Annexe 2 : Retranscription intégrale de
l'entretien avec M. Matthieu Hurel :
Qu'est-ce que le jeu vidéo indépendant pour
vous ?
C'est un jeu vidéo comme un autre, mais
réalisé par un studio qui dispose d'une indépendance
créative totale et qui n'est pas un projet commandé par une plus
grosse société.
Que représente cette notion d'indépendant
?
Aujourd'hui, c'est un atout marketing avant tout, puisque
l'image du jeu indépendant renvoie souvent au côté
artisanal, authentique et un peu anarchiste par certains aspects. C'est aussi
un label capable de réunir, de souder une communauté de
développeurs locaux ou épars, même si on se rend compte que
cela n'empêche jamais des communautés encore plus
spécifiques de se former.
A qui se destine-t-il ?
A n'importe qui possédant une machine capable de le faire
tourner.
Est-il né en réponse à quelque chose
?
Il a toujours existé mais il est né
médiatiquement d'un besoin de différenciation par rapport aux
productions commerciales traditionnelles, d'une réponse aux AAA, aux
marronniers et aux campagnes promotionnelles bien huilées, même si
une partie des studios indépendants commencent à utiliser
eux-mêmes des méthodes industrielles pour se mettre en valeur.
Ne représente-t-il pas par son bas prix un
point d'entrée sur le jeu vidéo, un moyen de séduire des
non joueurs ?
C'est un argument, mais les promotions
systématisées et de plus en plus agressives changent pas mal la
donne, d'autant que le prix moyen des productions
154
indépendantes a tendance à augmenter pour
diverses raisons, comme des budgets en hausse, des marché plus
réceptif, et des besoin d'anticiper les soldes.
Comment pensez-vous qu'il soit perçu par le public
?
Si on parle du grand public qui achète ses jeux en
supermarché, je pense qu'il n'est pas perçu du tout tant qu'il
n'est pas vendu en boîte et le côté indépendant n'a
aucune importance dans la décision d'achat. Si on parle des joueurs qui
se renseignent un peu plus et ont l'habitude du
dématérialisé, je pense qu'il est perçu comme un
moyen de retrouver des genres délaissés, de découvrir
d'autres types de jeux et de pratiquer plus facilement le snack
gaming.
Et par les gros éditeurs ?
Ça peut remplir leur catalogue à peu de frais
tout en profitant de l'aura du fait maison, mais aussi leur donner des
idées à intégrer dans leurs grosses productions. Ce n'est
clairement pas une menace irréversible pour les gros éditeurs,
quoi qu'il arrive.
N'est-il pas un vivier dans lequel ces derniers
peuvent se fournir en travailleurs et en idées ?
Oui, même si une partie des développeurs
indépendants refusent de travailler avec de gros éditeurs.
Arrive-t-il à faire face au modèle
traditionnel et à ses grosses boites de production ? Et si oui comment
?
Il n'a pas besoin de faire face, il existe dans les failles,
les interstices que le modèle traditionnel ne couvre pas ou plus.
Même si les productions indépendantes prennent de plus en plus de
place, ça n'empêche pas les grosses boîtes de productions de
s'adapter. Et comme les studios indépendants gagnent en
crédibilité, en visibilité et en sympathie, ils peuvent se
permettre d'adopter eux aussi des tactiques du AAA. Mais il n'y a pas
forcément de guerre entre les deux milieux, certains
développeurs
155
font juste du jeu vidéo en hobby et le vendent ou pas,
d'autres montent une boîte pour en faire leur métier à
temps complet et doivent avant tout faire vivre leur studio sans
s'inquiéter des AAA, d'autres veulent rivaliser en faisant du AAA
indépendant, Ninja Theory, par exemple. Si on regarde du
côté créatif, le jeu indépendant s'en sort bien mais
ce sont rarement les jeux les plus originaux qui rapportent le plus. Et il y a
beaucoup de petits échecs chez les indépendants mais chez les AAA
également, et à plus grande échelle.
Selon vous pourquoi le jeu vidéo
indépendant marche ?
Parce qu'il y a de plus en plus de joueurs et que
l'accès aux jeux s'est grandement assoupli par rapport à
l'époque des titres majoritairement vendus en boîte.
Quel est son futur, comment va-t-il évoluer
?
J'imagine qu'il va se monétiser et se professionnaliser
davantage, comme n'importe quel milieu, tout en conservant un part de
hobbyistes et d'idéalistes qui feront des expériences pour la
beauté du geste. On peut dire aussi qu'il va encore plus se banaliser et
peut-être même sortir de l'étiquette d'indépendant
pour n'être que du jeu, devenir une nouvelle norme, en quelque sorte.
Ne risque-t-il pas de prendre de l'ampleur et de
remplacer le modèle traditionnel ? Ou bien peut-il continuer à
coexister avec le modèle traditionnel ?
Tout peut coexister et s'adapter. Peut-être que les jeux
estampillés indépendants grignoteront plus de parts de
marché aux jeux traditionnels dans les années à venir,
mais je doute que ça devienne une part géante. Certains seront
absorbés par l'évolution du marché traditionnel qui s'en
nourrira pour continuer à exister, d'autres resteront en marge et ne lui
feront aucun mal faute de visibilité. Dans tous les cas, il y aura de
plus en plus de jeux au global.
156
|