Le cumul des indemnités de licenciement au moment de la rupture du contrat de travail. état des lieux partagé entre admission et interdiction.par Sébastien Legrand MBALA WOURIA II Université Libre de Bruxelles - Master de spécialisation en droit social 2019 |
I. IntroductionL'activité humaine constitue la force motrice du progrès socioéconomique, et est de ce fait, au coeur des préoccupations juridiques appréhendées par le droit du travail. Le triomphalisme de ce cadre normatif trouve indéniablement son fondement dans le contrat de travail qui, au sens des articles 2, 3 et 5 de la loi du 3 juillet 1798, est défini comme la convention par laquelle, le travailleur s'engage à fournir contre rémunération, une prestation de travail, sous l'autorité d'un employeur. Il s'en suit que le lien de subordination juridique, à la lecture combinée des articles 2, 3, 5 et 17, 2° de cette loi, constitue « le critère principal permettant de distinguer le contrat de travail des autres conventions et spécialement de celles mettant en cause l'activité humaine. »3 Cette subordination juridique, contrairement à la subordination de fait (dépendance économique ou dépendance matérielle) est une prérogative de l'employeur, le seul titre juridique en vertu duquel, il a le pouvoir de donner des ordres qui devront être exécutés par le travailleur dans le cadre du contrat de travail.4 Seulement, aucune oeuvre humaine n'étant parfaite, il arrive qu'au cours de l'exécution des obligations contractuelles, apparait un fait litigieux marquant ou un motif déterminant qui est de nature à entrainer la rupture définitive de la relation de travail entre les partenaires sociaux. Il s'agit d'une tournure extinctive qui a pour effet de libérer les parties de leurs engagements contractuels. Il est de notoriété publique que le droit individuel du travail constitue le consécratoire et le réceptacle d'un vaste corpus de règles impératives destinées à protéger le travailleur salarié contre les agissements illicites de l'employeur pendant le déroulement de la relation de travail, au moment de la rupture et après la cessation de celle-ci.5 Le contrat de travail ne pouvant demeurer ad vitam æternam en vertu de l'article 7 de la loi du 3 juillet 19786, l'employeur et le travailleur disposent dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, d'un droit de résiliation unilatérale conformément aux articles 32, 3° et 37, §1er de cette loi. Cette volonté unilatérale se manifeste par la notification du préavis, le paiement d'une indemnité compensatoire de préavis à défaut de celle-ci ou le constat d'un motif établissant la faute grave. Ce droit de rupture est d'ordre public et par conséquent, les parties au contrat de travail ne peuvent y déroger par des dispositions contraires.7 C'est ainsi que la cour de cassation a jugé que : « est contraire à l'ordre public et, partant nulle, la clause du contrat de travail stipulant que l'employeur ne pourra jamais licencier le travailleur, sauf en cas de motifs de graves »8. Dès le moment où le travailleur s'engage contractuellement, il n'est plus maître de la prestation de travail qu'il fournit à l'employeur en contrepartie d'une rémunération, mais il conserve la possibilité de mettre un terme au contrat de travail, avec ou sans indemnités. 3 MICHELINE JAMOULLE, Seize leçons sur le droit du travail, Collection scientifique de la Faculté de Droit de Liège, 1994, p. 110. 4 L. François et P. GOTHOT, « Principaux problèmes touchés par l'arrêt du 27 mars 1968 : la notion de subordination et sa portée ; le droit international privé du louage de services ou, si l'on préfère, de la relation de travail », R.C.J.B., 1970, p.91 ; cité par MICHELINE JAMOULLE, op.cit., p. 111. 5 VIVIANE VANNES, Le contrat de travail : aspects théoriques et pratiques, Larcier, 4ème édition, 2012, p 10. 6 Loi du 3 juillet 1978 sur le contrat de travail. Disponible sur : https://www.ejustice.just.fgov.be/cgiloi/changelg.pl?language=fr&la=F&cn=1978070301&tablename=loi 7 Cass., 30 septembre 1991, Pass., 1992, P. 89 et J.T.T., 1991, p. 49. 8 Cass., 31 octobre 1975, Pass., 1976, p. 278. 8 Conformément à l'article 66 de l'arrêté royal du 10 juin 2001 portant définition uniforme des notions relatives au temps de travail à l'usage de la sécurité sociale9, il y a lieu d'entendre par rupture irrégulière, la fin du contrat de travail pour lequel l'employeur doit une indemnité au travailleur, en application des articles 39, § 1er ou 40, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Il en ressort que la rupture irrégulière dans le chef de l'employeur, réside dans le fait pour ce dernier de se séparer d'un travailleur en violation des règles impératives du droit du travail qui encadrent le licenciement. La sanction de cette rupture irrégulière consiste en la redevabilité des indemnités de licenciement par l'employeur à l'égard du travailleur lésé. En effet, « en droit belge, le droit de chacune des parties de mettre fin au contrat de travail est discrétionnaire ; ce qui signifie qu'il dépend de la seule volonté de son auteur de mettre fin au contrat, sans que cette volonté soit soumise à des conditions relatives aux causes du licenciement ou au comportement du travailleur. Le droit de rupture, même discrétionnaire n'est toutefois pas absolu. Il est limité par l'existence de nombreuses dispositions légales restreignant la libre volonté de l'employeur et du travailleur. Le droit de rompre le contrat de travail peut également être limité par les dispositions d'une convention collective de travail. Par ailleurs, divers systèmes de protection spéciale contre le licenciement ont été érigés par le législateur en vue de protéger certains travailleurs à l'encontre de mesures de licenciement pouvant résulter de certaines situations particulières liées à l'état physique du travailleur ou à sa situation dans l'entreprise, notamment la femme enceinte, l'ouvrier, le médecin du travail, le délégué syndical, le membre du conseil d'entreprise et du comité de sécurité et d'hygiène. Ces systèmes de protections spécifiques contre le licenciement soumettent le droit de licenciement tantôt au respect de causes précises, tantôt au respect de procédures déterminées, préalables au licenciement. »10 En outre, il est généralement admis que l'exécution forcée du travail n'est pas possible et que le juge ne peut pas contraindre l'employeur et le travailleur à demeurer dans les liens d'un contrat de travail.11 Le droit de résiliation unilatérale a pour effet de rendre juridiquement impossible l'exécution forcée du contrat de travail et ce, parce que l'exercice du droit de rupture entraine justement la dissolution de ce contrat. Il sied de préciser à cet égard que la jurisprudence actuelle opère une distinction entre l'exécution forcée de l'obligation de travailler ou de fournir du travail et l'exécution forcée du contrat de travail.12 Il ressort logiquement de ce constat que la première peut faire l'objet d'une exécution forcée alors que la seconde ne peut pas en faire l'objet.13 En vertu de l'autonomie de la volonté contractuelle, la volonté humaine ne peut être l'otage des relations de travail. 9 Arrêté royal relatif à l'harmonisation de la sécurité sociale à l'arrêté royal du 10 juin 2001 portant définition uniforme de notions relatives au temps de travail à l'usage de la sécurité sociale, en application de l'article 39 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions. Disponible sur: http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/loi_a1.pl?language=fr&la=F&table_name=loi&cn=2001061058&&calle r=list&fromtab=loi&tri=dd+AS+RANK K 10 VIVIANE VANNES, op.cit., p. 1199. 11 J. CLESSE, Congé et contrat de travail, Fac. Dr. Liège, 1992, p. 22. 12 VIVIANE VANNES, op.cit., p. 872. 13 Ibidem, p. 873. 9 C'est dans cette optique que les juridictions du travail considèrent que « le juge... est sans pouvoir pour ordonner provisoirement l'exécution forcée d'un contrat de travail que l'employeur a décidé même illégalement de rompre moyennant le paiement d'indemnités légales. »14 Ainsi, si chaque partie peut s'extirper du champ contractuel par la mise en oeuvre du droit de résiliation unilatérale, il sied de préciser que le législateur a établi des conditions de fond dictant la conduite et la manière avec laquelle ce droit doit être exercé. Pour ce faire, Il a également institué des règles de forme régissant la procédure de licenciement dans le chef de l'employeur et la procédure démission dans le chef du travailleur. On en déduit logiquement que d'une part, le non-respect des conditions de fond entrainant le licenciement irrégulier (soit sur base de l'article 39 de la loi du 3 juillet 1978, soit sur base des réglementations particulières régissant les protections spécifiques contre le licenciement) ou manifestement déraisonnable (en vertu de la C.C.T n° 109) et la démission irrégulière, sera sanctionné par l'octroi d'indemnités, et que d'autre part, la violation des règles de procédure sera sanctionnée par l'octroi d'une amende civile.15 D'un point de vue technique, les indemnités de licenciement dans le chef de l'employeur sont définies comme les montants qui sont versés conformément à la loi et aux réglementations particulières, au travailleur lésé, par ce dernier en vue de réparer les conséquences préjudiciables des mesures illicites qu'il a prises dans le but de se séparer de ce travailleur. Il s'agit clairement de sanctions pécuniaires qui portent sur le non-respect des modalités de rupture relatives aux contrats de travail. S'agissant uniquement des indemnités dues par l'employeur en cas de licenciement irrégulier, de licenciement manifestement déraisonnable et de licenciement lié à une protection spécifique, compte tenu du mutisme neutre dans certains cas du législateur et des solutions hétéroclites retenues par la jurisprudence, il convient de relever que la question du cumul est complexe et soulève deux grandes problématiques, à savoir : Comment le droit positif règle-t-il la question du cumul des indemnités de licenciement ? Mieux encore, quels sont les cas d'admission et les cas d'interdiction du cumul des indemnités de licenciement ? Si dans certains cas spécifiques, le législateur fait montre d'un silence neutre dans la mesure où il n'interdit pas ou n'autorise pas le cumul, en revanche, dans d'autres cas liés à l'indemnité pour LMD, celui-ci clarifie explicitement les situations dans lesquelles le cumul des indemnités peut être admis ou prohibé. Par ailleurs, l'apport de la jurisprudence en la matière n'est pas négligeable. C'est du moins, le constat qui ressort de l'analyse de la convention collective de travail n° 109 du 12 février 2014. Selon les juridictions du travail, le cumul des indemnités est autorisé lorsque celles-ci ne portent ni sur les mêmes motifs, ni sur un même dommage, ni sur un même objet, le licenciement étant un acte par lequel l'employeur, au moyen d'un congé avec ou sans préavis (préavis avec ou sans prestation), congédie définitivement le travailleur. 14 C.trav. Bruxelles, 30 janvier 2001, J.T.T., 2001, p. 136 ; voir aussi dans le même sens, C.trav. Bruxelles, 27 novembre 1986, J.L.M.B., 1987, p. 305. 15 X, « Licenciement manifestement déraisonnable : conditions de l'amende civile et étendue du contrôle judiciaire », commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 7 décembre 2016, R.G. 15/1.281/A, Terra laboris, 2017, p1. Disponible sur : http://www.terralaboris.be/spip.php?article2273 10 En pratique, le critère essentiel réside dans le fait que les indemnités de licenciement ne doivent pas avoir en commun, pour but de réparer une même situation dommageable, même si la demande de réparation auprès du juge s'opère en vertu de textes légaux différents. Pour le juge, le critère majeur d'appréciation du dommage réel du travailleur repose fondamentalement sur le principe de distinction des motifs ou des causes entrainant les mesures préjudiciables dans le cadre du licenciement. Cela revient en pratique, pour le juge, à éviter d'indemniser plusieurs fois le travailleur lésé pour une situation identique correspondant en réalité, à l'invocation d'un seul et même droit.16 L'argent étant le nerf de la guerre, il apparait qu'à notre époque contemporaine, certains travailleurs licenciés auraient tendance à voir en leurs employeurs de potentiels « vaches à lait » auprès desquels, et au besoin, auprès d'un juge, ils pourraient solliciter à tort et à travers toute sorte d'indemnité de licenciement. Une telle démarche est certainement contraire au droit positif et relève de l'utopie. Il en va de même pour les employeurs qui seraient tenter de commettre des abus de droit dans le cadre d'une démission régulière du travailleur, et ceci dans l'unique but d'engouffrer financièrement et psychologiquement ce dernier. Il en ressort que le législateur et la jurisprudence ont posé d'importants garde-fous en matière de cumul des indemnités de licenciement au moment de la cessation définitive de la relation de travail. La fonction protectionniste du droit du travail trouve d'importants points d'ancrage dans la phase contractuelle en ce qui concerne les règles applicables au licenciement du travailleur salarié. La doctrine souligne que ce qui distingue le droit de résiliation unilatérale (article 37, § 1er loi du 3 juillet 1978) du pouvoir de résiliation unilatérale (article 39 loi du 3 juillet 1978), c'est sa licéité.17 L'objet de notre étude retenant une méthode qui a le mérite de combiner technique juridique et approche analytique, consiste sous un angle binaire, à examiner de manière claire et précise, les cas d'admission (II) et les cas d'interdiction du cumul des indemnités de licenciement (III), tout en mettant en exergue les nuances qui sont susceptibles de constituer une source de difficultés importante dans leur détermination. Nous nous baserons à cet égard, sur la loi et les réglementations particulières applicables, tout en se servant de la jurisprudence et de la doctrine pertinentes pour éclairer notre argumentaire, sans cependant prétendre à une analyse exhaustive de celles-ci. Un espoir est gardé en nous que ce travail de longue haleine puisse servir à l'enrichissement intellectuel de la communauté scientifique, et contribuer à l'information des travailleurs salariés sur leurs droits en matière d'indemnités de licenciement. 16 A-V. MICHAUX, A. GERARD, S. et SOTTIAUX, S., « Motivation du licenciement et sanction du licenciement manifestement déraisonnable (CCT n° 109). Analyse critique d'une jurisprudence naissante », R.D.S.-T.S.R., 2018/3, pp 321-396. Disponible sur : https://www.stradalex.com/fr/sl_rev_utu/search/rev/1e0bdfbb3436859fc57ba54ffd08039a28622b58c49e62f81f2 283869a75de08::1?docEtiq=rds_tsr2018_3p321 17 GILSON, S., « Valeurs et intérêts en présence lors du licenciement en droit social belge », in Droit, Economie et Valeurs, Bruxelles, Editions Larcier, 2014, p. 195 - 246. 11 |
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