ANNEXE XII. Retranscription de l'entretien
n°3.
Pour commencer, peux-tu me parler rapidement de ton
parcours professionnel ?
J'ai fait mes études à Paris. J'ai
été au bloc opératoire. Pendant que j'étais en bloc
opératoire, j'ai fait un DU de médecine tropicale. Après
mon DU, j'ai fait aussi une école. Ça s'appelle "Bioforce
développement", c'est une école pour l'humanitaire (logistique
humanitaire). Suite à ça, j'ai donc fait de l'humanitaire : je
suis partie avec médecins sans frontières pendant cinq ans. Puis,
je suis revenue, j'ai refait du bloc opératoire... En fait, en gros,
dans mes vingt-sept ans de carrière, j'ai dû faire six/sept ans de
bloc opératoire, six/sept ans d'urgence... Et le reste du temps, c'a a
été des années dans les services (cardiologie,
pneumologie...) mais de nuit. Là, à la clinique, j'ai fait de
l'ambulatoire, dernièrement. Et maintenant, je suis à la douleur
: j'ai fait un DU douleur, il y a deux ans. Je suis à 100% à la
consultation douleur, depuis janvier cette année.
Selon toi, qu'est-ce que t'a apporté ce
parcours dans ta pratique professionnelle au contact des enfants (en
ambulatoire) ?
Alors, moi, j'ai toujours aimé travailler avec des
enfants, déjà. Et, je pense que pour travailler avec des enfants
: il faut avoir un profil. N'importe qui ne travaille pas avec des enfants,
comme n'importe qui ne travaille pas avec des personnes âgées.
C'est très différent. Tu sais, toutes les infirmières ont
un profil. Soit tu aimes, soit tu n'aimes pas. Moi, les enfants, j'aime mais en
chirurgie par exemple. Je n'aurais pas pu faire infirmière en
médecine, chez les petits cancéreux, tout ça. Je n'aurais
pas pu. Mais, la chirurgie ça va. C'est vrai que moi, au début,
quand j'ai fait de l'ambulatoire avec les enfants, ce n'était pas facile
de savoir comment approcher les enfants. Donc, j'ai demandé une
formation ici. Et on a eu une formation, de un jour, sur l'approche des enfants
en chirurgie.
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D'accord, cela venait de toi ? Il s'agissait de ta propre
initiative ?
Ouais, j'ai demandé. Et, suite à ça,
c'est là que j'ai appris et compris la douleur. C'est de là, que
j'ai voulu faire un DU douleur. Donc tu vois ça fait vingt-sept ans que
je suis diplômée et ça fait trois/quatre ans seulement que
ça m'intéresse autant.
Qu'est-ce qu'a apporté cette formation à ta
pratique ? Comment cela s'est-il traduit ?
Je maitrisais plus, parce que je partais du principe qu'un
enfant : il faut savoir s'il est « vierge ou pas d'hospitalisation ».
D'accord. S'il a déjà eu un contact avec des blouses blanches ou
pas. Il faut savoir que s'il n'a jamais eu de contact avec les blouses
blanches, ton premier contact sera hyper important pour sa vie adulte et, la
douleur, rentrer à l'hôpital, et tout ça.
Déjà, tu le sais. Ca veut dire que toi, quand tu vas prendre en
charge un enfant, tu sais que tu es vachement importante quoi. Tu sais que un
enfant : il faut toujours le rassurer, lui parler, lui dire ce que tu vas
faire. Tout le temps. Et le dire en même temps aux parents. Dans la
formation, on te dit tout ça. Après en général, tu
le repères. Tu sais déjà comment il va être au
retour de bloc. Tu vois si les parents sont trop près de lui etc... Tu
vois comment il est. Donc au retour de bloc, tu vois un peu comme il va se
comporter. Après au retour du bloc opératoire, il ne faut jamais
les surprendre. Il faut toujours être à côté d'eux,
toujours les distraire. Dès que tu fais quelque chose, tu les distrais.
Moi, quand j'enlevais un cathéter à un enfant, je leur chantais
toujours une chanson ("la reine des neiges" parce qu'à l'époque
c'était la reine des neiges), donc il faut apprendre des chansons pour
les enfants, et voilà... Après tu apprends : pour les urgences,
il y a toujours le Kalinox, pour les actes, pour les enfants. Il y a la
distraction, les faire lire un livre, demander aux parents de raconter des
choses etc.
Oui, je comprends. Et, lorsqu'ils arrivent dans le
service, selon toi, comment est-ce qu'ils appréhendent l'hospitalisation
?
Ca dépend de :
_1) S'ils connaissent ou pas. S'ils ont eu une bonne
expérience ou pas. Ça, c'est déjà super important.
S'ils ont eu une bonne expérience, ça se passera bien.
_2) Comment ils ont été préparés.
Comment les parents les ont préparés. Ça c'est d'une
importance capitale. C'est pour ça que, souvent en consultation
d'anesthésie, je pense que c'est là déjà que
l'anesthésiste doit vachement lui expliquer, le briffer... etc.
LXXVI
Si je comprends bien, la consultation
d'anesthésie se fait donc en présence de l'enfant, c'est
ça ?
Ah ouais ! Ah oui, oui, oui. Ça c'est obligatoire.
L'enfant doit toujours être là.
Et puis, tu sais quand tu arrives : soit il se met à
crier parce qu'il te voit, ou alors sinon, il est très compatissant etc,
mais ça dépend de comment il a été
préparé avant. Il peut être très
impressionné. Tu sais, la douleur... On a tous une mémoire de la
douleur. Ça veut dire que quand t'es tout petit et que tu tombes, que tu
te blesses, si ta maman court et qu'elle est paniquée, l'enfant, il a
ça en mémoire. Ça veut dire qu'il sait, que lui, quand il
aura quelque chose... Ô là, il peut, il a le droit de pleurer. Un
enfant qui tombe ou qui se blesse, à qui tu ne dis rien, tu dis "boh
ça va, ça va aller" tu vois, cet enfant là il sera plus
dur à la douleur. Donc, tu vois, en tout cas le rapport avec les parents
et les enfants... tu vois un peu comment ça va se passer. Le rapport
qu'il a déjà eu, lui, à la douleur. Comment ses parents se
sont comportés quand il avait mal au ventre etc, ça c'est
vachement important aussi.
Tu évalues cela dès le premier contact
?
Tu essaies de voir....
En posant des questions...?
Euhm, surtout en regardant. Tu sais au premier contact, en
ambulatoire, tu ne leur poses même pas de cathéter. Tu ne fais
rien. Tu fais juste un questionnaire, déjà tu vois s'ils arrivent
à répondre/pas répondre, si la maman répond tout le
temps. Si... quand tu donnes la prémédication, tu vois si il la
prend ou pas... S'il dit qu'il en veut pas, et que la mère le laisse
dire qu'il n'en veut pas : bah non, t'as pas le choix, il y a une
prémédication, tu dois la prendre. Tu vois comment les parents se
comportent un peu. Si c'est lui le chef, que c'est lui qui décide...
Voila. Quand, au retour de bloc, tu vas lui dire "bah il faut prendre tel
médicament, tel truc pour la douleur", il en voudra pas hein.
Après quand un enfant a mal, il faut d'abord lui demander où il a
mal... Parce que les enfants, en fonction de l'âge ils ne savent pas trop
comment s'exprimer, tout ça. Il faut lui demander où il a mal. Et
quand tu lui donnes le médicament, il faut savoir lui dire que ça
va guérir mais pas tout de suite, tu peux lui dire que c'est magique par
exemple, ça il comprend. Un enfant, il comprend la magie, les
fées, il
croit en tout. Ça, tu peux lui dire. "Ca c'est un
produit magique" par exemple. Toutes ces petites astuces-là qui font
que...
Selon toi, ces astuces, sont-elles le fruit de ton
expérience ou bien est-ce plutôt instinctif ?
Je pense qu'il y a de l'acquis. Ça veut donc dire que
tu l'as appris. Moi, je sais que mon DU douleur, parce que le DU douleur traite
de la pédiatrie, et la formation m'ont vachement apporté.
Après, moi, je sais que j'adore m'occuper des gamins. Il y a un profil
hein. Moi, j'ai des collègues en ambulatoire, lorsqu'il y a des enfants
et qu'ils pleurent : elles n'aiment pas trop. Elles préfèrent les
adultes. Les amygdales, tout ça... Elles me disent "tu le fais quoi".
Donc, tu as un profil.
Par rapport à ta prise en charge
préopératoire : tu me disais que tu observais beaucoup au
début... Sur quoi encore porte-t-elle ?
En fait, il faut toujours essayer de rassurer l'enfant. Si tu
peux essayer de te mettre à sa hauteur par exemple, au lieu d'être
grande... Tu peux essayer de t'asseoir à côté de lui. Tu
peux essayer de jouer un peu avec lui, pendant le questionnaire... En
ambulatoire, le pré-op il est rapide. C'est un interrogatoire, t'as pas
beaucoup de temps : l'enfant est à peine arrivé, que cinq minutes
ou dix minutes après, on vient déjà te le chercher.
Ça veut dire que pour un enfant, même si on te presse, il ne faut
pas te presser. Jamais pour un enfant. Parce que le problème c'est que
le post-opératoire ne sera pas bon quoi. L'adulte c'est l'adulte,
l'enfant c'est autre chose quoi. L'enfant : tu prends le temps. Tu peux lui
dire "Là, tu vas partir, quand tu reviendras papa et maman seront
là, ils t'attendront, t'inquiète pas". Tu vois ? Rassurant un
petit peu.
Oui. Mais, comment ça ? Le fait de le tenter de
le rassurer par rapport à la présence postopératoire de
ses parents veut-il dire la séparation peut, possiblement,
représenter une situation anxiogène, pour l'enfant ?
LXXVII
Ouais... Tu vois, souvent, ils accompagnent.
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A la clinique, ici, leur accompagnement se fait
jusqu'à l'entrée du bloc ?
C'est ça. C'est pour ça que nous, il faut
à tout prix que les parents soient présents au retour de bloc. Il
ne faut pas que lorsque l'enfant revient dans le box, les parents soient partis
prendre un café quoi. Ça, ça ne le fait pas. C'est nul. Il
faut que tu leur dises "vous allez boire un café, trente minutes, et
vous remontez. ll faut que vous soyez là quand l'enfant remonte du bloc.
Il ne faut pas que l'enfant arrive et ne vous voit pas". Pour lui, ce sera
catastrophique.
Catastrophique ?
Oui. Déjà il part, il quitte ses parents. Il
revient, ses parents ne sont toujours pas là, alors que toi, tu lui dis
que les parents vont être là. Au niveau de la relation de
confiance, c'est pas ça. Après tu lui dis "t'inquiète pas,
tes parents ne vont pas partir, ils restent maintenant avec toi, le bloc s'est
bien TRES bien passé, pas de souci, si tu as mal : on te donnera un
produit magique" voilà. Ce genre de choses. Un enfant c'est du temps,
c'est important.
A quoi repères-tu l'anxiété chez un
enfant ?
Il crie. Un enfant qui crie, qui pleure.
Y-a-t-il, selon toi, des signes propres à
l'anxiété qui diffèrent de ceux de la douleur ? Dans le
cas de l'amygdalectomie, lors de leur arrivée, ils ne sont normalement
pas douloureux... Si ?
Non, ils n'ont rien. Ils sont comme toi et moi. Le
problème c'est qu'ils n'ont rien, et quand ils reviennent ils ont hyper
mal... En général, on essaie de leur donner les antalgiques qu'il
faut. Si c'est en ambulatoire, les enfants ne sont pas censés partir
avec une douleur importante. Donc, on peut leur rajouter ce qu'il faut. Un
enfant qui pleure tout le temps, tu lui donnes quelque chose, ça ne sert
à rien de le laisser. Il ne faut pas confondre, parce que des fois, au
retour de bloc il y a des mauvais réveils anesthésiques. C'est
à dire que les enfants : tu les endors, et après tu leur mets
quelque chose pour qu'ils se réveillent, pour les ex-tuber, sauf qu'ils
n'ont pas spécialement envie de se réveiller. Ça veut dire
que quand ils reviennent en ambulatoire, eux ils ont plutôt envie de
dormir, donc, ils sont grincheux, ils pleurent etc. Les parents disent «
il a mal », mais en fait c'est pas trop ça, c'est qu'il a un
mauvais réveil. Là, il
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faut que leur dire « Ecoutez, il faut à tout prix
qu'il redorme, et qu'il se réveille de lui-même, de son propre
chef. Et vous allez voire, lorsqu'il va se réveiller il sera beaucoup
mieux, mais là, c'est le mal être qui est là ». Ils
sont pas bien quoi, donc, ca chouigne... Parce que souvent en post-op, ils ont
quand même tout ce qu'il faut pour la douleur. La douleur est
essentiellement gérée en salle de réveil.
Alors, pour poursuivre, tu m'as dit que tu utilisais
beaucoup la distraction... Est-ce que tu peux avoir recours à d'autres
ressources ? comme l'hypnose, par exemple ?
Non... Mais je veux me former en hypnose. En octobre/novembre
normalement. Parce que justement, je trouve que l'hypnose conversationnelle,
par exemple, avec des enfants, c'est super bien quoi. Nous, en douleur, c'est
pas mal aussi. Bon moi je fais pour la douleur mais...
Oui. En quoi consiste l'hypnose conversationnelle
?
Et bien, dans l'hypnose conversationnelle, tu choisis un peu
tes mots quoi. Tu fais attention à ne pas utiliser de termes porteurs de
sens négatifs, par exemple. Le but c'est de détourner l'attention
du patient sur un point de fixation.
Est-ce que selon toi, le recours à l'hypnose
conversationnelle auprès de l'enfant avant de partir au bloc
opératoire peut « faciliter » sa prise en charge à son
arrivée en salle de permutation ?
Ah bah oui. C'est sûr. Nous, au bloc opératoire,
les anesthésistes sont beaucoup formés en hypnose pour
l'endormissement et la gestion de l'anxiété, mais les
infirmières ne sont pas formées en amont, justement, c'est
dommage.
Autrement, de nouveau rapport aux parents... Quelle place
leur donnes-tu ?
Je pense qu'il faut totalement leur donner leur place dans le
service. Le parent : c'est lui qui connait. Donc, si toi tu sais pas, tu leur
dis "mais vous trouvez son comportement normal ? il pleure normalement ?
D'habitude il est fatigué comme ça ? Il chouigne comme ça
d'habitude ?" Et... les parents, ils le savent mieux que toi de toutes
manières.
LXXX
D'accord. Est-ce que cela signifie qu'ils
représentent un atout pour la prise en charge de l'enfant ?
Moi, j'aime qu'il y ait pas les parents. Il me faut les
parents. Après, il y a un ou deux parents qui peuvent être nocifs
des fois... Des parents plus « porteurs de soucis » quoi. Parce
qu'ils sont trop stressés, et qu'ils transmettent le stress à
l'enfant, donc, notre rôle c'est aussi de déstresser les parents,
ce qui fait qu'ils détressent l'enfant.
Comment est-ce que tu t'y prends dans ces cas-là
?
Je leur explique. Je recommence. De toutes manières,
quelqu'un qui est stressé, c'est qu'il ne comprend pas. Il faut qu'en
face de lui, il ait quelqu'un qui lui explique comment ça se passe, et
quelqu'un qui soit sur de lui. C'est à dire que si tu vas voir un
patient et que tu lui dis « Bon, voilà, je vais vous mettre du
Profenid : c'est un anti-inflammatoire. L'anti-inflammatoire, il va agir au
bout de trente minutes. D'accord. Au bout d'une heure, il sera à son
maximum. D'accord. Et, il va faire effet pendant deux ou trois heures.
Ça, c'est le protocole. Maintenant, si vous, vous estimez que ça
ne va pas, vous m'appelez il n'y a pas de souci.". Et ça, ça va
faire diminuer la douleur. Tu lui donnes et toi, quarante minutes après
tu repasses et tu vas voir... Il faut expliquer, et surtout montrer que tu
connais les choses. Si tu fais l'indécise : « je sais pas, est ce
que je donne un médicament ? est ce que je n'en donne pas ? est ce que
je préviens l'anesthésiste ? est ce que je ne préviens pas
? etc »... Cette assurance découle directement de
l'expérience, après hein. Mais, bon, après tu peux
toujours être une jeune diplômée, ne pas trop t'impliquer
dans ce que tu dis, et aller demander rapidement à une collègue
puis revenir. Ça c'est pas exclu.
Oui, je vois. Euhm, tu m'as parlé de ta prise
en charge post-opératoire... La question que je me pose en lien avec
cette dernière, c'est : Est-ce que tu constates une douleur
exprimée postopératoire en lien avec le niveau
d'anxiété préopératoire de l'enfant ?
Ah bah oui ! Quelqu'un qui part anxieux, on sait qu'il va
revenir : il va plus se plaindre. Le but principal, c'est de déstresser
dès le début. C'est quoi le but de la prémédication
? C'est que l'on sait que les gens qui partent déstressés, quand
ils reviennent ils sont mieux. Plus les gens partent dans de bonnes conditions,
et mieux est le retour. Et ça, chez les enfants tout pareil.
LXXXI
Pour toi, quelles sont les choses les plus
importantes, dans ton approche, pour justement gérer cette
anxiété ?
Déjà à partir du moment où tu
prends en charge un enfant, tu le prends du début à la fin.
Ça veut dire que même s'il est treize heure, que tu fais tes
entrées, que tu ne t'occupes plus des patients comme cela se passe en
général... Et bien, c'est toi, qui iras enlever le
cathéter au gamin que tu as suivi. S'il doit partir au moment où
tu es encore là, c'est toi qui finis quoi. Tu ne laisses pas des
enfants. C'est la relation de confiance. S'il doit rester un peu plus
longtemps, et que tu ne peux plus le suivre, tu préviens l'enfant "tiens
ça sera ma collègue ect" c'est important. Tu le connais, le lien
s'est instauré.
Après... c'est possible qu'avec un enfant, ça ne
se passe pas très bien, parce qu'il ne fait que de pleurer etc. Et toi
aussi, des fois, tu as le droit d'être « un peu... » : tu ne
peux pas toujours être zen, cool, et tout ça. Des fois tu peux te
dire "oh il m'énerve". Dans ce cas-là, c'est bien aussi de passer
la main, parce qu'il peut retrouver une infirmière qui est plus
disponible. Des fois, voilà, tu as plein de travail, et ta prise en
charge ne sera pas la même quoi.
LXXXII
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