6: les moyens de transport domicile-travail 94

Tableau 7: Motivations des entrepreneurs employés dans le secteur des transports collectifs d'Abidjan 126

Tableau 8: Répartition des chauffeurs par secteur d'activité et par nationalité 130

Tableau 9 : Evolution du nombre des véhicules banalisés 147

Tableau 10 : Tableau du réseau de lignes des woro-woro communaux 173

Tableau 11: Répartition des woro-woro intercommunaux selon les communes de desserte à partir de la gare «Lavage» 176

Tableau 12: Estimation des évolutions croisées de la population et des emplois dans l'agglomération de Dakar 221

Tableau 13: Synthèse sur les immatriculations en 1997 en Côte d'Ivoire 226

Tableau 14 : Répartition des couleurs des taxis communaux d'Abidjan 227

Tableau 15 : Répartition des rôles entre les différents acteurs dans le schéma d'organisation des woro-woro intercommunaux 237

x

Liste des graphiques

Graphique 1: Graphique de l'évolution de la population d'Abidjan de 1910 à 2009 77

Graphique 2:Origine géographique des entrepreneurs du secteur des woro-woro 134

Graphique 3 : Part des différents modes de transport à Yopougon (Abidjan) ... 209

Listes des encadrés

Encadré 1: Quelques opinions sur les autobus SOTRA 120

Encadré 2: Points de vue sur le choix du woro-woro comme activité 133

Encadré 3: 1980, établissement de procédures pour les taxis collectifs de Yopougon ... 154

Encadré 4: Un aperçu du rôle économique des woro-woro 192

Encadré 5: Un compte rendu de la presse locale sur les transports urbains d'Abidjan ...233

Liste des illustrations photographiques

 

Photo 1: Lutte de bus en partance pour Yopougon

... 119

Photo 2 : image du woro-woro, taxi communal de Yopougon

285

Photo 3 : image du taxi compteur de Yopougon (Abidjan)

.285

Photo 4 : image de woro-woro intercommunal de Yopougon (Abidjan)

..286.

Photo 5 : image du gbaka d'Abidjan

286

Photo6 : image de bus Sotra de la ville d'Abidjan 287

xi1

Ce travail est également dédié à mes proches qui ont su m'apporter soutien et encouragement dans les moments difficiles. Je pense bien sûr à mes parents, mon père,

Remerciements

Il ne m'est pas possible de nommer tous ceux à qui je suis redevable pour cette thèse. Cependant, je ne peux écarter ceux qui m'ont apporté leur soutien et leur exprimer ma gratitude et ma reconnaissance.

Je tiens à remercier d'une façon particulière et chaleureuse le professeur Francis Akindès, mon Directeur de thèse. Je lui dois de m'avoir permis de réaliser ce projet intellectuel extrêmement délicat et utile pour ma carrière future. Sans sa disponibilité, son soutien, ses suggestions et exigences, ce travail ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. Puisqu'après le décès du feu, Professeur Kadja Daniel, mon premier Directeur de thèse à qui je rends un hommage à titre posthume, j'étais gagné par le découragement. Il a fallu le Professeur Francis Akindès pour me remettre sur les rails de la recherche par ses conseils. Et ceci n'est qu'une part de ma dette.

Je tenais ensuite à remercier le personnel de l'IRD pour m'avoir permis de réaliser ce travail dans des conditions optimales grâce à l'accès à leur bibliothèque et au centre de documentations. Ce travail n'aurait pu être réalisé sans la confiance que m'ont témoignée mes informateurs, qui m'ont livré leurs souvenirs les plus anciens, parfois les plus intimes, avec toujours beaucoup de sincérité, de justesse et d'émotion. Je n'oublie pas non plus toutes les rencontres qui ont jalonné et nourri cette recherche: administrations, associations, entrepreneurs, usagers. Qu'ils reçoivent ici toute ma gratitude.

XII

13

feu Youho Zirihi Denis, ma mère Osso Djèza, mon frère aîné Dr. Nicolas Guiéhoua Youho, ma soeur aînée Zirihi Célestine, ma conjointe Tétialy Jacquine, mes amis, le prophète de l'Eternel Dieu Agnui Tahi Antoine. Parmi eux, mes pensées vont

particulièrement au Dr. Zouhoula Bi Richard avec qui j'ai partagé de longues heures de travail mais aussi d'amitié. Enfin, mes remerciements vont au Dr. Mazou Hilaire, pour son soutien matériel et financier et à M. Konan Kouassi qui, en partageant mon quotidien, a pris part aux échanges et débats qui ont rythmé cette recherche. Qu'il soit ici remercié pour sa patience, son affection et son indéfectible soutien.

Xiii

14

Avant-propos

La présente étude sur «la socio-histoire de l'émergence d'une offre alternative de transport urbain: étude du cas de Yopougon (Abidjan, Côte d'Ivoire)» est le produit d'une proposition du Professeur Francis Akindès lors d'un séminaire de formation sur la matrice de recherche en sociologie à l'IRD. Le séminaire a rassemblé une quinzaine de personnes: des Docteurs, des Doctorants et des étudiants en DEA.

Nous jugeons le choix de ce sujet assez intéressant puisqu'il intervient au moment où les transports dits informels retiennent de plus en plus l'attention des pouvoirs publics africains, des analystes économiques et des bailleurs de fonds internationaux comme moyen essentiel de lutte contre la pauvreté. Toutefois, la prise de conscience de ces nouveaux moyens de transport émergeants ne semble s'accompagner, jusqu'ici, que d'actions davantage orientées vers les transports interrégionaux, interurbains et parfois ruraux aux impacts économiques et sociaux jugés plus immédiats pour l'Afrique, que vers le transport urbain. Or, sachant qu'à l'horizon 2025 la majorité des Africains au Sud du Sahara vivront dans les zones urbaines, il est impérieux que des actions soient pensées et mises en oeuvre pour relever les défis majeurs de mobilité urbaine durable, faute de quoi l'équilibre socio-économique encore précaire des métropoles africaines s'en trouvera affecté. En réponse, notre travail apporte un éclairage sociologique sur la dynamique d'évolution des woro-woro de Yopougon.

1

INTRODUCTION GENERALE

2

1 L'une des conséquences de la guerre qui s'est déclenchée en Côte d'Ivoire le 19 septembre 2002, a été la fuite d'un grand nombre de populations des zones occupées par la rébellion vers les zones

01. Introduction

Dans la longue histoire de l'urbanisation de l'Afrique, la seconde moitié du vingtième siècle se distingue par l'émergence de vastes agglomérations dans lesquelles se développent de nouvelles dynamiques urbaines. À ce propos, plusieurs auteurs ont estimé que les villes d'Afrique étaient «en crise» en raison de la réduction des services publics, de la faiblesse institutionnelle et budgétaire des gouvernements locaux et nationaux (Coquery 1988; Couret 1997; Olahan 2007). Que ce soit dans le domaine du logement, de la santé, de l'éducation ou du transport urbain, les Etats éprouvent de nombreuses difficultés à faire face à ces problèmes. Les transports dits informels qui se diffusent largement dans les grandes villes d'Afrique et d'ailleurs dans le monde à cette période semblent traduire une nouvelle réalité urbaine. Les Politiques d'Ajustement Structurels (PAS), en imposant des restrictions budgétaires à de nombreux États, auraient ainsi jeté les sociétés publiques de transport urbain dans la léthargie et favorisé de nouvelles initiatives de mobilité.

C'est dans ce cadre que nous développons notre réflexion sur l'étude du transport alternatif dans un pays de l'Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire. La Côte d'Ivoire a une superficie de 322462 km2, elle est limitée au Sud par l'océan Atlantique, à l'Est par le Ghana, au Nord par le Burkina Faso et le Mali, et à l'Ouest par la Guinée et le Libéria. Abidjan, la capitale économique est située au Sud, au bord du Golfe de Guinée et concentre plus de 44 % de la population urbaine (DSRP 2009). Ce poids démographique a été renforcé depuis la crise politico-militaire1 et aujourd'hui on évalue la population de la ville d'Abidjan à 4 millions d'habitants. C'est au sein de cette capitale et spécifiquement sur la commune de Yopougon, une des immenses cités dortoirs située à l'ouest d'Abidjan que nous avons choisi

3

de concentrer notre étude qui a pour thème: «socio-histoire d'une offre alternative de transport urbain: étude du cas des «woro-woro» de Yopougon (Abidjan-Côte d'Ivoire)».

02.Contexte de l'étude

La commune de Yopougon est de création récente, puisqu'avant 1970, c'était un ensemble composite de villages de pêcheurs et d'agriculteurs dont la population s'évaluait en 1969 à quelques 10 000 habitants (Diahou 1981). Mais, à partir du début des années 1970 et suite aux différents programmes immobiliers de l'Etat2, Yopougon s'est établie progressivement comme un pôle structurant en même temps qu'elle participe d'un mouvement global de spécialisation locale de l'espace urbain de l'agglomération abidjanaise (Diahou 1981; Olahan 2007; Steck 2008). La ville d'Abidjan s'est principalement étendue vers Yopougon avec d'importants investissements de l'Etat en matière d'habitats sociaux. La loi n°7807 du 09 janvier 1978 portant création des communes de plein exercice en Côte d'Ivoire a érigé Yopougon en collectivité territoriale et en 1980, Yopougon est devenue commune. Cette situation a contribué de manière significative a modifié l'allure de cette commune qualifiée dans la géographie urbaine de la ville d'Abidjan comme quartier périphérique.

Depuis la fin des années 1990, le développement de Yopougon s'est rapidement accéléré et actuellement, on y retrouve d'anciens villages rattrapés par la ville. Aux quartiers anciens de Yopougon gare, d'autres quartiers plus modernes (SIPOREX, SICOGI, SOGEFIHA, SIDECI, LEM, etc.) se sont subitement surajouté. Aujourd'hui, Yopougon désigne un ensemble urbain et couvre une

2 Yopougon est d'abord à considérer comme une opération urbanistique qui doit permettre une croissance rationnelle d'Abidjan: c'est un élément planifié de l'étalement urbain abidjanais, une périphérie encadrée où, dès le début du programme les anciennes constructions illégales furent détruites pour laisser la place à des lotissements. Ainsi, l'extension officielle vers Yopougon doit s'entendre comme une extension de l'offre de logement, autant destinée à une classe moyenne que le miracle ivoirien voyait en forte croissance qu'à des populations plus modestes à qui étaient proposés, sous le contrôle de l'État, des logements économiques.

3 La portée de cette zone industrielle est très grande. Sa capacité productrice est destinée à la fois à la satisfaction de marchés de consommation locaux, nationaux et ouest-africains.

4

superficie qui s'étend sur près de quatre mille hectares, soit plus de 20% de la superficie globale de la ville d'Abidjan. Faute de recensement récent de la population, les chiffres avancés ces dernières années pour la population de Yopougon varient dans la fourchette 1000000-1200000 habitants sur les 4 millions que compterait l'agglomération abidjanaise. Devant une telle évolution de la structure urbaine, certaines études n'ont pas manqué de souligner l'originalité du parcours de Yopougon au sein de l'agglomération abidjanaise. Ainsi pour Jean Fabien Steck, «Yopougon offre un observatoire intéressant et singulier des dynamiques des périphéries des grandes villes africaines» (Steck 2008).

Au-delà de ce tableau démographique et spatial assez édifiant, il convient aussi de souligner que Yopougon se veut, par rapport à son contexte africain, résolument novatrice. Si l'attention s'est fixée sur les mutations du Plateau, les années1970 sont aussi celles de la mise en place en périphérie d'un autre projet urbain, défendu et adapté par des techniciens français (coopérants, salariés locaux, consultants...) Ainsi, par delà les quelques points communs qu'elle peut partager effectivement avec Abobo, ici à Abidjan, Pikine, en périphérie dakaroise, Bonabéri à Douala, la commune de Yopougon, représente une opération urbanistique quelque peu complète. En effet, la présence de la vaste zone industrielle inaugurée en 19723 fait de Yopougon un important pôle d'emplois formels pour la commune et ses environs. Les activités et les équipements, très insignifiants au départ, se sont accrus de manière progressive et fulgurante (Olahan 2007). L'Etat promoteur à travers les sociétés de construction d'habitats modernes comme la SICOGI, SOGEFIHA, SOPIM et SIDECI, etc. a permis à Yopougon d'avoir un niveau de viabilisation des terrains relativement comparable à celui de Cocody, le quartier résidentiel. Cependant, en comparaison des quartiers centraux anciens d'Abidjan tels que Plateau ou Treichville, Yopougon

5

est pauvre en équipements urbains4. La crise en mettant un terme aux projets d'aménagement a fait de Yopougon par bien des aspects un programme urbain inachevé. D'après (Diahou 1981), Yopougon serait passé de quartier bien planifié à une ville du désordre en quelques décennies. (Couret 1997; Steck 2008), opposent un passé des années 1970 ordonné à une ville nouvelle, créative et exubérante. Toutes ces ruptures obligent les habitants à se rendre régulièrement vers le sud de la ville d'Abidjan, plus fourni en équipements administratifs et industriels. L'ampleur des débats autour des conditions d'accessibilité au centre, montre malgré tout que pour relier leurs différents lieux d'activité, les populations éprouvent de nombreuses difficultés. Aujourd'hui, tout voyageur qui débarque à Yopougon est frappé par la «suroccupation» des espaces publics par les activités de transport et la diversité des moyens de mobilité. Les rues sont devenues les lieux de nouveaux moyens de transport qui se caractérisent par la diversité de leurs couleurs, le colportage et le marchandage, de leurs entrepreneurs .Dans ces lieux, les taxis collectifs considérés comme une réponse innovante de mobilité coexistent ou supplantent carrément, selon les endroits, ceux de l'Etat. Ne serait-ce que par la question de l'émergence de ces nouveaux moyens de transport autres que ceux qu'on connaissait déjà (autobus de la SOTRA et taxis compteurs), une étude sur Yopougon pour analyser les initiatives alternatives de mobilité comme réponse à l'insuffisance de l'offre de l'Etat apparaît d'un intérêt scientifique évident. J'ai donc décidé d'étudier ce problème là parce que j'ai fait trois constats.

03. Constats de recherche

Constat1: Elargissement de l'espace urbain de Yopougon et émergence de réponses alternatives de mobilité

Le premier espace de Yopougon était au recensement de 1965 de 65 hectares et représentait 1,76 % de la superficie totale de la ville d'Abidjan. Mais très

4 Après avoir été bénéficiaire des années fastes de la Côte d'Ivoire (miracle ivoirien), Yopougon semble par bien des aspects représenter un programme urbain inachevé. La comme est dépendante du reste de l'agglomération abidjanaise.

6

rapidement on a vu que cet espace géographique s'est élargi. En 1975, cette superficie était de 1185 hectares. En 1989, elle a été évaluée à 3335 hectares, avant d'atteindre 1996 les 6667 hectares (DCGTX 1989; Olahan 2007). Cette expansion spatiale a des répercussions sur l'évolution de la population qui a connu une progression remarquable dans la même période. Au recensement de 1975, la population était de 99 000 habitants, elle est passée à 219 000 habitants en 1979 avant d'atteindre 688235 en 1998. Une étude réalisée en 2008 évalue la population de la commune de Yopougon à 1 000 000 d'habitants (Kouakou, Koné et al. 2010). Ainsi, en l'espace de trois décennies, Yopougon est devenue la plus grande commune de Côte d'Ivoire en population et en superficie5.

La vitesse et le rythme de cette croissance démographique suscitent des interrogations quant à la satisfaction des services sociaux et surtout des besoins en transport. Selon (Kaufmann 2002), plus une ville est étalée, plus il est difficile de la parcourir à pied ou à vélo et de mettre en place un système de transport en commun efficace. La seule autoroute inaugurée en 1979 qui permet de relier Abidjan est souvent embouteillée. L'ancienne route qui la complète est dans un état déplorable. En outre, les navettes lagunaires, dont l'embarcadère principal est situé à l'écart de la commune, n'offrent un service efficace que pour une partie seulement des résidents.

C'est dans ce contexte qu'on remarque depuis quelques années, le développement de nouveaux moyens de transport à côté de ceux qu'on connaissait d'habitude. En effet, jusqu'à la fin des années 1970, pour leurs déplacements, les populations n'utilisaient que les taxis compteurs couleur rouge et les bus de la SOTRA et subsidiairement les gbaka (Diahou 1981). Mais depuis le début des années 1990, on a vu apparaître deux nouveaux types de taxi, l'un à la couleur bleue, pour les

5 Territoire de pêcheurs, et d'agriculteurs Ebrié avec une population de 50.000 habitants le développement du territoire de Yopougon en quartier d'Abidjan a commencé véritablement en 1970. Les premières maisons sortiront de terre en 1972. L'ouverture de la voie expresse "Est-Ouest" suivra en 1979. Tout cela a modifié l'allure de la banlieue Yopougon. La loi N° 78-07 du 09 Janvier 1978 portant création des communes de plein exercice en Côte d'Ivoire a érigée Yopougon en Collectivité territoriale. En 1980 Yopougon est devenue commune.

7

liaisons internes à la commune et l'autre à la couleur non définie, pour les déplacements domicile-travail. Ces transports que nous qualifions d'«alternatifs» apparaissent comme un phénomène nouveau dans les modes de déplacements motorisés dont il convient d'analyser la trajectoire historique. En clair, quels sont les facteurs historiques d'émergence des transports alternatifs de Yopougon?

Constat 2: Le transport alternatif s'est constitué progressivement à Yopougon

Quand on parle de transport, à Yopougon jusqu'en 1975, on ne connaissait à côté des autobus de la SOTRA et des taxis couleur rouge, les gbaka de type «1000 kilo». Mais depuis le début des années 1990, on a vu apparaître dans le paysage communal d'autres formes de taxis; l'un à la couleur bleue et les autres de couleurs indéfinies. Le tout caractérisé par une variété de marques (Toyota, Mazda, Mercédès, Peugeot, etc.) ainsi que des accessibilités spatiales à la fois spécifiques et différenciées. À ce jour, il y a trois types de taxis qui proposent leurs services aux populations. Ce qui n'était pas le cas il y a quelques années où il n'existait qu'un seul type de taxi de couleur rouge. De plus, au niveau de ces taxis, on note qu'en dehors des taxis compteurs, les deux autres types de taxis étaient combattus dans un premier temps et se cachaient (loi de 1961)6. Mais depuis quelques années, ces taxis ont cessé d'être clandestins et se sont établis sur la place publique et arrivent même à faire des grèves pour améliorer leur rapport à l'Etat. Aujourd'hui, la mise en circulation de ces taxis exige des procédures complexes (port d'antenne, couleur de la commune, droit de ligne, patente, vignette, etc.), ce qui ne se faisait pratiquement pas par le passé où la mise en circulation était spontanée.

6 En signant en 1961 une convention de concession du monopole des transports collectifs avec la SOTRA, l'Etat de Côte d'Ivoire met les autres modes de transport hérités de la colonisation dans la clandestinité. Ce monopole, renouvelable tous les 15 ans, rejette les gbaka d'abord sur le transport interurbain (Anyama, Bingerville et Dabou) et lentement sur le suburbain (Abobo, Yopougon et les villages Ebrié de la ville: Anono, M'pouto et Lokoua). Les woro-woro se voient quant à eux confinés dans des périmètres communaux de certaines communes (Koumassi, Marcory et Port-Bouët) ou sur des petites distances entre Koumassi et Marcory et entre Koumassi et Port-Bouët.

8

De ce qui précède, on note que le transport alternatif et notamment les taxis collectifs à Yopougon a considérablement évolué dans son identité (couleur), dans son rapport à l'Etat (la réglementation), dans la structuration de l'espace et dans leur organisation. Il transparaît, à travers ce constat, la question des motifs de cette évolution. D'où les interrogations suivantes: Qu'est-ce qui a motivé cette évolution? Et comment cette mutation a pu se faire?

Constat 3: transport alternatif, une offre combattue mais quasiment établie dans toute la ville

Autrefois, en matière de transport urbain, pour relier Yopougon au sud de la ville d'Abidjan (Plateau, Treichville, Vridi)7, c'était soit par les autobus de la SOTRA soit par les taxis compteurs. Parce que, les autres modes de transport hérités de la période coloniale (gbaka et les taxis collectifs notamment) étaient interdits des dessertes urbaines. Mais depuis 1990, on a remarqué que les taxis collectifs qui étaient interdits et combattus des dessertes urbaines ont refait surface et se sont même structurés. Actuellement, on les retrouve partout, dans les espaces centraux, à proximité des marchés et des intersections entre les axes structurants. Et ce qui est plus frappant encore ces derniers temps, c'est qu'au niveau de ces taxis, il y en a qui sont hélés dans la rue qui sont de couleur bleue et qui font la rotation au niveau de la commune. Pendant ce temps, d'autres de couleurs diverses, sont attendus dans des terminaux et regroupés selon des destinations prédéfinies dépassant le cadre communal. Désormais, pour aller d'un point de Yopougon à un autre ou de la commune de Yopougon vers une autre commune, une large palette d'usages et de choix modaux se laisse à voir dans les déplacements.

Le développement des taxis collectifs apparaît ici comme un élément déterminant dans les choix du mode de déplacements. Si les taxis collectifs couleur bleue sont

7 Vridi et Treichville du fait de leur rapprochement du port sont les principaux réceptacles de la main d'oeuvre qui affluaient sur Abidjan. Plateau demeure depuis l'époque coloniale le centre administratif et des affaires par excellence de la Côte d'Ivoire.

9

davantage utilisés pour se déplacer à l'intérieur de la commune, ce sont les taxis collectifs intercommunaux, qui semblent constituer les modes de prédilection pour les trajets, plus longs, entre le lieu de résidence et le lieu de travail. Ce qui n'était pas possible il y a quelques années. Alors comment le processus d'acceptation de ces taxis s'est négocié dans le temps? Qu'est-ce qui explique l'émergence de cette offre de transport et comment s'est-elle structurée jusqu'à donner l'apparence qu'elle a aujourd'hui?

04.Question de recherche

La question de recherche qui émerge de ces constats est la suivante: étant donné que la question du transport dans la ville d'Abidjan est une priorité inscrite au coeur de l'action de l'Etat depuis l'apparition de la SOTRA en 1960, comment un transport alternatif a pu émerger à Yopougon, l'une des plus grandes cités dortoirs d'Abidjan? Cette question principale de recherche se subdivise en trois questions secondaires.

i) Quelles sont les conditions historiques d'émergence des transports alternatifs?

ii) Comment les transports alternatifs ont-ils évolué?

iii) Comment les transports alternatifs se sont-ils structurés?

On peut estimer que face aux contraintes de transport liées au fait que l'Etat n'arrivait plus à répondre à la demande sociale de mobilité des populations, un système de transport alternatif s'est constitué et s'est développé à côté de l'offre structurée formelle. Dès lors, nous appelons transport alternatif, l'ensemble des moyens de transport composés des minibus dits «gbaka», véhicules de capacité comprise entre 14 et 32 places assises (avec une forte proportion de 18 places) et des taxis collectifs communément appelés «woro-woro» (voitures particulières de 4 places assises), exploités par des transporteurs privés et qui se sont constitués comme une réponse populaire à l'insuffisance de l'offre structurée formelle (autobus de la SOTRA et taxis compteurs). Mais l'offre des premiers, les gbaka se concentre surtout sur les liaisons suburbaines: Adjamé-Abobo, Adjamé-Anyama, Adjamé-Yopougon, Adjamé-Bingerville, et par cabotage sur les quartiers de la

10

Riviera (2 et 3 ) à Cocody et élimine de ce fait une partie importante de la demande des populations qui migre quotidiennement en direction du sud (Plateau, Treichville, Vridi) considérée dans la géographie économique d'Abidjan comme les zones de fortes concentrations d'emplois modernes (Bonnassieux 1987; De Dianous 1998; Kassi 2007; DSRP 2009). Pendant ce temps, les seconds, les woro-woro, quant à eux intègrent dans leur offre une demande à la fois locale et des déplacements domicile-travail. Par rapport à la forte urbanisation qu'a connue Abidjan et compte tenu du contexte spécifique de Yopougon, présentée dans la littérature urbaine d'Abidjan comme l'une des plus grandes cités dortoir isolée et éloignée, l'émergence des woro-woro dans la mobilité des populations apparaît comme l'innovation qu'il convient de documenter. C'est donc vers cette offre des taxis collectifs que nous appelons «woro-woro» que nous avons choisi d'orienter notre analyse.

La question naïve qui guidait de ce fait nos interrogations lors de l'élaboration de cette problématique sur l'offre des woro-woro n'était pas très originale, puisque la même question est présentée aujourd'hui comme celle qui traverse le corpus des études sur l'économie informelle (Lautier 2004). Mais après analyse, j'ai dû me résigner à sortir de cette appellation parce que mon objet d'étude ne correspond pas exactement à la définition de la catégorie d'activités dites informelles, mais correspond plutôt à une activité alternative. Puisque dans la dominante des réponses proposées pour la définition du concept «informel», on retient qu'on appelle «informel» ce qui échappe à la législation pénale, sociale et fiscale ou à la Comptabilité Nationale (Charmes 1979; Hugon 1981; Oudin 1987; Lachaud 1989; Hugon 2008). Ce qui ne peut rendre compte de notre objet d'étude, puisque l'offre de woro-woro fait l'objet d'une réglementation. Les taxis collectifs dits «woro-woro» sont en règle vis-à-vis de la réglementation en vigueur en matière de transport public à Abidjan. Ils sont contrôlés par les forces de l'ordre et sont affectés de numéro de la ville et de la commune où ils sont basés. De plus, ces taxis présentent une organisation procédurale complexe. Ils sont placés sous l'autorité de plusieurs institutions (agréments, taxes et impôts) et l'activité est régie par des règles précises. Renforcées après la période de dévaluation du FCFA en 1994 et la libéralisation de l'importation des véhicules d'occasion de 1996, les

11

lois sur les taxis collectifs remontent à l'époque coloniale. En partie inapplicable, cette législation est à l'origine de problèmes et comporte les germes de pratiques informelles dans le secteur. Le woro-woro est un transport alternatif parce qu'il représente une solution de remplacement à l'offre étatique. Le woro-woro offre souvent des prestations désintéressées financièrement à contre courant des tendances conventionnelles (les bus de la SOTRA et les taxis compteurs). Il se situe souvent dans le monde de l'économie sociale et solidaire (Hernandez 1995). Historiquement, les transports alternatifs se développent toujours dans une perspective d'insuffisance de l'offre conventionnelle dans les grandes villes.

Étymologiquement, le mot «woro-woro» n'a pas de correspondance en français. Mais les investigations menées sur les langues du pays, le Malinké notamment, ont permis de lui trouver une origine locale qui remonte aux années 1930-1950, lors de la première phase d'extension de la ville d'Abidjan. Toutefois, c'est au début des années 1990 que l'emploi du mot «woro-woro» a été généralisé avec les véhicules banalisés intégrés dans les habitudes de mobilité par des populations en quête de buts variés allant des calculs économiques à la quête du reflexe d'arriver vite dans un contexte de crise économique. C'est d'ailleurs ce qu'explique m. K. Luc dans les propos suivants:

«Moi, j'aime bien le woro-woro, c'est rapide, tu es moins embêté et c'est plus économique. Oui, c'est bon!» (K. Luc 20-02-2012).

Aujourd'hui, dans ses différents usages, le mot «woro-woro» a connu une importante évolution sémantique si bien qu'une même appellation ne signifie pas forcement une pratique identique. Le woro-woro a assimilé les changements socio-économiques du moment pour redéfinir son contenu. Ainsi, à la date de parution des premiers types de véhicules en 1930, 1950 et 1960, le woro-woro évoquait l'idée du coût du trajet «30 FCFA» en parallèle au coût du trajet du compteur évalué au kilomètre et jugé plus cher «woro-woro lô!» en Malinké. En français, «c'est 30f -30f, venez!». En même temps que le mot «woro-woro» désigne le prix, il donne aussi l'indication concernant l'usage collectif de ce type de transport (le woro-woro prenait jusqu'à cinq (5) passagers qui payaient

8 Dans la pensée coloniale, la vile était un espace civilisé et ordonné dont les miasmes, les maladies et toutes traces d'activités rurales devaient être éliminés.

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collectivement et équitablement le prix du trajet) contrairement au taxi compteur dont l'usage est individuel. Le prix de la course est déboursé par le seul client à bord.

À partir de 1980, avec la politique de décentralisation, les lois et les règlements foisonnent. Aux yeux des autorités, le woro-woro représente une «menace»8 qu'il faut réglementer et contrôler. Comme l'indique Dominique Couret,

«Commence alors la guerre aux woro-woro». La mairie d'Abidjan organise avec la préfecture de police une vaste opération de nettoyage durant la période des vacances scolaires. Cette opération durera de juillet à fin septembre» (Couret 1997).

Mais la main mise de la puissance publique sur les woro-woro s'exerce aussi de manière encore plus directe lorsque les communes se positionnent comme la tutelle administrative des woro-woro. À partir de là, il s'opère une première métamorphose sémantique du mot «woro-woro» qui devient alors le taxi communal (1980- 1985). Puis, à partir de 1990 et notamment avec la dévaluation du FCFA de 1994, il y a eu un repli d'abord des «déflatés» puis de certains salariés autour du woro-woro pour se soustraire de la crise économique. Ceux-ci ont développé une nouvelle tendance du woro-woro qui garde certes les gestes communs avec les premiers woro-woro (taxi collectif), mais l'analogie est loin d'être totale. Le woro-woro intercommunal considéré comme survivance des «3030» diverge avec les deux premières tendances des woro-woro par leur coût, leur mode d'organisation et leur fonctionnement. Cette dernière tendance du woro-woro met en scène les difficultés socio-économiques qui affectent la population urbaine ivoirienne pendant les durs moments de l'application des PAS. Dans ces conditions, le woro-woro se présente alors comme un transport de résilience pour le propriétaire, pour le conducteur et aussi pour les usagers qui s'en servent comme un moyen défensif.

Du fait de la crise, les Ivoiriens tapent à toutes les portes pour se faire de l'argent. En effet, face aux coûts élevés de la vie, les Ivoiriens n'arriveraient plus à assurer

C'est dans la littérature consacrée au secteur informel que nous puiserons la matière première de cette étude: «socio-histoire d'une offre alternative de

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le minimum nécessaire et les passagers, les conducteurs, les propriétaires et même les autorités en charge du secteur y trouveraient une occasion de profiter d'une situation arrangeante. Sous les régimes précédents, un bon nombre d'individus avaient fait l'acquisition de grosses voitures qui désormais dépasseraient leur nouveau niveau de vie. Changement d'ère, aujourd'hui avec la politique des «robinets fermés» par les nouvelles autorités. Ceux qui brillaient alors et qui n'ont pas encore mis en vente leur véhicule, sont désormais confrontés aux couteuses réalités de l'entretien, une réalité qui pousserait certains à se lancer dans cette nouvelle activité de transport.

05. Objectifs de l'étude

05.1. Objectif général

Cette thèse vise à comprendre les conditions historiques de l'émergence des transports alternatifs dans la commune de Yopougon. Cet objectif général se décline en trois objectifs spécifiques:

05.2 Objectifs spécifiques

1. Retracer la trajectoire historique d'émergence des transports alternatifs à
Yopougon;

2. Analyser les raisons des différentes phases d'évolution observées au niveau
des transports alternatifs au cours du temps;

3. Expliquer la structuration actuelle des transports alternatifs dans la
commune de Yopougon.

06. Revue de la littérature

14

transport urbain: étude du cas des «woro-woro» de Yopougon (Abidjan-Côte d'Ivoire)». Le formel étant défini selon (Watteyne and Meyer 1991) comme étant la production obéissant aux injonctions d'une maximalisation de l'organisation du travail et de la gestion. Un autre ordre de critères déterminant de l'indexation étant les critères de politique et de droit. De plus, ici, l'État apparaît comme l'espace obligé de la consécration du droit officiel. En tant que système formel de régulation des comportements en société, le droit institutionnel est éminemment présent dans l'entreprise et le marché, et actif dans la définition et la construction du licite et de l'illicite. Le droit établit la forme sociale légitime des pratiques socio-économiques. Mais que signifie «informel»? En quoi notre étude «socio-histoire d'une offre alternative de transport urbain» se démarque-t-elle des autres recherches portées jusqu'ici sur ce secteur des transports observé à partir de constructions théoriques déformantes et de concepts controversés que sont le termes d'«informel», de «populaire», d'«illégal», de «non structuré» ou de «non officiel», etc.? L'«informel» est essentiellement caractérisé par sa non-correspondance, sa marginalité en référence aux règles étatiques (légalité vs illégalité ou a-légalité).

La plupart des recherches orientées dans ce sens n'ont alors privilégié le plus souvent que les aspects monographiques, descriptifs. Parfois, elles se sont attachées à l'analyse des relations entre ces transports et la dynamique des espaces urbains. Quasi-sectorielles, ces études ont aussi examiné ces transports comme des modes complémentaires ou concurrents à des transports jugés officiels. Rarement, la curiosité de ces auteurs a franchi le stade de constats, des descriptions et désignations conceptuelles de la macro-économie9, même lorsqu'il s'agit de phénomènes aussi structurels et durables comme le transport alternatif, qui implique toutes les grandes villes du tiers monde y compris Abidjan, la capitale économique de la Côte d'Ivoire.

9 La macro-économie a été la première à découvrir et à concevoir cette réalité économique et en même temps à en imposer des désignations. Cette situation est telle que les études sur le secteur dit «informel» se sont référées pour la plupart à la comptabilité nationale qui utilisait des instruments d'analyse particulièrement adaptés aux économies presque entièrement monétarisées.

15

Dans le cadre de notre étude, la dynamique d'évolution des woro-woro à Yopougon est abordée dans une perspective socio-historique. Elle vise à reconstituer le passé de ces transports dans son déroulement, à restituer les pratiques des acteurs autant que leurs discours et leurs représentations en les inscrivant dans leur environnement matériel (Buton and Mariot 2009). Plus précisément il est question d'observer l'émergence des woro-woro sous l'angle de l'histoire, de retracer son évolution et analyser les différents mécanismes de sa structuration. Il s'agit globalement de saisir les lois de fonctionnement de ces transports, les rationalités économiques et les modes de sociabilités qui aident à réfléchir à la façon de réencastrer l'économique dans le social (Akindès 1987; De Soto 1994; Hernandez 1995). Cette démarche s'articule autour de trois centres d'intérêts: (i) la reconstitution de la trajectoire historique des transports alternatifs, (ii) l'analyse du processus d'évolution des transports alternatifs, (iii) l'analyse des mécanismes de structuration des transports alternatifs. Pour ce faire, la présente revue de la littérature, se réfère à toutes les grandes villes du Tiers-monde qui ont connu un développement urbain que (Coquery-Vidrovitch 1988; GDRI 2005) qualifient de «désordonné». Plus particulièrement, nous nous proposons de présenter la situation des villes qui représentent des singularités à l'échelle mondiale en raison des conditions spécifiques d'émergence de ces transports et de la situation actuelle particulière de ces transports dans ces grandes villes. En lien avec ce qui précède, nous nous appuierons sur les situations de Cotonou (Bénin), de Durban (Afrique du Sud), de Harare (Zimbabwe), de Casablanca (Maroc), Istanbul (Turquie), de Brazzaville (Congo), d'Hanoi et Hô Chi Minh-Ville au Vietnam.

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Tableau 1 : Répartition modale des transports collectifs en 1998 en %

 

Transports institutionnels

Transports alternatifs

 

Bus

Rail

Total

Mini bus

Taxis collectifs

Autres

Total

Afrique

 
 
 
 
 
 
 

Alger

3

3

6

77

4

13

94

Le Caire

39

9

48

52

N

N

52

Capetown

10

64

74

26

Nd

N

26

Casablanca

72

-

72

28

Nd

N

28

Tunis

72

28

100

 
 
 
 

Amérique Latine

 
 
 
 
 
 
 

Mexico

13

14

27

48

25

N

73

Sao polo

77

23

100

 

Nd

N

N

Asie

 
 
 
 
 
 
 

Bangkok

94

6

100

 

-

-

Nd

Dehli

92

N

92

N

N

8

8

Jakarta

64

2

66

34

N

Nd

 

Manille

21

3

24

73

3

N

76

Source: Godard, 2005(inrets) Nd: indéterminé, N: nul ou négligeable

17

Tableau 2: Part des différentes offres de transports publics en Afrique subsaharienne en 2000 en %

 

Transport institutionnel

Transports alternatifs

Total transport

Publics

Taxis- Moto

Taxi

individuel

Taxi collectif

Mini bus

Total
Alternatif

Abidjan

32

-

18

21

29

68

100

Accra

13

-

-

27

60

87

100

Addis-Abeba

27

-

1

-

72

73

100

Conakry

3

-

-

52

45

92

100

Cotonou

2

90

2

-

6

98

100

Dakar

5

-

10

15

70

95

100

Dar es Salam

3

-

3

Nd

Nd

97

100

Douala

2

30

-

60

8

98

100

Harare

5

-

-

Nd

Nd

95

100

Lomé

-

55

-

35

10

100

100

Nairobi

30

-

-

-

70

70

100

Ouagadougou

25

-

-

75

-

75

100

Source: Godard, 2005 (inrets) .Nd : indéterminé

0 6.1. Trajectoire historique d'apparition des transports

alternatifs

Quelles sont les conditions historiques d'émergence des transports alternatifs? Pour (Guibert and Jumel 2002), l'histoire permet de penser les permanences et les ruptures, de retracer les évolutions des activités humaines. Comme nous y invite également Jean-Claude Passeron,

«il s'agit en la matière, de se prémunir de l'illusion du «toujours

pareil» ou, à l'inverse, du jamais vu (Passeron 1987).

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Il y a une continuité entre les formes d'organisation de la vie collective ou individuelle du passé et celles d'aujourd'hui. Un lien indirect rattache le mode de transport d'aujourd'hui aux activités de transport des hommes et des femmes du passé, car ceux-ci ont disparu, mais ont laissé des traces (Noiriel 2006). C'est, en se fondant sur ces observations théoriques que nous avons pu faire ressortir les quelques exemples ci-dessous de modes de transports alternatifs dans certains Etats qui constituent une singularité au plan africain et mondial.

? Cotonou (Bénin): une ville à forte dominance des deux roues

Les systèmes de déplacements urbains au Bénin représentent une expérience singulière à l'échelle africaine en raison de l'importance écrasante des deux-roues qui assurent l'essentiel des déplacements, de l'ordre de 70 à 80 % (Noukpo and Agossou 2004). Par référence à d'autres pays africains, l'originalité béninoise tient à l'importance grandissante des taxis-motos appelés «Zemidjan». Il est issu du vocable «Gungbe», une langue nationale du sud-est du Bénin. Zemidjan est formé de trois éléments: ze = prends, mi = moi et jan qui exprime l'idée de brusquerie, et peut en outre signifier secouer et tamiser. Littéralement, zemidjan signifie «prends-moi sans précaution, sans ménagement», autrement dit «prends-moi vite». De cette étymologie, on peut déduire qu'il s'agit d'un transport individuel, même si, dans la réalité, c'est également un mode de transport collectif. En le nommant ainsi, sont mises au premier plan la rapidité et la promptitude du déplacement, bien davantage que les questions de sécurité, de confort et des conditions de transport en général. Outil de structuration de la région urbaine du littoral béninois, le zemidjan peut être historiquement considéré comme une mutation du vélo-taxi.

Cette évolution peut être caractérisée à grands traits selon (Noukpo and Agossou 2004). En premier lieu, la situation économique du Bénin a été sérieusement influencée par une série d'événements extérieurs, notamment le reflux massif des Béninois du Nigeria. Parmi eux, nombreux sont ceux qui ont ramené des motos qu'ils ont décidé d'exploiter, faute de trouver un emploi stable ou plus

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rémunérateur. Le rapatriement des Béninois du Congo Brazzaville, en janvier-février 1978, puis du Gabon, en juillet de la même année, a grossi le nombre des demandeurs d'emplois non satisfaits parmi lesquels certains vont se convertir dans le transport à zemijan. En deuxième lieu, la décennie 1980 est marquée par la crise économique ayant entraîné la faillite de l'État, incapable de payer ses fonctionnaires, et le recours aux institutions de Brettons Wood. Celles-ci imposent les programmes d'ajustement structurel (PAS). Pour les travailleurs, les PAS signifient compressions de personnel, licenciements, départs dits volontaires, anticipés et/ou ciblés, agents «déflatés» des entreprises publiques et semi-publiques, non-renouvellement de contrats de travail, salaires impayés pendant plusieurs mois, etc. Certains «déflatés» ont fini par se reconvertir dans l'activité de transport par zemijan. En troisième lieu, celui-ci a également profité de l'échec successif des entreprises publiques de transport en commun (Régie des transports de Cotonou, Régie autonome des transports urbains de Cotonou, Régies provinciales puis sociétés provinciales des transports, etc.). En outre, le régime révolutionnaire marxiste-léniniste (1972-1989), hostile à l'initiative privée, n'était pas favorable à son émergence dans les transports en commun. Aujourd'hui, avec seulement quelque cinquante d'autobus et minibus assurant les grandes liaisons urbaines, le transport en commun à Cotonou ne semble pas connaître un nouveau départ, malgré les attentes et en dépit des mesures fiscales prises par l'État pour faciliter l'importation de véhicules. Tout ceci contribue à l'émergence du zemijan qui, non seulement, satisfait les besoins de mobilité des populations mais contribue aussi à résorber une partie du chômage. Son succès se comprend lorsqu'on l'analyse dans le cadre d'une région à forte concentration démographique où la pénétration du style de vie urbain à la campagne entraîne la transformation des structures rurales. Le zemijan assurément est de tous les moyens de transport celui qui s'adapte le mieux aux routes béninoises actuelles. Il ressuscite et active toutes les voies piétonnières ou empruntées naguère par la seule bicyclette en tant que moyen mécanique (Godard 2002; Noukpo and Agossou 2004). Ce contexte d'évolution des zemijan présente des similitudes avec celui des «foulas-foulas» de Kinshasa (Congo RDC).

10 Après 1948, le dynamisme persistant, nombre «d'Européens» arrivent, (y compris d'Angola !), Belges, Portugais, Grecs

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? Kinshasa (Congo RDC) : l'avènement des «foulas-foulas»

Xavier Godard (De Maximy 1984; Godard and Kama 1986; Thiam 2009), ont reconstitué la trajectoire historique des «foulas-foulas», châssis de camions carrossés. Le mot «foula» viendrait d'une des langues de l'Angola, mais est proche également d'autres langues du Zaïre. À l'origine, «foula» signifie: souffler sur le feu, par imitation phonétique du bruit du soufflement. Lorsque l'on veut accélérer le feu, on souffle de plus en plus vite .Cela fait «fula-fula» ou «foula-foula»: qui souffle vite. Par image, ce terme a désigné les véhicules qui concurrençaient 1'office national de transport à Kinshasa, qui allaient plus vite que les bus et prenaient leurs clients : «c'est comme si on soufflait sur le feu de leur moteur». À l'origine c'étaient des Portugais10 qui exploitaient ces véhicules avec des chauffeurs angolais. Les Portugais sont partis mais les Angolais sont restés. Au début, les fulas étaient utilisés pour la desserte des marchés (transport de sacs de manioc...). Puis peu à peu, par nécessité, ils ont été utilisés par l'ensemble de la population (Godard and Kama 1986).

Les «foulas-foulas», selon (De Maximy 1984), c'est la forme de transport le plus populaire, sans eux Kinshasa ne fonctionnerait pas. Les «foulas-foulas» sont nés en réaction à l'insuffisance de l'offre publique et de l'extension urbaine (avec ses quelques 10 millions d'habitants, le transport public est un véritable casse-tête à Kinshasa). Au plan politique l'émergence des «foulas-foulas» se traduit comme une réponse relevant de modèle de cohabitation entre société publique d'autobus et secteur privé. À l'indépendance en1960, les populations bénéficiaient déjà de services de transport public mis en place par les Belges: les «Transports en Commun de Léopoldville» (THC), l'Office National des Transports (ONATRA), les chemins de fer Matadi-Léopold-ville. Toutefois, le secteur des transports a rapidement souffert d'un manque de gestionnaires congolais qualifiés prêts à reprendre l'administration laissée par les Belges mais aussi du manque de pièces de rechange. Les véhicules en panne étaient dès lors immobilisés et la flotte en service a diminué progressivement jusqu'à la disparition complète de toute forme

21

de transports publics. Ces quelques points de repère historique des «foulas-foulas» du Congo, rappellent aussi ceux des «grands taxis» de Rabat, au Maroc tels que décrit par (Tellier 2005) comme phénomène lié à la crise des transports institutionnels.

? Rabat (Maroc) : Les grands taxis

Jullien Tellier, dans« Les grands taxis: approche du système de transport et de la mobilité au Maroc», 2005, souligne que la situation actuelle du transport collectif institutionnel des villes du Maroc est tombée dans une double trappe: augmentation du nombre de voitures particulières (pour les personnes qui en ont les moyens économiques) et émergence de moyens alternatifs de déplacement (pour les populations moins favorisées et pauvres). Dans les systèmes de transport de grandes villes marocaines, peuvent aujourd'hui être distingués d'une part, les réseaux d'autobus avec leur rigidité mal adaptée à la rapidité d'évolution de l'urbanisation et des pratiques de mobilité et d'autre part, les taxis collectifs qui réagissent à la demande et qui représentent une forme plus rapide et plus souple de déplacement. Au Maroc, les taxis collectifs sont appelés «grands taxis». Contrairement aux «petits taxis» (mode de transport individuel à l'intérieur des périmètres municipaux), les taxis collectifs sont institués interurbains pour accomplir en principe des itinéraires intercommunaux. Mais les grands taxis participent désormais au transport à l'intérieur de grandes agglomérations. Des lignes de grands taxis ont été ouvertes en milieu urbain pour répondre à des besoins de mobilité insatisfaits par les transports institutionnels (notamment pour la desserte des quartiers périphériques).

«Au Maroc, les taxis collectifs correspondent à un maillon essentiel du système de transport. Ils sont qualifiés de moyen de transport émergent, alternatif... de substitution (comme palliatif à un manque» (Tellier 2005).

Au Sénégal, l'histoire des «car rapide»11 ou «ndiaga ndiaye»12 se confond à la logique d'investissement de la confrérie des Mourides dans le transport.

11Minibus Renault SG2 de 20 à 25 places.

22

? Dakar (Sénégal) : Les «car rapide» et les «ndiaga ndiaye»

À Dakar, l'histoire du développement des «car rapide» ou «ndiaga ndiaye» procède certes de l'incapacité de la ville de Dakar à répondre à la demande sociale des populations citadines sans cesse croissantes selon (Lombard 2006), mais semble aussi se rattacher à la logique d'investissement de la confrérie Mouride13. Ceux-ci ont joué de leurs liens confrériques pour faire émerger le secteur des transports alternatifs. La présence des Mourides est très ancienne dans le transport. Elle remonte à la période coloniale. À cette époque, les véhicules n'étaient pas encore nombreux et le transport collectif était monopolisé par les colons et les Libano-syriens lesquels étaient également les principaux acteurs commerciaux de la colonie du Sénégal. Les déplacements se limitaient pour l'essentiel à Dakar. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, sont apparues les premières entreprises de transport public pilotées par des autochtones. Dès cette période, les Mourides investissent dans le transport collectif qui était resté pendant longtemps la chasse gardée des Européens et des Libano-syriens. Même s'ils mettaient en exergue leur appartenance confrérique, les transporteurs mourides ne se signalaient pas néanmoins par un service de transport exclusivement consacré aux Mourides. Ils ont été, en revanche, les premiers à travailler à la fois dans le transport urbain et interurbain. Pour ce qui concerne le secteur urbain, ils ont investi dans le transport de voyageurs et de marchandises. C'était l'époque où la carrosserie des véhicules était transformée, consolidée pour supporter l'état des infrastructures sénégalaises et augmenter la capacité de charge. Tous ces modes de transport collectif furent bientôt désignés à Dakar sous le terme générique de «cars rapides», en référence à leur performance et en comparaison avec les premiers véhicules beaucoup plus lents. Ils ont connu un développement spectaculaire en lien avec la croissance urbaine et plus tard avec la disparition de la SOTRAC, société de transport public de Dakar.

12Minibus Mercedes de 32 à 42 places. Nom du transporteur qui aujourd'hui en détient le parc le plus important et qui l'a introduit dans le réseau de transport urbain dakarois.

13 Les Mourides constituent une communauté très dynamique au Sénégal. On les retrouve dans tous les secteurs d'activité économique, sociale, culturelle et même politique du Sénégal. Plus qu'une simple présence, ils contrôlent de plus en plus des secteurs entiers de la vie économique du pays.

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Pour ce qui est de la situation de Durban en Afrique du Sud, c'est plutôt le contexte de l'apartheid qui est utilisé comme repère historique dans la dynamique d'émergence des transports «intra-township14».

? Durban (Afrique du Sud):La naissance des transports «intra-

township».

En Afrique du Sud et notamment à Durban, la discrimination dans les services publics et dans l'organisation des transports publics durant la période de l'apartheid a entraîné la naissance des transports «intra-township». Les transports publics ont été un outil efficace de l'organisation de la ségrégation durant l'apartheid. La non prise en charge par la ville de Durban du transport des Noirs a provoqué l'émergence d'un nombre considérable de petites compagnies privées que les autorités ne pouvaient interdire, au risque d'entraver le développement économique des zones industrielles et la bonne marche des entreprises dispensatrices d'emplois (Bellengère, Khan et al. 2004). Cette situation oblige généralement les populations «victimes» d'exclusion à recourir à d'autres formes de transports. Dès la fin des années quatre-vingt, puis après sa disparition en 1993, au fur et à mesure que le système d'apartheid s'assouplissait, la structure urbaine a fortement évolué. Avec le temps, les deux systèmes se sont rapprochés dans la mesure où la compagnie de bus s'est mise à desservir les quartiers noirs et blancs par la fusion de certaines lignes. Ce qui est sensiblement différent des villes de Hanoi et Hô Chi Minh Ville, au Vietnam où l'émergence des cyclopousses ou autres tricycles traduit selon Godard les difficultés des autorités à mettre en place une politique claire de transport urbain (Godard, Cusset et al. 1996).

? Hanoi et Hô Chi Minh-Ville (Viet Nam): Les cyclopousses, les tricycles et les minibus

«On peut identifier plusieurs tendances des transports urbains au Vietnam dans les années quatre-vingt-dix, manifestes pour les deux

14 Le pouvoir ayant choisi d'ignorer les besoins de déplacement, hors desserte des bassins économiques, de plus de 85 % de la population, il toléra de fait les initiatives, souvent très informelles, des opérateurs «non-blancs» qui investissaient dans des taxis, minibus et autres cars (le transport intra-township) et dont le nombre a fini par croître de façon exponentielle.

15 Un marché de l'occasion permet une diffusion de l'équipement chez les ménages aux revenus les plus faibles.

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principales villes du pays, Hô Chi Minh-Ville et Hanoi, même si des différences apparaissent entre ces deux agglomérations: la progression de la motorisation individuelle, la détérioration des systèmes de transport public, le maintien et l'adaptation du secteur artisanal des transports urbains» (Godard, Cusset et al. 1996).

Le secteur alternatif revêt au Vietnam, comme dans la plupart des villes asiatiques, des formes très diverses avec l'exploitation de véhicules non motorisés (cyclopousses) et motorisés (tricycles, minibus). Historiquement, l'émergence des deux roues à moteur dans la mobilité procède de circonstances assez particulières. Il s'agit notamment des ambitions non satisfaites de la période d'économie socialiste planifiée. Cette option qui a perduré dans un contexte d'économie de marché selon (Godard, Cusset et al. 1996) aurait renforcé les entrées clandestines15 des engins et contraint l'industrie vietnamienne du cycle à s'adapter à ce nouveau marché en extension. Au Viet Nam, les cyclopousses ou cyclos jouent à Hanoi et à Hô Chi Minh-Ville un rôle important à la fois dévolu aux taxis dans les villes des pays développés et celui de substitut aux modes de transport collectif, les bus en particulier comme au Congo avec les «foula-foula» ou Sénégal avec les «car rapide» ou même au Bénin avec les «zemidjan». Ainsi, dans un contexte de détérioration de transport public, on observe le maintien puis l'adaptation du secteur dit artisanal. Au Viet Nam, les deux-roues assurent l'essentiel des déplacements. Leur part est de l'ordre de 80 à 90% dans l'offre des transports du pays.

Sans être totalement représentatifs des pays du Tiers monde, ces quelques exemples de villes apportent toutefois un éclairage sur la situation d'autres capitales. Sur l'ensemble de ces villes, on observe sensiblement les mêmes contextes historiques d'émergence des transports alternatifs. Selon (Adoléhoumé 2001; BM 2001; SSATP 2001), ces transports bien que souvent défaillants, représentent actuellement l'essentiel des déplacements motorisés et sont appelés à

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voir leur rôle s'accroître dans les années à venir, avec le développement rapide de l'urbanisation.

Les conditions socio-historiques d'émergence des transports alternatifs évoquées, il reste à reconstituer leurs différentes phases d'évolution. On se fondera pour cela essentiellement sur les travaux de recherche engagés sur les agglomérations de Kinshasa, de Brazzaville, d'Harare, d'Istanbul et de Dakar. Au plan de la socio-histoire, les transformations qui ont permis le passage des transports dits artisanaux et combattus à des transports tolérés et intégrés dans ces villes constituent des références en termes d'intégration et d'interdépendance entre deux mondes sociaux différents. Selon Norbert Elias, en étudiant parallèlement et de plus en plus loin des mondes initialement raccrochés, on déborde l'interconnaissance comme fondement de la relation sociale pour la réinscrire plus largement au sein d'une interdépendance des mondes sociaux.

«Plus généralement, il me semble que ce positionnement scientifique, le couplage d'un regard socio-historique/ethnographique sociologique, n'a pas encore épuisé toutes ses possibilités heuristiques. En effet, de proche en proche, puisant d'un fond d'archives à un second pour retrouver les deux faces d'une interconnaissance, se déplaçant d'un monde social à un autre par les interconnaissances, descendant par histoire régressive les arborescences génétiques d'un phénomène social puis remontant les échelles d'analyse, on finit par étudier conjointement des mondes sociaux de plus en plus éloignés, qui ne sont plus en interconnaissance. Ce sont pourtant des mondes interdépendants puisque les actions des uns et des autres vont finalement à un changement social» (Elias 1981)

06.2. Déterminants socio-économiques de l'évolution des transports alternatifs

La dynamique d'évolution qui caractérise les transports dits informels autrefois négligés est justifiée autant par des facteurs internes à ce secteur que par l'environnement socio-économique où ils évoluent. La structure d'une organisation est liée à la fois à son environnement et à son fonctionnement interne (Minztberg 1982). Mais qu'est-ce qui justifie la montée en puissance des

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transports autrefois négligés? Comment le transport dit artisanal, décrié par les autorités publiques comme l'envers du modèle de transport adopté est devenu une composante incontournable du système de mobilité urbaine des pays en développement? Les évolutions récentes observées au niveau de ces transports, montrent qu'ils interviennent pour 94% à Alger, 52 % au Caire, 73 % à Mexico, 76 % à Manille, 68 % à Abidjan, 87 % à Accra, 95 à Dakar et 98 % à Cotonou, 95 % à Harare et 100 % à Lomé (Godard 2002). Les justifications d'une telle évolution peuvent être résumées en deux considérations.

0 6.2.1. La fonction sociale des transports alternatifs

Le premier élément de justification de ce sujet, c'est la fonction socio-économique des transports alternatifs. En effet, les emplois sans qualification requise demeurent un volet essentiel du secteur des transports alternatifs (Plat 2003). De plus, ce secteur constitue en lui-même un débouché pour de nombreuses autres branches des activités de la rue: vendeurs de pièces détachées, mécaniciens, courtiers, vidangeurs, laveurs de voitures, etc.(Kassi 2007). Xavier Godard et Jean-Michel Cusset à travers «Des systèmes de transport urbain au Vietnam à la recherche de la modernité» parviennent à ce même constat à propos de la fonction sociale des cyclopousses, des taxis-moto ou autres lambros ou xelams dont l'offre est prédominante à Hanoi et Hô Chi Minh-Ville au Viet Nam. Selon ces deux auteurs, l'une des conditions de l'émergence de ces transports réside plus dans la fonction de pourvoyeur d'emplois que dans la fonction de transport proprement dite qui est selon eux d'une efficacité globale limitée. Sur ce dernier point selon (Godard 2006), une grande entreprise de bus comme la SOTRA à Abidjan dans les années 1990 n'a créé que 6000 emplois contre environ 30 000 emplois pour «Artisans» (transport alternatif) à Dakar et 60000 emplois au minimum pour les moto-taxis au cour de la même période à Cotonou. Toutefois, si les transports alternatifs demeurent des pourvoyeurs d'emploi, ils se présentent aussi comme une réponse à des situations de pénurie de transport ou à une demande de diversification de l'offre.

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06.2.2. Les transports alternatifs: une réponse à une demande de diversification de la demande

Selon (Godard, Cusset et al. 1996), la persistance des cyclopousses dans la mobilité est le reflet d'une demande de diversification de l'offre de transport. Les cyclopousses déclarent-ils, s'adressaient à l'origine à une clientèle aisée, mais, avec l'évolution économique, cette clientèle tend à se limiter à des catégories particulières:

«Personnes âgées, femmes avec enfants, handicapés auxquels il faut ajouter le groupe des touristes, de plus en plus nombreux. On observe une diversité de modèles de cyclopousses, depuis le cyclopousse à plateau, utilisé principalement pour le transport de marchandises et d'objets encombrants, jusqu'au cyclopousse de luxe, à Hô, Chi Minh-Ville, destiné essentiellement à la clientèle touristique» (Godard, Cusset et al. 1996).

Pour (Diaz Olvera, Plat et al. 2007), dans plusieurs villes africaines, le moto-taxi est une réponse individuelle à la conjonction d'une triple pénurie: de véhicules privés, de services de transport public et d'infrastructures routières. Pour ces auteurs, les infrastructures et les services de base dans les nouvelles aires n'ont pas suivi le développement spatial des villes et les besoins de mobilité des populations périphériques vers d'autres quartiers sont en conséquence importants. Les positions défendues par ces deux auteurs, rejoignent les résultats auxquels parviennent les thèses de (Godard 2002; Lombard, Sakho et al. 2004). En effet, pour ces auteurs, ce sont les qualités opérationnelles indéniables du service assuré par les taxis collectifs qui expliquent l'ambivalence des pouvoirs publics à l'égard de ces modes de transport. Ils assurent un service irremplaçable dans l'état actuel des transports publics formels (qualité de service)

> service porte à porte

> flexibilité d'exploitation

> faible coût de main d'oeuvre

> mode très rapide, spécialement dans les zones congestionnées

> malgré le mauvais état des routes: les motos vont là où ne vont pas les bus

> faible coût du carburant de contrebande (du Nigeria à Cotonou et Lomé)

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? faible coût de l'investissement: véhicules d'occasion peu coûteux provenant d'Asie; nouvelles unités de montage de motos chinoises (Douala, Ouagadougou...) (Godard 2006).

Cette position est aussi partagée par Jérôme Aloko-N'guessan dans son étude «Les relations difficiles entre le transport collectifs et l'espace urbain à Bouaké» à travers laquelle, il parvient à la conclusion suivante:

«les transports urbains ont pour fonction d'assurer la continuité et

l'articulation de l'espace urbain en réalisant un ajustement de l'offre et de la demande de déplacement» (Aloko-N'guessan 2002).

Cette thèse des transports alternatifs qui se développent grâce à leur utilité publique n'est pas partagée par (Lomme and Vircoulon 2006) pour qui la violence est le facteur structurant des taxis collectifs en Afrique du Sud. En effet, dans leur étude «la régulation des transports informels à l'épreuve de la «guerre des taxis» collectifs en Afrique du sud», Roland Lomme et Thierry Vircoulon considèrent que le secteur des taxis collectifs et la violence sont les côtés pile et face d'une même pièce. Selon ces deux auteurs, en Afrique du Sud, s'il est établi que les espaces urbains sont considérés comme criminogènes par les responsables de la police, c'est en référence au milieu des taxis collectifs où sévit une intense violence. Ces deux auteurs perçoivent le secteur des taxis collectifs comme un lieu d'expression de la violence sociale qui conserve les traits caractéristiques des affrontements armés qui a provoqué la chute du régime d'apartheid. Pour ces auteurs,

«La guerre des taxis s'inscrit d'abord dans le contexte général d'une violence sociale. La police recensait 32 000 homicides, 30 000 tentatives de meurtres et près de 53 000 viols déclarés en 2003-2004, dont le degré ou les manifestations distinguent incontestablement l'Afrique du Sud des autres pays en développement ou en transition [..]. Le contrôle de la desserte d'un township, est gage du contrôle d'un marché et entraîne l'utilisation d'armes de guerre (l'AK 47 est une arme de prédilection dans les affrontements entre opérateurs de taxis collectifs). On note aussi le recrutement de tueurs à gage (souvent d'anciens combattants des mouvements clandestins de résistance à l'apartheid), l'organisation de batailles rangées sur la voie publique, de raids punitifs, d'embuscades (mitraillage des véhicules de

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l'ennemi stationnés ou en mouvement)» (Lomme and Vircoulon 2006).

Les différentes positions évoquées ont montré que les transports alternatifs se développent grâce à une dynamique interne. Mais cette auto-organisation ne saurait expliquer à elle seule l'émergence de ces transports, il y a aussi des facteurs externes qui présentent des similitudes au niveau des villes-capitales dans les Etats. Il s'agit notamment des facteurs socio-économiques et urbanistiques (croissance urbaine accélérée, «périphérisation» des villes et démographie en forte augmentation). En plus, il y a aussi la crise économique et financière des années 1980 dont les effets négatifs ont aggravé les déficits des transports urbains publics et donné une nouvelle dimension aux transports dits informels.

06.3. La dynamique d'émergence des transports alternatifs et les partisans du développement alternatifs

C'est presque simultanément à la publication de K. Hart que le B.I.T (1972) publie une enquête faite au Kenya et qui présente l'informel dans les termes d'un secteur économique. Le secteur de l'économie informelle étant ici un espace de conduites caractérisé par les propriétés spécifiques des unités de production qui le composent, ainsi que par sa faible réglementation. L'analyse est donc essentiellement orientée vers les unités de production et leurs rapports au juridique.

06.3.1 La position des organismes internationaux

Les organismes internationaux ont d'abord, dans les années 1970, condamné les pratiques dites informelles. Pour les défenseurs de cette thèse, «l'informel» en instaurant ses propres modes de fonctionnement, concurrençait, les institutions libérales perçues comme universelles. Pire, selon les tenants de cette thèse, le

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secteur informel compromettait l'évolution des pays en voie de développement en accentuant leur «retard institutionnel». Il convenait donc de le combattre. À cet effet, la description des lois des modèles de monopole de transport public dans certains pays d'Afrique dont la Côté d'Ivoire lors de l'adoption de la SOTRA au cours des années 1960, constitue un jalon de l'histoire de ce débat. Mais depuis les années 1980, les politiques d'ajustement structurel ont largement entamé l'efficacité de ces offres publiques de transport et changé les perceptions et les considérations à l'égard des transports dits informels qui jusque là étaient considérés comme des activités marginales ou des reliques qu'il fallait combattre. Le monopole de l'offre de l'Etat en se disloquant avec la crise des années 19801990, atteste de la perte de légitimité de nombreux pouvoirs en place et ouvre la séquence de la libéralisation politique et économique ou de la décompression autoritaire (Diaw 2004). Dès lors, «l'informel» de transport cesse d'être marginalisant pour devenir progressiste (De Soto 1994). Dans cette perspective, il est devenu l'espoir des partisans d'un développement alternatif et son rôle dans les dynamiques macro-économique et sociale a été réévalué (Godard 2001). Plutôt que ses effets destructurants, c'est sa complémentarité avec les mécanismes formels qui est désormais mise en exergue.

06.3.2 Les partisans du développement alternatif

Contrairement à l'approche dichotomique très proche de l'ancienne terminologie des secteurs traditionnel et moderne rencontrée dans le discours sur le développement, on parle désormais d'un continuum plutôt que d'une dualité (formel/informel). Dans cet ordre d'idée, l'informel n'est plus immédiatement un espace de tradition et/ou de pauvreté assujetti à l'économie formelle, mais plutôt un espace stratégique qui est à la fois une réponse aux contraintes de l'économie formelle et un lieu d'innovation sociale. Pour (Oudin 1987), si l'économie de nombreux pays en voie de développement fonctionne en dehors du cadre régi par les lois de l'Etat, c'est que les éléments d'explication résident dans la faiblesse de l'Etat dans les pays en voie de développement. Cette faiblesse révèle en fait l'incapacité de l'Etat à faire face à des évènements incontrôlables que sont la croissance démographique, la croissance urbaine et le développement des besoins

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qui en sont la conséquence. Les pouvoirs publics n'ont pas les moyens (physiques, financiers, humains) d'agir sur l'ensemble de l'économie nationale. D'autres auteurs voient dans cette nouvelle situation du transport dans le Tiers-monde, une transformation de ces sociétés. Ainsi, pour (Godard, Cusset et al. 1996), il reste acquis que l'examen des systèmes de transport urbain et de leur tendance d'évolution dans les pays du Tiers monde mettent en évidence les mutations que traversent ces pays. Aussi plaident-ils en faveur de leur intégration dans les programmes de lutte contre la pauvreté urbaine.

Dans l'ensemble des écrits retenus, les raisons données pour justifier l'émergence des transports alternatifs ne sont pas purement négatives. Cependant, nous admettons dans cette thèse que l'offre de woro-woro est certes issue de l'initiative locale, mais ne correspond pas exactement à l'ensemble des activités défini comme de type informel. De plus, cette offre de transport comme celles présentes dans d'autres villes-capitales, ne sont plus à considérer comme des activités marginales. Parce que, depuis, la fins des années 1980, ces transports sont entrés dans une phase d'émergence qui oblige les collectivités (mairies et district) pour ce qui est du cas ivoirien, l'Etat pour la situation des cars rapides de Dakar, au Sénégal à les encadrer par des taxations diverses. Pour ce faire, l'adoption du concept «transport alternatif» répond ici à un souci de recadrage d'une réalité vécue comme un fait social de plus en plus saisissable et perceptible par les comptabilités nationales. Les entrepreneurs du secteur dit informel de transport ont réussi là les offres publiques formelles ont quasiment échoué. De ce point de vue, la description des processus latino-américains constitue un autre jalon de l'histoire de ce débat. Avec la lecture des évolutions péruviennes que donne «L'autre sentier» de (De Soto 1994), l'informel cesse d'être marginalisant pour devenir progressiste. En tout état de cause, l'informel n'est plus interprété de façon univoque comme la manifestation et le vecteur de la reproduction du sous-développement. Il est crédité d'une capacité à répondre aux problèmes de pauvreté persistants. Il convient par ailleurs d'affirmer que l'informel n'est plus seulement hors la loi, il peut devenir source de droit.

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L'analyse de la dynamique d'évolution des woro-woro de Yopougon, montre que des formes de mobilité créées de manière spontanée et informelle peuvent créer tout autant de droits et d'obligations ayant une valeur contraignante qu'une activité formelle. En fait ce qui est fondamentalement remis en cause c'est la détermination essentielle de l'État, à savoir sa souveraineté. La désubstantialisation de cette souveraineté génère une fragmentation du commandement qui prend la forme de la privatisation: le commandement n'est plus assigné à un lieu qui, d'un point de vue normatif, est nécessairement institutionnel mais à une pluralité de lieux que désigne l'arbitraire des rapports de force. Telle est la conséquence politique majeure de la mondialisation dans le contexte africain. Les investigations sur les transports collectifs des pays pris comme des exemples décrivent des situations locales diverses mais dont le fond commun renvoie à des entrepreneurs privés de transport qui interagissent, font appel à toutes sortes de liens en vue d'atteindre leurs objectifs. Pour (Seck. 2003) ce «désordre inventif» et cette débrouille constituent peut-être des réponses locales pertinentes à la mondialisation. Ce qui est également une invite à une meilleure prise en compte du paradigme localiste dans les réflexions scientifiques, dans les politiques d'aménagement et de gestion des transports urbains en Afrique au sud du Sahara et ailleurs dans le monde.

07. Problématique

Les résultats de cette recherche devraient permettre de comprendre comment des comportements minoritaires peuvent transformer des conduites collectives en inversant progressivement les normes. L'exemple des woro-woro que nous évoquons spécifiquement dans cette thèse montre comment une pratique qui a surgi dans la plus complète illégalité dès les années 1950 à Abidjan, s'est progressivement structurée.

Aujourd'hui, la mise en circulation des woro-woro fait intervenir une multiplicité d'acteurs de nature et de fonctions différentes, issus à la fois de la société civile, des différents ordres de collectivités et de l'Etat. La description du registre

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d'intervention de chacun de ces types d'acteurs laisse apparaître une absence de coordination d'actions dans l'organisation de ces transports. Ces intervenants, arc-boutés sur leurs prérogatives et mis à contribution par le contexte de crise, délaissent l'aspect normatif de la régulation au profit de la fiscalité. Ces attitudes font peser de réelles incertitudes sur la pérennité du woro-woro, surtout dans sa composante intercommunale, décrit pourtant par les usagers comme le transport qui offre des avantages considérables en termes de souplesse et d'efficacité. De plus, selon une étude du BNETD, ces woro-woro assurent 38 % des déplacements intercommunaux16 et se font le plus souvent dans le sens nord/sud ou centre périphérie. Or selon (Godard 2002) les liaisons centre/ périphérie, en raison de la forte dissociation fonctionnelle de l'espace qui caractérise les capitales subsahariennes, concernent prioritairement des déplacements pour motif professionnel. Ce sont des déplacements générateurs de ressources pour les citadins africains et leurs ménages. Pour (Sahabana 2006), les revenus que ces derniers peuvent espérer dans les zones centrales sont meilleurs que ceux tirés des activités dans le «quartier». Les conditions de déplacements entre le centre et les périphéries touchent ainsi plus directement à la productivité des citadins et de la cité. Quand on sait le poids de la ville d'Abidjan dans la production nationale17, on comprend d'autant plus la nécessité d'améliorer les conditions de déplacements sur les liaisons centre/périphérie et notamment entre Yopougon, la commune la plus peuplée d'Abidjan mais dépendant fortement pour son fonctionnement des zones du sud pourvues en termes d'emplois.

16 Etude citée dans Inter, n° 4272 du mardi 28 août 2012, p.11

17Le Port Autonome d'Abidjan réalise 85% des recettes douanières nationales et représente 90% des échanges extérieurs du pays. DSRP (2009). Stratégies de Relance du Développement et de Réduction de la Pauvreté(DSRP). Gouvernement. Abidjan: pp 1-180.

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MATERIELS ET METHODES

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L'étude s'inscrit dans une approche qualitative. À cet effet, deux techniques ont été mobilisées pour la collecte des données: la recherche documentaire et l'entretien. La recherche documentaire a permis de recueillir des informations issues de sources diverses (archives, documents administratifs, coupures de presse, témoignages écrits) pour la compréhension de la dynamique d'évolution des transports alternatifs de Yopougon, notamment le contexte d'apparition de l'activité des transports alternatifs. Mais cette technique n'ayant pas suffi à cerner tous les aspects du phénomène, elle a été complétée par des entretiens avec des personnes ressources. À travers cette deuxième technique, des informations et des témoignages ont été rassemblés sur les faits et les pratiques du passé qui ont influencé le développement des transports alternatifs. Ceci, en vue de comprendre le développement des pratiques de mobilité alternatives.

05. Les matériaux utilisés

Dans ce travail de recherche, nous n'avons pas travaillé à partir de grands échantillons qui se voudraient représentatifs d'une population, mais à partir d'un petit nombre d'entretiens fouillés et approfondis. L'objectif visé étant d'obtenir auprès des acteurs des modes des transports alternatifs la plus grande diversité possible des comportements et d'en comprendre les mécanismes de fonctionnement. Toutefois, le principal terrain de cette recherche est constitué par des entretiens qualitatifs menés auprès de deux types d'acteurs du secteur des transports. On entend par acteurs du secteur des woro-woro, l'ensemble de personnes qui intervient dans la chaîne d'actions nécessaires pour l'exploitation du woro-woro, depuis l'achat du véhicule jusqu'à sa mise en circulation. Par conséquent, on distingue deux groupes d'acteurs autour du woro-woro. D'abord, les acteurs institutionnels: mairie, AGETU, district, ministère de la Défense, ministère de la Sécurité, etc.18. Ils sont chargés de mettre en application les lois et règlements en vigueur sur le transport dans la ville d'Abidjan. Ensuite, les acteurs non institutionnels du secteur des woro-woro. Il s'agit particulièrement du propriétaire du véhicule, celui à qui appartient le véhicule et qui le met à la

18 Les autorités de tutelle des transports publics sont nombreuses.

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disposition d'un conducteur. Le conducteur ou chauffeur, celui qui conduit le véhicule, il peut aussi être conducteur propriétaire. Les syndicats, organisés en coopératives de caractère corporatif, ils ont une position dominante dans la dynamique d'évolution des initiatives alternatives en matière de mobilité. Chargés de l'organisation pratique de l'activité, les syndicats se subdivisent en plusieurs sous groupes: le chef syndicat ou chef de gare, le chef de ligne (coordonnateur du tour de rôle19), les rabatteurs ou «coxeurs», ils hèlent les clients et les vendeurs de billets ou «billeteurs». Enfin, nous avons les usagers, c'est-à-dire, ceux qui utilisent les woro-woro comme moyens de mobilité.

Au total, trente (30) entretiens ont pu être réalisés auprès de cette population spécifique et constituent notre échantillon. Un seul mode de transport a été privilégié au cours de ce travail: les woro-woro ou taxis collectifs qui se décomposent en woro-woro communaux et en woro-woro intercommunaux. Ce choix est justifié par le fait que, les woro-woro intègrent dans leurs offres les demandes locales et les besoins domicile-travail. De ce point de vue, par rapport aux gbaka qui restent quasiment dans leurs zones prédéfinies par la règlementation de 1964, les woro-woro constituent une innovation en matière de mobilité collective et cela mérite d'être révélé.

19 Devenus des marchés, les lieux de transport appellent une gestion rigoureuse. Il faut gérer des flux, des activités diverses qui accompagnent ces flux, des hommes qui y travaillent et y passent, le temps aussi, condition majeure de la fluidité et de la rapidité des circulations. Le lieu de transport est géré pour lui-même mais aussi pour l'espace qui l'environne, car les implications foncières, économiques, sont considérables. Les véhicules tout comme les passagers doivent respecter l'ordre d'arrivée pour soit embarquer des passagers (pour les véhicules) ou soit monté dans le véhicule (pour le passager).

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Tableau 3: Présentation et composition de l'échantillon

Nombre de personnes interviewées

Statut

Durée

Lieux

Groupes cibles

04

Responsables d'association
de transporteurs

03h 16min

Yopougon Abobo

-II Plateau -Port-Bouët -Marcory

0 3

Anciens conducteurs de taxi et de gbaka

02h 12 min

Yopougon
Port-Bouët

04

Responsables d'association
des chauffeurs

03h 45 min

Yopougon

Marcory

II plateaux(Cocody)

04

Chauffeurs en activité

03h 27min

Yopougon Marcory

03

Jeunes de quartiers

2h 12 min

Yopougon (Béago, Lokoi)

02

Autres (le directeur de
l'OSER, un ancien agent de la
police municipale de

Cocody)

01 h 51 min

Yopougon

Groupe secondaire

02

ministère des Transports
(Responsable)

59 min

Plateau

01

Ministère de la Défense

37 min

Plateau

01

Ministère de la Sécurité

49 min

Yopougon

02

Mairie (le DAAF, le chef du service de recouvrement)

1 h 03

Yopougon

01

District (responsable service voirie)

41 min

Marcory

01

AGETU

01h 24 min

Adjamé

02

Responsables chargé de
la politique de transport

01 h 42 min

Yopougon

Total 30

 

23 h 58

 

Source: Nos données de terrain

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08.1. Nature du matériel et outils de collecte de données

L'approche utilisée pour ce travail a été orientée sur trois axes principaux de

recherche.

1- La restitution des processus et de l'histoire qui ont entraîné
l'émergence des modes de transport alternatifs

2- La reconstitution de la trajectoire d'évolution des modes des
transports alternatifs

3- L'analyse de la structuration des modes de transport
alternatif.

Apprenti historien20, notre première étape nous a permis d'acquérir un petit faire-savoir du métier d'historien et de chercheur et d'appréhender les difficultés pour restituer l'émergence des processus historiques qui ont donné naissance aux modes de transports alternatifs. De nombreuses heures de travail nous ont permis de dégrossir, de classer et de relier nos découvertes à d'autres sources. D'un point de vue pratique, cela à consister à consulter divers documents de natures diverses (archives, documents administratifs, coupures de presse, témoignages écrits, etc.). Le fait de se rendre aux archives facilite l'auto positionnement de l'apprenti historien et sociologue, ce qui nous a aidé dans le dédale des informations dans les domaines des transports urbains.

Dans un premier temps, nous nous sommes rendu aux centres de documentations et d'archives du ministère des Transports, de la DCGTX et de l'INS, de l'AGETU, du district d'Abidjan, de la mairie de Yopougon dont nous avons fait le matériau empirique principal afin de reconstituer l'histoire des modes de transport alternatifs. Cela nous a permis de consulter certains documents essentiels pour la compréhension des différents modèles urbains adoptés avant et après l'indépendance et dont l'impact influe sur la dynamique d'évolution des modes de

20 Une perspective qui exige du sociologue qu'il se familiarise avec les méthodes de sciences sociales afin de les rendre utilisables et pertinentes pour la recherche historique, les traduire en outils opérationnels pour le travail de recherche, utiles pour l'histoire.

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transports alternatifs actuels. Le fond documentaire était ainsi constitué de certains textes écrits tels «Allocution présentée à l'ouverture des Journées mondiales de l'urbanisme en 1969». «Rapport sur la santé publique et l'habitat en Côte-d'Ivoire (Urbanisme: Abidjan Côte d'Ivoire, n° 111-112, 1969, p. 95. IIIe Congrès du PDCI-RDA)». Houphouët-Boigny, Yamoussoukro 1964, repris dans le discours prononcé à l'occasion du IVe Congrès du PDCI-RDA en 1965. Des comptes rendus d'ateliers d'experts en urbanisme et transport et portant sur la question de la «gestion des transports urbains»: Abidjan du 3 au 14 juillet 2000. Dans le même esprit, nous avons recherché les documents et les différentes mesures prises pour la gestion et l'organisation des transports urbains abidjanais. Cela nous a renvoyé dans des bibliothèques spécialisées telle la bibliothèque de l'IRD où nous avons consulté des thèses, des revues spécialisées, des rapports, qui nous ont donné une vue d'ensemble des différents textes de loi pris avant et après la création de la SOTRA, telles les mesures prises dès le 1er septembre 1953 qui préfigurent le contexte d'apparition des modes des transports alternatifs «l'emploi obligatoire du taximètre pour toutes les voitures automobiles de place, circulant sur la zone urbain» (Diahou 1981; Lombard and Zouhoula-Bi 2009). L'arrêté municipal n°29 du 3 décembre 1960, interdisant la circulation des transports collectifs autres que les autobus et taximètres dans le périmètre de la ville d'Abidjan. L'Arrêté municipal du 7 avril 1961:

«il interdit à compter du 1er août 1961, sur le territoire de la commune d'Abidjan, sauf dérogation prévue à l'article 9, l'exploitation des voitures de place, et autres moyens collectifs de transport, à l'exclusion des véhicules munis d'un compteur taximètre et des autobus dont l'exploitation est assurée par la SOTRA» (Aka 1988; Lombard 2006; Kassi 2007).

Notre revue bibliographique pour la compréhension de la dynamique d'évolution des transports alternatifs de Yopougon ne saurait être enrichie et complète sans des références faites à certains pays d'Afrique et d'ailleurs qui sont confrontés à des problèmes du genre. Car comme le dit si bien Jean-Claude Passeron à propos de la comparaison:

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«dans les sciences sociales, l'instrument de raisonnement par excellence est la méthode comparative [...] Seul instrument de construction de généralités [...] Il ne s'organise d'argumentation, de preuve, dans nos disciplines, que dans l'espace logique défini par une forme spécifique de comparaison qui essaie de raisonner au mieux sur la parenté des contextes (Passeron 1994).

Au nombre de ces pays, on note: les situations de Cotonou (Bénin), avec les taxis-motos appelés aussi «zemijan», de Brazzaville (Congo) avec «foulas-foulas» de Kinshasa (Congo RDC), de Rabat (Maroc) avec «Les grands taxis», de Dakar (Sénégal) avec les «car rapide» ou «ndiaga ndiaye», de Durban (Afrique du Sud) avec les transports «intra-township» et Hanoi et Hô Chi Minh-Ville au Vietnam avec les véhicules non motorisés (cyclopousses) et motorisés (tricycles, minibus).

Si les premières découvertes documentaires et archivistiques sont riches en renseignements sur le contexte d'apparition de l'activité des transports alternatifs, elles n'apportent pas grand chose sur la compréhension du développement des pratiques de mobilité alternatives telles que nous l'objectivons. C'est cette insuffisance documentaire et archivistique qu'expriment justement Guibert et Jumel dans leur livre intitulé «socio-histoire».

«La nature discontinue de la documentation archivistique, accentuée par l'inaccessibilité de certaines sources, ne permet pas d'éclairer la totalité des aspects d'un phénomène socio-historique» (Guibert and Jumel 2002).

Ce qui nous a amené à connaître une deuxième expérience. Celle qui a consisté d'affiner nos recherches surtout en procédant à des sources orales pour recueillir des informations, des entretiens, des témoignages sur les faits et les pratiques du passé qui ont influencé le développement des transports alternatifs.

«Le recours à l'histoire permet de déchiffrer et de comprendre la spécificité des questions actuelles à travers l'examen des contextes nationaux et des traditions administratives et culturels de chaque pays». F.-X Merrien cité par (Guibert and Jumel 2002).

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Cette approche, avec la possibilité qu'elle nous a donné de confronter des témoignages de ceux qui ont vécu les événements, de ceux qui y étaient, nous a permis d'envisager des perspectives explicatives originales. Comme c'est par exemple le cas du témoignage du vieux Sangaré, ancien chauffeur de «taxi-ville» (woro-woro) et de «1000 kilo» (gbaka) à propos de l'apparition des premiers taxis collectifs à Yopougon dans l'extrait ci-dessous:

«Là, derrière l'école là (il parle du lycée technique de Yopougon), où l'autoroute qui va Abidjan là passe, c'était notre première gare. En 1972 on a commencé là-bas. Notre chef, c'était Sané Joseph un Ebrié du village de Yopougon Kouté. En ce temps-là, c'était poto-poto partout. Maintenant les gens marchaient beaucoup, puisque la route là n'était pas bonne. Comme les gens marchaient beaucoup et ça fatiguait, alors Sané Joseph a mis sa voiture pour commencer transporter un peu un peu, jusqu'à à à! On a venu lui trouver dans çà.1973, 1974, 1978 nous a trouvé là-bas» (vieux Sangaré. 02-102012).

08.2. Difficultés de l'étude

Si la plupart des entretiens se sont déroulés sur le mode de la complicité, ils ont pu néanmoins faire l'objet de certaines réticences. Ainsi, certains interviewés nous ont perçu comme porteur de mauvaise nouvelle, d'espion. Ce qui a parfois donné lieu à des suspicions et rendu difficile notre accès à certains documents administratifs. Certains de nos rendez-vous ont été plusieurs fois reportés. Et certains de nos interlocuteurs très réticents nous ont obligé à reformuler certaines de nos questions ou quelque fois à changer d'interlocuteur. À la mairie de Yopougon par exemple, du fait de l'absence répétée du conseiller technique chargé de la question des taxis collectifs qui nous avait été indiqué au départ, nous étions obligé de rencontrer des interlocuteurs de même catégorie que le prédécesseur et à même de fournir les informations dont nous avions besoins. Quelque fois, nous étions obligé d'user d'humour pour rassurer et mettre à l'aise nos interviewés qui nous ont livré avec confiance leurs souvenirs, leurs témoignages et nous donner des renseignements souhaités.

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La seconde difficulté est plus précisément liée à la question de la restitution de la trajectoire historique des transports alternatifs. À ce niveau, il faut dire que la lecture d'ouvrages ou de documents ne constitue qu'un matériau empirique qu'il faut classer, relier et emboîter à d'autres sources. Ainsi on a été contraint de consulter de nombreux périodiques pour reconstituer un matériau exploitable sachant que les collections sont souvent incomplètes. Parfois la revue tant attendue, qui doit permettre de découvrir une explication au questionnement, est manquante ou indisponible. Force est de reconnaître que le bricolage a été souvent de règle pour tenter de mettre en relation et en harmonie des questions de sociologue avec des sources historiques. Ensuite, sur cette thématique, il nous a été difficile de procéder à la confrontation d'un grand nombre de témoignage surtout oral comme nous l'aurions souhaité, en raison de la difficulté que nous avons éprouvée à rencontrer un grand nombre de témoins vivants des contextes passés et qui avaient été répertoriés lors de l'enquête exploratoire. Ceux-ci étaient absents, soit pour des raisons de mobilité résidentielle, soit pour des problèmes de santé, voire même pour décès.

Cependant, l'ensemble de ces difficultés rencontrées durant la phase de terrain n'ont pas empêché d'atteindre le point de saturation théorique. Les va-et-vient auxquels nous procédions ne nous apportaient plus de nouvelles informations21.

09. Cadre théorique de la recherche

La thèse a mobilisé deux cadres théoriques: le cadre d'analyse de la socio-histoire et la théorie des parties prenantes. Le premier cadre a permis de reconstituer la trajectoire historique des transports alternatifs et de comprendre leur processus d'évolution. Le second a servi à analyser leur mode de structuration et d'organisation.

21 Le point de saturation théorique est atteint lorsque, de la collecte des données, n'émerge plus rien de vraiment nouveau ni de vraiment consistant. Le point de saturation reste néanmoins toujours relatif car seul le chercheur est capable de juger, en regard de la question qui le préoccupe, si son analyse se trouve suffisamment saturée.

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09.1. De l'application du cadre d'analyse de la socio-histoire au champ du transport

L'approche socio-historique telle que développée par (Buton and Mariot 2009) est une interprétation en termes de processus pour tout à la fois expliquer le présent, reconstituer le passé dans son déroulement. Cela nous ramène selon (Lepetit 1996) à extraire dans le passé des situations, des contextes datés qui pèsent sur le présent et commandent secrètement les enjeux des pratiques actuelles. Les notions du passé et du présent que ces auteurs présentent, intègrent la prise en compte de l'histoire comme outil au service d'une analyse sociologique du présent. Cela implique que les changements observés dans la structure des transports collectifs de Yopougon doivent être replacés dans leur contexte socio-économique. Comme nous le mentionnions dans nos constats, des changements sont intervenus au niveau des moyens des transports urbains à Yopougon.

À partir des années (1969-1970): incorporation des gbaka dans la mobilité des populations. (1971-1972): introduction des taxis collectifs. (1974-1975): avènement de nouvelles marques de véhicules telles Mazda, Nissan, Toyota, Isuzu, en remplacement des marques anciennes comme Renault 4, Chevrolet, ou wolkerwagens (1000 kilo). En 1980, constitution d'un réseau des taxis collectifs propre à Yopougon. (1993): expansion de l'offre des taxis collectifs hors du cadre communal. (1996): adoption de nouvelles couleurs de véhicules.

Toutes ces transformations sont liées à des motifs d'ordre, économique, politique ou social, à des moments particuliers de l'histoire de l'évolution de la ville de Yopougon et du champ des transports urbains abidjanais.que le recours conjugué de l'histoire et de la sociologie permet d'éclairer. Ainsi, les explications avancées habituellement: rétorsions de sous de gré ou de force dans les gares par des intermédiaires privés (syndicats) aux conducteurs, pour rendre compte du rôle très actif et souvent abusif de groupements associatifs dans le processus d'évolution et de structuration des transports alternatifs ne sont pas à écarter. Mais sont insuffisantes, surtout lorsqu'on cherche à comprendre pourquoi ces pratiques

Avec l'impasse économique et sociale des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix dans laquelle est entrée la Côte d'Ivoire, de nombreux jeunes, oisifs, extérieurs au

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persistent au cours du temps et malgré les différentes mesures prises pour les contrôler. Là-dessus comme l'affirment opportunément (Guibert and Jumel 2002),

«le recours conjugué à l'histoire et à la sociologie semble judicieux pour apporter des éclairages».

Cela permet avant tout de souligner que pour comprendre le rôle et l'importance de plus en plus grandissants du «syndicat», l'une des figures des modes alternatifs de transport abidjanais, il importe de se replacer dans une perspective historique. En effet, dans l'imaginaire populaire, les syndicats sont considérés à tort et/ou à raison, comme «des parasites» et des profiteurs de l'activité de transport. Mais le recours à l'histoire du commerce précolonial notamment, permet de valider que les pratiques «syndicales» actuelles représentent, une transformation des pratiques anciennes de courtage (Blundo 1995 ). Le courtage, comme le marchandage, représente un mode particulier de transaction marchande, avec rémunération de l'intermédiaire. Au plan sociologique, le terme de courtage désigne selon (Bailey 1969), des acteurs sociaux situés aux confins de deux mondes socioculturels, et dotés de compétences permettant de les mettre en contact et d'assurer la circulation de flux entre eux (flux symboliques ou politiques autant qu'économiques et matériels). Avec la monétarisation des échanges en Afrique et suite à l'amplification des activités du commerce, le courtage prend une autre dimension. Le cadeau du courtier devient une contrepartie monétaire dans la transaction qui passe toutes les ventes. Selon (Fauré and Pascal 2002), peu de domaines échappent à cette logique du courtage. De ce point de vue, on peut procéder à des rapprochements entre pratiques de courtage du commerce précolonial et les attitudes actuelles des syndicats. Pour ces derniers, l'espace transport ou l'espace public doit faire vivre, puisque, c'est un espace à forte valeur marchande et dont l'accès doit être assez fermé ou doit nécessiter une contrepartie financière conséquente.

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monde des transports mais habitant les quartiers environnants, ont envahi les rues, les arrêts et les terminaux, en revendiquant leur place dans le système et en contribuant, par le rabattement inopiné de la clientèle sur les véhicules de passage, à la naissance de certains sites. Les espaces publics sont alors transformés en réceptacle de multiples catégories de populations qui y instaurent des points de taxes. Par ce rapprochement, il s'agit aussi de saisir l'influence des mutations de la société ivoirienne, en particulier de l'affaiblissement grandissant des anciennes solidarités africaines qui se trouvent confrontées à la crise économique qui sévit sur le continent. Pour de nombreux observateurs de la situation de crise ivoirienne, le développement et la structuration des modes alternatifs de mobilité est un indicateur des stratégies d'adaptation des populations en temps de crise.

Mais pour rendre compte des comportements et des logiques des groupes qui sont au coeur de la structuration des transports alternatifs, le cadre d'analyse de la socio-histoire est complété par le cadre d'analyse des parties prenantes ou «stakeholder corporation» (Freeman 1984). Selon (Blair 1995; Charreaux 1997), la notion de parties prenantes a d'abord été mobilisée en stratégie avant de devenir incontournable dans les réflexions centrées sur les systèmes de gouvernance des entreprises. Alors en quoi la théorie des parties prenantes recèle un potentiel explicatif pour analyser les nouvelles formes de relations qui structurent l'organisation des transports alternatifs?

09.2. De l'application de la théorie des parties prenantes (TPP) à l'analyse de la structuration des transports

alternatifs

Par parties prenantes (pp), il faut entendre un individu ou groupe d'individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels (Freeman 1984). Selon (Mercier 1999) les «stakeholders» sont l'ensemble des agents pour lesquels le développement et la bonne santé de l'entreprise constituent des enjeux importants. Mais dans quelle mesure une telle notion est-elle transposable dans des sociétés où la place de l'Etat ou des gouvernements locaux est historiquement davantage prégnante et plus encore dans celles dont les modes

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d'organisation sociale, économique et politique sont très éloignés du système américain sur lequel réfléchit Freeman? Freeman raisonne sur la grande entreprise privée capitaliste, au sein d'une économie de marché et d'une société démocratique américaine. Alors, qu'en est-il d'autres formes d'entreprises (publiques, familiales, coopératives, associatives...) au sein d'autres systèmes économiques et politiques? Tel le secteur des taxis collectifs de Yopougon (Abidjan, Côte d'Ivoire?).

Dans sa traduction littérale française, le concept de partie prenante signifie «porteur d'enjeu». Ce qui revient à dire que chaque partie prenante est émettrice et réceptrice des valeurs et des intérêts qui doivent être pris en compte et analysés. Cette définition place constamment les parties prenantes dans des situations où les activités d'un groupe ou d'un individu ont des conséquences sur la réalisation d'objectifs, ici la satisfaction de la demande de mobilité. Dans le cadre de ce travail, nous définissons les parties prenantes comme une personne (morale) ou groupe de personnes qui manifeste un intérêt à l'endroit d'une décision qui implique la mise en circulation d'un taxi collectif, à titre individuel ou en tant que représentante d'un groupe. Il s'agit autant des personnes qui influent ou peuvent influer sur une décision de mise en circulation d'un taxi collectif que de personnes qui sont touchées par celui-ci. Dès lors l'analyse des parties prenantes est inséparable de l'évolution des contextes socio-économiques et politiques qui ont justifié l'émergence de ces modes de transport alternatif.

09.3. Evolution du cadre institutionnel des transports et apparition de groupes d'acteurs concurrents

L'ouverture de la Côte d'Ivoire aux institutions internationales au milieu des années 1980 l'a incitée à entreprendre des réformes concernant la mise en oeuvre de ses plans d'ajustement structurel et la mise à niveau des entreprises. La Côte d'Ivoire a ainsi adopté un discours politique en conformité avec les exigences internationales et centré sur les thématiques des bailleurs de fonds (la

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privatisation, la décentralisation, la gouvernance, le développement local, la société civile...) (Laroussi 2009).

Dans le domaine des transports, l'application de ces mesures22 a mis à mal une gestion coordonnée dans la réponse à apporter au problème de la demande sociale de mobilité (Fourchard and Bekker 2005). Il s'est introduit un chevauchement dans les attributions qui, à terme, a conduit à une fragmentation des responsabilités entre les collectivités locales sollicitées dans la mobilisation des ressources et les structures représentantes de l'Etat ou sous tutelle de l'Etat23. Au plan social, cette situation a entraîné, la montée en puissance de groupements associatifs qui se réapproprient la gestion des transports collectifs. Actuellement, ce sont ces groupes de personnes autoproclamés et organisés en coopératives de caractère corporatif et en des fédérations des chauffeurs ou des transporteurs qui ont une position dominante dans les initiatives alternatives du transport urbain en Côte d'Ivoire. À Yopougon comme dans l'ensemble de la ville d'Abidjan, les espaces publics sont devenus des portions de la ville appropriées sur laquelle peuvent apparaître des enjeux de pouvoir. Dans cette vision, les parties prenantes désignent l'Etat, la mairie, le district, les jeunes de quartiers, les fédérations des propriétaires, les fédérations de chauffeurs. (voir le schéma 1).

22 Décentralisation et de libéralisation

23 La double logique de la décentralisation et de la libération23 entraînent des changements notables. La compétence en matière de régulation, naguère dévolue à l'administration du Ministère des Transports et à la Ville d'Abidjan, se trouve désormais fragmentée par les lois modificatives de la décentralisation de 199523. A ces structures, les lois associent maintenant les mairies, la SONATT23 (ex DTT) et l'AGETU.

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Schéma 1: Les parties prenantes

Mairie

Etat

District

Taxi collectif

Jeunes de quartiers

Fédération des propriétaires

Fédérations des chauffeurs

Source: nos entretiens adaptés à la théorie de (Donaldson and Preston 1995)

09.4. Le transport alternatif comme une «arène» où des conflits sont observables

Comme nous le mentionnons plus haut, il existe des tensions et des conflits entres les différents groupes d'acteurs engagés dans l'organisation des taxis collectifs. L'analyse du fonctionnement des différents réseaux de relations montre que les tensions sont liées à des motifs divers visant, pour certains le contrôle à l'entrée de la profession, pour d'autres à reproduire dans ce nouvel espace un pouvoir ancien ou encore à acquérir un nouveau statut. Plus simplement, ces négociations permettent d'espérer capter un flux financier (Olivier De Sardan 1995).

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En s'appuyant sur l'analyse des parties prenantes de (Donaldson and Preston 1995), on comprend aussi que le fonctionnement actuel des taxis collectifs est le résultat d'interaction entre une pluralité d'acteurs d'échelles différentes (le représentant de l'Etat (AGETU), les collectivités locales (mairie et district) et les acteurs privés. Pour expliquer le fonctionnement de telles organisations, (Donaldson and Dunfee 2001) utilisent volontiers la métaphore de la glue. Selon ces auteurs, la vie des organisations repose sur un ensemble de relations et d'obligations morales implicites «collantes». C'est selon eux, cette colle qui doit être isolée, mise en valeur et justifiée en montrant qu'elle est le résultat rationnel d'un choix de tous. Sur cette base, on remarque que les acteurs privés apparaissent comme les acteurs économiques officiels. Ce sont eux qui sont légitimes et qui disposent de pouvoir discrétionnaire selon (Carroll and Näsi 1997). Mais que faut-il entendre par pouvoir discrétionnaire ou acteurs officiels et légitimes? Par partie prenante légitime, officielle et possédant de pouvoir discrétionnaire, il faut entendre des ayants droits selon (Carroll and Näsi 1997) et des parties qui ont des relations directes et déterminées contractuellement avec l'entreprise. Aussi, dans l'analyse de l'organisation des transports alternatifs, remarque-t-on que ce sont les entrepreneurs privés connus sous l'appellation générique de syndicat qui sont identifiés comme les acteurs clés, par leur prégnance et par la vitalité de réseaux divers.

Toutefois, il est possible de distinguer les PP primaires (c'est-à-dire celles qui ont une relation contractuelle et formelle avec l'entreprise: propriétaires, employés, fournisseurs et clients) des PP secondaires comme les media, consommateurs, groupes de pression, gouvernements, concurrents, public et société (Carroll et Buchholtz, 2000, p. 68, Clarkson, 1995, p.106), où ici les collectivités locales (mairies et district). Les PP secondaires peuvent avoir une influence potentielle (en cas de boycotts ou de campagnes de dénonciation par exemple) et peuvent rapidement émerger comme des acteurs capables d'influencer la performance de l'entreprise. Ainsi, en privilégiant la définition de (Clarkson 1995) et de plusieurs autres auteurs, tels (Frooman 1999; Kochan and Rubinstein 2000), on peut

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comprendre le degré d'influence et le rôle central joué par les mairies dans le choix de la couleur du taxi communal et à terme dans la dynamique d'émergence des taxis collectifs abidjanais. En effet, l'histoire de l'intervention des mairies dans la gestion des questions liées au transport urbain d'Abidjan remonte à l'année 199524. L'idée portée par les politiques de décentralisation étant le renforcement institutionnel par l'implication des collectivités locales dans les questions qui touchent directement les intérêts des populations locales. Cela ne suppose pas seulement de respecter les textes de lois, mais aussi de comprendre comment les cadres formels définis en dehors de l'intervention des projets structurent les actions des intervenants. Ainsi, que ce soit l'actuel rattachement des taxis collectifs aux mairies ou de leur intégration en transport urbain ou même du choix des couleurs des taxis communaux, cela est le résultat de luttes et de négociation d'intérêts croisés avec des acteurs multiples et hétérogènes.de ville d'Abidjan25. À ce propos pour Denis Chabault,

« Les pôles de compétitivité sont constitués de multiples parties prenantes aux intérêts parfois identiques, mais aussi contradictoires, qui entretiennent des relations très fluctuantes et s'investissent différemment en fonction de leurs propres impératifs stratégiques.» (Chabault 2011),

À la lumière de la théorie des parties prenantes on comprend bien comment de telles évolutions des logiques de production des politiques publiques peuvent offrir des opportunités, des marges de manoeuvre exploitables pour les intervenants. Le réalisme des mairies sollicitées fréquemment par l'Etat dans la mobilisation des ressources, leur a permis d'exploiter et de rendre visible des textes lois qui n'était jusque-là que de simples formulations juridiques il y a

24 La compétence en matière de régulation, naguère dévolue à l'administration du Ministère des Transports et au district d'Abidjan, se trouve désormais partagée par les lois modificatives de la décentralisation de 1995. À cette structure, ces lois associent maintenant les mairies et la SONATT24 (ex DTT)

25 Les collectivités locales sont certes reconnues officiellement comme échelon de pouvoir après l'Etat, mais les limites de compétence demeurent floues et les délégations gestionnaires entre gouvernements locaux et acteurs privés semblent être réalisées hors de tout cadre législatif ou réglementaire.

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quelques années26. I1 y a donc des pesanteurs à la fois techniques, structurelles et financières qui, dans le contexte de crise économique rendent conflictuel l'expérimentation d'une gestion plus rapprochée de collectivités locales. Dans le secteur des transports collectifs de la ville d'Abidjan, ces rapports conflictuels entre mairies et district, entre ceux-ci et l'GETU sont illustrés entre autres, par la prolifération des centres de décision dans l'encadrement des taxis collectifs, mais aussi par la progression massive des entrepreneurs privés de transport. Ce sont eux qui structurent, orientent et «homogénéisent» l'espace transport. Phénomène international, ces acteurs de la rue font désormais partie du paysage urbain dans les grandes villes en Afrique.

Le professeur Yao Assogba décrit cette catégorie d'acteurs en Afrique comme des homo anthropologicus, c'est-à-dire des acteurs producteurs de cultures qui constituent une des composantes de la culture populaire de l'Afrique urbaine (Yao 2001 ). Une approche descriptive du schéma fonctionnel des transports collectifs de Yopougon, laisse entrevoir que le seul agrément de l'autorité publique (mairie, district, AGETU, etc.) ne suffit pas pour mettre un taxi collectif en circulation. Le contrôle spatial, les règles du jeu et les modalités de fonctionnement du réseau de desserte sont du domaine des professionnels syndicats. Organisés en réseaux hiérarchisés, ou en associations, ces acteurs mettent en place des alliances et partenariats avec d'autres acteurs, notamment les collectivités locales des territoires sur lesquels ils travaillent. C'est auprès de ces syndicats que doivent impérativement s'inscrire les nouveaux arrivants à la profession. La mise en ligne d'un véhicule est soumise à leur approbation préalable, sans laquelle il est difficile d'exercer. L'inscription sur la ligne appelée aussi « droit de ligne » se fait moyennant le versement d'une taxe qui varie selon le type de taxi entre 15 000 et 25 000 F CFA. Structurés en réseaux hiérarchisés, ils sont les principaux gestionnaires des gares routières. Les syndicats sont intransigeants sur l'accès à l'espace et plus particulièrement sur le règlement financier qu'ils imposent.

26"La délivrance des autorisations, l'approbation des tarifs, la perception des redevances relatives à l'exploitation des transports publics ne dépassant pas les limites de la ville et des autorisations de stationnement sur la voie publique et urbaine"

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Ainsi à mesure que le contrôle de l'État sur la société ivoirienne s'est affaibli à la faveur de la décentralisation et de la libéralisation, les associations des transporteurs terrestres sont transformées en agents informels de régulation, de protection et d'extorsion. La rareté des ressources à laquelle sont confrontées les populations ivoiriennes de ces derniers temps, tend à induire des conséquences. Elle occasionne une forte incertitude relative à la maîtrise du contrôle du secteur des transports collectifs. Cette incertitude amène alors une forte concurrence entre les acteurs, chacun cherchant à protéger ses propres ressources et intérêts.

10 Plan de restitution des résultats

La restitution des résultats de nos investigations s'articule autour de trois parties composées au total de neuf chapitres

- Première partie: Processus d'émergence des initiatives alternatives de mobilité - Deuxième partie: Les woro-woro: reconstitution du processus d'évolution d'un mode de transport alternatif émergeant

- Troisième partie: Analyse de la structuration des woro-woro

La première partie met en évidence les circonstances de naissance des transports alternatifs. (Godard and Kama 1986; Godard 2002; Sahabana 2006; Diaz Olvera, Plat et al. 2007), considèrent qu'il existe une correspondance entre les modes de transport de type africain d'aujourd'hui et les pratiques de commerce d'autrefois. Un lien indirect rattache le mode de transport d'aujourd'hui aux activités de transport des hommes et des femmes du passé, car ceux-ci ont disparu, mais ont laissé des traces (Noiriel 2006). Ce sont les acquis d'ordre culturel liés essentiellement au commerce africain qui ont constitué les ferments de la naissance d'un mode de transport africain lorsqu'il s'est posé à Abidjan, capitale de la colonie, un problème de mobilité dans un contexte de séparation entre

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quartiers africains et ville blanche (Antoine, Dubresson et al. 1987; Diabaté and Kodjo 1991; Goerg 2006) (chapitre.1). Le chapitre 2 met en relief les transformations démo-spatiales successives d'abord de la ville d'Abidjan et ensuite de Yopougon comme source de disjonction entre lieux de résidence et zones d'activités quotidiennes. Pour les besoins de mobilité quotidienne des habitants de Yopougon, le seul mode de transport de l'Etat ne répond plus convenablement. Aussi, l'alternative a-t-elle été trouvée du côté des transports dits informels. Quant au chapitre 3, il s'intéresse aux mécanismes de mise en place des structures de transport à Yopougon en lien avec la croissance urbaine. Face aux mutations de la structure urbaine, l'incorporation des nouveaux moyens de mobilité à côté de l'offre publique formelle a d'abord commencé par les gbaka. Mais comme ceux-ci ne suffisaient pas, il y a eu ensuite apparition des taxis collectifs à partir de 1972.

La deuxième partie reconstitue le processus d'évolution du taxi collectif comme moyen de transport émergeant. Pour cela, le chapitre1 retrace la trajectoire du taxi communal actuel de Yopougon. Comment d'une offre de taxi non prévue et spontanée, on en est arrivé à une offre communale de taxi collectif plus organisée avec comme référence la couleur «bleue»? C'est aussi dans ce même processus de mutation que se situe le chapitre 2 qui analyse les déterminants du passage du taxi communal au taxi intercommunal. Le chapitre 3 qui se veut plus descriptif, analyse l'évolution de la structure de fonctionnement du taxi collectif ainsi que la typologie des acteurs qui gravitent autour de ce nouveau moyen de transport.

La troisième partie qui s'intitule «analyse de la structuration des woro-woro» démontre à son chapitre1 que la reconnaissance des woro-woro comme une part de l'offre de transport de la ville par les pouvoirs institutionnels est en partie liée à la réglementation et aux performances de l'offre publique formelle. Les lois de décentralisation, mises en place dès le début des années 1980, en Côte d'Ivoire, dans un contexte de crise économique, ont modifié les arbitrages entre les acteurs des secteurs public et privé impliqués dans la gestion de services des transports urbains. Les acteurs institutionnels en particulier, accrochés à leurs prérogatives

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délaissent l'aspect normatif de la régulation au profit de la fiscalité. Ces pratiques ont introduit un climat de concurrence entre responsabilités et permis l'émergence des spécialités des woro-woro (chapitre 2). Cette perte de centralité des pouvoirs institutionnels a ouvert des espaces d'expression supplémentaires à bon nombre de personnes sans qualification professionnelle ou formation particulière: les «syndicats des transporteurs». Ceux-ci profitent des empiètements de prérogatives entre les structures officielles en charge de la gestion des transports pour s'ériger en «maîtres absolus» dans l'expansion des woro-woro (chapitre 3).

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RESULTATS

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Première partie:

Processus d'émergence des initiatives alternatives de mobilité

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Chapitre 1 :

Aux origines des transports alternatifs

En Côte d'Ivoire et particulièrement à Abidjan, le premier type de transport collectif est apparu vers les années 1930. Constitués de taxis collectifs, les premiers véhicules de transport urbain à Abidjan étaient de marque Buick et Chevrolet et étaient au nombre de trois ou quatre voitures (Demur 1969)27 En 1952 le nombre est passé à 250 environ. Ils se sont multipliés jusqu'à 300 en 1962 avec des marques diverses (Ford, Vedette, Citroën, Peugeot, etc.) Ces véhicules prenaient les passagers à condition d'avoir de la place Le prix de la course était de 30 FCFA par personne quelle que soit la distance. D'où l'appellation de«30-30» qui signifie en malinké «woro-woro»28. À côté de ces véhicules «30-30», il y avait les minibus «1000 kilo» de marque Renault appelés «gbaka». Ce transport, avec l'accroissement de la ville, s'est progressivement étoffé pour donner lieu à un transport collectif privé.

Ainsi, la naissance d'initiatives en faveur d'une mobilité alternative dans l'espace urbain de Yopougon résulte du processus initié au cours des années 1950 dans la ville d'Abidjan, lorsque les populations africaines, propriétaires de véhicules particuliers ont entrepris d'exploiter la carence des transports publics formels. Dès lors, pour comprendre les facteurs de naissance des modes alternatifs de mobilité à Yopougon, il importe de les étendre au contexte général de la ville d'Abidjan dont Yopougon est une composante. Les circonstances de naissance et d'organisation de réponses alternatives de mobilité d'Abidjan doivent éclairer celles de Yopougon (Guibert and Jumel 2002).

27 Ces véhicules de transport étaient détenus par les Européens et certains groupes Syro-libanais.

28 Les surnoms donnés aux véhicules de transport collectif mettaient en valeur leur tarif.

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1.1 Les transports alternatifs: une naissance influencée par les pratiques du commerce africain

Selon (Bloch 1949), la recherche historique a pour fonction de révéler, à partir des traces dont on dispose, les faits du passé. Cette singularité de l'histoire dans le champ de la sociologie, nous permet de trouver dans les pratiques du commerce du passé les éléments d'explication des modes de transport africains qu'on observe aujourd'hui dans la ville d'Abidjan et notamment à Yopougon. Certes, l'analyse orientée vers la recherche d'une limite chronologique pertinente pour l'explication d'un problème du présent est d'un usage délicat selon (Dosse 1987). Mais dans ce travail, il n'est question que dans la stricte mesure où les pratiques du commerce précolonial d'autrefois pèsent sur les modes de transports alternatifs et commandent secrètement les enjeux des pratiques actuelles (Lepetit 1996).

Certains auteurs tels Diaz Olvera, Plat Didier, Pascal Pochet, Sahabana Maïdadi, Xavier Godard à travers les références faites aux différentes appellations de ces transports, semblent indiquer une correspondance entre les modes de transport africain et les pratiques de commerce d'autrefois. Les transports alternatifs trouvent leur origine dans les pratiques du commerce précolonial africain. Les deux pratiques se rapprochent par la similitude des mêmes groupes d'acteurs influents (les Malinké), par l'usage d'un moyen, même si le portage et l'usage de dos d'ânes ont été remplacés par le véhicule et par une implication importante des intermédiaires (syndicats). Néanmoins, là où les «30-30» relèvent d'une pratique informelle et non prévue à l'avance, le woro-woro dans sa tendance actuelle apparaît davantage organisé. Il s'agira alors, au travers de cette perspective historique de retrouver la filiation de cette pratique, mais aussi de comprendre le passage entre la pratique informelle qu'est le «30-30» à la pratique organisée du woro-woro actuel.

Des camions, la pratique se serait alors ensuite transposée sur les transports en ville. Puisque pendant la colonisation, on assiste à la fin du commerce caravanier,

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1.1.1 Le commerce précolonial à longues distances, le berceau des transports alternatifs

«Les structures du passé se prolongent dans le présent et le sociologue est appelé à enregistrer le mouvement qui caractérise les phénomènes sociaux car, dans le chantier de l'histoire, il retrouve ses matériaux, ses outils, son vocabulaire, ses problèmes, ses incertitudes même»(Braudel 1969).

L'histoire des transports alternatifs est très étroitement liée à celle du commerce actuel. Leur émergence et leur développement sont le produit à la fois de l'évolution des pratiques de ce commerce, de sa complexification et des relations entre l'Etat et les groupes d'acteurs qui l'animent.

Les modes de transport de type africain, les termes comme les acteurs donnent l'impression d'être nés avec la création des villes africaines actuelles. Pourtant, il est possible de trouver des correspondances entre ces modes de transport et d'autres usages du passé. Un ensemble de pratiques sociales et économiques préexistait à l'établissement colonial. Ainsi, les pratiques du commerce à longues distances d'autrefois se rapprochent de celles d'aujourd'hui. Les deux pratiques se ressemblent par la forte implication des mêmes individus issus du même groupe socioculturel Malinké. Le transport des gbaka et des woro-woro pourraient alors venir de la transposition des pratiques du commerce de ces acteurs d'abord sur le transport des marchandises inter-Etat. À ce titre, Pascal Labazée, Yves Fauré donnent une belle illustration:

«Ces hommes d'affaires sont venus au transport après avoir tenu une boutique, fait du commerce régional transfrontalier ou du commerce à longue distance pour les plus âgés. Ils investissent progressivement dans tous les types de transport, y compris ceux plus coûteux en capital, des hydrocarbures et du transport du bois. Ils sont également à l'origine du fort développement, en Côte d'Ivoire, du transport de personnes, interurbain ou régional les taxis-brousse» (Fauré and Pascal 2002)

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au renforcement du commerce de traite né des comptoirs européens à l'intérieur des espaces territoriaux issus du partage colonial. Aujourd'hui, plusieurs études attribuent à ces transporteurs la qualité de «Dioula transporteur» (Aka 1988; Dembélé 2002; Kassi 2007). Ainsi, la présence des entrepreneurs Dioula dans le transport est très ancienne et remonte à l'époque coloniale. Selon Harding et Pierre Kipré, le transport est à la fois ce qui a facilité l'adaptation des Dioula aux flux imposés par le capitalisme colonial.

«Ils sont dès les années 1930 les plus nombreux à introduire une demande d'autorisation de transport en commun. En 1935, 89 % des transporteurs sont des Africains. En 1938, ils sont 98 % »(Kipré, Harding et al. 1992).

Le commerce du cola a engendré de longs déplacements de commerçants à travers des espaces économiques entre le Nord et le Sud de la Côte d'Ivoire. Mais l'occupation coloniale a ruiné ces échanges traditionnels. Les signes précurseurs de ces changements sont nés avec l'intervention coloniale qui a modifié l'organisation des échanges avec l'introduction de nouveaux produits. C'est ainsi que les anciens pôles de développement ont été délaissés au profit d'Abidjan et de Bouaké qui se sont réveillé avec les routes et le chemin de fer29. Dans le même temps, Anyama qui est une banlieue d'Abidjan était devenue la plaque tournante du commerce du cola30.

Toutefois, l'implantation coloniale française n'a pas éteint le dynamisme des Dioula. Bien au contraire, ils ont exploré d'autres secteurs d'activité dont le transport. À l'époque coloniale, ce sont ces Dioula et les Sénégalais qui furent les premiers autochtones à investir le secteur des transports. À la fin de la Deuxième

29 Entre 1955 et 1965, la population urbaine s'est accrue en moyenne de 10% par an avec de fortes inégalités: + 10 % pour Abidjan, +0,7 % pour Bouaké, + 10 % pour les quatre villes

moyennes de plus de 20 000 habitants (Daloa, Man, Korhogo, Gagnoa).

30 Anyama était non seulement une zone productrice du cola, mais favorisait doublement le commerce de produit à cause de la voie ferré qui facilitait les transactions entre les régions de la boucle du Niger et la zone forestière. On trouvait aussi à Anyama le jonc qui facilitait l'emballage du cola.

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Guerre mondiale, sont apparues les premières entreprises de transport collectif pilotées par des autochtones qui étaient restées pendant longtemps la chasse gardée des Européens et des Libano-Syriens. C'était l'époque où la carrosserie des véhicules était transformée, consolidée pour supporter l'état des infrastructures ivoiriennes et augmenter la capacité de charge. Avec l'aide des forgerons, on effectuait les modifications nécessaires pour adapter les véhicules à leurs nouvelles fonctions. Au fil du temps des initiatives individuelles se sont organisées pour constituer une véritable corporation de transporteurs. Il s'agit principalement du transport collectif par le moyen des «1000 kilo» appelés gbaka et des «30-30» ou woro-woro.

1.1.2 Le portage, les dos d'ânes: des usages détournés de

véhicules

Au nombre des moyens de déplacement utilisés par les populations africaines dans leurs transactions commerciales, on note le portage des marchandises, par les jeunes gens, des aides ou des esclaves ou même de l'usage de dos d'animaux, notamment les ânes. L'organisation du commerce peut être appréciée à quatre niveaux: les pistes d'évacuation, les moyens de transport, les intermédiaires (c'est-à-dire les agents de liaison qui jouaient le rôle de transitaires pour l'expédition et la réception des marchandises) et le réseau de distribution. Les pistes d'évacuation, c'étaient les pistes terrestres, créées et contrôlées par les commerçants, les voies d'eau et quelques rares fois les routes officielles. Ces commerçants par le moyen de portage, soit à travers des esclaves, soit sur les dos d'ânes ou de chameaux, d'engins à deux roues, de la pirogue (lorsqu'il s'agissait d'emprunter les voies d'eau), etc., assuraient le ravitaillement des populations en cola, en bétail, en poisson séché, en tissus, en or, et sel, etc. Mais, l'occupation coloniale est porteuse de germe de mutation. Selon Pascal Labazée, depuis leur indépendance, les États ouest-africains ont connu un ensemble de mutations dont l'un des traits dominants est l'émergence d'un monde des affaires composé de promoteurs nationaux. Le commerce dit traditionnel est orienté vers la satisfaction de besoins nouveaux. En outre, les établissements européens, disposant d'une rente de situation à l'époque coloniale, privilégient les opérations d'importation de

Ainsi, les conditions d'apparition des transports alternatifs sont indissociables des pratiques du commerce africain basées sur des relations de travail à base

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produits manufacturés au détriment de l'exportation des produits du cru, jugée aléatoire.

«Confiné, à l'ère coloniale, dans le négoce des produits de consommation dits traditionnels (cola, bétail, bandes de coton, karité...), ou employé en tant qu'intermédiaire par les sociétés de commerce européennes, le grand commerce local a su progressivement adjoindre de nouveaux produits à sa gamme: matériaux de construction, quincaillerie, tissus, pièces détachées pour cycles et automobiles, produits vivriers» (Labazée 1988).

Avec l'accentuation de l'importation des produits manufacturés, les pratiques anciennes de portage et d'usage de dos d'ânes ont évolué de façon significative. Dès les années 30, les grands commerçants ont acquis des véhicules de transport. Les camions, qui ont ainsi remplacé les ânes ou les porteurs, leur confèrent un avantage certain. La plupart des commerçants se sont équipés au cours des années 50 et 60, ce qui a coïncidé avec leur insertion dans la collecte du cacao, du café, dans la distribution en gros dans les centres urbains et dans les transports urbains et interurbains.

1.1.3 L'intermédiation et le courtage présents dans le commerce se retrouvent dans le transport

Aussi bien dans le commerce que dans le transport, on remarque une importante implication des intermédiaires. En Afrique et notamment en Côte d'Ivoire, dans les activités sociales et économiques, on note une importante implication d'individus «intermédiaires». Les activités liées au développement des transports ne sont pas en reste. Dans ce secteur, on note un fleurissement d'intermédiaires souvent informels. La logique consiste pour ces courtiers à se transformer en protecteurs, ou en guides qui vont même parfois dans les méandres de l'administration avec lesquelles ils ont des relations d'une étendue variable.

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communautaire. Mais parler de relations, c'est selon (Merclé 2004) restituer aux comportements individuels la complexité des systèmes de relations sociales dans lesquels ils prennent sens, auxquels ils donnent sens. Les relations à caractère familiales ou de dépendance sont les premiers recours possible dans la constitution de la main-d'oeuvre dans les modes de transport alternatif. Le lien contractuel verbal est fort et garantit un droit au maintien, si les termes du contrat sont respectés. Les liens de parenté entre entrepreneurs limitent également les renvois systématiques. Le transport a été et reste encore un secteur de placement social (SSATP 2001). Les différents acteurs y amènent souvent leurs parents proches pour l'apprentissage d'un métier qui culmine avec celui de chauffeur, d'apprenti ou de chargeur.

Dans un contexte économique où les institutions chargées de l'emploi formel sont mises à rude épreuve, les relations de parenté sont donc mises à contribution afin de satisfaire ce besoin. Aussi, les membres de la cellule familiale constituent-ils une réserve de main-d'oeuvre indispensable pour le responsable chargé de recruter du personnel ou pour celui qui achète un véhicule de transport. Ce choix porté sur les membres de la famille est également fonction des valeurs traditionnelles. En effet, la société africaine s'est depuis toujours distinguée par son attachement à la structure familiale. Le marché du travail est en même temps un marché de relations sociales. Ainsi dans les relations de travail, les rapports sociaux lignagers prennent parfois le pas sur les règlements officiels. Le recrutement d'un grand nombre d'entrepreneurs du secteur des woro-woro est caractéristique des droits et obligations en vigueur dans la société africaine (Hernandez 1995). On peut donc en déduire avec Tbou Sané que «l'informel», s'il constitue une réponse de survie, semble correspondre assez bien aux valeurs socio-culturelles africaines.

La réussite ainsi que l'ascension des activités dites informelles ne tiennent point du miracle, mais découlent d'une organisation socio-économique où la solidarité et la confiance sont les maîtres-mots (Sané 1993). Le développement des initiatives alternatives de mobilité n'apparaît donc pas comme un phénomène nouveau et isolé. C'est une transposition de pratiques commerciales, économiques

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et culturelles des Africains à l'automobile. Elles prennent des noms divers dans les Etats et se sont développées de manière significative en rapport avec le développement progressif des grandes villes comme l'indique le tableau suivant

Tableau 4: Quelques modes de transports en Afrique

Pays

Appellation locale

Bénin

Zemidjan (prends-moi vite, transport rapide et porte à porte)

Kenya

les emergency taxis (taxis collectifs d'au plus 7 places), puis les commuter buses (bus de liaison, en majorité des minibus

Congo Brazza

foula-foula (qui va vite, se faufile, on ne peut pas l'attraper)

Cameroun

Bendskin (penche-toi pour mieux t'accrocher au véhicule ; danse traditionnelle de l'Ouest du Cameroun)

Kenya

Boda-boda (border to border)

Niger

Kabu-kabu (haoussa)

Nigeria

Okada

Ouganda

Boda-boda (border to border)

Sénégal

Ndiaye ndiaga (mouride), car rapides

Togo

Oléyia (Ewé) = est-ce que tu vas?

Côte d'Ivoire

Woro-woro (manlike) (30f, 30 f)

Source: Adapté des travaux de (Diaz Olvera, Plat et al. 2007)

Actuellement, dans la ville d'Abidjan et notamment à Yopougon, le secteur des transports alternatifs est essentiellement entre les mains de néo-citadins et natifs de souche qui se sont en réapproprié un certain nombre d'enseignements socioculturels de leur terroir pour sortir de la marginalité dans laquelle les confine la «ville formelle». Mais qui sont les animateurs de ces transports? Au-delà du parallèle entre le déficit des moyens formels de mobilité et la naissance de réponses alternatives de mobilité, un autre fait que notre approche historique nous a révélé est le rôle des Malinké dans la trajectoire historique de ces transports.

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1.2 Les Malinkés: une présence historique
dans le transport

Au niveau historique, plusieurs faits rendent compréhensible la présence des Malinkés dans le transport. Il s'agit des appellations liées au matériel roulant et de noms renvoyant à certaines catégories spécifiques d'entrepreneurs. En outre, certains travaux réalisés sur l'entreprise ivoirienne ont mis en évidence l'existence d'un corps social intégrant l'activité économique en fonction des appartenances socioculturelles. Ainsi pour (Dembélé 2002), ce sont les Maliens, les Guinéens, les Malinké et les Sénoufo ivoiriens, englobés dans le grand groupe des commerçants Dioula qui occupent largement le champ du commerce et du transport urbain.

«Le corps social est alors constitué selon une structure socioéconomique nationale intégrant des compétences appartenant à divers groupes socioculturels: le paysan autochtone, le Mossi manoeuvre, le Dioula commerçant, transporteur, artisan, le Libanais [...] Le champ nouveau des services urbains et ruraux présente une infinité des rôles occupés par les groupes ethniques spécifiques à chaque secteur d'activité économique correspond un groupe socioculturel ivoirien» (Dembélé 2002).

1.2.1 La culture malinké très visible dans le secteur

Parler de culture Malinké dans le secteur du transport collectif, c'est aussi faire référence à l'usage d'un vocabulaire propre à ce secteur d'activité et dont les référents renvoient au paysage culturel Malinké. Ainsi, dans certains cas, il s'agit des appellations liées au matériel de travail et dans d'autres, des noms qui font référence à la profession. Au nombre de ces appellations, on note le terme «woro-woro» de «dioula» ou de «dioulatchè», de «massa», etc. En outre, certains transporteurs n'hésitent pas à afficher leur appartenance confrérique.et l'un des moyens les plus utilisés est l'inscription ostensible de signes et d'images religieux dans les véhicules tel « Alhamdoulilahi » qui signifie si Dieu le veut.

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1.2.2 Le terme «woro-woro»

Le mot «woro-woro» est une création néo-traditionnelle qui vient d'une des langues de la Côte d'Ivoire, le Malinké. Woro-woro signifie à l'origine «30, 30», par imitation phonétique du coût du trajet «30 f». Par image, ce terme a désigné les véhicules qui concurrençaient les taxis compteurs, création de l'administration coloniale. À l'origine c'étaient des Malinké qui exploitaient ces véhicules. Ceci s'explique par le fait que les plus grands groupes des tout premiers migrants Africains arrivés à Abidjan et ayant investi dans le transport étaient des Malinké (Aka 1988; Kassi 2007). Au début, les woro-woro étaient utilisés pour la desserte du quartier africain Treichville marchés (Antoine, Dubresson et al. 1987). Mais peu à peu, par nécessité, ils ont été utilisés par l'ensemble de la population de la ville d'Abidjan.

Pour les interviewés des années 1960 à 1970, le woro-woro ou taxi ville était un mode de déplacement à part entière. Le woro-woro est alors conçu comme un complément à la marche, permettant à la fois de soulager les marcheurs et d'accroître leur vitesse de déplacement. Le passage du terme «de portage» à «woro-woro» marque un changement sémantique et son utilisation implique également un glissement progressif d'une pratique à une autre. En outre, le terme woro-woro apparaît beaucoup plus large que celui «de portage», puisqu'il désigne l'utilisation d'une voiture en commun, et pas seulement entre un individu porteur et ses bagages, comme le suppose le terme de portage et la pratique. De plus, l'une et l'autre pratique n'ont pas les mêmes implications en termes matériels et de gain de temps. En revanche le portage et le taxi collectif woro-woro se ressemblent sémantiquement puisque les deux termes évoquent l'usage d'un moyen de déplacement sur un trajet donné. Mode de transport éminemment informel et spontané au départ, le woro-woro va progressivement s'organiser et s'institutionnalisé grâce à une multitude d'acteurs qui le portent.

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1.2.3 Les termes de «Dioula» ou de «Dioulatchè»

Les deux termes viennent du vocable «Dioula» et signifient négociant, commerçant. Dans le milieu du transport, ces deux termes renvoient à la structure de la propriété. Ainsi les propriétaires qui n'ont qu'un seul véhicule sont désignés par le terme de «Dioula». Quant au terme de «Dioulatchè», il désigne tout propriétaire qui a plus d'un véhicule à sa possession. De plus, des travaux existent et qui justifient clairement l'ancienneté et la domination des Dioula dans le transport. Il s'agit de l'étude d'Aka Kouadio Akou intitulée:«l'organisation des transports collectifs à Abidjan» (thèse de doctorat). Dans cette étude réalisée en 1987, et particulièrement au chapitre relatif à l'identité des propriétaires des gbaka et taxis collectifs, il est parvenu aux résultats suivants:

«Sur un échantillon de 100 personnes enquêtées, 58% sont Dioula dont 22% sont propriétaires de leurs véhicules et 36% sont salariés. Les autres ethnies de la Côte d'Ivoire représentent 26% et les étrangers 16% (p.95)».

L'ancienneté et l'importance des entrepreneurs Dioula dans le secteur des transports relèvent d'une évidence historique. Mais à la fin des années 1980 et surtout au milieu des années 1990, la crise et l'assouplissement de la règlementation sur les conditions d'exercice du transport urbain ont ouvert une brèche à l'entrepreneuriat et popularisé les pratiques de l'offre alternative. La concurrence dans le transport semble limiter les investissements massifs des Malinké. Aujourd'hui, le secteur du transport est composé, en grande majorité, d'une multitude de petits acteurs qui rendent la rentabilité de plus en plus aléatoire. Ces appellations liées au répertoire socioculturel Malinké ainsi que l'ancienneté et l'importance des entrepreneurs Dioula dans le secteur des transports indiquent que ces types de transport n'ont pas leur moteur dans la ville d'Abidjan, mais dans la culture et les pratiques des populations urbaines migrantes.

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1.3 Naissance d'Abidjan et apparition de
mode de transport de type africain

La première capitale de la colonie française de Côte d'Ivoire fut Grand Bassam, ville côtière située à 50 km à l'ouest de l'actuelle Abidjan. Le déplacement des colons de Bingerville vers Abidjan a contribué à l'accroissement des activités administratives et commerciales. À cette époque, le transport collectif était monopolisé par les colons et les Libano-syriens lesquels étaient également les principaux acteurs commerciaux de la colonie de Côte d'ivoire (Chauveau 1980). Les dessertes de ces transports épousaient les contours de la ville partagée selon le modèle de séparation entre quartiers européens et quartiers africains (Antoine, Dubresson et al. 1987).

La ville d'Abidjan a amorcé son développement dès son érection en capitale de la colonie en remplacement de Bingerville en 1934. À cette date le coeur de la ville était organisé autour de la fonction ferroviaire. La ville jouait deux fonctions principales. Ce sont la fonction commerciale et la fonction administrative. L'ensemble de ces activités ainsi que les différentes offres de transport se déroulaient autour de ces trois quartiers qui constituaient la ville d'Abidjan. Il s'agit notamment du Plateau, d'Adjamé et de Treichville.

1.3.1 Structure coloniale de la ville et usages de modes de transport de type africain

À Abidjan, la diversification des modes de transport collectif est liée à l'application d'une politique coloniale du transport discriminatoire en faveur des colons Européens et des Libano-Syriens. La marginalisation des acteurs «autochtones et indigènes» s'est effectuée dans un contexte d'accroissement de la mobilité avec le développement du transport routier qui a longtemps été secondaire par rapport au transport ferroviaire, avant de le supplanter après l'indépendance de la Côte d'Ivoire. Pour de nombreux chercheurs, la gestion dualiste des villes africaines remonte certes à l'Antiquité (phéniciens, grecs et

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romains en Afrique du Nord), mais elle est surtout liée à la colonisation européenne entre le XVIème et la première moitié du XXème siècle31. Cette vision importée et imposée de la ville par les colonisateurs, ses mécanismes de traduction sur les sociétés et les espaces, ont un impact sur le rapport du Noir à la ville. Cette conception forge une image duale de la ville, plaquée sur la diversité des situations, qui s'appuie sur plusieurs critères, notamment la réglementation, les équipements ou le statut foncier mais aussi le discours (Georg 2006). Rejetés hors de l'espace urbain, niés dans leur urbanité, les colonisés n'eurent d'autres solutions que d'inventer leur propre rapport à la ville, de construire leur propre ville.

L'idéologie coloniale française construit une ville basée sur un modèle dichotomique, défini par un espace administrativement borné, exclusif et hiérarchisé juridiquement. Dans cette optique, la composante idéologique de la ville «construite», au sens abstrait mais aussi immobilier du terme, est évidente. L'Etat colonial cherche à orienter la notion même de «ville» et le rapport à l'espace urbain, dans la logique d'un contrôle total. Cette attitude renvoie au dessein global de contrôle, qui doit être entendu en ville aussi bien en termes de contrôle de l'espace (le foncier, l'habitat, l'usage des lieux) que des populations, dans leurs contours, leurs identités ou leurs déplacements.

«Tout en refusant de considérer les Africains comme des citadins en les renvoyant aux villages, le vocabulaire exprimait la dualité des politiques urbaines, à la fois en termes de morphologie (mesures de ségrégation socio-spatiale; contraste net entre le centre et les périphéries) et de gestion (l'opposition entre la municipalité et les chefferies» (Georg 2006).

Divers mécanismes sont mobilisés pour différencier des portions de territoire à l'intérieur de la ville, circonscrire les habitants et opérer un tri parmi eux: «on a besoin de main-d'oeuvre mais non de citadins» (Goerg 2006). On peut ainsi analyser la dimension spatiale de cette construction, permettant d'ériger un périmètre comme urbain. Ceci se marque non seulement par le bornage strict de

31 related:www.operavenir.com/cours/docs/afre.doc

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l'espace mais aussi par sa hiérarchisation interne, repoussant hors de la définition urbaine certaines parties de la ville ainsi construites. Une fois cet espace délimité, on peut en effet théoriquement en contrôler l'accès, faire des citadins des privilégiés mais aussi décider de l'abandon volontaire de certaines zones, laissées hors du regard ou du schéma urbain. Dans ce processus, selon (Sinou, Poinsot et al. 1989 ; Diabaté and Kodjo 1991), la nomination (discours et vocabulaire) joue un rôle important dont l'ambiguïté intrinsèque doit être soulignée.

«Aussi était-il apparu nécessaire de doter la ville d'Abidjan, capitale de colonie d'un plan d'urbanisme moderne. Le plan rendu public en 1958, prévoyait le tracé de Treichville, appelé alors Anomabo, du Plateau et de Cocody. Il se caractérisait par un quadrillage régulier, avec une trame beaucoup plus serrée à Anomabo (future Treichville) la trame du Plateau avait 50 m de côté, alors que celle de la ville africaine n'en avait que 20» (Diabaté and Kodjo 1991)

Plateau était le centre-ville et le quartier européen. Situé entre Adjamé et Treichville, quartiers africains, le quartier de Plateau était isolé du nord par les deux camps militaires (Camp Mangin et Camp Gallieni), du sud par la lagune Ebrié. Treichville et Adjamé étaient les deux zones d'habitation des populations africaines. Tel est l'objectif du Plan Du Prey de 192832, plan qui a institué la séparation entre les quartiers européens et quartiers africains. Ce plan a fixé et délimité les zones d'activité et de résidence selon un modèle colonial de ville ségréguée et lancé les jalons de la spécialisation des différentes parties de la ville d'Abidjan.

1.3.2 De la spécialisation des quartiers de la ville d'Abidjan

L'ordre urbain colonial est un discours normatif du pouvoir et un ensemble de pratiques sociales et économiques qui préexistaient à l'établissement colonial. Le respect des nouvelles réglementations sur le domaine public (rues, marchés, cimetières, etc.) représentait l'acceptation de nouvelles normes sanitaires,

32 Le plan Du Prey de 1928 est le premier plan d'urbanisme de la ville d'Abidjan. La recherche d'une fonctionnalité optimale dans l'organisation urbaine d'Abidjan n'est pas la préoccupation essentielle de ce premier grand d'aménagement de la ville.

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sécuritaires et fiscales et relevait de plusieurs impératifs consubstantiels de l'imposition d'un nouvel ordre colonial. Contrôler le commerce africain, assurer la protection de la santé et des modes de vie des Européens et imposer un nouvel ordre urbain à des indigènes rarement considérés par l'administration coloniale comme des citadins. Pour les Français comme pour les Britanniques, contrôler les activités «indigènes» devait permettre de les centraliser sur des places officielles, de lutter contre la contrebande, de contrôler le commerce ambulant dans la ville et d'interdire la divagation du bétail. Les objectifs étaient essentiellement fiscaux (taxer les activités économiques, les marchés et les marchands) par le contrôle des prix et des produits et l'imposition des normes sanitaires (Fourchard 2006-2007).

En Côte d'Ivoire et notamment au niveau de la ville d'Abidjan, la conclusion du Plan Badani de 1948 était sans équivoque: parer au désordre qui entravait la circulation». Toutefois, le plan Badani a sous-estimé l'importance de la croissance démographique en accordant la priorité de l'économique sur le social, à l'image de la répartition des investissements. Le plan a surestimé l'étendue des zones industrielles, prévues à Petit-Bassam, Vridi et sur la rive ouest de la baie du Banco, par rapport aux secteurs d'habitat (Antoine, Dubresson et al. 1987). Ses insuffisances ont pour corollaire le développement des secteurs d'habitat illégal non lotis ou lotis par les propriétaires coutumiers.

La physionomie actuelle de l'agglomération sera esquissée à partir de 1948, lors de la préparation du plan d'urbanisme, plus connu sous le nom de plan Badani (1952)33 qui marque le passage de la cité administrative à la ville portuaire et industrielle. Suite au décret de juin 1946, un comité de l'urbanisme et de l'habitat aux colonies est créé. Il est chargé de doter les grandes villes coloniales de plans

33 Le plan Badani(1952), commandé dans la perspective du percement du canal et approuvé en 1952, repose sur le développement du port et des zones industrielles de Petit-Bassam et de Vridi, des zones 3 et 4, industrielles et résidentielles à la fois. Il prévoit des axes de circulation du Plateau à l'aéroport, une réserve de terrain pour la construction d'un aéroport international sur l'île de Petit-Bassam, l'édification d'un centre urbain administratif et commercial au Plateau, dont la tête de pont ainsi que le bureau de poste et l'ancien immeuble de l'EECI, sont les vestiges. L'extension de l'habitat dans les quartiers de Cocody, de Treichville, de Marcory et d'Adjamé. Henriette Diabaté, Léonard Kodjo, in Notre Abidjan

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d'urbanisme directeurs qui consacre la spécialisation des quartiers. La ville est divisée en zones. Les quartiers «indigènes», séparés de la ville par des zones industrielles et des camps militaires. L'urbanisme fonctionnel étant de rigueur, à chaque zone sa fonction, à chaque catégorie sociale son habitat (Couret 1997). Les priorités listées par le plan de construction de la ville intègrent les quartiers africains dans la planification.

«Le problème posé par la réalisation de logements pour les Africains devra tôt ou tard être résolu» (Dianous 1998).

Du point de vue de la circulation, il a été prévu l'aménagement des axes routiers qui forment la base circulatoire actuel, avec une attention particulière portée à la desserte des pôles économiques de la ville (Plateau, les zones industrielles, le port et l'aérodrome). À partir de 1950, cette distribution des fonctions urbaines engendre de graves déséquilibres dans la répartition de la population et des lieux d'emploi, responsables de l'intensification des déplacements quotidiens. Au même moment, le développement de la ville et la croissance démographique trop rapides donnent un coup d'accélérateur à l'offre dite informelle de transport qui se concentre dans les quartiers africains.

1.3.3 Un transport qui naît sur fond de distinction entre quartier européen et quartiers africains

Les politiques d'administration coloniales qui ont établi des différences entre les espaces à l'intérieur de la ville ont permis d'ériger un périmètre urbain et de contrôler son accès.

«Dans la cartographie de l'espace colonial, la ville occupe une place à part. Elle joue le rôle d'interface entre la métropole, dont elle est souvent le prolongement littoral, et la colonie. La ville européenne est conçue comme un espace borné, encadré par un maillage serré de règlementations et délimité d'accès juridiquement» (Georg 2006).

La ville d'Abidjan est bâtie en sorte que les quartiers réservés aux Africains soit isolés. La bipartition de l'espace a pour conséquence l'érection de frontières entre les Noirs et les Blancs qui composent la population. Jusqu'en 1934, la séparation

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était accentuée par l'absence de liaison permanente entre Anomabo et le Plateau. Le bac qui relie les deux rives cessait de fonctionner à la tombée de la nuit. Plus tard, le pont métallique flottant réduira l'étanchéité de la séparation, sans pour autant conduire au brassage des populations Noirs et Blancs se rencontraient uniquement dans le cadre professionnel. Suite, à l'ouverture du canal de Vridi et l'intensification des activités34 du port d'Abidjan en 1950, trois types de transport de passagers apparaissent dans le paysage urbain abidjanais. Ce sont les taxis-compteurs (pour la ville «blanche»), les taxis-ville (woro-woro) et les minicars (gbaka) pour ce qui est des quartiers africains (voir le schéma suivant).

34 L'ouverture du canal de Vridi décide du boom démographique d'Abidjan. Long de 2,7 km, large de 370 mètres, il permet l'accès au site lagunaire à des bateaux de près de 15 mètres de tirant d'eau. Le wharf de Port-Bouët est immédiatement abandonné au profit port. L'aménagement du port en eaux profondes fait tripler le trafic qui passe entre 1948 et 1958 de 430 000 tonnes à 1300 000 tonnes tandis que la population d'Abidjan passe de 48 000 habitants à 120 000 habitants.

Treichville, quartier africain, Zone de desserte des «30-30»

74

Champs de la population Ebrié et Akié

Adjamé, quartier
Africain

(Zone des 1000 kilos)

Pont
flottant
(Marche)

Plateau, ville blanche, capitale de la colonie

Lagune

Marche

Schéma 2: Schéma du transport de la ville d'Abidjan avant
l'avènement de la SOTRA en 1960

75

Mais très vite, ces structures de transport vont connaître une évolution remarquable, suite à l'expansion démo-spatiale d'Abidjan. Depuis les années quatre-vingt, la généralisation des administrations communales dans les questions d'intérêt urbain et dans l'attribution des autorisations des titres de transport ont de fait contribué à la tolérance et au succès des taxis dans les banlieues subitement devenues des communes. Yopougon et Abobo L'aménagement de la ville d'Abidjan a fait apparaître une nette distinction entre les quartiers de résidence et les quartiers d'emploi. Ce principe de zonage qui date de l'administration coloniale se traduit par une délimitation très nette des zones d'emplois, favorisant ainsi la convergence d'importants mouvements des grandes cités dortoirs (Abobo, Yopougon, etc.) vers les seules communes du Plateau et de Treichville. Ce qui rend quasi inefficaces les structures de transport organisé qui ont du mal à répondre à la demande exprimée (Aka 1988).

L'extension des zones urbaines constitue un phénomène mondial touchant depuis quatre décennies l'Afrique subsaharienne. Les enceintes des villes n'existent plus et l'urbanisation s'étend très loin de la cité. La périphérie devient synonyme d'éloignement qui joue un rôle primordial dans le choix des modes de transport. Pour (Godard 2006) la plupart des villes africaines connaissent des problèmes qu'on pourrait indifféremment lier au plan social, au développement spectaculaire des villes et à une paupérisation croissante des populations exprimant une forte demande de mobilité urbaine.

76

Chapitre 2

Croissance d'Abidjan et naissance de
Yopougon

La ville d'Abidjan doit sa croissance rapide au choix fait sous l'ère coloniale qui en a fait le centre administratif des territoires intérieurs (Antoine, Dubresson et al. 1987). Mais c'est véritablement au lendemain des travaux d'installation du port en 1950 que la ville d'Abidjan entame sa mutation. Premier pôle économique de la Côte d'Ivoire, la ville d'Abidjan s'est urbanisée suivant un schéma inspiré par la séparation des espaces autour de trois fonctions majeures. Il s'agit de la fonction administrative, de la fonction commerciale et industrielle et de la fonction résidentielle. L'espace urbain s'est ainsi spécialisé en deux principales zones. Une zone sud, y compris le Plateau (centre administratif et des affaires), qui constitue la zone d'emploi; une zone nord qu'on peut caractériser de zone dortoir. Du fait des contraintes géographiques du site et de la spécialisation de l'espace urbain, les principaux flux de déplacements s'effectuent suivant l'axe nord-sud, des quartiers périphériques nord vers les quartiers centraux sud. De 180000 habitants en 1960, cette population est passée en 1998 à 2 953018 habitants. Depuis le déclenchement de la crise en septembre 2002, les flux migratoires des populations des villes de l'intérieur vers la ville d'Abidjan ont doublé la population de cette ville.

2.1. Abidjan: naissance et évolution d'une ville
capitale subsaharienne

Comme la plupart des capitales africaines, Abidjan a été capitale de colonie, mais s'est urbanisée rapidement. La population a doublé entre les années 1920 et 1955, puis à nouveau entre 1955 et 1975. Ainsi, la ville d'Abidjan qui ne couvrait à l'origine qu'une superficie très restreinte de 1350 hectares et inscrite dans un rayon de 4 km en 1955 s'est propulsée au-delà de ses configurations coloniales. Le graphique suivant indique l'évolution de cette population entre 1910 et 2009.

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Graphique 1: Graphique de l'évolution de la population d'Abidjan de

1910 à 2009

Sources: Abidjan côté cours, Jeune Afrique (n°2576 du 23 au 29 mai 2010)

2.1.1.Abidjan, une ville coloniale qui s'étend rapidement

Pour comprendre le «phénomène abidjanais», il faut se référer, d'abord, à l'héritage colonial et à la mise en place de structures que les choix effectués à l'indépendance ont contribué à dynamiser. À la veille de la ruée «coloniale» consécutive à la conférence de Berlin (1885), le littoral ivoirien était certes fréquenté par des marchands européens, mais les activités commerciales y étaient beaucoup moins actives que sur les rivages d'Axim à Accra. Mais l'exploitation et la mise en valeur systématique de la Côte d'ivoire a nécessité l'installation d'une administration et la construction d'une capitale(Antoine, Dubresson et al. 1987)

En 1886, suite à une série d'épidémie de fièvre jaune (Wondji 1972), les colons français qui étaient installés à Bassam décidèrent de déménager vers un endroit plus salubre à «Adjamé Santey». Leur déménagement fut suivi par celui du

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gouverneur colonial qui créa en 1889, à cet endroit le comptoir de Bingerville, capitale de la colonie française de 1900 à 1934. Abidjan, toute proche et située sur le bord de la lagune n'doupé «lagune à l'eau chaude», future «lagune Ebrié», offrait plus d'espace et de plus grandes possibilités d'expansion commerciale. À partir de 1934, alors que la construction de Bingerville n'était pas encore achevée, Abidjan devient le principal pôle économique de la colonie et un relais privilégié pour la diffusion des produits européens vers l'arrière-pays. L'expression «Abidjan» désignerait le «pays des Bidza» c'est-à-dire l'espace occupé par une tribu (goto), de la population Ebrié (Niangoran-Bouah 1969) originaire, selon la tradition orale, des confins de la frontière contemporaine avec le Ghana d'aujourd'hui et considérés comme un groupe avancé des premiers Abron, arrivés dans l'actuelle Côte-d'Ivoire au XVIIème siècle. Après avoir séjourné dans la forêt, au-nord de l'agglomération actuelle, des migrants fondèrent leur premier village, Kokoli (Cocody), au bord de la lagune, puis essaimèrent en multipliant les établissements sur le plateau avancé entre les baies de Cocody et du Banco(actuel Yopougon), à Adjamé, Santé, Agban, Anoumabo, Attécoubé et Locodjoro.

Au recensement de 1936, l'effectif des Ebrié était de 6 474, soit 37% de la population totale de la ville et 39,5 % de la population africaine. La population actuelle de la capitale comprend très peu d'autochtones.Entre 1932 et 1950, la ville d'Abidjan a bénéficié de grands projets d'aménagement qui ont modifié considérablement sa démographie et sa superficie. Déjà dès le 16 mars 1896, une note rédigée par le gouverneur Binger, ventait le caractère exceptionnel du site lagunaire d'Abidjan:

«En face de petit Bassam, à environ 14 milles dans l'ouest de Grand Bassam35, la côte se coude au nord. Dans l'entonnoir formé par les eaux à ce coude il y a une telle profondeur que sur une zone d'un mille et demi de large environ, la sonde n'accuse pas de fond, ou en accuse un trop considérable pour y laisser tomber l'ancre.[...] À ce point , connu par les marins sous le nom de vallée profonde ou de trou sans fond, la plage de sable qui sépare la mer de la lagune atteint quelques centaines de mètres de largeur; à divers points elle est tellement rongée qu'elle a à peine 150 mètres de largeur. Supposons

35 La première capitale de la colonie française de Côte d'Ivoire (1893) fut Grand Bassam, ville côtière située à 50 km à l'ouest de l'actuelle Abidjan.

36 Cité par Claude Vidal et Jean-Paul Duchemin dans Chroniques du Sud n° 10, mai 1983, p. 6-7.

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que la mer continue à ronger ou que par des travaux l'on mette la lagune en communication avec la mer, nous aurions là une rade naturelle, toute trouvée, ayant une superficie considérable avec des fonds naturels variant de 7 à 13 mètres»36.

Le port d'Abidjan fut ouvert en 1950. Dès lors commença, à partir de la ville coloniale (conçue autour de 1930 pour l'avènement d'Abidjan comme chef-lieu de la colonie), une expansion territoriale d'une nouvelle ampleur. Mais dans les années 1970, une troisième poussée eut lieu, qui planta les jalons d'une explosion mégapolitaine sous la forme de trois villes nouvelles: Abobo au nord, Yopougon à l'ouest, la Riviera à l'est. Dans les années 1990, la dimension mégapolitaine s'installa, enrobant peu à peu les trois villes nouvelles au point de les relier entre elles et à la ville mère. On distinguera donc quatre périmètres emboîtés: la ville coloniale, la ville portuaire, les villes nouvelles, la mégapole.

2.1.2.Abidjan, une ville influencée par l'activité portuaire

(1950-1970)

Comme la plupart des villes coloniales françaises, elle commence par le Plateau, c'est-à-dire la ville européenne (bâtie sur une presqu'île dominant la lagune), devenue aujourd'hui l'hyper-centre (administration, affaires, architecture verticale). Au sud, sur une île lagunaire, Treichville. C'est le premier quartier organisé pour la population africaine. Certes, la ville d'Abidjan ne se réduit pas au boom économique engendré par l'ouverture du port en 1950, mais elle commence par là. Installé en bordure de Treichville, le port a engendré le quartier de zone industrielle. Ensuite Treichville se dédouble avec Koumassi pour accueillir la majorité des salariés du port et de l'industrie. Dans le même temps Adjamé et le Plateau se dédoubleront également. Pendant qu'Adjamé s'empare des collines qui l'entourent (Bromakoté, Attiékoubé, etc.), le Plateau en essaime sa fonction résidentielle sur la presqu'île voisine, Cocody. Mais, c'est véritablement l'indépendance (1960) qui introduit les germes de trois nouvelles dimensions (la bourgeoisie nationale, les programmes d'habitat social, l'auto-promotion

80

clandestine) qui s'exprimeront pleinement dans les trois villes nouvelles du troisième périmètre.

2.1.3.L'extension d'Abidjan vers de nouveaux sites (1970-

1990)

Le premier site débute à l'est sur le front lagunaire avec la Riviera comme un prolongement de Cocody. La crise des années 1980 révisa sérieusement la maquette de cette ville, mais n'abolit pas l'orientation générale. Le deuxième site d'extension (Yopougon) eut droit à une planification concertée. Yopougon fut le champ de démonstration en vraie grandeur des ambitions présidentielles de l'habitat social avec les sociétés immobilières parapubliques (Diahou 1981; Steck 2008). Succédant à des réalisations dispersées dans la ville37, on peut cependant dire que Yopougon prend le relais de Treichville comme habitat privilégié des salariés, ainsi que comme creuset de la citadinité centrale. La crise, ici aussi, a perturbé les programmes, mais seulement au-delà de la mi-course. Le troisième site d'extension (Abobo) n'eut droit qu'à une planification de rattrapage, car elle fut le produit d'une urbanisation semi-clandestine. Abobo-Gare est considérée en 1976 selon (Antoine, Dubresson et al. 1987), beaucoup plus qu'aujourd'hui, comme une banlieue marginale particulièrement absente des grands projets urbains. C'est l'envers du modèle d'urbanisme ivoirien, qui compte pourtant environ 250000 habitants en 1977, soit près d'un quart de la population d'Abidjan. L'intégration de cette banlieue à la ville moderne constitue donc un enjeu essentiel. Pour (Haeringer 2000), Abobo est le clone d'Adjamé, greffée comme elle sur une gare du chemin de fer (10 km plus au nord), et marquée également par les populations marchandes venues des savanes ivoiriennes ou sahéliennes.

37 Les nouveaux arrivants s'installent sans titre avec une simple autorisation des chefs coutumiers des villages voisins. Les parcelles ne font pas à cette époque l'objet de transactions monétaires, mais d'un cadeau symbolique, et l'occupation est souvent réalisée sans plan, en gagnant sur la forêt. Les implantations sont déterminées par la proximité ou la facilité d'accès aux zones d'emploi.

Kouté Village

Andokoi

81

2.2. Yopougon: naissance et dynamique d'une
cité dortoir à la périphérie d'Abidjan

La croissance de Yopougon remonte aux débuts des années 1970, lorsque l'Etat a décidé de faire de cette zone, le nouveau périmètre d'extension de la ville d'Abidjan. Produit d'une croissance démographique soutenue, Yopougon est née d'abord sous une forme de programme d'urbanisme planifiée avant de connaître une urbanisation de masse. Actuellement, Yopougon se compose de lotissements évolutifs et de nombreux programmes de logements économiques construits par des sociétés d'Etat.

2.2.1. Yopougon, un faubourg avant 1970

Avant 1970, Yopougon n'était qu'un ensemble composite de plantations, de quelques villages Ebrié et Akié comme le montre la carte suivante.

Carte 1: Les différentes étapes de l'évolution de Yopougon de 1969-1975

82

À cette époque, l'activité socio-économique était essentiellement dominée par l'agriculture et la pêche. Les principaux lieux d'habitation n'étaient alors que les quelques villages dont les principaux étaient Kouté38 et Andokoi. En ce temps-là et selon Yapi Diahou,

«Les villages otagés par la croissance urbaine souffrent d'un manque d'équipements de base: eau, route, assainissement. Il y règne une insalubrité déconcertante. Andokoi vit encore dans l'obscurité, l'électricité n'y est pas encore présente. Les entreprises industrielles attendues sur la zone industrielle arrivent lentement. Les terrains réservés aux équipements collectifs ou classés zones de servitudes sont les lieux de rabattement des patrons du secteur informel: couturiers, ébénistes, soudeurs, marchands de briques et de sable, garagistes, transporteurs, etc.» (Diahou 1981).

La typologie de Yopougon, le faubourg (insalubre, broussailleux, sans eau et sans électricité) n'est pas adaptée aux nouvelles fonctions urbaines que l'Etat entend lui confier. Un changement morphologique sera nécessaire qui donnera lieu à l'une des plus grandes cités dortoirs de la ville d'Abidjan.

2.2.2.Les prémices du peuplement de Yopougon

L'urbanisation de Yopougon a commencé au milieu des années soixante. Ce furent d'abord des extensions spontanées, qui correspondaient alors à un étalement urbain non planifié, où les acteurs principaux étaient les communautés villageoises. Ensuite, pendant la décennie 1970, avec l'explosion démographique de la ville d'Abidjan (Antoine, Dubresson et al. 1987)39, le projet d'extension de la ville d'Abidjan vers le Plateau du Banco (Yopougon) devient un projet urbain d'envergure nationale. Déjà le plan d'urbanisme de 1952 en intégrant Yopougon comme secteur d'extension d'Abidjan, prévoyait un programme d'intervention de l'Etat pouvant permettre de corriger les déséquilibres de l'agglomération et

38 Les origines de Yopougon remontent au temps où les guerres tribales opposaient les différents grands groupes Ebrié. Après les litiges le groupe des Bidjan prennent désormais le nom de Yopougon ce qui signifie littéralement «Champs de AYopou». Yopougon vient donc d'une déformation de «Ayopou gon». Ils créent plus tard le village du nom de Yopougon Kouté (Kouté est la contraction de Akouté qui désigne l'intérieur de la maison en langue Ebrié).

39 Les taux de croissance sont de l'ordre de 11 % par an et la population est multipliée par cinq

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accompagner les perspectives de croissance démographique futures (Diahou 1981; Steck 2008). À cet effet, entre 1969 et 1974 sont entrepris de grands programmes d'aménagement urbains dont l'exécution affecte encore la dynamique de Yopougon. Ainsi, en 1972 parallèlement au premier programme immobilier de construction d'habitats planifiés, l'Etat décide de l'implantation d'une vaste zone industrielle. Plus de 100 entreprises y étaient situées quinze ans après son inauguration, employant plus de 8 000 salariés. La zone industrielle de Yopougon compte aujourd'hui environ 300 entreprises, mais beaucoup souffrent de la situation actuelle de crise consécutive à la guerre40. Cet élan de modèle d'urbanisme qui se traduit par la prise en main par l'Etat de l'ensemble de la production urbaine d'Abidjan se précise au niveau de Yopougon par une nouvelle vague de construction d'habitats planifiés entre 1974 et 1980. L'Etat devient promoteur avec les programmes des opérations de logements sociaux construits par la SICOGI, SOGEFIHA, LEM, SOPIM et SIDECI. Entre temps, en 1979 l'ouverture de la voie express ainsi que la politique de communalisation41 de 1980, vont constituer les véritables relais accélérateurs de l'expansion spatiale et démographique de Yopougon. Ainsi au début des années 1980 Yopougon atteint les 223165 habitants contre seulement 6690 habitants en 1963 (Antoine, Dubresson et al. 1987). Cette expansion démographique a induit une croissance de l'espace urbanisé. De 70 ha en 1969, l'espace urbanisé a atteint 1185 ha en 1975. Cela a renforcé la position de Yopougon comme l'une des cités dortoirs les plus importantes de la ville d'Abidjan.

2.2.3.Yopougon, une fonction résidentielle prépondérante

C'est à partir de 1971 avec l'avènement des sociétés immobilières qui ont construit des quartiers tels que Siporex, Sicogi, Sogefiha, Selmer...(Diahou 1981)

40 Zone industrielle de Yopougon : les impacts de pillages dans le domaine économique sont directs et indirects, et ne pourront faire l'objet de bilans complets qu'après plusieurs mois d'évaluation. Mais une première estimation des pertes économiques indirectes réalisées par les responsables des 300 entreprises qui opèrent sur cet important site se chiffre en dizaines de milliards de FCFA. En effet, plusieurs entreprises d'enseignes diverses mais surtout libanaises ont subi des pillages à grande échelle, suite aux événements post-électoraux qui ont secoué la Côte d'Ivoire. L'agro-industriel suisse, Nestlé, déplore plusieurs dégâts matériels notamment dans sa fabrique de bouillon (.Nord-Sud du mercredi 11 mai 2011).

41 Yopougon est érigée en commune à partir d 1980 par la loi n°80-1180 du 17 octobre 1980 relative à l'organisation municipale.

84

que Yopougon prend les allures de quartier moderne. L'ouverture en 1979 de la voie express «Est-Ouest» a modifié également l'allure de cette banlieue qui fut incluse dans la ville d'Abidjan lors de la réforme communale en 1980 par le décret n°80-1184 du 18 octobre 1980. Selon les estimations42, Yopougon s'étend actuellement sur une superficie de 153,06 km2, avec une population d'environ 1000000 d'habitants. Mais, le désengagement de l'Etat dans la production urbaine dû à la crise a permis d'entamer la viabilisation de vastes zones d'habitat. Cela a entraîné une jonction entre la ville ancienne et les nouveaux fronts d'habitation, mais également entre ceux-ci et les villages traditionnels d'autre part. Ainsi, Yopougon, qui semblait représenter une troisième voie (celle d'une forme de classe moyenne) entre l'urbanisation populaire représentée par Abobo et l'urbanisation élitiste symbolisée par Cocody et la Riviera, paraît devoir s'engloutir dans la première43.

Le foncier constituait, pour les pouvoirs publics, l'instrument principal de la maîtrise de l'expansion urbaine. La conséquence majeure de cette situation est le développement d'une production foncière et immobilière incontrôlée, marquée par un respect de plus en plus aléatoire des normes d'aménagement et par une multiplication des instances de gestion urbaine. Cela s'est traduit par la propension à une urbanisation désordonnée44. Depuis la fin des années 1990, l'extension urbaine eut finalement raison des villages d'Azito, Béago, Kouté, Lokoua, Niangon, etc. Aux quartiers anciens de Yopougon gare, d'autres quartiers plus modernes (SIPOREX, SICOGI, SOGEFIHA, SIDECI, LEM, etc.) se sont subitement surajoutés. Mais le plus souvent, les liaisons entre les villages et les nouveaux quartiers sont telles que l'accessibilité en autobus SOTRA s'avère

42 La mairie en 2010.

43 En prenant tout de suite une ampleur considérable, elle exprima la force d'un besoin frustré (par la nouvelle politique urbaine) : l'auto-promotion. Celle-ci donne satisfaction à trois types d'acteurs : 1) les propriétaires coutumiers du sol, qui lotissent leurs terres avant qu'elles ne soient réquisitionnées par l'urbanisme officiel ; 2) les investisseurs individuels, qui construisent des cours locatives, trouvant ici les parcelles que la nouvelle politique urbaine ne distribue plus ; 3) les ménages les plus jeunes, demandeurs de logements neufs et aux loyers plus accessibles. Au sein des deux derniers groupes figure celui des ressortissants étrangers stabilisés, qui ne peuvent plus accéder facilement aux produits de l'urbanisme d'État. Quant à la crise, elle eut plutôt, à Abobo, des effets bénéfiques. Elle diminua l'antagonisme des pouvoirs publics, qui acceptèrent de régulariser le fait accompli après l'avoir beaucoup combattu.

44 http://www.monde-diplomatique.fr/2007/12/GALY/15390 DÉCEMBRE 2007 Pages 16 et 17

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globalement impossible. Au total, Yopougon représente aujourd'hui est quartier structuré comme l'indique la carte suivante.

Carte 2: Yopougon de 1980 à nos jours

Source: travail adapté aux travaux de Kassi

En quelques décennies, l'espace urbanisé s'est considérablement étendu avec la création de nouveaux quartiers périphériques. Pour relier les pôles d'acticités, la marche ne suffisait plus. Plus une ville est étalée, plus il est difficile de la

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parcourir à pied ou à vélo et de mettre en place un système de transports en commun efficace (Kaufmann 2002). La solution aurait-elle dû passer par la promotion des deux roues comme à Ouagadougou (Cusset 1997) ou à Cotonou (Noukpo and Agossou 2004)? Ici l'alternative fut trouvée dans la promotion des taxis collectifs. Ceux-ci apparurent dans les 1970, mais se sont vite développés en raison de l'accroissement de la demande sociale de mobilité, elle-même favorisée par l'existence de voirie urbaine d'un niveau acceptable.

2.3. De la transformation de la voirie,

Par le passé, à Yopougon la voirie n'existait pas. Pour leur déplacement, les populations empruntaient des sentiers comme dans beaucoup de milieux ruraux d'aujourd'hui. En ce temps là, l'espace disponible devant les maisons était un lieu ouvert, où se situaient les activités de production et d'échange et qui s'utilisait aussi comme un lieu de socialisation de voisinage. Mais très vite, ces espaces ont connu une transformation rapide pour devenir des voiries d'intérêt urbain et communal45

2.3.1.La voirie comme espace de connexion

La voirie comme espace de connexion a débuté à Yopougon avec la construction de quartiers modernes. Les promoteurs des quartiers de SIPOREX, de la SICOGI et de la SOGEFIHIA, etc. en même temps qu'ils permettaient la construction d'habitats modernes les mettaient en connexion par un ensemble de voiries. Les voies sont les instruments privilégiés de la création de l'espace humain. La voie quadrille, rend accessible, elle pénètre et désenclave les territoires (Pinchemel 1997).Tout système de transport est largement tributaire du réseau de voirie dont il dispose.

45 Décret n° 84-851 du 04 juillet 1984.

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Dans l'ensemble, Yopougon montre un espace à configurations diversifiées et complémentaires. La ville est reliée par un réseau de lignes bien hiérarchisé et articulé sur une variété de noeuds ayant des fonctions différenciées par l'urbanisme des quartiers, la pratique des acteurs et les aires de rayonnement qui s'en dégagent (Olahan 2007). Toutefois, c'est par le décret n°84-851 du 04 juillet 1984, relatif au réseau de voirie que le gouvernement ivoirien a fixé sa nomenclature et défini les différentes autorités responsables de ces infrastructures.

2.3.2.La voirie de circulation de premier ordre

Selon (Olahan 2007), le réseau routier est pour le transport terrestre, un facteur incontournable. Il s'apparente au système nerveux qui irrigue le corps. Toutefois, Yopougon est traversée seulement par deux principaux axes de circulation: la voie express Est/Ouest, baptisée boulevard Félix Houphouët-Boigny et le boulevard du nouveau quartier. De toute évidence, c'est le boulevard Est-Ouest (voie express), voie pénétrante qui a significativement changé l'allure de la commune. Cette voie principale a pour point de départ le carrefour SIPOREX et pour point d'aboutissement le palais de justice. Elle longe des espaces publics et privés qui se chevauchent sur elle.

La toponymie orale populaire des usagers des transports collectifs (conducteurs et passagers) désigne bien ces lieux qui longent cette voie, même si parfois ils en créent d'autres: «la poste», «FICGAYO», «carrefour Kenya», «St-André», «lavage», «antenne», «mosquée», «Saguidiba», «palais», etc. sont autant de lieux de vie desservis par le boulevard Est-Ouest. Une seconde voie de même ordre, est celle qui part du carrefour de la maison des enseignants jusqu'à Abobo-d'Oumé (gare lagunaire SOTRA) en longeant l'école des aveugles, la Pharmacie Bel Air, le nouveau bureau de la SODECI, la caserne des sapeurs-pompiers, etc. De nombreuses gares se sont implantées le long de ces principaux axes de desserte dont les plus impressionnantes sont: celles de Siporex et de «sable», à l'entrée de

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la commune. À ces deux voies sont associées de nombreuses d'autres d'intérêt

communal.

2.2.3.Les voies d'intérêt communal ou routes secondaires

Avec l'augmentation du nombre des voies orthogonales aux deux principaux boulevards (boulevard Félix Houphouët-Boigny et le boulevard du nouveau quartier) et l'établissement de nombreuses autres rues comme des espaces de connexion secondaire, les fonctions urbaines deviennent plus complexes. Le remodelage des voies circulatoires qui accompagne l'évolution démo-spatiale, rend la mobilité des personnes comme un mécanisme basique de la vie urbaine. À ce propos, (Diahou 1981; Kassi 2007; Steck 2008) opposent un passé rural de Yopougon à une ville post-indépendance créative et exubérante. (Olahan 2007) avance que Yopougon se serait émancipée de l'emprise des urbanistes des années 1970 et serait devenue une ville reliée par un réseau de lignes bien hiérarchisé et articulé sur une variété de noeuds. Ce sont d'après la description qu'en donne Olahan :

- l'axe carrefour de la maison des enseignants, Gabriel gare-carrefour Siporex qui, traversant les rues des quartiers aboutit à la manutention africaine;

- l'axe pharmacie bel air (rue princesse)-pharmacie Kenya qui débouche sur le boulevard Houphouët-Boigny et le traverse en se prolongeant jusqu'à l'ancienne route de Dabou;

- l'axe du carrefour nouveau quartier qui se subdivise en deux: l'un débouche sur le boulevard Houphouët-Boigny où il s'estompe (à la gare lavage) tout en perçant le quartier SELMER par la traversée du deuxième boulevard; l'autre ceinture le quartier (nouveau quartier), relie le carrefour des Sapeurs-Pompiers, débouche sur le carrefour Kouté, se prolonge au quartier SIDECI, tout en longeant la pharmacie des Toits Rouges, la BAE (Brigade Anti-Emeute), la caserne des sapeurs-pompiers, le quartier camp militaire, la pharmacie Nankoko, la CNPS, carrefour marché Kouté et Chapouli, la gare SOTRA de Kouté, etc.

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En résumé, on peut dire que la politique de construction de la voirie urbaine qui a véritablement commencé avec la construction d'habitats modernes et amplifiée avec l'autoroute inaugurée en 1979, s'oriente plus tard vers une politique générale de revalorisation et de requalification de la commune. À Yopougon, ce processus s'est déroulé progressivement avec l'évolution des structures de transport.

Chapitre 3

Les mécanismes de mise en place des structures de transport à Yopougon

«Historiciser revient plus généralement à contextualiser le phénomène investi à le ramener à ses conditions de possibilité»(Buton and Mariot 2009)

Pour l'étude des transports alternatifs de Yopougon, c'est la mise à exécution officielle de l'opération urbanistique sur Yopougon à partir des années 1969-1970 en tant que projet pouvant éventuellement permettre une croissance rationnelle d'Abidjan46 qui peut être considérée comme l'élément déclencheur du changement de pratiques modales. Le fort ancrage actuel de ces modes de transport dans la ville d'Abidjan repose sur l'existence d'un important réseau de taxis collectifs qui s'est constitué à Yopougon entre 1971 et 1979. Depuis cette époque et jusqu'en 198047, les politiques urbaines comptent les transports et notamment les transports alternatifs comme un élément essentiel de la mobilité de la ville. Toutefois, l'incorporation de véhicule de transport à la mobilité des

46 L'intérêt que représentait le plateau du Banco (actuel Yopougon), en tant que potentiel à un programme d'urbanisation pouvant éventuellement corriger les déséquilibres de l'agglomération et accompagner les perspectives de croissance démographique avait été mentionné dans les enquêtes de la société d'économie et de mathématiques appliquées (SEMA) entre 1963 et 1967.

47 En 1980, Yopougon devient commune et au même moment, les autorités locales instaurent les règles de mise en circulation des véhicules de transport collectif au niveau de la commune.

90

populations de Yopougon s'est faite de manière lente et progressive. On distingue trois étapes principales. La première (1969-1971) est caractérisée par la faible incidence de l'offre publique formelle à la mobilité des habitants de la cité naissante. La seconde débute dans les années (1972-1980), elle est marquée par la timide incorporation des initiatives individuelles (gbaka et taxis collectifs) à la mobilité externe et interne des populations. La troisième étape (1985-1996) est marquée par la popularisation d'une offre privée de taxis collectifs (woro-woro) dans la mobilité interne et externe des populations de Yopougon.

3.1. Des transports qui débutent avec la

SOTRA

La SOTRA bénéficie du monopole d'exploitation sur la partie centrale de l'agglomération abidjanaise, mais dessert aussi Yopougon.

3.1.1 La SOTRA, une présence qui date de 1969

La SOTRA a certes été créée en 1960, mais c'est 1969 qu'elle dessert Yopougon. Avant cette date, il se posait un problème d'accessibilité en raison de la nature rurale de Yopougon. Aussi, la seule ligne de liaison des autobus SOTRA créée à cette époque avait-elle pour terminus Andokoi village. Situé sur l'axe routier Abidjan-Dabou village (suivant l'ancienne voie), Andokoi était le seul point de départ et aussi point d'arrivée des populations de Yopougon.

3.1.2 L'offre publique: une présence déficiente

Constituée de l'offre des autobus de la SOTRA et des taxis compteurs, l'offre publique formelle se limitait spécialement aux déplacements domicile-travail, en raison de l'état rural de Yopougon de cette époque. Selon (Diahou 1981), avant 1970 Yopougon n'était qu'un faubourg de 9000 habitants. Les principaux lieux

91

d'habitation n'étaient alors que les quelques villages dont les principaux étaient Kouté48 et Andokoi. L'urbanisation de Yopougon a commencé au milieu des années soixante. Ce furent d'abord des extensions spontanées, qui correspondaient alors à un étalement urbain non planifié, où les acteurs principaux étaient les communautés villageoises. À ce sujet, la presse locale n'a pas cessé de critiquer l'incapacité du gouvernement à trouver une solution durable face à la vente parallèle des terrains souvent perçue comme une «menace», qui participe de l'insalubrité générale, qui entrave la modernisation urbaine. Une enquête réalisée à Adjamé-Liberté et Fraternité reprise dans le JOCI no12 du15 mai1956 montre que la majorité des parcelles ont été vendues vers les années 1955 et 1956, une parcelle de 500 m2 se négociant alors autour de 50 000 FCFA. Cette auto-indemnisation pour la perte des terrains de culture devant la progression de l'urbanisation est plus intéressante que les indemnités versées par l'État lors de la création d'un lotissement. Selon (Antoine, Dubresson et al. 1987), en1956, il est versé une indemnité de déguerpissement de 558400 FCFA aux villageois d'Attécoubé pour la première tranche du lotissement: la vente clandestine de 10 parcelles seulement permet d'obtenir une somme équivalente.

Ensuite, pendant la décennie 1970, avec l'explosion démographique de la ville d'Abidjan49, le projet d'extension de la ville d'Abidjan vers le Plateau du Banco (Yopougon) devient un projet urbain d'envergure nationale. Déjà le plan d'urbanisme de 1952 en intégrant Yopougon comme secteur d'extension d'Abidjan, prévoyait un programme d'intervention de l'Etat pouvant permettre de corriger les déséquilibres de l'agglomération et accompagner les perspectives de croissance démographique futures (Steck 2008). À cet effet, entre 1969 et 1974 sont entrepris de grands programmes d'aménagement urbains dont l'exécution affecte encore la dynamique de Yopougon. Bien que de technologie distincte (vitesse, capacité, parcours fixes ou variables), les autobus de la SOTRA et les taxis compteurs, s'adaptaient difficilement aux exigences de la disposition

48 Les origines de Yopougon remontent au temps où les guerres tribales opposaient les différents grands groupes Ebrié. Après les litiges le groupe des Bidjan prennent désormais le nom de Yopougon ce qui signifie littéralement «Champs de AYopou». Yopougon vient donc d'une déformation de «Ayopou gon». Ils créent plus tard le village du nom de Yopougon Kouté (Kouté est la contraction de Akouté qui désigne l'intérieur de la maison en langue Ebrié).

49 Les taux de croissance sont de l'ordre de 11 % par an et la population est multipliée par cinq.

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territoriale de la structure productive et les convertissent en lignes interurbaines centre-périphérie, reliant de manière radiale Yopougon retranchée dans la forêt à Abidjan. Malgré tout, il s'est développé une importante structure industrielle locale qui impose la nécessité de se raccorder au port situé dans la partie sud d'Abidjan. Les moyens de transport étaient donc très peu satisfaisants pour l'ensemble des populations (Diahou 1981).

3.1.3 Une offre formelle dominée par les liaisons domicile-travail

Entre 1970 et 1980, l'expansion très forte de Yopougon s'est réalisée sans que ne se créent à la périphérie de cette cité dortoir des zones d'emploi correspondantes. Ce qui rend la possibilité d'obtenir un emploi salarié sur place incertaine. Les industriels ont préféré investir les surfaces vides de Vridi et de Koumassi, à cause de la proximité du port, du centre-ville et de leur accès facile. La dissociation croissante qui s'est installée entre les périmètres industriels au sud de l'agglomération et Yopougon, l'une des plus grandes banlieues du nord de la ville d'Abidjan a bouleversé la vie quotidienne de nombreux travailleurs. Du point de vue fonctionnel, Yopougon reste fortement dépendante de l'ancien noyau originel de la ville mis en place au temps colonial à partir de 1934:Plateau, Treichville, Adjamé. Pour Jean-Fabien Steck, c'est,

«l'incapacité de Yopougon à atténuer les déséquilibres de l'agglomération abidjanaise n'est pas seulement l'une des conséquences de l'échec relatif de son développement économique. C'est aussi une des conséquences de son peuplement par des classes moyennes, fonctionnaires d'État pour beaucoup, et dont le travail restait situé dans le centre administratif du Plateau, lequel est caractérisé par une très faible population (un peu plus de 10 000 résidents) et par une forte concentration d'emplois (85 000, un peu plus qu'à Yopougon). De façon générale d'ailleurs, le projet «yopougonnaute», initialement conçu, rappelons-le, avec un souci de mixité sociale, a été récupéré en partie par des citadins de longue date, salariés moyens et aisés et travaillant pour beaucoup d'entre eux au sud et au centre de l'agglomération, qui ont utilisé le quartier dans le cadre de stratégies résidentielles et locatives qui ne se justifiaient que par rapport à l'agglomération dans son ensemble, au risque d'induire un biais dans la réalisation du projet initial»(Steck 2008)

93

L'évolution des systèmes de déplacement est fortement liée aux changements des modes de vie et aux transformations des formes urbaines. Pour (Masson 2000),les villes se développent sur des périphéries de plus en plus lointaines. L'expansion urbaine de l'habitat et des activités entraîne une modification de la géographie des déplacements qui leur sont liés. Mais réciproquement, ce mouvement d'étalement urbain a été en partie entretenu par l'accroissement des facilités de transports à destination des zones périphériques (acceptation des gbaka en 1977 dans les déplacements à côté des bus et des taxis compteurs). Le tableau suivant indique la typologie fonctionnelle des pôles urbains de la ville d'Abidjan en 1977 et montre comment les territoires d'attraction font écho directement à une offre en infrastructures de transports.

Tableau 5:Situation des populations d'Abidjan et de l'emploi en 1977

Zone

Populations

Emploi

Plateau

18 000

60 000

Treichville-Marcory

197 000

80 000

Adjamé

215 000

41 000

Koumassi-Zone 4

176 000

26 000

Banco-Yopougon

168 000

18 000

Abobo-Anoukoua

-

_

Kouté

206 000

11 000

Cocody-riviera

83 000

23 000

Vridi-Port-Bouët

76 000

17 000

Total

11 39 000

276 000

Source: Chegaray, cité par Bonnacieux in «l'autre Abidjan: histoire d'un quartier oublié (page 65)», Fraternité-Matin, 27 février 1980.

Ceci montre que Yopougon est essentiellement une zone résidentielle et véhicule une identité de quartier dortoir qui lui est spécifique. Cela a rendu le fonctionnement de Yopougon très dépendant des déplacements domicile-travail. Des études menées pour comprendre les choix modaux des travailleurs en matière de mobilité, accordent une importance particulière aux autobus de la SOTRA. Le tableau suivant est extrait des travaux de (Diahou 1981). Il indique clairement l'importance des liaisons domicile-travail dans le fonctionnement de Yopougon.

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Tableau 6: les moyens de transport domicile-travail

Moyens de transport

Nombre d'usagers

Car d'entreprise

22 (20

%)

Bus

35(31,

82 %)

Bus ou gbaka

25 (22,

73 %)

Voitures particulières

17 (15,45 %)

Deux roues

2 (2,82

%)

Pieds

9(8,18

%)

Ensemble

110 (100, 00 %)

Source(Diahou 1981)

Pour rester collé à la demande sociale de mobilité orientée pour l'essentiel vers les liaisons domicile-travail, la SOTRA a entrepris des actions d'envergure. Le nombre des bus de la SOTRA est passé de 200 en 1979 à 1075 en 1980. Des bateaux bus amènent de citadins vers différents rivages lagunaires. Des voies express ont été ouvertes (Bonnassieux 1987). Mais pour ce qui concerne le cas spécifique de Yopougon, seulement 60 à 70 bus répartis sur 5 lignes ont été affectés entre 1979-1980 (Diahou 1981). Ainsi, malgré ces progrès accomplis, tous les maux liés aux problèmes de déplacement des populations ne semblent pas avoir trouvé de solutions. Dans «L'autre Abidjan: histoire d'un quartier oublié», Alain Bonnassieux rapporte même la situation d'un habitant de Yopougon, employé du port confronté à la quotidienneté contraignante des déplacements et des aléas des autobus de la SOTRA en 1978.

«Kouakou un jeune Baoulé de vingt-trois ans, est manutentionnaire depuis 1978 dans un établissement agroalimentaire situé sur la frange lagunaire de la presqu'île [...] Auparavant, Kouakou est resté quelques mois à Yopougon chez son grand frère. À ce moment, le jeune ouvrier se levait au plus tard à 5 h, afin d'être à l'aube à l'arrêt de la SOTRA où la foule de travailleurs venait s'agglutiner. Il lui fallait jouer des coudes pour pénétrer dans le véhicule au milieu des cris, des bousculades. Puis la traversée de la partie majeure de l'agglomération s'effectuait dans l'atmosphère étouffante d'un bus bondé.[...] En cas de retard, Kouakou ne pouvait guère compter sur la compréhension d'un chef de personnel d'autant plus rigoureux sur le respect des horaires que nombre de ses collègues étaient confrontés au même problème» (Bonnassieux 1987).

95

Les habitants de Yopougon se déplaçant quotidiennement avec difficultés vers le sud de la ville d'Abidjan deviennent les figures de la «défaite» de la capitale ivoirienne en matière de transport public. Cette situation est mise à profit d'abord par les gbaka, puis petit à petit par les taxis collectifs.

3.2. Transports alternatifs, une intégration
qui commence avec les gbaka

L'histoire des transports alternatifs urbains de Yopougon est très mouvementée, se caractérisant par les insuffisances avérées des expériences de l'offre publique formelle. Un secteur endogène fortement atomisé a fini par s'imposer progressivement grâce, notamment, à sa capacité d'auto-organisation. L'évolution de la demande de déplacement au niveau de Yopougon exige une réponse autre que l'offre publique formelle. Il lui faut une offre capable de faire face à la forte demande intra-urbaine. C'est dans ce contexte que, l'incorporation des initiatives alternatives dans les déplacements domicile-travail débute en 1971 lors de la mise en place des premières vagues d'habitats modernes. Sur ce plan, ce sont les gbaka déjà présents sur les lignes Abidjan-Bimbresso et Abidjan-Dabou qui ont été les tous premiers à servir de transport de substitution entre Yopougon et Abidjan.

3.2.1 Les gbaka, une présence ancienne

Les dessertes des gbaka ont commencé timidement avec les premières vagues de peuplement qui débutent avec la mise en place des premiers types d'habitats modernes en 1971 à Yopougon. Mais c'est véritablement, l'accroissement de la demande, suite aux nouvelles extensions des années 1977-1979 qui a fait apparaître de façon remarquable, les «minibus 1000 kg» Renault appelés «gbaka» qui existaient déjà, mais avaient été interdits depuis la réglementation de 1977. Issus de l'initiative populaire locale, les gbaka venaient toutefois en complément de l'offre publique formelle sur des lignes insuffisamment desservies. L'entreprise SOTRA avait certes la concession des axes urbains, et recevait des subventions d'exploitation. Cependant, elle subissait la concurrence du secteur privé dit artisanal des gbaka qui, en principe, ne pouvaient exploiter les mêmes lignes que

50 La loi n°80-1180 du 17 octobre 1980, relative à l'organisation municipale, modifiée par la loi n° 85-578 du 29 juillet 1986, Titre III, chapitre 3, article 65.

96

les autobus de la SOTRA, mais qui étaient prompts à profiter du service insuffisant de la compagnie publique de transport. Toutefois, l'offre de gbaka est restée très influencée comme celle des autobus de la SOTRA par les grands mouvements migratoires de Yopougon vers Adjamé ou d'Adjamé vers Yopougon.

3.2.2 Les gbaka, une offre orientée vers les liaisons externes

Issus de l'initiative familiale (Charmes 1984), les gbaka ont surgi en réaction à l'insuffisance de l'offre publique formelle. Ils suppléent les carences du secteur conventionnel des transports publics représentés par la SOTRA et les taxis compteurs. Mais comme les autobus de la SOTRA, des taxis compteurs, les gbaka n'arrivent pas à satisfaire de façon adéquate la demande de mobilité des usagers habitant Yopougon. Généralement en provenance d'Adjamé, leur premier point de rupture de charge est le «carrefour Siporex». Certains marquent leur premier arrêt à la «gare sable» et «Gabriel gare». Ce fonctionnement radial des réseaux de gbaka ne correspond pas exactement à la demande des sous quartiers, plus pénétrante et intérieure comme le demeure la croissance horizontale de l'habitat (Diaz Olvera, Plat et al. 2007). Le réseau qui privilégie les lignes radiales comme celles des bus de la SOTRA semble moins adapté à la demande des déplacements pour couvrir les nouvelles zones d'urbanisation. Ce qui a suscité la naissance d'autres modes de transport plus adéquats à correspondre à la demande locale.

3.2.3 Les taxis collectifs, pour la demande locale

De parution plus récente, les taxis collectifs sont restés embryonnaires jusqu'au début des années 1980, période au cours de laquelle ils ont été établis comme offre locale, notamment avec les lois de la communalisation50. Au début des années 1990, ce sont ces taxis qui ont quasiment le contrôle des dessertes internes à la commune au bon vouloir des mairies (Lombard 2006). Au regard de l'accroissement de la demande sociale de mobilité, elle-même liée à l'évolution

97

démo-spatiale de la commune, le développement des réseaux des taxis collectifs apparaissait relativement prévisible. Les taxis collectifs constituent les seuls moyens de relais pour certains quartiers localisés dans les périphéries. La croissance urbaine que connaît Yopougon développe un nouveau type de relations où la pression démographique combinée aux difficultés de l'offre de l'Etat impose de nouveaux choix en matière de transport. Les pôles d'activités constitués par la concentration d'équipements et services divers à travers toute la ville ont rendu nécessaire l'usage de taxis collectifs. Au fur et à mesure que le processus d'étalement urbain progresse vers cette cité dortoir périphérique, les services populaires se créent et les lignes des taxis collectifs se développent. De plus, l'accessibilité aux emplois et aux services constituant un facteur déterminant de la production socio-économique de la ville (Yopougon est étendue, ce qui rend la marche impossible), on assiste de plus en plus à une montée en puissance des réseaux de ces taxis collectifs dans la mobilité. Mais comment les taxis collectifs se sont intégrés à la mobilité des populations?

3.3. Histoire des taxis collectifs de Yopougon

«C'est venu il y a très longtemps. Moi-même je n'étais pas ici. Il paraît que la gare c'était quelque part là (derrière le lycée technique à Andokoi).Comme le bus ne pouvait pas aller partout, le terminus c'était quelque part là (Andokoi). Voilà donc quand, il vient te laisser, au fur et à mesure que Yopougon grandissait, il faillait maintenant des véhicules pour prendre ces gars-là puis aller vers leur destination. Voilà, c'est comme ça c'est arrivé. Voilà. Maintenant quelqu'un a créé une ligne sur place, il a commencé à prendre les gens pour aller. Bon, au fur et à mesure que ça grandissait, il y avait assez d'hommes et il y avait plusieurs voitures ainsi de suite...» (vieux Sangaré. 02-10-2011).

L'offre alternative de transport de Yopougon est le résultat d'un processus historique qui a débuté avec les premières vagues de peuplement du plateau du banco depuis les années 1970. Mais pour ce qui est spécifiquement de l'offre de taxis collectifs de Yopougon, il convient de noter que ces taxis se sont constitués parallèlement à la mise en place des populations. En outre, la dynamique historique qui permet de comprendre l'évolution de la trajectoire des transports alternatifs doit intégrer le processus de transformation sociale et interroger les temporalités propres des faits sociaux (Buton and Mariot 2009). Actuellement,

98

Yopougon représente une vaste commune dans la ville d'Abidjan avec un million d'habitants et dispose d'une grande offre privée de transports collectifs à côté de l'offre publique formelle, résultat d'un processus qui débuta en 1972.

3.3.1 L'acte fondateur de Sané Joseph en 1972

L'initiative de créer une liaison de desserte interne à Yopougon est partie de Sané Joseph, un Ebrié du village de Kouté. En ce temps-là, il n'y avait pas de marché à Kouté. Les ménagères se ravitaillaient au marché d'Andokoi et y allaient à pied. C'est ainsi qu'un automobiliste, monsieur Sané Joseph, aidé par trois de ses amis, le vieux Agba (un Togolais), Koné koungba et M. Sangaré (mon informateur), a décidé d'aider ses parents en mettant son véhicule de marque Renault4 à leur disposition. Chaque jour il faisait plusieurs voyages et le service de transport a été progressivement renforcé par l'arrivée d'autres chauffeurs. En dehors des ménagères d'autres ouvriers de la zone industrielle de Yopougon, habitant le village de Kouté empruntèrent aussi ces véhicules. Le prix de transport était de 25 FCFA. Le prix de la course était de 125 FCFA, puisque le véhicule prenait jusqu'à cinq(5) passagers. Deux(2) au siège avant et trois(3) à l'arrière.

3.3.2 À partir de 1975, les offres des taxis collectifs se diffusent rapidement

À partir de 1975, il y a un changement qualitatif important puisque le taxi collectif devient accessible à une grande partie de la population, grâce à la modernisation progressive de la ville. À partir de ce moment, les transports collectifs doivent faciliter la fonction de circulation et d'accès. L'unique direction des déplacements nord-sud, n'est plus adaptée aux nouvelles fonctions urbaines. Un changement morphologique sera nécessaire, qui donnera lieu à des lignes de desserte interne qui constituent un réseau de desserte local. Ceci se matérialise quelques années après, au début de la politique de communalisation (1979-1980), par des changements significatifs de la structure urbaine. Au cours de la période (19751980), il y a eu une augmentation générale de la population et une diminution de

99

l'offre formelle de transport avec notamment la baisse de l'offre de la SOTRA. De plus, l'usage de la ville, dû à l'accroissement de l'espace urbain fonctionnel, n'est véritablement possible que par l'utilisation des moyens de transport alternatif. Assurément, sans les transports alternatifs, le système de fonctionnement des autobus aurait enclavé cet espace. Ainsi, lorsque les zones d'habitation se sont multipliées, le trafic s'est intensifié avec l'arrivée des «taxis compteurs fatigués». De couleur orange, ce sont ces taxis de marques Renault, Citroën, Nissan et Hyundai pour la plupart du temps qui venaient renforcer les offres de transport. Ces types de taxis furent long feu en raison de l'état défectueux des voies intérieures auxquelles ils s'adaptaient. Mais, pour correspondre au prix du trajet qui était officiellement de 30 f, ces taxis étaient obligés de héler les passagers: «woro-woro!», «woro-woro!». Pour indiquer que le prix du trajet est de 30f. Au nombre des actes qui ont donné naissance aux taxis collectifs à Yopougon, on note aussi la stratégie des chauffeurs des taxis compteurs d'enlever «l'antenne de taxi» au-dessus de leur taxi51. Cette stratégie a été développée par les taxis compteurs «fatigués».

3.3.3 L'apport des taxis compteurs «fatigués»

Au cours de la période 1975-1985, il y a eu une augmentation de la population et l'usage de la ville dû à l'accroissement de l'espace urbain n'est supportable que grâce à l'utilisation des taxis collectifs. Bien que l'offre de taxis locaux soit insuffisante, la demande de mobilité a pu être satisfaite grâce à l'introduction des «taxis compteurs fatigués» qui ont joué un rôle essentiel dans la satisfaction de la demande. De fait, les taxis compteurs «fatigués» n'étaient rien d'autres que les taxis compteurs de la ville d'Abidjan qui totalisaient un nombre important d'années d'usage et dont l'état vétuste n'attirait plus véritablement la clientèle parfois très exigeante sur l'état mécanique du véhicule. Les taxis compteurs «fatigués», sans antenne s'utilisaient alors comme des taxis collectifs woro-woro ou taxis de relais au taxi compteur parallèlement à leur rôle de transport individuel

51 Les chauffeurs en enlevant l'antenne «taxi» se donne des chances de se camoufler et ainsi échapper au contrôle de police. Ce qui leur permet de faire le «woro-woro», un service de proximité avec des coûts relativement bas.

100

et élitiste52. L'imagination des chauffeurs de taxi compteurs qui s'improvisent «collectifs» à certaines heures correspond, en réalité, à une innovation qui a contribué au développement des taxis collectifs au niveau de Yopougon comme le confirment les propos suivants:

«C'est du sabotage quoi. Les véhicules qui étaient fatigués dans le compteur là, fatigués là même, ne pouvant plus faire le compteur, ils venaient maintenant pour ramasser les gens. Ils disaient 30 f, 30f. Donc on les a nommés en même temps woro-woro. De 30 f, c'est venu à 50, puis 75 f ainsi de suite. Le woro-woro avait la même couleur avec le taxi compteur. Pour ne pas que les gars aient peur, croyant que c'est un compteur, c'est les transporteurs eux-mêmes qui ont attribué ce nom. Woro-woro lô! Seul ou à deux ou même à trois, ils chargent. Lorsqu'ils font un aller-retour ça devient une ligne. Ceux qui ont eu l'initiative, créent, un bureau, avisent les responsables qui leur donnent des cartes et confirment la ligne» (Y. C. 12-02- 2013).

Progressivement et en relation avec la croissance de la ville, les taxis ont étendu leur réseau de desserte aux différents quartiers qui se sont créés. C'est l'intensification du réseau qui a permis en 1980, avec l'arrivée des autorités municipales à établir pour la première fois, une réglementation spécifique aux taxis de Yopougon. À la fin des années 1990, l'offre des autobus de la SOTRA et celle des taxis compteurs éprouvent des difficultés à satisfaire la demande sociale de mobilité. Ces insuffisantes s'observent à deux échelles: celle de l'espace urbain central de la ville d'Abidjan où circulent exclusivement les bus de la SOTRA et les taxis compteurs et celle de certains territoires communaux où l'offre formelle publique partage le marché des dessertes avec les transports alternatifs. Mais le succès des taxis collectifs tiré de l'expérience des communes de Marcory,

52 À Abidjan deux types de taxi circulent: le Taxi compteur avec sa couleur rouge et le Taxi communal appelé communément woro-woro. Se déplacer en taxi compteur est symbole d'aisance car le prix affiché à l'écran après une course est non négociable. Vous pouvez facilement dépenser au bas mot entre 1500 (2,25 €) et 5000 f CFA (7,75 €) en fonction des kilomètres que vous avez parcourus. Certaines distances fixes entre deux quartiers peuvent faire l'objet d'un «arrangement» entre passagers et chauffeurs. Là encore il faut souvent débrousser entre 1000 (1,50 €) et 2500 f CFA (3,75 €) pour regagner un point de la capitale. Ceux qui ne peuvent pas se payer le luxe

«d'écraser la tomate» roule en woro-woro, la deuxième catégorie de taxi Abidjanais.

101

Koumassi et Port-Bouët53, inspire les taxis collectifs de Yopougon qui se sont constitués tout au long des années 1980-1990.

53 Malgré l'application de la loi de monopole, les communes, de Marcory et Koumassi et Port-Bouët faisaient déjà l'objet d'une complémentarité des modes de transports collectifs par une

autorisation spéciale de l'autorité centrale d'alors (la ville d'Abidjan).

102

DEUXIEME PARTIE

Reconstitution du processus d'évolution

des woro-woro

L'incorporation des woro-woro à la mobilité interne des populations s'est faite de manière lente et suivant des étapes qui correspondent à des moments de grands changements dans le fonctionnement de la structure urbaine de Yopougon. On distingue trois étapes principales: la première (1972-1975) est caractérisée par la faible incidence de l'offre publique à la mobilité des habitants de la cité naissante et par une timide incorporation des initiatives individuelles à la mobilité interne. La seconde débute dans les années 1980, elle est marquée par la première irruption et diffusion des véhicules privés (taxis) dans la mobilité interne et externe des populations de Yopougon et par le caractère subsidiaire que va avoir l'offre de l'Etat. La troisième étape (1990 à nos jours), est marquée par une offre de woro-woro durablement caractérisée par une expansion géographique dans les dessertes. Comme l'indique le schéma suivant.

Début d'extension de Yopougon, apparition de nouveaux quartiers et apparition de liaison internes de taxis (1972)

Extension urbaine incontrôlée, Yopougon devient commune en (1980) et domination des taxis collectifs

Extension urbaine très limitée au centre (Yopougon gare)

A partir de1992,déficit accentué de la SOTRA

Source: nos entretiens

Modes de transport complémentaires depuis le début des années 1994

Autobus SOTRA+taxi compteur+ gbaka+ taxi communal+taxi collectif intercommunal

Système mixe : autobus+ taxis villes+gbaka de 1969 à 1972

Apparition des taxis collectifs (woro-woro) intercommunaux sur les lignes de la SOTRA et des taxis compteurs et se positionnent en concurrents

1969 : première ligne de la Sotra en direction de Yopougon

Autobus+taxi ville+ gbaka+taxi collectif (1972 à 1980)

Reconnaissance des taxis collectifs comme taxis

communaux

Des origines jusqu'à 1960: marche+ portage+ quelques taxis villes rares+ des gbaka en partance pour Dabou

103

Schéma 3: Schéma d'évolution des transports alternatifs de Yopougon

104

L'ensemble de ces transformations indiquées peuvent être caractérisées à trois niveaux marqués par des contextes spécifiques. Il s'agit notamment de l'introduction de nouvelles couleurs et de nouvelles marques de véhicules à mettre en rapport avec les politiques de communalisation et d'ouverture sur l'extérieur initiées à partir des années 1980. Le deuxième niveau d'analyse concerne les modifications dans l'occupation de l'espace observées dans l'offre de ces taxis depuis le milieu des années 1990. Quels sont les éléments d'analyse du passage de l'offre communale des taxis collectifs à une offre intercommunale? Le troisième et dernier élément d'analyse est relatif aux modifications constatées dans la structure de fonctionnement de cette offre de transport. Comment expliquer les transformations observées dans les prix au niveau de ces transports? Qu'est-ce qui explique les évolutions dans la typologie des acteurs de ce secteur?

Chapitre1

Trajectoire d'évolution du taxi communal «bleu»

Aujourd'hui incontestablement en émergence, le taxi collectif woro-woro sert désormais à désigner une variété de pratiques modales et d'usages collectifs de l'automobile qui restent fortement attachés à des moments de forte contrainte de la mobilité (accroissement de la ville, insuffisance de l'offre publique formelle etc.). Ce n'est pourtant pas une pratique nouvelle. Le mot est ancien et l'histoire de l'usage du taxi collectif décrit un long parcours, depuis ses premières apparitions pour évoquer durant la période coloniale l'idée d'un véhicule ordinaire sans couleur précise qui prenait les passagers d'un lieu fixe vers un autre ou en cours de route vers une direction fixe, jusqu'à son emploi à Yopougon à partir de 1972 comme transport de banlieue. Ensuite, avec l'introduction des taxis compteurs «fatigués» à partir de 1974-1975, les transporteurs ont donné à ces taxis le nom de woro-woro pour évoquer l'idée d'un mode de transport particulier.

105

L'offre de ces taxis à mesure qu'elle s'étoffait ainsi avec la reconversion des taxis compteurs et d'autres véhicules particuliers, s'est alors progressivement détachée des ses anciennes pratiques. De transport informel et non prévu à l'avance qu'il représentait, l'offre de woro-woro apparaît désormais profondément organisée.

Depuis 1980, à côté des usages anciens en sont apparus de nouveaux, popularisés particulièrement par la mairie.qui prend comme prétexte les propositions de l'exhortation des mairies dans la mobilisation des ressources budgétaires. La mairie élabore à cet effet toute une série de réglementations à l'échelle strictement local (Ori 1997). Avec comme objectif le contrôle du secteur des taxis collectifs à travers la perception de certaines recettes (Piveteau 2004; Lombard 2006). La décentralisation consiste à prendre en considération les initiatives des populations à un niveau local, afin de leur reconnaître des droits sur l'utilisation des ressources qui leur permettent de participer à la définition et à la mise en oeuvre des politiques de développement (Kabedi 2007). Outre les accords qui ont été conclus pour la taxation des taxis collectifs, ce sont les transporteurs qui se sont établis au niveau local qui ont de toute évidence permis la formalisation de ces taxis en taxi communal. L'un des points majeurs de ce processus est l'attribution de la couleur bleue à partir de 1996.

1.1. Le taxi bleu, une évolution qui part du

lointain

Dans la ville de Yopougon, si l'année 1972 marque le point de départ du taxi collectif dans les déplacements des populations, c'est, la couleur bleue, adoptée depuis l'année 1996 qui confirme incontestablement le succès de ce taxi collectif en tant que transport local établi. Le schéma suivant est une figure récapitulative des processus amenant au changement dans l'usage du taxi collectif aussi bien dans la mobilité des populations.

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Schéma 4 : Chronologie des contextes socio-économiques favorables à l'évolution
des taxis collectifs

(1996): la libéralisation des importations des (V.O) le secteur des taxis largement bénéficiaire. Apparition des choix des couleurs de taxis par les autorités municipales pour les distinguer des intercommunaux (banalisés).

(1994): dévaluation de FCFA: renchérissement du coût de la vie, difficultés dans le renouvèlement du parc auto et la ruée vers les «France-au revoir» qui profitent au woro-woro

(1993): fort affaiblissement de l'offre formelle et début de glissement des taxis communaux en taxis intercommunaux

(1980): établissement de réglementation d'un mode de taxi local

(1979): ouverture de la voie express est-ouest, création d'une liaison vers la prison civile et expansion des taxis collectifs à Yopougon

(1972): première vague d'habitation moderne et apparition de premiers taxis collectifs à Yopougon

Source: nos entretiens

1.1.1 Au départ, c'était un véhicule particulier

Plusieurs contextes favorables à l'introduction des taxis collectifs ont été relevés. Il s'agit des changements spatio-démographiques, de la construction de quelques voies de connexion entre les lieux d'habitation et de l'augmentation du nombre de véhicules. La possession de véhicules particuliers semble également favorable au

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changement de comportement modal, notamment avec l'acte de Sané Joseph qui n'a pas hésité à mettre son véhicule personnel à la disposition de ses parents de Kouté au moment où ceux-ci en avaient le plus besoin. Au plan historique, cet épisode constitue un élément déclencheur de l'introduction du taxi collectif à Yopougon. Durant cette période son utilisation se limitait pratiquement aux habitants de Yopougon Kouté et notamment aux ménagères qui venaient au marché d'Andokoi avant de connaître une évolution progressive à partir des années 1974-1975.

1.1.2 Les années 1974-1975: l'apport des taxis compteurs

«fatigués»

Après un début timide en 1972 et 1973, la première vague des taxis a été rejointe par de nouveaux types de taxis «les taxis compteurs fatigués». Puis, suite à certains travaux d'aménagement urbain, notamment avec la construction de nouveaux quartiers tels Port-Bouët II, Sicogi entre 1972 et 1974, les véhicules se sont multipliés. Ainsi, d'une seule liaison de desserte, les taxis appelés taxi-villes ou woro-woro se sont renforcés. À la liaison Andokoi-Kouté54 village s'est ajoutée la liaison Yopougon gare-Sicogi55. Ce succès semble d'autant plus fort qu'il est porté et renforcé par d'autres groupes de personnes beaucoup plus professionnels. Dès lors, ces initiatives individuelles se noient dans un comportement collectif et finissent par amorcer le début d'un réseau structuré de taxis collectifs au niveau de Yopougon.

54 Avant l'exécution du projet de l'autoroute du nord dans les années 1977, Yopougon gare et le marché se trouvaient à Andokoi.

55 En 1974, le quartier de Sicogi était la limite extrême de la ville de Yopougon. Les autres quartiers tels SIDECI, Niangon, toit rouge n'existaient pas.

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1.1.3 Années 1977 à 1979: le renforcement du réseau de taxis collectifs de Yopougon

La période 1977-1979 est marquée par une série d'évènements qui a influencé le développement des transports alternatifs à Yopougon. En effet, la réalisation des infrastructures entre 1977 et 1983 ainsi que les nouvelles vagues d'habitats réalisées à cette période ont contribué à une forte extension démographique et spatiale de Yopougon. Cette période est également, celle de l'émergence du taxi collectif dans la mobilité interne de Yopougon. La vie quotidienne des ménages s'est complexifiée, avec, d'une part, la multiplication des sphères d'activités de ses membres et d'autre part, l'éclatement spatial des espaces de la vie quotidienne. Il en résulte une tension spatio-temporelle accrue des programmes d'activités dont la mobilité devient alors un enjeu central. L'usage des taxis est renforcé par le fait que les populations sont devenues de plus en plus contraintes et dépendantes des déplacements motorisés du fait de l'extension de la ville.

1.2 Les étapes de la constitution d'une offre

locale

La période durant laquelle les taxis woro-woro ont constitué des hubs pour desservir les quartiers nouvellement créés représente une étape importante dans le processus d'évolution du taxi collectif de Yopougon. En effet, au fur et à mesure de l'accroissement de la ville, le taxi collectif s'est affirmé comme un mode de transport qui s'adapte aux besoins internes de mobilité des populations. Il s'est progressivement rendu indispensable en offrant des avantages considérables en termes de souplesse et de service quasi porte-à-porte par la création de liaisons de desserte à l'intérieur des quartiers.

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1.2.1 La liaison Andokoi gare-Kouté de 1972: Le point de départ du taxi collectif de Yopougon

L'année 1972 représente certes le début de la première création des liaisons internes, mais au plan historique, c'est véritablement le point de départ de l'évolution du taxi collectif de Yopougon. Bien qu'étant un acte isolé, l'initiative prise par Sané Joseph et ses amis pour créer une liaison de desserte entre Andokoi marché et Kouté village, constitue le point de départ d'une série d'action détachée les unes des autres, mais dont l'accumulation donne au taxi collectif actuel toute sa dimension historique (Elias 1985). Selon les renseignements qui prévalent dans l'histoire de la naissance du taxi collectif à Yopougon, c'est M. Sané Joseph, un originaire de Kouté habitant aussi le village qui aurait eu l'idée d'aider les ménagères, après avoir fait des va-et-vient gratuitement pendant deux jours sous la pluie. C'est ainsi que serait né le taxi collectif, appelé de manière populaire «woro-woro» ou «taxi», puisqu'il suffisait de crier ces vocables à la vue d'un véhicule faisant ce type de transport pour le stopper et l'emprunter.

1.2.2 La liaison Yopougon gare-Prison civile (1979-1980) ou l'âge d'or du taxi collectif de Yopougon

La croissance démo-spatiale qu'a connue Yopougon entre 1979-1980 a contribué fortement à l'exécution d'importantes opérations nouvelles de lotissement et rendu nécessaire la création de nouveaux quartiers. Cette période est également celle de l'émergence du taxi collectif de Yopougon. C'est durant cette période que le réseau de taxis de Yopougon s'est intensifié avec la création de liaison de desserte vers certains quartiers d'habitation qui jusque là étaient inaccessibles, tels la prison civile, Kilomètre 17, toit rouge, Port-Bouët II, etc. Cela a permis aux nouvelles autorités locales issues des politiques de communalisation de 1980 de jeter les bases de la création d'un réseau de taxi local.

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1.2.3 L'année 1996 et l'adoption de la couleur bleue pour

Yopougon

Pour (Lombard 2006), l'existence des opérateurs privés tient aux choix faits par les collectivités locales en matière de transport. Dans son périmètre communal, la mairie investit le transport urbain. Elle attribue les autorisations d'exploitation aux taxis collectifs. Elle s'attribue également la délivrance des occupations provisoires de la voirie (OPV), là où les woro-woro déchargent et rechargent, contribuant ainsi à transformer les bordures des principaux axes de circulation en mini-gares urbaines. Mais cela ne suffisait pas pour le contrôle effectif d'un secteur d'activité en pleine expansion, d'où l'adoption en 1996 de la couleur bleue pour Yopougon et affectée d'un macaron, d'une antenne numérotée. Ce système possède ainsi le double avantage de contrôler les nouveaux entrants dans la profession au niveau de la commune, mais aussi permet à la municipalité d'avoir une idée de leur apport en matière de mobilisation de recettes. Des traces de cette adoption de couleur de taxi ponctuent également les entretiens individuels que nous avons réalisés:

«Au départ les taxis étaient rouge comme les compteurs et toutes les couleurs circulaient. Les soirs, il y avait des taxis compteurs qui venaient faire le woro-woro et ça fatiguait beaucoup les woro-woro. Donc les chauffeurs nous ont approchés, on a fait les démarches. Mais c'est Doukouré(le maire) qui a changé les couleurs pour donner la couleur bleue. C'est comme ça c'est venu» (Y. C. 17-02- 2013.), responsable syndicat.

1.3 L'évolution des taxis s'observe aussi au
niveau des marques de véhicules

En effet, une reconstitution du processus d'évolution des taxis collectifs ne peut se faire sans qu'on ne fasse aussi recours aux changements opérés au niveau des marques de véhicules. Pour de nombreux témoins de l'évolution des taxis dans la mobilité des populations, la quasi-totalité des marques d'autrefois ont disparu pour laisser la place à de nouvelles marques. Les justifications les plus avancées

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dans le choix des marques varient certes d'un chauffeur à un autre. Mais pour l'essentiel, les arguments vont plutôt vers la recherche de véhicule adapté à l'état des voiries, aux véhicules consommant le gasoil et dont la récupération mécanique se fait à partir des pièces de rechange disponibles financièrement et géographiquement56.

1.3.1 Un transport qui commence avec une prédominance des marques françaises

La reconstitution de la trajectoire d'évolution des taxis collectifs est inséparable de l'époque où dominait essentiellement une catégorie de marques de véhicules qui ne sont plus d'usage aujourd'hui. En effet, dans les années 1960-1970 les plus connues des marques de véhicule étaient: Ford, Vedette, Citroën, Peugeot, Renault, etc. Mais, au fur et à mesure que l'activité enregistrait de nouveaux entrepreneurs suite à l'accroissement des besoins de mobilité, on remarquait l'introduction d'autres marques qui étaient jusque là inconnues du public. L'introduction de nouvelles marques de voitures s'explique du fait de la conjonction de deux facteurs. Il s'agit des effets de contexte57 et des contraintes économiques liés à l'obtention d'un véhicule à cette époque.

1.3.2 Les années 1980, ou la période des Datsun 120Y dits «dauphines»

Parmi les marques de la période 1980, les plus représentées étaient des véhicules de marques Toyota «tercel» et Datsun «120y» avec 64 % de part de marché (Aka 1988). Les autres marques de véhicules faiblement représentées étaient soit des R12, R18, Pony, Gimini, Lada, Simca, etc. Mais avec l'avènement des France-au revoir des années 1990, toutes ces marques ont laissé la place à de nouvelles

56 Dans le milieu des transporteurs, les immobilisations pour pannes techniques sont vécues comme de véritables drames. D'où la forte tendance vers la marque Toyota supposée plus robuste et dont la récupération mécanique est relativement supportable en comparaison des marques françaises telle Peugeot.

57 Le choix d'un véhicule est limité nécessairement par la disponibilité du parc de véhicule local fortement caractérisé par un certain nombre de marques spécifiques.

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marques beaucoup plus favorables à l'usage du gasoil comme carburant et des pièces mécaniques disponibles au plan local.

1.3.3 Les années 1996-1997 dites périodes des «France au revoir» et la ruée vers les marques japonaises

Dans les années 1996-1997, après l'annonce des mesures de libéralisation d'importation des véhicules d'occasion dits «France au revoir», par le décret n° 96-01 du 3 janvier 1996, l'automobile se diffuse dans les ménages ivoiriens. Les «France au revoir» favorisent alors la diffusion de cet objet de consommation. Dans ce domaine, la préférence élevée pour les marques japonaises telles Toyota et Nissan est justifiée selon les chauffeurs par l'existence sur place d'unité de montage et la disponibilité de pièces de rechange. Parallèlement au commerce des voitures d'occasion, il s'est développé depuis quelques années un commerce de pièces détachées dont une grande partie des commerçants ont fait leur activité principale. Les garages «casse-auto» fleurissent partout et sont des points d'attraction pour tout automobiliste qui souhaite donner un second, voire un troisième souffle de vie à leur véhicule. L'arrivée de ces pièces d'une qualité approximative et d'un coût relativement réduit fait de ce commerce un point névralgique qui profite grandement au secteur des woro-woro (Lejeal 1998). Ce marché offre une gamme variée de pièces. De la carrosserie à l'enjoliveur, de la batterie au rétroviseur, du pneu aux filtres à huile. Des dizaines de milliers de pièces sont exposées à même le sol ou accrochées à la sauvette dans l'entente d'un acquéreur. La particularité des ces pièces détachées, ce sont les prix qui varient en fonction de la qualité du produit, ce qui en soit est logique. En réalité, le marché fait l'objet d'une surconcentration de pièces contrefaites et de trafic de tout genre. Cette situation est incontestablement interprétée comme l'un des points d'ancrage du passage du woro-woro, transport de banlieue à un transport urbain.

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Chapitre 2

Quelques éléments d'analyse du passage du taxi communal au taxi intercommunal

Tarde, il y a plus d'un siècle, expliquait que les sociétés se développaient selon le principe de l'«imitation». L'imitation, selon Tarde, représente l'intégration dans les pratiques sociales d'invention initialement isolées, individuelles. D'un autre côté selon (Alter 2002), le processus d'innovation se définit comme un processus social qui amène une invention, c'est-à-dire un objet ou une pratique nouvelle à devenir la nouvelle norme d'usage. Dans le contexte des entreprises sur lequel travaille Alter, l'innovation, lorsqu'elle est aboutie, amène ainsi à une inversion des normes. Mais en sortant la description du processus d'innovation du contexte des entreprises qui est celui de N. Alter, les caractéristiques qu'il attribue à l'innovation peuvent être transposées à la question du développement des réponses alternatives de mobilité. En partant de ce constat, celui de la transformation d'une offre de banlieue en un transport urbain, il est question avec (Buton 2009), d'historiciser un phénomène, le contextualiser, le saisir en le rapportant à ses conditions historique, sociale et économique d'évolution. Pour ce qui est du passage des taxis collectifs woro-woro, offre de banlieue en une offre urbaine, intercommunale, nous nous sommes attardé sur les transformations économiques sociales et politiques qui affectent la société ivoirienne et en particulier la ville d'Abidjan depuis les années 1990.

Moins qu'un choix, la montée en puissance des woro-woro et notamment des taxis intercommunaux dans la mobilité des populations, relève avant tout d'un contexte où dominent divers déterminants dont le principal est d'ordre économique. Il s'agit de la crise économique qui a bouclé le cycle des années 1980 et qui s'est amplifiée en Côte d'Ivoire après la dévaluation du FCFA de janvier 1994 avec la hausse générale du prix des produits de consommation de

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masse. En liaison avec ce contexte, il s'agit de voir comment, les stratégies d'adaptation des groupes sociaux, des individus face à la crise ont favorisé cette nouvelle forme de mobilité dans la capitale économique ivoirienne et notamment à Yopougon, la plus grande cité dortoir d'Abidjan. C'est en portant une attention particulière aux trajectoires des acteurs, à leurs intentions tout autant qu'au contexte qui s'impose à eux qu'il est possible de comprendre comment cette offre a évolué. Qui sont les acteurs qui sont impliqués dans l'émergence des woro-woro? Comment sont-ils arrivés là?

2.1 Les années 1990 et les effets de
l'application des PAS

Dans le domaine des transports collectifs d'Abidjan, les années 1990 se trouvent ponctuées d'épisodes historiques à la constitution d'initiatives alternatives de mobilité. L'usage des taxis collectifs communaux est encouragé, voire obligé par une instance politique qui sollicite les collectivités locales dans la mobilisation des ressources (Ori 1997). Ces épisodes montrent particulièrement bien comment les usages spontanés collectifs des taxis naissent en situation de crise financière, notamment durant les périodes d'application des mesures liées aux PAS. Les périodes de crises et de décentralisation qui ponctuent les années 1980; 1990 et 2000 en Côte d'Ivoire, se révèlent être des moments propices à l'émergence d'usages collectifs de taxis dans les communes. Ainsi, c'est à partir de la crise des années 1990 que les taxis collectifs jusque là communaux sont utilisés par les populations précarisées comme un transport urbain en remplacement des taxis compteurs et des autobus de la SOTRA.

2.1.1 De l'application des PAS à l'affaiblissement de l'action

publique

Au cours des deux dernières décennies, le «consensus de Washington» (l'ensemble des politiques de réforme libérale réclamées par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale) a connu sur la plupart des continents une

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croissance des critiques et des résistances. Dans les années 1980, existaient des critiques hétérodoxes des Programmes d'Ajustements Structurels (PAS) ainsi que des résistances partielles et circonstancielles (Coussy 2006). Les PAS ont fait, à l'origine, l'objet d'une forte opposition politique autant qu'économique. L'application des PAS a entraîné une désillusion sur le réel pouvoir de l'Etat. Trop lié à quelques élites selon (Lulle and Le Bris 2000) déjà privilégiées et dont les intérêts vont à l'encontre de ceux du plus grand nombre. L'État est perçu comme une entité lourde et peu efficace qui constitue un obstacle au bon déploiement des mécanismes du marché, considérés comme seuls aptes à promouvoir le développement dans le cadre du processus de la globalisation. Dès lors, la disparition de l'Etat est souhaitée ou, tout au moins, sa réduction drastique.

2.1.2 Impact des programmes de stabilisation financière

Les programmes d'ajustement mis en oeuvre au cours des années 1990 ont certes contribué à assainir la gestion macro-économique, mais n'ont pu atteindre l'ensemble des résultats escomptés. Ces programmes n'ont pas permis de faire face au déclin de l'activité économique. Globalement, la croissance est restée négative entre 1990 et 1993, pendant que la dette intérieure gonflait démesurément (1.198 milliards de FCFA en 1993, soit 41 % du PIB) et la dette extérieure continuait d'augmenter à un rythme très rapide pour représenter 205% du PIB en 1993 contre 168 % en 1990. Cette situation est demeurée préoccupante malgré les différents plans de rééchelonnement dont a bénéficié la Côte d'Ivoire dans le cadre des Clubs de Londres et de Paris. Les raisons de cette évolution économique défavorable sont à rechercher selon (Fisette and Salmi 1991; Bamba, Contamin et al. 1992; Contamin 1997) dans la fragilité de la base économique de la Côte d'Ivoire, dominée par le binôme café-cacao. L'échec des programmes mis en oeuvre tient, d'une part, à la baisse des cours de ces deux principaux produits d'exportation au cours des trois premières années des années 1990 et, d'autre part, à la surévaluation du FCFA qui a laminé la compétitivité extérieure de l'économie ivoirienne (RCI and UNICEF 1996).

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2.1.3. Les moyens d'intervention de l'Etat dans la production urbaine se trouvent alors limités

Entre 1977 et 1980, 15 Sociétés d'État sur les 39 existantes ont été dissoutes (Contamin 1997). Cette situation explique le recours, depuis le milieu des années 90, à un vaste programme de restructuration, appuyé par la dévaluation du franc CFA et la réforme fiscalo-douanière (Chevassu 1997). Dans une étude sur Le désengagement de l'Etat et les ajustements sur le marché du travail en Afrique francophone (Lachaud 1989) , montre comment la mise en oeuvre des nouvelles politiques en matière d'agriculture a impliqué la liquidation de nombreux offices de commercialisation des produits agricoles ou de promotion des services. Certaines entreprises ont été privatisées et d'autres réhabilitées ou restructurées. Il donne des exemples: entre 1980 et 1985, la Côte d'Ivoire a liquidé 18 sociétés d'Etat, 6 établissements publics et 17 sociétés à participation financière publique. Au niveau de la SOTRA, le terme de privatisation est également utilisé pour désigner la fin du monopole public et l'ouverture d'un marché à la concurrence (Contamin 1997).

2.1.4 Les difficultés pour avoir un emploi

La réforme du secteur parapublic a entraîné la fermeture d'un nombre important d'unités de production, ce qui n'a pas manqué d'avoir une incidence négative sur la redistribution du revenu et de l'emploi. Pareil pour le secteur privé incapable d'absorber les nouveaux demandeurs d'emploi éjectés du secteur public ou sortant du système éducatif, les itinéraires d'exclusion se sont progressivement construits (Crook 1989; Crook 1990; Marie 1997; Marie, Haubert et al. 2000; Wood 2003; Léonard and Balac 2005) cités par (Akindès 2007). La situation de crise est devenue structurelle et se caractérise par une forte contraction du marché de l'emploi, un important excédent de main-d'oeuvre qualifiée et surtout non qualifiée, ainsi qu'une baisse continue du pouvoir d'achat des ménages (Diaz Olvera, Plat et al. 2007). En outre, les perspectives d'emploi de la jeunesse sont

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assez insuffisantes, qu'elle soit diplômée de l'enseignement supérieur ou sans qualification. Par exemple, en Côte d'Ivoire, selon les statistiques de la CNPS, citées par la (DSRP 2009), sur 26.000 entreprises déclarées avec 550.000 emplois avant la crise de 2002, le pays ne comptait plus que 13.124 entreprises en 2006 pour moins de 300.000 emplois, soit une baisse de l'offre de 44% des emplois du secteur privé moderne au cours de la période 2002-2006. Dans le même temps, seul un départ à la retraite sur dix est aujourd'hui remplacé dans la fonction publique.

D'une manière générale le chômage s'est accru. De 6,4% en 2002, le taux de chômage de la population active a atteint les 15,7% en 2008. Le chômage des jeunes notamment des 15-24 ans est le plus important (DSRP 2009). Ce chômage continue des populations urbaines, notamment jeunes, a entraîné la recherche permanente de stratégie de survie et le développement de petits métiers. Les transports sont un secteur d'activités où les initiatives individuelles masculines sont facilement accueillies, sans requis préalables de formation ou d'expériences spécifiques (apprentis dans les véhicules, rabatteurs dans les terminus...) (Diaz Olvera, Plat et al. 2007). C'est ainsi que des «déflatés», plus ou moins jeunes, deviennent des conducteurs de véhicules de transport collectif dont le woro-woro.

2.2 Faiblesse de l'offre publique et le problème
de mobilité sociale

Des actions d'envergure ont été entreprises pour résoudre les problèmes du transport urbain et atténuer les difficultés de communication entre Yopougon et le Plateau, le centre administratif et des affaires. Le nombre des bus de la SOTRA est passé de 200 en 1970, à 1075 en 1980. Les bateaux-bus amènent les citadins vers le Plateau par le point de rivage d'Abobo-d'Oumé depuis 1980. Une voie express a été ouverte en direction de Yopougon depuis 1979. Malgré tous ces progrès accomplis, tous les maux vécus par les populations en matière de transport n'ont pas encore trouvé de réponse.

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2.2.1 Les effets de la crise sur l'offre de la SOTRA

La crise du secteur public ivoirien s'est traduite au niveau de la SOTRA par des difficultés structurelles et financières croissantes (pléthore de personnel, problèmes de gestion, subvention de l'État non versée...) qui ne lui permettaient plus de satisfaire la demande de déplacements. Alors qu'en 1988 elle assurait presqu'un déplacement sur deux à Abidjan, en 1998, on peut estimer qu'elle n'assure plus qu'un déplacement motorisé sur quatre, voyant sa part de marché passer de 47 % en 1988 à 27 % en 1998. Pendant ce temps, les gbaka doublaient presque leur part de marché et les woro-woro sont passés de 6 à 17 % (SSATP 2001).

2.2.2 La baisse du ratio populations/bus

La chute du nombre de bus offerts par la SOTRA débute en 1980. Sur la période 1980-1990, cette chute est peu visible. Toutefois, elle a atteint un niveau significatif dans la période 1990-2005 avec un nombre de places offertes qui est passé de 119 000 à 44 000 en 2005. L'année 1980 marque le point d'arrêt de cette évolution, 1206 habitants/bus. La situation se détériore significativement en 1990 (1836 habitant/bus) et devient catastrophique en 2005 où l'on a 7973 habitants/bus. De façon générale, l'année 1990 marque le coup d'arrêt à cet effort de la SOTRA de rester collé à l'évolution de la population et d'offrir un plus grand nombre de places assises, indice traduisant de meilleures conditions de transport public comme l'atteste cette image.

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Photo 1: Lutte de bus à Adjamé en partance pour Yopougon

Source: nos données

À partir de 1990, on observe une nette détérioration des conditions de transport des usagers d'autobus. Tous les ratios grimpent de façon significative pourtant le nombre de passagers ne fléchit pas. Cela, à cause d'une forte clientèle captive en évolution constante, bénéficiant de tarifs spéciaux ou de la gratuité (fonctionnaires, personnels des corps habillés, élèves, étudiants...). Il reste que cette dégradation du confort de voyage est susceptible de détourner une partie de la clientèle du transport public vers des modes de transport de type alternatif.

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2.2.3 La désaffection des bus de la SOTRA

«Pour mes courses, je n'aime pas beaucoup emprunter le bus, parce qu'avec le bus il faut beaucoup attendre». K .Luc, enseignant dans une grande école au Plateau

«Je travaille à Vridi. Pour aller au boulot, faut pas on va se blaguer, je vais en woro-woro. Ah! Ah! (rire). Je ne peux pas me lever à 4h 30. Ce n'est pas possible. Avec le «waren», en moins de 45 minutes je suis au service». C. Abdoulaye, un cadre au port d'Abidjan

«Le bus, c'est bon, c'est moins cher, mais c'est trop bourré! C'est bon quand c'est en express».Patrick, acheteur de produit à Sans Pedro

«Moi, j'ai perdu toutes mes pièces dans le bus un jour. Ça m'a fait très mal. Aujourd'hui j'hésite pour monter dans le bus». Suzanne, coiffeuse.

Source: nos entretiens

En 1981, la part de marché de la SOTRA dans les déplacements des populations domicile-travail était de 31,82 % contre 22, 73 % pour les gbaka (Diahou 1981). En 2007, elle n'assure que 18,5 % des déplacements domicile-travail contre 31,5% pour les gbaka et 33 % pour les woro-woro (AGETU 2007). Alors qu'elle atteint son plein essor en 1980 avec un effectif de 1202 bus, l'aggravation de ses difficultés de trésorerie, faisant passer son déficit financier de 0,8 en 1974 à 7,5 milliards de FCFA en 1980, a des conséquences sur la qualité des services proposés. Lenteur des déplacements, longue attente, insécurité et surcharge des bus sont autant de facteurs qui ont considérablement détourné une grande partie des usagers vers les modes alternatifs. En dépit de la création d'un corps de police propre à la SOTRA visant à faire respecter les termes du monopole, l'activité des gbaka et des woro-woro s'en trouve raffermie. Les transports alternatifs profitent des difficultés de la SOTRA pour étendre leurs activités sur toute la ville d'Abidjan. La très forte sollicitation de cette offre par la population lui donne une «légitimité factuelle» qui oblige la SOTRA à une attitude d'accommodation. Les

58 C'est en 1989, que le Zouglou, en tant que danse, langage et philosophie, s'est popularisée à partir de la cité universitaire de Yopougon, puis pour celle d'Abobo.

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restrictions réglementaires, promulguées afin de préserver la compagnie parapublique de cette concurrence, n'y changent rien. Ces transports, depuis le début de la décennie 1990, sont quasi garantis par le contexte de concurrence institutionnelle née de la décentralisation. Les woro-woro ont ensuite envahi progressivement dans la quasi indifférence des autorités en charge du secteur, l'ensemble du périmètre d'activité de la SOTRA du fait de l'incapacité de cette dernière à satisfaire la demande dans l'espace et le temps. Depuis 1977, il fut décidé d'interdire l'accès aux moyens de transports alternatifs à la ville d'Abidjan notamment le Plateau. Ainsi, si ces derniers continuaient d'avoir le droit de circuler dans la ville d'Abidjan, sur des lignes non desservies par la SOTRA, ils devaient éviter le Plateau, supposé normalement bien desservi, afin de ne pas nuire à son image de marque. Mais, cela fait maintenant presque 30 ans que cette interdiction est régulièrement rappelée, sans effets durables (Steck 2005).

2.3 Crise, paupérisation sociale, résilience et émergence de réponses alternatives de transport

Le terme de «résilience» est un mot emprunté à la physique, où il désigne la résistance des métaux aux chocs et aux pressions. En anglais, on utilise le mot «résilience» pour parler de la capacité d'une personne ou d'une collectivité de puiser dans ses ressources après un coup dur (Gary 2000). Un bon exemple de «résilience», ou de résistance aux coups durs, c'est la société ivoirienne des années 1980 et de 1990 qui a connu des bouleversements de toutes sortes, au lendemain de l'application des PAS et de la dévaluation du FCFA, mais qui s'est adaptée. Car comme le dit le message zouglou58. «Quand c'est dur, seuls les durs avancent». Le Zouglou est un genre musical populaire et urbain né en Côte d'Ivoire au début des années 1990. Il relate les réalités sociales diverses vécues par la jeunesse ivoirienne et porte tantôt des messages humoristiques, tantôt des messages politiques, ou bien plus souvent, explique l'école de la vie à travers des

122

conseils sages et avisés sur la nécessité de la jeunesse à se prendre en charge. Sa philosophie est basée sur la culture de l'amour vrai, de l'amitié, de la fraternité et prône l'idéal de la justice et de la paix, de la recherche. Il faut dire qu'au début des années 1990 alors que les conséquences du discours de la Baule consacrent une rupture dans les habitudes politiques, une nouvelle musique naît en Côte d'Ivoire et avise la société à puiser dans son réservoir culturel pour se réinventer.

Avec la chute des revenus, il y a impossibilité d'accéder aux services de base que sont l'alimentation, l'éducation, la santé, le logement, la protection sociale et le transport (Akindès 1991; Bamba, Contamin et al. 1992; Contamin 1997; Ori 1997; Sarrasin 1997; Konaté 2002; Latour 2005; Akindès 2007). Face à cette marginalisation, se sont multipliées des initiatives individuelles ou collectives visant à faire face aux besoins qui ne sont pas pris en compte par la classe politique et surtout pour satisfaire les besoins primaires de ces populations. Dans ces conditions, les individus et les collectivités ont tendance à réagir pour protéger leur standard de vie et à protester contre les situations existantes les plus pénibles et à s'engager dans des actions organisées pour produire des changements. Il s'agit à la fois des comportements défensifs pour réagir à la crise et assurer la survie et de nouveaux patterns de comportement qui s'installent et qui contribuent à changer les structures de la société (Lachaud 1989). Au sentiment d'étouffement économique et social, les populations précarisées opposent une attitude de résilience qui s'inscrit dans une culture urbaine très largement partagée, des ghettos au monde du travail: «le guerriers, chercheurs, créateurs» (Latour 2005).

Au nombre de ces réactions, on note au niveau du secteur des transports collectifs, la naissance d'une forme nouvelle de mobilité: le woro-woro intercommunal ou taxi intercommunal. La mise en perspective du phénomène du taxi intercommunal laisse entrevoir de nouvelles modalités de déplacements, mais amène aussi à s'interroger sur la place sociale de cette nouvelle forme de mobilité alternative: «le taxi-intercommunal». En effet, ce néologisme qui désigne les nouvelles réponses alternatives à l'offre formelle de l'Etat constituée des autobus de la SOTRA et des taxis compteurs intervient comme une contestation socio-

123

économique des populations révoltées par leurs conditions de vie et de déplacement. C'est aussi, un vecteur de la nouvelle conscience que les populations urbaines précarisées prennent de leur fonction d'acteurs socio-économiques.

2.3.1 Le woro-woro intercommunal: un transport qui «arrange tout le monde»

Pour la plupart du temps, ce sont des travailleurs retraités ou en activité ou même débauchés qui profitent de leur temps libre et de la corruption des agents commis pour le contrôle, pour prendre des passagers à bord de leur véhicule. Un fonctionnaire de l'administration ivoirienne faisant souvent de son véhicule personnel un woro-woro intercommunal, nous a confié ceci :

«Le matin, je retrouve des jeunes près d'une station, dans mon quartier qui m'aident à trouver des passagers à bord de mon véhicule pour le Plateau où je travaille. À la descente, je fais la même chose et c'est plus facile, puisque c'est mieux organisé là-bas (au Plateau). Après avoir donné pour ceux qui me permettent de charger, je gagne quelque chose pour l'achat de mon carburant. 2000 f à l'aller, 2000 f, au retour, ça m'aide beaucoup!». (B. Daniel 13.02.2009)

Ces fonctionnaires, s'adonnent à ces pratiques pour amortir les sommes investies dans l'achat du carburant pour se rendre à leur lieu de travail. Du fait de la crise, les ivoiriens tapent à toutes les portes pour se faire de l'argent. Toutes les stratégies sont mises en place pour déjouer les tours de la pauvreté. Cette fois, c'est à du covoiturage payant que certaines personnes se prêtent pour se faire des sous. En effet, les propriétaires de voitures rivalisent discrètement avec les taxis. Se faisant passer pour des personnes de bonnes volontés à leur apparition, ces derniers proposent leurs services.

Cette forme nouvelle de covoiturage payante se vit quotidiennement et les populations semblent l'avoir plutôt bien aimée au détriment des chauffeurs de

124

taxis compteurs et des autobus de la SOTRA qui faisaient la loi des marchés59. Alors comment se met en évidence ce phénomène? Très discrets et déjouant la vigilance des «syndicats», autrement dit des placeurs de passagers dans les taxis traditionnels, qui veillent au grain. Ces transporteurs concurrents de circonstance émettent quelques coups de klaxon pour attirer l'attention de clients qui affluent aux abords des lignes d'attente de taxis ou de bus. Alors quand une personne s'approche pour en savoir plus, les chauffeurs leur font savoir qu'ils vont dans un endroit bien précis et que s'il y a des personnes qui vont dans la même direction elles peuvent «venir». Quand tout le monde est réuni au grand complet, le conducteur demande à chacun des passagers de lui remettre la somme convenant au coût du trajet pour mettre du carburant60. Personne ne trouve d'inconvénient dans cette «pseudo solidarité» qui semble à la fin arranger tout le monde.

2.3.2 Le woro-woro ou la «banalisation» du travail de

bureau?

Il y a de cela quelques décennies en Côte d'Ivoire, dans l'imaginaire populaire, le travail salarié ou «travailler dans bureau» était le seul associé symboliquement, à la réussite sociale. Par voie de conséquence, toute analyse en termes de «réussite» tenait compte de cette forme unique de travail, le «travail salarié» dont la perte était vécue dans la communauté comme un drame existentiel. À cet effet, Laurent Bazin et Roch Gnabéli, dans «Le travail salarié, un modèle en décomposition?» décrivent le rôle de l'emploi salarié dans la construction des statuts sociaux comme résultant des pesanteurs coloniales

«Le salariat s'est progressivement imposé en Côte-d'Ivoire comme une forme de travail de référence. Il renvoie à tout un faisceau de normes qui permettent de le définir comme un modèle. Au travailleur salarié (et à ceux qui exercent une profession libérale), on attribue une capacité potentielle d'intervention financière supérieure a priori à celle des autres travailleurs. La population salariale (à laquelle on peut

59 Durant les années 1970, l'offre publique de transport (la SOTRA et les taxis compteurs) a constitué à Abidjan un modèle extrême où la société publique (SOTRA) était puissante et bien organisée (parc de plus d'un millier d'autobus, durée de vie des véhicules de 7 à 10 ans ...) selon un schéma moderniste proche des entreprises de transport européenne.

60 Généralement, le coût du trajet est connu des usagers.

125

adjoindre les personnes exerçant une profession libérale) est donc pensée comme une catégorie sociale à part: l'emploi salarié confère d'emblée un statut social [...] Dans les conceptions des administrateurs, jusqu'aux années trente, il n'y avait guère que deux catégories sociales: les paysans et les évolués auxiliaires de l'administration et des entreprises privées européennes» (Bazin and Gnabéli 1997)

À l'inverse, le travail dit informel ou être «planteur» était perçu comme un statut peu valorisant pour l'individu ou comme le signe d'un échec social. Mais face à la crise et au chômage galopant, les populations, quelle que soit leur appartenance sociale, n'hésitent plus à investir les activités qui jusque là étaient considérées comme insignifiantes et ne peuvent permettre à ceux qui les exercent de gagner leur vie. La crise a suscité chez les Ivoiriens un éveil de l'esprit d'initiative. On assiste à un changement profond de mentalité, à une mutation sociale lente, mais effective et régulière de la société ivoirienne. C'est ainsi que le secteur des transports collectifs privés et notamment le woro-woro, à l'instar de toutes les activités relevant du secteur dit informel considéré dans l'imaginaire populaire ivoirien comme le refuge des étrangers, des marginaux, des démunis, est de plus en plus investi par toutes les couches urbaines touchées par la crise.

La prise de conscience que l'emploi salarié et l'activité dite informelle ont une fonction identique et peuvent participer à la valorisation et à l'intégration sociale de l'individu, pousse désormais les populations à corriger leur représentation du travail. Jadis le secteur des transports était délaissé par les nationaux à l'exception de ceux des régions septentrionales de la Côte d'Ivoire communément appelés Dioula (Aka 1988; Kassi 2007). Aujourd'hui, on note une forte présence d'Ivoiriens de toutes les régions dans les activités de woro-woro comme l'indique Sidibé Sékou Amadou, président du comité de lutte pour l'insertion des taxis intercommunaux dans les propos suivants.

«Il y a 21000 voitures banalisées en Côte d'Ivoire. 90 % de ces véhicules à des nationaux et à des ex-combattants. Contrairement aux taxis compteurs. Il y a 5000 taxis compteurs qui sont la propriété des Chinois et le reste détenu par les Libanais et Peuhls». Le Mandat, n°882 du lundi 03 septembre 2012, p. 8.

126

La montée en puissance des woro-woro se situe dans un contexte où les pesanteurs socio-culturelles liées au salariat, au travail de bureau s'estompent au profit du travail tout cours. Au discours de valorisation d'une société ivoirienne ostentatoire où la valeur de la personne passe par ses biens d'éclat et par sa capacité à posséder des objets qualifiants: voiture de marque, cigare, habits chers, maison luxueuse, succède un discours de valorisation de travail non salarié, une vie de débrouille. Ainsi, la valorisation du travail à travers le credo «gagner son pain à la sueur de son front» a permis d'élever au rang de vertus la témérité, l'opportunisme et la perspicacité dans un monde de compétition. En moins de deux décennies les woro-woro se sont imposés jusqu'à devenir un des principaux types de transport public de la ville (Adoléhoumé 2000). L'activité génère un nombre important d'emplois précaires, pénibles, constamment exposés aux dangers et à la pollution de la circulation. Ces emplois s'adressent en priorité aux couches les plus défavorisées de la population aux perspectives professionnelles limitées, mais aussi à celles secouées par la crise. Le tableau suivant nous indique les motivations de certains entrepreneurs du secteur que nous avons rencontrés.

Tableau 7: Motivations des entrepreneurs employés dans le secteur des
transports collectifs d'Abidjan

Motivations Taux

Gagner honnêtement ma vie

38 %

Faire face aux difficultés de la vie

31%

Ne pas chômer et aider mes parents

10%

Apprendre à conduire

12 %

Avoir arrêté mes études

9%

Total

100

Source: nos entretiens

2.3.3 Le woro-woro comme un ajustement de la demande sociale de mobilité à la crise

L'avènement des woro-woro intercommunaux a renforcé des comportements déjà amorcés avec les difficultés de la SOTRA à partir de la crise des années 1980. Face au renchérissement du coût de la vie, au niveau du transport public, on note un bouleversement des habitudes de mobilité, notamment avec l'avènement de la

127

dévaluation du FCFA de janvier 1994. La crise a contribué à modifier les habitudes de mobilité des populations en favorisant le partage du coût du trajet entre passagers «arrangement» dans les déplacements domicile-travail au détriment d'un déboursement personnel du coût en taxi compteur61. Le renchérissement du coût de la vie, le chômage, la libéralisation de l'importation des véhicules usagers dits «France au revoir» ainsi que les faiblesses de l'offre de la SOTRA ont contribué au renforcement de tels comportements comme le fait remarquer Konaté Yacouba,

«Les ménages réduisent leur train de vie et cherchent à tirer le meilleur avantage des richesses qu'ils .ont pu accumuler au temps de la croissance. Des propriétaires louent leur maison pour ensuite devenir eux-mêmes locataires à moindre coût. Des voitures de loisir et de tourisme deviennent des taxis collectifs. On les appelle woro-woro à Abidjan [...] Son activité répondant de toute évidence à un besoin de la population, il est vite rejoint par de nombreuses voitures [...] Suivant son exemple, de nouvelles lignes sont créées ailleurs si bien qu'aujourd'hui, la ville d'Abidjan peut être parcourue de part en part en taxi woro-woro. Les usagers s'en félicitent en ce sens qu'ils ne sont plus obligés de se soumettre aux retards de la société des autobus» (Konaté 2001).

Au total, ce paragraphe a permis de comprendre comment les moments de crise qui ponctuent les décennies 1980 et1990 se sont révélés comme des moments propices à la construction d'itinéraires alternatifs d'accès à la ville. Les difficultés engendrées par la crise amènent les populations précarisées à s'en remettre à l'aléatoire du destin, à investir des espaces a priori improductifs afin de les exploiter pour assurer leur subsistance(Hurtubise and Vatz Laaroussi 2002). Le développement des taxis collectifs est de cet ordre. À ce niveau, l'un des changements notables opérés est la transformation observée depuis quelques temps dans la structure de fonctionnement de ces taxis collectifs

61 Le taxi compteur est le mode proposant la moins mauvaise qualité de service, mais son coût est quasi unanimement jugé trop élevé. Le taxi-compteur, transporte sa clientèle à travers toute la ville. Le prix de la course est fixé par un compteur. Peu onéreux pour la clientèle européenne, les taxi-compteurs restent coûteux pour une grande majorité de la population abidjanaise.

128

Chapitre 3

Le woro-woro, une évolution dans
la structure de fonctionnement

Pour Minztberg, une entreprise ne peut se concevoir de manière isolée. Elle est en lien permanent avec le milieu, auquel d'ailleurs il appartient. Ces liens ne sont pas statiques et rigides. Ces liens sont des échanges permanents, dans les deux sens, du milieu vers l'entreprise et de l'entreprise vers le milieu. Ces échanges sont nécessaires à l'équilibre global de l'ensemble, c'est ce qu'on appelle un système (Minztberg 1982; De Soto 1994). Il en est ainsi des taxis collectifs qui se sont organisés et adaptés progressivement face à la demande sociale de mobilité de plus en plus croissante. Que ce soit au niveau des entrepreneurs qui le portent ou même au niveau du prix de la course, on note des évolutions remarquables.

3.1. Le woro-woro, une évolution au niveau de
l'identité des acteurs

Dans l'imaginaire populaire ivoirien, «le transport est une affaire de Dioula». De plus, des travaux existent et qui justifient clairement l'ancienneté et la domination des Dioula dans le transport (Aka 1988; Kassi 2007). Ainsi, selon Aka:

«Les informations recueillies sur le terrain précisent que jadis les Dioula n'inscrivaient pas leurs enfants à l'école. Les parents eux-mêmes, transporteurs ou commerçants, ne sachant ni lire ni écrire, orientaient leurs enfants vers ces métiers. Ainsi autant les Agni par exemple sont agriculteurs, autant, les Dioula sont transporteurs ou commerçants.(p.95)» (Aka 1988).

D'autres travaux réalisés sur l'entreprise ivoirienne mettent également en évidence l'existence d'un corps social intégrant l'activité économique en fonction des appartenances socioculturelles. Ainsi, le jeu économique ne serait pas ouvert

129

et il y aurait des verrouillages ethniques dans les activités économiques. Ce sont les Maliens, les Guinéens, les Malinké et les Sénoufo ivoiriens, englobés dans les grands groupes des commerçants Dioula qui occuperaient largement le champ du commerce et du transport urbain.

«En premier lieu la présence massive des étrangers dans le secteur commercial n'empêche pas que d'actifs Ivoiriens, originaires du nord du pays et islamisés, s'adonnent avec talent et succès au commerce, tels les Dioula qui s'en sont fait une spécialité en certains endroits [...] Les préférences ethniques dans les secteurs d'activité s'établissent ainsi: les Akan se dirigent en premier lieu vers les services (39%) puis la production artisanale (37%), enfin vers le commerce (24%) les Mandé du nord s'orientent en premier vers l'artisanat (49%) loin devant les services (27 %) et le commerce (24%). Dans le groupe voltaïque les activités commerciales arrivent au premier rang (50%) devant les services (40%), loin devant l'artisanat (10%). Quant aux Mandé du sud et aux Krou leurs faibles effectifs nous dispensent des commentaires» (Faure 1992-1993).

Ces observations, aussi évidentes qu'elles puissent paraître ne sont pas à généraliser aujourd'hui au niveau des woro-woro. Sur la base des entretiens que nous avons menés, on remarque que le secteur des woro-woro notamment est un domaine d'activités ouvert où le salariat représente 60 % des investissements, alors que les commerçants en représentent 30 %, loin devant les retraités, les chômeurs et les individus vivant à l'étranger (10 %). De plus, les travaux réalisés dans ce domaine par Kassi Irène parviennent aux mêmes conclusions relatives d'un jeu économique assez ouvert. La tendance s'est inversée comme elle le démontre dans le tableau ci-après, surtout dans le secteur des «woro-woro».

130

Tableau 8: Répartition des chauffeurs par secteur d'activité et par

nationalité

 

Nationalité

Total

Ivoiriens

%

Ressortissants CEDEAO

%

autres

%

Gbaka

160

87, 4

23

12,6

 
 

183

100

Woro-woro Intra

242

83,2

40

13,7

9

3,1

291

100

Woro-woro Inter

167

78,8

44

20,8

1

0,4

212

100

Total

569

82,9

107

5,6

10

1,5

686

100

Source: tiré des travaux de (Kassi 2007) p164

«Le retrait des étrangers de ce secteur d'activité s'explique en partie par leur vulnérabilité face aux agents de contrôle. Il était observé chez ces derniers une forte propension au racket des chauffeurs non nationaux avant leur généralisation aux nationaux» (Kassi 2007) p164.

Les images qui relient trop fortement les ethnies et leur domaine de réussite économique doivent être nuancées. Le changement social affecte aussi ces terrains en faisant que la tradition n'est quasiment plus tout à fait ce qu'elle était il y a quelques dizaines d'années. Au niveau des woro-woro, la tendance au statut de propriétaire évolue plutôt en faveur des salariés. L'on note également une diversité d'origine des entrepreneurs pour les autres emplois liés à ce secteur des transports.

3.1.1 Le salariat, premier moyen d'investissement

131

Le facteur capital pose toujours un problème aux entrepreneurs dans ce secteur. Le tableau suivant indique l'importance des salariés dans le secteur des woro-woro à Abidjan.

Tableau 9: proportion des woro-woro en fonction du statut socio-professionnel du propriétaire

Origine

Professionnelle

Nombre

de woro-woro

Proportion %

Salariés

Commerçants Autres

 
 
 
 

30 60 %

 
 

15 30 %

 
 

5 10 %

 
 
 
 
 
 
 
 

Source: Nos entretiens

Le salariat constitue le premier moyen de financement de la création de l'entreprise. Le secteur dit informel tire ses ressources du secteur moderne auquel il reste subordonné(Metougue 2004). C'est la masse des salaires payés dans le secteur formel qui est la source principale de la demande adressée aux activités dites informelles. Le souci de préserver son emploi empêche les fonctionnaires et les salariés (majoritaires dans ce type d'activité) de risquer une mise en disponibilité, un congé sans solde ou un départ volontaire pour création d'entreprise et maintient cette catégorie d'entrepreneur dans le secteur dit informel. De plus, la frontière entre le secteur formel et le secteur dit informel manque de visibilité dans certains domaines, comme celui du transport urbain notamment. Le secteur dit informel apparaît ainsi comme un ballon d'essai, un processus d'apprentissage. Le promoteur qui résiste aux soubresauts de ce «monde invisible», peut prétendre se montrer le moment venu au grand jour, notamment s'il bénéficie des aides de l'Etat (prêt bancaire). Les conducteurs propriétaires de woro-woro, déclarent travailler dans l'informel pour réunir le montant nécessaire pour remplir les formalités administratives.

«Le woro-woro rapporte de l'argent autant que le taxi compteur mais les frais d'immatriculation sont exorbitants. En plus, nous payons aujourd'hui presque les mêmes charges que les transporteurs réguliers». Rassure Goué P. un conducteur de woro-woro interrogé (12.04.2009)

132

Beaucoup de «déflatés» qui ont voulu s'investir dans les prestations de service ou le commerce, ont dû affronter une kyrielle de formalités dont ils n'avaient pas nécessairement l'habitude. Mettre un taxi en circulation exige la constitution des documents suivants: patente, assurance, vignette, carte grise, visite technique, carte de stationnement, formulaire de ligne (donné par les syndicats de transporteurs).Or, la confection de ces divers documents est du ressort de plusieurs administrations et la connaissance des services mis à contribution ici n'est pas à la portée du premier venu. Aussi, la tendance évolue-t-elle vers le statut d'employer pour le plus grand nombre d'entrepreneurs qui s'y emploient dans une perspective de lutte pour la survie.

3.1.2 Le woro-woro une activité de survie

La multiplication des initiatives face aux contraintes de l'environnement socio-économique témoigne d'une certaine réalité. Près de 80% de la population ivoirienne comme partout en Afrique subsaharienne vivent en marge du système d'accumulation depuis un demi-siècle (Hugon 1992). L'ouverture des populations aux opportunités et stimuli du marché et le fort taux de croissance démographique, auxquels il faut ajouter dans certains cas les effets de la mauvaise gouvernance, ont déclenché un processus de paupérisation et de prolétarisation des populations (Metougue 2004). Avec la chute des revenus il y a impossibilité d'accéder aux services de base que sont l'alimentation, l'éducation, la santé, le logement, la protection sociale. Face à cette marginalisation, se sont multipliées des initiatives individuelles ou collectives visant à faire face aux besoins qui ne sont pas pris en compte par la classe politique et surtout pour satisfaire les besoins primaires de ces populations. C'est dans ce contexte qu'on a pu constater la montée du phénomène de woro-woro dans la capitale économique ivoirienne au cours de ces dernières années (Konaté 2001). À tous les niveaux d'organisation de l'activité de transport, on retrouve des groupes spécifiques d'entrepreneurs dynamiques et

133

opportunistes. Mais posséder un taxi à Abidjan réclame un investissement initial important62 qui, une fois réalisé, doit être amorti

3.1.3 Le woro-woro, un secteur d'activité de plus en plus

ouvert

Le travail lié au woro-woro est une activité qu'on exerce en attendant, d'autant plus que les conducteurs eux-mêmes estiment que la concurrence devient très forte. Tous les jours, de nouveaux véhicules sont mis en service. En attendant, c'est un métier qui permet aux chômeurs et aux citadins déscolarisés de gagner leur vie. Dans l'encadré suivant, on retrouve les avis de certains jeunes que nous avons rencontrés

- Raphael, niveau d'études 3ème, j'ai fait un apprentissage en électronique. Mais quand il a fallu travailler, je n'avais que le woro-woro comme seul choix

-

- Sam, niveau d'études 2nde année université, j'ai d'abord été agent de sécurité dans une ambassade de la place. Le woro-woro a été sa seule opportunité à un moment donné.

-

- Ismaël, niveau d'études 4ème, j'ai été chauffeur dans 3 entreprises différentes avant de faire le gbaka. C'était la seule opportunité qui s'est présentée à moi. -

- Pascal, niveau d'études 6ème, je possède une formation en plomberie, j'ai déjà travaillé comme plombier. Le woro-woro a été le seul choix qui s'est présenté à moi.

-

- Loué, niveau d'études maîtrise en sociologie. J'ai d'abord travaillé avec une ONG avant de devenir conducteur de woro-woro en 2011

Source: nos entretiens

Par le passé, la profession de transporteur en général et particulièrement le métier de chauffeur de taxi était essentiellement alimenté par les Dioula (Aka 1988; Dembélé 2002; Kassi 2007). Mais depuis plus d'une vingtaine d'années, la profession est de plus en plus investie par les originaires des zones pauvres de

62 Le «France au revoir» est vendu entre 3 et 4 millions selon la qualité l'âge et la marque.

134

l'espace urbain où convergent en quasi permanence une importante migration d'origine rurale et les classes moyennes frappées par la récession économique. Sur la base des entretiens que nous avons menés, on note une diversité d'origine géographique des chauffeurs comme le montre la (fig. 3).

Graphique 2: Origine géographique des entrepreneurs
du secteur des woro-woro

L'étude réalisée par Kassi en 2007 sur la répartition des chauffeurs des woro-woro par secteur d'activité et par nationalité donne les résultats suivants: sur un échantillon de 242 chauffeurs des taxis communaux, on note 83, 2 % d'Ivoiriens pour 16,8 % de non nationaux. C'est aussi dans ces mêmes proportions que les Ivoiriens se signalent au niveau des woro-woro intercommunaux avec 78,8 % pour 20,2 % des non nationaux (Kassi 2007) contre seulement 0,33 % dans les années 1960.

3.2 Le woro-woro: une évolution dans la
typologie des acteurs organisationnels

L'évolution de la structure de fonctionnement des woro-woro s'inscrit dans une trajectoire de changement de relations de travail entre propriétaire et chauffeur et

135

entre celui-ci et la demande sociale de mobilité. En effet, dans un contexte de besoins de mobilité géographique de plus en plus croissants, on note le repli d'un grand nombre d'entrepreneurs aux statuts divers autour du woro-woro avec pour conséquence une disparition progressive du bénévolat au profit de la professionnalisation. Quelque soit le type de woro-woro, on constate la naissance d'une variété d'acteurs aux statuts différents qui se déclinent en propriétaire, propriétaire chauffeur, chauffeur titulaire, chauffeur en second, le «en cas de cas», dont une description typologique s'avère nécessaire.

Dans l'organisation pratique de l'activité, ces acteurs se subdivisent en trois groupes Il s'agit d'une part, des propriétaires, du chauffeur propriétaire et du chauffeur simple. Le groupe de chauffeurs permanents se subdivise en deux sous-groupes à savoir: les chauffeurs locataires et les chauffeurs propriétaires. Mais indépendamment des différents types de chauffeurs, les formules contractuelles entre le propriétaire et le chauffeur sont complexes. Il peut s'agir dans cette forme de contrat de travail de la location-vente avec les propriétaires ou du «travailler payer». Ce qui veut dire que le chauffeur considère l'argent qu'il verse au propriétaire comme un «remboursement» d'une somme correspondant à la valeur du véhicule. Au terme du remboursement, il devient propriétaire du taxi. Dans ce cas les versements se font chaque jour et le chauffeur doit travailler 6 jours/7 pour atteindre son objectif. D'autres encore sont en concession avec les importateurs ou les vendeurs de véhicules et doivent verser des traites hebdomadaires. La loi de l'informel est de règle, car rien n'est ni formalisé ni arrêté définitivement. En cas de grève, le chauffeur verse «ce qu'il peut», irrégulièrement.

Ces ajustements rappellent, dans une certaine mesure, la capacité de certains entrepreneurs employeurs sociaux à s'adapter à la situation individuelle des employés. Cette souplesse constitue un véritable atout au succès de l'offre des woro-woro. Il existe encore d'autres formes de contrat dans lesquelles, les chauffeurs sont payés au rendement. Dans ce cas de figure, le chauffeur prend le taxi en location et le supplément en dehors des frais de location est considéré comme le salaire du chauffeur. Par exemple, si le taxi est pris en location à 13500

136

FCFA par jour pour le woro-woro communal et au cas où, les frais du carburant sont dégagés, le bénéfice journalier de l'ordre de 5000 à 6000 F CFA revient au conducteur. Pour atteindre cet objectif et en même temps satisfaire le propriétaire, le chauffeur doit faire face à une dure épreuve: tout accepter tel que les surcharges, porter des bagages, non-respect du code de la route, etc.

3.2.1 Le propriétaire

La plupart est relativement jeune. En majorité ce sont des hommes mariés ayant des personnes à charge. L'échantillon se compose malgré tout de 13 % de femmes (propriétaires). Plus 69 % des propriétaires exercent une activité autre que le transport et sont devenus transporteurs pour bénéficier de revenus complémentaires. Cette activité semble donc récente et secondaire. On n'a pas affaire à des transporteurs de longue date et appartenant véritablement au métier. L'activité principale va alors de la fonction publique à l'emploi indépendant en passant par l'emploi formel privé. Leur entrée dans l'activité est relativement récente, pour certains, depuis 2003, juste après le déclenchement de la crise militaro-politique de 2002 et pour d'autres, depuis 2009.

Ces deux moments justifient qu'en période de crise (crise militaro politique ou même de la dévaluation du FCFA de 1994) tout comme en période d'incertitude institutionnelle: libéralisation des importations des véhicules d'occasion dits «France au revoir» de 1997, reformes de la décentralisation institutionnelle) etc., les acteurs sociaux sont prêts à capitaliser leurs incertitudes et à les transformer en ressources économiques. Certes, le phénomène existait déjà avant le déclenchement de la crise militaro politique en 2002, mais elle a renforcé l'activité.

«La crise sociopolitique que traverse la Côte d'Ivoire depuis le 19 septembre 2002 a entraîné une augmentation soudaine de la population abidjanaise par l'afflux de déplacés dans la capitale. Les

137

problèmes liés à cette croissance urbaine si brutale deviennent de moins en moins maîtrisables. La demande en infrastructures et en équipements de base tel le logement, la santé, l'eau, l'éducation et le transport est en nette progression» (Kassi 2007).

La majorité des entrepreneurs interrogés estiment exercer ce métier pour survivre. Pour bon nombre d'opérateurs, cette activité permet simplement d'accroître les revenus ou un moyen de sortir un membre de la famille de la «galère» nous a-t-on confié. 30% des chauffeurs travaillent pour un parent63. On peut donc conclure accessoirement que la création d'une activité est d'abord la création d'un emploi pour celui qui la créé. Près de 15% des opérateurs sont à leur propre compte. Ces observations ont pour implication principale, la crise économique que traverse la Côte d'Ivoire. La création d'entreprises correspond au déficit actuel d'emplois salariés. La Côte d'Ivoire connaît une période de vache maigre relative à l'épuisement des ressources naturelles. La vague des privatisations qui résulte du programme d'ajustement structurel n'arrange pas non plus les choses et oblige certains «déflatés» ou fonctionnaires en activité à utiliser leur voiture personnelle à des fins commerciales. Ce qui implique l'existence du statut du chauffeur-propriétaire.

3.2.2 Le chauffeur-propriétaire

Les chauffeurs-propriétaires sont faiblement représentés au niveau de l'échantillon global de ceux qui ont le transport comme principale activité. Pour la plupart, ce sont des travailleurs retraités ou en activité ou même débauchés qui profitent de leur temps libre et de la corruption des agents commis pour le contrôle pour prendre des passagers à bord de leur véhicule.

3.2.3 Le chauffeur «titulaire» ou «l'embauché»

Etre chauffeur de woro-woro est un métier né de la crise économique. Pour les entrepreneurs de ce secteur interrogés, on y vient à défaut de mieux, lorsqu'on a

63 Le parent est patron, il verse un salaire à son chauffeur membre de la famille. Dans ce cas, le contrôle des recettes est moins strict. Et, les conflits sont permanents (irrégularité des versements des recettes).

138

perdu son travail ou bien parce qu'à la sortie des études, aucune autre opportunité ne se présente. L'Etat n'a plus les moyens financiers de jouer le rôle de locomotive et doit concentrer ses efforts sur quelques axes stratégiques et/ou sociaux. Trouver alors un emploi devient difficile notamment lorsque l'on est faiblement diplômé. C'est pourquoi on retrouve sur ce créneau autant les jeunes diplômés à la recherche d'un premier emploi, que ceux recrutés par l'Etat, mais ne touchant pas encore leur rémunération, ou d'autres sortis du système scolaire sans qualification, posant des problèmes d'employabilité aux entreprises de la place.

Acteur principal dans l'exploitation du véhicule, la catégorie «chauffeur» se subdivise en plusieurs sous-groupes de chauffeurs liés qui gravitent autour du véhicule selon plusieurs formes de contrats informels. Il s'agit notamment du chauffeur «titulaire» ou «l'embauché». Il est le chauffeur engagé sur la base d'un contrat de confiance par le propriétaire du véhicule. C'est lui qui assure les diverses tâches relatives à l'achat du carburant et les diverses taxes qu'implique l'exploitation du véhicule. Deux principaux modes de rémunération du chauffeur existent. Il s'agit d'une part, des chauffeurs qui reçoivent un salaire fixe et d'autre part, des groupes de chauffeurs qui travaillent le week-end (samedi ou dimanche) pour se payer. 65 % des chauffeurs interrogés appartiennent à la première catégorie de chauffeurs. Tous affirment percevoir un salaire fixe qui varie entre 45 et 55000 FCFA. Mais à ce fixe mensuel relativement bas, il faut ajouter le surplus de recette journalière que le chauffeur garde sur lui après avoir retiré le montant versé au propriétaire et les dépenses à sa charge (restauration, syndicat, carburant, gardiennage). À ce sujet, m. Noufou Paul, chauffeur, dit ceci:

«Pour nous les chauffeurs, c'est ce qu'on gagne après recette qui est pour nous» (N.P.13.12 2012)

3.2.4 Le chauffeur en second

Il joue pratiquement le même rôle que le chauffeur titulaire, mais son embauche se fait par le titulaire qui en informe le propriétaire. Malgré, l'immensité de sa tâche, il n'est pas rémunéré par le propriétaire avec qui il n'a aucun contrat. Le chauffeur en second n'a pas de salaire, même si dans certains cas rares, il reçoit

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entre 5000 et 10000 FCFA mensuellement de la part du chauffeur titulaire. Dans un secteur où les conditions de travail sont à la limite de la résistance humaine puisqu'elles impliquent une journée de conduite de l'ordre de 14 heures, les conditions de travail du chauffeur et en particulier du chauffeur en second ne sont pas sans poser des problèmes. D'où l'intervention d'un troisième chauffeur dans certains cas, appelé le «en cas de cas».

3.2.5 «Le en cas de cas»

Cette troisième catégorie de chauffeur ne roule pas régulièrement. Il n'a pas de salaire. De plus, si le contrat qui lie le chauffeur titulaire au propriétaire exige que celui-ci connaisse le chauffeur en second, «le en cas de cas», lui n'a pas cette possibilité. Il est juste sollicité pour des tâches intérimaires temporaires et s'en sort grâce au surplus de recette qu'il garde sur lui après le versement du montant que lui exige son employeur. Le point de vue de ce chauffeur dans l'encadré suivant donne à peu près une idée du «en cas de cas».

«Sur le taxi! Bon, comme souvent il y a des problèmes quand l'autre est malade, tu es obligé de chercher un second et donc souvent on est trois, voilà. Les trois ne sont pas payés. Le troisième on l'appelle «en cas de cas. Lui, il ne roule pas régulièrement comme ça. Par exemple quand je suis en train de travailler et qu'un problème m'oblige à aller en famille, je fais appel au «en cas de cas» qui vient achever ma journée et me verse la recette. Quant au chauffeur en second, il verse directement sa recette au propriétaire comme le chauffeur principal. Lui, on fait ça pour pouvoir payer ses besoins. Le premier à qui on a donné la voiture c'est lui que le propriétaire connaît. Maintenant toi tu cherches ton second et tu l'envoies chez le propriétaire. Ah! C'est avec celui là que je vais travailler. Maintenant en fonction du salaire vous vous départagés entre vous (le titulaire et le second). Le patron paye le premier et c'est lui qui doit s'arranger avec son collègue (le second). «Le en cas de cas» n'est pas dedans.» (P.N 13. 12 2012)

Les chauffeurs de woro-woro accomplissent de longues journées de travail, car leurs revenus dépendent du nombre de courses qu'ils effectuent. Pour cela, les chauffeurs dépassent souvent les vitesses autorisées sur les routes pour plus de profits immédiats et ils sont dans beaucoup de cas désignés comme responsables

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des accidents de la circulation et des embouteillages. Malgré des chiffres d'affaires importants, les revenus procurés par l'exploitation d'un taxi demeurent limités à cause du trop grand nombre d'acteurs impliqués autour d'une autorisation. Seul un comportement enfreignant les règles élémentaires de la circulation routière (dépassement des vitesses autorisées et des lignes blanches, arrêts inopinés) permet aux chauffeurs du woro-woro de réaliser un nombre quotidien de courses suffisant pour dégager des revenus. Les chauffeurs prennent peu de jours de congé et ne sont pas affiliés aux organismes de sécurité sociale. Ils dépassent les vitesses autorisées sur les routes pour plus de profits immédiats et ils sont souvent désignés comme responsables des accidents de la circulation et des embouteillages. «L'humour des Ivoiriens surnomme ces véhicules «le cercueil roulant» en raison de leur conduite imprévisible et en référence aux pratiques de « danseurs de cercueil ». Le cercueil, évolue dans tous les sens pour désigner le sorcier, responsable de la mort du défunt. Pour Claude Vidal,

«à Abidjan, les pratiques de la conduite sont autant de comportements à mettre en rapport avec la catégorie sociale des conducteurs et les conditions spécifiques de leur accès à l'automobile: un jeune chauffeur, peu scolarisé et mal payé, qui, à raison de plus de dix heures par jour, conduit une camionnette en mauvais état, n'a certainement pas en matière de sécurité les mêmes pratiques qu'un cadre d'entreprise roulant dans sa propre voiture. Les chauffeurs professionnels, en surnombre, détenteurs d'un permis plus ou moins acheté, souvent le substitut d'un diplôme scolaire demeuré hors d'atteinte, ils ne sont pas en état de refuser des conditions de travail désastreuses au sens plein du terme, Le cycle du taxi est à cet égard particulièrement significatif, En 1975, les compagnies d'assurances refusant les taxis. Le Président du Syndicat National des Transporteurs reconnaît que, durant l'année 1975 sur 2043 taxis en activité dans la capitale, 1800 ont eu des accidents 88 % d'entre eux!»(Vidal 1986)

3.3 Le woro-woro: une évolution dans le prix
de la course

«woro-woro est un terme malinké voulant dire six-six car à l'époque la course coûtait 30 FCFA (6 pièces de 5 FCFA). Aujourd'hui le prix

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de la course a largement augmenté, au minimum 100 FCFA. Ainsi, pour relier l'Université de Cocody à Marcory, il vous en coûte seulement 200 FCFA en bus (certes debout dans la chaleur et la sueur avec des arrêts très fréquents), et au mieux 600 FCFA en woro-woro avec un changement» (Soko 2010).

L'intérêt des woro-woro et leur attractivité viennent de leur coût relativement bas mais aussi et surtout de la satisfaction qu'ils procurent en termes de rapidité. Cependant, les revenus procurés par l'exploitation d'un taxi demeurent limités à cause du trop grand nombre d'acteurs impliqués autour d'un agrément. Si les propriétaires des véhicules renouvelaient le parc automobile, si chacun était imposé à la mesure de ses revenus, la rentabilité et l'efficacité du modèle abidjanais des taxis collectifs, ainsi que les rémunérations qu'ils produisent, diminueraient. Ainsi, l'exploitation d'un woro-woro aux conditions économiques passées est impossible sans un réajustement progressif du prix à la course au coût élevé de la vie actuelle. Plusieurs facteurs ont rendu possible cette mutation du prix de la course du woro-woro. Il s'agit notamment de la hausse du prix du carburant, du rallongement des distances, de la pression de la recette exigée au chauffeur et de la forte demande sociale de mobilité.

3.3.1 La hausse du prix du carburant, un facteur de l'évolution des prix de la course

Le transport en commun est un moyen de limiter les dépenses associées à l'automobile, particulièrement pendant les fortes hausses du prix du carburant (Godard 2002). Mais, ces transports deviennent chers au fil du temps à cause des tarifs qui s'ajustent suivant de multiples facteurs, parmi lesquels le carburant qui reste une donnée importante avec ses implications sur la tarification. La montée vertigineuse du cours du pétrole date des chocs pétroliers de 1973 et 1979 ou plus récemment en 2000 et 2005, 2007 et 2008. Au cours de l'année 2005, le prix du gasoil est passé de 470 et 475 F CFA à 540 et 545 F CFA, soit 70 F CFA d'augmentation par litre. Or tous les woro-woro utilisent le gasoil64, qui a subi une plus forte hausse. Comme le montre cet extrait de deux journaux locaux; «L'Inter» et «Fraternité Matin».

64 L'Inter, 08/07/2008

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«On va mourir. Ce sera terrible de se déplacer et manger. Depuis hier, on n'entend plus que ces lamentations dans les woro-woro et gbaka à travers les rues d'Abidjan. C'est que le prix du transport a pris l'ascenseur dans la journée, suite à l'augmentation du prix du carburant intervenue la veille. Pour cette première journée, le tarif du transport interurbain a été majoré de 150 F voire, 200 F pour certaines destinations». (L'Inter, 08/07/2008)

«Il s'agit particulièrement des taxis communaux et intercommunaux communément appelés woro-woro, des minicars urbains ou gbaka. Pour les cars de transport de plus de 50 places, le gouvernement a souhaité que l'augmentation se fasse en fonction de la distance parcourue par le véhicule. Et la marge fixée varie entre un minimum de 100F (pour les cars exerçant leurs activités dans un rayon de 50 km) et un maximum de 1500 F (pour les cars parcourant plus de 450 km). Ainsi, et selon le souhait du gouvernement qui entend par là éviter l'anarchie sur le terrain et les augmentations sauvages des prix du transport, la course pour un taxi communal qui pratiquait un tarif de 250 F, ne devrait pas excéder le tarif de 300 F, avec ces nouvelles propositions. Tout comme un Gbaka de Yopougon à Niangon qui encaissait par client 300 F, ne devrait qu'en demander 350 FCFA désormais. [...] On s'en souvient, cette hausse qui varie de 50 à 100 francs en fonction des destinations, est intervenue dès l'annonce de l'augmentation du prix du carburant à la pompe. Ainsi, Adjamé-SIDECI qui coûtait 300 francs est passé à 350 francs. Le coût du transport du quartier Niangon est lui aussi passé à 350 francs au lieu de 300 francs. Pour la destination Adjamé-Siporex, il y a eu une augmentation de 50 francs. (Frat. Mat. du mardi 8 juillet 2008)

D'après ces deux extraits, le carburant représente le facteur le plus important des coûts de production des taxis collectifs. À chaque augmentation du prix du carburant, on note une modification à la hausse du prix de la course des taxis collectifs. Depuis les années 2000, des hausses régulières interviennent sous la pression des syndicats des chauffeurs, motivés par la hausse du coût de la vie et du prix du carburant. On est ainsi passé d'un mode de transport au prix de la course relativement bas à une situation de cherté.

3.3.2 Le rallongement des distances

«À partir de 1974, Nouveau quartier, Niangon n'existaient pas sauf Lokoua, Kouté village et Béago. De la gare à la SICOGI en R4 le prix

143

du trajet était de 25f. Je suis parti à Marcory en 1975, je suis revenu en 1978, le transport est passé à 100 f. Il y avait maintenant SIDECI, Nouveau quartier, Toit Rouge. Après, c'est passé à 125 f et à 150 f en 2000. De 150 f en 2000, il est passé à 200 f en 2005. Aujourd'hui le prix est à 250 f.» (P. N. 19. 05. 2009)

La commune de Yopougon a connu au plan spatial un développement rapide. De 65 hectares en 1965, l'espace habité est passé à 3335 hectares en 1989. Soit 20,88 % de la superficie totale de la ville d'Abidjan en 1989 contre 1,76 % en 1965 et Yopougon demeure la commune ivoirienne la plus étendue. Cette extension spatiale a eu pour corollaire direct, l'allongement des distances entre les différents sous- quartiers d'une part, et entre les habitations, les lieux de travail et d'activités d'autre part. La complémentarité des moyens formels de transport et l'offre alternative apparaît comme une nécessité qui s'impose actuellement aux populations.

Comme le carburant, la contrainte liée à l'allongement de la distance semble également jouer un rôle important dans l'augmentation du prix du trajet. Aussi, certains utilisateurs des taxis collectifs ont-ils avoué se déplacer plutôt d'abord en gbaka pour ensuite terminer en woro-woro afin de limiter les dépenses liées au transport. Dans plusieurs quartiers de la commune de Yopougon l'augmentation du prix du trajet des woro-woro est vécue comme une conséquence de l'insuffisance de services de base dans les nouvelles aires périphériques d'habitation. Le manque d'infrastructures viaires ou le cas échéant, l'état dégradé de celles-ci, notamment en périphérie et en saison de pluies, ne permettent pas l'accès facile de tous les véhicules de transport collectif, sauf à certaines conditions (prendre le taxi en course ou motiver le chauffeur par une revue à la hausse du prix habituel du trajet)

3.3.3 L'augmentation de la demande sociale de mobilité

Le développement des initiatives alternatives de mobilité est une réponse individuelle à la conjonction d'une triple pénurie: de véhicules privés, de services de transport public et enfin, d'infrastructures routières (Diaz Olvera, Plat et al.

144

2007). De plus, des travaux ont montré que concernant, la commune périphérique de Yopougon, les infrastructures et les services de base n'ont pas suivi le développement spatial de cette cité dortoir (Diahou 1981; Bonnassieux 1987). Cette situation a rendu l'offre de transport très insuffisante par rapport à la demande. Dans ces conditions, les offres alternatives qui sont régies par des mécanismes de fonctionnement internes65 procèdent à des stratégies diverses pour profiter de la hausse de la demande. De manière générale, avec une urbanisation accélérée en périphérie, on assiste à une augmentation incontrôlée des distances et un accroissement des besoins de déplacements. L'accroissement de la demande sociale de mobilité doit être pris comme un facteur d'augmentation du coût de trajet au cours de ces dernières années.

En effet, l'éloignement de Yopougon par rapport aux quartiers anciens, les quartiers centraux, notamment Treichville, Marcory et le quartier de Plateau, le centre administratif et des affaires qui concentrent l'essentiel des équipements et services de la ville, met en difficulté les offres classiques de transport dont l'évolution ne suit pas la demande. Cela constitue une opportunité pour les modes alternatifs qui sont régis par des règles spécifiques de fonctionnement et vis-à-vis desquels la loyauté n'est pas toujours de rigueur (Lombard, Sakho et al. 2004). Différents exemples éclairent ce processus permettant aux chauffeurs des woro-woro de réaliser un nombre quotidien de courses suffisant pour dégager des revenus. La tarification officielle est contournée par des voies différentes selon les chauffeurs et surtout aux heures de pointe (entre 06h 30 et 08 30, pour la matinée et en soirée, entre 17 h 30 et 19h 30). Le chauffeur du véhicule (woro-woro) procède par le fractionnement des trajets, notamment aux heures de pointe où la demande est très forte. La stratégie consiste pour le chauffeur à obliger les usagers à reprendre pour une nouvelle course soit le même véhicule ou un autre pour la suite du voyage, une fois, la destination improvisée est atteinte. Parfois, et toujours en liaison avec la forte demande, mais sous le prétexte d'un embouteillage, d'autres chauffeurs s'adonnent au marchandage pour revoir à la hausse le prix de la course. Un trajet réalisé en une seule fois habituellement par

65 Ces transports ont leurs propres règles de fonctionnement qui fondent leur réputation.

145

un même véhicule est alors sectionné en deux, voire trois étapes par le chauffeur et avec un paiement exigé à chaque fois à l'usager. Ainsi, pour un trajet au tarif de 900 FCFA entre Yopougon et Port-Bouët, le fractionnement en deux courts trajets sous prétexte d'un embouteillage rapporte, à un même chauffeur 1200 FCFA au lieu de 900 FCFA (soit 300 FCFA de plus).

De toute évidence, c'est la liberté dans la fixation des coûts des trajets ainsi que la progression massive des opérateurs qui sont à l'origine de la connexion de multiples enjeux pour le contrôle de ce secteur. La plupart des auteurs s'accordent à dire que les conflits de compétence, les rivalités entre les différentes échelles d'autorité qui interviennent dans ce secteur des transports ont aidé à la structuration des woro-woro. Pour Jérôme Lombard «dans le transport urbain, la recomposition entre secteur public et secteur privé exacerbe la compétition pour la mainmise sur les espaces porteurs, sur les espaces ressources où le secteur privé est présent et avec lesquels les pouvoirs publics, centraux et locaux, comptent pour affirmer leur politique(Lombard 2006).La question des enjeux abordée permet pour ce faire d'amorcer le processus de structuration des woro-woro.

146

Troisième partie

Analyse de la structuration des woro-

woro

Surgi dans la plus complète «informalité» dès les années 1972, lorsque les premiers propriétaires de véhicules particuliers de la commune naissante ont entrepris d'exploiter l'absence des transports publics formels. Les taxis collectifs sont restés embryonnaires jusqu'en 197966. Mais comme tout élément urbain, ces transports se sont transformés avec le temps, ils ont assimilé les changements socio-économiques du moment en adaptant leur offre à l'évolution de l'espace

66 C'est en 1979 que l'autoroute du nord qui relie à Abidjan à Yopougon comme principale voie de communication a été ouverte. Du point de vue démo-spatial, en 1979 Yopougon connaît ses premières valeurs fortes. La population fait un bond qualitatif et passe de 99000 habitants en 1975 à 219000 habitants pendant que l'espace urbanisé passe de 1185 hectares à 2245 hectares. Cela a permis à Yopougon d'être intégrée en 1980 à l'ensemble urbain abidjanais comme l'une des dix communes qui composent l'agglomération.

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urbain de Yopougon. Aujourd'hui, ils constituent une part importante de l'offre de transport collectif et justifient cette place grâce à des dessertes locales couplées de services de mobilité domicile-travail. En 2002, le rapport du district d'Abidjan, structure qui sert à l'élaboration des projets de développement de la ville d'Abidjan, estimait à 8315 le nombre des woro-woro en circulation. Le tableau suivant indique l'évolution du nombre de véhicules banalisés au cours de cette dernière décennie.

Tableau 9 : Evolution du nombre des véhicules banalisés

2002

2003

2004

2010

2334

2559

2512

4000

Source: Bnetd, AGETU, mairie

Dans cette partie du travail, on s'attachera à comprendre comment le processus d'acceptation des woro-woro s'est effectué. Il s'agira alors pour nous de montrer comment les nouvelles relations de pouvoir issues du contexte de la décentralisation agissent sur la structuration des woro-woro.

Chapitre 1

Les woro-woro, une structuration en rapport avec la réglementation et les performances de l'offre publique formelle

Renforcées après l'indépendance notamment en 1961 et 1964, les lois sur les transports collectifs remontent à l'époque coloniale. En partie liée à la création de la SOTRA, la réglementation sur les transports collectifs d'Abidjan a évolué entre

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interdiction et tolérance comme on peut le constater dans les différentes mesures prises depuis l'avènement de la SOTRA.

1.1. Les woro-woro, une bataille de reconnaissance de longue date

Les mesures d'interdiction contre les modes de transport africains remontent à l'année 1953. Il faut donc attendre les années 1996-1997 pour que le secteur des transports publics soit libéralisé à Abidjan67.

1.1.1 Les mesures de 1953: la matrice d'exclusion des woro-

woro

Le quartier de Plateau était le siège de la ville européenne et de l'administration. Il s'y reproduisaient avec quelques nuances près les principales préoccupations urbanistiques des villes des métropoles, comme l'hygiénisme, le souci sécuritaire et le rejet des «classes dangereuses» vers les périphéries (Antoine, Dubresson et al. 1987; Goerg 2006). Les mesures concernant les transports imposent à tous les véhicules proposant un service de transport dans le périmètre de la ville, l'équipement d'un compteur enregistrant le temps écoulé et la distance parcourue pour déterminer le coût du service. «Dès le 1er septembre 1953, un arrêté de la ville prescrit «l'emploi obligatoire du taximètre pour toutes les voitures automobiles de place, circulant sur la zone urbaine». Ce que ne possèdent pas les modes de transport africain qui se voient alors exclus de la ville.

1.1.2 Des mesures d'exclusion renforcées à l'indépendance

67 En Côte d'Ivoire, la politique du président F. Houphouët-Boigny reste fermement opposée au développement des transports «informels». Puisque ceux-ci sont aux yeux des autorités des symboles d'un recyclage stigmatisant pour la construction nationale. Ils développent à cet effet une législation contraignante jusqu'à la fin des années1980, assurant la défense des autobus de la SOTRA et des taxis compteurs.

149

Dès l'accession de la Côte d'Ivoire à l'indépendance, les autorités ont estimé que pour une ville de la taille d'Abidjan et en raison de l'ambition de faire d'elle un modèle en Afrique subsaharienne, les transports de faible capacité (fourgonnettes du genre «1000 kg», taxis-collectifs de 4 à 8 places assises...) ne devraient plus être de mise. Le 18 Août 1960, un protocole d'accord est signé avec le groupe français Renault-Saviem suivi de la création, le 16 décembre 1960, de la Société des Transports Abidjanais (SOTRA), avec des missions bien définies. Il s'agit des missions de service public de transport collectif à travers toute la ville, avec un renforcement de la desserte dans les quartiers-centres. Pour le succès de cette convention de concession de monopole des transports collectifs à la SOTRA, l'Etat décide de mettre les autres modes de transport (gbaka et woro-woro), hérités de la colonisation, dans la clandestinité. Cette situation, oblige les gbaka à se rabattre alternativement sur l'interurbain (Dabou, Anyama et Bingerville) et sur le suburbain (Abobo, Yopougon et certains villages Ebrié de la ville d'Abidjan). Quant aux taxis collectifs (woro-woro), ils ont été confinés dans le périmètre de certaines communes (Koumassi, Marcory et Port-Bouët).

1.1.3 La SOTRA et l'option de monopole de service public

La bataille contre les modes de transports hérités de la période coloniale s'accentue après l'indépendance, notamment avec la création de la SOTRA. L'argument principal repose sur l'idée de construction d'une capitale moderne68. Cette approche idéologique de la ville d'Abidjan s'exprime aussi bien dans le registre des représentations que dans celui des mesures concrètes d'exclusion, car Abidjan est un lieu privilégié pour l'observation d'une société ivoirienne en devenir (Couret 1997). En liaison avec la vision de donner une planification

68 Cette approche, correspond au mythe et à l'idéologie d'une société «moderne» chers à l'État ivoirien et à son premier Président. Dans cette conception, Abidjan est la vitrine de l'édification d'une société ivoirienne moderne. Là où les signes du progrès sont les plus lisibles dans le paysage, l'expression d'un projet total de réalisation d'une société nouvelle.

150

cohérente à la ville d'Abidjan, les transports dits artisanaux sont exclus des périmètres urbanisés au profit de la SOTRA, nouvellement créée. Dans un contexte du tout à la modernité, l'éviction de ces transports s'accompagne de la concession du monopole à cette compagnie même si les potentialités techniques et infrastructurelles de cette entreprise sont encore faibles (Lombard and Zouhoula-Bi 2009). De cette représentation découlent, l'élaboration d'un ensemble de réglementations et de construction de contraintes juridiques qui exigent à ces transports leur aggiornamento ou de s'installer hors de toute zone réglementée. Les mesures de 1960 et les modifications législatives successives au tournant des années 1961 et 1977 précisent clairement cela. L'arrêté municipal n° 29 du 3 décembre 1960 interdit la circulation des transports en commun autres que les autobus et les taximètres. En 1961, la SOTRA obtient le monopole des transports collectifs urbains:

«il est interdit à compter du 1er août 1961, sur le territoire de la commune d'Abidjan, sauf dérogation prévue à l'article 9, l'exploitation des voitures de place, et autres moyens collectifs de transport, à l'exclusion des véhicules munis d'un compteur taximètre et des autobus dont l'exploitation est assurée par la SOTRA69».

Mais c'est à partir du 1er juillet 1964 que le monopole de la SOTRA devient effectif. Toutefois, les propriétaires des taxis collectifs reçoivent en compensation des autorisations de transport sur des lignes non urbaines ou des vignettes de taxi-compteur70. Ce qui a donné naissance à deux modes de transport au niveau de la ville d'Abidjan: l'un dit formel et l'autre dit informel. Le 02 mai 1977, bien que des difficultés structurelles liées à la croissance démo-spatiale de la ville d'Abidjan et en dépit de la réduction du parc auto de la SOTRA, les responsables de la ville d'Abidjan obtiennent le renouvellement du monopole. Celui-ci est

69 L'arrêté municipal n° 29 du 7 avril 1961

70 http://www.rezoivoire.net/annuaire/article/6/la-societe-des-transport-abidjanais-sotra.html, consulté le 20 mars 2012.

71 Des bus transportant uniquement des ménagères et commerçant en direction du marché d'Adjamé.

151

prorogé malgré tout, puisque dans le même temps, la SOTRA a diversifié son offre en direction des marchés urbains à travers les (taxis-bagages)71.

1.2 À partir de 1977, difficultés de la SOTRA et les contradictions du cadre réglementaire

Les lois de 1960, 1961 et de 1977 réglementent le fonctionnement des différents types de transport et réservent la partie urbanisée de la ville aux autobus de la SOTRA et aux taxis compteurs. Seuls ceux-ci ont le droit d'exercer l'activité de transport partout dans la ville d'Abidjan. Quant aux types dits informels, leurs attributions les maintiennent dans des périmètres biens définis. Toutefois, si les lois consacrent la création de deux catégories de transport au profit des transports dits formels, elles présentent des lacunes aux yeux des performances de la SOTRA qui présente des signes de faiblesse, au regard de la population et de la ville qui connaissent des extensions considérables. Pendant ce temps les types dits informels vont convaincre les pouvoirs publics du bien fondé de leurs services. Les aménagements réglementaires de 1977 en faveur des gbaka semblent bien justifier cela.

1.2.1 Une reconnaissance qui commence d'abord avec les

gbaka

À partir de 1976, année de renouvellement du monopole de la SOTRA, l'ensemble des offres formelles constituées des autobus de la SOTRA et des taxis compteurs montre des signes de faiblesse face à l'évolution des structures urbaines. Les données spatiales et démographiques galopantes des années 1975 et 1977 débordent fortement les prévisions de la compagnie publique de transport. Cette situation se traduit par une inadéquation entre l'offre publique formelle et la demande sociale de mobilité. Cela entraîne une dynamique des transports de types informels. En

Dans la ville d'Abidjan, le processus historique d'acceptation des modes alternatifs de mobilité explique que, loin d'être négligé, ce dernier soit devenu une

152

1976, les gbaka atteignent l'effectif de 250 véhicules (Lombard, Bruez et al. 2004). Ce qui amène les autorités à assouplir leur position en permettant à 73 minibus gbaka de desservir les différents marchés d'Abidjan. Des ententes avec la mairie d'Abidjan et des complicités administratives permettent à ce mode de transport d'étendre ses activités (Lombard, Bruez et al. 2004).Toutefois, le 02 Mai 1977, la SOTRA obtient la prise d'un décret interdisant l'accès à la partie la plus urbanisée de la ville aux gbaka et woro-woro.

1.2.2 Période 1977-1979: un fort repli des taxis collectifs sur

Yopougon

Au cours de la période 1977-1979, les activités et les équipements, très insignifiants au départ, se sont accrus de manière progressive et fulgurante au niveau de Yopougon (Olahan 2007). Le glissement très sensible de l'urbanisation vers Yopougon est lié à un double phénomène. Il s'agit notamment du déplacement résidentiel des classes moyennes hors des vieux quartiers centraux traditionnels (Treichville, Adjamé) et la construction massive de villas familiales, associée à la forte diffusion des modes de transport alternatifs de plus en plus tolérés (Diahou 1981; Kassi 2007; Steck 2008). À cela, il faut ajouter les difficultés de la SOTRA, qui peine de plus en plus à supporter les effets de la forte croissance de la ville d'Abidjan et de ses périphéries. Au niveau de Yopougon, la période 1977-1979 est marquée par une intense mobilité quotidienne grâce à la généralisation du transport collectif par taxi woro-woro. Contraints par la réglementation, les taxis collectifs se sont fortement repliés sur les banlieues de la ville d'Abidjan dont Yopougon où ils se sont établis progressivement comme pièce clef de l'organisation socio-économique de la ville.

1.2.3 L'année 1980: les woro-woro sortent de la clandestinité

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offre de transport indispensable. En tentant d'interdire la circulation des gbaka et des taxis collectifs au coeur de la ville d'Abidjan, les gouvernements post-indépendance ont organisé la pénurie du transport et incité les «mal-transportés» à se diriger vers ces modes de transport qui se sont replié en périphérie (Diahou 1981; Bonnassieux 1987). Cela a favorisé l'émergence des réponses alternatives de mobilité dans les banlieues devenues des communes depuis la loi n° 80-1180 du 17 octobre 1980 relative à l'organisation municipale 1980. Ces transports sont d'abord le fruit d'initiatives individuelles et n'étaient pas officiels72. Mais depuis les années 1980, on a constaté l'implication de l'administration municipale dans l'organisation de ces taxis collectifs autrefois combattus pour les utiliser comme des réponses à la pénurie du transport public. Depuis cette date, les taxis collectifs qui desservaient jusque là de manière spontanée et sans procédure d'accès la population, furent contraints à obtenir un agrément à la mairie. Un corps de police est constitué à cet effet pour réprimer tout contrevenant à la nouvelle réglementation, puisqu'avant cela, les taxis collectifs fonctionnaient sans un cadre formel légal. Les taxis collectifs et les taxis compteurs s'entremêlaient avec concurrence et sans prescription réelle comme l'expliquent les propos suivants d'un ancien chauffeur.

«On se débrouillait partout, puisque woro-woro, ce sont les camions débrouillards et on ne payait pas cher pour l'assurance. Il y a les gens qui ne peuvent pas prendre papier d'assurance73 de compteur. Le compteur, son assurance c'est cher. Il n'y avait pas de couleur fixe. C'est la mairie qui a détaché les taxis sans quoi on partait partout. Il y avait des taxis compteurs, mais ce n'était pas beaucoup. Tout le monde était ménagé. Taxi compteur, voiture personnelle, on roulait partout. En ce temps, il n'y avait pas de mairie ici, on partait prendre les papiers à Adjamé74. C'est Doukouré même qui a gâté les choses, parce que c'est lui qui a dit que chacun doit partir dans sa commune.» (B.J, ancien chauffeur 02.03.2009)

72 Logiquement, les taxis collectifs de Yopougon et d'Abobo n'assuraient pas un service de transport clandestin, puisqu'avant 1980, Abidjan formait une seule commune et ces deux quartiers n'en faisaient pas partie.

.

73 Mon interlocutoire a situé le prix de l'assurance du woro-woro à 18000 FCFA et l'assurance du compteur à 40 000 FCFA.

74 Avant 1980, il n'y avait qu'une seule mairie pour la ville d'Abidjan (mairie centrale). À côté de cette mairie centrale, il y avait deux délégations. La délégation d'Adjamé dont dépendant Yopougon et la délégation de Treichville.

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D'après la réglementation mise en place, les taxis communaux doivent effectuer des courses ne dépassant pas le périmètre communal. Les taxis collectifs participent désormais à la mobilité communale en répondant ainsi à la demande de transport dans des secteurs mal desservis par les autres moyens de déplacement. Théoriquement, l'exploitation d'un taxi communal nécessite au préalable l'obtention d'une autorisation de transport public de voyageurs comme l'indique l'encadré suivant.

Conditions d'entrée dans la profession et l'activité en 1980

Pour être autorisé à exploiter un taxi-ville communément appelés taxis collectifs ou woro-woro, le futur opérateur doit être muni d'une autorisation de transport public de voyageurs à laquelle il doit joindre les pièces suivantes:

- Un extrait de casier judiciaire datant de moins de trois mois

- Un extrait de registre de commerce délivré par le ministère de la justice

- Un certificat de résidence

- Une photocopie du certificat de visite technique du véhicule datant de moins de trois mois.

Source: (Aka 1988)

Toutefois, alors que les gbaka sont encore confinés dans le suburbain, les woro-woro sont sortis des périmètres communaux. Les difficultés de la SOTRA à remplir sa part de contrat expliquent la résurgence des gbaka et des woro-woro. Ceux-ci, tolérés au départ, profitent des tiraillements nés de la décentralisation et de la libéralisation des transports pour connaître une nouvelle émergence.

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1.3 Décentralisation, libéralisation: apparition
de tutelles plurielles des woro-woro

En Côte d'Ivoire, la décentralisation est un processus ancien auquel les changements politiques ont donné des objectifs différents selon les époques. Pour rappeler l'expérience ancienne d'exercice local du pouvoir durant la période coloniale, on fait en général référence aux trois communes de plein exercice d'Abidjan, de Bouaké et de Grand -Bassam qui ont été instituées par la loi du 18 novembre 1955. Le processus se poursuivra, mais très timidement après l'indépendance en raison du contexte du parti unique et du besoin de contrôle politique des populations (Akindès 2007). La décentralisation est liée à cette époque à des objectifs de contrôle étatique:

«les réformes avaient pour but, non de faire participer mais de serrer le maillage administratif sur la société pour accroître l'efficacité de la politique de développement dont l'extension du domaine étatique était l'élément moteur» (Diouf 1992).

Le but était donc associé à ce moment à l'édification d'un État fort. Mais les années 1980 voient au contraire la mise en place des politiques d'ajustement structurel et le début du désengagement de l'État. La décentralisation devient donc un moyen de «gérer la pénurie» (Blundo 1998). Dans le même moment, l'essor de la coopération décentralisée et du développement «participatif» donne aux communes un rôle de premier plan dans la gestion des ressources locales. Au niveau de la théorie économique:

«la justification de la décentralisation renvoie presque exclusivement à la fonction allocative des gouvernements, les actions macroéconomiques et redistributives relevant du pouvoir central» (Piveteau 2004).

Les collectivités décentralisées devraient donc remplir essentiellement cette fonction économique d'allocation, de façon à ajuster l'offre de biens publics aux contextes locaux. La dernière phase de la décentralisation amorcée entre 2000 et

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2005 s'est traduite par la création de districts (le district d'Abidjan et le district de Yamoussoukro) avec transfert et répartition de compétences de l'Etat aux collectivités territoriales. Dans le secteur des transports collectifs d'Abidjan, la décentralisation a abouti à la libéralisation du secteur des transports. En particulier avec le Programme d'Ajustement Structurel du Secteur des Transports (CI-PAST) de 1995, une nouvelle arène s'ouverte entre l'Etat, la ville d'Abidjan et les mairies de la ville. Ainsi, au noyau restreint d'acteurs historiques de transport constitués de la ville d'Abidjan et du Ministère des transports, se sont adjoint d'autres catégories d'acteurs (mairies, associations coopératives de transporteurs, ONG, etc.). Le tout créant selon (Mintzberg 1990), un champ de forces évolutives autour des transports alternatifs qui peut comprendre les propriétaires, les syndicats et les autres associations d'employés, les usagers et tous les types de décideurs publics. Que ce soit sous une forme gouvernementale ou de groupes particuliers, ces forces forment des groupes d'intérêts parfois aussi convergents que contradictoires. La lecture qui est faite de ces transports dépend alors des ententes et des intérêts que chaque acteur ou groupe d'acteurs entendent tirés de ces transports. Trois grands types d'entités se trouvent alors représentées dans le jeu d'acteurs des woro-woro: les entrepreneurs privés, les collectivités locales et l'Etat. Ces acteurs constituent ainsi la structure du contexte d'action à partir de laquelle se détermine la structuration des woro-woro.

1.3.1 Les groupes d'acteurs privés (syndicats)

Identifiés comme des acteurs marginaux par le passé, les groupes d'acteurs privés du transport connus sous le nom générique de syndicat ont aujourd'hui une position dominante dans l'activité. Acteurs clés dans l'organisation des woro-

woro, on peut les considérer selon (Alberti 2001) comme les parties prenantes internes. Ce sont eux, qui sont impliqués dans la gestion et le fonctionnement quotidien du réseau des transports. Leur rôle est important et ne cesse d'évoluer dans la structuration de l'espace transport. Ces figures de l'informel du transport correspondent à une « masse marginale » (Lautier 2004). Par leur prégnance dans

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l'espace et par la vitalité des réseaux économiques qu'ils contribuent à tisser, ils tendent à structurer ou à orienter nombre de projets définis par les pouvoirs publics en vue de contrôler le secteur des transports. Ils favorisent aussi l'installation d'activités connexes tels que la restauration, la réparation mécanique, le «petit commerce». Les différents rôles répertoriés dans le secteur des woro-woro se ramènent à des attributions précises qu'exécutent ces groupes d'acteurs très structurés comme l'indique le schéma suivant.

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Schéma 1: Mode de fonctionnement des groupes d'acteurs privés

Chef de gare

Chef de ligne

Chargeur

Chauffeur

Il rend compte au Chef de gare Il organise en interne le fonctionnement du réseau et la rotation des véhicules

Le chauffeur paye le de droit ligne, attend son tour pour charger son véhicule. Il hèle parfois lui-même les clients

Le chargeur enregistre les numéros de passage de chaque véhicule, il veille au paiement du droit de ligne. Il perçoit la taxe du chargement et aide les passagers à embarquer Il a contact direct avec le chauffeur

Source: nos entretiens

Si la plupart des gares routières restent encore gérées par les collectivités locales ou l'Etat par un système de prélèvement de taxes encore non officiel, ce sont ces groupes d'acteurs autoproclamés qui sont les véritables maîtres de ces lieux de transport. Dans ces lieux, ils ont des rôles très étendus. Selon les contextes, ils peuvent être:

? Des informateurs

Dans les lieux de transport, les syndicats informent et orientent les usagers. Leur rôle est d'autant plus apprécié que la société abidjanaise compte un nombre

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important d'analphabètes et de nouveaux arrivants. Certains passagers ont donc besoin qu'on leur indique l'emplacement des véhicules. Dans certains cas, à cause du manque de place de stationnement, les véhicules sont garés à des endroits assez éloignés du point d'embarquement, les syndicats (chargeurs) sont alors chargés d'y amener les usagers.

? Des médiateurs professionnels

Principaux gestionnaires des gares routières, ils assurent la sécurité de l'activité en mettant des check-points dans les emprises indiquées des gares ou arrêts en collaboration ou avec l'appui de la police et des collectivités locales. Ils sont de plus en plus les interfaces et les démarcheurs attitrés entre les professionnels (chauffeurs, propriétaires) et les autorités administratives ou policières. Par le biais de cette médiation, ils tissent des rapports particuliers avec ces dernières et territorialisent ainsi un espace dans lequel les réseaux sont très prégnants (Steck 2006-2007). De plus en plus, ils font partie des commissions de transport qui se sont érigées et sont consultés par les autorités avant toute décision sur le transport collectif dans les localités où ils exercent.

? Des acteurs économiques

Les syndicats sont aujourd'hui de véritables acteurs économiques. Parmi eux, nombreux sont ceux qui ont acheté des véhicules de transport et se livrent au transport en employant leurs propres membres ou des tierces personnes. Cela montre qu'ils ne se limitent plus aux activités qui leur sont dévolues traditionnellement. Tout en exerçant leur métier traditionnel, ils sont devenus des propriétaires de véhicules, ce qui leur confère un double statut. Dans le cadre de l'occupation de la rue par ces activités de transport où l'appropriation est rarement temporaire, il convient de citer les collectivités locales comme des principaux acteurs qui interviennent sur ce marché foncier.

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1.3.2 La place des collectivités locales

Les collectivités locales concourent avec l'Etat au développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et scientifique des populations. Et, ce conformément à la loi n° 80-1180 du 17 octobre 1980 relative à l'organisation municipale modifiée et complétée par la loi n° 85-578 du 29 juillet 1985. En matière de transport, et particulièrement dans le PUT, elles construisent, entretiennent, réhabilitent et aménagent les infrastructures routières en harmonie avec le plan de transport du PUT élaboré par le Ministère des Transports.

? La Ville d'Abidjan

Au niveau de l'agglomération abidjanaise, un organisme supra-municipal, appelé la «ville d'Abidjan» fut créé par la loi de 1978, pour coordonner le développement et fournir certains services d'intérêt régional à la population. Elle changera de statut pour devenir le «district d'Abidjan» dirigé par un gouverneur, sous la législation (loi n°2001-478 du 09 août 2001). La particularité du district d'Abidjan est de disposer d'une autorité municipale supérieure. Le district d'Abidjan a pour responsabilité la gestion de «l'intérêt urbain» et les dix communes plus les communes de Dabou, Bingerville, Anyama, Jacqueville, Grand-Bassam et de Songon. La loi n°80-1180 du 1er octobre 1980, relative à l'organisation municipale, modifiée par la loi n° 85-578 du 29 juillet 1985, modifiée par la loi n°95-608 du 03 août 1995, déterminant le régime particulier des villes stipule que:

«la délivrance des autorisations, l'approbation des tarifs, la perception des redevances relatives à l'exploitation des transports publics ne dépassant pas les limites de la ville et des autorisations de stationnement sur la voie publique urbaine»

Depuis, le district intervient dans l'autorisation des gbaka et des taxis compteurs. Mais pour contrôler l'activité des woro-woro intercommunaux exceptionnellement autorisées anciennement dans le périmètre Koumassi-Marcory

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et Koumassi-Port-Bouët, le district s'appuie toujours sur l'arrêté municipal de 197775 en vigueur malgré l'extension de la ville.

? La mairie

Sous le prétexte de l'insatisfaction des besoins de transport de leurs administrés, les mairies de la ville d'Abidjan dont celle de Yopougon se sont invitées dans la gestion des transports, domaine de compétence du district. Mais les lois modificatives de la décentralisation légalisent cette intrusion en les adjoignant officiellement de délivrer des autorisations de transport aux véhicules (taxis collectifs) exerçant à l'intérieur des périmètres communaux. Soutenues implicitement par l'Etat obnubilé par la mobilisation de l'épargne nationale, les mairies d'Abidjan opéraient librement, jusqu'à la création de l'AGETU en 2000.

1.3.3 De la création de l'AGETU, structure paraétatique

Devant les difficultés de coordination de l'action publique pour appliquer une politique cohérente de transport urbain, plusieurs villes ont été dotées d'une autorité organisatrice chargée de l'organisation et parfois de la gestion du secteur. Ces instances sont encore très récentes et se heurtent à plusieurs types de difficultés, dont la répartition de pouvoir de décision entre ces structures nouvellement créés et les collectivités. Réclamées par les bailleurs de fonds dont la Banque mondiale, les nouvelles autorités de transport posent problèmes à certaines structures locales qui intervenaient déjà dans le même secteur. Parmi ces autorités qui ont été crées, on peut citer: CETUD (Conseil Exécutif des Transports Urbains de Dakar) (1997), LAMATA (Lagos Metropolitan Area Transport Authority) (2002); à Durban TA Transport Authority(2003) et l'AGETU: L'Agence des Transports Urbains joue le rôle d'autorité organisatrice et de régulation des transports urbains. Elle a été créée par ordonnance n° 2000-67 du 09 février 2000. Son décret d'application n° 2000-99 du 23 février 2000 sous la forme d'une société d'Etat est régi par la loi n° 97-519 du 04 septembre 1997. Son

75 La SOTRA, parallèlement à une stratégie de diversification de son offre en direction des marchés urbains (taxis-bagages), obtient, des responsables de la ville d'Abidjan, la promulgation, le 02 mai 1977, d'un arrêté interdisant la partie la plus urbanisée de la ville aux gbaka et woro-woro. Actuellement, c'est cet arrêté que brandit le district d'Abidjan pour prélever des taxes de transport aux woro-woro.

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territoire de compétence (Ville d'Abidjan, Dabou, Bingerville, Anyama, Jacqueville, Grand-Bassam et Songon). Les principales missions de l'AGETU sont: La définition des réseaux des services de transports urbains, leurs modalités techniques d'exploitation ainsi que l'élaboration des titres de transports urbains; la délivrance des autorisations relatives aux services de transport urbain de voyageurs et la tenue du registre des transporteurs agrées (inscriptions, modification, radiation); la coordination du stationnement et de la circulation; l'élaboration des critères d'accès à la profession de transporteurs publics de personnes; la mise en place et la gestion d'un suivi statistique sur les transports urbains, etc. Pour le Programme d'Ajustement et d'Investissement du Secteur des Transports en Côte d'Ivoire (CI-PAST), la tendance qui a été prise en compte est celle enclenchée par les processus de décentralisation, qui a récemment accordé des compétences étendues, jusqu'ici réservées aux services déconcentrés de l'État, aux collectivités territoriales et aux opérateurs privés à l'AGETU.

Chapitre 2

Concurrence entre responsabilités et émergence
des spécialités des woro-woro

Les lois de décentralisation, mises en place dès le début des années 1980, en Côte d'Ivoire, dans un contexte de crise économique, ont modifié les arbitrages entre les acteurs des secteurs public et privé impliqués dans la gestion de services des transports urbains. La pluralité d'acteurs qui intervient dans le contrôle des taxis collectifs (woro-woro), pose évidemment la question de leur définition en tant que service public. En effet, dans le contrôle des activités des woro-woro, il y a d'abord, les autorités municipales, le district d'Abidjan et les représentants de l'Etat (AGETU) qui se réclament à juste titre de la loi. Puisque la gestion des

163

activités de la rue dont le woro-woro relève a priori du domaine public, même si dans la pratique ces acteurs institutionnels sont condamnés dans la plupart des cas à jouer les seconds rôles. Alors que leur pouvoir devrait être total en matière de contrôle des taxis collectifs, ils sont souvent mis dans des situations de fait accompli. N'intervenant finalement que secondairement sur un marché de transport où ils semblent de plus en plus mis en difficulté. À ceux là, s'ajoutent dans quelques cas les jeunes des villages rattrapés par l'urbanisation76 qui brouillent encore un peu plus ce champ d'intérêts déjà complexe. Il y a enfin (quoique la liste ne soit pas exhaustive) les syndicats de transporteurs. Ces derniers méritent une attention toute particulière, car leur intérêt pour les transports alternatifs est révélateur des liens multiples qui associent ces acteurs aux «officiels» des transports.

2.1. Les woro-woro, un transport émergeant à problèmes?

La question du contrôle des woro-woro est essentielle, car selon (Tellier 2005), ces taxis participent à un équilibre conciliant l'intérêt des collectivités territoriales (fiscalité), les rentes des propriétaires et locataires d'agréments, les emplois et les revenus des chauffeurs et un service de transport socialement utile au grand public. Ainsi, ce n'est pas l'utilité publique de cette offre de transport en tant que telle qui est remise en cause. Mais ce qui pose problème, c'est la démultiplication des pôles de décision aux intérêts parfois identiques et contradictoires et qui entretiennent des relations très fluctuantes et s'investissent différemment en fonction de leurs propres impératifs stratégiques autour de ces transports (Chabault 2011). La restitution du sens d'une telle observation en lien avec la décentralisation se heurte aux justifications nécessairement contradictoires qu'en donnent les acteurs. À la pluralité des objectifs qu'elle peut servir, correspond la complexité du dispositif d'encadrement accentuée par la multitude de textes qui

76 Les lignes créées en direction des villages sont contrôlées par les jeunes de village supervisés par la chefferie sous la supervision des syndicats et de la mairie. Cette situation est vécue particulièrement sur les liaisons en direction des villages de Béago et de Niangon Lokoi.

164

l'organisent. En l'espace de quelques décennies, pas moins de trois lois de natures diverses viennent d'être adoptées en vue de renforcer l'encadrement des transports alternatifs. La loi de 1980 portant statut de la ville d'Abidjan, qui précise les attributions du maire pour la délivrance des autorisations, l'approbation des tarifs, la perception des redevances relatives à l'exploitation des transports publics dans la ville. La loi 95-6609 du 3 août 1995, élargissant les compétences des communes en matière de police routière. Le décret n° 2000-99 du 23 février 2000 créant une agence des transports publics. Dans ce cadre, les débats sur la responsabilité en matière de contrôle des transports collectifs peuvent servir de révélateur des enjeux de pouvoir, des conceptions qui s'affrontent. Bien qu'elles n'en soient pas l'axe majeur, les oppositions entre district et mairie concernant les taxis collectifs révèlent les enjeux des différents groupes d'acteurs qui se sont constitués autour des woro-woro et dont les actions contribuent à l'émergence de ces transports.

2.1.1. La Ville d'Abidjan et la mairie: deux perceptions différentes des woro-woro

Comme nous venons de le rappeler, les transports alternatifs représentent une part importante de l'offre de la ville d'Abidjan et peuvent s'analyser aussi comme des instruments stratégiques de la politique urbaine. Cependant, leur développement s'est intensifié à partir des années 1990 lorsque les anciennes structures d'encadrement ont été concurrencées par d'autres groupes d'acteurs issus des nouvelles réformes de décentralisation et de libéralisation. Commencée en 1993 avec la mairie de Cocody qui s'autorise la délivrance des cartes de stationnement, la pratique de reconnaissance des taxis collectifs par les mairies comme transport urbain est remise en cause par la ville d'Abidjan. Ce constat apparaît clairement dans l'extrait des propos suivants d'un responsable du service assainissement voirie publique du district d'Abidjan:

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«Il est hors de question de laisser le désordre s'installer partout. Vous savez, l'interdiction de laisser les woro-woro circuler partout répond à un souci majeur. Au niveau du district, nous avons une mission claire. Nous avons obligation à préserver une meilleure image de la ville d'Abidjan, la capitale économique. Rien que pour cela, les premières autorités de la Côte d'Ivoire n'ont jamais souhaité que les woro-woro et les gbaka opèrent partout dans la ville d'Abidjan pour éviter les bouchons désagréables à la circulation et donner une mauvaise image aux investisseurs. [...] Malheureusement, nous ne sommes pas les seules autorités de la ville aujourd'hui.» T. C. service assainissement au district d'Abidjan (15-08-2012).

À cet argument technique utilisé par le district d'Abidjan pour justifier la suppression des woro-woro est opposée une réponse d'ordre social par les mairies. Dans un contexte de décentralisation et de compétition urbaine, il semble difficile de réussir un tel changement d'orientation, qui ferait changer l'attitude des mairies. Dans les propos suivants, l'un des responsables du service transport de la mairie de Yopougon semble donner une réplique à l'action du district relative à l'interdiction des woro-woro. Car pour lui, ce compte ce sont avant tout, la rentabilité financière et l'utilité publique de ces transports.

«Notre souhait, ce n'est pas que les woro-woro intercommunaux soient supprimés, parce qu'ils paient des tickets de stationnement à la mairie. On pouvait les immatriculer comme les taxis bleus là. Quelque chose qui donne de l'argent vous voulez qu'on la supprime? Les woro-woro vont d'une commune à une autre et aide beaucoup les gens. Vous-même, voyez comment les gens souffrent pour aller au travail. Ça veut dire que si on continue à jouer les durs, les gens vont toujours s'arranger à aller au travail en woro-woro. À notre avis le gouvernement tout comme le district doivent comprendre [...] Nous sommes allé plusieurs fois à des réunions au Plateau, le district nous a dit qu'ils sont entrain d'étudier comment on peut trouver une solution ensemble pour immatriculer les woro-woro.» (M. T. 21-01- 2009)

Cela fait aujourd'hui presque 30 ans que l'interdiction des woro-woro est régulièrement rappelée, sans effets durables. La répression policière initiée par la ville d'Abidjan leur est opposée sans succès alors qu'au niveau communal une entente se crée autour d'un statut provisoire des woro-woro. Ainsi, une tension apparaît à propos des taxis collectifs. D'un côté la ville d'Abidjan, avec comme

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image défendue, le prestige paysager, l'expression visible d'une politique urbaine associant les référents de la modernité.

«La rue conçue a priori comme espace de circulation fluide aux trottoirs débarrassés de toute activité pouvant renvoyer à « un paysage de la pauvreté» (Lambony 1994).

De l'autre, les mairies plus soucieuses des impératifs sociaux qu'impose une population nombreuse en voie de paupérisation, sont toujours soucieuses de leurs

missions communautaires (Couret 1997; Steck 2006-2007).

2.1.2 Conflits entre la mairie et l'AGETU

Les rapports conflictuels entre les mairies d'Abidjan et l'AGETU à propos du contrôle des taxis collectifs ne sont pas nouveaux. Ils commencent en 2005, lorsque l'AGETU créée par décret en 2000 décide de prendre les devants de la gestion du transport (taxes et redevances provenant de la délivrance et du contrôle des titres, agréments et autorisations) et la subvention publique de l'Etat conformément à ses prérogatives. Une polémique naît entre les collectivités et cette agence au sujet du niveau de la répartition de ce budget. Alors que les collectivités l'estiment à 1,5 milliards FCFA, l'AGETU le chiffre à 706 millions de FCFA soit 3% du budget77 de la ville d'Abidjan. Un tel écart conduit cette structure à s'estimer légitimement victime d'une lecture politique dans l'affaire «les redevances: les communes, délestées d'une importante source de devises78». Les appréhensions des maires ne sont pas aisées à réduire dans la mesure où,

«...le transfert des ressources au profit de l'AGETU entraînerait un manque à gagner important: 160 000 francs CFA par an par taxi compteur pour la ville d'Abidjan, 40000 francs par an par taxi communal pour les communes d'Abidjan» (Zoro 2002).

77 In Fraternité-Matin n°12176 du dimanche 11 et du samedi 12 juin 2005

78 Rapport de présentation du projet de decreet portant transfert et répartition de compétences aux collectivités territoriales en matière de transport.

167

Ainsi, d'une année à l'autre, l'indépendance de l'AGETU semble loin d'être acquise. En dénonçant la réduction de l'allocation financière de l'agence, un de ses responsables tire la sonnette d'alarme:

«...il ne s'agit pas de créer des structures qui fonctionnent sur papier, encore faut-il leur donner les moyens financiers nécessaires à la bonne conduite des missions qui leur sont assignées [...] Il y a un désordre quand on regarde la physionomie de l'ensemble de la voirie d'Abidjan. Les raisons de ce désordre se situent à plusieurs niveaux de responsabilités. C'est surtout un désordre qui provient de l'organisation institutionnelle et du manque d'organisation. Les autorisations, ce qu'on appelle le droit d'exercer sur le terrain, se géraient à divers endroits [...] Quand déjà avec un seul secteur, il y a plusieurs intervenants, cela devient complexe. Car, il n'y a pas de coordination à l'entrée du marché. C'est le premier niveau de problème. Il sera réglé avec l'avènement de l'AGETU qui compte en son sein toutes les compétences. L'AGETU a une vision cohérente du secteur, contrairement à plusieurs administrations qui le géraient par le passé». M. A, responsable chargé des ressources humaines à l'AGETU (03-02-2009).

Ce dépit qui illustre des chevauchements dans l'exécution des compétences, prend actuellement une autre forme. Dans la continuité de la bataille des prérogatives, L'AGETU semble décider à rendre la régie annoncée inopérante, surtout qu'elle affirme que son système ne s'accommode pas des lourdeurs d'une régie79. Quant aux collectivités, elles s'accrochent à leurs prérogatives et ressources et n'acceptent pas qu'une structure transversale organise les transports dans l'ensemble de l'agglomération abidjanaise. Pour résoudre ce conflit et renforcer l'autorité de l'AGETU, le recours à la loi est adopté. L'annexe fiscale de la loi de finance 2004 stipule qu'il

«est institué auprès de l'Agence de Transports urbains (AGETU), une taxe d'inscription et une redevance d'autorisation annuelle lors de la délivrance et du contrôle des titres de transport urbain [...] Dans le ressort territorial de l'AGETU, les redevances d'autorisation se substituent à la taxe sur les taxis et à la taxe sur l'exploitation d'embarcations prélevées par les communes, ainsi qu'à la taxe sur les taxis interurbains, intercommunaux ou ceux dotés d'un compteur prélevées par le district d'Abidjan80».

79 Zoro, Directeur Général de l'AGETU, in Fraternité-Matin n°12176 des dimanche 11 et samedi 12 juin 2005, p.3

80 In Fraternité-Matin n°12176 des dimanche 11 et samedi 12 juin 2005

81 Idem

82 Idem

168

Une clé de répartition des redevances est même arrêtée. Elle donne 40% aux collectivités territoriales et 60% à l'AGETU. Mais cette répartition suscite la colère des collectivités locales. Celles-ci s'appuient sur des dispositions légales et engagent une bataille juridique essayant en vain de se ménager les transporteurs par la promesse d'une exemption de visite technique. Estimant que la précédente répartition ne prend pas suffisamment en compte les contraintes budgétaires des communes et du district d'Abidjan81, l'annexe fiscale de la loi des finances 2005 contrarie ce dénouement. Celle-ci inverse la clé de répartition des redevances transport. Elle attend reverser 60% des redevances aux collectivités territoriales et 40% à l'AGETU en adjoignant à l'agence une régie pour la gestion des redevances d'autorisation de transport. Ce renversement de situation qui confine désormais l'AGETU dans le rôle de guichet d'enregistrement la rend tributaire des politiques de transport des communes dont le souhait est de reprendre la gestion complète des redevances82.

2.1.3 Des contradictions mises à profit par les entrepreneurs

privés?

Hirschman et Perroux qui sont deux figures emblématiques de l'économie du développement privilégiant tous les deux, le rôle des acteurs dans le processus de développement en zigzag et donc une absence de déterminisme (Hugon 2003). Ils ne dissocient pas éthique et économie. Ils conçoivent le développement comme un processus de déséquilibres, de cheminements par essais/erreurs et de processus cumulatifs. Aussi, considèrent-ils que le développement est moins un problème d'allocation des ressources que de mobilisation des énergies et des capacités créatives. Pour ces auteurs, les déterminants structurels apparaissent secondaires face aux rôles des acteurs, aux structurations sociales anomiques, aux dérives par rapport à des normes (désordre) ou aux incertitudes. En revenant sur les logiques des entrepreneurs syndicaux qui visent de plus en plus à se substituer aux autorités institutionnelles dans l'organisation des woro-woro, on se rend compte que leurs

169

stratégies visent à réaliser des objectifs explicites et construits (Muller 1998). L'analyse des différentes formes d'organisation des entrepreneurs syndicaux, qui constitue un système de relation informel, est ainsi l'occasion de réfléchir sur leurs articulations avec les pouvoirs institués dans la satisfaction des besoins de déplacement des populations.

En effet, le processus de décentralisation en consacrant l'irruption de la société civile sur la scène publique, contribue à accréditer l'idée que la gestion des problèmes d'intérêt général peut passer aussi par des canaux autres que les institutions établies (Désert 2006 ). Poussés par un bon nombre de personnes sans qualification professionnelle ou formation particulière, les syndicats des transporteurs profitent des empiètements de prérogatives entre les structures officielles en charge de la gestion des transports pour accroître leurs zones de compétence. Très solidaires, ils détiennent des pouvoirs de décision dans ces espaces territorialisés et donnent des ordres à une autre catégorie d'individus qui exécute les tâches dans les gares routières. Ils jouent un rôle important dans la structuration de l'espace transport. Dans une logique d'appropriation du système de transport, les syndicats ont développé des stratégies spatiales qui s'appuient sur le contrôle, l'extension, la création et la démultiplication des gares et des lignes de desserte. Dans ces lieux, la perte de centralité de l'État a ouvert des espaces d'expression supplémentaires à ces protestataires et multiplié les voies d'accès aux canaux décisionnels (Dupuy, Halpern et al. 2009). En Côte d'Ivoire, l'ouverture du pays au pluralisme politique s'est accompagnée dans le milieu des transports par l'éclatement des revendications syndicales. L'enjeu qui les détermine est de s'ériger en maîtres du jeu. Ce qui signifie une présence effective dans toutes les gares routières d'Abidjan. À ce propos, un responsable syndical avance ceci:

«Sur chaque gare, sur chaque ligne, on a des gars. C'est pour mettre de l'ordre quoi» (Y.07 02 2013)

L'analyse des enjeux dans la dynamique de structuration des woro-woro, montre l'existence d'un lien entre le développement de cette offre de transport et les difficultés dans l'application des lois sur la décentralisation des compétences dans

170

l'organisation de ces transports. Le transfert d'un certain nombre de compétences au près des municipalités ou des structures sous tutelle de l'Etat révèle d'ailleurs ce souci. Plus particulièrement, les municipalités subsahariennes récemment concernées par la règlementation des transports urbains ont peu d'emprise sur son organisation. Selon (Sahabana 2006) aucune municipalité ne semble avoir les capacités financières. Il est alors aisé de comprendre que ces structures décentralisées cherchent à augmenter leurs ressources au détriment de l'efficacité des transports urbains. En se substituant aux Etats dans la gestion et le contrôle des transports alternatifs, en accord ou non avec les responsables de ces Etats83, les entrepreneurs privés contribuent à rendre certains territoires urbains ingouvernables. Pour de nombreux observateurs de la scène urbaine abidjanaise, c'est la très grande liberté accordée aux entrepreneurs privés qui serait à la base de l'expansion continue des woro-woro sur tout l'espace urbain d'Abidjan. Le développement de l'offre des woro-woro conduit à un découpage de l'espace urbain en de nombreuses spécialités.

2.2 Emergence de spécialités des woro-woro

L'offre alternative de transport à Yopougon, profite de l'incompréhension des autorités officielles en charge du transport et des difficultés de l'offre publique pour étendre ses services. Il en est ainsi du secteur des woro-woro face à des besoins de mobilité géographiques de plus en plus grands. En moins de trois décennies, ce mode de transport est parvenu à constituer une part de l'offre de transport urbain en assurant quelque (33 %) des déplacements collectifs d'Abidjan (AGETU 2007). En effet, la réglementation des taxis est contournée par l'exploitation clandestine de véhicules particuliers privés comme moyens de transport collectif. Tout en profitant de l'extension de l'habitat vers les périphéries urbaines, des têtes de lignes de woro-woro sont alors aménagées à proximité des gares et points de rupture de charge pour capter les laissés-pour-compte de la desserte régulière de service public.

83 Nous avons décrit dans les paragraphes précédents la présence des syndicats dans le transport comme un fait voulu et entretenu par les mairies et le district pour écarter l'AGETU de la gestion des ressources générées par le transport.

171

Actuellement, toutes les gares du secteur public des transports et les pôles de convergence d'usagers (marchés, structures sanitaires et services administratifs) sont doublés d'une tête de ligne de transport collectif. Les usagers sont attirés grâce à un système de desserte plus rapide, permettant des gains de temps substantiels ou moins onéreux. Ces taxis collectifs se subdivisent en deux catégories: les woro-woro intercommunaux, sans couleur précise et les woro-woro communaux avec une couleur précise selon la commune. Les Abidjanais savent par exemple que les woro-woro jaunes sont ceux de Cocody le quartier présidentiel, les bleus sont ceux de Yopougon la plus grande commune de Côte d'Ivoire. Toutefois, si au niveau de ces deux types de taxis, les taxis communaux demeurent depuis quelques années sous la tutelle de la mairie (taxe de stationnement exclusivement payable à la mairie), les taxis intercommunaux quant à eux, profitent toujours de l'opacité des responsabilités qui tendent de le contrôler.

2.2.1 Le woro-woro communal pour les courtes distances

L'avenir des taxis communaux ou woro-woro communaux est un bon révélateur des problèmes de Yopougon en matière de transport en commun. Le woro-woro communal a opéré une véritable révolution dans les transports de proximité, en transformant de fond en comble les horizons du quotidien. Un déplacement en ville ou de la ville vers la périphérie et vice-versa cesse d'être une corvée ou un parcours du combattant. La diffusion du woro-woro à travers l'espace abidjanais en général, et celui de la commune de Yopougon en particulier, donne aux habitants la possibilité d'une mobilité jamais connue par le passé. Le woro-woro a popularisé le transport sur courtes distances. Jusque dans les années 1970, la société abidjanaise paraissait peu mobile dans son écrasante majorité (Diahou 1981; Bonnassieux 1987; Steck 2008).

Dans une commune comme Yopougon, en l'absence de taxis intra muros, les déplacements étaient extrêmement limités. Dans les quartiers, les lignes des woro-woro communaux constituent des réseaux de rabattement et assurent une desserte plus fine de l'espace. Ces réseaux sont les plus flexibles au niveau des dessertes. Les dessertes se font en général à partir des gares relais ou des espaces centraux

172

desquels divergent les lignes vers les quartiers. La configuration de ces réseaux épouse dans les détails celle de la voirie communale. Or, le réseau des lignes d'autobus est tributaire de la voirie revêtue qui est insuffisante. De nombreuses voies de circulation étroites à l'intérieur des quartiers ne permettent pas aux bus de sortir de la voirie aménagée. Toutefois, ces blocages infrastructurels ne sont en rien une entrave au développement des taxis collectifs, capables d'atteindre les secteurs les plus reculés. Cette organisation spatiale des taxis communaux reflète l'image d'un système en phase avec son cadre d'évolution. Les réseaux et les noeuds de ces transports calquent ceux de la commune pour assurer une bonne complémentarité entre les différentes composantes de l'espace (Aloko 2001) comme le montre le tableau suivant.

173

Tableau 10 : Tableau du réseau de lignes des woro-woro communaux

Origine

Destination

Siporex

Ananeraie-Maroc

Siporex

Toit Rouge

Siporex

Camp Militaire

Siporex

Kouté

Siporex

Km 17

Carrefour Zone industrielle

Micao

Carrefour zone industrielle

Zone industrielle

Carrefour zone industrielle

Prison civile

Gabrielle gare

Prison civile

Gabrielle gare

Zone industrielle

Gabrielle gare

Andokoi

Gabrielle gare

Zone industrielle-Micao

Gabrielle gare

Nouveau cartier

Station total (Kenya)

Ananeraie-Maroc

La poste

Nouveau quartier

La poste

Toit rouge

La poste

Kouté

La poste

Niangon

SICOGI -marché

Niangon

SICOGI- marché

Camp militaire

SICOGI-marché

Ananeraie

SICOGI-marché

Banco II- Port-Bouët II

SIDECI(Palais)

Béago

SIDCI palais

Niangon

Niangon sud (à gauche)

Azito

Niangon sud (à droite)

Lokoi

Source: nos entretiens

2.2.2 Les woro-woro intercommunaux, maitres des liaisons domicile-travail

En matière d'enchaînement d'activités, les différents moyens de transport proposent des accessibilités spatio-temporelles à la fois spécifiques et d'une étendue différenciée. Dans ce domaine, le woro-woro intercommunal offre des avantages considérables en termes de souplesse et d'efficacité, si bien que c'est bien souvent sur ce mode de transport que repose l'essentiel des déplacements domicile-travail comme le mentionne cet extrait d'un quotidien de la place

«Après la mesure d'interdiction des woro-woro, le calvaire des abidjanais. Des passagers attendent vainement des taxis compteurs.

174

L'on a constaté une sorte de paralysie dans le secteur du transport intercommunal. Les taxis compteurs n'arrivent pas à assurer le service face au flux des passagers à transporter. Certains ont confié être arrivés en retard à leurs différents lieux de service, après avoir passé au moins deux heures d'attente avant d'espérer avoir un véhicule».

L'Inter, no 4272 du mardi 28 août 2012. P 11

Le mouvement de popularisation des woro-woro s'incarne particulièrement dans l'offre intercommunale censée correspondre au double dynamisme démographique et spatiale de la commune de Yopougon et de la ville d'Abidjan. Les woro-woro effectuent du covoiturage à but lucratif, répondent aux besoins des habitants et pallient l'insuffisance des transports publics, individuels et collectifs. Ils s'adaptent à la demande et satisfont les besoins d'usagers qui se déplacent collectivement. Ils offrent une pluralité de solutions adaptées aux besoins des usagers. L'existence des gbaka à côté de l'offre dite conventionnelle (bus et taxis compteurs) ne constituait qu'un pis-aller mal commode, peu apprécié et la situation était à peine meilleure à Yopougon (Diahou 1981; Bonnassieux 1987). C'est cette situation de quasi-monopole inefficace qu'est venu briser le woro-woro intercommunal. La possibilité pour chaque usager de multiplier les déplacements au moment opportun et de les adapter aux circonstances est illimitée. C'est en cela que réside un des éléments révolutionnaires du woro-woro intercommunal pour la grande majorité des habitants de Yopougon singulièrement et de façon générale pour les populations abidjanaises. Le passage de la cité dortoir de Yopougon à la zone du sud (zone d'emploi) se généralise et s'accélère grâce au relais que constituent les woro-woro intercommunaux. Certes, le woro-woro intercommunal ne fonctionne pas comme le taxi compteur qui est autorisé à aller là où il veut, quand il veut. Puisque, le trajet du woro-woro intercommunal est unique en fonction de sa zone d'exploitation. Il part d'une commune à une autre sans jamais changer d'itinéraire sauf en cas d'embouteillage. Mais, avec l'intensification des problèmes de mobilité, ces derniers temps, le woro-woro a progressivement adapté son offre aux circonstances du moment pour couvrir toutes les zones de fortes demandes autrefois accessibles uniquement en taxi compteur. Cela a permis la constitution de deux catégories de woro-woro intercommunaux: la première catégorie de woro-woro que nous appelons woro-

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woro occasionnel est du covoiturage payant. Il regroupe uniquement les usagers allant dans la même direction que le propriétaire du véhicule (taxi). Quant à la deuxième catégorie de woro-woro, elle intervient de façon permanente, comme des professionnels et met en connexion les espaces structurants.

? Woro-woro occasionnels: ce sont des individus (hommes);

fonctionnaires, salariés ou demandeurs d'emploi) qui prennent au passage quelques clients à bord de leurs véhicules personnels. Ils peuvent aussi, occuper un après midi ou un week-end, pour ce type d'activité. Les sommes recueillies vont directement dans le porte-monnaie.

? Les woro-woro permanents: ils exercent leur activité comme de

véritables professionnels du transport urbain. Ils sont parfois propriétaires des véhicules. En revanche, ils travaillent souvent pour le compte d'un patron.

Le tableau suivant indique le réseau de ligne des woro-woro intercommunaux de la commune de Yopougon (lavage) en direction des zones d'emploi ou selon la demande mobilité des populations.

Tableau 11: Répartition des woro-woro intercommunaux selon les communes de desserte à partir de la gare «Lavage»

Lignes (gare lavage) destinations

Nombres de véhicules

 
 
 
 
 
 
 
 

Lavage -Plateau

Lavage-Cocody st-Jean

 
 

21

 
 
 
 
 
 

17

 

Lavage-Cocody II Plateau Lavage-Koumassi

 
 
 

19

 
 
 

24

Lavage-Treichville
Lavage-Port-Bouët

 
 

39

 
 
 

24

Lavage-Marcory Total

 
 

23

 
 
 
 
 

167*

 
 
 
 
 
 
 
 

Source: Nos entretiens

NB : 167*: Le total des effectifs ainsi que les effectifs des véhicules sur chaque ligne (lavage en direction des autres communes) sont fortement variables. En fonction des circonstances(contrôle de routine, ou embouteillage ou même une demande forte liée à une grève des gbaka, des bus ou des taxis compteurs, etc.), les différents chiffres indiqués peuvent soit connaître une augmentation ou une diminution.

176

2.2.3 Le woro-woro, un transport intégré dans le système de mobilité des populations?

On doit à l'économiste péruvien Hernando de Soto d'avoir souligné l'importance critique de l'intégration du secteur informel pour le développement économique et le progrès social dans les pays pauvres (De Soto 1994). En Côte d'Ivoire, quinze ans après l'annonce de la libéralisation du secteur des transports, aujourd'hui deux habitants de la ville d'Abidjan sur trois se déplacent en mode collectif assuré par le secteur dits informels (AGETU 2007). Les taxis collectifs assurent en effet les deux tiers des déplacements effectués en transport urbain à Abidjan. Ces taxis concurrencent avec succès les prestataires formels du service public (autobus de la SOTRA et les taxis compteurs) et ont même tendance à les marginaliser (SSATP 2001). Cette situation procède en Côte d'Ivoire de circonstances particulières. Jusqu'à la fin des années 80, le monopole du transport urbain était détenu à Abidjan par les taxis-compteurs et les autobus de la SOTRA. Mais, face à leur inefficacité à desservir certaines zones de résidence à fortes densités comme Yopougon, les woro-woro autrefois exclus des dessertes urbaines ont fait leur réapparition et ont été acceptés par la population. Les woro-woro se sont établis ensuite progressivement sur tout l'espace urbain abidjanais à travers des zones de dessertes qu'ils contrôlent. Que ce soit pour les dessertes internes aux communes ou soit pour les services de rabattement en direction des zones de fortes demandes d'emploi, on observe une émergence de spécialités de service du couple intermodal: woro-woro communal- woro intercommunal

2.3 Le woro-woro, une pratique de mobilité en
expansion

Dans ses travaux sur les organisations et les pratiques innovantes, N. Alter définit l'innovation comme le processus social qui amène une invention, c'est-à-dire un objet ou une pratique nouvelle à devenir la nouvelle norme d'usage (Alter 2000).

177

Ainsi, depuis sa réapparition dans les années 1990, le woro-woro a connu une expansion: augmentation des usagers et diversité des pratiques. Cette évolution est à rapporter aux transformations socioéconomiques mais aussi institutionnelles qui sont intervenues au cours de la même période et qui permettent aux taxis compteurs et gbaka d'aligner parfois leur offre sur les pratiques des woro-woro.

2.3.1 Le taxi compteur «obligé» de faire le woro-woro

À Abidjan, il n'est plus rare de voir certains chauffeurs de taxis compteurs improviser un service de «taxis collectifs». Plutôt que de focaliser leurs propos sur l'irrégularité de la pratique, ils s'y conforment et fonctionnent comme des woro-woro. Cette réalité des usages observés du taxi compteur improvisé «collectif» participe à la redéfinition des missions du «mode taxi» dans un cadre prospectif innovent. En effet, les sorties en taxi communément appelé «taxi compteur» se démocratisent de plus en plus. Puisqu'autrefois, se déplacer en taxi compteur ou «écraser la tomate84» était réservé à une élite ou à une population suffisamment aisée. Mais depuis peu, ces taxis sont fréquemment empruntés par une part croissante d'individus, moins riches, davantage captifs des transports en communs.

L'imagination des chauffeurs de taxis compteurs qui s'improvisent «collectifs» correspond, en réalité, à une innovation appropriée par sa flexibilité. Elle vient répondre à l'attente de cette clientèle moins solvable qui s'imagine diverses stratégies pour se déplacer à moindre coût comme le suppose la pratique du woro-woro. Ainsi, dans les liaisons domicile-travail, il n'est pas rare d'assister à des

84 Expression qui signifie rouler en taxi compteur. Cette expression est en rapport avec la couleur rouge de la tomate. En réalité, être rouge comme une tomate, c'est être rouge de honte. Ainsi par analogie, «écraser la tomate» pourrait alors signifier enlever la honte sur soit. C'est à ce titre que chez les Bambara, peuple d'Afrique de l'Ouest (Mali, Sénégal, Guinée), la tomate est le symbole de la fécondité. Pour ce faire, les couples doivent en manger avant de s'unir Hennig, J.-L. (1994). Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes. Paris, Albin Michel.

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associations improvisées d'inconnus partant dans une même direction en vue de partager le prix de la course en taxi. Il est fréquent, également, qu'un client négocie un tarif. Ce que certains chauffeurs consentent afin de ne pas perdre une clientèle rare du fait d'un environnement fort concurrentiel. Ce que confirme ce chauffeur de taxi compteur dans les propos suivant:

«Parfois, il arrive que j'«ouvre» un tarif «woro-woro». Un travail c'est un travail. C'est toujours mieux que de circuler et de ne rien gagner. En semaine il y a moins de clients, surtout en dehors des heures de pointe, c'est mieux que rien» Explique un chauffeur de taxi compteur (J. Paul.15. 03 2009).

Une habituée de la «négociation» du tarif du taxi compteur explique:

«Pour obtenir le tarif «woro-woro», j'explique généralement qu'on monte à plusieurs. Et le chauffeur comprend qu'il y aura des détours à faire». (Ivette, 15.03.2009)

En ajustant tarifs et pratiques à cette clientèle moins solvable, les chauffeurs font preuve d'imagination et de clairvoyance. Ils saisissent l'occasion de répondre, d'une façon différente, aux attentes nouvelles de la clientèle.

2.3.2 Les gbaka sur les lignes des woro-woro

«Nos problèmes, la pluie, les vacances. C'est aussi la concurrence avec les gbaka, ils font le taxi. Le gbaka de Niangon à droite, les gbaka de cette ligne ont cassé Maroc jusqu'à GESCO. Ils prennent les clients 100f, 100f. SIDECI jusqu'à Siporex 100f. 100f SICOGI, Saint-André jusqu'à Niangon: 100f, 100f donc ça fait que vraiment ça ne marche pas». Boukary, chauffeur de woro-woro communal (04/07/2012).

Le rapprochement entre des modes de transports aussi différents qu'un gbaka et un taxi collectif n'est ni irréaliste ni incongru. En effet, la clientèle des taxis collectifs et celle des gbaka ne sont pas parfaitement dissemblables. Ces deux

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clientèles se recoupent largement, car bon nombre d'usagers des gbaka font volontiers usage des taxis collectifs à l'occasion d'un retard, d'une urgence ou d'une opportunité. Il y a souvent complémentarité entre ces deux modes de transport comme il y a en a aussi entre les bus et le gbaka ou entre le bus et le woro-woro. Sans nier l'existence d'une population complètement captive des transports en commun ainsi que d'une autre, parfaitement opposée à tout autre mode de transport public que le taxi compteur ou le bus, il faut reconnaître qu'une part significative de la clientèle des taxis collectifs constitue également celle des gbaka. Il nous semble que les clientèles sont suffisamment sécantes et se rapprochent comme le justifie l'intégration des tarifs entre gbaka et les woro-woro pour les liaisons intercommunales. La proposition de faire appel à des gbaka pour suppléer les taxis collectifs sur des liaisons intercommunales n'est pas complètement nouvelle85. Cette pratique des gbaka qui s'improvisent «taxi intercommunal» ou des véhicules banalisés qui desservent les lignes des bus de la SOTRA ou des taxis compteurs existe informellement et n'est pas complètement étrangère aux codes en vigueur dans le secteur. Cette pratique a débuté dans les années 1990. Elle a été renforcée par les luttes de positionnement nées du renforcement de la politique de décentralisation institutionnelle et de la libéralisation des transports publics.

2.3.3 «La lutte» des territoires

Tels que présenté plus haut, le woro-woro ne peut pas se transformer en taxi compteur mais le taxi compteur a la possibilité de faire souvent du woro-woro. Pourtant, il y a quelques années voir un taxi compteur faire du woro-woro était perçu comme un crime.

«Ce sont ensuite les protestations des chauffeurs et propriétaires de taxis-compteurs qui sont rapportées par les journaux au travers de leurs représentants syndicaux. Ils sont opposés au développement de ces taxis clandestins et le font savoir par le recours à la force. Ils capturent 300 taxis parallèles dans la commune de Cocody qu'ils remettent à la fourrière» (Couret 1997) .

85 La ville d'Abidjan et notamment la commune de Yopougon est pionnière sur ce point.

180

Mais face aux nombres de plus en plus réduit d'abidjanais pouvant se payer le luxe de rentrer du travail en compteur, les chauffeurs de taxi compteur arrondissent la recette en passant dans l'autre camp.

«C'est vrai que nous faisons le woro-woro pour de l'argent, mais c'est surtout pour arranger les clients. Les woro-woro ne peuvent pas rouler vide. Ils doivent être pleins en aller et retour. Alors il faut comprendre si on les attend personne n'ira à la maison après le travail» soutient (Hamed, chauffeur de taxi compteur 18. 08. 2011)

En effet aux heures de pointe généralement autour de 6 h 30 mn le matin et 17 h 30 min le soir les files d'attente sur les gares sont longues et même impressionnantes. Les rangs peuvent être formés de 25 à 36 personnes, voire plus. Les taxis compteurs viennent donc à la rescousse des woro-woro. Mais quel que soit le motif évoqué, la situation agace les chauffeurs de woro-woro.

«Je ne sais pas comment le transport est organisé dans ce pays? Les taxis compteurs nous font une concurrence déloyale. Les syndicats permettent qu'ils viennent ramasser nos clients et à la descente nous avons des problèmes pour boucler la recette. Les woro-woro ne peuvent travailler qu'entre 6 h et 23 h or les taxis compteurs peuvent circuler 24 h sur 24. Les taxis-compteurs ont donc plus de temps pour se faire de l'argent. Je pense que les syndicats doivent trouver un terrain d'entente pour dire qui fait quoi et où. Ce n'est pas une question d'argent mais une question d'organisation du transport et de sécurité des citoyens». Souligne André, chauffeur de woro-woro intercommunal (10. 12.2013)

Depuis le cours des années 1990 et 2000, on assiste au développement des pratiques de mobilité alternative. L'un des objectifs de ce travail de recherche est de répondre comment est structuré l'espace de transport à Abidjan et notamment à Yopougon. Mais au-delà, il pose aussi la question de l'adaptation et de la survie des acteurs urbains dans un espace de plus en plus complexe et en mutations constantes. L'espace transport est fortement structuré et même territorialisé en raison des enjeux importants liés à l'exploitation du service des taxis collectifs. Cette territorialisation s'appuie sur des stratégies d'acteurs qui réagissent et

181

s'adaptent constamment aux réalités complexes et changeantes de l'espace urbain abidjanais. Pour étudier ces enjeux, nous avons choisi la catégorie «syndicat». Certes, cette catégorie d'entrepreneurs n'est pas les seuls groupes qui opèrent dans ce secteur et capables de s'y imposer par des règles extra-légales, mais c'est le seul groupe d'acteurs, dont depuis près de vingt ans, les affrontements meurtriers entre fractions rivales sur la voie publique et où les oppositions aux velléités régulatrices de la puissance publique défraient régulièrement la chronique.

Chapitre 3

Vers une «autocratie des syndicats»?

La question de l'émergence des woro-woro est inséparable des luttes pour le contrôle des sites et des positionnements internes aux différents groupes d'entrepreneurs86 qui interviennent dans le secteur. La fragmentation de l'autorité gestionnaire de la ville, leur a donné une réelle capacité à orienter nombre de projets définis par les pouvoirs publics en vue de réguler les activités informelles en ville et d'«homogénéiser» l'espace urbain (Lombard 2006). Pour comprendre la structuration des woro-woro, nous sommes amené à décrypter les logiques de ces acteurs devenus omniprésents dans les sites de chargement et de déchargement des voyageurs qui sont ainsi installés dans les périmètres communaux. Quelles sont les logiques des ces acteurs? Quel sens donner à ce qu'il est convenu d'appeler la «mafia du transport»? Traduit-elle un projet d'émancipation des règles de la rue en lieu et place de ce que (Olivier de Sardan 2008) nomme les normes officielles?

86La régulation des woro-woro est essentiellement entre les mains de néo-citadins et natifs de souche qui se sont en fait réapproprié un certain nombre d'enseignements socioculturels de leur terroir pour sortir de la marginalité dans laquelle les confine la «ville formelle».

182

3.1 Géographie de pouvoir et luttes autour du rôle syndical

Les sites de chargement sont des points de départ et d'arrivée correspondant à des itinéraires précis où les clients attendent les taxis collectifs. Ils sont rarement éloignés des centres-villes et les véhicules y sont regroupés selon des destinations prédéfinies. Lieux de rassemblement, ces sites présentent une concentration dans les espaces centraux et sont ensuite répartis dans les secteurs les plus dynamiques des quartiers, notamment à proximité des marchés et des intersections des axes structurants. Dans les principaux sites, la parole des courtiers fait autorité sur les chauffeurs et leurs clients. Les chargeurs font partie du syndicat des taxis et sont parfois considérés comme des «chefs de sites» ou «stations» ou «gares» et des médiateurs par les chauffeurs. La gestion des sites ou stations de taxis est assurée par les chargeurs avec des départs à tour de rôle87 en appliquant le principe du remplissage des véhicules avant départ. Les woro-woro appliquent des tarifs connus des usagers accoutumés et les chargeurs veillent au respect des tours de départs des véhicules en échange d'une commission prélevée sur chaque course. L'entrée dans une station, les itinéraires, tout est sous le contrôle des ces chefs syndicats ou chargeurs autoproclamés (Steck 2003). Mais quels sont les mécanismes sociaux par lesquels se définissent les positions de pouvoir au sein de ces gares? Comment accède-t-on- au pouvoir de décision dans les gares? L'idée ici énoncée est que c'est dans l'espace que ces acteurs trouvent les éléments permettant de participer au processus de domination. Plusieurs cas peuvent être observés. Pour ce qui est des woro-woro, l'espace est le support d'un processus historique de combinaison de procédures variables.

3.1.1 Le recours au «droit» comme ressource pour se maintenir dans l'espace public

87 Dans les stations de grands taxis, il existe deux modes d'organisation pour les départs des véhicules: les taxis quittent la station soit en fonction de leur ordre d'arrivée, ou bien les départs se font à tour de rôle selon le point d'attache des véhicules (ville dans laquelle ils sont basés).

183

Selon (Ferréol, Cauche et al. 2004) qui citent Henri Lévy-Bruhl, le droit est l'ensemble des règles obligatoires déterminant les rapports sociaux imposés à tout moment par la collectivité à laquelle on appartient. Mais selon les domaines d'activités, le droit peut prendre des formes très différentes et variées. Pour ce qui est de l'occupation de l'espace public par les woro-woro, la palette de droits disponibles pour les acteurs de ce secteur n'est pas la même que celle qui régule l'action d'une institution étatique, même s'il y a parfois certains points communs (De Sardan 2008). Au niveau des woro-woro, les acteurs profitent de la multiplication des instances d'aménagement et de gestion urbaine créée par le morcèlement des responsabilités et des pouvoirs au sein de la ville pour construire leur «légalité». Cette situation est particulièrement remarquable au niveau de la gare du «lavage» à Yopougon. Les propos suivants d'un responsable syndical montrent bien que les lieux de transport s'implantent avec l'accord d'au moins une autorité gestionnaire de la ville :

«Créer une gare n'est pas facile, surtout à Yopougon où l'espace est beaucoup privé. L'espace de la gare de lavage où vous voyez les woro-woro là, on paye des taxes annuelles en plus des tickets qu'on paie tous les jours à la mairie. Mais malgré ça, on dit que la place appartient à un ancien élu (député) de Yopougon. Aujourd'hui, il a cédé une grande partie de l'espace à la SICOGI» K.A. 12 04 2009.

Le regain d'activités des woro-woro s'accompagne le plus souvent d'une occupation permanente de la rue. Il existe un lien particulièrement fort entre activités de woro-woro et localisation de celles-ci dans la rue. Cette localisation privilégiée des activités de transport dans la rue mérite qu'on les observe sous l'angle de la géographie du pouvoir (Raffestin 1980). En effet, les entrepreneurs chargeurs des woro-woro fournissent un effort constant pour conserver un accès à des espaces à fort potentiel pour gagner de l'argent. Ces entrepreneurs recherchent une situation rentable et une certaine sécurité. Il ne suffit pas en effet qu'une localisation soit bonne et qu'elle soit disponible, encore faut-il qu'elle soit sûre, ce qui dans la rue n'a rien d'évident. La question de l'usage de l'espace public est, à propos des woro-woro, essentielle, car en fait ce n'est pas l'espace public en tant que tel qui intéresse les entrepreneurs, c'est l'accès au droit d'usage de cet espace. C'est d'ailleurs justement cela qui pousse les entrepreneurs à recourir à des

88 Le groupe de mot «vieux père» renvoie dans le langage de la rue à quelqu'un d'avisé. Un homme d'un âge un peu plus supérieur à celui ou à ceux qui l'appellent ainsi.

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intermédiaires bien introduits dans l'administration (agents de police, de la municipalité, etc.), ou à un chef de quartier, ou parfois à «un vieux père88» reconverti dans le courtage. En l'absence de l'une ou de l'autre de ces voies, la violence reste l'alternative la plus certaine dans bien des cas.

3.1.2 La violence comme ressource d'action «syndicale»

L'un des constats à noter dans le secteur des transports est que la structuration de cette offre s'effectue dans un contexte particulier de mobilisation de violence sociale et de contre-violence des appareils répressifs de l'État comme le témoigne cet article tiré de la presse locale et intitulé:

«Danger».

Les «gnambro» sont désormais les maîtres des gares routières. Chauffeurs, propriétaires de camions et passagers, tous subissent leur loi [...] Maîtres incontestés, les gnambro n'hésitent pas à mettre au pas tous ceux qui refusent d'obéir à leur loi. Pneus dégonflés, chauffeurs privés de chargement, passager tabassé...la liste des préjudices subis par les usagers est longue. Parfois, ces agressions se terminent par des bagarres entre groupes de «gnambro» [...] Le métier fait recette. 2000 à 3000 f par jour. Voire plus souvent. Le phénomène s'étend désormais à toutes les communes d'Abidjan. Parce qu'il est juteux. Ainsi, il n'est plus rare de voir des minis gares se créer à Cocody, Yopougon, Adjamé. En somme partout. Car, l'investissement pour s'installer se résume à la force des muscles. Pas des pensées. Mais des recettes.» Frat Mat du jeudi 13 septembre 2012, p4

Outre la violence utilisée par les entrepreneurs syndicats du transport pour s'approprier la gestion des espaces publics, d'autres formes de violences physiques et symboliques rythment aussi le secteur des transports (Diop and Faye 1997). En effet, soit pour le contrôle d'un site, soit par simple refus d'un chauffeur de payer un ticket syndical, les chargeurs ou les syndicats utilisent souvent recours la violence pour s'imposer comme l'indique cet extrait d'un journal local.

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«Milice des syndicats»

«Les «gros bras» n'hésitent pas à ôter la vie quand les chauffeurs refusent de payer leurs tickets dont les prix varient entre 500 et1000 FCFA. Cela est fonction des lignes de gares des woro-woro ou des gbaka». Le jour plus du mardi 06 décembre 2011, p 5

L'auteur des propos suivants montre bien comment la violence devient inéluctable dans le secteur des transports dans un contexte d'affaiblissement du pouvoir régalien de l'Etat.

«Au moment où on créait cette gare, c'était une petite parcelle où garaient les taxis «choto» et il y avait quelques taxis compteurs qui venaient garer là, c'était une tête de stationnement. Nous, on a trouvé que le coin était stratégique par rapport à la côte. Donc ceux qui étaient là, les taxis qui avaient aménagé un petit coin, il fallait lutter pour pouvoir les faire dégager là, il fallait lutter par la force, il fallait employer certains moyens pour s'approprier la gare» (Y. B 14-92011)

3.1.3 Le réseau de clientèle ou le «Guantanamo» Selon (Ferréol, Cauche et al. 2004) la clientèle désigne,

«des rapports de dépendance mutuelle, de nature asymétrique. Une protection ou des avantages sont accordés (de manière le plus souvent tacite ou informelle) en échange d'un certain nombre de prestations ou d'engagement déterminés par la coutume».

C'est essentiellement une stratégie d'échange dans laquelle le don, l'aide, la faveur, le service rendu, deviennent un moyen de se faire des obligés, des créanciers. Dans la stratégie clientéliste, chacun, patron comme client, cherche dans l'échange à valoriser, et à monnayer ses ressources au maximum (Medard 1976). C'est ce qui permet l'appropriation tolérée des espaces publics par les entrepreneurs du secteur des woro-woro. Le clientélisme permet également une pacification des rapports sociaux lorsque les bénéfices de la rente spatiale sont équitablement répartis entre tous les acteurs concernés (pouvoirs publics, caciques syndicaux, entrepreneurs privés sous contrat), à charge pour eux de redistribuer à

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leurs clientèles sociales. Cette privatisation des espaces est à la base de la création de petites gares dans les rues, aux abords des marchés, aggravant la congestion des agglomérations. La puissance de ces syndicats et les relations de clientèle qui se s'établissent entraînent une mutualisation de gains illicites au sein des forces de l'ordre, des gestionnaires de la ville et des chefs syndicats. C'est cette «somme d'argent», quotidiennement dégagée et remise aux autorités pour «laisser faire» que les entrepreneurs du secteur des woro-woro nomment ironiquement le «Guantanamo». Ainsi, le Guantanamo désigne dans le milieu des woro-woro, une cotisation avec des systèmes de quotas reversés tout au long de la chaîne de la hiérarchie en charge de contrôler la légalité. De ce point de vue, le «Guantanamo» participe du registre de la légitimation de l'illégal. Il permet également aux conducteurs de bénéficier d'une relative impunité89 quelque soit l'indiscipline routière et cela en référence à toutes les violations des droits humains sur l'île de «Guantanamo» érigée en zone de non droit par les Etats Unis au lendemain du terrible attentat de 200190

Toutefois, dans le secteur des transports, l'accès aux avantages liés au contrôle des espaces où s'exercent de telles pratiques n'est jamais acquis a priori. L'accès à de tels espaces suscite toujours des luttes de positionnement au sein des différents groupes d'entrepreneurs.

89 Selon la règlementation, les véhicules de transport en commun et les taxis compteurs doivent effectuer deux visites techniques annuelles. Mais cette règlementation est habilement contournée. «Même avec des papiers en règle, les doutes subsistent, certains propriétaires louent des pièces neuves à la journée pour s'assurer de ne pas recevoir d'amendes. Près de la moitié des véhicules en circulation ne sont pas en règle et plus de 70 % des taxis collectifs n'ont jamais été contrôlés.» Lejeal, F. (1998). "Automobile. En marge du "Mondial de l'Automobile" à Paris: une situation des marchés africains." marchés Tropicaux: 2081 à 2096.

90 Au matin du mardi 11 septembre 2001, dix-neuf terroristes détournent quatre avions de ligne. Deux avions sont projetés sur les tours jumelles du World Trade Center (WTC) à Manhattan (New York) et un troisième sur le Pentagone, siège du Département de la Défense, à Washington DC, tuant toutes les personnes à bord et de nombreuses autres travaillant dans ces immeubles. Les deux tours dont les toits culminent à un peu plus de 415 m de hauteur s'effondrent moins de deux heures plus tard, provoquant l'anéantissement de deux autres immeublesLe quatrième avion, volant en direction de Washington, s'écrase en rase campagne à Shanksville, en Pennsylvanie, après que des passagers et membres d'équipage ont essayé d'en reprendre le contrôle ( fr.wikipedia.org /wiki/Attentats du 11 septembre 2001).

91 La libéralisation devient alors la liberté accordée aux transporteurs privés d'assurer un certain nombre de lignes dans le périmètre actuellement réservé à la SOTRA (Contamin 1997).

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3.1. «Luttes» autour du rôle syndical

La question de la valorisation, socialement et historiquement déterminée de l'identification à un groupe syndical est inséparable des luttes et des concurrences sociales endogènes à ces organisations. Dans un contexte de libéralisation91 des transports, l'identification à un syndicat pour le contrôle d'une gare ou d'une station, est un enjeu. Pour le cas des woro-woro, depuis la fin des années 1990, l'administration a quasiment renoncé à réguler l'activité et le nombre de licences délivrées a brutalement décuplé au point de provoquer la saturation du marché, elle-même généralement invoquée pour expliquer l'explosion de violences entre les différents groupes de syndicats. La sociologie des organisations, en étudiant le phénomène organisationnel, soulève certaines problématiques récurrentes, qui sont souvent liées aux tensions qui affectent les organisations. La forte démultiplication des groupes hétérogènes d'acteurs pour le contrôle des lieux d'activités des woro-woro, repose sur l'existence d'une symbolique organisationnelle propre au secteur dit «informel» (Oudin 1987), mais en relative décalage avec l'idéologie syndicale: «La défense des intérêts des chauffeurs et des transporteurs». L'objectif de défense des intérêts pour lequel les syndicats se mobilisent est peu visible. La mobilisation syndicale est plutôt orientée vers une lutte pour un accès économiquement élargie aux ressources générées par l'activité des transports. Dans cette articulation entre défense des intérêts corporatistes et luttes pour conserver des espaces à fort potentiel économique, la création d'une gare de woro-woro est le résultat de conflits et négociations croisés entre des acteurs aux intérêts hétérogènes et dont l'interaction définit des rapports de force et de pouvoir. Mais quelles sont les logiques souterraines qui font agir les acteurs dans l'espace public? Une reconstitution du répertoire d'actions au coeur de cette arène fortement conflictuelle évolue entre la possession ou la maîtrise d'un «espace gare» et la possibilité d'émettre des tickets.

3.2.1 Avoir un «territoire» à contrôler

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Les oppositions entre syndicats est une forme de concurrence exacerbée sur un marché de transport saturé. Le cas des affrontements entre les deux principaux types de syndicats (syndicats des propriétaires, patronat et les syndicats des chauffeurs) à Yopougon à la fin de l'année 2011, souligne l'importance des enjeux «territoriaux». Dans les propos suivants, pour ce responsable local de l'un des plus puissants groupements d'associations syndicales créées entre 1990 et 199592, ce qui compte pour un syndicat c'est le contrôle d'un ou de plusieurs gares stratégiques.

«À Yopougon, il y a eu deux fois de la bagarre pour le contrôle de l'espace. Le problème de Yopougon c'est difficile et c'est différent des autres communes. Parce qu'à Yopougon, il est arrivé un moment, c'est Kassoum et Yaya qui tenaient à Yopougon les deux syndicats de patronats. Les chauffeurs étaient là mais ils n'étaient sur le terrain et on ne les rançonnait pas. Donc quand Guéhi a pris le pouvoir, Guéhi a commencé à tuer les «gros bras» qui travaillaient avec nous. C'est dans ça que John Polo-Polo est mort. Et c'est les chauffeurs qui ont monté le coup pour prendre le terrain et nous donnaient ce qu'ils voulaient. C'est dans ça là, quand les militaires sont arrivés ici en 2010-2011 et nos éléments sont entrés dans la rébellion, c'est eux qui connaissaient le terrain. D'autres mêmes sont restés dedans. C'est dans ça là aussi quand la situation a changé que nous sommes allés à la BAE. Mais après ça, les chauffeurs n'étaient toujours pas contents c'est là, ils nous ont attaqué et nous, on a répliqué et cela s'est passé deux fois et l'affaire est arrivée jusqu'à la Présidence. Et c'est à partir de là que tout le monde est tombé d'accord pour travailler ensemble «un jour, un jour». Un jour pour le patronat, un jour pour les chauffeurs. Sur chaque terrain tu dois avoir tes gars. (B.Y. 28-092011)

Au fur et à mesure que le contrôle de l'État sur l'espace public s'affaiblit, dans le secteur des transports, ce sont les associations syndicales qui se transforment en agents informels de gestion et de contrôle de ces espaces qu'ils transforment en gares. Parfois, certains trottoirs et esplanades sont placés sous le contrôle de jeunes qui instaurent une sorte de racket voilé sous forme d'aide à des usagers ou à des chauffeurs en quête d'une clientèle. Aujourd'hui, l'espace urbain est quasiment découpé en petits territoires dont l'existence s'est renforcée avec la

92 En Côte-d'Ivoire, comme partout en Afrique, le corps social fut le fer de fer de lance de la contestation sociale qui fut déferlé l'ouragan des libertés sur le continent. Le milieu des organisations sociales fut le point de départ de cette contestation qui donna à la rue une partie du pouvoir.

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décentralisation (Lombard 2006) Dans le questionnement sur les nouveaux contours des espaces publics en Afrique, pour (Diaw 2004), il faut plutôt parler de territorialités mouvantes, d'une géographie mouvante du Politique, avec un centre (l'État) qui, ayant de moins en moins de maîtrise sur son espace, s'avère de plus en plus décentré, et des marges qui s'invitent par effraction dans l'espace public. Dans le milieu des entrepreneurs syndicats, le positionnement dans un espace gare est suscité par un élément commun qu'on pourrait nommer, à la suite de J. Copans, un «objet d'urgence» et qui se trouve être «le ticket».

3.2.2 Avoir la possibilité d'émettre ses tickets

Dans le milieu des transporteurs, le ticket symbolise une certaine reconnaissance collective, un brevet qui dénote une filiation certaine avec l'ensemble des transporteurs. Emettre donc un ticket à l'entrée d'une ligne ou d'une gare de woro-woro, suppose pour un syndicat donné, une maîtrise d'un réseau de relations qui infiltre parfois les «en-haut d'en- haut». Ces lieux ont leurs figures emblématiques, les syndicats et les chargeurs. Pour ces groupes d'acteurs, les lieux de transport sont des lieux d'enjeux pécuniaires énormes, car ils sont considérés comme des espaces de taxation. À l'exception du droit d'entrée dans la circulation perçu une seule fois comme «droit» de reconnaissance du véhicule, les autres taxes sont quasi quotidiennes. Le montant du ticket est de 100 FCFA pour les taxis communaux et payé une seule fois par jour. Pour les taxis intercommunaux, le montant varie de 300 à 1500 FCFA selon la distance et selon le type de véhicule. Il est payé à chaque chargement du véhicule tout au long de la journée. Mais pour le tenant des propos suivants, cet argent ne va nulle part. Il est partagé entre les différents groupes de syndicats.

«L'argent que nous gagnons, nous le remettons à notre patron. Quand, il finit d'enlever pour les autres patrons, il donne pour nous. En tout cas, chacun reçoit un peu un peu» (A. D., 14-9-2009)

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Par un jeu de rotation, la tête de liste de chaque groupe perçoit l'argent récolté sur une période. La somme récoltée varie entre 6 et 10 millions de FCFA par jour93. Cette situation de gain relativement rapide et facile est à l'origine de la démultiplication des organisations syndicales que dénonce M. Coulibaly, délégué général de (FESYNCPROCI) dans les propos suivants.

«Il suffit d'une incompréhension pour qu'on voit quelques éléments dresser un procès verbal d'assemblée générale, avec 50000 FCFA, ils obtiennent leur récépissé. D'autres parce qu'ils ont la facilité d'avoir un agrément, ils se constituent en syndicat et font de n'importe quoi sur le terrain. Puisque, une fois l'autorisation obtenue, il faut passer par tous les moyens pour s'imposer et émettre des tickets (B. Y., 29. 09. 2011).

Le désir d'être reconnu comme syndicat susceptible d'émettre des tickets et prélever des taxes est à l'origine de la prolifération des stations ou gares des woro-woro. Mais comment devient-on syndicat au plan individuel?

3.2.3 La métaphore du guerrier «compétent»

Dans le milieu des organisations syndicales du transport, la métaphore du vaillant homme renvoie au responsable syndical qui a lutté ou qui a risqué sa vie pour une cause commune. Tels, l'entêtement et le refus d'une décision d'expulsion d'un espace par une tierce personne ou tout autre personne morale supposée être le propriétaire du lieu qui sert de gare. À la question comment êtes vous devenu responsable syndical? L'auteur des propos suivants donne des éléments de réponse.

«Syndicat! J'étais là quand on a lutté pour acquérir cette gare. On ne devient pas syndicat parce qu'on veut. C'est par rapport à une lutte. Il faudrait qu'on fasse preuve d'une certaine compétence dans le domaine du transport, qu'on apporte quelque chose de plus. C'est ceux-là qui ont lutté qui deviennent syndicat. Moi-même, je suis chauffeur d'abord. Je suis donc devenu responsable syndical par

93 Le jour plus, n°1622 du lundi 16 février 2009

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rapport à ma compétence en manière de gérance des problèmes au niveau de la gare. Il y a la manière de gérer les problèmes. En fonction de la manière dont je gérais les difficultés des chauffeurs, les gens m'ont apprécié et les grands responsables de la base du grand bureau ont estimé que je devienne le responsable de la ligne (station de chargement et de déchargement). Du coup, du chauffeur, je suis arrivé à un poste beaucoup plus élevé. Je suis devenu le premier responsable de la ligne». (Oupo. A. 12-9-2009)

Dans le milieu des transporteurs, l'importance et les représentations rattachées à la figure du syndicat sont probablement à la base de la présomption d'un lien assez étroit entre ce secteur et la marginalité, voire la délinquance. Mais dans les cas observés, le caractère guerrier du syndicat concourt à singulariser tout à la fois des individus et des espaces faisant jusqu'ici l'objet de représentations négatives, des formes d'action d'ordre économique et politique. L'observation faite à partir d'une ligne de woro-woro nous permet de comprendre que l'activité de transport génère des emplois directs et indirects comme l'indique l'encadré suivant.

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Au-delà de ces quelques logiques qui sont au coeur de la dynamique d'évolution des woro-woro, d'autres rationalités sous-tendent la création des espaces

? Au niveau des emplois directs: un véhicule woro-woro emploie un chauffeur titulaire et un chauffeur suppléant par jour. Nous estimons la ligne Gabriel gare-prison civile à 30 véhicules. Ce qui donne 60 emplois directs de chauffeurs. Il y a un chargeur à l'aller et un chargeur au retour, soit 2 emplois directs de chargeurs. Chaque gare est gérée par 1 chef de gare, 1 chef de ligne et 1 «billetaire», soit 3 emplois directs.

? Au niveau des emplois indirects: le secteur des woro-woro a un effet d'entraînement positif sur les secteurs d'activités tels que les garages, les maisons de pièces détachées, les compagnies pétrolières, etc.

? La rentabilité au niveau de l'Etat: les woro-woro constituent une source de richesse de l'Etat par le paiement des impôts et taxes directs et indirects. à titre d'exemple les 30 véhicules de la ligne de notre étude rapportent à l'Etat:

- patente: 30 x 135 500 = 4 065000 FCFA TTC/ an

- vignette: 30 x 35 000 = 1 050000 FCFA TTC/an

? La rentabilité au niveau de la commune: les woro-woro constituent aussi une source d'augmentation de la trésorerie communale:

- droit de stationnement: 3000 x 12 x 30 = 1080 000 FCFA/an - autorisation de transport: 35 000 x 30 = 1 050000 FCFA

Les activités des woro-woro génèrent aussi des ressources aux entreprises et sociétés comme la SICTA (visites techniques), les compagnies d'assurance (assurance taxi), les sociétés agréées pour la vente et la pose d'antenne lumineuse, etc.

Source: nos entretiens

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économiques disputés ou les gares. Comment se créent les gares ou stations des woro-woro?

3.3 «Vocabulaire» de la création des gares

La compréhension de la dynamique du réseau des woro-woro nous a amené à identifier une diversité de logiques et de principes organisateurs qui sont articulés les uns aux autres par des individus «autoproclamés» qui en sont les acteurs communs. En fait, l'univers des entrepreneurs du secteur des transports alternatifs se caractérise par une diversité de logiques de sens: logiques qu'on ne peut pas nécessairement hiérarchiser et dont on ne peut non plus affirmer que l'une est centrale par rapport aux autres. Plusieurs dimensions permettent de cerner une logique de sens: sa finalité, ses principaux référents et symboles identitaires, la représentation de soi et des autres, la définition des besoins, les normes et valeurs. En quelque sorte, ce que (Roulleau-Berger 1999) nomme culture de l'aléatoire pourrait s'appliquer aux représentations de ces groupes d'acteurs. Trois parmi les logiques observées semblent familières et correspondent à des modèles connus et largement répandus dans l'univers de la création des petites gares des sous quartiers de la commune de Yopougon.

3.3.1 «Aider les gens à partir»

«Puisque le pont est coupé, on était assis ici, on causait et on a constaté que les gens avaient des difficultés pour rentrer au village, vers les 17 heures, 17 heures 30. Beaucoup d'hommes arrêtaient les voitures pour aller au village. L'idée nous est venue de voir si on ne pouvait pas créer une gare pour aider les gens à partir. C'est comme ça entre nous jeunes, on a monté le groupe en août 2010. Chaque 17 heures on venait à l'heure de pointe comme les gens descendaient du boulot, on les chargeait. Au fur et à mesure comme les gens venaient, c'est comme ça, on a commencé à travailler ici (à créer la ligne)» Gbané, chargeur, 03.07.2012.

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Toute création de gare ou de station de woro-woro est d'abord une initiative individuelle ou d'un groupe restreint d'individus. Tout part d'un acte spontané, d'un simple coup d'essai, après une brève inspection d'un lieu jugé stratégique94. Ces espaces s'inscrivent tous dans une trajectoire de relations entre usagers et chauffeurs où les syndicats jouent le rôle d'intermédiaire. Au fil du temps, ces lieux créés spontanément se transforment en gares disposant d'un lieu reconnu et d'une gestion collective. Selon (Steck 2003), les grandes gares dans les villes africaines ont été ouvertes par des opérateurs privés, dans un lieu libre d'occupation, et sont devenues par la suite officielles, gérées en accord avec les collectivités locales. L'ensemble des sites de transport évolue ainsi avant d'ouvrir la voie à une reconnaissance générale. Le plus souvent, l'initiative de la création de la ligne vient d'individus résidant dans l'espace géographique desservi et qui veulent trouver une solution ponctuelle aux problèmes de déplacement d'une population dont ils se sentent solidaires. La toute première liaison interne à Yopougon a été celle qui relie Yopougon gare, Andokoua95 et le village Kouté en 1972. Sané Joseph, un Ebrié du village de Kouté a été l'un des tous premiers transporteurs à avoir introduit un service de taxi collectif interne à Yopougon en vue d'aider les siens à éviter les longues marches comme le témoignent les propos contenus dans cet extrait.

«Là, derrière l'école là (il parle du lycée technique de Yopougon), où l'autoroute qui va Abidjan là passe, c'était notre première gare. En 1972 on a commencé là-bas. Notre chef, c'était Anon Joseph un Ebrié du village de Yopougon Kouté. En ce temps-là c'était poto-poto partout. Maintenant les gens marchaient beaucoup puisque la route-là n'était pas bonne. Comme les gens marchaient beaucoup et ça fatiguait, alors Sané Joseph a mis sa voiture pour commencer transporter un peu un peu, jusqu'à à à! On a venu lui trouver dans çà. 1973, 1974, 1978 nous a trouvé là-bas. 1976- 1977 ils ont commencé l'autoroute. C'est en ce temps-là on est parti voir le sous-préfet de Bingerville pour venir ici (il parle du lieu actuel qu'on appelle communément Yopougon gare) en 1978 pour demander son avis. Ça nous trouvé là-bas. Les tous premiers quartiers c'était Andokoua et Yopougon Kouté. C'est dans ça on vivait à Yopougon ici. En ce temps-là, le woro-woro quand ça commencé à Yopougon, c'était 25 f,

94 Une gare est avant tout un lieu structurant de l'urbanité. Elle se localise autour des marchés, des pôles d'activités et d'emplois. Les mouvements de ces pôles sont recherchés par les chauffeurs, provoquant des encombrements sur les trottoirs et les chaussées environnants.

95 Andokoua et Kouté sont les premiers quartiers d'habitation de Yopougon. Seul lieu de marché situé à l'emplacement actuel du lycée technique et le point de passage de l'autoroute du Nord)

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au cours de la même année on a mis 5f et après on est passé à 30f». (Vieux S. 14-01-2012).

Profitant d'une demande assez forte liée à l'attraction progressive du marché de Yopougon gare, ce type de transport a continué d'évoluer pour glisser subtilement dans l'intercommunal, vers la fin des années 1980. Cette situation a été renforcée et officialisée de fait vers le début des années 1990 avec les difficultés de la SOTRA. Ces véhicules (des R4 trois vitesses) sont devenus des références et leur nom (woro-woro) désigne dorénavant ce nouveau mode de transport collectif à Yopougon et, plus largement, à Abidjan.

3.3.2 «Sécuriser le secteur»

Les dernières crises qu'a traversées la Côte d'Ivoire ont eu des résultats désastreux sur les couches sociales déjà fragilisées. Dans «les quartiers» de la ville d'Abidjan, on a vu se multiplier les quartiers enclos, c'est-à-dire les quartiers dont les résidents tentent de contrôler l'accès grâce à la fermeture, partielle ou complète, temporaire ou permanente, des rues les desservant. Ces développements qui constituent une réponse locale à un fort sentiment d'insécurité, occasionnent une économie de débrouille plus que de travail chez certains jeunes rabatteurs du transport. Aussi, l'expression: «assurer la sécurité» pèse-t-elle pour beaucoup dans la création des lignes des woro-woro dans certains sous quartiers de la commune de Yopougon.

«Nous sommes là pour la sécurité des véhicules et de la clientèle. Nous sommes les éléments de la route». Rassure B. Dao, chargeur dans une station de woro-woro 25-12-2012).

En fait, les rues dans certains quartiers ne sont plus considérées en premier lieu comme éléments d'un réseau de circulation, dont la fonction dominante est de relier les lieux et les citadins au sein de l'aire métropolitaine. Elles sont désormais perçues comme le point faible de territoires qui cherchent à assurer leur propre protection, contre un extérieur considéré comme menaçant. Aujourd'hui, selon

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des règles informelles du jeu non écrites mais collectivement intériorisées dans le secteur des transports, en dehors du réseau de taxis conduisant à ces types de quartiers, il est quasiment impossible à tout autre taxi collectif d'y embarquer ou d'y prendre des passagers. En deux décennies les lieux de transport ont changé à Yopougon. La capacité d'organisation et l'opportunisme des acteurs du transport collectif privé expliquent cette effervescence Les groupes sociaux qui interviennent dans ces espaces transport et qui s'y déploient sont porteurs d'échelles diverses où se construisent les notions de temps, de rythmes de vie, d'accès à l'espace et à sa symbolique (Heringer and David 1986). L'espace public peut donc être objet de conflits en raison même d'une multiplicité d'usages difficilement compatibles. Selon (Leimdorfer 1999), l'espace public est assimilé par ces entrepreneurs à un espace ouvert, un espace de passage et d'échange à forte valeur marchande qui perd de ce fait son caractère commun pour devenir synonyme de cible foncière

«Tant que y a le goudron à Abidjan, nous, on va manger» s'exclame

Bill, un chargeur à la SIPOREX (02. 04.2010)

3.3.3 «C'est un mouvement de quartier»

«C'est un mouvement de quartier, juste entre nous jeunes. On a lancé le mouvement en 2010. Sinon ce n'est pas une gare en tant que telle. On travaille avec la chefferie» Gbané, chargeur, 03.07.2012

Le développement des woro-woro concerne également les attitudes de prise d'initiative de certains groupes de personnes qui reproduisent les comportements qui ont connu du succès ailleurs. Le comportement mis en relief ici relève d'une attitude d'opportuniste autant que d'engagement des jeunes en faveur des parents confrontés objectivement à un problème de mobilité. Les soirs, les habitants du quartier (Lokoi-village), une fois arrivés au carrefour Lokoi96 sont obligés de faire le reste du trajet, long d'environ un kilomètre à pied. La voie est jonchée de ravins, de broussailles, de petits hangars qui font souvent le lit aux bandits qui

96 Le carrefour Lokoi est le point de rupture de charge des gbaka et des woro-woro intercommunaux.

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agressent quotidiennement les habitants du quartier qui rentrent tard. Pour les jeunes du quartier, seule une liaison en véhicule est susceptible de leur permettre d'éviter de tels désagréments, surtout que c'est selon eux de cette même façon que les jeunes du quartier voisin d'Académie ont procédé lorsque les habitations de leur village étaient confrontées à ces mêmes problèmes d'insécurité.

Réponse possible à plusieurs questionnements relatifs aux problèmes de l'insuffisance d'offre de transport étatique, de l'excroissance spatio-démographique, de la crise socio-économique et institutionnelle, etc., les pratiques alternatives de mobilité s'observent au plan local, national et à l'échelle mondiale. Toutefois, ces pratiques alternatives se trouvent au coeur d'une multiplicité d'initiatives, qui ne se réfèrent pas toutes aux mêmes échelles de compétences et aux mêmes contextes nationaux. À cet effet, la dernière partie de ce travail est consacrée à l'analyse comparative des différentes réponses données à l'insuffisance des offres publique de transport urbain dans les Etats d'Afrique et ailleurs dans le monde.

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DISCUSSION

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Cette dernière partie soumet au lecteur les résultats obtenus ainsi que leur interprétation en liaison avec les données de la littérature d'autres pays pris comme des exemples. Nous étudions le transport alternatif et il y a n'a eu dans les autres pays. Quels alors sont les points de convergence et de divergence dans les réponses au déficit de transport à Abidjan en Côte d'Ivoire et dans des capitales comme Cotonou au Bénin, Dakar au Sénégal, Durban en Afrique du Sud, Harare au Zimbabwe, Casablanca au Maroc, Istanbul en Turquie, Brazzaville au Congo, Hanoi et Hô Chi Minh-Ville au Vietnam? Que dit-on sur les transports alternatifs dans la littérature scientifique de ces capitales? Parce qu'il y a en eu. Ensuite, quand on compare la dynamique d'émergence des transports alternatifs du genre dans ces capitales qui ont connu ce type de développement anarchique, est-ce que c'est la même chose avec les woro-woro de Yopougon (Abidjan)? Qu'est-ce qui fait la spécificité du cas ivoirien? Les réponses à ces interrogations sont contenues dans les points suivants autour desquels nous faisons cette comparaison:

1. Comparaison des réponses au déficit de transport. Nous nous intéressons
aux différences et aux similitudes dans les réponses apportées à l'insuffisance des offres publiques formelles dans les villes capitales. Comment ces transports naissent? Qui sont les groupes d'acteurs qui sont impliqués dans ces types de transport? Ici à Abidjan, ce sont des communautés spécifiques (les Malinké) qui ont largement investi le secteur. Est-ce que c'est pareil ailleurs?

2. Le second élément de comparaison concerne la trajectoire d'évolution de
ces transports. Comment ces offres alternatives mutent? Nous nous intéressons ici aux similitudes et aux différences entre les contextes dans lesquels ces transports évoluent. Est-ce que, ce que j'ai pu observer à Yopougon est semblable à ce qu'on a pu observer ailleurs?

200

3. Dans ce dernier point de comparaison, l'accent est mis sur les différentes

formes d'organisation de réponses apportées à l'insuffisance des offres de transport public. Quels sont les points de ressemblance et de différence dans les modes d'organisation de ces transports dans les villes capitales? Qu'est-ce qui fait la spécificité du cas ivoirien?

I. Rappel et synthèse des résultats

Les résultats de cette étude sont les réponses aux principales questions de recherche formulées au départ de nos investigations. Il s'agit (i) de reconstituer la trajectoire historique d'émergence des transports alternatifs, (ii) de retracer le processus d'évolution des transports alternatifs et (iii) de comprendre comment le secteur des transports alternatifs s'est structuré.

De la reconstitution de la trajectoire historique des transports alternatifs

Dans la ville d'Abidjan et notamment à Yopougon, la reconstitution de la trajectoire historique des transports alternatifs peut être caractérisée à grands traits.

- En premier lieu, nous avons retenu que la naissance des transports alternatifs est à en mettre en relation avec les transformations démo-spatiales successives, d'abord de la ville d'Abidjan et ensuite de Yopougon. L'extension qu'a connue cet espace urbain est telle qu'il s'est développé une disjonction entre lieux de résidence et zones d'activités. Pour mettre en connexion tout l'espace urbain de Yopougon, le seul mode de transport de l'Etat ne répond plus convenablement. Aussi, l'alternative a-t-elle été trouvée du côté des transports dits informels qui offrent un avantage comparatif en terme de réduction du temps de parcours, et du coût du trajet jugé flexible (Sakho ; Adoléhoumé 2001; Godard 2006).

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- Le deuxième niveau d'analyse concerne les pratiques du commerce précolonial. À ce sujet, nous avons indiqué à partir des écrits de certains auteurs tels (Godard and Kama 1986; Godard 2002; Sahabana 2006; Diaz Olvera, Plat et al. 2007), qu'il existe une correspondance entre les modes de transport africain d'aujourd'hui et les pratiques de commerce d'autrefois. Un lien indirect rattache le mode de transport d'aujourd'hui aux activités de transport des hommes et des femmes du passé, car ceux-ci ont disparu, mais ont laissé des traces (Noiriel 2006). D'abord, il faut noter que les transports alternatifs et le commerce précolonial africain se rapprochent par la similitude entre les groupes d'acteurs qui portent ces deux types d'activités. Ensuite, par l'usage d'un moyen dans les déplacements(le portage et l'usage de dos d'ânes ont été remplacés par le véhicule). Enfin, par une implication importante des intermédiaires dans les deux types d'activités. À terme, ce sont les acquis d'ordre culturel liés essentiellement au commerce africain qui ont constitué les ferments de la naissance d'un mode de transport africain lorsqu'il s'est posé le problème de mobilité dans les quartiers africains d'Abidjan, capitale de la colonie.

Pour comprendre comment les transports alternatifs ont évolué

- La reconstitution du processus d'évolution des transports alternatifs à Yopougon doit être mise en relation avec la congruence de plusieurs facteurs, tant sociaux, politiques qu'économiques. Cette pluralité de facteurs est à l'origine de diverses stratégies visant à adopter les taxis collectifs comme moyen de déplacement. Débuté en 1972, lors des premières vagues de peuplement de Yopougon, l'incorporation des taxis collectifs à la mobilité des populations s'est faite progressivement. Elle se rapporte à trois étapes principales.

- La première étape (1972-1975): elle est marquée par la faible incidence de l'offre publique à la mobilité des populations et par une timide incorporation des initiatives individuelles et collectives privées à la mobilité interne. De ce point de

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vue, l'introduction en 1972 du véhicule personnel de M. Sané Joseph comme moyen de transport, constitue l'innovation et l'acte pionnier de la diffusion des taxis collectifs à Yopougon. La multitude des taxis compteurs «fatigués» qui se rajoutent par la suite à partir de 1974 constitue autant d'imitateurs et d'acteurs «relais» au processus d'évolution des transports alternatifs.

- La deuxième étape débute dans les années 1980. Elle se caractérise par le passage d'une offre spontanée à une offre organisée de taxis. Fragilisée par le manque de voies pénétrantes dès les années 1980, l'offre des taxis collectifs trouve une certaine embellie au cours de l'année 1985, lorsque les autorités municipales décident de l'encadrer pour faire de cette offre un moyen de transport communal. Toutefois, c'est au cours des années 1990 que ce mode de transport se renforce durablement (introduction de nouvelles marques de véhicules et adoption de la couleur bleue comme couleur du taxi communal en 1996), le tout dans un double contexte de dévaluation du FCFA de 1994 et de la libéralisation de l'importation des véhicules usagers dits «France-au revoir».

- La troisième étape, dite «étape actuelle» est celle au cours de laquelle l'autonomie du taxi communal, puis du taxi intercommunal progresse. Les taxis collectifs bravent de plus en plus l'autorité publique pour ne se conformer qu'aux prescriptions des entrepreneurs syndicaux devenus «puissants». Que ce soit dans l'évolution du prix de la course ou de l'occupation de l'espace, l'omniprésence des entrepreneurs «syndicaux» est à mettre en rapport avec le contexte de la progression des libertés individuelles et collectives déclenchée au cours des années 1990 comme l'écrit Konaté Yacouba,

«Les programmes d'ajustement structurel se rectifièrent les uns les autres puis, en 1990, la coupe fut pleine. Et déferla sur l'Afrique des pères fondateurs, l'ouragan des libertés. Les exigences des jeunes et des travailleurs tonnèrent et développèrent un tourbillon sociopolitique qui enfla. Les dictateurs plièrent, certains se cassèrent et furent emportés par la colère des foules. Quelques pays s'offrirent des conférences nationales, mais tous écopèrent du pluralisme

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politique. Une nouvelle génération de politiciens émergea» (Konaté 2002)

Ainsi, les taxis collectifs se trouvent être l'aboutissement de fortes attentes pour un certain nombre d'individus précarisés par la crise qui cherchent à assouvir, à travers ce mode, leur soif d'autonomie de déplacements. Si le taxi communal permet cette autonomie, c'est le taxi intercommunal qui se trouve être le sésame et revêt à ce titre une plus forte symbolique de liberté. On retrouve ce symbole de liberté de mobilité beaucoup plus chez les travailleurs d'aujourd'hui en comparaison de ceux des années 1980 dont le choix modal (domicile-travail) ne se réduisait qu'à la seule offre publique formelle.

À propos de la structuration des transports
alternatifs

L'approche historique adoptée ci-dessus permet déjà d'amorcer le processus de structuration des taxis collectifs. L'apparition progressive des différentes spécialités de ces modes de transport amène également à les considérer comme des innovations, des nouvelles pratiques de déplacement. C'est ce qui explique que depuis la naissance des woro-woro en 1972, puis de l'apparition du terme «taxi communal» en 1980 et du taxi intercommunal en 1993, la pratique de mobilité alternative se structure autour de multiples groupes d'acteurs aux intérêts parfois identiques, mais aussi contradictoires (Chabault 2011). À partir de ces éléments, on note que des tendances d'usages alternatifs semblent se dégager selon des contextes spécifiques.

- Ainsi, la réglementation et la performance de l'offre publique de transport apparaissent comme des marqueurs de premier ordre de la structuration des transports alternatifs. En effet, au fur et à mesure de l'accroissement des difficultés de la SOTRA, la réglementation s'assouplit, devient atone et les modes de déplacement alternatifs évoluent dans le sens d'une acceptation.

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- Cette tendance vers l'acceptation se manifeste non seulement au travers le fait que les taxis collectifs s'établissent sur la place publique, mais aussi par le droit de grève qui leur est reconnu. En outre, l'autonomie des transports alternatifs progresse aussi avec le double contexte de la décentralisation et de libéralisation qui a introduit une pluralité de tutelle dans le contrôle de l'activité et a entraîné une concurrence entre les centres de décision. De ce point de vue, nous pouvons poser l'hypothèse d'une tolérance et d'une acceptation de l'usage d'un moyen alternatif de transport, tel que le taxi collectif, du fait des intérêts qui sont en jeu.

II. Comparaison des réponses au déficit de transport public dans les villes-capitales

Quelles sont les circonstances de naissance des transports alternatifs dans les villes capitales? Quelles sont les différences et les similitudes dans les réponses apportées à l'insuffisance des transports publics formels dans les villes capitales d'Afrique et d'ailleurs?

2.1 Déficit de transport public et émergence de
réponses alternatives de mobilité

Les agglomérations d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine et d'Europe qui connaissent une poussée des transports alternatifs présentent des caractéristiques similaires sur le plan des conditions de l'émergence de ces moyens de transport. En effet, ces agglomérations connaissent un développement spatio-démographique rapide. Leurs offres publiques de transport éprouvent des difficultés à suivre l'évolution qualitative et quantitative de la demande de mobilité des populations. Ces agglomérations se caractérisent aussi par une pluralité de tutelles dans la gestion des services urbains collectifs dont les transports alternatifs. Toutefois, les réponses diffèrent selon les villes, les États,

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les contextes politiques et expriment diverses formes de compromis entre autorités gestionnaires des villes.

2.1.1 Un étalement et une dissociation fonctionnelle de l'espace urbain

Différentes sources croisées indiquent que l'éloignement habitats/activités allonge les distances de déplacements intra-urbains et oblige à un plus grand recours des transports alternatifs. Considéré comme le produit de l'urbanisation incontrôlée, le processus d'étalement horizontal des grandes agglomérations est à peu près le même en Afrique subsaharienne selon (Coquery 1988). Il est analysé comme un facteur d'accroissement des besoins en transport. Ici en Côte d'Ivoire, l'analyse du développement d'Abidjan soulève la question d'articulation entre transports et dynamiques spatiales. La croissance urbaine que connaît cette ville développe un nouveau type de relations où la pression démographique combinée aux difficultés de l'offre de l'Etat impose de nouveaux choix en matière de transport. Yopougon qui se présente comme la plus grande cité dortoir isolée et éloignée du centre de la ville d'Abidjan, illustre bien ce phénomène. Actuellement, les habitants de cette commune ne peuvent facilement joindre le reste de l'agglomération, que grâce essentiellement aux transports alternatifs. D'une manière générale, la plupart, des villes subsahariennes qui ont conservé les plans et les règles d'urbanisme datant de l'époque coloniale se caractérisent par une inadéquation entre l'offre étatique de transport et les besoins des populations logées pour la plupart en périphérie. En effet, du fait de la saturation des quartiers centraux, la croissance de la population urbaine s'effectue surtout en périphérie. Et la dissociation fonctionnelle des villes est telle que les zones d'activité économiques et d'emplois restent concentrées dans un périmètre restreint (Plat 2003). Dans ces conditions, on peut aussi affirmer que la généralisation des transports alternatifs est une réponse à la

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différentiation fonctionnelle de l'espace urbain que ne peut satisfaire seule l'offre de l'Etat.

Presque 50 ans après l'indépendance, à Abidjan comme dans de nombreuses autres villes-capitales, le constat qui se dégage est que les formes d'adaptation de modèle d'urbanisme accordent toujours très peu d'importance aux besoins nouveaux des populations. Les villes restent toujours sous l'influence des plans d'urbanisme adoptés par les autorités coloniales. La synthèse des travaux de (Noukpo and Agossou 2004; Capo 2008) sur l'importance des zemijan dans la chaîne des transports urbains et périurbains de Cotonou, nous permet aussi d'aboutir aux mêmes conclusions. En effet, pour ces auteurs, la circulation des zemijan est le reflet de la structure de l'espace urbain de Cotonou caractérisée par une dissociation fonctionnelle de l'espace. L'extension urbaine a conservé le tracé et le découpage imposés par l'administration coloniale. Il s'agit d'un plan en damier obéissant à des trames orthogonales qui consiste à prolonger les grands axes de communications et dont le maillage structurant épouse un système de VON (Voies Orientées Nord). Les activités urbaines: commerce, services modernes, artisanat, services sociaux sont concentrées au centre-ville. Les quartiers périphériques sont essentiellement des zones résidentielles. Par conséquent, sans le palliatif qu'offrent les zemijan, l'étalement urbain ou la périurbanisation, et dans une autre mesure la rurbanisation, seraient inconcevables ou poseraient de graves problèmes dans le contexte actuel de l'économie du Bénin (Capo 2008).

(Sahabana 2006), note un processus identique à Niamey où la forte extension géographique se décline en une diversité de paysages urbains pour rendre indispensables, les taxis collectifs ou «Talladjé-Talladjé» dans la mobilité quotidienne. Ces véhicules sont utilisés principalement dans la communauté urbaine et permettent le transport de passagers du centre-ville vers la périphérie et vice versa. C'est aussi le même constat de contraste entre ville moderne et quartiers populaires que révèle Stéphane de Tapia à propos d'Istanbul en Turquie, sur le continent européen.

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«Ne serait-ce que le touriste le moins averti des questions relatives à l'aménagement du territoire et au développement économique, s'aperçoit très vite des contrastes extrêmes éprouvés par la société turque comme par bien d'autres (Mexique, Brésil ou, maintenant, Chine): contraste entre aérogares et centres commerciaux d'une modernité agressive, dignes de leurs homologues occidentaux, et quartiers populaires d'habitat sous intégré et sous équipé (gecekondu97); contrastes entre hypercentres d'affaires aux bâtiments de béton et de verre et villages saisonniers (tyayla, mezraa98) de paysans semi-nomades.» (DeTapia 2004).

Le développement rapide de la ville d'Istanbul a des conséquence sur le fonctionnement des transports collectifs qui alternent entre taxis collectifs dits «minibus» avec 14 places assises et une dizaine de personnes debout et Taxis collectifs dits «dolmu°» «Ford Transit» 10 places assises, pas de place debout (DeTapia 2004)

La conclusion que l'on peut tirer de l'analyse évaluative des processus spatio-démographiques à l'oeuvre dans les capitales africaines et les autres pays du tiers-monde, c'est que l'éloignement habitats/services et activités donne naissance à des réponses alternatives de mobilité. La croissance spatio-démographique a fait émerger une pléthore de formes parallèles de mobilité qui permettent de régler bien des problèmes quotidiens de déplacement en Afrique. De ce point de vue, ce que l'on appelle dans les écrits comme dans l'opinion «transport informel», «transport artisanal» ou «transport illégal» et ici dans ce travail «transport alternatif» est plutôt l'expression de voies nouvelles d'accès à la ville officielle. En dépit d'une anarchie apparente, ce sont ces moyens de transport qui relèvent aujourd'hui le défi du déficit notoire en moyens de déplacement. Plutôt que leurs

97 Le gecekondu selon De Tapia est un «bâti, posé, la nuit». C'est la version turque du quartier périphérique populaire, qui cependant diffère du bidonville par les techniques de construction. Maison ou immeuble illégal, mais en dur, le gecekondu abrite jusqu'à 60 % de la population des grandes villes (Istanbul. Ankara, Izmir, Mersin, Adana ...).

98 Selon De Tapia, Yayla est un terme turc et mezraa, un terme d'origine arabe. Tous les deux désignent les agglomérations saisonnières, souvent en montagne (estives, alpages), occupées durant l'été par des agriculteurs sédentaires et semi-nomades ou des nomades. Le dédoublement de l'habitat est fréquent, et même général, dans certaines régions. Il existe des Yayla citadines, sites de villégiature des citadins des régions chaudes qui ont tendance à se transformer en stations touristiques de montagne.

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effets destructurants, c'est leur complémentarité avec les offres publiques formelles qui est désormais mise en exergue.

2.1.2 Des offres de l'Etat qui basculent d'un extrême à un

autre

La deuxième raison de la naissance des transports alternatifs se rapporte à la situation des offres publiques formelles dans les villes-capitales. En effet, après un timide démarrage pendant les périodes des indépendances, les modèles de transport public se sont emballés dans la plupart des Etats en développement au cours de la période 1970-1980. Selon les différents schémas adoptés, on note une variété de modèles de transports urbains. Sur ce plan, les situations des transports urbains des agglomérations de Dakar et de Brazzaville apparaissent tout à fait similaires à celle de la ville d'Abidjan. D'abord, parce que dans ces trois capitales, on retrouve la même prétention au monopole de l'offre de l'Etat. Ensuite, les réponses apportées relèvent de principes identiques.

En effet, dans ces trois villes-capitales, les offres de transport urbain étaient caractérisées au départ par une option de monopole de sociétés publiques, mais avec le temps, elles ont toutes glissé vers un schéma de cohabitation, puis d'alternance, voire même de domination totale des offres dites informelles. À Abidjan, si la SOTRA subsiste toujours, on remarque toutefois que le secteur des transports urbains est largement dominé par le secteur privé dit informel qui représente environ plus de 65% du marché des offres de transports collectifs de la ville (AGETU 2007), (voir graphique suivant).

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Graphique 3 : Part des différents modes de transport à Yopougon

(Abidjan)

Source: AGETU-DEP/Service Etudes et Prospective, 2007

À mesure que l'économie des villes se dégrade sous les effets de la crise, les gbaka et les woro-woro pour Abidjan, les «foula-foula» et les «taxis 100-100» à Brazzaville, les «cars rapides» ou autres «ndiaga ndiaye» de Dakar qui avaient été interdits précédemment réapparaissent, se multiplient et se généralisent pour se positionner comme un transport de substitution sous l'égide des autorités officielles qui tentent de les organiser. À défaut de pouvoir apporter des réponses adéquates à la demande sociale de mobilité, les autorités publiques tolèrent les initiatives locales de mobilités, autrefois combattues.

En près de cinquante ans, la SOTRA (1960) à Abidjan, la RTS à Dakar (1962) et la RMTB (1963) à Brazzaville sont passées d'une situation de pure forme d'exclusion des modes hérités de la période coloniale à une situation de

99 Étude régionale sur l'organisation, le financement et la rentabilité des micro-entreprises de transport urbain en Afrique subsaharienne Tome IV: Le cas de Harare.

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cohabitation ou de domination des modes dits informels. On observe la même situation à Harare, au Zimbabwe avec la Zimbabwe United Passenger Company (ZUPCO). En effet, selon une étude de la Banque mondiale99, du temps de son monopole légal (avant 1988), la ZUPCO rentabilisait bien son contrat dans son périmètre de franchise. Mais après, elle a été fortement concurrencée par les nombreuses unités du secteur informel (les emergency taxis et les commuter buses), qui l'ont jetée dans une période de déclin (BM 2001). Pour ce qui est des villes comme Lima au Pérou, Cotonou au Bénin selon (Haeringer 1986; Noukpo and Agossou 2004), on parlera d'acceptation totale de l'initiative privée assortie d'une volonté de régulation de l'Etat à travers une affectation des itinéraires par une coopération/négociation. À Kinshasa au Congo, il y prévaut une situation de complémentarité de fait entre public et privé quand, à Santiago au Chili, on tend vers une situation de privatisation complète des transports urbains (Haeringer 1986).

À partir des exemples de ces quelques villes, on peut retenir que dans pratiquement toutes les villes-capitales, la nécessité urgente de mettre en place un système de transport public pour permettre le déplacement des populations, s'est manifestée souvent très tôt avec les indépendances. Les États s'étaient employés à créer des régies et sociétés paraétatiques de grands bus selon la définition moderne mais surtout occidentale du transport public. Mais le piège classique de la croissance démographique couplé à l'étalement urbain incontrôlé a fini par faire plonger la quasi-totalité de ces entreprises publiques de transport dans une léthargie totale. Nombre de sociétés formelles qui ont connu des moments de gloire ont disparu. C'est dans ces circonstances que le secteur dit informel traditionnel qui existait déjà, mais combattu ou négligé dès les indépendances par les autorités, prend de l'ampleur en complément ou en concurrent ou même en remplacement des services structurés formels. Aujourd'hui, ces modes de transport sont des réalités communes à toutes les villes-capitales du tiers-monde.

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Mais, la discrimination à ce niveau repose souvent sur la nature des moyens utilisés (véhicules motorisés, deux roues motorisées, transports non motorisés). La mesure du phénomène montre également des différences entre les villes, qu'il s'agisse de l'emprise spatiale du phénomène (transport urbain ou périurbain dans les métropoles d'Afrique, d'Amérique latine, en Asie du Sud-est) ou surtout des populations qui l'initient et le développent. C'est sur ce dernier point que nous déclinons notre analyse comparative dans le paragraphe suivant pour comprendre les similitudes et les différences entre les différents groupes d'entrepreneurs qui sont au coeur de la dynamique d'émergence de ces modes de transport dans les pays en développement. Sur ce plan, la place des Malinkés en Côte d'Ivoire et des Mourides du Sénégal, dans ces transports offre des perspectives d'analyse intéressantes pour comprendre l'apport des facteurs socio-culturels dans l'émergence des réponses alternatives de mobilité.

2.1.3 Les Malinkés de Côte d'Ivoire et les Mourides du Sénégal: une communauté de destin dans le transport?

La comparaison des contextes nationaux d'apparition des réponses alternatives de mobilité au Sénégal et en Côte d'Ivoire, montre l'existence de groupes d'entrepreneurs socio-culturels constitués qui ont investi dans l'activité: les Mourides au Sénégal et les Malinkés en Côte d'Ivoire. En effet, les études réalisées sur les transports alternatifs en Afrique montrent que les Mourides et les Malinkés sont deux groupes socio-culturels très dynamiques qui ont particulièrement investi le secteur des transports de leurs pays (Aka 1988; Copans 1988; Sané 1993; Dembélé 2002). Mais comment des formes de transport inspirées du mode de gestion traditionnelle africaine ont été introduites, intégrées et développées dans des espaces urbains et socio-économiques fonctionnant selon les lois capitalistes? Si les Mourides et les Malinkés ont investi largement dans le secteur des transports respectivement au Sénégal et en Côte d'Ivoire, l'ont-ils fait en tant qu'entrepreneur individuel, de surcroît Mouride ou Malinké, ou ont-ils joué de leurs réseaux culturels pour réussir dans ce secteur?

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Pour de nombreux auteurs, l'entreprise informelle doit son succès au respect de la culture et des valeurs sociales africaines. Pour les tenants de cette thèse (Agier 1984; Akindès 1991; Barbier 1992; Caillé 1994; De Soto 1994; Hernandez 1995), etc., la réussite de ces unités dépend avant tout de l'aptitude de leurs dirigeants, à savoir concilier préoccupations sociales et activités économiques. S'appuyant «sur son étude de l'accumulation de capital dans le secteur informel», Emile-Michel Hernandez, réalise que dans la capitale togolaise, les «nanas Benz» (riches commerçantes autochtones) et «les Maigida» (commerçants-patrons haussa) et autres Alhaji étrangers ou Kotokoli forment une classe supérieure disparate par laquelle passe toute la masse monétaire circulant dans l'ensemble du secteur informel et dont les membres détiennent un pouvoir de contrôle social sur les personnes qu'ils mettent au travail (Hernandez 1995). Dans la société traditionnelle africaine échanger un bien n'est pas simplement un acte économique mais représente aussi un acte social majeur. Selon (Barbier 1992), «l'informel», s'il constitue une réponse de survie, il semble aussi correspondre assez bien aux valeurs socio-culturelles africaines. Il permet l'épanouissement de valeurs culturelles autochtones. Il réside de ce fait davantage dans ses aspects culturels et intègre les pratiques religieuses, tolère les structures hiérarchiques variées, donne toute une valeur aux réseaux de parenté, de voisinage, s'appuie sur le principe du don et du contre don comme le témoigne dans ce passage Ives Fauré,

«D'un premier point de vue, les actes économiques n'ont pas de sens ou de valeur en eux-mêmes et pour eux-mêmes, leur compréhension n'est possible que s'ils sont reliés aux univers symboliques et aux croyances qui cimentent les groupes [...] Les actes économiques ne sont pas autonomes, ils ne sont pas un but en soi d'accomplissement des individus mais un simple moyen de reproduction et de participation aux normes et croyances du groupe. Si les études orientées dans ce sens sont trop nombreuses et diverses pour les regrouper commodément sous un même sceau scientifique et leur trouver un fondement conceptuel unique, il n'est pas exagéré de dire qu'un auteur comme Karl Polanyi est un de ceux qui ont le mieux formalisé cette situation caractérisée par une économie enchâssée dans l'ensemble des autres activités et relations sociales» (Polanyi1974 et 1983),cité par (Faure 1992-1993).

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2.1.4 Le transport urbain de personnes, un facteur structurant de la communauté Mouride

Les Mourides sont une communauté religieuse appartenant du point de vue identitaire au groupe ethnique Wolof. Ils sont caractérisés par un même système politico-économique et partagent les mêmes valeurs religieuses et se réfèrent tous à un homme: cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme. Selon (Sané 1993), les marchands Mourides, transporteurs partagent la même idéologie et défendent les mêmes valeurs. Ils font partie d'une «vaste association de coopération commerçante à base confessionnelle. Ils sont connus pour leur attachement aux principes fondamentaux de la confrérie, pour leur quête constante de l'agrément de Dieu par le respect scrupuleux des recommandations et ordres «Ndigël» du marabout (guide religieux) et l'attachement sans faille au culte du travail, considéré comme un principe sanctificateur de l'homme en général et du Talibé en particulier. Leur dynamisme, axé essentiellement sur la recherche de la félicité, passe par la bénédiction du maître spirituel appelé «Cheikh», «Serigne» ou encore marabout.

Le travail occupe une place toute particulière chez les Mourides. Il est considéré à la fois comme une prière, un instrument puissant de consolidation de la foi et d'élévation spirituelle qui pousse constamment le disciple à l'action pour la recherche forcenée de la réussite de ses projets dans ce bas monde et de son salut dans l'au-delà. Les Mourides profitent donc de toute opportunité pour la réalisation de ce double objectif matériel et spirituel. Ils constituent la confrérie la plus connue du Sénégal. Intimement liée à l'histoire du Sénégal, les Mourides ont toujours joué un rôle politique de premier plan dans tous les secteurs d'activités économique, sociale, culturelle, politique et notamment le transport des personnes et des marchandises du Sénégal (Sané 1993). La présence des Mourides dans le transport est donc très ancienne. Il s'agissait d'abord de commerçants et de

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marabouts issus des différentes confréries musulmanes100. Ils ont été les tous premiers autochtones à se constituer un parc automobile au Sénégal.

À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, sont apparues les premières entreprises de transport public pilotées par des autochtones. Les Mourides ont investi dans le transport collectif qui était resté pendant longtemps la chasse gardée des Européens et des Libano-Syriens. On leur attribue la naissance et le développement des réponses alternatives de transport collectif de Dakar (les cars rapides et les ndiaga ndiaye). Cars rapides est un terme générique qui désigne les minibus de plus de 30 places effectuant le transport collectif à Dakar. Apparus après la Seconde Guerre mondiale, ils ont été mis au goût du jour par les Mourides. Quant aux ndiaga ndiaye, ce sont des fourgonnettes de marque allemande Mercedes, destinées au transport de marchandises en Europe. Ils sont importés au Sénégal et transformés de manière artisanale pour en faire des cars et des minicars de transport collectif de 35 à 50 places. Ndiaga Ndiaye a été l'un des tous premiers transporteurs mourides à avoir introduit un nouveau service dans le transport collectif. Profitant d'une demande très forte, il a continué d'évoluer dans le transport interurbain, pour glisser dans le transport urbain de Dakar vers la fin des années 1970. Cette stratégie a été renforcée et officialisée de fait vers la fin des années 1980 avec le déclin progressif de la SOTRAC. Mais quel rapprochement avec les Malinkés de Côte d'Ivoire?

2.1.5 Les Malinkés de Côte d'Ivoire: une présence très ancienne dans le transport

Comme la situation des transports collectifs de la métropole sénégalaise, c'est aussi une communauté socioculturelle spécifique, les Malinkés, qui ont entrepris d'exploiter les premiers, la carence des transports publics formels dans la ville d'Abidjan. Les Malinkés sont de ce fait les innovateurs des nouvelles pratiques

100 En 1931 selon (Hazemann, 1992), le Gouverneur Général de l'AOF remarquait déjà que depuis quelques années, le goût des déplacements, en automobile particulièrement, s'est fortement développé chez les Sénégalais

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locales de déplacement. C'est de toute évidence que les termes «Gbaka» et «woro-woro»101 sont caractéristiques de la langue Malinké. Comme les Mourides, les Malinkés forment selon (Chauveau 1980), le groupe marchand autochtone le plus puissant, et se partagent le secteur tertiaire avec les Syro-Libanais et les sociétés européennes. Ils sont également à l'origine du fort développement, en Côte d'Ivoire, du transport de personnes interurbain ou régional, les taxis-brousse. Activité très rentable, le transport en commun attire aussi bien les petits épargnants propriétaires d'un camion que les grands commerçants à la tête parfois d'une véritable flotte de véhicules. Le secteur a connu un nouvel engouement dans les années 1970-1980 avec la généralisation des cars sur toutes les lignes de transport qui remplacent les taxis-brousse (Fauré 1992-1993). Les études de (Aka 1988; Dembélé 2002) leur attribuent la qualité de «Dioula transporteurs». De plus le secteur des transports reste toujours marqué par l'usage ostensible de noms Malinké sur les véhicules, notamment les gbaka. Il s'agit des noms tels que: «Wourou fatô» qui signifie chien enragé en Malinké. Ce terme désigne un type de minibus gbaka qui se détermine par son caractère réfractaire aux usages du code de la circulation routière en référence à son nom «chien enragé». «Nèguè» qui veut dire le fer en Malinké. Pour de nombreux chauffeurs, cette appellation est liée à la capacité de résistance du véhicule aux chocs de toute nature. Comme le fer est invulnérable à bien des égards, les gbaka «TOYOTA» et «ISUZU»102 qui affichent le nom «Nèguè» se dégraderaient difficilement en cas de choc selon les conducteurs. Une autre appellation est le terme «Massa» qui signifie «roi» en langue Malinké. Il est utilisé dans le secteur des transports pour désigner ce type de gbaka qui se distingue par sa forme quelque peu ovale et par sa rapidité sur les routes. Au départ, on rencontrait les massa, sur les lignes de desserte qui relient à Abidjan et l'intérieur et entre les grandes villes de façon générale. Mais depuis quelques temps, on constate un accroissement des massa dans le transport urbain abidjanais en raison de sa vitesse qui permet au chauffeur d'effectuer un nombre important de courses par jour, signe d'un bénéfice certain.

101 Le terme «gbaka» désigne en Malinké ce qui est en mauvais état. Quant l'expression «woro-woro», elle signifie «30 francs 30 francs », à l'époque le tarif du trajet. Actuellement, le coût du trajet varie entre 250 et 1000 francs CFA.

102 Ces marques japonaises sont beaucoup appréciées par les transporteurs du fait, selon eux de leur forte résistance aux chocs et son adaptation aux voiries parsemées de nids de poules.

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L'exemple des Mourides du Sénégal et des Malinkés de Côte d'Ivoire met en évidence l'existence de communautés autochtones structurées et dynamiques qui ont contribué à l'intégration et le développement des réponses alternatives de mobilité. À cet effet, on peut généraliser le constat qu'aucune société, aucun pays n'existe sans organiser ses différentes activités de transport selon les principes et la logique d'un certain ordre voulu ou imposé par l'héritage culturel. Les modes de transports alternatifs aux natures aussi variables que sont les cyclopousse du Vietnam, Kabu-kabu du Niger, Okada du Nigeria, Boda-boda (border to border) en Ouganda, Oléyia du Togo, Bendskin du Cameroun, foula-foula du Congo Brazza, Zemidjan du Bénin ou les grands taxis du Maroc, etc. qui fleurissent dans les villes-capitales d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine ne sont pas des transports nés ex nihilo et isolés. Ces modes de transport ne sont pas à séparer de l'ensemble des structures sociales, politiques et religieuses. Mais depuis la fin des années 1980, la crise qui affecte aussi bien les populations que le secteur des transports publics, a permis un plus grand replis d'individus précarisés vers ce secteur. Ainsi, d'un phénomène généralisé de spécialisation professionnelle en fonction de l'origine socio-culturelle, le jeu économique semble de plus en plus ouvert à toutes les couches sans distinction ethno-géographique

2.1.6 Des transports portés de plus en plus par des populations secouées par la crise

Dans les pays d'Afrique et d'ailleurs, le rajeunissement permanent de la population et la crise socio-économique ont induit depuis quelques décennies une transformation des comportements et des valeurs sociales (Faure 1992-1993).Cela a sans doute favorisé un brassage des populations, l'affaiblissement des attaches ethniques au profit de reflexes individuels de survie. La dynamique d'émergence des woro-woro dans la ville d'Abidjan pourrait être de cet ordre. Avec la crise économique, le secteur des transports et notamment l'activité des woro-woro a été l'un des secteurs de repli de toutes les couches urbaines secouées par la précarité. C'est ainsi que (Noukpo and Agossou 2004) expliquent le développement des

217

zemidjan comme un phénomène beaucoup plus lié à l'urbanisation, au problème de l'emploi, du transport, qu'à un génie entrepreneurial des Gungbe103. On doit donc évoquer avec prudence la thèse de la domination ethnique dans le transport. Le changement social affecte aussi ce terrain et fait que la tradition n'est plus tout à fait ce qu'elle était. D'un pays à un autre, les transports alternatifs enregistrent des transformations remarquables qui témoignent de la dynamique de ce secteur en le positionnant comme un transport d'avenir.

III Dynamiques différentielles des transports alternatifs dans les villes-capitales

La reconstitution de la trajectoire d'évolution des modes alternatifs de mobilité laisse entrevoir des similitudes et des différences entre les villes. Qu'il s'agisse de leur processus d'acceptation par l'Etat, de leur structuration dans l'espace ou de leur nature. Dans les villes des pays en développement, les modes de transport alternatifs ont évolué entre interdiction, tolérance et acceptation suivant les contextes urbain, démographique et socio-économique. À Abidjan, à Dakar, à Brazzaville, à Harare comme à Hô Chi Min Ville, l'application de la réglementation au profit de l'offre de l'Etat a provoqué l'exclusion des modes de transports hérités de la période coloniale sans pour autant les éliminer.

3.1 La dynamique d'évolution des transports alternatifs: un processus identique aux villes en développement?

Dans les villes des pays du tiers-monde, la trajectoire d'évolution des transports alternatifs se confond généralement avec celle de l'évolution de ces villes. Dans ces villes, faut-il le rappeler, c'est sous l'effet des phénomènes hautement structurant d'urbanisation et de crise socio-économique que ces modes de transport ont pu s'imposer graduellement comme des transports de substitution.

103 Un groupe ethnique au sud du Bénin

218

3.1.1 Des transports déterminés par les transformations permanentes des contextes nationaux

Si le développement des transports alternatifs est un phénomène commun à toutes les villes-capitales du tiers monde, on ne saurait parler dans l'absolu d'une similitude concernant leur trajectoire d'évolution, même si quelque fois, on retrouve des points communs entre certaines villes. À Abidjan, s'appuyant sur la prétendue nature rurale et artisanale de ces transports, l'idéologie post-coloniale a construit un système de transport basé sur le modèle de séparation des quartiers de la ville : les bus de la SOTRA et les taxis compteurs pour la ville officielle, les gbaka et les woro-woro pour les quartiers africains. Mais l'offre de la SOTRA qui était destinée à jouer ce rôle ; acheminer la main d'oeuvre, et notamment les fonctionnaires dans les administrations et à des tarifs préférentiels les élèves, les étudiants et les corps habillés est vite entrée dans des difficultés. Les conditions de déplacement se sont dégradées, même si aujourd'hui, l'on tente avec les bus express notamment, d'offrir des conditions relativement acceptables de mobilité. C'est ainsi que les transports autrefois combattus, se sont progressivement répandus sur les itinéraires de l'offre de l'Etat. En 1977, ce sont d'abord les Gbaka qui ont été autorisés à ravitailler les différents marchés de la ville d'Abidjan. Au même moment, les taxis collectifs ont retrouvé une nouvelle vigueur dans le périmètre urbain de Koumassi-Port-Bouët-Marcory en forte expansion démographique. Aussitôt, au cours des années 1980, dans les communes d'Abidjan, des services sont créés pour suivre les activités des taxis collectifs jugés utiles pour leur rôle fiscal. Dans le courant des années 1990, sous la pression de la crise socio-économique et des luttes de positionnement consécutives aux réformes de la décentralisation, des bretelles de rues sont aménagées, pour développer l'activité des taxis collectifs qui finissent par adopter des couleurs au niveau de chaque commune. La tentative d'éradication des ces transports dits informels semble alors achopper sur une difficulté structurelle. Aujourd'hui, presque 50 ans après l'adoption de la SOTRA comme mode de transport exclusif, on remarque que l'éradication des gbaka et des woro-woro relève d'une entreprise herculéenne.

219

De façon générale, ce sont l'accélération de la croissance urbaine, les mutations sociales et économiques des populations urbaines articulées au déficit des transports de l'offre des Etats qui remettent en question la conception post-coloniale des systèmes de transport. Elles en démontrent la fragilité évidente mais aussi l'inefficacité et le caractère inadéquat des modèles de transport de type occidental. Ainsi, l'analyse de la trajectoire d'évolution des offres alternatives de mobilité aboutit à Abidjan au constat d'une offre de transport en émergence. Toutefois, bien que utiles aux populations, ces transports souffrent encore de certaines formes de préjugés et de traitement qui les placent dans une situation d'incertitude concernant leur avenir. En effet, malgré l'évolution de la ville et les insuffisances avérées de l'offre publique formelle, le district et le gouvernement continuent toujours de menacer officiellement les woro-woro, notamment la variante intercommunale d'interdiction en référence à l'arrêté municipal de 1977104. De plus, de leur côté, les mairies pourtant considérées comme la tutelle institutionnelle des taxis collectifs et notamment des taxis communaux, ne songent toujours pas à leur apporter des aires réelles de stationnement. De façon générale à Abidjan, les taxis collectifs continuent comme du temps de leur première apparition en 1950, de squatter les espaces publics vacants au grand bénéfice des syndicats ou chefs de station autoproclamés. Faute d'interlocuteur fixe, ce sont ces entrepreneurs privés qui s'octroient le pouvoir de contrôle des transports alternatifs.

À Dakar, un certain nombre d'études aboutissent au même constat. Seulement, qu'à Abidjan, les mesures d'acceptation des transports alternatifs ont évolué entre tolérance et autorisation partielle105, au niveau de Dakar, l'Etat a plutôt opté pour la transformation de la qualité de l'offre des transports alternatifs en en faisant évoluer la catégorie des propriétaires. En effet, selon (Kane 1997; Lombard,

104 La SOTRA, parallèlement à une stratégie de diversification de son offre en direction des marchés urbains (taxis-bagages), obtient, des responsables de la ville d'Abidjan, la promulgation, le 02 mai 1977, d'un arrêté interdisant la partie la plus urbanisée de la ville aux gbaka et woro-woro. Actuellement, c'est cet arrêté que brandit le district d'Abidjan pour prélever des taxes de transport aux woro-woro.

105Seuls quelques gbaka ont d'abord été autorisés par la Ville d'Abidjan à desservir certains marchés de la ville en 1977.

220

Sakho et al. 2004), l'acceptation des transports alternatifs au Sénégal s'est faite par l'implication directe de l'Etat qui a cherché à moderniser l'activité. Cela a consisté à promouvoir un service de transport collectif privé performant qui puisse partager l'espace, en bonne intelligence, avec la SOTRAC.

3.1.2 Evolution des transports alternatifs à Yopougon: une trajectoire historique singulière?

Le processus d'évolution des transports alternatifs de la commune de Yopougon a été marqué par diverses phases caractérisées d'une part, par le déficit de l'offre de l'Etat, les transformations urbaines qui affectent la commune et les politiques mises en oeuvre pour encadrer ces transports.

Des transports révélés par la forte croissance

urbaine

Commune périphérique de la ville d'Abidjan, Yopougon n'était qu'un faubourg de 10000 habitants en 1970 répartis sur plus de 70 ha urbanisés (Diahou 1981). En 1975, la population est passée 99 000 habitants et l'espace urbanisé (1185 ha) a été multiplié par près de 17 en 6 ans suite à la création de nouveaux quartiers106. Selon le dernier recensement général de 1998, la population de Yopougon était de 688235 habitants. Faute de recensement récent de la population, les chiffres avancés tournent autour de 1 000 000 habitants sur les 4000 000 millions que compterait l'agglomération abidjanaise (Kouakou, Koné et al. 2010). Ces transformations rapides qui affectent la structure urbaine de Yopougon est un phénomène international qui touche quasiment toutes les villes d'Afrique et d'ailleurs dans le monde. Il est à l'origine de l'évolution des structures de transport et de l'émergence des initiatives alternatives de mobilité dans les grandes villes du monde. Ici à Yopougon, à Abidjan en Côte d'Ivoire, ce sont d'abord les gbaka qui ont été mobilisés comme réponse aux difficultés de mobilité

106 L'extension officielle d'Abidjan sur le plateau du Banco devait ainsi permettre une extension de l'offre de logement, autant destinée à une classe moyenne que le miracle ivoirien voyait en forte croissance qu'à des populations plus modestes à qui étaient proposés, sous le contrôle de l'État et sous certaines conditions 6, des logements économiques.

221

des populations. Ensuite, comme les gbaka ne suffisaient pas, il y a eu l'avènement des taxis collectifs.

L'évolution historique des transports alternatifs comme phénomène lié à la croissance rapide des villes-capitales s'observe également à Conakry en Guinée avec notamment l'histoire de deux communes de Matoto et de Ratoma. (Dubresson and Raison 1998), décrivent le développement de ces deux communes périphériques comme spontané et très rapide. Faut-il le rappeler, à Conakry, c'est sous l'effet des phénomènes d'urbanisation traduits par la croissance rapide et incontrôlé de Matoto et de Ratoma que se sont imposés graduellement les «Magbanas» et les taxis collectifs comme des transports de substitution à la SOGETRAG. En outre, à Conakry, à l'instar d'Abidjan, la structure de la ville est linéaire et la plupart des pôles d'activités est localisée dans la presqu'île de Kaloum ou à proximité comme ici au Plateau ou à Treichville. Ce sont les communes de Matoto et de Ratoma qui concentrent les deux tiers de la population de la capitale et constituent selon (Dubresson and Raison 1998), les axes de fortes demandes de mobilité de ces transports réduite de plus en plus aux minibus «Magbanas» et aux taxis collectifs. Au Sénégal, à Dakar, ce sont les extensions périphériques de Pikine et de Rufisque qui, concentrant à elles seules la majorité de la population favorisent le développement des initiatives alternatives de mobilité. Alors qu'elles sont moins pourvues en emploi en comparaison de Dakar, Pikine et Rufisque sont deux quartiers densément peuplés comme l'indique le tableau suivant.

Tableau 12: Estimation des évolutions croisées de la population et des emplois dans l'agglomération de Dakar

Années

Dakar

Pikine

Rufisque

1988

45,8 % (68,3 %)

41,5 % (24,8 %)

12,4 % (7%)

1993

42,4%(63,7%)

45,2%(29,1%)

13,8%(7,8%)

1998

39,5%(60,7%)

46,7%(30,5%)

13,8%(7,8%)

Source: (Godard 2002); Lecture du tableau: % population de l'agglomération % des emplois de l'agglomération.

80.

222

L'urbanisation accélérée de Dakar en périphérie est le moteur des transports alternatifs dans la mesure où l'augmentation incontrôlée des distances dans la ville augmente les besoins de déplacements motorisés. Plus de 70 % des habitants de Dakar qui vont en direction de Pikine et Rufisque se déplacent à bord des cars rapides et ndiaga ndiaye (Lombard, Sakho et al. 2004).

Au Cameroun, dans la ville de Douala, c'est la commune de Bonabéri, sur la rive droite du fleuve Wouri, qui désigne la figure de la désarticulation urbaine. Comme Yopougon, Bonabéri est caractérisée selon (Diaz Olvera, Plat et al. 2007) par une expansion urbaine rapide, une insuffisance des services. La commune de Bonabéri est dépendante du noyau central de la ville de Douala. Face au déficit de l'offre publique formelle, ce sont les moto-taxis ou bendskin107 qui permettent à une grande partie de la population de se rendre sur la rive opposée du fleuve pour leurs besoins de travail. Timides à leur début, ces modes de transport se sont multipliés et généralisés au fil des ans comme l'alternative majeure pour relier Bonabéri, quartier périphérique au centre ville.

Dans les quatre villes susmentionnées et dans beaucoup d'autres villes-capitales d'Afrique et d'ailleurs, les anciens noyaux urbains qui concentrent l'essentiel des emplois et des équipements urbains sont saturés et ne peuvent accueillir de nouvelles habitations. De nouveaux emplois se développent certes dans les extensions périphériques, mais ils sont loin de combler le déséquilibre entre le centre et la périphérie. Une étude du BENTD réalisée en 1998, rapporte qu'à Abidjan, 60% des emplois sont concentrés au sud de la ville (Plateau inclus), tandis que la population, elle, habite dans les quartiers nord (66%)108. La situation est similaire à Douala: une enquête socio-économique réalisée en 1987 estimait que plus de trois quarts des travailleurs des couronnes centrales n'y résidaient

107 Tiré du «pidgin», (anglais locale), «bendskin» désigne une danse traditionnelle de l'Ouest du Cameroun réputée pour la frénésie de son rythme et la position courbée des danseurs. Les premières marques de motos utilisées par les conducteurs, ayant le siège surélevé donnaient au passager transporté une position semblable à celle des danseurs de «bendskin». Aujourd'hui, ce mot désigne non plus seulement la moto au siège surélevé, mais toute l'activité.

108 De Dianous, S. (1998). "Abidjan, l'éléphant d'Afrique." Marchés Tropicaux (hors série): pp 1-

223

(Sahabana 2006). Pour (Adisa 1997), cette situation apparaît de manière symptomatique à Lagos, la plus grande métropole d'Afrique subsaharienne (12 à 15 millions d'habitants), la capitale économique du Nigeria

De manière générale, les observations tirées de l'évolution historique des transports alternatifs de Yopougon, montrent que c'est un phénomène général lié à la croissance rapide des villes. Ce qui conduit à une plus grande généralisation des déplacements sur des distances plus longues. Et en l'absence des offres publiques suffisantes, les déplacements s'effectuent en majorité par les transports alternatifs (Godard 2002). Or les grandes villes africaines laissent peu de marge en termes d'organisation de réseau de desserte. Nous devrions assister à une pression supplémentaire de la demande sur les axes actuels de desserte en transport collectif: augmentation des débits horaires et dégradation des conditions de déplacement. De plus, les liaisons centre /périphérie, en raison de la forte dissociation fonctionnelle de l'espace qui caractérise les capitales subsahariennes, concernent prioritairement des déplacements pour motif professionnel. Ce sont des déplacements générateurs de ressources pour les citadins africains et leurs ménages. Selon (Sahabana 2006), les revenus que ces derniers peuvent espérer dans les zones centrales sont meilleurs que ceux tirés des activités dans le «quartier». Les conditions de déplacements entre le centre et les périphéries touchent ainsi plus directement à la productivité des citadins et de la cité. Quand on sait le poids des grandes agglomérations subsahariennes dans la production nationale, on comprend d'autant plus la nécessité d'améliorer les conditions de déplacements sur les liaisons centre /périphérie. Mais la dynamique d'évolution des transports alternatifs, n'est pas seulement causée par les transformations urbaines qui affectent les villes du Sud, elle est aussi liée aux différentes politiques de transport mises en place.

224

Des offres de transport qui se sont

déplacées du front d'urbanisation aux quartiers centraux

Les lieux du transport des woro-woro à Yopougon comme ceux des cars rapides ou des ndiaye ndiaga de Pikine à Dakar ou des zemijan de la région du littéral à Cotonou ont changé en 30 ans. D'une offre concentrée dans les terminaux et arrêts publics réduits, les woro-woro ont connu une démultiplication des points d'accès. Des quartiers périphériques, ces transports ont étendu leurs réseaux de desserte aux quartiers centraux. Encouragée par la forte demande consécutive au déficit croissant de l'offre publique formelle, l'offre des taxis collectifs qui était jusque là circonscrite aux besoins internes des communes s'est transformée en offre urbaine. Au départ, il n'y avait pas de gare des woro-woro intercommunaux à Yopougon, mais depuis 1993-1996, ces taxis exercercent à partir d'une gare. Au niveau de la commune de Yopougon, on note aujourd'hui, l'existence de deux grandes têtes de stationnement des woro-woro intercommunaux en dehors de certaines autres qui se créent de manière sporadiques109. La première, la plus ancienne gare a été créée en 1993. Elle est située à la Sicogi, au «Lavage» dont elle porte également le nom. Elle est ainsi nommée, parce que, par le passé, l'espace était occupé par des de jeunes laveurs d'autos. L'autre, plus récente, créée en 2013 est située à SIPOREX, juste à côté de la gare de UTB. Alors que les bus de la SOTRA et les taxis compteurs ont un droit officiel d'exploitation sur l'ensemble de la ville, les taxis woro-woro intercommunaux ont un droit, plus tacite qu'officiel. Selon (Lombard 2006), leur maintien dépend du bon vouloir des collectivités décentralisées. À ce jour, ils se sont structurés en deux réseaux de desserte: un réseau spécifiquement communal et l'autre, axé sur la satisfaction des besoins d'ordre intercommunal. Comme à Yopougon, à Dakar, (Lombard, Sakho et al. 2004) parlent «des bas côtés et chaussées» qui se transforment en arrêts et terminaux de transport alternatif ou de «minibus sur le trottoir». L'émergence de ces transports dans les espaces publics de Dakar est telle qu'il a introduit un nouveau rapport à l'autorité, à la règle édictée et à l'espace public.

109 Grève dans les transports, évènement politique d'envergure nationale, etc.

225

«L'espace à Dakar appartient à ceux qui en usent et qu'en aucun cas son rôle et les règles de son utilisation sont prédéterminés par une quelconque autorité» (Lombard, Sakho et al. 2004).

D'une capitale à une autre, ou d'un quartier périphérique à un autre, les transports alternatifs en Afrique semblent se caractériser par la même dynamique d'évolution. C'est ainsi que l'histoire de l'évolution des woro-woro de Yopougon rappelle aussi celle des zemidjan des quartiers de Gbégamè, Koudougou, Fijrossè, Akpakpa et Ekpè de Cotonou. Au départ, comme les woro-woro de Yopougon à leur début, les zemijan étaient cantonnés. Ils devraient éviter les grands axes qui étaient la propriété des entreprises publiques de transport en commun (Régie des transports de Cotonou, Régie autonome des transports urbains de Cotonou, régies provinciales puis sociétés provinciales des transports, etc.). Mais depuis les débuts des années 1990, l'offre des zemijan a connu une forte emprise spatiale à l'image des woro-woro qui se sont transformés en transport urbain. Actuellement, les zemijan assurent 70 % des déplacements à Cotonou (Noukpo and Agossou 2004).

Une dynamique alimentée par la généralisation de l'«occasion»

Longtemps, délaissés, ignorés, tolérés, par les autorités publiques, peut-être plus d'ailleurs par le pouvoir central110 que par les collectivités décentralisées, les woro-woro à Abidjan, les ndiaye ndiaga de Dakar ou même les Oléyia de Lomé, ont fini par s'étoffer du fait de leur adaptation aux contextes nationaux et internationaux. L'un des supports essentiels des woro-woro à Abidjan est le fort recours aux véhicules d'occasion favorisé par les mesures de libéralisation de 1996-1997. Selon (Dianous 1998; Lejeal 1998), une bonne partie des véhicules du secteur des woro-woro proviendrait de la filière des véhicules appelés communément «France au revoir». Cela aurait, selon certaines sources occasionné

110 Il faut, y voir certainement une distance idéologique pour un phénomène considéré comme passager et marginal par rapport aux modes officiels couverts par la réglementation et encouragé par l'Etat. En Côte d'Ivoire, le président F. HOUPHOUËT-BOIGNY reste fermement opposé aux activités des transports dits informels symbole à ses yeux d'un recyclage stigmatisant pour la construction nationale. Il développe à cet effet une législation contraignante jusqu'à la fin des années 1980, assurant la défense de la SOTRA qu'il obligeait à toujours offrir tous les avantages sociaux (gratuité pour les étudiants, corps habillés etc.), malgré les difficultés économiques de l'entreprise.

226

la diffusion des marques japonaises au détriment des marques française telle que Renault Peugeot et Citroën111. Ce qui n'était pas le cas, il y a quelques années comme l'indique le tableau suivant.

Tableau 13: Synthèse sur les immatriculations en 1997 en Côte

d'Ivoire

Le marché vu de la Côte d'Ivoire

Type de véhicules

Ventes cumulées sur la période

09/96 à 12/97

Parts de marché Du constructeur leader

Part de marché du Pays leader

Véhicules particuliers 4×4

Taxis

Pick up

Fourgonnettes Camions (PTR3,5t) Camions PTR 3,5 t)

Minibus (9 à 22 places)
Cars (+ 22places

3968 810 343 1641 741 111 1573 562 292

30% Peugeot 26% Mitsubishi

30 %Kia

28 % Mitsubishi 17 % Opel et Fiat 71 % Peugeot

29 % Kia

37 % Isuzu

28 % Mercedes

41% (France) 79% (Japon) 37 % (japon) 83 %( japon) 29 % (France) 71% (France) 68 % (japon) 89 % (japon) 46 % (japon)

Total

10059

15 % Peugeot

51 % japon

Source: (Lejeal 1998), marchés tropicaux, octobre 1998 p 2086

Sur ce point de l'apport des nouvelles marques, notre thèse rejoint celles développées par (Noukpo and Agossou 2004; Diaz Olvera, Plat et al. 2007) à propos des taxis motos de Cotonou et de Douala. Selon ces auteurs, le développement de ces transports a été facilité par l'introduction le plus souvent de véhicules d'occasion en provenance du Nigeria, d'Europe, du Japon et plus récemment de Chine et de l'existence sur place d'unités de fabrication ou de montage. À cela, il faut ajouter la disponibilité du carburant. Le carburant est soit directement disponible dans les pays producteurs, soit importé de manière légale ou frauduleuse. Là encore le Nigeria jouerait selon ces auteurs un rôle important dans la promotion de ces taxis-motos. À ces différents facteurs qui favorisent le développement des transports alternatifs, il faut ajouter l'attitude des autorités qui cherchent à les contrôler. Les woro-woro de Yopougon, par exemple à leur

111 Selon certains conducteurs de woro-woro, il est très difficile de trouver une pièce mécanique des marques telles que Peugeot et Citroën sur les marchés des pièces-auto d'occasion.

227

parution 1972, étaient quasiment ignorés et tolérés par les autorités comme le mentionnent les propos suivant de cet ancien chauffeur.

«Dans les années 1974, de la gare à l'habitat, le transport était à 25f. Il y avait mon vieux qui avait deux voitures dont une R4 et c'est moi qui lavais ça. Quand il partait au village, je prenais la R4 je faisais le taxi. Les gens payaient 25 F et il n'y avait pas affaire de couleur. Ce n'était pas de couleur rouge mais je faisais ça et les gens montaient. C'est après, on a demandé à tous ceux qui font le taxi d'aller à Adjamé pour les papiers112.» K. Armand (05-4-2012).

Progressivement, les autorités ont mis en place un ensemble, de procédures pour les contrôler et les suivre. Notons par exemple, qu'au départ, les woro-woro n'avaient pas de couleur unique et l'on ne leur exigeait pas d'antenne lumineuse, de couleur, de macaron, etc. Tout se faisait spontanément et sans grandes prescriptions en dehors de quelques frais généraux communs à tout le secteur des transports. Il faut attendre au détour des années 1980, 1990, 1994 et 1996, considérées comme des moments ultimes de l'évolution des woro-woro, pour voir ces transports faire l'objet de diverses réglementations. Couleur des taxis à l'intérieur des communes, l'imposition de macarons et d'antennes. Schématiquement pour la seule ville d'Abidjan ce sont

Tableau 14 : Répartition des couleurs des taxis communaux

d'Abidjan

Commune

Couleur

Abobo

Beige

Adjamé

Vert gari

Attécoubé

Vert avec une bande blanche

Cocody

Jaune panama

Koumassi

Vert

Marcory

Bleu avec une bande blanche

Port-Bouët

Jaune mariolle, bande bleue marine et baguette au niveau de la caisse

Yopougon

Bleu

Source: AGETU, évaluation récente de la mobilité urbaine dans le grand Abidjan, 2008

112 Yopougon, dépendait de la sous-préfecture de Dabou, mais était rattachée à la mairie d'Adjamé.

228

Cette tendance observée dans l'évolution des woro-woro de Yopougon particulièrement et en général d'Abidjan, se retrouve également au niveau des zemijan de Cotonou et les bendskin de Douala. Mais à la différence de Yopougon (Abidjan) où l'évolution des taxis communaux a été marquée par la couleur, le port d'antenne lumineuse et de macaron, etc., à Cotonou et à Douala les moto-taxis ont été obligés par les autorités à l'incorporation d'une variété de dispositions. En effet, lors de l'apparition des premiers motos-taxis, l'entrée dans le métier ne nécessitait ni l'immatriculation de l'engin, ni la possession d'un permis de conduire ou même d'un casque. Puisque dans un premier temps, ces transports étaient ignorés, et tolérés parce qu'on les considérait comme un mode de transport temporaire. Mais, le poids des motos-taxis dans le transport public a progressivement amené les autorités à mieux les prendre en compte. La concurrence que fait peser le moto-taxi sur les autres opérateurs, la force politique représentée par leur nombre113 et les externalités négatives induites, ont provoqué progressivement des réactions de «diabolisation» et de répression des autorités publiques à l'égard de ces transports. Aujourd'hui, l'existence de ce mode de transport intègre l'usage de port de casque, de couleur du véhicule, d'itinéraires, etc. même s'il existe toujours un décalage entre le contenu et l'application des décrets et arrêtés contrôlant la profession.

À ces facteurs liés à la nature des véhicules, ont peut aussi ajouter le contexte institutionnel. À Yopougon (Abidjan), à Dakar, à Cotonou ou à Durban comme dans beaucoup d'autres communes des capitales du tiers monde, les transports alternatifs ont évolué au gré des réglementations et des contextes sociopolitiques. Cependant, en comparaison de l'expérience de Dakaroise où l'Etat a favorisé explicitement la montée de ces types de transport114, Abidjan apparaît particulier

113 Mouvements de grèves de nature à provoquer la paralysie de la ville.

114En 1982, l'Etat organise ainsi une opération visant à professionnaliser la gestion et l'organisation des cars rapides, en facilitant la création de nouvelles entreprises par des étudiants diplômés de maîtrise. De plus, lors de la crise syndicale qui a vu le jour dans ces années 1990, l'Etat a explicitement soutenu la division au sein des syndicats en favorisant la création de deux autres fédérations dont une dirigée par un homme lige du parti au pouvoir. Celui-ci est remercié au moment des consultations électorales par le milieu des transports, les dirigeants syndicaux donnant des consignes de vote favorables aux candidats du parti au pouvoir.

229

dans la mesure où ce sont les collectivités locales qui profitent le plus du dynamique des woro-woro comme l'écrit ici à ce propos Jérôme lombard:

«À Abidjan, les accords qui lient syndicats de transporteurs et mairies ne sont pas plus transparents. Les sites de chargement et de déchargement des voyageurs sont ainsi installés dans les périmètres communaux au gré des ententes avec les professionnels, devenus omnipotents. Parfois, avec l'accord des mairies qui voient là un moyen de régler à moindres frais le problème d'un quartier, certains trottoirs et esplanades où attendent des taxis sont placés sous le contrôle de jeunes qui instaurent une sorte de racket qui ne dit pas son nom. L'espace urbain semble être découpé en petits territoires que la décentralisation renforce dans leur existence. Chaque échelon territorial souhaite intervenir au niveau qui n'est pas le sien et parfois outrepasse ses droits» (Lombard 2006).

D'après la réglementation, ce sont les autobus de la SOTRA et les taxis compteurs qui sont les seuls moyens de transport autorisés à circuler sur le périmètre urbain d'Abidjan. Mais, pour compenser les effets de cette décision, les gbaka ont été rejetés sur le suburbain et en direction des villages Ebrié, les taxis collectifs woro-woro ont été confinés dans des périmètres urbains biens définis. Ces mesures toujours en vigueur dans les textes, obligeaient les habitants de Yopougon se déplaçant régulièrement vers le sud d'Abidjan à subir la limitation des alternatives en termes d'offre, une rupture de charge supplémentaire et l'augmentation du coût et de la durée de déplacement. Nombreux sont ceux qui ont dû aménager leurs activités et leurs déplacements quotidiens (possibilité d'une restauration sur les lieux de travail (Akindès 1991). La situation extrême étant le repli ou la recherche de logement à Vridi, à Koumassi, où l'offre de services urbains et les possibilités d'emploi sont plus intéressantes (Diahou 1981; Diahou 1985; Bonnassieux 1987). En ce qui concerne l'offre de transport, tandis que l'interdiction de circulation sur l'espace urbain a été appliquée strictement aux gbaka et les taxis collectifs woro-woro dans la ville d'Abidjan, d'autres opérateurs de transport ont pu développer leurs activités notamment dans les communes de Koumassi-Marcory et Port Bouët

230

du fait d'un cadre réglementaire ambigu et une permissivité des contrôles routiers115.

En l'absence d'un cadre organisationnel efficace du transport urbain, le respect d'une telle mesure s'avère compliqué et passe par une forte mobilisation des agents publics et privés dans les communes. La mise en oeuvre de la réglementation sur le transport à la faveur des réaménagements liés aux lois de la décentralisation a mis en lumière de nombreuses carences dans l'encadrement, l'organisation et la réglementation des transports urbains. Le cadre institutionnel des transports urbains est caractérisé par une multiplicité d'intervenants, avec des responsabilités pas toujours bien identifiées, et une absence de coordination. La mise au point des mesures de restriction de circulation en faveur des quartiers spécifiques et leur application ont ainsi nécessité la réaction des maires à la faveur de la décentralisation qui ont fini par délivrer des autorisations de stationnement116. Dans le domaine des transports comme dans beaucoup d'autres, les interventions institutionnelles souffrent d'une approche bureaucratique et fiscale. Les situations d'incertitude comme le contexte de décentralisation et de libéralisation mettent en lumière les défaillances des acteurs responsables de la gestion urbaine.

Sur ce point, il y a une similitude dans l'évolution des woro-woro intercommunaux de Yopougon et l'accroissement des offres des taxis motos et des taxis clandestins de l'arrondissement de Bonabéri à Douala, au Cameroun. Selon Diaz Olvera Lourdes et Sahabana Maïdadi117, l'émergence des taxis motos et des

115 La formulation de l'article 74 de la loi relative à la police routière instaure la confusion et entraîne le développement des taxis collectifs woro-woro dans d'autres communes. En effet, la loi dit que «le maire a la police des routes à l'intérieur du périmètre communal dans les limites des règlements en matière de circulation routière». Ensuite, cette même loi ajoute que «il peut, contre paiement de droit fixés par la Conseil Municipal, délivrer les permis de stationnement». L'interprétation, cet article amène les maires à délivrer des autorisations de transports sans se poser la question de savoir si la ligne exploitée est communale ou intercommunale. Il se crée alors une incompréhension entre les autorités chargées d'encadrer des transports urbains. La généralisation de ces pratiques délivre les gbaka et les woro-woro du carcan de la réglementation de 1977 en les poussant à investir les lignes insuffisamment desservies par les bus de la SOTRA et à concurrencer les taxis compteurs.

116 Loi n°85-578 du 10-08-95

117 SITRASS (2005), Restriction de la circulation des transports collectifs urbains sur le Pont du Wouri: impacts sur les populations. Etude pour le compte de la Communauté Urbaine de Douala, Lyon, 111 p.

118 Société camerounaise de transport urbain, détenue par des investisseurs privés camerounais, a commencé ses activités en janvier 2001.

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taxis clandestins entre Bonabéri et Douala proviendrait des incompréhensions provoquées par la mise en oeuvre des mesures de restriction de la circulation lors de la réhabilitation du pont sur le fleuve Wouri qui sépare Bonabéri de Douala. La restriction de circulation visait à alléger le trafic sur le pont pour faciliter les travaux de réhabilitation. Mais sans concertation préalable avec les autorités correspondantes et sans étude d'évaluation des impacts sur l'offre comme sur la demande de transport, les mesures ont été appliquées dans l'urgence. Or le cadre institutionnel des transports urbains de Douala est caractérisé par une multiplicité d'intervenants, avec des responsabilités pas toujours bien identifiées. Aussi, la mobilisation des forces de police n'a-t-elle pas suffi à contrer le développement du transport clandestin. Ce dernier représente 10% des déplacements entre les deux rives du Wouri entre 6h00 et 21h00, plus que les lignes régulières de la SOCATUR118. Si leur présence s'explique, comme nous l'avons dit plus loin, par les insuffisances de l'offre «légale», elle a été aussi favorisée par le dysfonctionnement observé dans la politique de mobilité urbaine censée faire respecter la réglementation. (Lombard, Sakho et al. 2004) ont fait le même constat au sujet du développement des taxis collectifs entre Dakar et Pikine (Sénégal). Les taxis collectifs entre ces deux quartiers et Dakar se sont particulièrement développés à partir de 1982 quand l'Etat a pris la décision de les reconnaître comme transport collectif de banlieue. Cette situation a provoqué la résurgence du phénomène. C'est ainsi que la desserte des taxis collectifs qui était jusque-là contenue dans ces périphéries s'est subitement transformée en desserte banlieue/centre-ville. Aujourd'hui ces taxis collectifs assurent plus du tiers (31,5%) de la part de marché des taxis (EMTSU, 2000).

Un certain nombre d'éléments relevés dans les villes subsahariennes se retrouvent aussi dans les villes du nord de l'Afrique, où l'Etat est historiquement très fort mais où l'on rencontre des situations très variables selon les villes (Godard 2003). Alger dans la capitale algérienne, l'importance croissant des minibus et des fourgonnettes est identifiée comme le résultat d'un processus lent de décentralisation, avec des projets d'autorité organisatrice qui n'ont pas pu aboutir.

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C'est sensiblement dans ces mêmes termes que (Tellier 2005) aborde l'émergence des grands taxis dans la mobilité des populations de Casablanca. Bien que n'étant pas appréciés par les autorités publiques, ces transports connaissent un succès éclatant non seulement à cause du flou qui entoure l'acquisition des agréments119, mais aussi du fait de la pluralité d'acteurs impliqués autour des agréments.

Ces exemples démontrent que la mise au point de dispositifs durables de gestion et de contrôle des transports alternatifs exige, au-delà des cadres législatifs et réglementaires, des projets politiques locaux partagés qui transcendent les antagonismes sociaux. En l'absence de tels arrangements sociopolitiques, ce sont les groupes d'entrepreneurs privés qui se substituent aux autorités institutionnelles en charge des questions des transports dans les villes.

Des transports influencés par le «savoir-faire» des entrepreneurs privés

Dans son texte Les sociétés africaines face à l'Etat, Jean-François Bayart a pu souligner le contraste entre l'ambition totalisante de l'Etat et ce qu'il appelle «la revanche de la société civile». C'est dans cette approche dialectique de la relation entre État et société que nous trouverons la clé de l'explication des différentes stratégies déployées par les entrepreneurs privés du transport pour prendre part au processus urbain. En effet, dans un secteur atomisé, caractérisé par une forte prise de risque mais d'une rentabilité immédiate, les entrepreneurs syndicaux, se sont érigés en maître de jeu permanent entre les investisseurs entrant dans le secteur, les usagers et les acteurs institutionnels. S'ils affichent un double statut de défenseurs de droits des transporteurs et de maintien d'ordre dans les gares, dans les faits, ces entrepreneurs semblent davantage intéressés par les gains que

119 Ici l'agrément est l'équivalent d'une autorisation de transport ou d'une carte de stationnement. À Casablanca, en théorie, le mode d'attribution des agréments de taxi a un double objectif : d'une part, mettre à la disposition des personnes un service public de transport et d'autre part, «permettre à une catégorie de citoyens économiquement faibles ou ayant une situation sociale précaire, de bénéficier d'une aide de l'administration. Un agrément est donc un privilège nominatif et présenté comme un don gratuit ou un soutien de l'Etat à des personnes démunies. Mais en raison de l'instruction des demandes par les fonctionnaires et de l'arbitraire des décisions de la Commission nationale des transports, l'appui d'un cacique reste la condition officieuse pour bénéficier d'un agrément de taxi.

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rapporte l'activité que par la gestion d'un secteur. C'est ainsi que ces entrepreneurs refusent d'aménager dans la nouvelle gare ultramoderne, sise au quartier Andokoi Kouté à Abobo comme l'indique cet extrait de Frat. Mat.

À la une: «transport urbain, les «gnambro» font la loi Partisans de l'anarchie

Le conseil municipal d'Abobo a décidé d'offrir aux transporteurs de la commune, une gare ultramoderne. C'est au quartier Andokoi-Kouté qu'a vu le jour cette gare qui offre toutes les commodités aux transporteurs. Le 21 août dernier, lorsque les autorités municipales ont voulu déguerpir les occupants de l'ancien site au profit du nouveau, elles se sont heurtées à des résistances farouches. Il s'en est suivi des échauffourées entraînant la fermeture des locaux de la mairie et quelques blessés. Syndicalistes, chauffeurs, chargeurs et «gnambro» ont d'une même voix, opposé un niet [...] pour Diaby Mamadou, membre du collectif des transporteurs d'Abobo, les places coûtent chères à la nouvelle gare d'Andokoi Kouté et celle-ci ne permet pas aux chargeurs et «gnambro» de gagner leur pain. Bamba Drissa, chauffeur, estime pour sa part que quitter l'ancienne gare est un danger pour la population. Dans la mesure où les milliers de chargeurs au nombre desquels des ex-combattants se retrouveront sans activité. Dans le milieu des chauffeurs, syndicalistes et chargeurs, l'on est sur ses gardes, avec un mot d'ordre clair: si on nous déguerpit de cette gare, on brûle la maire».

Frat Mat du jeudi 13 septembre 2012, p4

De pareilles situations qui se répètent un peu partout à Abidjan sont à l'origine de la création de multiples gares sur les voies publiques avec leur lot de fréquentes bagarres entre syndicats rivaux. Ni les autorités municipales, ni mêmes les ministères en chargent de la question des transports urbains n'arrivent à y mettre de l'ordre. Pourtant, le développement des woro-woro et plus précisément la démultiplication des gares se matérialisent dans une partie des voies de circulation ou des espaces

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publiques. De plus, les espaces où s'exercent ces activités de transports sont gérés prioritairement par des acteurs répondant à des logiques organisationnelles différentes le plus souvent de celles des acteurs officiels de la ville. Certes, selon (Lefèvre 2001), réguler n'est pas gouverner. Cependant, on peut s'interroger sur la capacité réelle de nombre des autorités urbaines à mettre en oeuvre un projet de transport qui ne concèdent pas forcément les premiers rôles à ces nouveaux pôles de pouvoir émergents au sein de la société civile. En théorie, la compétence en matière des transports urbains découlant de la loi de 1980 et complétée par les lois modificatives de 1995 et de 2000 précise qu'à Abidjan, ce sont les communes et la ville qui disposent de cette prérogative pour les deux types de taxis, la DTT (actuellement la SONATT, Société Nationale des Transports Terrestres) s'occupant des minibus et L'AGETU, chargée de donner les autorisations des transports urbains. Mais en réalité, les autorisations de transport accordées par ces institutions ne permettent pas à elles seules de mettre un véhicule de transport dans la circulation. Puisque, le contrôle spatial, les règles et les modalités de fonctionnement, la définition du réseau de desserte sont du domaine des syndicats organisés en collectifs120 sur des sites bien identifiés. Ils contrôlent les entrées sur les lignes par un péage lourd. Aussi, les «clandos» débordent-ils délibérément sur d'autres espaces communaux grâce à l'accord des syndicats tacitement soutenus par les communes par les taxes et par les péages. C'est dans cette même logique que (Lombard, Bruez et al. 2004) situent le développement des taxis collectifs et des ndiaye ndiaga de Dakar. Dans la capitale sénégalaise, les rapports entre les syndicats et les autorités compétentes en matière de transport sont en revanche beaucoup plus avancés malgré la forte implication de grands transporteurs mourides121.

Aujourd'hui, contrairement à Abidjan et notamment à Yopougon où l'auto organisation est très forte, à Dakar, c'est l'Etat qui est directement impliqué dans la restructuration du milieu des syndicats. Organisés en Groupement d'Intérêt Economique (GIE), il est de plus en plus question de leur concéder l'exploitation de certaines lignes de transport en commun. C'est l'émergence composite de ces

120 Pour mieux contrôler, les syndicats ont instauré des systèmes de rotation qui permettent à chaque syndicat d'avoir son jour de vente effective de ses tickets et de prélever des taxes.

121 Ceux-ci jouent le rôle d'intermédiaire entre le GIE (Groupement d'Intérêt Economique) et les acteurs institutionnels de Dakar.

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différents groupes d'acteurs autour de ces transports qui est au coeur de leur organisation dans les différents pays et qui fonde la spécificité dans l'organisation de ces transports dans les Etats.

IV Comment sont organisés les transports alternatifs dans les villes capitales?

Dans les villes en développement, le déficit de l'offre de transport public a laissé le champ libre aux transports privés qui assurent dans des schémas variables, des rôles clés dans l'absorption de la demande sociale de mobilité. À Abidjan, à Dakar, à Durban, à Alger, à Cotonou, etc. presque toutes les grandes agglomérations ont développé un transport de ce genre en dehors des programmes officiels. L'importance croissante de ces transports dans la mobilité montre que ce n'est plus un fait à démontrer. Ces transports sont revendiqués haut et fort comme la seule solution capable de sortir les grandes villes du Sud des problèmes de mobilité. Seraient-ils pour autant la panacée? Certainement non, car en même temps qu'ils sont utiles socialement au grand public (souplesse dans les prix et les dessertes, service porte à porte, longue durée de travail, etc.), ces transports sont l'objet de qualificatifs de tout genre (automobile polluant, occupation anarchique de la rue, indiscipline des chauffeurs, concurrence déloyale au transport officiel, etc.) qui menacent leur pérennité. En définitive, sont-ce ces transports qui sont mis en cause ou les logiques qui les organisent (celles des groupes d'acteurs qui les initient, qui les encadrent ou qui tentent de les contrôler)? Dans ce chapitre, nous démontrons que les différentes formes sous lesquelles se présentent ces transports sont le résultat des ajustements et compromis que les acteurs impliqués dans le contrôle et l'organisation de ces transports trouvent entre eux.

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4.1 Des transports au centre d'enjeux
multiples

Depuis la fin des années 1990, la question de l'organisation des transports alternatifs est au coeur des préoccupations des pouvoirs publics dans les pays du Sud et notamment en Afrique. À ce sujet, on peut faire référence en Côte d'Ivoire à la loi n°95-349 du 03-08-95122. Au plan africain, on peut citer le programme SSATP (Sub Saharian African Transport Program) lancé par la Banque mondiale à la fin des années 1980 dans lequel le transport privé est dorénavant pris en compte et avec lequel il faut composer. Pour autant, le risque de l'incertitude est toujours présent d'autant plus que l'évolution des lois a compliqué les interventions dans ce secteur des transports en introduisant des rapports de forces, des négociations, des enjeux de pouvoir, des compétitions entre différentes institutions et acteurs aux échelles différentes. Les règles, les procédures, les circuits et modalités de décision, etc. s'inscrivent aussi dans des rapports plus ou moins conflictuels entre les pouvoirs publics, les collectivités territoriales et les groupes d'entrepreneurs privés. Dans la ville d'Abidjan par exemple, l'organisation des taxis collectifs en général et singulièrement, les woro-woro intercommunaux n'échappe pas à ce type de situations comme on peut le constater dans l'encadré suivant.

122 Loi relative à l'organisation des transports urbains d'Abidjan

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Tableau 15 : Répartition des rôles entre les différents acteurs dans le schéma d'organisation des woro-woro intercommunaux

Acteurs

Rôle

Etat ou ses Représentants

Contrôle de routine (police, vignette)

Mairie

Perception de la taxe de stationnement (non officielle), soutient parfois explicitement ou indirectement la mise en circulation des woro-woro

District

Taxe ou laissez-passer (non officiel), soutient tacitement ce type de transport

Syndicats

Prise d'initiatives, contrôle et perception directe de taxe, localisation de gare en accord avec la mairie ou le district ou avec certains des agents des collectivités.

Comités de Quartiers

Prise d'initiatives, contrôle et perception de taxe en accord avec certains agents des collectivités (mairie, district)

Propriétaire de véhicule (activité occasionnelle)

Prise de risque, il transforme son véhicule familial en véhicule de Transport sans autorisation (achat de conscience des agents commis pour le contrôle, collaboration avec les différents groupes de syndicats). But: rendre service, gagner un peu d'argent pour l'achat de carburant

Professionnel (activité Permanente)

Prise de risque, un véhicule familial ou taxi compteur transformé en woro-woro

Usagers

Prise d'initiative, incitation au covoiturage payant en cas de pénurie de transport dans les transports publics (grève, événement politique ou sportif de grande ampleur),

Source : nos entretiens

La montée en puissance des woro-woro intercommunaux s'effectue dans un contexte institutionnel non stabilisé. Si la ville d'Abidjan, actuel district existe depuis presque une cinquantaine d'années en Côte d'Ivoire, les mairies et leurs agences techniques n'existent que depuis 1980. De plus, les récentes lois de décentralisation de 1995 et de 2000 ont ouvert un espace de négociation des rôles

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entre les différents ordres de collectivités locales et les services déconcentrés de l'État, alors même que des évolutions se déroulaient au niveau des transports publics et la société civile123. Les woro-woro et leur mode d'organisation reflètent donc les nouvelles relations qui s'établissent entre des populations précarisées et leurs institutions marquées par des évolutions socio-économiques et politiques qui les contraignent à des ajustements permanents124.

4.1.1 Caractéristiques générales des transports alternatifs

Les transports alternatifs ont envahi les espaces publics des villes africaines depuis plusieurs décennies. Leurs activités font vivre dans chaque pays des dizaines de milliers de personnes en quête d'emploi et fournissent des déplacements bon marché aux populations. Certes, les figures de cette mobilité sont variables selon les contextes urbains et leurs dynamiques, mais ce qui semble se généraliser dans de nombreuses villes, c'est le caractère massif de ces transports. À Abidjan, à Dakar, à Harare, à Lomé, à Cotonou et dans une moindre mesure à Alger et à Casablanca, comme dans beaucoup d'autres pays du Sud, certains observateurs n'ont pas hésité à qualifier cela d'occupation «désordonnée» des rues et des espaces publics (Adoléhoumé 2001; SITRASS 2007). Ces constats sur les transports alternatifs reposent toutefois sur un ensemble de traits communs qui peuvent se résumer selon (BM 2001; Godard 2002; Plat 2003; Noukpo and Agossou 2004; Diaz Olvera, Plat et al. 2007; Kassi 2007; Capo 2008) à peu près comme suit:

- un secteur atomisé avec des opérateurs de toutes tailles rendant difficile l'organisation professionnelle de l'activité.

123 Chute des effectifs des autobus roulant de la SOTRA, crise, ajustement, réduction du pouvoir d'achat des populations, contestations sociales et promotion de l'initiative individuelle et collective.

124 Pendant les campagnes électorales, les candidats promettent parfois d'aider les jeunes à travers la subvention des permis de conduire. Il est de ce fait très difficile à élu d'empêcher une occupation anarchique de la rue, mode d'exerce de l'activité pour laquelle il a subventionné les permis au risque de chasser ses électeurs potentiels.

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- des chauffeurs obligés de travailler dans des conditions de sécurité précaires étant donné la concurrence souvent destructrice qui tire vers le bas les conditions d'exploitation des véhicules.

- l'absence de capacités d'expertise et de volonté politique des pouvoirs publics à l'endroit du secteur.

- le détournement de la réglementation.

- une occupation anarchique des espaces publics.

Ces traits caractéristiques qui résultent de la répartition spatiale des lieux structurants de l'urbanité et de la demande, entraîne aussi selon les villes le recours à plusieurs types de véhicules: minibus, taxis collectifs, taxis-motos, pour ne citer que les plus répandus. L'enjeu est de concevoir et de réaliser sur des axes structurants, des dessertes plus locales ou de rabattement sur les grands axes. Ainsi à Abidjan, ces transports suivent l'extension du tissu urbain et le rayon accru des déplacements. Les taxis collectifs particulièrement sont organisés suivant deux réseaux (un réseau interne et un réseau externe). Le premier groupe de taxis collectifs dits taxis communaux, circulent à l'intérieur du périmètre communal à la recherche de clients postés aux abords des routes (mode de rotation), ou organisent la desserte à partir d'un point fixe ou d'une gare. Le second réseau est composé d'un ensemble de lignes de longue distance, assurant des dessertes entre les communes sur des axes à fort trafic et s'effectue dans le sens nord-sud (quartiers résidentiels-zones d'emplois). Comme à Abidjan, à Dakar selon (Lombard, Sakho et al. 2004), c'est aussi la logique linéaire du réseau de transport des cars rapides dit transport artisanal qui l'emporte sur tout autre organisation spatiale. Les sites sont concentrés sur les grands axes routiers en provenance du nord et du nord-est de la capitale (les villes de Pikine et Guédiawaye) qui convergent vers le sud-ouest de la presqu'île (Dakar et quartier du Plateau). La répartition des arrêts de minibus montre un fonctionnement différent selon le type de véhicules. Les arrêts de ndiaga ndiaye sont situés sur les axes routiers majeurs alors que ceux des cars rapides, tout en respectant la logique d'axe, sont implantés sur les boulevards et avenues secondaires, à proximité des quartiers d'habitations (Pikine, Parcelles Assainies ou Grand Dakar). Les ndiaga ndiaye sont présents dans l'agglomération depuis moins de dix ans et ont démarré

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sur le réseau de desserte banlieue/centre. De ce point de vue, ils peuvent être assimilés aux woro-woro intercommunaux dans l'agglomération abidjanaise dont les arrêts sont distants les uns des autres de plusieurs kilomètres. Plus rapide, ils transportent les passagers d'un point à l'autre du territoire de l'agglomération, des zones périphériques vers le Plateau (Dakar) comme ici à Abidjan avec la commune de Plateau.

On retrouve sensiblement ce même schéma de fonctionnement des woro-woro à Cotonou, à Douala et même à Lomé avec les taxis-motos ou zemijan (Cotonou) ou bendskin (Douala) ou Oléyia à Lomé, sauf que dans ces villes, la répartition modale confirme la domination des deux-roues. Les taxis-motos sont absents à Abidjan alors qu'ils le sont davantage à Cotonou, à Lomé et à Douala. Autres différences, la place des taxis-moto, mode individuel125, dans la chaîne des transports des villes-capitales où ils sont présents est envisagée comme des relais aux autres modes de transport en commun. Ceux-ci auraient le monopole du transport sur les grands axes et les voies nationales, les moto-taxis assurant le relais vers les routes secondaires, les pistes de desserte rurale et sentiers. Par contre, pour ce qui est de l'expérience abidjanaise, on remarque de plus en plus une part croissante de l'offre de taxis intercommunaux sur tous les réseaux de desserte126, contrairement à la réglementation.

Toutefois, le mode de fonctionnement de ces transports n'est pas un fait à rattacher spécifiquement aux comportements et attitudes des transporteurs, il s'intègre en partie dans un ensemble de logiques et de stratégies dont les institutions et les administrations publiques semblent être les foyers de diffusion (Konaté 2001; Olivier de Sardan 2008). Le fonctionnement des transports alternatifs dans les pays d'Afrique, s'intègre donc dans le paradigme explicatif de l'écart entre le droit, les normes et les pratiques usuelles. En effet, dans la

125 La moto a un seul siège. Et d'ordinaire, on ne remorque sur cet engin qu'un passager. Mais dans ses usages comme mode de transport, les moto-taxis peuvent remorquer deux passagers, voire, trois dans certains. De ce fait, le moto-taxi est de plus en plus considéré comme un mode de transport collectif.

126 À Abidjan, les taxis collectifs desservent actuellement sur toutes voies urbaines et sont établis dans presque toutes les communes de la ville.

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littérature portant sur l'Etat, les administrations et les services publics en Afrique, le terme de «normes», sous ses diverses déclinaisons (normes officielles, normes sociales, normes professionnelles, normes pratiques) est employé pour expliquer les pratiques et les comportements individuels ou collectifs des acteurs127. Le point commun à ces écrits c'est l'existence de règles tacites non écrites mais collectivement intériorisées et partagées qui n'en sont pas moins efficaces dans le fonctionnement des services (De Sardan 2008). De ce point de vue, on peut faire le constat que les pratiques des entrepreneurs des transports considérées habituellement de «déviantes» (occupation des voies publiques par les taxis, véhicules polluants, non respect du code de la route, violence, etc.), sont des comportements enchâssés dans un schéma global de gestion des services collectifs et publics. Ils ne sont pas non plus des pratiques marginales, comme le sont les pratiques criminelles, ou les conduites pathologiques, mais plutôt de comportements normaux, organisés, structurés. Les organisations sociales sont des systèmes dans lesquels les règles formelles et les normes informelles tout à la fois s'imposent aux acteurs et permettent de faire fonctionner les institutions (De Sardan 2008).

4.1.2 À Abidjan, mairies et entrepreneurs privés de transports: seuls pionniers des woro-woro?

Officiellement, dans la ville d'Abidjan, la réglementation de 1977 interdit, l'accès à la partie la plus urbanisée de la ville aux woro-woro. Seuls les autobus de la SOTRA et les taxis-compteurs ont des dessertes urbaines. Mais comme dans de nombreuses villes-capitales africaines, ici à Abidjan, les woro-woro vont au-delà de leur rayon géographique d'activité. Actuellement ils ont des dessertes largement répandues comme le témoignent les liaisons créées entre Yopougon et les autres communes de la ville d'Abidjan depuis le début des années 1990. Les dessertes des woro-woro ne suivent donc pas la réglementation telle que voulue et

127 Ici, le terme d'acteur renvoie aussi bien aux services administratifs (publics comme privés), à l'Etat comme au citoyen, aux organisations professionnelles, aux syndicats, etc.

Théoriquement, selon (Gilly, Perrat, 2003), cela correspond à des logiques de compromis entre des proximités institutionnelles localisées et des proximités

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défendue par l'Etat (norme officielle) comme on le remarque dans les propos suivants du ministre des Transports.

«Ce qui est autorisé au niveau des textes que nous avons aujourd'hui, ce sont effectivement les taxis compteurs et ce que nous appelons aussi les gbaka. Mais il se trouve que avec la crise, depuis plus de vingt ans, il y a une catégorie qui n'était pas légalisée qui s'est introduite. Et compte tenu du fait que l'offre des transports aujourd'hui est insuffisante par rapport au nombre des populations à transporter au niveau de la ville d'Abidjan, ces véhicules qu'on appelle véhicules banalisés ont réussi à s'insérer dans le circuit et s'est introduit». (Propos du ministre Gaoussou, lors du débat télévisé du mardi 25 mars 2014)

Le développement des taxis collectifs dans la mobilité intercommunale, est une action initiée par les populations, organisée en interne par les coopératives des transporteurs et parrainée par les mairies. Ainsi, les woro-woro intercommunaux, bien que n'étant pas reconnus officiellement (ils n'ont pas d'assurance et de déclaration fiscale appropriées au transport collectif), font le transport collectif. Dans les textes, «le véhicule de transport a deux visites techniques dans l'année alors que la voiture particulière qui est utilisée pour ce type de transport n'en n'effectue qu'une seule». Cependant, ce transport qualifié de clandestin est devenu un mode de transport à part entière et accuse même une augmentation. Il a pris l'allure d'un phénomène. Dans la pratiques, ces véhicules sont tolérés parce qu'ils collent mieux à la demande des populations et répondent aux attentes des clients. Ce qui leur a donné une légitimité sociale et un appui institutionnel qui l'oriente et le protège. Pour le ministre des Transports ivoirien, ces véhicules

«rendent aujourd'hui énormément des services aux Ivoiriens. C'est un transport qui s'est imposé de lui-même. Lorsque nous sommes venus, nous avons eu beaucoup de plaintes au niveau des taxis compteurs, ils disent que les taxis banalisés leur livrent une concurrence déloyale» (Propos du ministre Gaoussou, lors du débat télévisé du mardi 25 mars 2014)

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institutionnelles éloignées avec des acteurs internes et externes qui agissent sur la scène globale. À Abidjan, chauffeurs et transporteurs regroupés par affinité ont des revendications collectives parrainées par les syndicats. Ils n'ont aucun lien officiel avec les structures créées par l'Etat, mais négocient «officieusement» avec certains représentants de l'Etat et directement avec les collectivités locales pour l'établissement de lignes et des gares.

La montée en puissance des woro-woro ou l'Etat face à ses propres contradictions?

La mission régalienne de l'Etat en matière de transport public c'est la satisfaction de besoins de mobilité. C'est à ce titre qu'il intervient dans l'octroi des concessions aux entreprises, dans la fixation des tarifs et éventuellement le subventionnement, dans la détermination des coûts des matières premières (carburants, pièces détachées), dans la production et l'entretien de la voirie, la régulation de la circulation et dans l'établissement des conditions d'acquisition des véhicules (Haeringer 1986). En Côte d'Ivoire, ces fonctions sont assumées par des organes centraux de l'Etat, agissant de connivence avec les intérêts privés. L'Etat, intervient aussi parfois directement dans le service, par le biais d'entreprises publiques (SOTRA) ou de régies sous tutelle centrale. De telles missions répondent toujours à des considérations stratégiques de contrôle de la ville et de maîtrise de certains enjeux urbains128. Les entreprises publiques restent cependant peu concurrentielles (faible productivité), déficitaires (nécessité

128 Dans la ville d'Abidjan, les revendications dans le secteur des transports occupent une place importante. La confrontation des transporteurs avec 1'Etat a aboutit souvent à d'importants conflits sociaux, voire de véritables émeutes urbaines lors d'augmentations de carburant, qui ont conduit à des flambées de violence avec paralysie de la ville et déprédation de véhicules. Ces conflits sociaux expriment des enjeux qui ne se limitent pas aux problèmes des transports. Il est donc intéressant de noter comment des mesures telles les hausses du prix de carburant peuvent catalyser les mécontentements d'origine diverses, et mobiliser différents segments des couches populaires comme ce fut en 2008 dès l'annonce de l'augmentation du prix du carburant à la pompe. «Cent soixante et un mille (161 000) travailleurs regroupés dans cinquante et une (51) organisations syndicales chapeautées par la Fédération des syndicats autonomes de Côte d'Ivoire (FESACI), envisagent de mener des actions plus vigoureuses que cette (journée ville morte) en cours, depuis le lundi. Cela, pour protester contre la hausse, depuis le 7 juillet 2008, de 29,2% pour le litre de super et de 44% pour le gazole, sans oublier le gaz domestique» (Soir Info. 17/07/2008).

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d'investissements constants), fragiles et bureaucratiques. Dans l'exercice contradictoire de ses fonctions de régulation d'intérêt public et de planification des activités urbaines, l'Etat semble parfois jouer un double jeu.

À ce sujet, toute une littérature a foisonné chez les africanistes pour qualifier l'État africain au Sud du Sahara: de politique du ventre (Médard 1990), État importé, privatisation de l'État, criminalisation de l'État (Bayart, Ellis et al. 1997), État patrimonial, etc. Cette profusion de notions et de qualificatifs semble se rapporter au fonctionnement actuel des transports alternatifs dans la ville d'Abidjan où la décision de l'Etat d'«assainir» le secteur semble rencontrer des résistances dont il serait lui-même responsable. Etienne Leroy décrit une telle attitude de mystère de l'État et inscrit ce dernier dans le registre de l'initiation, du secret, voire de l'exclusion: «les initiés sont le personnel de l'État qui est censé le servir mais qui peut profiter de cette connaissance pour se servir».

En effet, face aux difficultés récurrentes des autorités (des ministres du Transport, de l'Intérieur ou même de la Défense) à faire respecter leurs décisions «exclure de la circulation tout véhicule qui n'a pas ses pièces au complet pour faire le transport (assurance, visite technique, vignette...)», un agent de la Police Nationale, chargé de l'exécution des lois affirme ceci:

«C'est simple hein! Parce que les patrons mêmes là, eux-mêmes là, les woro-woro ça leur appartient d'abord un. Donc quand un policier fait son travail, par exemple tu as donné un papillon à un chauffeur ou bien tu l'as mis en fourrière, c'est les mêmes patrons qui vont t'appeler pour venir libérer type là. Ce qui fait, le travail sur ce côté, ça ne marche pas. Et puis de deux, les transporteurs ici ont une influence sur les patrons. Parce qu'ils mangent avec eux. Donc quand tu manges avec quelqu'un là, ces trucks là, ça ne peut pas marcher. Tu prends quelqu'un, il te dit c'est toi-même tu vas ramener mon véhicule. Quand on était à la CRS en 1997, on nous a dit aujourd'hui là arrêter tous les woro-woro qui ne sont pas en règle. En 30 minutes, la cours de la CRS était remplie. Mais les minutes qui ont suivi, tous les woro-woro ont été libérés. Donc nous, on prend pour nous en même temps sur le terrain. Les gars cotisent pour donner aux ministres. Chaque ministre qui passe connaît ça. Ils passent à la télé, dans les journaux, faites ça, faites ça. C'est zéro! C'est leur

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mangement. Les transporteurs eux-mêmes nous le disent. Les autorités ne peuvent pas prendre de décisions contre ces transporteurs. C'est nous les policiers on met en conflit avec les transporteurs. C'est une chaîne alimentaire, les gars mangent en haut là-bas» (Sergent T. 19.06.2014).

Rappelons également qu'en 2008, l'Etat ivoirien par le canal du Chef d'Etat-major des Armées (CEMA) avait également entrepris d'enrayer les woro-woro intercommunaux de la circulation. Face aux différentes accusations de racket dont l'Armée ivoirienne est victime129, le Général Mangou, Chef d'Etat-major de l'Armée ivoirienne, à travers l'opération dite «opération Mangou contre le racket» a tracé un nouveau cadre réglementaire bipartite entre les transporteurs et les Forces de Défense et de Sécurité. Le Général Mangou après avoir donné des consignes claires aux différents responsables de l'Armée Nationale, a averti les transporteurs à peu près en ces termes:

«Vous ne devez pas être des fossoyeurs de l'économie en vous complaisant dans la fraude, l'irrégularité et la corruption au détriment du pays».Général Philip Mangou (Frat. Mat du17/09/2008).

De toute évidence, ces dispositions du CEMA relatives à l'application de la réglementation de 1977130 n'ont duré que juste le temps de quelques jours131. Puisque, deux mois après, l'opération est entrée dans un blocage total. Officiellement les raisons avancées tournent autour de manque de moyens financiers. Mais dans les faits, du moins pour ce qui concerne l'agglomération abidjanaise, les problèmes soulevés mettent en relief l'insuffisance de l'offre de transport de l'Etat et le double jeu des collectivités qui taxent ces transports sous prétexte d'aider des jeunes en proie au chômage. Les collectivités à leur tour accusent l'Etat de ne pas tenir compte de leur point de vue.

129 Les agents des forces de l'ordre tapis dans l'ombre profitant de l'inactivité du Comité Technique de Contrôle de la Fluidité Routière(CTCFR) se détournent des directives du CEMA. Les autres obstacles étant la mauvaise foi manifeste de certains transporteurs et des conducteurs qui, en situation irrégulière, tendent à corrompre les agents pour pouvoir exercer librement, et cela en violation desdites mesures.

130 Décret de la Ville D'Abidjan signé le 02 mai 1977

131 Cocody : 319 woro-woro sur 1212 en circulation 908. Adzopé: 1 taxi sur 100 en règle. Daloa : 20 minicars sur 310 roulent. San Pedro: 728 sur 1000 ont déserté les rues. (Fraternité Matin n° 13102 p 2-3, juillet 2008)

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«La plupart du temps, les ministres qui passent ne prennent pas la peine de nous écouter. Ils font ce qu'ils veulent. Oui, mais nous on les regarde. Voilà ce que ça donne». (P. responsable à la mairie de Yopougon 18.01.2014)

C'est aussi le lieu de rappeler que ces derniers temps, le gouvernement ivoirien, par le biais du ministre d'Etat et ministre de l'Intérieur, Hamed Bakayoko a engagé une «guerre» contre les voitures banalisées (woro-woro) tout en leur demandant de se mettre en règle pour exercer dans le transport en commun. Mais les autorités peinent toujours à prendre des mesures réelles contre les voitures banalisées souvent appelées «woro-woro hors la loi». Ce qui a amené certains observateurs de la scène urbaine abidjanaise à affirmer qu'un jour on assistera à la disparition totale des taxis compteurs, car pour cet habitué des woro-woro intercommunaux,

«Quand les woro-woro font grève, Abidjan tombe en panne. Mais quand les taxis compteurs ne roulent pas, rien n'est à signaler» Paul D. (20-03-2014)

Ainsi, ni la SOTRA, ni les taxis compteurs, ne sont à eux seuls capables de répondre à la demande sociale de mobilité. Dans ces conditions, l'Etat n'est-il pas condamné à encadrer l'illégal pour échapper à la pression sociale que peut en engendrer un blocage dans les transports collectifs urbains? Pris en étau entre des acteurs de transport privé de plus en plus nombreux, les collectivités locales (mairie et district) et ses propres agents132, l'Etat est selon (Alaba and Labazée 2007), bien obligé dans certains cas d'autoriser des pratiques s'exerçant en dehors du cadre de la légalité, pour préserver une pacification des rapports sociaux ou dans un but clientéliste. C'est notamment le cas des woro-woro intercommunaux que les autorités sont bien obligées de prendre en compte, dans la mesure où leur propre régie de transport n'est plus capable d'offrir correctement aux populations des moyens adéquats de déplacement. À quelques nuances près, on retrouve des situations similaires en Afrique du Sud.

133 Agents de l'administration publique

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4.1.3 Afrique du Sud: concurrence entre l'Etat et les associations d'opérateurs privés de transport

En Afrique du Sud, ce sont deux logiques qui s'affrontent dans l'organisation des transports collectifs, celle de l'Etat dont l'un des points focal est la modernisation du secteur et celle défendue par les organisations de la société civile, moins intéressées par toute idée de formalisation. Cette situation, qui n'est pas spécifique à ce pays, se traduit en Afrique du Sud selon (Lomme 2004) par la médiocre qualité du service rendu aux usagers par les transports publics. Les dessertes ne sont pas adaptées à l'évolution de la géographie urbaine133. La fréquence des rotations des offres publiques est insuffisante et les temps de trajet sont considérables. Les véhicules sont vétustes et le confort comme la sécurité des passagers se dégradent. D'un autre côté les tentatives de mettre fin au monopole des grands opérateurs hérités du régime d'apartheid se sont traduites par la montée en puissance des taxis collectifs, un secteur fortement caractérisé par des affrontements armés récurrents entre opérateurs. En outre, les trois principaux modes de transports urbains (bus, trains et taxis collectifs) sont plus concurrents que complémentaires. Aujourd'hui, le nombre de petits opérateurs s'est considérablement multiplié. Les organisations de propriétaires des taxis et minibus se sont constitués en gangs mafieux (Lombard, Bruez et al. 2004), permettant à certains transporteurs d'opérer sans licence, avec des véhicules hors normes réglementaires. Cette situation procède en Afrique du Sud de circonstances particulières. En effet, c'est sous le régime d'apartheid, dans les années 1980 surtout, que se sont multipliés les taxis collectifs tout comme les associations des transporteurs, en réaction contre l'insuffisance et l'inadéquation des moyens de transports publics mis à la disposition des populations noires reléguées à la périphérie des agglomérations urbaines. Cette situation a été envenimée par l'affrontement de forces politiques antagonistes dont les townships ont été le théâtre jusqu'au début des années 1990 Le régime d'apartheid a incontestablement contribué à exacerber les tensions et les conflits entre

133 Les dessertes des transports publics relient essentiellement les quartiers périphériques aux vieux centres-villes (même lorsqu'à Johannesburg, le centre-ville n'est plus le principal bassin d'emploi qui s'est déplacé au nord de l'agglomération) et les agglomérations sont généralement dépourvues de desserte périphérique.

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opérateurs de taxis collectifs afin d'attiser les dissensions chez l'ennemi. Ainsi, les affiliations partisanes d'associations d'opérateurs concurrentes à l'ANC, à l'Inkatha ou au Pan-African Congress (PAC) ont aussi alimenté leur antagonisme, sans compter la collusion éventuelle de certains responsables politiques avec les belligérants en raison d'intérêts acquis dans ce secteur d'activité.

La concurrence entre l'Etat et les organisations des transporteurs134 et les oppositions meurtrières entre les organisations des transporteurs, sont autant d'éléments significatifs pour expliquer les difficultés de l'Etat sud-africain au niveau du secteur des transports publics. Le mode d'organisation du secteur des taxis collectif en Afrique du Sud se présente selon (Lomme 2004) comme un avatar de la guerre civile des années 1980 et 1990. Les tueurs à gages, qui assassinent des opérateurs et des chauffeurs de taxis et parfois leurs passagers, les organisateurs d'opérateurs ont été utilisés pour combattre l'apartheid. C'est donc en toute logique qu'ils bénéficient dans certains cas d'une légitimité historique qui fait défaut aux forces de police et qui leur vaut des sympathies dans les milieux politiques et une partie de la population. Ceci explique l'ambivalence de l'attitude des autorités à l'égard de ces organisations des transporteurs qui ont hautement criminalisé le secteur des transports. Tout comme à Abidjan et à Johannesburg, les services de l'Etat apparaissent globalement défaillants aussi à Dakar.

4.1.4 À Dakar: emboitement d'intérêts entre Etat, mairies et organisations des transporteurs privés

À Dakar, dans la capitale sénégalaise, les ndiaye ndiaga et les cars rapides doivent leur prééminence actuelle à la politique de l'État initiée dans les années 1990 suite à la défaillance de la SOTRAC. Mais avec l'accentuation du processus de

134 Les organisations et les opérateurs de taxis collectifs ne sont pas seulement en concurrence les uns contre les autres, ils le sont aussi avec les transports formels, dessertes d'autobus et transports ferroviaires, auxquels ils s'attaquent de temps à autre: au point que certaines compagnies d'autobus ont renoncé à desservir certains townships en dépit de leurs obligations de service (c'est notamment le cas de la compagnie PUTCO à laquelle les opérateurs de taxis collectifs interdisent l'accès au township de Diepsloot, situé au nord de Johannesburg).

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décentralisation administrative et politique, le contrôle de ces transports fait l'objet de tiraillements entre l'Etat, les collectivités locales et les organisations des transporteurs. Cette situation se traduit au niveau de l'organisation des transports urbains de Dakar par:

- Une absence totale de contrôle pour l'entrée dans l'activité

- Une multiplication des taxis urbains (anciennement à compteur horométrique)

- Une officialisation des taxis clandestins et de banlieues

- Un renouvellement en interne des minibus

- Un fort contrôle en interne qui passe par l'obligation d'adhérer à un garage135. Désormais, toute réforme des transports urbains à Dakar ne peut se faire sans les organisations des opérateurs des transports alternatifs qui se sont imposés du fait du tâtonnement de l'Etat et des collectivités dans l'application de la réglementation.

Au total, le processus de décentralisation à l'oeuvre à Abidjan, à Johannesburg et à Dakar a pour objectif de renforcer les pouvoirs locaux. Cependant, le transfert de compétences aux collectivités décentralisées ne s'est accompagné, ni à Abidjan, ni à Dakar, d'un transfert de ressources proportionnel. Aussi bien en Côte d'Ivoire qu'au Sénégal, les gouvernements centraux lâchent difficilement leurs prérogatives alors qu'ils se désengagent financièrement et leurs propres régies de transports sont défaillantes. Si bien que les autorités locales ont à assumer des charges croissantes en matière de transports sans en avoir les compétences. Elles fonctionnent sur des budgets prévisionnels, mais ne sont pas toujours en mesure de récupérer les fonds que l'Etat est censé leur rétrocéder (Ori 1997; Lombard, Bruez et al. 2004). Elles sont en conséquence amenées à contractualiser des accords avec des intervenants aussi diversifiés que des organisations de

135 Au Sénégal, un garage est un lieu de concentration de véhicules et de chauffeurs qui ont déposé la clientèle et attendent, à tour de rôle, de repartir pour la banlieue. Avec le développement du réseau privé de transport, entre la banlieue et le centre de Dakar, prend une forme renversée de « patte d'oie» qui subsiste encore aujourd'hui. Les bouts de lignes, au Plateau et à Sandaga, deviennent des terminaux utilisés le soir par les travailleurs pour rentrer chez eux. Ils prennent les noms des rues dans lequel ils sont installés: garage 164 Jean Jaurès, garage Tolbiac, garage Faidherbe

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transporteurs, des autorités coutumières pour continuer d'entretenir leurs territoires. En Afrique du Sud par contre, la situation est totalement différente. La nouvelle constitution136 de l'Afrique du Sud a conféré des prérogatives élargies aux municipalités qui les affranchissent de la tutelle des gouvernements national et provincial. Si bien qu'en En Afrique du Sud, en matière d'organisation des transports collectifs, le partage des rôles est bien assumé entre les trois sphères de l'Etat (national, provincial et local). Ce qui revient à dire que le gouvernement local, l'équivalent de la mairie à en Côte d'Ivoire et au Sénégal, est doté d'une pleine capacité d'administration et de gestion financière et qu'il entretient en tant sphère autonome une relation égalitaire avec les deux autres niveaux de décision. En revanche, la difficulté en Afrique du Sud réside dans l'application des décisions sur le terrain. Les pouvoirs de sanction, de réglementation et de réforme sont conférés à l'Etat en tant que garant de la satisfaction de l'intérêt général. Mais, l'Etat ne veille pas toujours à ce que les règles du jeu soient respectées. Les associations de transporteurs privés sont très criminalisées et réfractaires à la modernisation du secteur des transports public en Afrique du Sud. Et c'est sur ce point que la Côte d'Ivoire, le Sénégal et l'Afrique du Sud présentent des similitudes.

136 Selon la constitution de 1996 le pouvoir public est reparti entre trois sphères de gouvernement de même rang: le gouvernement national, les gouvernements provinciaux, les gouvernements locaux.

251

CONCLUSION GÉNÉRALE

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Les woro-woro, autrefois appelés «30-30» ont d'abord débuté de manière informelle avec la naissance de la ville d'Abidjan comme capitale de colonie en 1934 avant de connaître une évolution dans leur forme sous le triple effet des différentes mesures prises à l'indépendance, de l'extension urbaine et de la crise liée à l'application des PAS. En partant de ce constat, celui d'un moyen de transport décrit comme informel et spontané qui s'est organisé et institutionnalisé dans une ville dont le développement a toujours été programmé (Diahou 2001), ce travail est un éclairage sur les modalités d'une lecture socio-historique des transports alternatifs (les woro-woro). Comment les woro-woro, combattus et considérés comme l'envers du modèle de transport adopté, ont pu émerger dans la capitale économique ivoirienne et notamment dans la commune de Yopougon? À cette question centrale que l'on pourrait poser à propos de beaucoup de villes africaines, à commencer par Kinshasa, Lagos, Cotonou ou Dakar, les réponses qu'apporte l'étude des woro-woro d'Abidjan sont singulières. Selon (Guibert and Jumel 2002), l'approche socio-historique, en se dotant de procédures d'analyse diverses, permet de mieux appréhender le présent, parce qu'elle nécessite la prise en compte de la variation polysémique des faits et de leur historicité. Car, ajoutent-ils «l'évolution de la réalité sociale requiert pour sa compréhension un éclairage historique approprié». En lien avec une telle posture, cette étude nous a spécifiquement aidé à comprendre comment cette offre de transport est née, a évolué et bénéficie aujourd'hui à de nouveaux acteurs qui en diversifient les usages. Pour ce faire, le premier enjeu de ce travail a été consacré à la reconstitution des origines des woro-woro, quand le second enjeu retrace leurs modalités d'évolution. La troisième préoccupation, plus descriptive, démontre comment l'allongement des distances et la multiplication des origines/destinations des déplacements urbains ont contribué à dessiner une nouvelle carte de la géographie des transports des woro-woro à Abidjan (Yopougon). Que doit-on pour cela retenir de la reconstitution des origines des woro-woro? Si beaucoup de pays fraîchement indépendants ont voulu faire de leur capitale une vitrine nationale dans le domaine des transports collectifs, peu ont réussi à lui donner cette image. Les compagnies publiques de transport urbain, comme ici la SOTRA, sont des plus rares en Afrique sub-saharienne (Steck 2005). L'usage de ces

137Yopougon apparaît comme un quartier isolé, éloigné mais en même temps comme la commune la plus étendue spatialement et démographiquement de l'agglomération.

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autobus ainsi que celui des taxis compteurs au niveau du transport urbain d'Abidjan a alors été le seul encouragé, voire obligé par l'instance politique. Le célèbre épisode de l'interdiction sur le territoire de la ville d'Abidjan, de l'exploitation des voitures de place, et autres moyens collectifs de transport, à l'exclusion des véhicules munis d'un compteur taximètre et des autobus de la SOTRA en l'année 1961, constitue un bel exemple d'une législation contraignante en faveur de l'offre de l'Etat. Les transports hérités de la période coloniale et notamment les «30-30» étant considérés aux yeux des autorités comme le symbole d'un recyclage stigmatisant pour la construction nationale (Bredeloup and Lombard 2008).

Au plan de la comparaison historique, le contexte de monopole de service public de la société d'autobus dans lequel les woro-woro d'Abidjan ont évolué, rappelle la situation du Congo Brazzaville. En effet, comme à Abidjan, à Brazzaville, les «foulas-foulas», châssis de camions carrossés qui étaient d'abord utilisés pour la desserte des marchés (transport de sacs de manioc...). Puis peu à peu, par nécessité, qui ont été utilisés par l'ensemble de la population, ont d'abord évolué dans un contexte d'exclusion avant de fonctionner de manière complémentaire à l'offre de l'Etat. Mais le regard volontairement porté sur la commune de Yopougon considérée dans la géographie et l'histoire urbaines abidjanaises comme une commune particulière137, permet de comprendre comment les transformations de l'espace urbain abidjanais des quarante dernières années, ont contribué à la naissance de nouvelles initiatives en matière de mobilité. Comment, ces transports ont-ils évolué?

La réponse à cette interrogation nous a ouvert sur le champ de la comparaison historique. Laquelle comparaison nous a permis de prendre la mesure des processus des transformations sociales et interroger les temporalités propres des faits. Historiciser, (Buton and Mariot 2009) diront à ce sujet, c'est comparer les époques pour souligner les évolutions et révéler les ruptures observées dans le

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fonctionnement d'un phénomène. En Côte d'Ivoire et notamment à Abidjan, l'usage généralisé de véhicule personnel ou de luxe pour le transport collectif apparaît de manière spontanée en situation de contrainte des déplacements et de crise économique. Cette forme de mobilité collective a d'abord été combattue avant de s'organiser et s'institutionnaliser sous les effets de la dévaluation du FCFA de 1994 et de la libéralisation des véhicules d'occasion «France-au revoir» de 1996. Dans la période après-dévaluation, l'objet automobile se diffuse dans les ménages ivoiriens, notamment après la levée des restrictions concernant l'achat de véhicule d'occasion. Du fait de l'augmentation du nombre de voitures à usage de transport en circulation mais aussi des contraintes de l'offre de l'Etat en matière de transport, la pratique des taxis collectifs s'est généralisée. Cette évolution du taux d'équipement en voiture est mise en relief par Sébastien de Dianous dans le paragraphe suivant.

«Le nombre des taxis compteurs a explosé depuis l'autorisation d'importer les véhicules d'occasion. Alors qu'ils étaient moins de 5000 en 1994, on en comptait déjà 6350 taxis au 31 décembre 1996; 8100 au 31 décembre 1997; plus 10000 fin 1998. Cette augmentation de plus 50 % en deux ans s'explique aussi par le laxisme de la ville d'Abidjan dans la délivrance d'autorisations. La délivrance de licences aux taxis rapporte à la ville d'Abidjan quelque 1 milliard de FCFA par an, soit 7 % de ses recettes budgétaires. Confronté à la forte demande d'entrepreneurs particuliers ayant acheté des véhicules d'occasion depuis 1996, la mairie (district) a trouvé là un moyen d'accroître ses recettes fiscales» (De Dianous 1998) .

Le woro-woro, initiative des populations qui ont subi le dur coup de la crise s'est alors progressivement élevé au rang de mode de vie, car il s'est étroitement associé à la contre-culture qui émerge pendant les années 1990 dites «années de contestation» (Konaté 2002). Pour (Chauveau, Le Pape et al. 2001), c'est l'affaiblissement de l'action publique qui a permis la gestion populaire de certains services urbains dont le secteur des transports. Les services proposés par l'Etat étant devenus inopérants et inaptes à assurer avec un minimum d'efficacité la satisfaction de la demande de transport des populations. L'émergence des woro-woro d'Abidjan est de cet ordre. Leur popularisation traduit une certaine nécessité de rompre avec l'uniformisation des moyens de mobilité urbaine voulue par l'Etat. Contestation politique et quête philosophique se sont alors mêlées à une

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forte aspiration à l'autonomie de déplacement pour révéler les années quatre vingt dix comme «l'âge d'or» du taxi collectif urbain abidjanais. En termes d'emploi, de souplesse et d'efficacité, les woro-woro offrent des avantages considérables, si bien que c'est bien souvent sur ces moyens de transport que repose l'essentiel des déplacements urbains de la vie quotidienne (Godard, Cusset et al. 1996). Mais, le succès de telles initiatives alternatives de transport ne peut se comprendre beaucoup plus que lorsqu'on l'analyse dans le cadre des périphéries comme Yopougon à Abidjan ou Ratoma en Guinée Conakry et ou même Pikine à Dakar ou encore Bonabéri à Douala qui sont des zones à forte concentration démographique. Dans ces communes, l'inadéquation des transports publics a justifié la montée en puissance des moyens de transports alternatifs.

Comme nous venons de le voir, les analyses précédentes nous ont renseigné sur les origines des transports alternatifs à Yopougon (Abidjan) et ailleurs en Afrique. Elles nous ont également permis de comprendre les processus qui ont permis l'évolution de ces transports. Mais que doit-on retenir de leur structuration? Depuis la naissance des «30-30» en 1950, puis de la popularisation du terme de woro-woro dans les années 1990, l'offre des woro-woro s'est structurée au gré de la performation de l'offre de l'Etat et du jeu des interventions des acteurs selon des contextes sociologiques, économiques et politiques différents. Pièce fondamentale de la ville, les woro-woro se sont transformés pour permettre de répondre aux enjeux nouveaux du développement urbain abidjanais et notamment de Yopougon. Au fur et à mesure que les fonctions urbaines deviennent plus complexes, les woro-woro incorporent de nouveaux usages qu'ils substituent aux anciens usages. À partir des années 1973 et 1974, particulièrement à Yopougon, les woro-woro étaient un transport de banlieue. Puis, avec la multiplication des sphères d'activité professionnelles des ménages, ces transports ont été intégrés dans les liaisons domiciles-travail surtout à partir de 1996.

Actuellement, la situation à Abidjan (Yopougon) se caractérise par la coexistence de deux formes de taxis collectifs agissant en complémentarité ou même en concurrence vive avec les autres modes de transport. Dans le cas des liaisons

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internes, le taxi collectif communal (woro-woro) reste le principal mode devant les autobus de la SOTRA, les taxis compteurs et les gbaka (AGETU 2007). Au niveau interurbain, la tendance évolue vers un équilibre entre l'offre de l'Etat et les taxis woro-woro. Le contexte de décentralisation dans lequel les woro-woro se sont structurés, a nécessité des interrogations pour éclairer les différentes relations de pouvoir qui sont au coeur de leur institutionnalisation certaine. Aujourd'hui, l'offre de woro-woro s'est structurée et s'est organisée grâce à l'action d'une pluralité d'acteurs de nature et de fonctions différentes qui tentent de le contrôler. Avoir la mainmise sur l'entrée dans la profession (autorisations de transport) semble constituer le ferment de la «guerre des prérogatives». La question de base étant de savoir qui doit contrôler l'entrée dans la profession ou la ligne de transport lorsque l'Etat lui-même est déficient et que les collectivités locales ont intérêt à développer leur fiscalité? C'est dans ce contexte d'incertitude et de relations inscrites ou pas dans les textes, que la gestion des woro-woro échoit beaucoup plus aux associations des transporteurs privés (chauffeurs et propriétaires) qu'aux autorités gestionnaires de la ville. Cette situation de diktat des syndicats ou groupements d'opérateurs privés qui organisent en interne l'offre des woro-woro par la violence notamment est probablement à la base de la présomption d'un lien assez étroit entre ce secteur et la marginalité, voire la délinquance. Toutes choses qui menacent fortement la l'avenir de ces transports socialement utiles au grand public.

Au total, la dynamique d'émergence des woro-woro qui se veut être une articulation entre logiques des acteurs officiels et des logiques des acteurs non officiels, entre règles formelles et règles informelles, doit être saisie également comme symptôme du fonctionnement et de l'évolution contemporaine des institutions ivoiriennes (Chauveau, Le Pape et al. 2001; De Sardan 2008).

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ANNEXES

268

Guide d'entretien adressé aux personnes ayant vécu l'histoire des woro-woro en rapport avec l'avènement des premiers quartiers modernes de Yopougon

Thème 1: l'histoire des woro-woro: populations interrogées (anciens chauffeurs, personnes âgées ayant vécu l'évolution de Yopougon, institutions.)

- Occupation, passée et actuelle dans le transport

- Souvenir personnel des activités de transport d'autre fois. - Comment le woro-woro est né à Yopougon?

- Qui a été le premier à commencer ce type de transport? - Quelles étaient la couleur et la marque de son véhicule? - Quelle était la destination de ce premier taxi? pourquoi? - Et si on te demandait «woro-woro» ça veut dire quoi? - Comment les autres lignes ont été créées?

- Le woro-woro pouvait prendre jusqu'à combien de personnes?

- Parlez-nous de l'histoire de la gare où vous exercez actuellement. A-t-elle toujours été

là?

- Le prix de la course était de combien?

- Quel est le premier quartier moderne de Yopougon?

- Siporex a été construit quand?

- Racontez-moi l'histoire de Port-Bouët II

- Une idée de l'autoroute de nord, de la prison civile, de l'avènement des voies

pénétrantes.

Thème 2 : Processus d'évolution des woro-woro.

Guide : 1 Populations interrogées (chauffeurs, syndicats, jeunes de quartiers, usagers.)

- Depuis quand êtes-vous sur le terrain?

- Avez-vous des papiers pour faire un tel travail?

- Votre rôle dans le transport?

- Comment devient-on syndicat?

- Comment arrivez-vous à vous prendre en charge?

- Quelles différences faites-vous entre le woro-woro d'aujourd'hui et celui d'il y a 30

ans ?

- Selon vous à quel niveau se situe cette différence?

- Je veux mettre mon taxi en circulation, dites-moi ce que je dois faire?

- Est-ce que c'est de cette même façon qu'on faisait avant?

- Comment la couleur bleue s'est imposée au niveau de Yopougon?

- Pourquoi vous ne travaillez pas ensemble vous les syndicats?

- Parlez-nous du changement dans le prix de la course

- Pourquoi avez- vous créé cette gare?

269

Guide2: Entretien auprès de la mairie

- Identification du responsable: titre.

- Pourriez-vous nous présenter la commune? Avez-vous une idée de la population et de la superficie de Yopougon en 1960, en 1970, 1980, 1990, 2000 et 2010? Quels commentaires faites-vous de cette évolution au regard de la question de la mobilité des populations?

- Parlant des syndicats, quelles sont les conditions à remplir pour être reconnu ici au niveau de la mairie? Avec combien de groupes de syndicats travaillez-vous? Leur liste et les différentes périodes de leur reconnaissance. À quel niveau se situe votre collaboration? Parlez-nous de l'avènement de la couleur bleu du taxi de Yopougon.

- Une idée de l'évolution du nombre des taxis dans votre commune ces dernières années?

- Parlez-nous de l'avènement des taxis intercommunaux

- Parlez-nous du développement des woro-woro de façon générale à Abidjan et particulièrement à Yopougon?

- Quelques suggestions?

Guide 3: Entretien auprès de la SOTRA

- Identification du responsable: titre, ancienneté

- Depuis quand la SOTRA existe? Quels sont les différents types de services qu'elle met à la disposition des usagers? Elle a commencé avec combien de bus et vous en êtes à combien aujourd'hui?

- Pour ce qui de Yopougon peut-on savoir depuis quand vous desservez cette commune?

- Avec combien de bus et combien de lignes avez-vous commencez vos dessertes? Vous en êtes à combien aujourd'hui?

- Parlez-nous de la SOTRA à Yopougon

- Pouvez-vous nous donner des statistiques pour indiquer l'évolution de votre parc auto et des autres services de transport à Yopougon depuis vos premières dessertes jusqu'aujourd'hui?

- Quelles remarques faites-vous de l'évolution de cette offre de transport au regard des missions de la SOTRA?

- Pourquoi dit-on que les woro-woro vous font la concurrence?

- Quelques suggestions?

-

Thème 3 : Structuration des woro-woro Guide1 : Entretien auprès de l'AGETU

- Identification du responsable : titre

- Parlez-nous de l'avènement de votre structure

- Le rôle de l'AGETU dans le transport public à Abidjan et en particulier dans le secteur des woro-woro

- Qu'est-ce qui pose problème pour une bonne organisation du transport à Abidjan?

- Vos rapports avec les autres entités de la ville qui interviennent aussi dans le transport (mairies, le district, les syndicats des transporteurs)

270

- Votre point de vue sur l'organisation actuelle du transport dans la ville d'Abidjan

- Votre point de vue sur le développement des taxis communaux? Selon vous qui décide finalement dans l'organisation du transport urbain d'Abidjan?

- À partir de quelle année les couleurs sont été exigées aux taxis communaux?

- Quelles sont les conditions à remplir pour mettre un taxi woro-woro en circulation au niveau de la ville d'Abidjan ? Est-ce que ces conditions sont réellement respectées? Qu'est-ce qui pose problème selon vous? Avez-vous une idée du nombre des taxis collectifs en circulation aujourd'hui?

- Que pensez-vous du développement des taxis intercommunaux?

Guide 2 : Mairie et district

- Identification du responsable: poste occupé

- Parlez-nous des vos attributions au niveau du transport à Abidjan

- Votre rôle dans l'organisation des woro-woro

- Trouvez-vous normal le développement des woro-woro intercommunaux?

- Pourquoi de pareils désaccords au sujet des taxis intercommunaux?

- On vous accuse d'être à la base du développement des taxis intercommunaux. Que

dites vous sur cette question?

- Quels sont vos rapports avec ceux qui organisent ces transports?

- Avez-vous contribué aussi à la création des gares des taxis intercommunaux du
«Lavage» et de SIPOREX?

- Que pensez vous de certaines décisions de l'Etat (ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense) qui envisagent enrayer les woro-woro intercommunaux de la circulation dans la ville d'Abidjan?

- Faites nous quelques suggestions au niveau des woro-woro.

Guide 3: Entretien avec (gendarmes, agents de la police nationale)

- Identification: nom (non déclaré), grade

- Votre rôle au niveau du transport de personnes à Abidjan

- On vous accuse de ne pas faire appliquer la règlemention au niveau des woro-woro

et de laisser prospérer les woro-woro intercommunaux. Depuis presque trente ans les autorités prennent des décisions pour disent-ils «arrêter le désordre» et notamment certains véhicules qui ne sont pas en règle. Selon vous, qu'est-ce qui bloque l'application de telles dispositions?

- Vos rapports avec votre hiérarchie au sujet des woro-woro et du problème du racket - Certains chauffeurs vous accusent de racket quelle est votre position sur cette question?

- Selon vous, est-ce qu'il est encore possible d'arrêter le développement des woro-woro intercommunaux?

- Quelques suggestions sur l'organisation du transport à Abidjan.

271

Guide 4: Entretien avec (chauffeurs, syndicats, jeunes de quartiers, usagers)

- Dites moi, je veux mettre mon véhicule en circulation, quel démarche faut-il faire exactement et auprès de qui?

- Comment ça se fait que d'autres véhicules roulent sans papier?

- Pourquoi selon vous les autorités échouent toujours à enrayer les woro-woro banalisés?

- Qu'est-ce qui fait la force de ces transports?

- Comment vous faites pour rouler alors que vous n'êtes pas autorisés à faire le transport?

- Quels sont vos partenaires? Le ministère, la police? La gendarmerie? Les mairies? Le district? Les syndicaux? Dites moi en quelques mots comment vous procédez pour être toujours présents alors que vous êtes combattus? Donnez-nous vos secrets.

- Comment arrivez-vous à créer facilement toutes ces gares où vous travaillez?

- Qui sont vos premiers partenaires au niveau de ces gares? Les autorités sont-elles d'accord avec l'existence de ces gares? Quels sont vos rapports avec la mairie, le district, la police, la gendarmerie, les riverains au niveau des gares? Donnez quelques justifications au sujet de la création de ces gares de stationnement.

- Trouvez-vous normal le combat des autorités contre les woro-woro intercommunaux?

- Comment voyez-vous l'avenir de ces woro-woro?

- Quel est le moyen de déplacement qui vous arrange au niveau de la ville d'Abidjan?

272

Exemplaire d'autorisation de recherche

273

Rapport de présentation du projet de décret portant transfert et répartition de compétences aux collectivités territoriales en matière de transport

274

275

276

277

278

Document se rapportant au conflit AGTU et district en matière de de transport

279

280

Actes du gouvernement relatif au transport en Côte d'Ivoire

281

282

Pièces exigibles pour l'obtention d'un certificat d'inscription

283

284

285

Photo 2 Image du woro-woro, taxi communal de Yopougon

Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Wôrô-wôrô de Yopougon (consulté le 04/8/2015)

Photo 3 : image du taxi compteur de Yopougon (Abidjan)

Source: news.abidjan.net/h/488641.html(consulté le 04/8/2015)

286

Photo 4 Image de woro-woro intercommunal de Yopougon (Abidjan)

Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Taxis_en_Côte_d'Ivoire
(consulté le 04/8/2015)

Photo 5 Image du gbaka d'Abidjan

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gbaka(consulté le 04/8/2015)

287

Photo 6 : Image de bus Sotra de la ville d'Abidjan

Source : www.sotra.ci/(consulté le 04/8/2015

288

Table des matières

289

Table des matières

SOMMAIRE IV

RESUME V

LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS VII

LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX .IX

REMERCIEMENTS X

AVANT-PROPOS XI

INTRODUCTION GENERALE 1

01. Introduction 2

02.Contexte de l'étude 3

03. Constats de recherche 5

Constat1: Elargissement de l'espace urbain de Yopougon et émergence de réponses alternatives de mobilité 5

Constat 2: Le transport alternatif s'est constitué progressivement à Yopougon 7

Constat 3: transport alternatif, une offre combattue mais quasiment établie dans toute la ville 8

04.Question de recherche 9

5. Objectifs de l'étude 13

05.1. Objectif général 13

05.2 Objectifs spécifiques 13

6. Revue de la littérature 13

0 6.1. Trajectoire historique d'apparition des transports alternatifs 17

06.2. Déterminants socio-économiques de l'évolution des transports alternatifs 25

0 6.2.1. La fonction sociale des transports alternatifs 26

06.2.2. Les transports alternatifs: une réponse à une demande de diversification de la demande 27

06.3. La dynamique d'émergence des transports alternatifs et les partisans du développement alternatifs 29

06.3.1 La position des organismes internationaux 29

06.3.2 Les partisans du développement alternatif 30

7. Problématique 32

MATERIELS ET METHODES 34

05. Les matériaux utilisés 35

08.1. Nature du matériel et outils de collecte de données 38

08.2. Difficultés de l'étude 41

09. Cadre théorique de la recherche 42

09.1. De l'application du cadre d'analyse de la socio-histoire au champ du transport 43

09.2. De l'application de la théorie des parties prenantes (TPP) à l'analyse de la structuration des transports

alternatifs 45

09.3. Evolution du cadre institutionnel des transports et apparition de groupes d'acteurs concurrents 46

09.4. Le transport alternatif comme une «arène» où des conflits sont observables 48

10 Plan de restitution des résultats 52

RESULTATS 55

Première partie: 56

Processus d'émergence des initiatives alternatives de mobilité 56

290

Chapitre 1 : 55

Aux origines des transports alternatifs 55

1.1 Les transports alternatifs: une naissance influencée par les pratiques du commerce africain 56

1.1.1 Le commerce précolonial à longues distances, le berceau des transports alternatifs 57

1.1.2 Le portage, les dos d'ânes: des usages détournés de véhicules 59

1.1.3 L'intermédiation et le courtage présents dans le commerce se retrouvent dans le transport 60

1.2 Les Malinkés: une présence historique dans le transport 63

1.2.1 La culture malinké très visible dans le secteur 63

1.2.2 Le terme «woro-woro» 64

1.2.3 Les termes de «Dioula» ou de «Dioulatchè» 65

1.3 Naissance d'Abidjan et apparition de mode de transport de type africain 66

1.3.1 Structure coloniale de la ville et usages de modes de transport de type africain 66

1.3.2 De la spécialisation des quartiers de la ville d'Abidjan 68

1.3.3 Un transport qui naît sur fond de distinction entre quartier européen et quartiers africains 70

Chapitre 2 74

Croissance d'Abidjan et naissance de Yopougon 74

2.1. Abidjan: naissance et évolution d'une ville capitale subsaharienne 74

2.1.1.Abidjan, une ville coloniale qui s'étend rapidement 75

2.1.2.Abidjan, une ville influencée par l'activité portuaire (1950-1970) 77

2.1.3.L'extension d'Abidjan vers de nouveaux sites (1970-1990) 78

2.2. Yopougon: naissance et dynamique d'une cité dortoir à la périphérie d'Abidjan 79

2.2.1.Yopougon, un faubourg avant 1970 79

2.2.2.Les prémices du peuplement de Yopougon 80

2.2.3.Yopougon, une fonction résidentielle prépondérante 82

2.3. De la transformation de la voirie, 85

2.3.1.La voirie comme espace de connexion 85

2.3.2.La voirie de circulation de premier ordre 86

2.2.3.Les voies d'intérêt communal ou routes secondaires 87

Chapitre 3 88

Les mécanismes de mise en place des structures de transport à Yopougon 88

3.1. Des transports qui débutent avec la SOTRA 89

3.1.1 La SOTRA, une présence qui date de 1969 89

3.1.2 L'offre publique: une présence déficiente 89

3.1.3 Une offre formelle dominée par les liaisons domicile-travail 91

3.2. Transports alternatifs, une intégration qui commence avec les gbaka 94

3.2.1 Les gbaka, une présence ancienne 95

3.2.2 Les gbaka, une offre orientée vers les liaisons externes 95

3.2.3 Les taxis collectifs, pour la demande locale 96

3.3. Histoire des taxis collectifs de Yopougon 96

291

3.3.1 L'acte fondateur de Sané Joseph en 1972 97

3.3.2 À partir de 1975, les offres des taxis collectifs se diffusent rapidement 98

3.3.3 L'apport des taxis compteurs «fatigués» 99

Deuxieme Partie 101

reconstitution du processus d'evolution des woro-woro 101

Chapitre1 104

Trajectoire d'évolution du taxi communal «bleu» 104

1.1. Le taxi bleu, une évolution qui part du lointain 105

1.1.1 Au départ, c'était un véhicule particulier 106

1.1.2 Les années 1974-1975: l'apport des taxis compteurs «fatigués» 107

1.1.3 Années 1977 à 1979: le renforcement du réseau de taxis collectifs de Yopougon 107

1.2 Les étapes de la constitution d'une offre locale 108

1.2.1 La liaison Andokoi gare-Kouté de 1972: Le point de départ du taxi collectif de Yopougon 108

1.2.2 La liaison Yopougon gare-Prison civile (1979-1980) ou l'âge d'or du taxi collectif de Yopougon 109

1.2.3 L'année 1996 et l'adoption de la couleur bleue pour Yopougon 109

1.3 L'évolution des taxis s'observe aussi au niveau des marques de véhicules 110

1.3.1 Un transport qui commence avec une prédominance des marques françaises 110

1.3.2 Les années 1980, ou la période des Datsun 120Y dits «dauphines» 111

1.3.3 Les années 1996-1997 dites périodes des «France au revoir» et la ruée vers les marques japonaises 111

Chapitre 2 112

Quelques éléments d'analyse du passage du taxi communal au taxi intercommunal 112

2.1 Les années 1990 et les effets de l'application des PAS 114

2.1.1 De l'application des PAS à l'affaiblissement de l'action publique 114

2.1.2 Impact des programmes de stabilisation financière 115

2.1.3. Les moyens d'intervention de l'Etat dans la production urbaine se trouvent alors limités 115

2.1.4 Les difficultés pour avoir un emploi 116

2.2 Faiblesse de l'offre publique et le problème de mobilité sociale 117

2.2.1 Les effets de la crise sur l'offre de la SOTRA 118

2.2.2 La baisse du ratio populations/bus 118

2.2.3 La désaffection des bus de la SOTRA 120

2.3 Crise, paupérisation sociale, résilience et émergence de réponses alternatives de transport 121

2.3.1 Le woro-woro intercommunal: un transport qui «arrange tout le monde» 123

2.3.2 Le woro-woro ou la «banalisation» du travail de bureau? 124

2.3.3 Le woro-woro comme un ajustement de la demande sociale de mobilité à la crise 126

Chapitre 3 128

Le woro-woro, une évolution dans la structure de fonctionnement 128

3.1. Le woro-woro, une évolution au niveau de l'identité des acteurs 128

3.1.1 Le salariat, premier moyen d'investissement 130

3.1.2 Le woro-woro une activité de survie 132

3.1.3 Le woro-woro, un secteur d'activité de plus en plus ouvert 133

3.2 Le woro-woro: une évolution dans la typologie des acteurs organisationnels 134

3.2.1 Le propriétaire 136

3.2.2 Le chauffeur-propriétaire 137

3.2.3 Le chauffeur «titulaire» ou «l'embauché» 138

3.2.4 Le chauffeur en second 139

3.2.5 «Le en cas de cas» 139

3.3 Le woro-woro: une évolution dans le prix de la course 141

3.3.1 La hausse du prix du carburant, un facteur de l'évolution des prix de la course 141

3.3.2 Le rallongement des distances 143

3.3.3 L'augmentation de la demande sociale de mobilité 114

Troisieme Partie 147

Analyse de la structuration des woro-woro 147

Chapitre 1 149

292

Les woro-woro, une structuration en rapport avec la réglementation et les performances de l'offre

publique formelle 149

1.1. Les woro-woro, une bataille de reconnaissance de longue date 149

1.1.1 Les mesures de 1953: la matrice d'exclusion des woro-woro 149

1.1.2 Des mesures d'exclusion renforcées à l'indépendance 150

1.1.3 La SOTRA et l'option de monopole de service public 151

1.2 À partir de 1977, difficultés de la SOTRA et les contradictions du cadre réglementaire 152

1.2.1 Une reconnaissance qui commence d'abord avec les gbaka 153

1.2.2 Période 1977-1979: un fort repli des taxis collectifs sur Yopougon 153

1.2.3 L'année 1980: les woro-woro sortent de la clandestinité 154

1.3 Décentralisation, libéralisation: apparition de tutelles plurielles des woro-woro 156

1.3.1 Les groupes d'acteurs privés (syndicats) 157

1.3.2 La place des collectivités locales 160

1.3.3 De la création de l'AGETU, structure paraétatique 161

Chapitre 2 163

Concurrence entre responsabilités et émergence des spécialités des woro-woro 163

2.1. Les woro-woro, un transport émergeant à problèmes? 164

2.1.1. La Ville d'Abidjan et la mairie: deux perceptions différentes des woro-woro 165

2.1.2 Conflits entre la mairie et l'AGETU 166

2.1.3 Des contradictions mises à profit par les entrepreneurs privés? 169

2.2 Emergence de spécialités des woro-woro 171

2.2.1 Le woro-woro communal pour les courtes distances 172

2.2.2 Les woro-woro intercommunaux, maitres des liaisons domicile-travail 173

2.2.3 Le woro-woro, un transport intégré dans le système de mobilité des populations? 176

2.3 Le woro-woro, une pratique de mobilité en expansion 177

2.3.1 Le taxi compteur «obligé» de faire le woro-woro 177

2.3.2 Les gbaka sur les lignes des woro-woro 179

2.3.3 «La lutte» des territoires 180

Chapitre 3 181

Vers une «autocratie des syndicats»? 181

3.1 Géographie de pouvoir et luttes autour du rôle syndical 182

3.1.1 Le recours au «droit» comme ressource pour se maintenir dans l'espace public 183

3.1.2 La violence comme ressource d'action «syndicale» 184

3.1.3 Le réseau de clientèle ou le «Guantanamo» 185

3.1. «Luttes» autour du rôle syndical 187

3.2.1 Avoir un «territoire» à contrôler 188

3.2.2 Avoir la possibilité d'émettre ses tickets 189

3.2.3 La métaphore du guerrier «compétent» 191

3.3 «Vocabulaire» de la création des gares 193

3.3.1 «Aider les gens à partir» 193

3.3.2 «Sécuriser le secteur» 195

3.3.3 «C'est un mouvement de quartier» 196

DISCUSSION 198

I. Rappel et synthèse des résultats 200

- De la reconstitution de la trajectoire historique des transports alternatifs 200

- Pour comprendre comment les transports alternatifs ont évolué 201

- À propos de la structuration des transports alternatifs 203

II. Comparaison des réponses au déficit de transport public dans les villes-capitales 204

2.1 Déficit de transport public et émergence de réponses alternatives de mobilité 204

2.1.1 Un étalement et une dissociation fonctionnelle de l'espace urbain 205

2.1.2 Des offres de l'Etat qui basculent d'un extrême à un autre 208

2.1.3 Les Malinkés de Côte d'Ivoire et les Mourides du Sénégal: une communauté de destin dans le transport?211

2.1.4 Le transport urbain de personnes, un facteur structurant de la communauté Mouride 213

293

2.1.5 Les Malinkés de Côte d'Ivoire: une présence très ancienne dans le transport 214

2.1.6 Des transports portés de plus en plus par des populations secouées par la crise 216

III Dynamiques différentielles des transports alternatifs dans les villes-capitales 217

3.1 La dynamique d'évolution des transports alternatifs: un processus identique aux villes en développement?217

3.1.1 Des transports déterminés par les transformations permanentes des contextes nationaux 218

3.1.2 Evolution des transports alternatifs à Yopougon: une trajectoire historique singulière? 220

IV Comment sont organisés les transports alternatifs dans les villes capitales? 235

4.1 Des transports au centre d'enjeux multiples 236

4.1.1 Caractéristiques générales des transports alternatifs 238

4.1.2 À Abidjan, mairies et entrepreneurs privés de transports: seuls pionniers des woro-woro? 241

4.1.3 Afrique du Sud: concurrence entre l'Etat et les associations d'opérateurs privés de transport 247

4.1.4 À Dakar: emboitement d'intérêts entre Etat, mairies et organisations des transporteurs privés 248

CONCLUSION GÉNÉRALE 251

BILIOGRAPHIE 257

ANNEXES 267

TABLE DES MATIERES 288






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