La communauté internationale dans le jeu politique togolais à partir de 1990.par Rodolphe Assataclouli BAKOUSSAM Université de Kara - Master en Gouvernance internationale (Sciences politiques) 2018 |
PARTIE I.LA DUALITÉ DES CAUSES DE L'IMPLICATION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE12 « Adulée, encensée, refuge ou dernier rempart d'une opposition en quête de l'alternance, mais aussi incomprise et critiquée, courtisée par le pouvoir en place à travers des politiques de séduction, la communauté internationale jouit d'une réelle célébrité »27 sur la scène politique togolaise. Cette célébrité tient en sa présence dans le jeu politique et du rôle actif qu'elle a dorénavant coutume de jouer dans tous les grands rendez-vous politiques du pays. En effet, la décennie 1990 a été pour le Togo, une période particulièrement trouble, avec des mutations majeures aux plans politique, social, et économique. Ainsi, du fait des idéaux dont elle est porteur, la communauté internationale va occuper une place de choix dans la configuration des rapports de force du jeu politique. Mais il convient de souligner qu'en plus de l'influence des conditions liées à l'atmosphère internationale du moment (Chapitre II), les forces endogènes vont contribuer significativement à l'implication de la communauté internationale dans l'arène politique togolaise (Chapitre I). 27 A. KPODAR, « La communauté internationale et le Togo : élément de réflexion sur l'extranéité de l'ordre constitutionnel », Op cit. 13 CHAPITRE I.LA DYNAMIQUE DES FORCES ENDOGÈNESDans l'euphorie des événements du début de la décennie 1990 marquant la fin du communisme et le triomphe des idées libérales, la soif de la démocratie longtemps éprouvée par les forces politiques au Togo tapies dans l'ombre, trouve un terreau favorable pour son assouvissement. Les références à la communauté internationale dans la nouvelle configuration politique se font jour et prennent des formes diverses. Mais il faut reconnaître qu'il était devenu quasi impossible d'avancer dans le tout nouveau processus de démocratisation ainsi amorcée sans cette communauté internationale, bref sans compter avec elle28. Ainsi, que ce soit directement à travers les discours politiques (section II), ou indirectement à travers les mouvements sociaux (section I), la communauté internationale sera convié à prendre une part active dans la vie politique togolaise. SECTION I. L'USAGE DES MANOEUVRES INDIRECTES : LES MOUVEMENTS SOCIAUX DANS UNE LOGIQUE CONTESTATAIRE MANIFESTEAvant le coup d'envoi à la libéralisation donné par la chute du mur de Berlin, les conditions d'implosions se mettaient progressivement en place au sein même des pays encore sous le joug des dictatures et ceux d'obédience communiste29. Ainsi, si l'on peut admettre que la transition démocratique s'est bouclée pour certains pays avec la décennie 1990, tout porte à croire qu'elle est encore d'actualité dans d'autres pays30. Au Togo, ce sont des mobilisations tous azimuts en contestation du régime que l'on a pu constater, appelant de manière à peine voilée le soutien de la communauté internationale contre ce que certains médias qualifient péjorativement de « curiosité dans la sous-région ». Ainsi, des évènements tumultueux de 1990 à la crise politique qui a connu - sous réserve - son épilogue le 20 décembre 2018, des actions multiformes se sont multipliées dans les rangs de l'opposition politique togolaise portant à la face du monde les luttes intestines qui ont 28 Le monde étant devenu un village planétaire caractérisé par un foisonnement des relations entre acteurs de la scène internationale. 29 Référence faites aux Pays de l'Europe Centrale et Orientale (PECO) et à certains pays africains comme le Bénin. 30 J. WEKO, Les transitions démocratiques au Togo et au Bénin : Dynamique et Mimétisme, mémoire en vue de l'obtention du grade de master II Etude politique, Université Paris II Panthéon-Assas, 2018, 103p. 14 cours dans le pays. Cette internationalisation des tensions internes (Paragraphe I) a eu pour vecteur les médias (Paragraphe II) qui eux, se sont montrés plus expressifs dans l'invitation de la communauté internationale dans le jeu politique togolais. § 1. L'INTERNATIONALISATION DES TENSIONS INTERNESL'internationalisation renvoie aux mécanismes ou processus d'interpellation de la communauté internationale sur des aspects relevant originellement de l'interne. Dans le cas togolais, cette internationalisation s'est faite aussi bien par les togolais en interne (I) et ceux de la diaspora (II). A. L'action in situ« Si le discours de la Baule de juin 1990 qui posait le principe de la conditionnalité démocratique a été postérieur aux revendications démocratiques dans certains pays africains (le Bénin par exemple), dans d'autres en revanche il a servi de catalyseur » 31. En effet dès octobre 1990 32 (le 05 pour être précis), des centaines de togolais descendaient dans les rues de Lomé pour dénoncer « l'absence de mode d'expression politique et la fermeture du régime de parti unique ». Il s'agit de la première grande manifestation jamais enregistrée sous la dictature de GNASSINGBE Eyadema président depuis 1963. La réaction du pouvoir face à ce qu'elle considérait comme un acte insidieux ne se fera pas attendre. Une répression sanglante fut en effet opposée à cet évènement inédit sous la dictature. « Misant toujours sur la soumission et la docilité des togolais prêt à tout encaisser sans réagir, les forces de l'ordre se sont une fois encore opposer aux aspirations du peuple et ce fut le chao » 33. Le bilan officiel faisait Etat de quatre (4) morts, trente - quatre (34) blessés dont deux (2) graves ; vingt - six (26) véhicules brûlés, six (6) postes de commissariats incendiés ou saccagés 34. 31 J. R. HHEILBRUNN et C. M. TOULABOR, « Une si petite démocratie pour le Togo ... » Politique africaine, 1995, pp.85-100 32 Il s'agit en effet de la date du procès de LOGO Dossouvi et de DOGLO Agbelenko. Les deux (2) hommes avaient été interpelés pour avoir produit et distribué des tracts anti régime. Malgré la décision de leurs libérations pour apaiser la tension soutenue par des centaines de supporteurs, il naquit la première grande manifestation démocratique de l'histoire du Togo. Cette manifestation, nonobstant la farouche répression dont elle a été l'objet, ouvrait la voie d'une ère nouvelle, d'un Togo nouveau las de la dictature du parti unique. Voir « d'un procès ... à des émeutes sanglantes » in ATOPANI EXPRESS, premier hebdomadaire privé togolais n° 10 du 17 octobre 1990 33 ATOPANI EXPRESS N° 10, du 17 octobre 1990. 34 ATOPANI EXPRESS, Op cit. 15 Les manifestations suivies de violentes répressions 35 vont se poursuivre dans le «nouveau» Togo avant et après la mise en place de structures politiques formelles d'opposition et cela, sous le regard du monde en pleine mutation. Les actions en contestation du régime se multiplient et prennent diverses formes. Ainsi, de la grande manifestation du 05 octobre 1990 à la Conférence Nationale (du 08 juillet au 28 août 1992) en passant par la grève des chauffeurs 36 du 26 novembre 1990, les togolais manifestent ouvertement leur soif de la libéralisation de leur espace public et savent trouver en la communauté internationale un allié sûr. Aussi sera-t-elle présente dans la plupart des accords politique conclus entre acteurs politique togolais si elle n'en est pas l'initiatrice37. Mieux, on pourrait dire que la communauté internationale manifeste toujours un intérêt toutes les fois que survient au Togo une crise politique. En fait il ne pouvait en être autrement car la déchéance du communisme avec la fin de la guerre froide, a emporté celle de tout autre régime ou système politique méconnaissant un certain nombre de principes démocratiques tels les droits de l'homme, la liberté d'expression et d'association, le pluralisme politique etc. Or telles sont essentiellement ce que vont réclamer les togolais à l'entame de la démocratisation. En effet, après la Conférence Nationale qui a connu une forte implication de la France 38, les chefs des diplomaties française et allemande vont atterrir au Togo le 25 janvier 1993 pour tenter une médiation entre le pouvoir de Lomé et son opposition à la suite de la grève illimitée décrétée par celle-ci pour faire infléchir Eyadema dans son obstination de l'ouverture politique à demi-teinte. La France et l'Allemagne poursuivront les tractations avec la classe politique togolaise et parviendront le 08 février 1993 à Colmar, à conclure un accord entre la mouvance présidentielle et les leaders démocratiques. Malheureusement cet accord sera violé. Ce qui dans l'indignation totale va amener la France à rompre sa coopération avec le Togo après l'Allemagne qui l'avait fait aux lendemains des coups de feu de l'assaut contre le siège de la primature, fin 1991. 35 Le 26 novembre 1990, à la suite d'une grève suivie d'une manifestation organisée par les usagers du transport routier, l'armée inflige une sévère répression faisant des blessés graves et des morts. Voir « le Togo est paralysé, l'armée frappe et tue » in ATOPANI EXPRESS N° 15 du 29 Novembre 1990. 36 Il s'agit d'une grève organisée par les syndicats des chauffeurs à la suite de l'instauration du permis professionnel obligatoire et qui eut un coup sur l'ordre. Cf. 37 ATOPANI EXPRESS, N° 15, du 7 Décembre 1990. 38 « L'ambassadeur de France a signé son entrée spectaculaire dans le processus démocratique en allant arracher des mains dEyadéma les accords du 12 juin 1991 qui ont mené à la Conférence Nationale ».
16 Les actions indirectes sollicitant l'intervention de la communauté internationale vont se poursuivre tant les conditions de la mise en place d'une véritable démocratie au Togo demeuraient un chantier encore très vaste. C'est en 2005, à la suite de ce que nombre d'analyste ont appelé « coup d'Etat constitutionnel » qu'on a encore vu les appels à la rescousse à peine voilés de l'opposition ainsi que certaines organisation de la société civile à l'endroit de la communauté internationale. En effet, à la mort du Président Eyadema, lorsque l'armée décide d'instituer Faure Gnassingbé son fils en succession, des mobilisations multiformes se sont mis en place pour dénoncer ce retour à l'ère de la dictature. Ainsi, le 27 février 2005, les femmes de Lomé ont défilé par milliers pour dénoncer « le coup d'Etat monarchique du clan GNASSINGBE » 39. En réaction aux actions de contestation du pouvoir de Faure Gnassingbé, les militaires vont se livrer à des actes de violence allant des places de manifestations à la violation des domiciles40. Face à cette recrudescence de violence et de violations des droits de l'homme, la réaction de la communauté internationale apparaît sans appel. La Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), L'Union Africaine, L'Union Européenne et même les Etats-Unis d'Amérique exigent le retour à l'ordre constitutionnel. Des sanctions allant des restrictions de déplacements, la rupture des relations diplomatiques aux sanctions économique fusent de partout41. Cette intervention des institutions internationales feront fléchir le pouvoir de Lomé à organiser des élections proprement dites qui porteront légalement cette fois-ci Faure Gnassingbe au pouvoir. Les dernières actions en sollicitations indirecte que l'on a enregistrées, sont celles survenues dans la crise politique d'août 2017. De même nature que les précédentes, les togolais demandent la mise en oeuvre des réformes politiques permettant l'instauration d'un système politique aux relents démocratiques. Toutefois il faut dire que dans la parenthèse 2005- 2017, la communauté internationale a répondu présente dans les différentes tensions opposant le pouvoir et l'opposition togolaise. Si en interne les actions se sont multipliées pour une intervention de la communauté internationale dans le jeu politique du pays, les togolais vivant à l'extérieur y ont également contribué. 39 « Dictature héréditaire », www.ufctogo.com , consulté le 24/03/2019 à 09H07 40 Les 27, 28 février, 1er, 2 et 3 mars 2005, des militaires ont pénétré dans des maisons du quartier Bè de Lomé et s'y sont adonnés à des violences s'apparentant à des traitements inhumains, cruels et dégradants : assassinats, viols, actes de torture et arrestations arbitraires ont été recensés tout au long du mois de février 2005, « Dictature héréditaire » idem. 41 G. DUPONT, « Togo, la CEDEAO passe aux sanctions », article publié le 20/02/2005 et mis à jour le 21/02/ 2005. www.rfi.fr/actufr/articles 34190.asp consulté le 24/03/2019 à 09H50 17 |
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