3. Quels résultats ?
3.1 Le patrimoine une thématique
délaissée
Quelque que soit le dispositif mis en place pour interroger le
rapport à l'espace des Villeurbannais j'ai la plupart du temps
était confronté à l'absence quasi-totale d'une
volonté de conservation de bâtiment ou de réhabilitation
que ce soit par exemple pour des raisons architecturales ou pour des raisons
plus personnelles, la démolition n'est pas non plus mal vécue.
Parler de la transformation du quartier c'est surtout quelque chose qui
interroge puisqu'elle implique le renouveau et donc l'inconnu. Toutefois
s'intéresser à ce qui va disparaître ne fait pas partie des
préoccupations des habitants interrogés et ce constat est valable
même pour les plus anciens. Ces personnes sont heureuses de pouvoir
raconter leur
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quartier leurs souvenirs mais de là à les
mobiliser pour reconstruire le quartier c'est bien plus difficile.
Par ailleurs, parler de patrimoine n'apparait absolument pas
comme quelque chose de « naturel », comme quelque chose de
spontané. Il est toujours nécessaire que ce soit une personne
extérieure, une personne préoccupée par ce
paramètre pour qu'il puisse faire l'objet d'une discussion. Dans chacune
des activités que j'ai proposé la question le patrimoine
était suggérée, proposée ou tout à fait
annoncé mais elle n'aboutissait pas à des prises de position
fermes. La perspective de créer un projet patrimonial avec les habitants
est une tâche assez difficile.
3.2 Le patrimoine social valorisé
Le mot patrimoine social me paraissait le plus
approprié pour parler des résultats obtenus. Très souvent
les interrogés m'ont fait part des moments agréables vécus
dans le quartier d'autrefois. La convivialité et l'ambiance
agréable de la rue et du quartier en général ressort
très fréquemment. En revanche ces mêmes souvenirs sont
très rarement rattachés à des éléments
bâtis, à des logements, à des usines ou toute autre
construction du quartier alors que leur lien est attesté. En effet,
l'une des marques de l'industrialisation de la ville réside dans les
différentes constructions de cette époque, les lieux de vie et
les lieux de travail étaient étroitement liés, on
travaillait là où on vivait, les connexions entre les habitants
étaient donc facilitées. Même s'il est parfois
mentionné le lien entre l'aménagement et la potentielle richesse
sociale qu'il peut apporter n'est que rarement mis en évidence et
aucunement mis en avant pour la reconstruction du quartier.
Interroger les habitants sur le patrimoine de leur quartier
dans le cadre d'un processus de rénovation urbaine est une
activité délicate, qui nécessite une approche
diversifiée, et un vocabulaire adapté. Le caractère
industriel du quartier Grandclément n'est plus, à la fois dans
les activités économiques du secteur ni dans les
représentations de ses habitants. Réinvestir, réutiliser
ce caractère industriel apparait ici non pas comme un non-sens mais
disons comme une nouveauté. Les habitants ne se sentent globalement pas
intéressés spontanément par ce paramètre-là,
il faut une fois encore que cette question soit soulevée par des «
experts » du patrimoine du moins pour ce quartier-là et avec cet
échantillon de personnes.
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Finalement, le projet de rénovation urbaine à
l'oeuvre dans le quartier « GrandClément gare » aura
été l'occasion de saisir les multiples enjeux que peut
revêtir une telle opération. Construire ou reconstruire sur une
ville avec un passé marqué, dans le cas présent un
passé industriel implique une nécessaire réflexion autour
de son héritage. Les experts en aménagement du territoire en
charge d'un tel projet ont alors plusieurs possibilités pour traiter la
question. Leur action n'est pas neutre et impacte durablement ce que nous
pourrions qualifier comme l'identité du territoire. Selon les personnes
en charge du projet les orientations peuvent varier considérablement,
pour le quartier GrandClément c'est une agence d'urbanistes et
d'architectes préoccupée par la spécificité du
quartier qui s'est chargée de questionner son renouveau. Un
véritable travail de recherche sur les spécificités de ce
quartier a été mené par l'équipe et le patrimoine
industriel est alors apparu sous ses formes matérielles et
architecturales. Les orientations qu'ils vont tracer vont s'avérer
être les seules décisives dans la restructuration du quartier.
Cependant, aujourd'hui on s'interroge sur la légitimité de ces
acteurs pour réaliser les différentes étapes des
opérations d'urbanisme. La place des habitants est de plus en plus mise
en avant et la concertation habitante mise en place pour ce projet en est la
preuve. La concertation avec les habitants reste néanmoins superficielle
et ne trouve pour l'instant pas de véritables finalité. Elle
intervient trop tard et ne s'adresse pas encore dans les faits à
l'ensemble des riverains. La concertation offre malgré tout un bon
terrain d'enquête pour observer comment les habitants se saisissent de
certaines thématiques du projet urbain, dans le cas présent c'est
la question du patrimoine industriel qui a été soulevé.
Il apparait en définitive que cette thématique
ne fait pas sens pour les habitants, certes une fois qu'elle est
mentionnée mise en forme et définit par des experts en la
matière le sujet apparait beaucoup plus simple mais élaborer une
réflexion poussée sur le patrimoine du quartier et plus
précisément sur son patrimoine industriel s'avère
être une tâche bien plus complexe. Les riverains ont beaucoup de
mal à faire le lien entre le patrimoine social fruit des interactions
entre les individus et le patrimoine bâti. Finalement, la mémoire
ouvrière ne passe pas nécessairement par le biais de traces ou
par leur réinvestissement. Malgré les démolitions et les
friches industrielles la mémoire individuelle reste prégnante et
peut être réactivée par de simples conversations
informelles voire même par la consultation de photos (Veschambre).
Toutefois, ce constat n'est valable que pour les derniers survivants
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de cette époque industrielle qu'en sera-t-il une fois
qu'ils ne seront plus là ? On pose ici la question de la transmission de
cet héritage.
Les aménageurs apparaissent dans ce cas de figure comme
les seuls en mesure d'interroger l'héritage d'un quartier et à
pouvoir véritablement impacter leur devenir dans les projets de
renouvellements urbains. Tant que le site ne fait pas l'objet de revendications
particulières, il peut voir son identité complètement
remodelée. Ce constat interpelle, la question de l'héritage d'un
quartier n'est vraiment discuté qu'en cas de situations conflictuelle,
comment la potentielle disparition des sites industriels doit-elle
abordée ? Mais plus largement, les institutions et professionnels de la
mémoire doivent-ils transmettre leurs connaissances aux habitants ? Si
c'était le cas quels seraient les apports de cette démarche et
quelles seraient ses conséquences sur les propositions
d'aménagement du territoire ?
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