Les professeurs débutants face aux conflits
Le théâtre forum comme outil de
formation
Master MEEF - parcours FOFEN 2016 - 2017 Directeur de
mémoire : Frédéric SAUJAT ESPE - Aix Marseille
Université
2
3
Remerciements
Je remercie mon directeur de mémoire,
Frédéric Saujat, professeur à Aix Marseille
Université. Son aide dans l'élaboration de ce mémoire et
le temps consacré à la correction et au suivi a été
précieuse.
Je remercie également les professeurs du Master FOFEN,
qui m'ont permis par leurs échanges, leurs idées et leurs points
de vue, d'enrichir ma pratique et ma réflexion professionnelle.
Je remercie les étudiants de l'ESPE d'Aix Marseille
pour leur contribution essentielle lors des actions de formations mais aussi
pour leur participation à l'étude.
Je remercie Véronique Guérin, qui m'a fait
découvrir le théâtre forum et qui m'a donnée envie
de travailler avec cet outil.
Je remercie mes amis, qui par leurs questionnements, les
relectures et leur avis critique, m'ont permis d'avancer.
4
Table des matières
Remerciements
Table des matières
Introduction
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3
4
6
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1.
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Cadre théorique - problématique
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9
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1.1.
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La régulation des conflits : définition,
modalités
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1.2.
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De la didactique professionnelle à un outil de formation
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1.2.1 Des concepts pour analyser le travail
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9
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1.2.2 Le développement professionnel et la formation
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1.3.
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Du jeu de rôle au théâtre forum
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1.4.
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Nos questions : problématique et hypothèses
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13
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2.
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Cadre méthodologique : intervention et
dispositif d'étude
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2.1.
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Descriptif du dispositif : contexte, modalités
d'intervention
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15
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2.1.1. Contexte d'intervention
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15
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2.1.2. Déroulement de l'intervention autour du
théâtre forum
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15
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2.2.
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Mode de recueil des données et matériau recueilli
pour l' étude
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... 16
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2.2.1. Vidéo
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.16
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2.2.2. Questionnaire (Cf. annexe 1)
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2.2.3. Entretiens avec les stagiaires
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2.3.
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Traitement des données au regard de notre
problématique
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3.
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Présentation des résultats
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3.1.
|
Un dispositif d'analyse réflexive
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3.1.1. Les objets de l'analyse : la description -
interprétations
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19
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5
3.1.2. Organisation des échanges : formateur et entre
pairs 21
3.1.3. Les effets de l'analyse réflexive 22
3.2. Un outil de conceptualisation et de
généralisation 23
3.2.1. Repérer l'impact d'une action sur la situation
conflictuelle 23
3.2.2. Proposer des gestes pour réguler un conflit 26
3.3. Un outil permettant une adaptation plus efficiente 27
3.3.1. Adaptation dans les situations du théâtre
forum 27
3.3.2. Adaptation dans des situations nouvelles réelles
29
4. Traitement des données 31
4.1. Traitement des données et discussions 31
4.1.1. Concernant l'analyse réflexive 31
4.1.2. Concernant la conceptualisation 33
4.1.3. Concernant l'adaptation à de nouvelles situations
35
4.2. Conclusion 37
Références bibliographiques 39
Sommaire des annexes 43
Annexes 44 - 55
Résumé 56
6
INTRODUCTION
La loi de refondation de l'Ecole de 2013 1
préconise une amélioration du climat scolaire pour «
refonder une école sereine et citoyenne en dynamisant la vie scolaire et
en prévenant et traitant les problèmes de violence et
d'insécurité ». Cet objectif institutionnel est pris en
compte dans le Référentiel des compétences du professeur
2. Ainsi, la compétence 6 précise : « Eviter
toute forme de dévalorisation à l'égard des
élèves, des parents, des pairs - Contribuer à assurer le
bien-être, la sécurité et la sûreté des
élèves, à prévenir et à gérer les
violences scolaires, à identifier toute forme d'exclusion ou de
discrimination - Contribuer à identifier tout signe de comportement
à risque et contribuer à sa résolution. - Respecter et
faire respecter le règlement intérieur et les chartes d'usage
». De plus depuis septembre 2014, l'Académie d'Aix Marseille a fait
le choix de proposer un accompagnement et des formations sur cette
thématique en organisant la « démarche climat scolaire
» : Lors des diagnostics effectués dans certains
établissements, des formations collectives ont été
demandées autour de la régulation des conflits et des «
violences ». Etant donné l'impact du climat scolaire sur les
acteurs en termes de bien-être et sur les élèves en termes
d'apprentissage (cf. rapport Debarbieux, 20123), il nous semble
d'autant plus opportun d'étudier la formation à la
régulation des conflits, que l'on se trouve dans un contexte où
les professionnels eux-mêmes sont en demande.
Cette problématique professionnelle touche
particulièrement les débutants. Pour Luc Ria (2013) « parmi
l'ensemble des contraintes régulièrement évoquées
par les néo-titulaires, la gestion de classe, en particulier la
discipline et la mise au travail des élèves, apparaît comme
une des principales difficultés professionnelles. Catherine Blaya et
Alain Baudrit (2006) avaient déjà fait une étude
auprès d'enseignants stagiaires et relevaient que « plus d'un tiers
des enquêtés associe les situations difficiles (chahuts bavardages
en classe, indiscipline, insultes, agressions, menaces, insolence) à des
circonstances
1 Loi de refondation de l'Ecole : Loi n° 2013-595
du 8 juillet 2013
2 Référentiel des compétences
professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation :
publié au journal officiel du 18 juillet 2013
3 Rapport Debarbieux (2012) : Le « Climat
scolaire » : définition, effets et conditions
d'amélioration
7
imprévues, pour lesquelles ils n'ont pas de solution
immédiate, auxquelles ils ne se sentiraient pas ou peu
préparés, et dans lesquelles ils se sentent seuls pour les
affronter ». Il en résulte un malaise profond : « peur d'aller
en classe, paralysie, stress, débordement, panique devant une situation
qui ne peut être débloquée ». Nous choisissons donc de
cibler notre étude sur ces enseignants débutants, qui ressentent
parfois un besoin urgent de formation, de solutions. Comment les accompagner,
comment les former à la régulation des conflits ?
A l'ESPE4 d'Aix Marseille, cette dimension de la
formation est un des objets de l'UE 435 du Master MEEF6 :
les contenus doivent permettre aux professeurs stagiaires de « se
préparer à prendre et à faire la classe, mettre en place
un cadre, installer les conditions d'apprentissage... ». Comment les
préparer à installer et conserver ce cadre malgré les
conflits ? Quel dispositif de formation peut aider et (re)donner confiance aux
débutants dans la gestion de ces situations difficiles ?
Pour répondre à ces questions, nous proposons
d'étudier l'impact d'un outil de formation sur le développement
professionnel de professeurs stagiaires.
Premièrement, nous explicitons le cadre de notre
étude : nous précisons ce que nous entendons par
régulation des conflits puis nous caractérisons les notions
issues de la didactique professionnelle qui nous permettent d'analyser un outil
de formation : le théâtre forum. Cet outil est
étudié en lien avec son impact sur le développement
professionnel des enseignants.
Deuxièmement, nous précisons notre cadre
méthodologique : l'étude porte sur une formation proposée
à deux groupes d'étudiants inscrits en MEEF2 et nos
données d'analyse sont issues de questionnaires, d'entretiens et de
vidéos.
Enfin, nous analysons et discutons les données
recueillies au regard de nos hypothèses afin de montrer en quoi l'outil
proposé peut être pertinent pour répondre à la
problématique.
4 ESPE : Ecole supérieure du professorat et de
l'éducation
5 UE 43 : Unité d'enseignement sur les
pratiques dans leurs dimensions collectives et pluridisciplinaires
6 MEEF : Métiers de l'enseignement, de
l'éducation et de la formation
8
9
1. Cadre théorique -
problématique
1.1. La régulation des conflits :
définition, modalités
Pour définir plus clairement les enjeux de cette
problématique, nous précisons ce que nous entendons par
régulation des conflits dans le cadre de l'institution scolaire.
Communément, le conflit signifie un désaccord entre deux ou
plusieurs parties. Bayada et al. (1997) précisent : c'est « le
résultat de l'interférence entre forces opposées, qu'il
s'agisse de divergence de besoins, d'intérêts ou de valeurs.
». Le conflit est constitué d'aspects visibles (les acteurs et les
objets du conflit) et d'aspects invisibles (les valeurs, les
intérêts, les besoins des acteurs, les problèmes intra
personnels, l'histoire, les conditions structurelles, les points de vue, les
problèmes de compréhension et de communication). Réguler
un conflit, c'est donc reconnaître, analyser et prendre en compte ces
aspects. Comment les enseignants peuvent-ils gérer ces
interférences dans le cadre de leur mission ? Pour l'OMS
7(1993), c'est par le développement de compétences
psychosociales qu'une personne peut « adopter un comportement
approprié et positif à l'occasion des relations entretenues avec
les autres, sa propre culture et son environnement ». D'autre part, la
relation entretenue entre un enseignant et ses élèves est
également liée à la responsabilité éducative
qui incombe au professionnel. Face à cet enjeu fort «
d'entrée dans le métier », quel dispositif de formation peut
favoriser le développement de ces compétences permettant aux
enseignants de développer des postures d'autorité et de
réguler des violences verbales et physiques dans des situations
professionnelles ?
1.2. De la didactique professionnelle à un outil
de formation
1.2.1. Des concepts pour analyser le travail
Pour analyser la pertinence et l'efficacité d'un
dispositif de formation concernant le développement des
compétences dans la régulation des conflits, nous utilisons
7 Compétences psycho sociales (1993) OMS et
UNESCO, Life skills education in schools, Genève
10
le cadre théorique de la didactique professionnelle.
Elle vise à « analyser et comprendre comment les individus
construisent et développent des compétences professionnelles,
dans et par l'expérience » (Pastré, Mayen et Vergnaud G,
2006). Elle développe plusieurs concepts relatifs au
développement.
Pour commencer, la didactique professionnelle reprend une
notion centrale pour la psychologie ergonomique : la distinction entre la
tâche (ce qu'il y a à faire) et l'activité (la
manière dont on réalise la tâche). D'après Leplat
(1997), la tâche est le but à atteindre et les conditions dans
lesquelles il doit être atteint, et l'activité réelle est
ce qui est mis en oeuvre par l'opérateur pour exécuter la
tâche. Pastré (2002) précise cette notion : «
l'activité réelle du sujet « déborde » toujours
de la tâche du praticien » : reconfigurer, ajuster sa manière
de faire et s'adapter pendant l'action pour agir efficacement. Quelles sont les
opérations, les adaptations que peut faire l'enseignant pour
répondre au but de manière efficace c'est-à-dire en
régulant le conflit et en donnant un cadre d'apprentissage aux
élèves ? Et que doit-il faire et/ou dire pour que les effets
ressentis soient plus confortables (au sens ergonomique du terme) pour lui,
c'est-à-dire comment rendre ces actions plus efficientes ?
De plus, « l'activité est inséparable de la
situation dans laquelle elle se déploie puisque l'opérateur doit
s'adapter en permanence à cette situation » (Pastré, Mayen,
Vergnaud 2016, ibid ). Pour expliciter cette adaptation, elle a
tiré des travaux de Piaget la notion de schème, centrale une
perspective d'analyse de la construction de la compétence. Le
schème « permet de comprendre l'articulation entre le
caractère adaptable de l'activité de l'enseignant dans ces
situations « imprévues » et les invariants propres à
son organisation ». Vergnaud (1996) définit le schème comme
« une organisation invariante de l'activité pour une classe de
situations données ». Il est composé d'un ou plusieurs buts
; de règles d'action, de prise d'information et de contrôle ;
d'invariants opératoires et de possibilités d'inférence.
D'autre part, dans les situations professionnelles, les invariants
opératoires se présentent aussi sous forme de concepts
pragmatiques, qui sont construits dans l'action et qui servent à
orienter l'activité pour la rendre efficace (Pastré, Mayen,
Vergnaud 2016, ibid ). « Ils permettent de sélectionner,
d'interpréter et de traiter l'information pertinente dans la situation
en ne retenant que les propriétés et relations utiles pour
l'action » (Vergnaud, 1996). Quel
11
dispositif de formation peut favoriser l'apprentissage de ces
concepts pragmatiques permettant une adaptation efficiente lors de situations
conflictuelles ?
Autre point important, le développement de ces
schèmes est permis par la conceptualisation des situations, processus
qui s'appuie sur des mécanismes de prise de conscience et prend sa
source dans l'action. La didactique professionnelle repère et
définit deux registres de conceptualisation. Le premier est un registre
pragmatique qui permet la réussite de l'action et répond à
l'interrogation « comment ça se conduit ?». Il sert à
relier les prises d'informations sur la situation aux répertoires de
règles d'action disponibles et renvoie donc au mode opératoire de
la connaissance. Le deuxième est un registre épistémique
qui a pour but la compréhension, l'identification de concepts avec leurs
propriétés et relations ; il répond à la question
« comment ça fonctionne ? » et renvoie au mode
prédicatif de la connaissance. Comment la formation peut-elle favoriser
la conceptualisation sur le registre pragmatique mais aussi
épistémique, afin de permettre aux professeurs de
développer des schèmes efficients dans les situations
problématiques ?
1.2.2. Le développement professionnel et la formation
La notion d'apprentissage et de compétence est
reliée à celle de développement, avec un souci de prendre
en compte la durée, c'est-à-dire l'activité constructive
qui accompagne l'activité productive. Trois indices permettent
d'attester d'un processus de développement en cours (Pastré,
Mayen, Vergnaud, 2016):
La premier est la réflexivité : «
l'apprentissage par l'action est relayé par l'analyse réflexive
et rétrospective de son action ». Ainsi, « une des conditions
est réunie pour que l'activité constructive engendre du
développement ».
Le deuxième est la capacité qu'a un sujet
à désingulariser une situation : en restant centré sur la
situation singulière tout en la concevant comme une situation parmi
d'autres possibles, l'activité constructive aboutit à une
ouverture vers l'universel. Elle permet de « conceptualiser et
d'universaliser au sein même du singulier ».
12
La troisième est la capacité d'un sujet à
réorganiser ses ressources cognitives quand il est confronté
à une situation nouvelle. Ainsi, réorganiser ses ressources
existantes pour une nouvelle situation, c'est se donner les moyens de les
élargir. Ces indices du développement professionnel guideront
notre étude. Quels sont leurs incidences sur la formation
professionnelle ?
Pour Mayen (2012), « le rôle de la formation est
d'aider les professionnels à s'approprier les situations pour pouvoir
agir avec elles en découvrant les moyens de percevoir et d'agir en une
sorte de meilleure connaissance de cause et un peu plus d'efficience lorsque
c'est nécessaire ». Ainsi un dispositif de formation à la
régulation des conflits devrait aider les enseignants à prendre
des informations sur la situation et à agir en percevant l'impact de
leur activité sur la situation et sur eux-mêmes, en visant une
meilleure efficacité et un moindre stress pour eux. De plus,
Pastré (2006 b) précise qu'il est particulièrement
pertinent de proposer des situations d'apprentissage en lien direct avec la
situation de travail, dans lesquelles les apprenants, sont d'abord en situation
d'action, puis de réflexion sur leur propre action. Enfin, la didactique
professionnelle s'intéresse aux situations de travail simulées
comme supports de formation. Elles permettent aux apprenants, de mobiliser des
niveaux plus ou moins élevés de conceptualisation pour
réaliser la tâche, et d'élaborer une analyse
réflexive et rétrospective de leur activité dans un
debriefing. Ainsi on apprend tout autant par l'analyse de son activité
que par l'exercice de cette activité. On peut donc dire qu'on apprend en
fait trois fois : avant, pendant et après l'activité. De ce point
de vue, une des formes d'apprentissage par simulation que nous voulons
étudier est celle du jeu de rôle qui nous semble opportune pour
favoriser le développement professionnel dans ce type de situations.
1.3. Du jeu de rôle au théâtre
forum
Pour organiser un dispositif de formation par simulation en
jeux de rôle, nous proposons d'utiliser et d'adapter une pratique
existante : le théâtre forum. Il s'agit d'une forme de
théâtre créée par Augusto Boal (2006) au
Brésil. Tixier (2010), en décrit les principes de base : des
« acteurs » préparent une saynète qui
13
présente une problématique sociale ou
professionnelle, puis la montrent à un public. Lors du « forum
», le formateur / animateur invite le public à faire dans un
premier temps une analyse de la situation puis il interroge les « acteurs
» sur leurs ressentis et ce qui motive leurs agissements. Dans un second
temps le public propose des idées d'interventions pour faire
évoluer positivement la situation. Le public peut alors tester «
sur scène » l'alternative choisie sachant que les autres «
acteurs » ont pour consigne d'improviser pour s'adapter à ce
nouveau comportement. Un nouveau forum est ensuite proposé pour analyser
les changements apportés par les nouvelles propositions.
Depuis quelques temps, le théâtre forum est
utilisé dans certaines institutions de formation, comme à l'ESPE
de Nice et de Strasbourg, dans le cadre de l'analyse de pratique
professionnelle. En 2015, Guérin (2001) proposait cet outil à
l'ESEN8 pour une formation sur l'autorité. En mars 2015, lors
d'un séminaire à l'ENS9 de Lyon sur le thème
« former les enseignants au XXI siècle », un scénario
de formation utilisant le théâtre forum, a été
proposé par Isabelle Reignier et Sofia Nogueira, enseignantes et
formatrices de l'Académie de Versailles.
1.4. Nos questions : problématique et
hypothèses
Dans le cadre théorique présenté, nous
chercherons à montrer en quoi le théâtre forum,
utilisé comme situation de simulation peut être efficace comme
outil de formation. En fonction de la définition et des indices qu'elle
relève sur le développement professionnel, nous nous questionnons
sur le potentiel de développement de ce dispositif. (Mayen, 2012) pour
les débutants
La question centrale de notre étude est donc : en quoi
et comment le théâtre forum est-il un outil favorisant le
développement professionnel des enseignants débutants dans la
régulation des conflits ?
8 ESEN : Ecole supérieure de l'enseignement
9 ENS : Ecole normale supérieure
14
Si le théâtre forum peut permettre aux
professeurs débutants un développement professionnel dans le
cadre de la régulation des conflits, nous faisons l'hypothèse que
c'est parce que cet outil permet :
- premièrement une analyse réflexive, sur son
activité réalisée dans une situation simulée. Cette
analyse effectuée dans un collectif de pairs doit favoriser une prise de
recul et une prise de conscience sur des gestes professionnels.
- Deuxièmement, pour aller au-delà de la prise
de conscience et susciter un réel développement, nous faisons
l'hypothèse que cet outil doit également permettre de
conceptualiser à partir de l'analyse réflexive des « savoirs
» en actions, de construire des liens entre forme opératoire et
forme prédicative de la connaissance sur la gestion des conflits afin de
les élargir (généraliser).
- Troisièmement, pour que ces savoirs ne restent pas
uniquement des « mots », des idées, le théâtre
forum doit permettre aux formés de réorganiser leurs ressources
en vue d'une adaptation plus efficiente lors de situations conflictuelles
nouvelles, simulées et/ou réelles.
15
2. Cadre méthodologique : intervention et
dispositif d'étude
2.1. Descriptif du dispositif : contexte,
modalités d'intervention
2.1.1. Contexte d'intervention
Nous avons utilisé ce dispositif avec des
étudiants en Master 2 MEEF de l'ESPE d'Aix Marseille. Nous avons
travaillé avec deux groupes (G1 et G2) de 18 à 23
étudiants en majorité titulaires du concours de recrutement dans
les filières LP (professeur lycée professionnel), PE (professeur
des écoles), PCL (professeur collège et lycée). Chaque
groupe bénéficiait d'une séance de quatre heures pour
travailler sur le thème « régulation des conflits et posture
d'autorité ». Parmi ces étudiants, six ont
déjà suivi une formation similaire avec d'autres stagiaires de LP
quelques mois auparavant.
2.1.2. Déroulement de l'intervention autour du
théâtre forum
Durant le cours, le formateur présente d'abord la
notion de conflit puis le théâtre forum (objectif,
déroulement, règles). Les étudiants s'organisent ensuite
en trois équipes (de 6 à 9) qui travaillent pendant une heure sur
une problématique conflictuelle choisie différente : conflit avec
un élève qui pose un problème de comportement, conflit
avec une élève qui ne veut pas travailler, conflit entre deux
élèves dans le cours. Le groupe construit un scénario issu
d'une expérience professionnelle vécue, le met en scène
(répartition des rôles) et répète la scène.
(Cf. annexe 6 aide au scénario).
Le théâtre forum est organisé en quatre
temps. Dans un 1er temps une équipe « joue » la
scène devant les autres : ce sont les « acteurs » dans le
rôle du professeur ou des élèves. Dans un
2ème temps, lors d'un « forum », le formateur
organise un débriefing : analyse, proposition d'alternatives. Dans un
3ème temps, une alternative proposée par le public est
« testée » sur scène. Dans un 4ème temps, un
autre forum est proposé concernant l'évolution consécutive
à cette alternative. D'autres alternatives peuvent être
discutées et expérimentées par la suite. Le
déroulement sera identique (théâtre + forum) pour les deux
autres équipes.
2.2. Mode de recueil des données et
matériau recueilli pour notre étude
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Pour réaliser notre étude sur l'impact du
théâtre forum (ThF) dans le développement professionnel,
nous utilisons trois types de données complémentaires.
2.2.1. Vidéo
Objectif : (point de vue extérieur) repérer les
traces de l'activité de l'enseignant et les réactions des autres
protagonistes dans les situations jouées (verbal et non verbal) ; et
analyser les discussions lors du forum sur le fond et la forme.
Déroulé : 4 films de théâtre forum
(15 à 30 minutes chacun) que l'on nomme ThF1, ThF2, ThF3 et ThF4. Il
sont réalisés avec deux caméras : l'une est dirigée
vers la scène et enregistre les situations jouées et l'autre est
dirigée vers le public pour faire un relevé des interventions des
étudiants dans les phases de forum.
2.2.2. Questionnaire (Cf. annexe 1)
Objectif : niveau d'analyse plus global afin de mettre en
évidence les représentations des étudiants sur le conflit,
de préciser ce que leur a apporté le théâtre forum
d'un point de vue cognitif (réflexion, analyse, perspectives...) et
émotionnel.
Déroulé : Il est proposé à la fin
de la formation et est constitué en majorité de questions
fermées à choix multiple (avec une possibilité de
réponse libre). Il a été élaboré à
partir de l'intervention faite en novembre avec les étudiants de LP
d'une part, et a été enrichi par la lecture d'ouvrages sur le
théâtre forum d'autre part.
2.2.3. Entretiens avec les stagiaires
Objectif : approfondissement de l'analyse de l'impact du ThF
sur l'étudiant grâce à un entretien semi directif sur sa
pratique professionnelle et sur la régulation des conflits.
17
Déroulé : Cet entretien
téléphonique (20 à 30 minutes) a été
proposé à tous les stagiaires. Parmi 11 volontaires, nous en
avons sélectionné 5 afin d'augmenter les variables (parcours
MEEF, stagiaires ayant déjà suivi un ThF auparavant). Nous avons
ainsi tenté de proposer un échantillon représentatif des
étudiants de l'ESPE de ces deux groupes.
2.3. Traitement des données au regard de notre
problématique
Nos données sont analysées au regard de nos
hypothèses. Les données sont issues des réponses orales et
écrites des participants (extraits des questionnaires, des entretiens et
des forums) ainsi que des traces de leur activité
prélevées dans les vidéos des scènes filmées
(cf annexes 2, 3, 4).
Pour discuter d'un premier niveau d'analyse réflexive
dans le Thf, nous caractérisons les moments d'analyse de la situation
jouée à partir de plusieurs indicateurs : le type d'informations
verbalisées (description, interprétation, analyse) ;
l'organisation formelle de ces échanges (initiatives des propos,
échanges entre participants) ; les effets du ThF en termes de prise de
recul et prise de conscience (les occurrences de vocabulaire /
réflexion).
Nous nous attachons ensuite à analyser les
données concernant la conceptualisation, et les liens entre, la
construction de lien entre forme prédicative et forme opératoire
de la connaissance (ou registre pragmatique et registre
épistémique). Nos indicateurs concernent la verbalisation par les
étudiants des résultats des actions du professeur :
résultats objectifs sur la situation (régulation du conflit,
remise au travail) et effets subjectifs sur la personne (émotions,
besoins). Nous analysons également les échanges avec le formateur
permettant la compréhension de ces résultats (mécanismes
du conflit, fonction des émotions) et la mise en relation avec les
gestes professionnels relevés. Puis nous analysons les propositions des
étudiants sur les règles d'action (verbal, non verbal, para
verbal (ton, intonation, rythme, pauses)) permettant de réguler le
conflit, ainsi que sur les intérêts et limites de ces
règles d'action en lien avec les mécanismes du conflit
(connaissance épistémique).
18
Enfin, nous traitons les données concernant la
réorganisation des ressources des étudiants dans les situations
jouées. Nous analysons les adaptations éventuelles en
repérant les actions proposées (verbal, non verbal, para verbal)
au regard des résultats objectifs et subjectifs obtenus. Puis nous
proposons une analyse des entretiens pour identifier l'adaptation possible des
étudiants dans des situations professionnelles réelles. Nos
indicateurs concernant cette adaptation sont limités par le cadre de
notre mémoire. Nous n'avons pas de « visibilité »
extérieure puisque nous n'avons pas pu filmer ces étudiants dans
leur cadre professionnel après la formation.
19
3. Présentation des résultats
Nous avons exploité les 31 questionnaires
complétés par les étudiants (75% ont répondu). Nous
avons fait l'analyse de cinq entretiens (les prénoms sont
modifiés) et de 4 théâtres forum filmés sur
deux cours. Nous en avons extrait et analysé ce qui relève d'une
activité réflexive, d'une activité de conceptualisation et
d'un réinvestissement réel.
Aussi pour faciliter la lecture de notre analyse, nous
convenons d'un code. Nous parlons des étudiants et du formateur pour
évoquer le collectif dans la formation. Et lorsque nous évoquons
leur participation dans le théâtre, nous mentionnons le public et
les acteurs ou protagonistes dans le rôle de professeur ou
d'élève. Les théâtres forum filmés
sont nommés ThF1, ThF2, ThF3 et ThF4. (Cf. annexe 7 scénario)
3 .1. Un dispositif d'analyse
réflexive
D'après 39% des questionnaires, les étudiants
voient dans le ThF un outil permettant de réfléchir aux
difficultés rencontrées dans la pratique professionnelle. Nous
constatons également une forte participation des étudiants lors
du forum : par des indicateurs verbaux (pour le ThF2 : 11 étudiants sur
14 interviennent à l'oral pendant le forum) et non verbaux (corps et
regards tournés vers la scène, acquiescement de tête, pas
d'activités parasites ...).
3.1.1. Les objets de l'analyse : de la description aux
interprétations
Dans le forum, le formateur introduit la phase d'analyse :
« Qu'est ce qui se passe, qu'avez vu, entendu ? Que fait l'enseignant ?
» Il invite les étudiants à faire une analyse descriptive
des faits, sans interprétation, pour repérer les propos du
professeur : « Le prof demande aux élèves de se
mettre en groupe, mais un élève refuse », « Il y a un
prof qui demande quelque chose, et un élève
20
qui ne veut pas lui donner ». « Il dit ça
suffit ! », « Il questionne l'élève », «
L'élève la tutoie ». Ils doivent également identifier
le non- verbal (mouvements, gestes, postures, positionnement) : « Elle se
met entre nous » « Elle se rapproche de lui », « Le prof
reste assis à son bureau » « Il est assis et elle debout
». Les étudiants restent dans cette phase sur les faits
observables.
Les étudiants précisent aussi les
éléments du contexte de la scène (lieu, moment, cours...).
Le formateur leur demande notamment d'identifier les attitudes des
élèves et leur prise de position dans le conflit. Ces
informations sont mises en relation avec les mécanismes du conflit par
un questionnement : « Qu'est ce qui vient alimenter le conflit ? »,
« Quel élément du contexte peut contribuer au conflit ?
». Dans le ThF2, ils repèrent : « Il y en a un qui intervient
en sa faveur du fait de l'injustice » ; dans le ThF4 : « Il y a du
soutien de la part des camarades et une recherche de provocation » ; dans
le ThF1 : « Il a sa capuche et ses écouteurs, il est fermé
».
Cette phase est ensuite complétée par une
recherche des buts du professeur. Les hypothèses émises
permettent de faire le lien entre les intentions et les actions
identifiées. Le formateur interroge d'abord le public qui propose des
interprétations possibles sur les buts qui orientent les actions du
professeur. Puis il demande ensuite au professeur de
préciser ce qu'il cherchait à faire. Ainsi dans le ThF3, le
public propose: « Elle cherchait l'ordre et du coup elle leur rappelle
comment faire pour rentrer en classe ». Dans le ThF2, le professeur
interrogé répond :« il me met des bâtons dans les
roues, donc j'ai envie de passer à autres chose et de me
débarrasser de cette situation ». Et le public réagit :
« C'est vrai qu'on voit qu'elle veut se débarrasser ».
Parfois, il y a un décalage entre l'intention formulée par le
professeur et l'interprétation faite par le public : dans le
ThF2, le public souligne que le professeur a montré son
autorité à la classe, et ce dernier répond : « j'ai
pas du tout l'impression d'avoir assis mon autorité ! ».
D'ailleurs, il évoquera ce décalage spontanément dans son
entretien: « Quand les autres (public) ont dit ce qu'ils ont vu, je n'ai
pas forcément ressenti ça ! |...] ça m'a montré
clairement qu'on ne voit pas forcément pareil ».
21
3.1.2. Organisation des échanges : avec le formateur et
entre pairs
Dans les vidéos nous repérons l'organisation du
débriefing. Dans un premier temps, les échanges sont
initiés par le formateur, sous forme de questions, de reformulations, de
relances, de clarification (« en quoi, comment, c'est-à-dire ?
»). Au fil du forum, les étudiants prennent part aux
échanges de manière plus spontanée, ils complètent,
précisent, donnent d'autres opinions ou les infirment.
Dans le ThF1, le formateur questionne les étudiants sur
l'intervention du professeur. Ils répondent « Elle les a
court-circuités ». Le formateur questionne alors
l'élève qui répond « Je me suis sentie
petite, parce qu'elle avait le ton, la posture, elle était imposante.
» ; et le public de répondre spontanément : « Elle les
a défendus, elle est intervenue de manière plus claire sur le mot
bouffonne ! ». Dans son entretien Manon parle de ces échanges :
« Il n'y a pas que le formateur qui nous apporte, il y a les autres, le
fait d'échanger [...] on n'a pas toujours la même façon de
voir, les mêmes idées ». A ce propos, 40% des
étudiants voient un intérêt au théâtre dans le
partage d'expériences avec leurs pairs et 45% repèrent dans le
forum un moment d'échange, de partage avec un collectif sur une
problématique professionnelle. De plus pour 11 étudiants (35%),
il s'agit d'un moment qui permet de confronter différents points de vue
et de rentrer dans un débat, ce qui permet à ces échanges
de ne pas être uniquement consensuels même s'ils sont rassurants
pour 30% des étudiants. En effet un tiers s'est senti surpris par les
propositions d'autres étudiants et 20 % étaient même
étonnés par leur propre réflexion.
Un autre aspect de ces échanges entre pairs ressort
lors des entretiens : il s'agit de
l'hétérogénéité du parcours (MEEF) des
étudiants. Pour Léon, stagiaire LP :
l'hétérogénéité « ça pulse,
c'est enrichissant ». Il ajoute qu'il a beaucoup appris d'une PE dans le
groupe parce qu'elle a « une manière de gérer »
différente de la sienne. Pour Niko : « Il y a des réactions
de collègues qui m'ont un peu surpris
22
dans leur interprétation et dans ce qu'ils proposaient
comme alternative. Il y a des trucs que je trouvais assez pertinents et je n'y
aurais pas pensé [...] le fait d'avoir des retours de profs qui exercent
dans un autre cadre, du coup on ne voit pas les élèves de la
même manière donc c'est intéressant [...] Il y avait des
réactions surprenantes au niveau des méthodes. Pour Magali :
« je crois que c'est bon à prendre même si ça ne nous
concerne pas forcément parce que le problème des profs c'est
qu'on a tendance à trop rester enfermé sur notre niveau [...]
dans ce cours, c'est enrichissant ».
Nous notons également quelques limites au constat fait
sur la richesse de l'hétérogénéité du
groupe. Certains étudiants ont semblé plus passifs dans les
phases de forum, notamment quand il s'agissait d'élèves d'un
autre niveau d'âge que ceux dont ils ont la charge. Sophie comprend bien
qu' « il faut qu'on partage, qu'on communique, mais dans la mesure
où on n'a pas tous les mêmes problématiques, cela tombe
souvent à plat ». Pour elle, « c'est intéressant de
confronter les expériences des autres si les situations sont comparables
». De la même manière, Niko n'est pas contre
l'hétérogénéité du public mais il ajoute :
« ce serait plus pertinent de travailler avec des situations
d'élèves qui se ressemblent ».
3.1.3. Les effets de l'analyse réflexive
Dans les questionnaires, les étudiants mentionnent
comme utilité du dispositif une prise de recul sur les situations de
conflit grâce au théâtre (42%) et au forum (30 %).
Dans son entretien, Sophie précise : « En fait ce
qui m'a fait comprendre, c'est avec le recul [...] je me suis rendu compte que
je n'avais pas assez mis de barrière ». D'ailleurs, elle compare
spontanément un conflit qu'elle a vécu dans son lycée avec
une scène dans laquelle elle a joué en tant que professeur
: « Les commentaires qui ont suivi m'ont beaucoup plus ouvert les
yeux que le moment joué ». Elle évoque également une
prise de conscience sur sa pratique professionnelle : « Je me disais
tellement que je n'avais pas de souci de discipline, je ne me rendais pas
compte que je me laissais grignoter un peu
23
insidieusement ». Magali déclare : « Je suis
de nature impulsive et le ThF m'a permis de prendre un peu de recul par rapport
à ma pratique et de me dire ce que j'aurais pu faire et ce que je
pourrai faire maintenant [...] Le fait d'expérimenter ça, on en
prend encore plus conscience ». Manon témoigne également :
« je me suis rendue compte de beaucoup de choses, des choses que l'on sait
mais que l'on ne met pas forcément en pratique [...] le fait
d'expérimenter, on en prend encore plus conscience ».
Cette prise de conscience est également relevée
par certains étudiants qui trouvent de l'intérêt au ThF
dans la mise en lumière des différents points de vue
(professeur/élèves) grâce au théâtre (45%).
Pour 32% des étudiants, le forum permet aussi de comprendre les
comportements des élèves lors d'un conflit. Dans son entretien,
Magali parle de la scène où elle a joué le rôle d'un
élève : « Cela peut aider à mieux les
comprendre, mieux les cerner, parce que bizarrement on n'est plus vraiment nous
quand on joue le ThF et cela permet de se mettre à la place de l'autre
et d'essayer de comprendre. » Elle précise : « Au final, on
arrive à ressentir ce que l'élève pourrait ressentir, et
ça joue aussi, ça nous influence. »
Enfin, un seul étudiant n'a pas apprécié
le ThF de manière générale. Il pense que les
échanges sont intéressants mais qu'il n'y a pas besoin de ce
support jugé artificiel.
3.2. Un outil de conceptualisation et de
généralisation
3.2.1. Repérer l'impact d'une action sur la situation
conflictuelle
Pour 55%, le théâtre permet de voir l'impact des
actions sur l'évolution d'une situation conflictuelle et 30 %
repèrent, l'impact de la communication non verbale.
24
Pour traiter les données concernant la
conceptualisation des savoirs en actions, nous portons notre attention sur
l'organisation du débriefing et sur le type de réponses des
étudiants. Le formateur incite d'abord les étudiants à
repérer le lien entre les actions du professeur et le résultat
obtenu : « Qu'est ce qui a bien fonctionné ? Quel est l'impact de
ce geste professionnel ? Qu'est ce qui a moins bien fonctionné ? Quelles
sont les limites ? ». Pendant ces discussions, le formateur fait
préciser les propos, les complète puis les relie à un
cadre théorique concernant les mécanismes d'apaisement et
d'escalade du conflit (cf. annexe 10).
Dans le ThF2, un étudiant souligne
l'intérêt du « répondant » d'un professeur
lors de sa proposition : « Quand on les pique un peu, ça les
calme ! ». Un autre rétorque que le risque est que
l'élève s'essaye lui aussi aux « jeux de mots » et que
cela peut « faire déraper le reste de la classe ». Il conclut
en disant : « Le risque est que l'on peut perdre l'autorité, le
respect ». Une autre complète : « Le risque d'un
dérapage avec la répartie si on est avec un élève
qui a énormément de répartie, c'est qu'il prend le pouvoir
! ». Le formateur reformule les intérêts et les risques
verbalisés par les étudiants, puis les complètent par des
notions sur les postures d'autorité. Il se réfère à
trois composantes de l'autorité en en donnant les atouts et les limites
(cf. annexe 8).
Dans le ThF1, les étudiants caractérisent, le
positionnement du professeur proposé dans la
2èmealternative. Le formateur leur demande d'identifier la
règle d'action mise en oeuvre par le professeur lorsqu'elle a
proposé à l'élève de faire un choix, tout en
l'informant sur les conséquences éventuelles de son choix. Ils
répondent qu'elle a donné le cadre. Le formateur relance « A
quoi ça sert ? ». Ils répondent : « A sécuriser
soi, l'autre, le groupe ». Les actions « efficaces »
repérées par les étudiants sont notées au tableau
pour compléter le schéma des mécanismes du conflit
construit au fur et à mesure du cours.
Sur cette même scène, une 3ème
alternative est proposée. Les étudiants la décrivent :
« Il était plus réceptif », « Il a
reformulé (ce que disait l'élève) », il a
fait preuve « d'empathie ». Le formateur questionne sur
l'écoute active, en donne la définition puis demande à
l'élève l'effet que l'intervention du professeur
a eu sur lui. Il répond « plus en confiance [...] et plus
écouté ». Le formateur demande aux autres
élèves l'impact sur eux. Ils répondent : «
Un cadre plus sécurisant [...]
25
moins de tension ». Dans cet exemple, nous
repérons un deuxième niveau d'analyse dans les résultats
de l'action. Il s'agit des effets sur le professeur et sur les
élèves. D'ailleurs, pour 42% des étudiants, le
théâtre leur a permis de reconnaître les émotions
mises en jeu dans une situation de conflit par les différents
protagonistes et pour 55%, le forum les aide à mettre des mots sur ces
ressentis. Dans cette partie du débriefing, le formateur demande d'abord
au public d'identifier les émotions agréables ou
désagréables des protagonistes, puis de faire des
hypothèses sur ce qui expliquent ces émotions. « Qu'est-ce
qu'il leur manque, de quoi ont-ils besoin, qu'est ce qui est important pour eux
? ». Le formateur reformule ensuite les émotions et besoins des
protagonistes proposés par le public et complète parfois en
questionnant les acteurs.
Plusieurs exemples montrent comment les étudiants
relèvent ces informations puis font le lien avec les mécanismes
en jeu dans le conflit. Dans le ThF1, le public reconnaît les
émotions du professeur : « en colère,
frustré ». Le formateur relance « pourquoi frustré ?
» et questionne également le professeur : « tu l'as
travaillé longtemps ce cours ? ». Le professeur
répond qu'il s'agit d'un thème (les attentats) qui le
touche, et il ne « tolère pas qu'on remette en question » ce
qu'il propose sur ce sujet. Il se sent « incompris et déçu
». Pour la même scène, le public a repéré les
émotions de l'élève en conflit : «
énervé, agacé, en colère », avec un sentiment
« d'injustice ». L'élève ajoutera : « Je
ne supporte pas l'autorité, je n'ai pas envie de perdre la face devant
les autres en me soumettant ». Le formateur le questionne sur son
état s'il avait pu travailler avec un autre groupe choisi.
L'élève aurait été d'accord. Le formateur
relance : « Pourquoi tu es bien avec elles, tu es en confiance ? »,
Il confirme : « Oui ».
Ces échanges sont complétés par un
schéma qui vient préciser le lien entre les émotions
désagréables et les besoins non satisfaits, proposé comme
une des clés pour comprendre l'origine des conflits (cf. annexe 9). Dans
son entretien Magali est questionnée sur ce qu'elle a retenu des
mécanismes du conflit : « Le conflit émerge du besoin et la
réponse au besoin justement est la clé pour aborder le conflit
».
26
3.2.2. Proposer des gestes professionnels pour réguler
un conflit
Pour 48%, le forum permet de trouver des alternatives pour
réguler un conflit et pour 30%, le théâtre permet de faire
émerger d'autres perceptions sur la régulation des conflits.
Cette phase s'élabore dans la dernière partie du forum. Elle est
complétée par le schéma que le collectif construit au fur
et à mesure. On y lit des règles d'actions : isoler (pas devant
le reste de la classe, dans un lieu calme), prendre le temps (en fin de cours,
lors d'une récréation), s'assoir, avoir un ton de voix plus
calme, exprimer ses ressentis, ses besoins, rappeler les règles (cf.
annexe 10 et annexe 5).
Ce moment du débriefing est introduit par une question
du formateur : « Qu'est-ce que l'on pourrait faire dans cette situation,
quelle alternative, quel autre choix proposez-vous ? ». Si les
réponses des étudiants restent générales, le
formateur demande des précisions opérationnelles afin de
préciser les propositions : « C'est-à-dire, à quel
niveau ? Qu'est-ce qu'il pourrait dire ou faire ? ».
Dans le ThF2, les étudiants proposent « un rappel
du règlement intérieur », un rappel de « la notion de
justice » par rapport aux autres élèves, un rappel sur
« l'intérêt du travail demandé ». Chaque
proposition est discutée, puis analysée au regard des postures
d'autorité et des mécanismes d'apaisement du conflit. Sur ce
même ThF, un étudiant évoque le fait que
l'élève aie tutoyé le professeur et que
certains élèves autour se soient sentis « choqués
». Il rappelle qu'en plus des règles de l'institution, il y a des
règles de « bienséance » à respecter et faire
respecter : « C'est pas parce que ce n'est pas dit dans le
règlement que l'on ne doit pas se tutoyer, se bousculer, balancer des
chaises que l'on peut le faire ! C'est pas écrit mais c'est un accord
tacite » et il faut donc le rappeler.
Lors de son entretien, Manon a précisé les
règles issues du ThF qu'elle avait retenues : « Le ton, la voix
», « Reporter, prendre de la distance avec le conflit pour mieux le
gérer ensuite ». Elle ajoute que le schéma sur les
mécanismes du conflit lui a permis de « structurer » ces
règles. Elle parle de l'empathie « c'est écouter et
comprendre l'autre sans forcément être d'accord avec lui ».
Magali repère des gestes professionnels qui lui paraissent plus
efficaces : « Le ton à utiliser et le fait aussi de reporter
l'incident à plus tard selon sa nature [...] Dire à
27
un élève on en parlera à la
récréation ou en fin de cours [...] On n'a pas forcément
assez de recul encore pour le faire parce que l'on s'offusque tout de suite
mais là c'est vrai que c'est intéressant ». Elle fait
également le lien entre un geste professionnel (donner une
responsabilité à un élève) et une connaissance
prédicative (valoriser des élèves) qu'elle a
repéré dans un ThF: « Elle a proposé de donner une
responsabilité à l'élève qui ne voulait pas
travailler. C'est exactement ce que j'aurai fait aussi. Parce que les
élèves [...] ont surtout besoin d'être valorisés et
c'est vrai que là, en donnant des responsabilités, il aura plus
envie de participer. Parce que l'élève qui refuse de travailler
ce n'est pas forcément par affront. C'est que soit l'élève
est en difficulté et il ne veut pas le montrer devant ses camarades et
soit [...] il a des difficultés personnelles ». Elle précise
également à propos du schéma co construit (cf. annexe 10)
: « C'est bien pour décortiquer les mécanismes du conflit,
la manière dont ça peut monter ».
3.3. Un outil permettant une adaptation plus
efficiente
Pour nous rendre compte de l'effet du théâtre
forum sur l'adaptation des stagiaires à de nouvelles situations, nous
nous attachons à deux temporalités : la réorganisation des
ressources lors des alternatives proposées pendant le
théâtre d'une part et l'adaptation lors de l'activité
professionnelle après la session de formation d'autre part.
3.3.1. Adaptation dans les situations du théâtre
forum
Pour 45%, le théâtre permet de tester et voir
tester d'autres formes de communication dans la gestion des conflits. Lors de
son entretien, Manon relève l'aspect concret et expérimental : Le
ThF c'est « ressentir et vivre ce que l'on est en train de jouer pour
mieux se l'approprier ». Magali le caractérise par deux notions :
« improvisation et dépassement de soi ». Cette adaptation est
constatée dans les alternatives proposées, qui sont ensuite mises
en relation
28
avec les résultats sur la situation et avec les effets
sur les protagonistes. On repère deux formes d'alternatives par rapport
aux propositions antérieures.
Certaines sont orientées vers des buts identiques mais
des moyens différents pour y parvenir. Dans le ThF3 une étudiante
expérimente. Le but de ses actions est le même que dans la
situation initiale : démarrer son cours rapidement et dans le calme. En
revanche, les moyens utilisés sont différents : elle se
lève, s'approche des élèves, se place entre
elles, les questionne rapidement et leur demande de sortir de la salle de cours
afin de rentrer de manière plus calme. Elle leur rappelle le
règlement, le cadre du cours et les accompagne à la sortie. Sa
voix est calme et ferme. Lors du forum, on identifie les effets de cette
proposition sur le professeur qui semble plus apaisé, et sur
les élèves : « elle a rétablit le calme et
l'ordre », une élève précise qu'elle s'est
arrêtée de crier car le professeur étant entre
elles, elle ne parvenait plus à accéder à l'autre
élève et ajoute que cela l'a « un peu calmé
» et qu'elle a pu « être à l'écoute du prof
». Le volume sonore des élèves était plus bas quand
le prof leur a parlé doucement.
Dans d'autres alternatives, les gestes professionnels sont
différents et orientés vers d'autres buts, ou sous buts. Dans le
ThF3 également, une deuxième proposition est jouée. Le
professeur se rapproche des élèves et les
questionne sur leur conflit en précisant : « Pour comprendre, il
faut s'écouter [...] vous allez vous expliquer l'une après
l'autre tout en respectant celui qui parle [...] et on va mettre des mots sur
ce que vous avez ». Un élève s'explique. Le prof reformule
avec une voix douce et invite l'élève à redire ce
qu'elle a dit avec un ton plus calme. Il questionne l'autre
élève mais la première cherche à
l'interrompre. Le ton remonte mais le professeur se tourne et se
rapproche de la première pour lui rappeler que tout le monde doit
s'écouter. Il précise cette règle à chaque
protagoniste tout en se tournant et en s'approchant systématiquement
d'eux. Il essaye de comprendre et de reformuler ce que disent les
élèves. On constate un effet d'apaisement sur le
professeur et sur les élèves. Ici les actions
du professeur (donner la parole, reformuler, s'approcher...) sont
orientées vers un but différent : réguler le conflit.
Pour chaque alternative, on repère des effets divers
pour le professeur et les élèves (ton et rythme de la voix,
attitude plus détendue, expressions du visage,
29
échanges verbaux), ainsi que dans l'évolution de
la situation (mise au travail, obéissance de l'élève...).
Pour autant, ces résultats ne sont pas toujours positifs. Il y a parfois
des limites, des résultats partiellement efficaces. L'évolution
est discutée dans sa globalité (bénéfices, limites)
lors du forum qui suit.
Enfin, on repère aussi des moments où le
professeur parvient à s'adapter au cours même de son
action, en modifiant ce qu'il avait prévu de faire dans sa phase de
réflexion. Ainsi dans le ThF1, lors de la 2ème
alternative proposée, l'intervention du professeur semble plus
efficace pour la majorité des élèves. Pourtant un
élève ne réagit pas comme les autres et refuse toujours de
travailler. On constate un « temps de pause » dans l'attitude du
professeur qui hésite et qui fait une autre proposition. Lors
du débriefing il s'explique sur le compromis qu'il a fait et qui lui a
permis de faire évoluer positivement la situation pour chaque
élève (remise au travail).
Pour finir, nous relevons aussi quelques limites concernant
l'adaptation possible des étudiants lors des scènes. 16% des
étudiants ont noté s'être senti « en
sécurité » pour tester des alternatives sur la scène.
Même si ce chiffre ne signifie pas que les autres se sentaient en
insécurité, cela reste faible malgré tout. Ce constat est
d'ailleurs corroboré lors d'un ThF où une étudiante, qui a
formulé une alternative lors du forum, préfère qu'elle
soit jouée par un autre plutôt que par elle. De plus, dans son
entretien, Manon dit : « le théâtre avec des inconnus ce
n'est pas facile au départ » et ajoute qu'il faut être en
confiance avec les autres pour faire du théâtre.
3.3.2. Adaptation dans des situations nouvelles réelles
Pour traiter cet indice du développement, il nous
faudrait voir ces étudiants en activité professionnelle. Les
limites temporelles de notre étude ne nous permettent pas
d'accéder à des données objectives. Ainsi, pour pouvoir
faire le constat d'une réorganisation des ressources de ces
étudiants dans des situations conflictuelles vécues lors de leur
stage en établissement, nous pourrions envisager un accompagnement lors
de « visite » après la formation.
En revanche, grâce aux questionnaires et aux entretiens,
nous pouvons établir quelques tendances qui semblent
apparaître.
Nous pouvons signaler que 58% des stagiaires se sentent
motivés pour tester d'autres gestes professionnels dans leurs pratiques
et que 58% sont curieux pour poursuivre leur formation sur ce thème. De
plus, des étudiants ont parlé en entretien de l'impact du ThF sur
leur pratique professionnelle. Léon dit : « Il y a le fait de se
mettre un peu à distance, de ne pas tout prendre pour soi, ça
oui, je le fais plus maintenant ». Pour Magali, le ThF peut l'aider dans
sa pratique professionnelle au niveau de la prise de recul par rapport à
ce qu'elle pourrait faire, surtout sur le ressenti et la gestion des
émotions.
31
4. Traitement des données
4.1. Traitement des données et
discussions
Dans le cadre de ce mémoire, nous avons voulu montrer
en quoi et comment le théâtre forum pouvait permettre un
développement professionnel des professeurs stagiaires, tel qu'il est
défini par la didactique professionnelle. L'analyse de nos
données permet d'ouvrir la discussion sur les trois aspects de nos
hypothèses.
4.1.1. Concernant l'analyse réflexive
D'un point de vue général, les moments d'analyse
et de réflexion sur sa pratique professionnelle sont
repérés dans nos trois outils. La participation active d'une
majorité des étudiants aux forums en témoigne sur la
forme.
L'analyse se fait rétrospectivement, après la
situation simulée. Elle est centrée sur les actions (verbal, non
verbal, para verbal) observables et les informations pertinentes
prélevées sur la situation. Ces actions sont par la suite
reliées aux intentions des protagonistes, à ce qu'ils cherchent
à faire dans le contexte décrit. Les hypothèses, ensuite
validées ou invalidées par le professeur permettent aux
étudiants d'analyser le lien entre les buts poursuivis et les actions
réelles, et d'accéder à une partie de l'activité
mise en oeuvre pour exécuter la tâche : ils deviennent leur propre
objet de réflexion lorsqu'ils ont joué le rôle de
professeur puisque l'analyse se fait autour de leur propre
activité.
L'analyse est guidée par le formateur qui propose un
cadre par des questions, des relances, des reformulations, des clarifications.
En effet, pour analyser leur pratique, les étudiants doivent disposer de
techniques et d'outils pour faciliter leurs interrogations dans un cadre «
non jugeant ». Dans un article concernant l'apprentissage par simulation,
Horcik (2014) relève que, par des questions ciblées et des
techniques d'écoute active, le formateur permet à ce dispositif
de devenir un moment d'analyse de pratique : « Durant cette phase le
formateur/facilitateur cherche à faire expliciter aux participants les
évènements
32
les uns après les autres et à retracer la
genèse des choix qui ont été effectués au moyen de
relances spécifiques et en établissant un climat de confiance
».
D'autre part, nous constatons que cette analyse se construit
sur trois niveaux d'échanges au sein du groupe : formateur / public ;
formateur / acteur ; public / acteur. La situation simulée et le
débriefing permettent de fédérer des expériences
afin de faire d'un problème personnel, vécu par un enseignant,
une problématique professionnelle. Quand les observations du public sont
mises en tension avec le vécu et le ressenti des acteurs, on
repère des concordances et des discordances. Ces discordances, parfois
mentionnées dans les témoignages, servent également de
base à la réflexion du professeur et des autres
étudiants : ainsi le collectif permet par les différents points
de vue adoptés, d'enrichir le débat et donc d'accroître le
champ des possibles dans l'analyse. Bourgeois et Mornata (2012) insistent
justement sur l'intérêt de l'interaction sociale avec les pairs :
« elles sont sources de conflits « socio-cognitifs »
eux-mêmes moteurs de l'apprentissage et favorisés dans ce
dispositif par un environnement coopératif puisque le public doit
trouver ensemble une solution pour améliorer la situation ». Pour
Vygostky, cité par ces mêmes auteurs, « l'interaction entre
deux personnes permet parfois la confrontation à une nouvelle
information, en contradiction avec les informations déjà acquises
». L'intérêt des échanges entre pairs est souvent
évoqué par les étudiants. Cependant quelques limites sont
mentionnées à ce propos. Quand le public est trop
hétérogène, les attentes sont parfois trop diverses. Ainsi
la situation proposée peut sembler loin des préoccupations de
certains étudiants. Il semble donc très important de choisir une
situation qui fasse sens pour tous, une situation qui pose un problème
à chacun pour que chacun puisse s'investir dans la réflexion
rétroactive. A ce propos, certains étudiants ont mentionné
qu'il pourrait être pertinent de composer des groupes d'étudiants
en fonction des niveaux d'âge des élèves. Nous pourrions
proposer de thématiser plus précisément et en amont les
séances de théâtre forum proposées aux
étudiants.
Enfin, l'analyse réflexive construite dans le forum
favorise une meilleure compréhension des situations. Interpréter
le rôle d'élève permet aux étudiants
d'être sensibilisés aux ressentis des élèves
et de saisir, en deçà du langage, les rapports de domination
/ soumission qui peuvent se jouer dans un rapport d'autorité. Cela a
pour effet une prise de recul et une meilleure compréhension
33
de la situation dans sa globalité. Les entretiens des
étudiants du groupe de novembre indiquent une poursuite de cette analyse
après la formation car elle leur donne des outils de
compréhension sur des situations professionnelles similaires.
Ainsi, le forum, organisé par le formateur comme un
moment de débriefing permet d'amener les étudiants à une
analyse réflexive et rétrospective de leur activité. Et
pour Pastré (2006 a), « on n'apprend pas les mêmes choses
pendant l'action et au moment du debriefing » : apprentissage pendant
l'action et apprentissage par l'analyse de l'action s'articulent et
s'épaulent l'un l'autre ».
Pour autant, si cette analyse réflexive est
nécessaire, elle n'est pas suffisante pour développer son pouvoir
d'agir. Elle doit être enrichie d'une conceptualisation nécessaire
à un réinvestissement dans des tâches similaires.
4.1.2. Concernant la conceptualisation
Pastré (2002) souligne l'importance du
débriefing pour la construction du modèle pragmatique : «
c'est à ce moment que s'opère la conceptualisation de la
situation sous sa forme pragmatique ». Nous avons relevé des
données permettant de mettre en lumière les phases de
conceptualisation dans le théâtre forum.
D'une part, nous constatons que le forum permet aux
étudiants d'extraire et de verbaliser des informations, des indices, sur
les actions et la situation, et de les relier aux résultats obtenus.
Dans ces phases où les étudiants sont guidés pour trouver
le lien entre une action et un résultat, ils sont amenés à
repérer des gestes professionnels favorisant la régulation du
conflit. Le formateur les aide ensuite à analyser ces gestes
à partir d'invariants opératoires repérés dans les
situations jouées, et donc de construire des liens de causalité
à partir de ceux-ci pour rendre leur action efficace. En combinant les
informations relevées et un cadre théorique sur les
mécanismes du conflit, il aide les étudiants à
accéder à une forme prédicative de la connaissance
directement issue de l'activité. Cette phase permet aux étudiants
de comprendre « comment ça fonctionne ? ». Il s'agit du
34
registre épistémique de la conceptualisation
permettant la construction de schèmes efficaces dans des situations
conflictuelles similaires.
D'autre part, les effets de l'activité sur les
protagonistes sont également analysés. Cette phase, qui permet
d'accéder aux ressentis des protagonistes, remplit une double fonction.
D'abord, elle favorise le développement de compétences
psychosociales (OMS) telles que « avoir conscience de soi, avoir de
l'empathie pour les autres (Carl Rogers, 2005) ». Ces compétences
permettent justement aux étudiants d'avoir accès à des
informations pertinentes dans les situations. De plus, l'analyse des effets est
complétée par des concepts théoriques (Marshall Rosenberg,
1999) concernant une des fonctions des émotions : informer sur les
besoins satisfaits ou non. Identifier les besoins des protagonistes permet de
comprendre ce qui « motive » leurs agissements dans une situation
(cf. annexe 9). Ainsi, à partir d'un repérage des émotions
des élèves, le professeur peut faire des
inférences sur leurs besoins, qui permettront de guider son action.
« Cette recherche de la cause de l'événement est
également un moment crucial dans la construction d'un modèle
opératif pertinent, qui va servir à la fois à la
compréhension de l'action et à son guidage » (Pastré,
2006 a).
Enfin, dans la phase du forum où les étudiants
sont invités à proposer des alternatives pour répondre au
problème posé par la situation, le formateur les place dans un
registre pragmatique de conceptualisation qui a pour but la réussite de
l'action et qui répond à l'interrogation « comment ça
se conduit ? ». (Pastré, 2006 b). Cette phase de la
conceptualisation sert à « relier les prises d'informations sur la
situation aux répertoires de règles d'action disponibles »
(Pastré, Mayen, Vergnaud, 2006 ibid.). Ainsi dans un des
exemples, un professeur utilise la reformulation avec un
élève : c'est un concept pragmatique utile à la prise en
compte d'un besoin de l'élève dans le conflit. Elle permet
à l'élève qui était fermé, réactif et
en refus, de se sentir écouté, ce qui a pour effet de
l'apaiser.
C'est au moment du débriefing que sont
verbalisées des règles d'actions efficientes pour la
régulation des conflits. Pour mener à bien le forum, le formateur
guide les propositions et discussions des étudiants et les articule
à des
35
invariants opératoires issus de certaines situations
conflictuelles. L'association du théâtre forum avec des outils de
compréhension des mécanismes du conflit et/ou des postures
d'autorité (modèle cognitif) offre une possibilité de
conceptualisation et de généralisation des schèmes
construits. Mais plus que deux phases consécutives, il s'agit d'un
étayage régulier entre le modèle cognitif et le
modèle opératif, ce qui rend l'apprentissage professionnel
maximal (Pastré, 2006 b).
4.1.3. Concernant l'adaptation à de nouvelles
situations
Dans cette partie nous avons voulu montrer en quoi le
théâtre forum permet aux étudiants de réorganiser
leurs ressources afin de s'adapter de manière efficiente à des
nouvelles situations conflictuelles.
Pour Tixier (2010), le théâtre forum «
propose un espace intermédiaire entre l'imaginaire et le réel,
entre la théorie et la pratique, entre la discussion et l'action »,
dans la mesure où le passage du monde des idées à celui de
la mise en oeuvre concrète n'est pas facile : savoir ce qu'il faut faire
n'est pas savoir le faire. Dans les alternatives proposées, les
étudiants cherchent à s'adapter afin de répondre
efficacement au problème posé par la situation. Les
connaissances, qu'elles soient prédicatives ou opératoires, sont
nécessaires mais « les changements de comportements, notamment en
matière relationnelle, semblent nécessiter aussi et surtout une
implication émotionnelle ; et l'implication est
généralement beaucoup plus intense dans l'action ». (Tixier,
2010). De plus, selon Ria (2008) : « La conception de situations de
simulation en formation sur la base de l'analyse de l'activité
professionnelle permet à la fois de confronter les acteurs à une
complexité proche des situations réelles tout en favorisant la
construction d'une expérience sans risque et en recourant à la
manipulation des paramètres de la situation : la temporalité, la
difficulté du problème, la taille de l'environnement, etc.
». Nous relevons que dans les scènes jouées, les
étudiants ont construit, une situation à partir de leur
vécu professionnel. La tâche est certes simplifiée
(durée courte, moins d'élèves que dans une classe...) mais
elle est représentative d'une réalité vécue ou
anticipée. Ainsi, lorsqu'ils jouent sur
36
« scène » une alternative, ils se confrontent
à une complexité proche de leur situation réelle. Ils
improvisent et s'adaptent à la situation pendant l'action, même si
une réflexion a été réalisée lors du forum.
Dans la plupart des propositions « expérimentées »,
nous repérons des évolutions dans les actions proposées et
dans les résultats obtenus. Les résultats obtenus en termes de
régulation de conflit sont de plus en plus efficients même si des
limites sont relevées. Cette phase constitue le passage entre une
élaboration de l'action (savoir quoi et comment faire) et son
assimilation (savoir-faire) (Pastré, 2006 b). L'élaboration est
proposée dans le forum au moment de la construction de modèle
opératif. Mais pour Pastré, « Savoir-faire est encore autre
chose, surtout quand il s'agit d'activité où la dimension
corporelle est en jeu », et nous ajoutons, surtout quand la dimension
émotionnelle est en jeu. C'est pourquoi les phases de
théâtre et donc de simulation de situations conflictuelles se
révèlent particulièrement intéressantes pour
explorer les propositions faites dans le forum, pour tester ces «
savoir-faire ». Nous constatons que les étudiants
réorganisent leurs ressources de différentes façons : ils
prennent des informations plus précises sur les élèves
(prise en compte de leurs états émotionnel, des
éléments du groupe), ils identifient plus justement leurs besoins
(des élèves et du professeur) et adaptent leur
communication verbale, non verbale et para verbale à ces informations.
Soit ils adaptent leurs gestes professionnels au but qu'ils se fixent avant
d'agir, soit ils font des compromis en se fixant d'autres sous buts et en
réorganisent leurs ressources en conséquence. Le dernier exemple
proposé dans le ThF1, témoigne d'un compromis opéré
par le professeur au cours de son activité. Parfois, des limites sont
observées dans les résultats obtenus : ils peuvent être
liés à une prise en compte incomplète des informations
pertinentes de la situation ou à une posture qui n'est pas totalement
adaptée. Mais une avancée est fréquemment observée
dans le résultat objectif (apaisement du conflit, remise au travail...)
et/ou subjectif (écoute, calme, soulagement...).
En revanche, si le théâtre permet cette mise en
pratique, il « faut s'entraîner, répéter, recommencer
pour que l'organisation de l'activité soit en quelque sorte
incorporée ». (Pastré, 2006 b). Dans les quatre heures
allouées à ce dispositif, le temps n'est pas suffisant pour
permettre cette répétition. Nous pourrions éventuellement
envisager comme perspective d'amélioration du dispositif, d'autres
ateliers théâtre forum sur le même thème. D'autre
part, ce dispositif peut
37
entraîner un sentiment d'insécurité pour
quelques personnes et des réticences liées à la crainte
« de se mettre en scène ». Ainsi, il est important de prendre
le temps de créer un cadre favorable, un climat de confiance et
d'écoute bienveillante entre tous.
Le cadre de notre étude ne nous permet pas de faire de
conclusion concernant une réorganisation des ressources efficientes dans
le cadre professionnel. Pour avoir des données objectives, nous
pourrions proposer un suivi des étudiants sur leur lieu de travail.
Cependant, nous pouvons nous appuyer sur des données plus subjectives
extraites des entretiens. On note que certains étudiants ayant suivi la
formation en novembre ont déjà repéré chez eux une
évolution dans leur gestes professionnels ou tout au moins dans leur
réflexion. D'autre part, le fait qu'une majorité
d'étudiants se disent prêts à tester d'autres gestes
professionnels dans des situations conflictuelles réelles nous permet
d'envisager un impact positif de ce dispositif dans les pratiques
professionnelles.
4.2. Conclusion
Dans cette étude, nous avons travaillé sur un
dispositif de formation permettant aux professeurs débutants de se
sentir plus outillés pour gérer des situations conflictuelles
avec leurs élèves. C'est en lien avec les concepts
développés par la didactique professionnelle que nous avons
cherché à montrer en quoi et comment le théâtre
forum permettait un développement professionnel des débutants
dans la régulation des conflits.
Nous avons montré que ce dispositif permet d'organiser
l'apprentissage par l'analyse réflexive et rétrospective de son
activité, lors du débriefing qui suit la scène
jouée. Cela confirme le propos d'Augusto Boal (2006) : le
théâtre est l'art de nous regarder nous-même et le
théâtre forum devient alors un outil de connaissance qui permet
d'entrer dans la complexité d'une situation de conflit par le biais de
l'expérientiel, en adoptant le regard de l'autre. Cette analyse se fait,
par la médiation du formateur et les interactions entre les
étudiants. D'autre part, ce dispositif permet une phase de
conceptualisation par l'articulation entre
38
formes de connaissances opératoires et
prédicatives. L'élaboration de concepts pragmatiques est
construite à partir des propos des étudiants,
étayés par des modèles théoriques. Enfin, le
théâtre forum offre un espace qui permet un
réinvestissement, une réorganisation des ressources pour que
l'étudiant s'adapte de manière efficiente à la situation.
Dans cette phase d'expérimentation concrète, ils doivent
mobiliser des niveaux plus ou moins élevés de conceptualisation
pour être dans un processus de développement. En revanche, elle
nécessite un climat de confiance et probablement une
répétition plus importante des simulations. Alors, le
théâtre forum pourrait montrer toute sa puissance pour permettre
aux débutants une assimilation des compétences. De plus, une
étude longitudinale nous permettrait de voir les étudiants sur le
terrain après la formation. Nous pourrions alors vérifier si
l'adaptation dont ils font preuve lors de la session de formation est visible
dans des situations professionnelles similaires.
Cette étude met particulièrement en
lumière l'importance du collectif, comme ressource pour chacun. Ainsi,
les professeurs débutants qui se sentent démunis et parfois
isolés retrouvent des moyens d'agir avec et grâce au groupe.
Mais au-delà des interrogations sur l'impact de cet
outil, cette étude nous permet également de formaliser la place
du formateur. Sa présence est nécessaire pour organiser et guider
l'analyse réflexive, l'articuler avec des connaissances
épistémiques, et créer un cadre bienveillant favorisant
les échanges mais aussi l'implication dans le « jeu ». Mais
au-delà de ces compétences indispensables pour animer ce type de
formation, des questions émergent. Comment doser, équilibrer,
articuler les apports théoriques avec les temps de verbalisation et de
réflexion ? Quel temps accorder à la construction d'un cadre
bienveillant et sécurisant dans une formation courte ? Comment
accompagner ces étudiants sur la durée et notamment lors de leur
stage pour poursuivre ce travail avec eux sur la régulation des conflits
? Probablement qu'un temps de réflexion et d'échanges entre
formateurs permettrait un éclairage supplémentaire sur ces
questions.
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