1.2. Politisation de l'atmosphère rurale et
insécurité
« Avec l'indépendance, le système
foncier en Côte d'Ivoire n'a pas subi de transformation radicale. On a
toujours eu affaire à un Etat, caractérisé par la
combinaison de pouvoirsau sein des sociétés paysannes locales
». Ces propos recueillis auprès de Mr D., directeur
départemental de la construction de Sinfra (entretien de Mai
2015)montrent que les acteurs de l'Etat dans leur majorité(élites
politiques locales) ont conservé de fortes relationsavec le monde rural
pour des raisons qui, loin d'être uniquement culturelles, tiennent aussi
aux conditions d'exercice des activités régaliennes de l'Etat.
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À partir de 1994, la crise politique nationale est
marquée par une ethnicisation politique contenue dans le concept de
« l'ivoirité »qui, bien que culturel, s'est
cristallisé dans les consciences rurales comme le concentré d'une
politique d'exclusion ethnique, communautaire et religieuse.
Pour un enquêté de Blontifla (27 ans,
cultivateur, entretien de Janvier 2016)« les problèmes de terre
ici, sont interprétés par les uns et les autres comme en termes
de politique. Une simple mésentente entre deux personnes de
communautés différentes est vue comme un problème
politique et le règlement provoque toujours des murmures dans toute la
ville ».
Dès lors, il s'ensuit que les acteurs ruraux,
administratifs et politiques de Sinfra sont charriés dans ce courant de
politisation de la question foncière avec des implications plurielles,
des dysfonctionnements récurrents des instances de gestion
foncières dans le contexte actuel de Sinfra.
Ces propos de l'enquêté mettent également
en avantune ignorance des ruraux en matière de connaissance de la loi
foncière actuelle (loi n°98-750 du 23 décembre 1998).Ce
faisant, en absence des droits clairement établis pour les populations
paysannes locales sur le foncier rural (la terre appartient à l'Etat et
seuls les ivoiriens peuvent en être propriétaires: art 1 du code
foncier ivoirien ; les non-ivoiriens peuvent bénéficier de titres
fonciers sur des terres acquises : art 26 ; les acteurs ont obligation de
mettre en valeur leurs terres sous peine de réquisition foncière
par l'Etat : art 18), les responsables politiques locales de Sinfra ont et
exploitent toujours à profit cette nébulosité pour
instrumentaliser les groupes qu'ils classifient en foyers antagonistes. Ces
catégories socio-rurales organisées et instrumentalisées
sous le couvert politique, se retrouvent permanemment en conflit sous
l'arbitrage de l'administration locale, qui tente d'établir les bases
d'une réconciliation de façade. Le cycle de violences et
d'interventions partisanes reprend et continue, laissant place à des
réconciliations superficielles et passagères ; qui
elles-mêmes sont régulièrement suivies de conflits
successifs dans la localité de Sinfra. Ces conflits ressurgissant,
précèdent de longues rencontres de réconciliation, qui se
terminent par des échecs de règlement, de nouvelles frustrations
et de nouveaux conflits.
Ainsi, le terrain d'étude apparaît âprement
comme le théâtre où les acteurs politiques, administratifs,
ruraux instrumentalisent les marques de frontières entre
identités pour atteindre leurs objectifs.
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Toutefois, à côté de ces acteurs
administratifs aux attitudes opportunistes, quelques
rentiers profitent de cette situation
d'insécurité foncière. Et les
populations sédentaires se voient se culpabiliser les uns les autres
comme responsables de cette instabilité sociale, de cette
dégénérescence de la situation ; rendant de ce fait
l'équilibre social précaire et politiquement pollué dans
la localité de Sinfra.
Selon enquêté L. (51 ans, planteur à
Brunokro lors d'entretiens effectués en Mai, 2015) « la
politique s'est ingérée dans nos rapports au village ; les cadres
de la ville font des entretiens cachés avec d'autres personnes ; ce qui
ne favorise pas notre cohabitation. Les conflits entre nous deviennent plus
violents et la peur, la méfiance s'installe dans chaque groupe ethnique,
communautaire. A cela s'ajoute les rumeurs quotidiennes, les tentatives de
règlement qui sont toujours contestées par les parties ; laissant
place à des vagues de violences plus sérieuses que les
précédentes ».
Une position que semble partager Maître B. (interview
effectuée en Fevrier, 2015), greffier du tribunal de Sinfra, pour qui,
« les relations entre ruraux sont de plus en plus
antagoniques. Les populations rurales en conflit accusent
régulièrement le système administratif d'inaction ou
encore d'aggravation de ces litiges. Ainsi, ces ruraux remettent en question de
nombreuses décisions prises par certains administrateurs de la
localité pour apaiser les tensions rurales. Dans ce cas, l'option
violente, c'est-à-dire l'usage des autorités répressives,
se solde toujours par des échecs ».
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