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La gestion des conflits fonciers entre autochtones et allochtones dans le département de Sinfra.


par Jean Noel PacàƒÂ´me KANA
Université Félix Houphouet Boigny d'Abidjan - Doctorat en Criminologie 2019
  

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1. Terrain d'étude

1.1. Champ géographique, caractéristiques socio- démographiques, regroupement historique et activités économiques et raisons du choix

1.1.1. Champ géographique

Selon le rapport provisoire de gouvernance locale du Bureau National d' Etudes Techniques et de Développent (BNETD 2005), Le département de Sinfra s'étend sur une superficie de 1618 km2. Il est limité dans la partie Nord par le Département de Bouaflé, au sud par les départements d'Oumé et de Gagnoa, à l'Est par le district de Yamoussoukro et à l'ouest par le département d'Issia.

Chef-lieu de département, Sinfra est situé à environ 246km d'Abidjan, la capable économique, à environ 77 km de Yamoussoukro, la capitale politique et à 49 Km de Bouaflé, chef- lieu de région. Ce département est situé en zone forestière. Le système hydrographique a des particularités aussi bien régionales que locales.

En outre, la localité de Sinfra est arrosée par un affluent du fleuve Bandama. Les précipitations sont importantes dans cette région et engendrent une moyenne annuelle pluviométrique située entre 1200 mm et 1500 mm / an.

Le Département est caractérisé par une pénéplaine jalonnée d'élévations dans le nord-est où se dressent le mont « liago » et les chaines « kokoumbo ».

Le site urbain est constitué de deux plateaux (1 à 3% et 5 à 10% en quelques endroits) qui sont intercalés par des bas-fonds et des marigots.

Aussi, deux types de forêt dominent le paysage ; on y rencontre une forêt dense dans le sud et une forêt clairsemée dans le nord.Par ailleurs, on note la présence d'un îlot

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de savane dénommée « la plaine des éléphants » qui crée une sorte de rupture dans le paysage naturel.

Aujourd'hui, l'ensemble du couvert végétal fait l'objet d'une exploitation accrue à travers de vastes plantations de cultures vivrières et de rente.

Mais au-delà de ce fait, le Département de Sinfra compte 71 localités dont 54, bénéficient de l'électrification (BNETD, 2005). Cette zone totalise 848 km de route dont 99 km sont bitumées. Les routes sont d'une façon générale des pistes qui mènent dans les localités villageoises. Enfin, la situation géographique de cette zone convient à l'agriculture.

1.1.2. Caractéristiques sociodémographiques

Selon le RGPH (2014), la population de Sinfra est estimée à environ 90.711 habitants. Cette population a connu différentes phases dans son évolution. Déjà en 1975, la population de Sinfra était estimée à environ 67. 789 habitants (RGPH, 1975).Cette population est passée à 120.301 habitants 1988 puis à 170.015 habitants dont 80 .056 femmes et 89.959 hommes (RGPH, 1998), à 186 .864 habitants (RGPH, 2001) avant de régresser en 2014 (90.711 habitants).

Au niveau des caractéristiques, il faut noter que cette population locale est majoritairement jeune et hétérogène constituée d'autochtones « kwênins », d'allochtones et des ressortissants des pays de l'Afrique de l'ouest. Elle comprend les principales communautés religieuses (chrétienne, musulmane, animiste) se compose d'autochtones Gouro, investis principalement dans les activités champêtres, d'allochtones (Baoulé, nordistes...) qui, tantôt investissent dans les activités agricoles, tantôt dans le transport et le commerce, et les non-nationaux (Maliens, Nigériens, Guinéens, Mauritaniens, Libanais, ...) qui sont les opérateurs économiques (BNETD, 2005). On les retrouve dans l'industrie de bois, le commerce de matériaux de bâtiments, de produits alimentaires, phytosanitaires et dans la transhumance. Les Burkinabés, eux, s'intéressent pour la plupart aux activités champêtres.

Les données démographiques se trouvent consignées dans le tableau ci-dessous.

ANNEES

1975

1988

1998

2001

2014

POPULATION LOCALE

67.789

120.301

170015

186.864

90.711

(HABITANTS)

 
 
 
 
 

100

Tableau n°3 : Evolution démographique de la population de Sinfra de 1975 à 2014

SOURCE : BNETD (2005)

Ainsi, cette évolution démographique de la population de Sinfra, nous permet de présenter la figure suivante :

Source : RGPH, 2014

200000

150000

100000

50000

0

1975 1988

1998

Figure1: Evolution démographique de la population de Sinfra de 1975 à 2014

2001

2014

Colonne1

Colonne1

A partir de cette figure, l'on peut remarquer que :

- De 1975 à 1988, soit en 13 ans, la population est passée de 67.789 à 120 .301 habitants, équivalant à 52.512 habitants, soit 4.039 habitants /an.

-De 1988 à 1998, soit en 10 ans, la population est passée de 120 .301 à 170.015 habitants, ce qui donne environ 49.714 habitants, soit 4.971 habitants / an.

-De 1998 à 2001, soit 3 ans plus tard, la population de Sinfra est passée de 170 .015 habitants à 186 .864 habitants, soit une croissance de 16 .849 habitants, soit environ 5.616 habitants/ an.

-De 1975 à 1998, soit en 23ans, la population de Sinfra a plus que doublé.

Cet accroissement assez rapide de la population est certes lié à un fort taux de natalité relativement à un faible taux de mortalité mais aussi et surtout à une course, à des vagues de migrations croissantes et incontrôlées des populations allogènes vers les terres locales de Sinfra.On assiste dès lors à un déséquilibre dans le ratio

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populations/ terres et conséquemment à des compétitions, des luttes pour la consolidation des droits de propriété sur les terres de Sinfra.

- De 2001 à 2014, cette population estimée à environ 186.864 habitants, a considérablement chuté à 90.711 habitants. Ces résultats relativement faibles par rapport au RGPH (2001 : 186 .864 habitants) corroborent certainement les propos des autorités locales qui affirment avoir noté un fort taux d'abstention de la population durant cette campagne de recensement.

1.1.3. Regroupement historique et activités socio-économiques 1.1.3.1. Regroupement historiquedu peuple « Sian »

Selon le chef T. (61, rétraité à Blontifla) « les Gouro de Sinfra vivaient avec les Yacouba et les Gagou à Goele au début du XIe siècle ».Ainsi, la croissance démographique de ces peuples sédentaires, poussera certains d'entre eux en occurrence les Gagou et Gouro à migrer progressivement de l'ouest vers le sud-ouest en quête de terres propices de cultures et d'installation.D'escales en escales, ces peuples vont stagner entre le XVe et le XVIe siècle à « tonla » (Bediala) où les gouro prendront une ascendance démographique.

Ainsi, à partir de « tonla », il y a eu des détachements caractérisés par des affrontements entre ses peuples aux caractéristiques sociodémographiques inégales. Ces violences ont été imputées à un cas d'adultère commis par un gagou sur un gouro et le refus de réparation du préjudice matériel au peuple Gouro lésé.

Ces violences se soldent par la défaite des gagou du fait de la minorité et leur fuite vers l'est (actuel Oumé) et simultanément, le départ des Gouro vers le Nord, parce que refusant de demeurer sur un espace qui a servi de champ de conflit.

Cette vague de migrants Gouro va stopper sa marche aux abords de « Davo », un affluent du fleuve Sassandra où, passionnés par la pêche, l'activité agricole constituera pour ce peuple, une activité secondaire dont le soin sera aux premiers migrants (nordistes, baoulés) en quête d'espaces d'habitation et de culture.

Selon ce même chef, « Gagou » proviendrait de « Kagou » qui signifie « partez » en Gouro.

La dénomination « Sianfla » aurait donc été donnée en début de XVIIe siècle par les premiers migrants Gouro.

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Par ailleurs, à cette époque, les propriétaires terriens « terezan » cédaient ou louaient des parcelles de terre aux premiers migrants allochtones (senoufo, malinké, baoulés,...) et aux non-ivoiriens (burkinabés, maliens, peulh) à cause des invasions fréquentes de plantations par les éléphants, qui étaient en nombre important dans la zone(Chauveau, 2002 ;Meillassoux, 1964).

Ces derniers, reconnus pour leurs aptitudes mystiques, avaient pour tâche, au-delà des prestations champêtres, la surveillance et l'entretien des plantations des « terezan » contre les éléphants et les voleurs de récoltes.

Pour mener à bien cette surveillance, ceux-ci fondaient leurs familles non loin des plantations et ces endroits, prenaient peu à peu l'allure de grands espaces d'habitations avec la mise en place des marchés hebdomadaires, des terrains de jeu et l'organisation d'activités socio-culturelles.

Aujourd'hui, certains paysans gouro, notamment dans le souci de préserver leurs plantations constamment sous la menace des voleurs et des feux de brousse, surveillent leurs différentes cultures pérennes et maraîchères en se regroupant en communauté dans le voisinage de leurs plantations. Ces nouvelles entités ainsi formées (campements) se limitent généralement à un nombre restreint de cases et sont souvent le fait d'une même lignée (Kana, 2010).

Ces migrants allogènes négociaient donc la cession d'une parcelle de terre par le système de « tutorat », créant ainsi une dépendance vis-à-vis de leurs tuteurs à qui, ils reversaient une partie généralement faible de leur revenu annuel (Chauveau, 2002 ; 2006 ; Lavigne, 2002). Nous y reviendrons au chapitre suivant.

1.1.3.2.Activités socio-économiques

Dans le département de Sinfra, la principale source de richesse est l'exploitation agricole et forestière(1), quand bien même il existe des activités quelque peu marginalisées telles que la chasse(2), la pêche(3) et l'élevage (4).

1.1.3.2.1. Exploitation forestière et agricole

Regroupés en général dans les villages, les gouro de Sinfra pratiquent principalement l'agriculture (BNETD, 2005). Leurs activités agricoles sont dominées par les cultures pérennes telles que le café, le cacao et souvent par le coton et l'anacarde et les cultures maraîchères (tomate, oignon, aubergine, piment,...).

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Les cultures commerciales sont associées aux cultures vivrières pour contenir les périodes de famine (LeBlanc, 2004).

Dans la pratique, on note que les modalités de semence ou d'implantation ne sont pas excellentes puisqu'elles épuisent les sols, l'usage d'engrais et la jachère sont négligées au profit de la technique sur brulis (technique la plus utilisée dans les contrées rurales de Sinfra). On note aussi une quasi-absence des cérémonies associées aux prémices ou à la récolte, aucun culte n'est voué à l'agriculture et le défrichage des nouvelles terres ne s'accompagne qu'exceptionnellement de sacrifices de poulets (Chauveau, 2002 ; Jacob, 2007).

Mais au-delà, l'exploitation agricole joue un rôle majeur dans l'économie de subsistance, dans l'affirmation de l'identité socio-culturelle des ruraux et c'est autour de cette activité que s'organisent les rapports sociaux les plus étroits et les plus durables (Echui, 1993 ; Meillassoux, 1964).

Les Gouro de Sinfra apprécient en premier lieu le riz et la banane plantain. L'igname et le taro apparaissent comme des cultures d'appoint dont la récolte se fait en période de soudure du riz. Le maïs est trimestriellement cultivé et le manioc est considéré comme une nourriture de disette. La banane qui se récolte toute l'année, permet un étalement de la production vivrière et atténue les disettes les plus graves. A ces plantes qui fournissent l'alimentation de base, s'ajoutent quelques légumes et condiments dont, en particulier le gombo, les courgettes, la tomate et le piment (Meillassoux, 1964).

L'agriculture gouro repose sur deux principes : l'association et la succession des cultures vivrières (riz, igname) et des cultures de rente (cacao, café). (Chauveau et Dozon, 1984).

1.1.3.2.2. Chasse (lupa)

Dans les contrées rurales du Département de Sinfra, la chasse est très marginalisée et dite « secondaire » par les populations locales (BNETD, 2005).

Selon l'ONG Inter-Environnement Wallonie (2002), diverses raisons ont réduit cette pratique en une activité de second ordre :

- La raréfaction du gibier due aux chasses collectives contre les éléphants et d'autres animaux destructeurs de plantations.

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- La restriction de la possession des armes à feu excepté le calibre 12, qui lui aussi, par certaines restrictions administratives, limitent son usage à son possesseur.

Dans ces conditions, les gouro de Sinfra ne se livrent généralement qu'à la chasse des rongeurs, des singes, des antilopes, des biches et des oiseaux,... Ainsi, avec des chiens préparés à cet effet, les chasseurs, aux heures tardives de la nuit fouillent les brousses et y débusquent parfois quelques bêtes.

Les chasseurs gouro ou « loupazan » avaient un rôle social déterminant (Meillassoux, 1964 ; BNETD, 2005). Ils constituaient les éclaireurs pendant les déplacements massifs des populations« kwênins ». Ils découvraient lors des expéditions, des terres qu'ils qualifiaient de « vômantèrè » et s'y installaient avec les siens. Ils avaient, par leur art, la possibilité de s'émanciper de la tutelle de leurs ainés et s'installer sur de nouvelles terres à l'écart du groupe.

Toutefois, bien que moins fréquente de nos jours à Sinfra, la chasse remplit une fonction sociale importante ; les produits issus de la chasse constituent pour le meneur et le groupe, un certain prestige et une source de cohésion dans le partage du gibier entre les groupes dénommés « bêyi » et « bêbou » qui, après quelques petites ventes, utilisent leurs différentes parts pour nourrir leurs familles.

1.1.3.2.3. Pêche

Les « kwênins » de Sinfra n'ont pas une grande tradition de pêche à cause du manque de grands cours d'eau dans le département (de Sinfra). La pêche y est saisonnière et ne peut satisfaire les besoins locaux si bien que le marché central est approvisionné par le poisson venant de la mer (Abidjan, San-pédro) et du lac Kossou (Bouaflé) (BNETD, 2005 ; Meillassoux, 1964).

De plus, elle est pratiquée dans les petits barrages ou puits construits par les populations pendant la saison sèche c'est-à-dire entre le mois de décembre et le mois de février.

Les méthodes utilisées y sont encore rudimentaires (filets, nasses, cannes à pêche,..) et les produits issus de cette pêche, après quelques ventes, servent directement à l'alimentation des populations rurales.

1.1.3 .4. Elevage

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Dans le passé, les Gouro de Sinfra s'investissaient régulièrement dans la transhumance et le bétail n'était élevé que dans un but strictement alimentaire (BNETD, 2005 ; Meillassoux, 1999). Plus généralement le bétail était sacrifié rituellement lors de cérémonies propiatoires ou expiatoires selon le conseil des sages. La viande en était consommée collectivement ou partagée entre les membres du village ou même de la tribu selon l'ampleur de la cérémonie, avec distillation des os pendant la 2 ou 3 nuits.

Selon l'enquêté M. (Kononfla, 49 ans, planteur),« les hommes riches offraient souvent une tête de gros bétail en guise de dot, à côté d'autres biens. Le meurtre volontaire ainsi que l'adultère commis entre proches (au sein d'un même gouniwuo ou avec la femme de son frère), les insultes graves comme traiter par exemple un homme d'esclave étaient également compensés par la remise d'un boeuf ».

De ce fait, la fonction sociale de l'élevage demeurait liée aux pratiques cérémonielles et religieuses. Le bétail fournissait la matière des échanges sociaux. Par ailleurs, l'existence d'un troupeau abondant permettait de multiplier les manifestations de cohésion sociale et d'alliance. Le gros bétail plus que le petit permettait d'étendre ces manifestations aux groupes les plus larges, parfois à la tribu tout entière, parce qu'il constitueune nourriture hautement appréciée par la population rurale de Sinfra.

Aujourd'hui, c'est le petit bétail (mouton, cabri) qui tend à remplir ces fonctions: il est lui aussi utilisé dans les sacrifices et des alliances et est utilisé dans la composition des amendes, des compensations et des dots comme premier cadeau offert à la mère de la jeune fille.

Il sert également aux rituels villageois tels que l'adoration des rivières « sokpo », du python « ménin san » et des masques sacrés « djê ».

L'élevage du gros bétail est aujourd'hui de plus en plus monopolisé par les peulhs, maliens, guinéens et certaines autorités (coutumières et administratives) du département.

1.1.4 Raisons du choix du terrain

Trois raisons ont milité en faveur du choix du département de Sinfra.

? La première s'articule autour la bonne connaissance du terrain d'étude. En

effet, nous sommes originaires de ce département et nous y avons passé une grande partie de notre adolescence. Les autorités coutumières dans leur majorité et certaines autorités administratives sont des parents proches ou éloignés; ce qui a facilité les

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autorisations d'échanges et la mobilisation des données dans les différentes structures de la localité.

? La deuxième raison est relative à la taille de la population d'enquête (90.711 habitants selon les recensements de 2014). Une telle population d'enquête favorise la réussite de cette étude qui serait impertinente dans un environnement caractérisé par un faible effectif, quoique les versants positifs de la gestion des conflits fonciers, au plan coutumier et administratif restent des secrets de polichinelle.

? La troisième est liée à la position géographique du cadre d'étude. En effet, le département est situé en zone forestière et dominée par les plateaux avec une diversité de sols (ferralitiques et ferrugineux, c'est à dire riches en oxyde de fer et en humus) capables de favoriser le développement des cultures aussi bien saisonnières que pérennes (Léon, 1983 ; Brou, Oswald, Bigot et Servat, 2005). A cela s'ajoutent les migrations allochtones et leurs méthodes de consolidation foncière qui font de ce département, un véritable environnement social ou les acteurs sédentaires s'entrechoquent et se disputent de façon récurrente les portions de terre.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry