3. Moyens utilisés
Les acteurs ruraux font usage de moyens à la fois
physiques (1), mystiques (2) et relationnels (3) lors des conflits fonciers
à sinfra.
3.1. Moyens physiques
Les investigations sur le terrain d'étude ont
révélé quedans l'ensemble des contrées de la
localité,de nombreux moyens physiques étaient utilisés par
les belligérants lors des litiges de terre.
Ainsi, dans le village Zéménafla, T. (29 ans,
fermier) affirme que « les litiges de terre sont réguliers chez
nous ici et les armes de combats qu'utilisent les populations sont nombreuses
et sont aussi dangereuses les unes que les autres. On peut souvent voir des
armes blanches telles que les machettes qui sont nos outils de travail, mais
au-delà, des fusils de chasse calibre 12 et des flèches
traditionnellement empoisonnées dont une petite blessure est suffisante
pour provoquer la mort de la victime ».
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Partant de là, il apparait que ces ruraux qui associent
à la fois armes blanches, fusils de chasse et flèches
empoisonnées, utilisent tout ce qui leur tombe sur la main en vue
d'affaiblir leurs adversaires. Ces conflits dans leur déroulement,
traduisent par ailleursune absence de règlementation locale quant aux
moyens de défense homologués.Le terrain d'étude se
présente de ce fait comme le théâtre où tous les
moyens sont recommandés dans les litiges pour affaiblir la
résistance de l'autre.
Il estaussià remarquer dans ces propos,une
dysproportionnalité notable souvent constatée dans l'utilisation
des armes lors de ces litiges. Ainsi, tandis certains ruraux utilisent des
armes blanches, d'autres peuvent riposter par des armes à feu ou des
flèches empoisonnées.
3.2. Moyens mystiques
Les conflits fonciers fréquemment observés
à Sinfra sont multiples, violents et revêtent par moment et par
endroit, des dimensions métaphysiques. En effet, les propos de G. (35
ans, planteur à Progouri) relatifs aux moyens mystiques utilisés
pendant ces conflits, sont poignants « pendant ces litiges de terre,
de nombreux canaris cassés contenant des objets bizarres sont
exhibés sur les carrefours, les champs, les abords de domiciles de
nombreux ruraux. Ces objets censés investis de puissances ou de forces,
sont posés, cassés, attachés ou plantés par
certains acteurs dans les espaces fonciers de leurs adversaires ».
Cette pratique parait récurrente dans le département, et
même dans lesvillages environnants où cette constellation de
féticheurs (Béninois, dozos, burkinabé, maliens, ou
nordistes) baguenaudent dans toutes les contrées rurales.
Pour Bakari (28 ans, cultivateur et transhumant à
Porabénéfla)« A Sinfra, presque chaque tas de sable, de
gravier, de fagots, de briques, lot de matériaux de construction sur les
chantiers, ou même d'écorce d'arbre sont utilisés par
certains ruraux, pour faire fétiche ».
Il s'agit généralement pour ces
enquêtés de coquilles d'escargot, de petites bouteilles ou
même des canaris dans lesquels ces féticheurs font une mixture ou
un cocktail d'ingrédients mystiques censés investis de puissances
ou de forces issues de divinités. Ces fétiches sont le plus
souvent exposés de façon ostentatoire à l'effet de
déclencher un sentiment de peur chez les adversaires et de les faire
plier si cela ne l'était déjà, physiquement.
«Quand les paysans se battent sur la terre, chacun
appelle ses parents proches et éloignés, sa communauté,
leurs élus, amis et connaissances afin que chacun, à son
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Ainsi, depuis un certain temps, les acteurs ruraux semblent
avoir pris goût à cette pratique de sorte qu'avant ou pendant ces
litiges fonciers, on note une course, un empressement de cette pléiade
d'acteurs en conflit vers ces féticheurs en vue de solliciter leur appui
mystique.
A ce niveau, les propos du chef G.de Bégouafla (67 ans,
retraité) sont révélateurs « les pratiques
occultes effectuées par ceux-ci aux abords des domiciles, des
plantations sont si intenses que de nombreux ruraux remarquent, au-delà
des fétiches, l'apparition d'êtres aux allures bizarroïdes
qui harcèlent certains paysans dans leurs champs ».
Conséquemment, ceux-ci ressentent des malaises aussi subits que brutaux
provoquant de ce fait, une mort assez rapide.
Pour l'enquêté S. de Bégonéta (36
ans, cultivateur) « ce qui est effrayant lors des conflits, c'est les
pratiques mystiques car elles occasionnent plus de morts que les violences
physiques. Certains accrochent des fétiches dans les champs ou cassent
des canaris à côté des plantations, de sorte que tout le
monde courre pour trouver protection auprès de féticheurs. Contre
ce genre d'attaque difficile à prouver, les populations sont contraintes
d'annuler ce pouvoir mystique par un autre pouvoir mystique.
De plus, dans certains cas, des planteurs se font
poursuivre par des génies en brousse ; donc ils sont obligés de
partir chez les féticheurs en vue de faire des rituels de protection
».
Toutefois, même si cette pratique occasionne de
nombreuses pertes en vies humaines, force est de savoir que ces acteurs ruraux
tendent à mystifier, à suspecter le moindre objet nouveau, peu
douteux devant leurs habitations, leurs plantations pendant les conflits. Ce
qui pollue davantage l'atmosphère rurale déjà
insécurisée. Dans ce contexte de désordre social
caractérisé par cet empressement vers les mystiques, de nombreux
individus revêtent des costumes de féticheurs et, par des
pratiques spirito-démagogiques, inventent des cérémonies
supposées expiatoires en vue de marauder le maximum de biens chez ces
acteurs en quête de protection spirituelle.
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