B. Définitions de la communication interne
On ne trouve pas aujourd'hui, en ouvrant simplement un livre,
la définition de la communication interne. Beaucoup de personnes se sont
essayées à ce jeu difficile et toutes ont été
forcées de constater qu'il n'existe pas de frontières
délimitées. Il est beaucoup plus simple de dire ce que la
communication interne n'est pas que de définir ce qu'elle est. Elle
n'est pas une vitrine. Il ne s'agit pas de « vendre » la
société dans une approche marketing. Elle n'est pas fusionnelle.
Elle n'a pas pour but de créer un esprit communautaire ou « tribal
». Elle n'est pas là pour imposer l'entreprise. Dans cette partie,
nous présenterons des définitions de la communication interne qui
sont apparues successivement au fil de l'évolution des modèles de
l'organisation et des modèles de la communication. Ces
définitions relèvent de deux courants de pensée : la
perspective fonctionnaliste et la perspective interprétative.
1. Définition selon la perspective
fonctionnaliste
La perspective fonctionnaliste, qui est issue de la sociologie
de la régulation (Burrel et Morgan, 1979) observe la
société et l'organisation d'un point de vue objectiviste. Elle
s'attache à expliquer l'ordre, le consensus, l'intégration dans
les grands ensembles organisés. Cette perspective met l'accent sur la
rationalité et le pragmatisme. Elle vise à comprendre le
fonctionnement des systèmes et à prescrire au besoin des
méthodes visant à en améliorer la performance. La
perspective fonctionnaliste est la plus ancienne et elle est encore dominante
aujourd'hui dans les champs de la gestion et de la communication. Dans le
courant fonctionnaliste on retrouve deux définitions : la
communication productive et la communication intégratrice.
v La communication productive :
c'est la communication vue comme outil de production. Cette
définition de la communication présente celle-ci comme un message
transmis par un émetteur à un récepteur à travers
des canaux. En effet, cette représentation très classique de la
communication repose sur une vision mécaniste. Elle correspond, en
théorie des organisations, à la représentation de
l'organisation comme machine que l'on trouve chez les auteurs classiques tels
que Taylor, Fayol et Weber. Cette vision instrumentale de la communication
suppose que l'émetteur fait quelque chose au receveur à travers
le message qu'il envoie (Krone et al., 1987). Elle met l'accent sur le
message qui est en quelque sorte le réceptacle de la signification
créée par l'émetteur. L'émetteur agit sur le
récepteur en transmettant la signification qui est
présentée comme une réalité objective qu'il suffit
de décoder. Le contenu du message est avant tout opératoire
(Laramée, 1989). Il est orienté vers le fonctionnement quotidien
de l'organisation : il décrit la tâche à accomplir,
les méthodes à utiliser, les résultats attendus.
En somme, dans cette définition, la communication est
vue comme un processus d'instruction qui informe les employés sur leurs
responsabilités formelles et qui leur transmet les programmes d'action
nécessaires à la production des biens et services. Elle sert
à diriger, coordonner et réguler les activités des membres
de l'organisation (Farace et al., 1977)
v La communication
intégratrice : Elle présente la communication
comme une relation visant à rassembler les membres de la
collectivité organisationnelle. La communication est alors comprise dans
son sens premier d' « unir ensemble » (cum
unicare). Dans cette définition, la communication est
décrite comme une interaction c'est-à-dire un dialogue, une
relation entre sujets créateurs de sens. L'interaction comme action
réciproque pose que les parties prenantes à la communication sont
à la fois émettrices et réceptrices. La communication
intégratrice permet ainsi à l'individu de se situer dans son
environnement, de prendre part à l'action collective. Cette
définition relationnelle de la communication repose sur une vision
organiste (Sfez, 1991). Elle correspond en théorie de l'organisation
(Morgan, 1989) à la représentation de l'organisation comme un
organisme différencié en interaction avec son environnement ou
comme une communauté culturelle. Cette définition
réintroduit en effet l'individu comme sujet dans un système. Elle
met l'accent sur le contexte qui donne du sens à cette relation et
décrit l'émetteur et le récepteur comme des partenaires
dans l'acte de communication. La signification du message n'est plus seulement
créée par l'émetteur, transmise dans le message et
décodée par le récepteur mais elle est aussi
créée par le récepteur. Le contenu du message n'est plus
seulement opératoire ; il est aussi expressif. La communication
comme comportement exprime des émotions, des sentiments, des attitudes.
On peut donc dire que cette définition de la communication comme une
interaction qui définit des relations au sens de Watzlawick et
al. (1972) rejoint la conception de l'organisation comme une
micro-société.
En résumé, on peut dire que la communication
intégratrice, qui se base sur une définition comportementale de
la communication et sur une vision collectiviste de l'organisation, est de
l'ordre de l'« être ensemble ». Cette
définition amène le gestionnaire à se poser diverses
questions comme par exemple : les membres de l'organisation se
connaissent-ils entre eux ? Sont-ils capables de situer leur action dans
le projet organisationnel et de comprendre les conséquences de leurs
activités sur les autres participants ? Sont-ils conscients des
idées et des pratiques qui les rassemblent ou qui les divisent ?
Toutes ces questions ont pour but de le rendre plus conscient de la
qualité des liens qui unissent les membres de l'organisation et de
l'aider à mesurer le niveau d'intégration de la
collectivité organisationnelle.
2. Définition selon la perspective
interprétative
La perspective interprétative s'intéresse aux
points de vue des acteurs qui sont engagés dans la réalisation
des activités sociales (Burrel et Morgan, 1979). Il s'agit donc d'une
approche subjectiviste qui présente la société et
l'organisation comme des créations humaines, produites à travers
des processus émergents. Cette perspective met l'accent sur le quotidien
et la performance des acteurs en situation. Contrairement à la
perspective fonctionnaliste qui s'intéresse aux structures
(macrosociologie), la perspective interprétative focalise sur les
actions des individus (microsociologie). Pour les tenants de cette approche,
l'ordre, le consensus, la cohésion n'est pas donnée, ils sont
créés au quotidien. Dans cette perspective, la communication
interne est définie selon un seul aspect, celui de la communication
« organisante ».
La communication « organisant » est la
communication qui crée l'organisation selon l'expression de Banks
(1990). Dans cette perspective, on s'intéresse à ce que font les
partenaires de la relation quand ils échangent en de messages. La
communication y est présentée comme une transaction par laquelle
les partenaires bâtissent leur relation et leur identité,
échangent de la valeur, construisent l'organisation. On ne peut plus,
dès lors, parler vraiment de communication interne, mais de
« communication constructive » puisque l'organisation n'est
plus un contenant dans lequel se produisent des activités de
communication. Il s'agit plutôt de l'inverse : l'organisation est le
produit des processus de communication (Mc Daniel, 1977). L'organisation est
contenue dans la communication. Cette conception de la communication
correspond à la définition de l'organisation comme un ensemble de
processus qui la créent, la maintiennent et la défont (Weick,
1969). La communication « organisante » est collective,
multidirectionnelle. Elle concerne tout autant la définition de la
tâche que celle de la relation et de l'identité des acteurs
(Taylor et Giroux, 1993). Elle est une conversation orale et écrite au
cours de laquelle les membres tentent d'écrire le texte de
l'organisation. Cette conversation est collective, ce qui ne veut pas dire
qu'elle soit forcément égalitaire ; certains participants
à cause de leur savoir, de leur autorité formelle et de leur
ascendant peuvent avoir plus d'influence sur le processus de construction de
l'organisation. L'approche de la communication
« organisante » montre la mouvance de l'organisation qui
est constamment en formation. Elle montre aussi que cette mouvance n'est pas un
chaos. Elle est plutôt le reflet de la créativité dynamique
des participants.
En résumé, on peut dire que la définition
de la communication « organisante », qui se fonde sur une
définition transactionnelle de la communication et sur une description
de l'organisation comme produit des activités de communication
quotidienne entre les acteurs, est de l'ordre du « faire
ensemble ». Cette définition processuelle pose au gestionnaire
les questions suivantes : Qui a droit de parole ? Quelle est
l'étendue de la participation et sur quoi porte-t-elle ? Comment
favoriser l'expression et le partage des savoirs et des aspirations ?
Comment soutenir la continuité de cet effort collectif ? Ces
questions visent à évaluer la qualité de la conversation
organisationnelle et le niveau de participation à cette oeuvre
collective.
3. Comparaison des différentes
définitions
Les trois définitions de la communication interne
sus-citées ont été retenues parce qu'elles nous semblent
capturer l'essence de la fonction de la communication dans les organisations
à savoir la création d'un corps commun, le maintien et le
renouvellement d'une collectivité productive et auto-productrice.
Chacune de ces définitions de la communication interne repose sur des
conceptions de la communication et de l'organisation qui sont sensiblement
différentes. Elles réfèrent à des
conceptualisations différentes de la structure, de la culture et du
pouvoir dans l'organisation et mettent l'emphase sur des aspects
différents de la communication en proposant à celle-ci des buts
distincts tout en proposant des problèmes qui leur sont
particuliers.
La communication productive s'intéresse à la
gestion de la transmission des messages, la communication intégratrice
à la gestion des relations, la communication
« organisante » à la création collective de
l'organisation. La première met l'emphase sur la tâche, la seconde
sur les relations entre les personnes, la troisième sur les processus.
La communication productive et la communication intégratrice ont en
commun de présenter l'organisation comme un lieu dans lequel se produit
la communication car elles sont issues d'une perspective fonctionnaliste
(Putnam, 1982). Elles sont toutes les deux prescriptives. La communication
« organisante » quant à elle, s'attache à la
quotidienneté du vécu organisationnel. Elle s'interroge sur les
actions qui fondent l'organisation et est avant tout descriptive. Ce qui ne
veut pas dire qu'elle ne puisse éventuellement produire de
recommandations. En effet, l'observation systématique des transactions
entre participants peut déboucher sur une démarche consciente et
systématique de gestion de l'effort collectif. Contrairement aux
définitions de la communication interne comme productive et
intégratrice qui s'insèrent dans une définition
préalable de l'organisation, la communication
« organisante » propose une définition
communicationnelle de l'organisation. Elle intègre des
éléments des approches précédentes car elle
reconnait l'organisation comme une collectivité productive.
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