III. Résultats
Les résultats s'articulent autour de quatre axes : les
pouvoirs et limites de l'héritier des terres familiales (1), la
typologie des ventes illicites (2), le processus de vente (3) et les moyens
utilisés par les membres de la famille pour revendiquer leur droit de
propriété foncière à l'héritier (4).
1. Héritier des terres familiales : pouvoirs et
limites
La gestion des terres familiales s'effectue par le biais d'un
héritier (cultivateur, rassembleur et honnête) dont les
compétences s'apparentent certes à celle d'un véritable
chef de famille, mais aussi qui dispose de pouvoirs discrétionnaires qui
s'étendent au niveau de la gestion du patrimoine foncier familial.
En effet, selon l'enquêté B. de Djamandji (46
ans, planteur ; entretien effectué en Mai, 2016) « Pour
désigner un successeur dans la gestion des terres de la famille dans nos
coutumes ici, celui qui est choisi doit être quelqu'un qui s'investit
beaucoup dans les travaux du champ, un rassembleur des membres de la famille et
un homme honnête dans la gestion des terres ». Autrement, la
désignation du successeur des biens fonciers familiaux dans les
contrées rurales de Sinfra s'effectue en faveur d'un membre
utérin (oncle, cousin, ainé ou cadet) ayant en amont fait ses
preuves dans les activités champêtres.Ceci suppose une certaine
omniprésence dans les activités champêtres,
matérialisée par la possession de cultures de rente (café,
cacao). Outre ce fait, il doit veiller à
l'homogénéité des membres pour éviter les effets de
dispersion liés à l'indigence alimentaire et financière
caractéristique du monde rural ivoirien. Par ailleurs, il doit
rétablir ou préserver le cadre familial d'échange
(réunions hebdomadaires, mensuelles et situationnelles) et circonscrire
ses actions dans la préservation de l'unité familiale, condition
indispensable pour éviter les conflits internes dont la
dégénérescence pourrait désagréger le tissu
familial.
A cette responsabilité, se greffe la nécessite
pour le nouvel héritier d'être honnête vis-à-vis des
autres membres de la famille. Ceci suppose que le successeur des terres
familiales ne doit en aucun cas brader les terres et concomitamment,
empêcher que
342
les autres membres (frères, cousins, oncles) vendent
aussi les terres quel que soit la difficulté sociale ou
financière à laquelle ils sont confrontés.
Les enquêtes révèlent que, le nouveau
concessionnaire des terres familiales dispose d'un pouvoir
discrétionnaire quant à la mise en valeur collective des terres,
au partage, à la mise en jachère ou en « zépa
». Autrement, c'est à lui que revient la décision du
partage des terres qui s'élabore selon l'âge, les liens
utérins avec le défunt donateur ou la disponibilité dans
les travaux champêtres, la culture collective ou le «
zépa » (forme de remise d'une portion de terre à un
allochtone en vue d'en faire un champ productif de culture de rente et à
rémunéré l'allochtone au 1/3 de l'espace
cultivé).
Dès lors, le nouvel héritier assumerait les
mêmes responsabilités et bénéficierait des
mêmes privilèges que le père donateur ; plus loin, ce
nouvel acquéreur disposerait de pouvoirs pluriels caractérisant
sa position hégémonique au sein de l'institution familiale.
Celui-ci aurait droit à une part des récoltes des autres membres
de la famille et de l'hôte (zépa) ; mieux ceux-ci seraient
contraints de lui verser des prémices de leurs récoltes sous
peine de stigmatisation et de privation future de nourriture pendant les
moments de disette (klata) ou encore de rupture de contrat de zépa.
Toutefois, selon un enquêté (K., 51 ans,
cultivateur à Blontifla), les pouvoirs du nouvel héritier
connaissent des limites et ceux-ci se particularisent à travers la
disposition unilatérale des terres familiales, au bradage et à
des prises de décisions sans consultation préalable des membres
de la famille. A ce sujet, il affirme « Mon fils, quand un père
désigne un de ses fils pour le succéder, il ne doit jamais vendre
les terres, il doit les garder, les partager à ses frères
(frères de sang et cousins) et ses papas (oncles). Parce que s'il
gère mal et vend les terres à cause de problème qui ne
finit jamais, nous, on va encourager et aider ses parents à prendre
leurs terres et il va rembourser l'argent qu'il a pris avec eux ».
Ces propos recueillis auprès de cet enquêté montrent
que celui qui hérite des terres familiales doit en faire bon usage
(partage aux ayants droits, culture d'ensemble ou jachère). Il ne doit
en aucun cas les vendre, encore moins les mettre en gage personnellement pour
des besoins financiers. Ses actions doivent se circonscrire dans la
préservation de ce patrimoine familial en vue d'un profit collectif.
2. Typologie de ventes illicites
343
2.1. Ventes clandestines
Pour certains enquêtés de Blontifla à
l'image de S. (45 ans, élu gouro), « Le principe fondamental du
système foncier traditionnel « kwênin » était que
tout individu membre de la collectivité villageoise ait accès
à la terre, afin de pouvoir assurer sa subsistance et celle de sa
famille ». Autrefois, le système rural à Sinfra
était marqué par la faible densité démographique,
une abondance de terres et le caractère largement autocentré et
non monétarisé du bien foncier. Souvent purement formel pour les
habitants du village ou les membres du lignage, le pouvoir de contrôle de
l'autorité foncière autochtone devenait effectif vis-à-vis
des étrangers au village. Pour un étranger à la
communauté, l'accès à la terre dans le cadre du
système coutumier traditionnel s'apparentait à une
dépendance caractéristique d'un processus plus large
d'intégration à cette communauté, à travers une
relation de tutorat. Cette relation était censée perpétuer
la relation uniquement verticale entre ces acteurs : patron (autochtone) et
subordonné (migrant) auquel des droits sur la terre sont
délégués sous un principe d'économie morale qui se
matérialise par des civilités, des actes de reconnaissance envers
le tuteur.
L'intégration des communautés villageoises
à l'économie de marché depuis quelques décennies
à Sinfra, s'est traduite par l'introduction, dans les systèmes de
culture du département de Sinfra, de spéculations arbustives
(caféier, cacaoyer et aujourd'hui l'hévéaculture) qui,
à la différence des cultures vivrières, occupent le sol
pendant de nombreuses années consécutives. La demande en terre,
devenue source de valeurs marchandes, a considérablement augmenté
sous les effets conjugués de la croissance démographique et
l'intéressement supplémentaire de cette constellation d'acteurs
nécessiteux, du fait des perspectives de gain procurées par
l'usage de la terre dans les contrées rurales de Sinfra. Pour les
nouveaux venus, l'accès à la terre s'est manifesté sous
forme d'attribution d'un droit de culture sur forêt noire ou sur friche,
par l'achat de forêt ou encore par l'achat d'une plantation à un
planteur allochtone ou allogène quittant la région. Cet
accès a été largement tributaire de l'hospitalité
du peuple tuteur, des prédispositions mystiques, de la prophylaxie
occulte des migrants et de la volonté des autochtones à se
conformer aux principes culturels ancestraux.
Aujourd'hui, cette propension au respect des normes
culturelles et des liens amicaux de type dépendantiste tendent à
laisser place à des actions de ventes des terres
344
personnelles, mieux à des ventes illicites de terres
familiales. En effet, cette pratique assez fréquente dans la
région consiste à des marchandisations imparfaites, occultes de
l'héritage foncier par certains membres de structure familiale, qui,
usant de leur situation d'hégémonie familiale, vendent des
portions de terre à des particuliers allochtones ou même
non-ivoiriens. La plupart de ces transactions s'élaborent seulement sur
la base de conventions de ventes sans certification par les autorités
locales. Très peu de ces « arrangements » font
l'objet d'acte notarié ou de certificat foncier comme l'exige la loi
foncière (Art 12 et 14 de la loi n° 98-750 du 23 Décembre 1998).
Ces transactions sont souvent arrangées par des intermédiaires
locaux. Ils ont une certaine facilité de négociation et ont des
liens assez étroits avec les paysans car, natifs de la
communauté. Les paysans, pour la majorité, analphabètes
font l'objet dans certains cas de harcèlements par des propositions
d'achats quotidiens. Ces intermédiaires font recours à de fausses
promesses et des artifices tels que les fausses rumeurs d'expropriation de
leurs terres prévues par l'Etat ; et le tout, dans le but de convaincre
de nombreux paysans de vendre leurs parcelles.
Dans ces conditions, tandis l'intermédiaire
reçoit de commission de part et d'autre des acteurs de la transaction,
les autochtones « vendeurs » justifient leurs gestes par la
faiblesse des moyens économiques. Autrement, par le besoin
d'améliorer leurs conditions financières afin de subvenir
à leurs besoins sociaux de base ou encore par la survenance de
problèmes sociaux qui nécessitent une urgence
réactionnelle tels que des cas de maladies graves, le
décès d'un parent direct ou les parents de son épouse, ou
encore compenser une dette afin d' éviter les effets de
déshonneur.
Dès lors, les ventes illicites des terres familiales
observées avec beaucoup d'acuité dans les contrées rurales
de Sinfra, ressemblent plutôt à bradage qu'à une affaire
économique pour ceux qui ont le droit d'hériter (oncles,
ainés) au sein de l'institution familiale.
2.2. Multiples cessions
Les enquêtes effectuées dans la zone
d'étude révèlent que la majorité des terres de la
tribu Sian font régulièrement l'objet de cessions multiples
à divers allochtones par les détenteurs de l'héritage
familial. De ce fait, les cadets (citadins, déscolarisés,
aventuriers) essaient de bouleverser l'ordre établi par leurs
ainés ou oncles en se positionnant au coeur du débat foncier
familial ou lignager. Dans de nombreux cas, ils
345
rejettent tous contrats établis sans l'accord familial
et réclament des attestations d'achats aux allochtones exerçant
sur des parcelles « achetées ».
Après de fréquentes vérifications des
contrats passés, il s'en suit des expropriations ou des tentatives
d'expropriations violentes ou pas, des appropriations de terres soit à
des fins de nouvelles ventes ou d'usage. En effet, même si les jeunes de
Sinfra s'approprient les terres anciennement vendues aux allochtones,
l'objectif ne paraît pas nécessairement l'utilisation agricole ;
ces évictions foncières traduisent le plus souvent la
volonté d'une seconde vente des terres consolidées, à des
prix plus élevés. On assiste alors à un effritement de la
structure familiale caractérisé par l'ignorantisme du cadre de
discussion familial, des remises en cause de la hiérarchie familiale,
des ventes plurielles des espaces familiaux, l'élaboration de contrats
occultes de vente, des ventes simultanées de la même parcelle. En
un mot, l'institution familiale se désagrège et apparaît
comme le théâtre où chaque membre de la famille vend des
parcelles pour son profit personnel.
A titre illustratif, nous pouvons évoquer le cas d'une
autochtone de Digliblanfla (Philomène) qui a assisté à la
vente de la quasi-totalité des portions familiales par ses frères
(Claude, Joachim) et dont l'unique justificatif était l'indigence
économique. Ainsi, toutes ces cessions ont été
effectuées sans un retour réflexif sur la situation
foncière de leur frère cadet, venu à l'aventure à
Abidjan.
De retour au village en raison de la difficile
intégration professionnelle dans cette agglomération, Roger s'est
vu dépossédé de toute portion pouvant l'objet d'usage
agricole. Toutefois, tandis que celui-ci tentait par des voies
coutumières et administratives, de récupérer certains
espaces, les allochtones qui ont acheté ces terres, venaient massivement
porter plaintes pour double ou triple cession.
3. Processus de vente
Le processus de ventes illicites des terres familiales
s'effectue selon B. (64 ans, planteur à Béliata) à travers
« des arrangements entre un propriétaire de terre et un payeur
suivis de leurs témoins. Ces arrangements se font assez rapidement
puisque les autres ne doivent pas savoir que leur frère est entrain de
vendre une partie de leur terre». Autrement, les transactions
illicites des terres dans la majorité des contrées de la tribu
Sian, répond à une procédure non séquentielle, mais
hâtive en dehors de tout contexte légal supposant l'inclusion d'un
notaire, des parents proches et de la chefferie traditionnelle. Ces ventes
élaborées souvent dans la précipitation,
346
engendrent quelques fois des litiges dans la délimitation
de la parcelle ayant fait l'objet de vente, dans l'élaboration d'un
papier servant de base textuelle à la vente et dans le processus
d'après achat.
Schématiquement, le processus de vente pourrait
s'apparenter à la figure suivante :
FIGURE 1 : Processus de vente de terres
familiales
Vendeur : autochtone
Témoin du vendeur
SOURCE : Terrain
Terre
Acheteur : allochtone
Témoin de l'acheteur
4. Revendication foncière des ayants droits 4.1.
Usage de moyens physiques et mystiques
Les investigations sur le terrain d'étude ont
révélé que dans l'ensemble des contrées de la zone
d'étude, de nombreux moyens physiques et mystiques étaient
utilisés par les membres de la famille lors des litiges de terre.
Ainsi, dans le village Tricata, Z. (43 ans, planteur) affirme
que « les litiges de terre à l'intérieur des familles
sont réguliers ici et les moyens utilisés par les frères
sont aussi dangereux les uns que les autres. On peut souvent voir l'utilisation
d'armes blanches telles que les machettes qui sont nos outils de travail, mais
aussi, des fusils de chasse calibre 12 et des flèches traditionnellement
empoisonnées ».
Partant de là, il apparait que ces membres de la
famille qui associent à la fois armes blanches, fusils de chasse et
flèches empoisonnées lors des litiges fonciers, utilisent tout ce
qui leur tombe sous la main en vue d'affaiblir et générer une
certaine peur chez leurs parents en vue d'abandonner la terre à leur
profit. Ces conflits dans leur déroulement, traduisent par ailleurs une
absence de règlementation coutumière et administrative quant aux
moyens de défense homologués en matière intrafamiliale. La
majorité des familles de la tribu Sian, se présentent de ce fait
comme le théâtre où
TABLEAU 1 : Moyens utilisés lors des
conflits
347
tous les moyens sont recommandés dans les litiges pour
affaiblir la résistance de l'autre. Il est aussi à remarquer dans
ces propos, une dysproportionnalité au niveau des armes utilisées
par les uns et les autres lors de ces litiges. Ainsi, tandis certains ruraux
utilisent des armes blanches, d'autres peuvent riposter avec des armes à
feu ou des flèches empoisonnées.
A côté de ces moyens matériels, s'ajoutent
des moyens mystiques fréquemment utilisés par les
belligérants dans l'arène familiale. Il s'agirait
généralement pour ces enquêtés, de coquilles
d'escargot, de petites bouteilles ou même des canaris dans lesquels
certains membres des familles font une mixture ou un cocktail
d'ingrédients mystiques censés investis de puissances ou de
forces issues de divinités. Ces fétiches sont exposés de
façon ostentatoire devant la chambre, le champ ou la cuisine des autres
membres de la famille en vue de déclencher un sentiment de peur chez et
de les faire plier si cela ne l'était déjà,
physiquement.
Ainsi, depuis un certain temps, les acteurs semblent avoir
pris goût à cette pratique de sorte qu'avant ou pendant ces
litiges fonciers intrafamiliaux, on note une course, un empressement de cette
pléiade d'acteurs en conflit vers ces féticheurs en vue de
solliciter leur appui mystique.
Dès lors, de nombreux cas de décès sont
enregistrés au quotidien dans la sphère familiale, créant
ainsi une méfiance généralisée des uns envers les
autres et une désagrégation du tissu familial.
Relativement aux moyens physiques et mystiques
utilisés, la chefferie de la tribu affirme avoir enregistré
durant l'intervalle de Mars 2015 à Mars 2016, 83 conflits intrafamiliaux
sur l'ensemble des 16 villages de la tribu. Ces résultats sont
consignés dans le tableau ci-dessous :
348
Villages
|
Moyens physiques
|
Moyens mystiques
|
Blontifla
|
04
|
44,44%
|
05
|
55,55%
|
Douafla
|
05
|
62,50%
|
03
|
7,50%
|
Proniani
|
03
|
75,00%
|
01
|
25,00%
|
Benhuafla
|
01
|
50,00%
|
01
|
50,00%
|
Béliata
|
03
|
37,50%
|
05
|
62,50%
|
Digliblanfla
|
04
|
44,44%
|
05
|
55,55%
|
Bègoneta
|
03
|
42,85%
|
04
|
57,14%
|
Kouétinfla
|
06
|
42,85%
|
08
|
57,14%
|
Manoufla
|
01
|
33,33%
|
02
|
66,66%
|
Barata
|
01
|
50,50%
|
01
|
50,50%
|
Tricata
|
02
|
66,66%
|
01
|
33,33%
|
Bérita
|
01
|
33,33%
|
02
|
66,66%
|
Dégbesséré
|
00
|
00,00%
|
02
|
100%
|
Proziblanfla
|
00
|
00,00%
|
01
|
100%
|
Koizra
|
01
|
100%
|
00
|
00,00%
|
Koblata
|
03
|
42,85%
|
04
|
57,14%
|
Total
|
38
|
45,78%
|
45
|
54,21%
|
SOURCE : Terrain
Il ressort de ce tableau que les villages Blontifla (07
conflits), Douafla (08 conflits), Béliata (08 conflits), Digliblanfla
(09 conflits), Bègoneta (07 conflits), Kouétinfla (14 conflits)
et Koblata (07 conflits) ont enregistré plus de conflits intrafamiliaux
que les autres villages de la tribu Sian. Cela s'explique par le fait que ces
villages sont pour la plupart regroupés dans les alentours du
centre-ville où cette constellation d'allochtones au pouvoir d'achat
remarquable, vivent. Ainsi, les « kwênins » de ces
villages restent plus exposés à des risques de corruption active
des allochtones, en quête d'espaces de culture et de ventes clandestines
des espaces familiaux.
De plus, le taux relativement élevé de moyens
mystiques (54,21%) par rapport aux moyens physiques (45,78%) se traduit par le
fait que les « kwênins » qui, pour la majorité
sont animistes, restent profondément attachés aux rituels,
à l'invocation d'ancêtres et à la sollicitation
fréquente des mystiques qui errent dans ces contrées
349
villageoises. Cette course vers ces mystiques parait si
ancrée dans les pratiques gouro qu'en cas de conflit au sein de
l'institution familiale, on note un empressement des membres de la famille vers
ces mystiques, pour solliciter leur appui à divers égards. De ce
fait, de nombreux individus de la même famille se voient quelques fois,
solliciter l'intervention du même mystique dans le cadre d'un même
conflit familial.
4.2. Expropriation des allochtones
Le contexte rural de Sinfra, marqué par un antagonisme
permanent autochto-allochtones, est certes imputé à une
croissance démographique accélérée et une
rareté des terres cultivable, mais aussi et surtout à un clivage
identitaire et une difficile cohabitation entre ces peuples au profil
distinct.
En effet, 90% des enquêtés révèlent
que les vagues croissantes de migrations allochtones à Sinfra,
l'hospitalité de ce peuple tuteur, l'octroi incontrôlé des
terres à ces allochtones, loin de favoriser l'établissement de
relations amicales durables et une solidarité organique comme le
souhaiteraient certains ruraux, ont catalysé l'émergence d'un
climat conflictuel caractérisé par la méfiance, les
divergences foncières et des résurgences identitaires.
Ainsi, tandis que les allochtones de la localité
essaient de s'approprier le maximum d'espaces par des méthodes
plurielles (achat, tutorat, métayage), les autochtones, eux aussi,
tentent des appropriations massives de parcelles autrefois octroyées aux
allochtones. De ce fait, ils procèdent par des examens et
réexamens de ces contrats en vue de débusquer des
incohérences, des imprécisions pouvant constituer des
prétextes suffisants pour redéfinir le contrat ou le cas
échéant, exproprier les allochtones de ces domaines. Ces contrats
qui figurent pour la plupart sur des « petits papiers » sont
souvent égarés, mal conservés ou encore imprécis,
occasionnant une satisfaction des autochtones gouro qui peuvent intenter de
nouvelles ventes de ces parcelles ou encore les conserver à leur usage
personnel. Ainsi, pris au « piège » de la
minorité ethnique et communautaire, certains allochtones se voient
racheter leurs propres terres ou expropriés selon des méthodes
pacifiques ou violentes. On assiste donc à un climat dualiste entre ces
peuples, dans un environnement où chacun cherche à étendre
son réseau de relations sociales. Cette dualité, ces
contradictions foncières, se soldent fréquemment par des menaces
d'exclusion, des harcèlements permanents des allochtones sur la
probabilité d'une éventuelle expulsion.
350
Mais au-delà de ce fait, les incendies criminelles
perpétrées par certains allochtones lors des violences
post-électorales de 2011 dans les villages Koblata et Proniani (Sinfra),
occasionnant le décès de 50 autochtones, ont attisé une
stigmatisation des nordistes de la localité et par voie de
conséquence des allochtones. Les allochtones semblent désormais
de plus en plus isolés, écartés des centres de
décisions. Cet étiquetage est d'autant plus perceptible au niveau
de l'institution familiale, lignagère et intracommunautaire autochtone
où l'on assiste à des sensibilisations occultes de certains
cadres gouro sur l'isolement, la mise en quarantaine ou même l'expulsion
des allochtones dans la majorité des contrées rurales gouro.
Toutefois, il est à noter que ces incendies sont
l'oeuvre des groupes isolés aux intentions criminelles et non l'action
conjointe de l'ensemble des allochtones vivants à Sinfra. Ceux-ci sont
désormais stigmatisés dans leur ensemble sous la nomenclature
« allochtone » et expropriés en masse pour ceux qui
ne disposent des contrats d'achats ou de contrats douteux.
Selon des entretiens effectués auprès de G. (29
ans, planteur) à Brunoko, village à prédominance
allochtone (situé à une quinze de kilomètres du
centre-ville), « Depuis la crise, les gouro inventent de nombreux
arguments irréalistes pour nous chasser des forêts ».
Pour le préfet N. (entretiens effectués en
Avril, 2016) « La situation sécuritaire entre les ruraux de
Sinfra s'est principalement dégradé depuis les violences
post-électorales de 2011 ». Certains expropriés
à l'image de K. (56 ans, cultivateur à Blontifla) pensent que
« ces peuples qui étaient aussi hospitaliers, ont beaucoup
changé avec nous. Tout ce qu'ils veulent aujourd'hui, c'est de nous
arracher toutes les terres, même celles que nous avons achetées
». Ce scepticisme des propriétaires terriens s'explique par
une volonté univoque d'exproprier, d'un refus de cohabitation d'avec ces
peuples allochtones.
IV. Discussion et conclusion
Compte tenu de ce qui précède, il apparait que
les ventes illicites de terres dans la tribu Sian, constituent d'une part la
résultante de la mauvaise gestion des terres familiales par
l'héritier désigné et d'autre part, que les autres membres
de la famille seraient charriés dans ce courant d'hypothèque des
biens familiaux pour s'adonner à des ventes clandestines, mieux à
des ventes multiples des mêmes portions de terres. Dès lors, les
aventuriers, citadins, déscolarisés ou les «
frustrés de la famille »seraient
351
de plus en plus enclin à se positionner au centre du
débat foncier familial pour remettre en cause les contrats de vente (
contrats figurant sur de petits papiers) et user de moyens à la fois
pacifiques et violents pour exproprier les allochtones (nouveaux
détenteurs des droits fonciers) des terres achetées.
Ce travail s'appuie sur la théorie de Blumer (1969)
pour qui, comprendre le comportement social d'un individu suppose comprendre
non pas, la signification des choses dans leur forme intrinsèque, mais
plutôt la signification que ces choses ont pour lui.
Notre étude confirme donc les résultats de
recherches antérieures de Coulibaly (2015), dans l'analyse des conflits
fonciers familiaux dans le système matrilinéaire de la
région de Sanwi. Ainsi, dans les conflits internes à
l'institution Agni, l'auteur noterait une propension croissante des
héritiers directs dans l'usage des moyens multiformes (armes blanches)
et des attitudes d'évitement ou de contournement du droit positif.
Toutefois, nos résultats obtenus dans la tribu Sian semblent
différer de celle du peuple Dida (Bazaré, 2014) pour qui, la
vente de terre à Divo n'est un choix du Dida, mais une stratégie
d'expropriation conçue par les allochtones, venus
bénéficier de l'hospitalité de ce peuple tuteur. Nos
enquêtes révèlent plutôt que les membres des familles
kwênin s'adonneraient individuellement à des ventes clandestines
des espaces familiaux pour intenter par la suite des procédures
villageoises d'expropriation de ces allochtones, qui seraient à la fois
pris au piège de la minorité et coupables d'achats sournois de
parcelles.
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