1. Terrain d'étude
1.1. Champ géographique, caractéristiques
socio- démographiques, regroupement historique et activités
économiques et raisons du choix
1.1.1. Champ géographique
Selon le rapport provisoire de gouvernance locale du Bureau
National d' Etudes Techniques et de Développent (BNETD 2005), Le
département de Sinfra s'étend sur une superficie de 1618
km2. Il est limité dans la partie Nord par le
Département de Bouaflé, au sud par les départements
d'Oumé et de Gagnoa, à l'Est par le district de Yamoussoukro et
à l'ouest par le département d'Issia.
Chef-lieu de département, Sinfra est situé
à environ 246km d'Abidjan, la capable économique, à
environ 77 km de Yamoussoukro, la capitale politique et à 49 Km de
Bouaflé, chef- lieu de région. Ce département est
situé en zone forestière. Le système hydrographique a des
particularités aussi bien régionales que locales.
En outre, la localité de Sinfra est arrosée par
un affluent du fleuve Bandama. Les précipitations sont importantes dans
cette région et engendrent une moyenne annuelle pluviométrique
située entre 1200 mm et 1500 mm / an.
Le Département est caractérisé par une
pénéplaine jalonnée d'élévations dans le
nord-est où se dressent le mont « liago » et les
chaines « kokoumbo ».
Le site urbain est constitué de deux plateaux (1
à 3% et 5 à 10% en quelques endroits) qui sont intercalés
par des bas-fonds et des marigots.
Aussi, deux types de forêt dominent le paysage ; on y
rencontre une forêt dense dans le sud et une forêt
clairsemée dans le nord.Par ailleurs, on note la présence d'un
îlot
99
de savane dénommée « la plaine des
éléphants » qui crée une sorte de rupture dans
le paysage naturel.
Aujourd'hui, l'ensemble du couvert végétal fait
l'objet d'une exploitation accrue à travers de vastes plantations de
cultures vivrières et de rente.
Mais au-delà de ce fait, le Département de
Sinfra compte 71 localités dont 54, bénéficient de
l'électrification (BNETD, 2005). Cette zone totalise 848 km de route
dont 99 km sont bitumées. Les routes sont d'une façon
générale des pistes qui mènent dans les localités
villageoises. Enfin, la situation géographique de cette zone convient
à l'agriculture.
1.1.2. Caractéristiques
sociodémographiques
Selon le RGPH (2014), la population de Sinfra est
estimée à environ 90.711 habitants. Cette population a connu
différentes phases dans son évolution. Déjà en
1975, la population de Sinfra était estimée à environ 67.
789 habitants (RGPH, 1975).Cette population est passée à 120.301
habitants 1988 puis à 170.015 habitants dont 80 .056 femmes et 89.959
hommes (RGPH, 1998), à 186 .864 habitants (RGPH, 2001) avant de
régresser en 2014 (90.711 habitants).
Au niveau des caractéristiques, il faut noter que cette
population locale est majoritairement jeune et hétérogène
constituée d'autochtones « kwênins »,
d'allochtones et des ressortissants des pays de l'Afrique de l'ouest. Elle
comprend les principales communautés religieuses (chrétienne,
musulmane, animiste) se compose d'autochtones Gouro, investis principalement
dans les activités champêtres, d'allochtones (Baoulé,
nordistes...) qui, tantôt investissent dans les activités
agricoles, tantôt dans le transport et le commerce, et les non-nationaux
(Maliens, Nigériens, Guinéens, Mauritaniens, Libanais, ...) qui
sont les opérateurs économiques (BNETD, 2005). On les retrouve
dans l'industrie de bois, le commerce de matériaux de bâtiments,
de produits alimentaires, phytosanitaires et dans la transhumance. Les
Burkinabés, eux, s'intéressent pour la plupart aux
activités champêtres.
Les données démographiques se trouvent
consignées dans le tableau ci-dessous.
ANNEES
|
1975
|
1988
|
1998
|
2001
|
2014
|
POPULATION LOCALE
|
67.789
|
120.301
|
170015
|
186.864
|
90.711
|
(HABITANTS)
|
|
|
|
|
|
100
Tableau n°3 : Evolution
démographique de la population de Sinfra de 1975 à
2014
SOURCE : BNETD (2005)
Ainsi, cette évolution démographique de la
population de Sinfra, nous permet de présenter la figure suivante :
Source : RGPH, 2014
200000
150000
100000
50000
0
1975 1988
1998
Figure1: Evolution démographique de la population
de Sinfra de 1975 à 2014
2001
2014
Colonne1
Colonne1
A partir de cette figure, l'on peut remarquer que :
- De 1975 à 1988, soit en 13 ans, la population est
passée de 67.789 à 120 .301 habitants, équivalant à
52.512 habitants, soit 4.039 habitants /an.
-De 1988 à 1998, soit en 10 ans, la population est
passée de 120 .301 à 170.015 habitants, ce qui donne environ
49.714 habitants, soit 4.971 habitants / an.
-De 1998 à 2001, soit 3 ans plus tard, la population de
Sinfra est passée de 170 .015 habitants à 186 .864 habitants,
soit une croissance de 16 .849 habitants, soit environ 5.616 habitants/ an.
-De 1975 à 1998, soit en 23ans, la population de Sinfra
a plus que doublé.
Cet accroissement assez rapide de la population est certes
lié à un fort taux de natalité relativement à un
faible taux de mortalité mais aussi et surtout à une course,
à des vagues de migrations croissantes et incontrôlées des
populations allogènes vers les terres locales de Sinfra.On assiste
dès lors à un déséquilibre dans le ratio
101
populations/ terres et conséquemment à des
compétitions, des luttes pour la consolidation des droits de
propriété sur les terres de Sinfra.
- De 2001 à 2014, cette population estimée
à environ 186.864 habitants, a considérablement chuté
à 90.711 habitants. Ces résultats relativement faibles par
rapport au RGPH (2001 : 186 .864 habitants) corroborent certainement les propos
des autorités locales qui affirment avoir noté un fort taux
d'abstention de la population durant cette campagne de recensement.
1.1.3. Regroupement historique et activités
socio-économiques 1.1.3.1. Regroupement historiquedu peuple «
Sian »
Selon le chef T. (61, rétraité à
Blontifla) « les Gouro de Sinfra vivaient avec les Yacouba et les
Gagou à Goele au début du XIe siècle
».Ainsi, la croissance démographique de ces
peuples sédentaires, poussera certains d'entre eux en occurrence les
Gagou et Gouro à migrer progressivement de l'ouest vers le sud-ouest en
quête de terres propices de cultures et d'installation.D'escales en
escales, ces peuples vont stagner entre le XVe et le XVIe siècle
à « tonla » (Bediala) où les gouro prendront
une ascendance démographique.
Ainsi, à partir de « tonla », il y a eu
des détachements caractérisés par des affrontements entre
ses peuples aux caractéristiques sociodémographiques
inégales. Ces violences ont été imputées à
un cas d'adultère commis par un gagou sur un gouro et le refus de
réparation du préjudice matériel au peuple Gouro
lésé.
Ces violences se soldent par la défaite des gagou du
fait de la minorité et leur fuite vers l'est (actuel Oumé) et
simultanément, le départ des Gouro vers le Nord, parce que
refusant de demeurer sur un espace qui a servi de champ de conflit.
Cette vague de migrants Gouro va stopper sa marche aux abords
de « Davo », un affluent du fleuve
Sassandra où, passionnés par la pêche, l'activité
agricole constituera pour ce peuple, une activité secondaire dont le
soin sera aux premiers migrants (nordistes, baoulés) en quête
d'espaces d'habitation et de culture.
Selon ce même chef, « Gagou »
proviendrait de « Kagou » qui signifie
« partez » en Gouro.
La dénomination « Sianfla »
aurait donc été donnée en début de XVIIe
siècle par les premiers migrants Gouro.
102
Par ailleurs, à cette époque, les
propriétaires terriens « terezan »
cédaient ou louaient des parcelles de terre aux premiers migrants
allochtones (senoufo, malinké, baoulés,...) et aux non-ivoiriens
(burkinabés, maliens, peulh) à cause des invasions
fréquentes de plantations par les éléphants, qui
étaient en nombre important dans la zone(Chauveau, 2002 ;Meillassoux,
1964).
Ces derniers, reconnus pour leurs aptitudes mystiques, avaient
pour tâche, au-delà des prestations champêtres, la
surveillance et l'entretien des plantations des «
terezan » contre les éléphants et les
voleurs de récoltes.
Pour mener à bien cette surveillance, ceux-ci fondaient
leurs familles non loin des plantations et ces endroits, prenaient peu à
peu l'allure de grands espaces d'habitations avec la mise en place des
marchés hebdomadaires, des terrains de jeu et l'organisation
d'activités socio-culturelles.
Aujourd'hui, certains paysans gouro, notamment dans le souci
de préserver leurs plantations constamment sous la menace des voleurs et
des feux de brousse, surveillent leurs différentes cultures
pérennes et maraîchères en se regroupant en
communauté dans le voisinage de leurs plantations. Ces nouvelles
entités ainsi formées (campements) se limitent
généralement à un nombre restreint de cases et sont
souvent le fait d'une même lignée (Kana, 2010).
Ces migrants allogènes négociaient donc la
cession d'une parcelle de terre par le système de « tutorat
», créant ainsi une dépendance vis-à-vis de
leurs tuteurs à qui, ils reversaient une partie
généralement faible de leur revenu annuel (Chauveau, 2002 ; 2006
; Lavigne, 2002). Nous y reviendrons au chapitre suivant.
1.1.3.2.Activités
socio-économiques
Dans le département de Sinfra, la principale source de
richesse est l'exploitation agricole et forestière(1), quand bien
même il existe des activités quelque peu marginalisées
telles que la chasse(2), la pêche(3) et l'élevage (4).
1.1.3.2.1. Exploitation forestière et
agricole
Regroupés en général dans les villages,
les gouro de Sinfra pratiquent principalement l'agriculture (BNETD, 2005).
Leurs activités agricoles sont dominées par les cultures
pérennes telles que le café, le cacao et souvent par le coton et
l'anacarde et les cultures maraîchères (tomate, oignon, aubergine,
piment,...).
103
Les cultures commerciales sont associées aux cultures
vivrières pour contenir les périodes de famine (LeBlanc,
2004).
Dans la pratique, on note que les modalités de semence
ou d'implantation ne sont pas excellentes puisqu'elles épuisent les
sols, l'usage d'engrais et la jachère sont négligées au
profit de la technique sur brulis (technique la plus utilisée dans les
contrées rurales de Sinfra). On note aussi une quasi-absence des
cérémonies associées aux prémices ou à la
récolte, aucun culte n'est voué à l'agriculture et le
défrichage des nouvelles terres ne s'accompagne qu'exceptionnellement de
sacrifices de poulets (Chauveau, 2002 ; Jacob, 2007).
Mais au-delà, l'exploitation agricole joue un
rôle majeur dans l'économie de subsistance, dans l'affirmation de
l'identité socio-culturelle des ruraux et c'est autour de cette
activité que s'organisent les rapports sociaux les plus étroits
et les plus durables (Echui, 1993 ; Meillassoux, 1964).
Les Gouro de Sinfra apprécient en premier lieu le riz
et la banane plantain. L'igname et le taro apparaissent comme des cultures
d'appoint dont la récolte se fait en période de soudure du riz.
Le maïs est trimestriellement cultivé et le manioc est
considéré comme une nourriture de disette. La banane qui se
récolte toute l'année, permet un étalement de la
production vivrière et atténue les disettes les plus graves. A
ces plantes qui fournissent l'alimentation de base, s'ajoutent quelques
légumes et condiments dont, en particulier le gombo, les courgettes, la
tomate et le piment (Meillassoux, 1964).
L'agriculture gouro repose sur deux principes : l'association
et la succession des cultures vivrières (riz, igname) et des cultures de
rente (cacao, café). (Chauveau et Dozon, 1984).
1.1.3.2.2. Chasse (lupa)
Dans les contrées rurales du Département de
Sinfra, la chasse est très marginalisée et dite «
secondaire » par les populations locales (BNETD, 2005).
Selon l'ONG Inter-Environnement Wallonie (2002), diverses
raisons ont réduit cette pratique en une activité de second ordre
:
- La raréfaction du gibier due aux chasses collectives
contre les éléphants et d'autres animaux destructeurs de
plantations.
104
- La restriction de la possession des armes à feu
excepté le calibre 12, qui lui aussi, par certaines restrictions
administratives, limitent son usage à son possesseur.
Dans ces conditions, les gouro de Sinfra ne se livrent
généralement qu'à la chasse des rongeurs, des singes, des
antilopes, des biches et des oiseaux,... Ainsi, avec des chiens
préparés à cet effet, les chasseurs, aux heures tardives
de la nuit fouillent les brousses et y débusquent parfois quelques
bêtes.
Les chasseurs gouro ou «
loupazan » avaient un rôle social
déterminant (Meillassoux, 1964 ; BNETD, 2005). Ils constituaient les
éclaireurs pendant les déplacements massifs des
populations« kwênins ». Ils découvraient lors
des expéditions, des terres qu'ils qualifiaient de «
vômantèrè » et s'y installaient
avec les siens. Ils avaient, par leur art, la possibilité de
s'émanciper de la tutelle de leurs ainés et s'installer sur de
nouvelles terres à l'écart du groupe.
Toutefois, bien que moins fréquente de nos jours
à Sinfra, la chasse remplit une fonction sociale importante ; les
produits issus de la chasse constituent pour le meneur et le groupe, un certain
prestige et une source de cohésion dans le partage du gibier entre les
groupes dénommés « bêyi
» et « bêbou » qui, après quelques
petites ventes, utilisent leurs différentes parts pour nourrir leurs
familles.
1.1.3.2.3. Pêche
Les « kwênins » de Sinfra n'ont pas
une grande tradition de pêche à cause du manque de grands cours
d'eau dans le département (de Sinfra). La pêche y est
saisonnière et ne peut satisfaire les besoins locaux si bien que le
marché central est approvisionné par le poisson venant de la mer
(Abidjan, San-pédro) et du lac Kossou (Bouaflé) (BNETD, 2005 ;
Meillassoux, 1964).
De plus, elle est pratiquée dans les petits barrages ou
puits construits par les populations pendant la saison sèche
c'est-à-dire entre le mois de décembre et le mois de
février.
Les méthodes utilisées y sont encore
rudimentaires (filets, nasses, cannes à pêche,..) et les produits
issus de cette pêche, après quelques ventes, servent directement
à l'alimentation des populations rurales.
1.1.3 .4. Elevage
105
Dans le passé, les Gouro de Sinfra s'investissaient
régulièrement dans la transhumance et le bétail
n'était élevé que dans un but strictement alimentaire
(BNETD, 2005 ; Meillassoux, 1999). Plus généralement le
bétail était sacrifié rituellement lors de
cérémonies propiatoires ou expiatoires selon le conseil des
sages. La viande en était consommée collectivement ou
partagée entre les membres du village ou même de la tribu selon
l'ampleur de la cérémonie, avec distillation des os pendant la 2
ou 3 nuits.
Selon l'enquêté M. (Kononfla, 49 ans,
planteur),« les hommes riches offraient souvent une tête de gros
bétail en guise de dot, à côté d'autres biens. Le
meurtre volontaire ainsi que l'adultère commis entre proches (au sein
d'un même gouniwuo ou avec la femme de son frère), les insultes
graves comme traiter par exemple un homme d'esclave étaient
également compensés par la remise d'un boeuf ».
De ce fait, la fonction sociale de l'élevage demeurait
liée aux pratiques cérémonielles et religieuses. Le
bétail fournissait la matière des échanges sociaux. Par
ailleurs, l'existence d'un troupeau abondant permettait de multiplier les
manifestations de cohésion sociale et d'alliance. Le gros bétail
plus que le petit permettait d'étendre ces manifestations aux groupes
les plus larges, parfois à la tribu tout entière, parce qu'il
constitueune nourriture hautement appréciée par la population
rurale de Sinfra.
Aujourd'hui, c'est le petit bétail (mouton, cabri) qui
tend à remplir ces fonctions: il est lui aussi utilisé dans les
sacrifices et des alliances et est utilisé dans la composition des
amendes, des compensations et des dots comme premier cadeau offert à la
mère de la jeune fille.
Il sert également aux rituels villageois tels que
l'adoration des rivières « sokpo », du python «
ménin san » et des masques sacrés «
djê ».
L'élevage du gros bétail est aujourd'hui de plus
en plus monopolisé par les peulhs, maliens, guinéens et certaines
autorités (coutumières et administratives) du
département.
1.1.4 Raisons du choix du terrain
Trois raisons ont milité en faveur du choix du
département de Sinfra.
? La première s'articule autour la bonne connaissance du
terrain d'étude. En
effet, nous sommes originaires de ce département et
nous y avons passé une grande partie de notre adolescence. Les
autorités coutumières dans leur majorité et certaines
autorités administratives sont des parents proches ou
éloignés; ce qui a facilité les
106
autorisations d'échanges et la mobilisation des
données dans les différentes structures de la localité.
? La deuxième raison est relative à la taille de
la population d'enquête (90.711 habitants selon les recensements de
2014). Une telle population d'enquête favorise la réussite de
cette étude qui serait impertinente dans un environnement
caractérisé par un faible effectif, quoique les versants positifs
de la gestion des conflits fonciers, au plan coutumier et administratif restent
des secrets de polichinelle.
? La troisième est liée à la position
géographique du cadre d'étude. En effet, le département
est situé en zone forestière et dominée par les plateaux
avec une diversité de sols (ferralitiques et ferrugineux, c'est à
dire riches en oxyde de fer et en humus) capables de favoriser le
développement des cultures aussi bien saisonnières que
pérennes (Léon, 1983 ; Brou, Oswald, Bigot et Servat, 2005). A
cela s'ajoutent les migrations allochtones et leurs méthodes de
consolidation foncière qui font de ce département, un
véritable environnement social ou les acteurs sédentaires
s'entrechoquent et se disputent de façon récurrente les portions
de terre.
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