Il est à rappeler que nous entendons ici par «
évènement » tout phénomène indésirable
(accident ou incident) survenu sur le lieu du travail ou sur le chemin aller ou
retour entre sa résidence et le lieu du travail, ou entre le lieu du
travail et le lieu où le salarié se restaure habituellement et
portant atteinte à l'intégrité physique de celui-ci.
Dans un souci de recherche d'efficacité, nous n'avons
pas fait de différences entre les évènements dont ont
été victimes les intérimaires et ceux dont ont
été victimes les employés Sade.
Il est à rappeler que le calcul des taux de
fréquence et de gravité au sein de la direction régionale,
ne tient compte que des accidents de travail avec arrêt dont ont
été victimes uniquement les employés Sade.
? Répartition selon
l'âge
Les populations dont l'âge se situe entre 20 et 39 ans
sont au centre de 66,66 % d'évènements survenus, avec un pic
observé au niveau de la population d'âge situé entre 20 et
24ans et qui est victime de 18,52 % en moyenne d'évènements. Nous
relevons donc que les populations à risque sont celles se trouvant dans
cet intervalle (entre 20 et 39 ans). Et qu'est ce qui pourrait l'expliquer ?
Ces populations comme nous le constatons sont bien des
populations jeunes, représentant en terme de nombre la couche la plus
importante, soit plus de 60% de l'effectif. Plus on est nombreux, plus grande
sera la probabilité d'être victime d'un accident. Cela ne saurait
justifier le taux d'évènements observés chez cette
population. La piste la plus plausible serait d'expliquer cela par le fait, que
les jeunes semblent faire preuve de plusieurs facteurs qui joueraient en leur
défaveur à savoir :
· Leur jeunesse : qui bien que synonyme de vigueur et de
vitalité, est aussi très bien assimilée à de
l'inconscience, au manque d'expérience.
· De leur prise d'initiative : bien des jeunes ont
tendance à vouloir jouer aux «hommes», à prendre des
initiatives et à se passer le plus souvent des mesures de protection
pour accomplir leur tâche au quotidien (la plupart ne sont pas
sensibilisés au risques qu'ils encourent). N'assimile-t-on pas les
travaux publics à un boulot d'hommes ?
Les jeunes sont très facilement influençables
par les comportements de leurs collaborateurs sur le terrain. Ainsi, leur
fonctionnement serait régi par ce que l'on appelle «l'effet de
groupe», cet effet qui les amènerait à copier des habitudes
et des façons de se comporter bonnes ou mauvaises. Malheureusement, il
se trouve que ces jeunes ne retiendraient que ce qui est dangereux pour leur
sécurité et leur santé.
· Une autre piste nous a semblé plausible : c'est
celle de l'encadrement des jeunes depuis l'accueil sécurité qui
leur est fait jusqu'à leur déploiement sur le terrain au
quotidien. Et la question qui nous vient à l'esprit est celle de savoir
si ces jeunes sont réellement encadrés et s'ils
bénéficient d'une attention particulière.
? Répartition selon le mois, le jour et
l'heure
· Selon le mois
Avec 12,54 % d'évènements observés en
moyenne, juin passe pour être le principal mois le plus
accidentogène, suivi de juillet et septembre avec respectivement 9,97 et
9,69 % en moyenne d'évènements. La similitude qui existe entre
les mois de juin et juillet est qu'ils précèdent le mois
d'août qui est celui des grands congés ; des vacances. Ainsi au
cours de ces deux mois (juin et juillet), on observerait un surcroit
d'activité dû au fait que les compagnons voudraient achever leurs
chantiers avant les vacances, ce qui le plus souvent est une exigence du
client. Travailler dans la précipitation multiplierait la
probabilité de survenance d'un accident.
Quant au mois de septembre (avec 9,69 %
d'évènements), il correspond en fait au retour des vacances de la
grande majorité des effectifs et donc à la reprise de la
totalité des activités. La reprise étant le plus souvent
un peu difficile, les compagnons auraient de la peine à retrouver le
rythme laissé juste avant les vacances.
· Selon le jour
La répartition des évènements
indésirables par jour, indique que plus des 2/3 des
évènements ont lieu les trois premiers jours de la semaine soit
68,94% en moyenne.
Le premier jour de la semaine de travail qui est le lundi, il
a été enregistré le plus grand taux d'accidents soit 25,64
% d'évènements, c'est un jour qui correspond en fait à un
retour de week-end donc, à un changement d'activité.
Avec 23,93% d'évènements observés, le
mercredi est le second jour le plus accidentogène. Ceci pourrait
s'expliquer par le fait que nous arrivons en milieu de semaine et, suite aux
efforts fournis depuis le début de semaine (efforts le plus souvent
assez physiques et intenses), le corps en prend un coup de par la surcharge et
la tension de travail.
Contrairement à ce à quoi on aurait pu
d'attendre, le vendredi n'est pas pour nous à la direction
régionale d'Arras, un des jours les plus accidentogènes. Il passe
même pour être le jour de la semaine de travail où il est
observé le taux d'évènements le plus bas, soit 13,96 %
d'évènements enregistrés.
· Selon les heures
Pour ce qui est des horaires, nous relevons que certains
horaires sont propices à la survenance d'évènements
indésirables. Nous allons décomposer ces horaires en grandes
zones (zone orange et zone rouge).
- Les horaires compris entre 7h et 9h, qui correspondent en fait
à une zone plus ou moins
calme dans l'ensemble, et qui renferme près de 19,08 %
des évènements (zone orange)
- Les horaires compris entre 9h30 et 11h30, dans lesquels se
retrouve plus du tiers d'évènements survenus, soit 35,60 %. Il
s'agit en fait de la première zone rouge, avec le pic enregistré
aux alentours de 10h avec 9,97 % d'évènements observés. Ce
pic vient en fait confirmer ce qui a été observé lors de
l'analyse des données pour les différentes années à
savoir que cette heure reste en fait celle où l'on enregistre le plus
d'événements indésirables.
- La seconde zone rouge, située en milieu
d'après-midi, c'est-à-dire entre 14h et 15h30, , renferme plus du
quart d'accidents soit 27,63% en moyenne d'évènements
indésirables. Un pic est aussi relevé dans cette zone aux
alentours de 15h, zone dans laquelle sont observés 8,83 %
d'événements survenus.
Ces deux zones couvrent 63,23 % d'évènements
survenus au cours de ces 3 dernières années et les zones
où les pics sont observés, à savoir 10h et 15h,
représentent 18,80 % d'évènements.
Nous pensons en fait que ces périodes dites
«rouge» où l'on observe le plus d'accidents, et ces pics
enregistrés à certaines heures de ces périodes pourraient
s'expliquer par les effets secondaires (baisse de la concentration et
maladresse) d'une hypoglycémie suite à une activité
physique prolongée et trop intense.
? Répartition par ancienneté dans
l'entreprise
Le plus grand nombre d'évènements
indésirables survient sur les populations dont l'âge
d'ancienneté dans l'entreprise est compris entre 0 et 8 ans, ce qui
représente un pourcentage moyen de 86,05 % d'évènements
survenus, avec un pic observé pour ceux dont l'âge est inferieur
à un an (39,89 %), suivi des populations dont l'âge est compris
entre 1 et 2 ans (23,08%).
Ces trois types de populations (ceux dont l'âge
d'ancienneté dans l'entreprise est compris entre 0 et 2 ans) sont
victimes de près des 2/3 d'accidents soit 62,97 %, ce qui bien entendu
représente un taux assez élevé rien que pour trois types
de populations.
Ces tranches d'âge (de 0 à 2 ans)
représentent la grande majorité de notre population à
risque. Les jeunes arrivants (nouveaux embauchés et emplois
précaires) seraient sujettes aux accidents. Mais, qu'est ce qui pourrait
expliquer cela ?
Il apparait donc que, l'environnement dans lequel ces «
jeunes » évoluent, reste un facteur déterminant pour leur
stabilité et leur épanouissement. Le temps d'appréhender
la structure, le temps de comprendre quels sont les mécanismes qui font
rouler la machine, le temps de comprendre comment roule la machine, sont autant
d'éléments qui pendant leur phase d'adaptation, laissent planer
un moment de vulnérabilité chez ces nouveaux compagnons.
Le temps de sortir leur isolement afin de se fondre dans la
masse, le temps de se faire accepter par les autres passerait par ces moments
de vulnérabilité, moments pendant lesquels les compagnons
(nouveaux dans l'entreprise) chercheraient leurs repères et se
battraient pour se faire
accepter par le groupe. Ces compagnons n'hésitant
parfois pas à braver les interdits afin de convaincre les anciens de
leurs performances.
Ce taux élevé d'évènements dans
cette tranche d'âge (0 à 2 ans d'ancienneté dans
l'entreprise), pourrait aussi s'expliquer par la présence du stress chez
cette catégorie de personne qui, aurait tendance à croire que
pour intégrer le groupe, il faudrait fournir deux à trois fois
plus d'effort que les anciens. Aller au-delà de leurs limites pour ainsi
démontrer leur «indispensabilité», leur
«professionnalisme» et décrocher ainsi le fameux sésame
qui est l'acceptation de soi par le groupe, l'intégration au sein de
celui-ci et la reconnaissance ultime comme membre à part entière
du groupe.
? Par éléments
matériels
Au cours de ces 3 dernières années, la cause
principale d'accidents au sein de la direction régionale d'Arras fut
l'élément matériel « objets en cours de manipulation
». Cette rubrique, à elle seule, est cause de 31,34 % en moyenne
d'évènements survenus sur nos chantiers.
Vient en seconde position, l'élément
matériel « outils mécaniques tenus ou guidés à
la main », qui est mis en cause dans 9,97 % d'accidents en moyenne.
Nous retrouvons en troisième et quatrième
positions, les éléments matériels « accident de plain
pied » et « chute avec dénivellation », respectivement
mis en cause dans 8,55 et 7,98% en moyenne d'accidents. Les divers quant
à eux sont mis en cause dans 8,55% d'évènements.
L'élément commun à ces tous ces
évènements est bien la présence d'un matériel. On
entend par élément matériel (dans la survenance d'un
évènement), l'élément matériel en liaison
directe avec la lésion. La classification de ces éléments
matériels utilisés dans le cadre de ce travail, est celle
utilisée par la CNAM (Caisse Nationale d'Assurance Maladie) et qui est
utilisée officiellement lors de la rédaction d'une
déclaration d'accident de travail.
Quant aux divers, il s'agit en fait des agents
matériels non classés dans la classification retenue. Cela
contient entre autres des animaux, des insectes, l'insolation, les engins de
guerre...qui régulièrement sont mis en cause dans nombre
d'accidents.
Il apparait clairement qu'à la vue de ces chiffres,
toute manipulation de matériel semble être un souci majeur pour
les opérateurs et au vu des statistiques on se poserait les questions
suivantes :
Les opérateurs sont-ils suffisamment formés sur
les procédés d'utilisation du matériel mis à leur
disposition ? Si non, il faudrait commencer par réaliser un travail
à cette échelle et si oui, on est en droit de se poser cette
autre question, qui est celle de savoir si les opérateurs bien
qu'étant formés, respecteraient-ils les consignes qui leur sont
données ? Si non, un travail devrait être fait à cette
seconde étape, et si oui, une troisième question mérite
d'être soulevée : les conditions dans lesquelles il leur est
demandé d'appliquer les procédures, sont-elles conformes à
l'environnement dans lequel elles se déploient ? Si oui, alors nous
sommes amenés à conclure que les opérateurs font preuve
soit de violation, soit d'indiscipline. Si non, un travail à ce niveau
devrait être mené pour aboutir au final à une
adéquation entre les procédures de travail et l'environnement
dans lequel cela devrait s'appliquer.
On n'entend par violation un écart volontaire à
des fins opérationnelles et par indiscipline, un écart volontaire
à des fins personnelles.4
Les travaux de Rasmussen (ergonome Danois) ont mis en
évidence que l'on pouvait décrire 3 niveaux de contrôle de
l'activité :
- face à une situation nouvelle, que l'on n'a jamais
rencontrée, le fonctionnement est basé sur les connaissances. La
mise en oeuvre des solutions demande de mobiliser toutes es ressources et de
chercher dans ses connaissances des informations.
- face à une situation déjà
rencontrée, le fonctionnement ici est basé sur les règles
acquises, ce qui permet d'économiser son attention en élaborant
des règles du style "si ... il se passe ceci... alors... je fais
cela".
- face à une situation familière, on applique
des solutions à partir de quelques indicateurs, sans chercher à
comprendre en profondeur la situation. Le comportement devient automatique, on
fonctionne en mode routine, par reflexe. Si ce mode de fonctionnement est
très économique (car ne mobilisant pas trop de ressources), il
présente tout de même des failles. L'accident dans ce cas peut
survenir suite au fait que l'on donne très peu d'attention aux
opérations que l'on fait et du coup, tout interruption ou
évènement externe à l'opérateur peut perturber le
déroulement de l'action enclenchée.
De ces 3 niveaux de contrôle de l'activité, le
psychologue Reason a décrit 3 types d'erreurs possibles
:
- les erreurs de connaissance ; il s'agit
d'erreurs suite soit à une mauvaise représentation de la
situation qui implique l'application d'une règle inadéquate ou
tout simplement par manque de connaissance.
- les erreurs par application d'une mauvaise
règle ou élaboration d'une règle inadaptée.
L'erreur survient lorsque la règle choisie n'est pas la bonne ou lorsque
le contexte analysé n'est pas réellement celui qui convient
à cette règle.
- les erreurs de routine ou d'habitude.
L'activité des travaux publics est assez
singulière, car le contexte de travail n'est pas statique comme dans
l'industrie, où le fonctionnement basé sur les règles,
semble trouver un terrain propice à son application. Dans les travaux
publics, chaque situation, même celle déjà
rencontrée ou celle qui nous semble familière, présente
des particularités infimes soient-elles. Le contexte de travail
évolue constamment selon chaque chantier, chaque lieu. Les aléas
tels que les conditions météorologiques variables, rendent encore
plus complexe l'activité. Ce qui nous pousse à dire que les
travaux publics est un secteur d'activité ou l'adaptabilité
semble être la règle. Mais seulement, on ne peut développer
dans ce cas de figure son adaptabilité si déjà on n'a pas
la connaissance et on ne maîtrise pas les règles. La connaissance
et l'application des règles, des méthodes de travail seraient une
condition nécessaire à une bonne adaptabilité.
Tout compte fait, il ne s'agit nullement pour nous, de
demander qu'à chaque fois qu'il y aurait un accident suite à des
éléments matériels, de remettre systématiquement en
cause les procédures. Il s'agit de montrer que, malgré le fait
que ce sont les éléments matériels qui soient en cause,
que la genèse même de la défaillance ayant conduit à
l'évènement en passant par l'élément
matériel est bien-sûr l'homme lui-même ; l'opérateur.
Cet opérateur qui doit respecter les procédures et qui, le plus
souvent ne le fait pas, soit parce qu'elles sont parfois désuètes
ou inadaptées, soit parce qu'elles sont « lourdes à mettre
en place» par eux (car faisant parfois perdre du temps) et du coup, il by-
passe les procédures, ce qui n'est pas un succès à tous
les coups.
4 Cours mines-paritech , Valot, 2009
Comme suggestion, nous préconiserons ceci:
y' Les compagnons doivent être systématiquement
formés à l'utilisation du matériel qu'ils doivent
utiliser, et la grande majorité, sinon tous devraient passer par une
formation PRAPE (Prévention aux Risques liés à
l'Activité physique et à l'Ergonomie) pour éviter les
risques dorso-lombaires (très souvent présents sur les
chantiers).
y' Il faudrait mettre sur pied une espèce de suivi
périodique ou un système d'évaluation et
d'appréciation (sécurité, santé) des
opérateurs ayant suivi des formations spécifiques pour
qualification, habilitation et autres. Contrôle qui pourrait être
fait sous forme de questionnaire afin de réévaluer leurs
connaissances en termes de sécurité. Ceci ne devrait être
en aucun cas une évaluation sanctionnant ceux qui n'auraient pas la
«moyenne». Cela permettra de recadrer les choses et de définir
des formations continues face aux attentes des opérateurs en termes de
sécurité, de santé et de comportement face aux risques sur
nos chantiers. Il serait préférable que ce genre de suivi soit
fait par entretien individuel ou collectif. Quant à la
périodicité de ce suivi, elle devrait être
définie.
Nous voudrons aussi souligner ici que bien souvent, ceux qui
sont victimes d'accidents, ne sont pas toujours ceux qui sont habilités
ou qualifiés à l'utilisation d'un matériel. C'est bien
souvent leurs compagnons, ouvriers sans qualifications particulières,
qui payent le prix fort pour les erreurs des autres. Ce type de suivi leur
permettrait de prendre déjà conscience des risques que leur
tâches pourraient générer pour les autres compagnons et de
les garder en mémoire. Car si on sait se protéger des risques
générés par ses propres tâches, on ne se sait pas
toujours protéger les autres des risques provoqués par soi.
D'où donc, cette prise de conscience est nécessaire afin de les
aider, non seulement à se protéger, mais aussi à
protéger les autres.