MASTER 2 PROFESSIONNEL ÉCRITURE, TYPOGRAPHIE,
ÉDITION
De l'édition traditionnelle à
l'édition numérique
ÉVOLUTIONS ET PERSPECTIVES
DE LA LITTÉRATURE DE JEUNESSE
DITE « ENGAGÉE»
Caroline LECOMTE
***
SOUS LA DIRECTION DE MME ISABELLE KLOCK-FONTANILLE
Année universitaire: 2008-2009
2
3
REMERCIEMENTS
Je tiens à présenter mes remerciements
les plus sincères à ma directrice de recherches, Mme
KLOCKFONTANILLE, à l'équipe enseignante de ce Master 2
édition, et à toutes les personnes ayant contribué de
près ou de loin à l'élaboration de ce mémoire ainsi
qu'au bon déroulement et à la réussite de cette
année universitaire.
Mme KLOCK-FONTANILLE pour sa grande disponibilité, sa
souplesse et son soutien lors de l'écriture de ce mémoire.
M. GONFROY et Mme KLOCK-FONTANILLE pour la qualité de
leur formation et leur encadrement ainsi que l'équipe éducative
de ce Master 2 édition pour la richesse de leurs enseignements.
En dernier lieu, je souhaite également exprimer ma
reconnaissance aux personnels des différentes bibliothèques ou
librairies dans lesquelles je me suis rendue. Ils ont su m'apporter à
chaque fois leur concours et ont fait preuve d'un grand professionnalisme
à mon égard.
Tous ces facteurs ont encouragé le bon
déroulement de mon stage et de mon année universitaire, me
facilitant par la même l'écriture de ce mémoire. Aussi, je
vous en remercie.
4
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS 3
SOMMAIRE 4
INTRODUCTION 6
CHAPITRE 1 ÉVOLUTION HISTORIQUE ET SOCIOCULTURELLE
8
1.1. UN LIEN ÉTROIT ENTRE CONCEPTION DE L'ENFANCE ET
LITTÉRATURE ENFANTINE 8
1.1.1. Vous avez dit « enfance»? 8
1.1.2. Émergence d'une pensée
pédagogique 9
1.1.3. Naissance d'une édition
spécialisée 10
1.2. LE TOURNANT DU XXE SIÈCLE 12
1.2.1. Un début de siècle entre
continuité et innovations 12
1.2.2. Mai 68 : Apparition d'une d'édition jeunesse
engagée 14
1.2.3. Rencontre de la psychanalyse et du grand public
17
1.3. LES GRANDES TENDANCES ACTUELLES 19
1.3.1. L'essor du livre documentaire 19
1.3.2. Littérature de jeunesse et « sens
international » 20
1.3.3. Littérature de jeunesse et philosophie
21
CHAPITRE 2 QU'ESTCE QUE L'ENGAGEMENT? 23
2.1. TENTATIVE D'UNE DÉFINITION 23
2.1.1. De l'engagement et de ses emplois 23
2.1.2. Le terme « engagée » pour
qualifier la littérature 24
2.2. LES DIFFÉRENTS CHAMPS DE L'ENGAGEMENT 26
2.2.1. L'engagement graphique 27
2.2.2. L'engagement politique 28
2.2.3. L'engagement « sociologique » 31
2.2.4. L'engagement civique 33
2.3. L'EXPRESSION DE L'ENGAGEMENT À TRAVERS
L'ANALYSE D'UNE OEUVRE 34
2.3.1. L'organisation spatiale et typographique de la
couverture 34
2.3.2. La prédominance de l'illustration 35
2.3.3. La couverture : promesse d'un ouvrage engagé
36
2.4. ENGAGEMENT DU LECTEUR DANS LE TEXTE 38
2.4.1. La concrétisation imageante 40
2.4.2. L'identification 40
2.4.3. Les réactions axiologiques 41
2.4.4. La littérature de jeunesse engagée
permetelle forcément l'engagement du lecteur? 43
5
CHAPITRE 3 JEUX ET ENJEUX DE LA LITTÉRATURE DE
JEUNESSE ENGAGÉE 47
3.1 LA FONCTION D'ÉDIFICATION DANS LA
LITTÉRATURE DE JEUNESSE 47
3.1.1. L'édification religieuse 47
3.1.2. L'édification morale 48
3.1.3. L'édification idéologique 49
3.1.4. Édification idéologique et censure
51
3.2. L'ARSENAL LÉGISLATIF 52
3.2.1. La loi du 16 juillet 1949 53
3.2.2. Qu'en estil de cette loi aujourd'hui? 55
3.2.3. Posture des acteurs du livre jeunesse: entre
autocensure et revendication du droit à
l'expression 56
CHAPITRE 4 ENGAGEMENT ET PRISE DE
RISQUES 59
4.1. ENGAGEMENT V/S NEUTRALITÉ 59
4.1.1. La neutralité comme politique
éditoriale 59
4.1.2. Des avantages de la collection 61
4.1.3. L'index thématique: réponse à
une demande? 61
4.2. LE RECOURS À DES PRESCRIPTEURS
63
4.2.1. La coédition 64
4.2.2. Les partenariats 64
4.2.3. La reconnaissance affichée 66
4.3. LES MÉDIATEURS 67
4.3.1. Les bibliothécaires 68
4.3.2. Les libraires spécialisées jeunesse
69
4.3.3. Le réseau militant 70
CONCLUSION 72
BIBLIOGRAPHIE 74
OUVRAGES 74
REVUES 75
SITOGRAPHIE 76
RESSOURCES EN LIGNE 76
SITES CONSULTÉS 77
CORPUS DES ALBUMS 78
ANNEXES 79
ANNEXE A 80
ANNEXE B 83
ANNEXE C 84
ANNEXE D 85
ANNEXE E 86
6
INTRODUCTION
« Engagé ». À l'heure où ce
terme est désormais sans cesse galvaudé dans les médias
pour désigner un chanteur, un acteur, un journaliste, etc., voilà
que ce même adjectif ressurgit pour qualifier des ouvrages de
littérature de jeunesse.
On observe ainsi, un salon du livre engagé1
dans lequel la littérature de jeunesse a pris place depuis peu, la tenue
d'un récent débat intitulé « La littérature de
jeunesse peut-elle être engagée? » lors de la fête du
livre jeunesse à Villeurbanne en 2008 ou encore la présence en
octobre prochain d'un colloque international à l'Université de
Strasbourg sur le thème « Littérature de jeunesse et
engagement ».
De leur côté, nombre de maisons d'éditions
se revendiquent d'une politique éditoriale « engagée »
à l'instar des éditions Syros, Rue du monde ou Talents Hauts,
pour ne citer qu'elles.
Adjectif employé dans le langage courant pour qualifier
une attitude, une personne ou une création qui prendrait position pour
des problèmes politiques ou sociaux, la littérature de jeunesse
qui oserait parler à l'enfant de ce qu'il voit et entend au quotidien,
n'y échappe pas et se retrouve aujourd'hui taxée d' «
engagée ».
À une époque où les enfants sont
surexposés à la réalité et à la
dureté du monde par le biais du cinéma, des séries
animées, de la publicité ou du journal, il semblerait en effet,
qu'une partie de la littérature jeunesse, loin de proposer des ouvrages
béats et colorés, soumettent à ces jeunes lecteurs des
titres dans lesquels les thèmes les plus graves et les plus
sérieux sont abordés. La littérature de jeunesse,
désormais consciente du fait qu'il n'y a pas d'âge pour se poser
des questions d'ordre existentiel, viserait, en ce sens, elle aussi à
réduire l'éventuelle innocence au monde des jeunes lecteurs. Le
lapin mignon sautant dans la garrigue du livre pour enfant est-il fini ?
Bien
1Plumes rebelles est: « le salon du livre
citoyen d'Amnesty International, [qui] se consacre aux droits humains, à
la liberté d'expression et à l'écriture engagée.
» [en ligne] <http://www.plumesrebelles.org/>
7
sûr que non, mais en même temps que les
représentations liées à l'enfance évoluent, la
production éditoriale pour la jeunesse, qui ne cesse de prendre de
l'essor, se transforme.
La littérature de jeunesse constitue de fait
aujourd'hui l'un des secteurs les plus dynamiques de l'édition. Dans un
contexte marqué par une baisse des ventes en librairies, cette branche
connaît une croissance continue, qui se situe aux environs de 4,5% pour
l'année 20082, et arrive ainsi en deuxième place
derrière la littérature générale. Lorsque l'on
considère l'ensemble de la production des ouvrages pour la jeunesse, la
première évidence qui nous frappe c'est leur nombre: bon an mal
an, environ 6 000 titres sont publiés chaque année.
Au regard de l'envol que connaît ce secteur et à
l'heure où l'engagement est revendiqué partout, nous pouvons nous
demander si l'emploi de ce terme pour qualifier une partie de la
littérature de jeunesse est adéquat ou s' il correspond
plutôt à un abus de langage destiné à surfer sur une
tendance. Nous nous interrogerons donc sur les caractéristiques de ce
type de littérature afin d'appréhender ce qu'elle recouvre.
Afin de répondre à cette question, nous nous
attacherons dans un premier temps à analyser l'évolution
conjointe du statut de l'enfance et de la littérature enfantine afin
d'apprécier les différents facteurs ayant permis l'apparition
dans les années 70 d'une littérature de jeunesse se revendiquant
engagée. Naturellement, nous tenterons dans un second temps, d'approcher
ce terme afin de saisir comment il se manifeste et ce qu'il implique. Nous
interrogerons alors les fonctions et finalités de ce type de
littérature au regard du cadre législatif afin de savoir si oui
ou non elle tombe sous le coup de la loi. En dernier lieu, nous aborderons les
différents moyens offerts à ce type de littérature pour
exister dans le domaine éditorial afin de voir s'il s'agit d'une
littérature marginale ou pas.
2COMBET Claude, Jeunesse : La vie devant soi,
Livre Hebdo, 2008, n° 755, p.70-80.
8
CHAPITRE 1
ÉVOLUTION HISTORIQUE ET SOCIOCULTURELLE
1.1. UN LIEN ÉTROIT ENTRE CONCEPTION DE L'ENFANCE ET
LITTÉRATURE ENFANTINE
Les sociétés ont toujours accordé un
statut particulier à l'enfance, en attestent les berceuses ou chansons
présentes dans tous les folklores. Cependant, si l'on considère
ce statut au fil des siècles, on observe, qu'il n'a cessé de
prendre de l'importance au sein de la cellule familiale et plus
généralement au sein de la société.
Parallèlement à cette reconnaissance progressive du statut de
l'enfant, les productions littéraires destinées à ces
derniers n'ont fait que croître. On constate alors, de manière
significative, que la création littéraire va de pair avec le
contexte socio-historique.
Ainsi, est-ce toujours dans un rapport de cause à effet
avec les différentes conceptions de l'enfance et les valeurs y
étant afférentes que la littérature de jeunesse sera
envisagée. L'histoire de la littérature, et plus
précisément ici celle destinée à la jeunesse, n'est
pas constituée d'événements isolés, mais au
contraire, de faits d'ordre culturel, sociologique ou historique liés
les uns aux autres dans un rapport causal.
1.1.1. Vous avez dit «enfance»?
Longtemps la vie enfantine a été fragile et
précaire en Occident, menacée par une forte mortalité
infantile puisque jusqu'au XIXe siècle en Occident, c'est à peine
un enfant sur deux qui parvient à l'âge adulte. La période
de l'enfance est de plus très restreinte puisque c'est vers 7 ans,
« âge de raison » reconnu par l'Église, que le petit
d'homme entre dans l'âge adulte et commence à travailler. Ces
différents facteurs concourent au fait que la période de
l'enfance s'en retrouve fortement écourtée; quant à
l'adolescence, cette phase de transition entre l'enfance et l'âge adulte,
elle n'existe
9
pas. D'une manière générale, jusqu'au
XIXe siècle, les enfants sont peu individualisés et leur
spécificité demeure majoritairement ignorée.
Simultanément, on observe que du côté de
la production littéraire, le nombre d'ouvrages destinés à
ces derniers est quasi nul. La transmission est à cette époque
surtout orale et les contes sont racontés indifféremment aux
adultes et aux enfants. Les écrits, quand il y en a, sont pour
l'essentiel des manuels d'éducation retrouvés dans les familles
aisées voire royales. Parmi ces ouvrages, le Librum Manualem
rédigé vers 841- 843 à Uzès par Dhuoda,
épouse d'un aristocrate, pour son fils aîné ou le Livre
pour l'enseignement de mes filles du Chevalier de La Tour Landry
écrit en 1371 afin d'inculquer à ces dernières des
principes moraux au travers d'exemples. Le but est à chaque fois
d'apprendre à l'enfant à obéir à la raison.
L'éducation se doit de transmettre aux enfants les moyens
d'intérioriser les règles de la société. Elle doit
les conduire, les guider.
Même si une préoccupation sensible de l'enfance
émerge déjà au XVe siècle, où l'on observe
que « dans certains livres d'heures des mères de familles, des
pages en plus gros caractères sont visiblement destinées aux
enfants »3, il faut attendre le XVIIe siècle pour voir
se constituer progressivement une littérature soucieuse de la
spécificité enfantine.
1.1.2. Émergence d'une pensée
pédagogique
Des imagiers et abécédaires comme l'Orbis
sensualim pictus de Johannes Amos Comenius paru en 1658 à
Nuremberg, font par exemple leur apparition. Parallèlement, une
représentation nouvelle de ce que doit être le livre pour enfant
est en train de surgir sous l'influence de Fénelon qui, en 1687 critique
ces livres qui sont fait pour éduquer et prône l'apprentissage par
le détour du divertissement. La même année, dans De
l'éducation des filles, il recommande de faire apprendre les petits
par le détour du divertissement, prône un style léger plus
facile à lire et plaide vivement pour les images. Ce qu'il
réclame, ce sont des oeuvres adaptées à la nature de
l'enfant. De ces
3CHELEBOURG Christian et MARCOIN Francis, La
littérature de jeunesse. Paris: Armand Colin, 2007,
p.13.
10
revendications émerge la première pensée
pédagogique. En 1699, son Télémaque,
présent dans les programmes scolaires jusqu'en 1960, sera
considéré comme le premier roman pour la jeunesse. La raison d'un
tel succès est que Fénelon, par ailleurs précepteur du Duc
de Bourgogne, adopte ici la moralisation indirecte à travers la forme du
roman. Ce livre est en effet imprégné des valeurs
chrétiennes, l'édification restant l'objectif primordial, mais il
est adapté.
Cette adaptation pour la jeunesse, signifie qu'on s'attache
désormais à faire correspondre les ouvrages aux
intérêts et à la compréhension des jeunes. Cette
adaptation pour un public défini et ciblé, l'enfance, passe ici
par une mise en intrigue ingénieuse et une langue plus claire. Une
nouvelle conception de l'apprentissage passant par l'acceptation de
l'idée que l'enfant aime par nature jouer et apprendre, d'où la
formation du couple éducation-récréation est en train de
naître. L'idée dominante est que l'expérience est
importante dans le processus d'apprentissage. C'est là une
véritable rupture avec l'éducation médiévale
déjà dénoncée pour ses pratiques obscurantistes,
son verbalisme et son autoritarisme, en 1535 par Rabelais dans Gargantua
à travers le personnage du précepteur, Thubal Holopherne.
Cet intérêt ne se dément pas au cours des
siècles. Les premiers ouvrages dont les auteurs sont des
pédagogues apparaissent au XVIIIe siècle. En 1757, Mme Leprince
de Beaumont compose Un Magasin des Enfants, ouvrage qui propose un
abrégé de l'histoire sacré, de la géographie, de la
science ainsi que des contes moraux... Le but y est de combattre l'ennui de la
lecture. On y instruit tout en s'y amusant, par le biais de la vulgarisation
scientifique et du pouvoir des images. L'on peut signaler également le
célèbre traité rédigé par Jean-Jacques
Rousseau en 1762, Émile ou De l'éducation qui
influencera durablement la pédagogie.
1.1.3. Naissance d'une édition
spécialisée
Toutefois, en dépit de ces évolutions sensibles
des représentations de l'enfant et de ce que doit être la
littérature de jeunesse, ce n'est véritablement qu'au XIXe
siècle que cette dernière va réellement s'affirmer. Riche
en bouleversements, le XIXe siècle voit de concert, l'affirmation de la
responsabilité de l'État vis-à-vis de l'éducation,
la
11
législation du travail des enfants et un
intérêt croissant pour l'enfance qui, sous l'impulsion de l'oeuvre
de Rousseau et suite à la découverte de Victor, l'enfant sauvage,
devient peu à peu un terrain de recherches et de spéculations.
Conjointement, en même temps qu'est prôné une relation
affective plus profonde avec l'enfant, l'amour maternel s'impose socialement.
L'enfant n'est plus cet « adulte en miniature » et, au-delà de
son besoin manifeste d'éducation, il devient un être que l'on
chérit et protège avant tout.
En somme, le XIXe siècle offre un contexte propice
à l'expansion de la littérature de jeunesse. Cela se confirmera
dans les faits avec la structuration de ce secteur de l'édition au
travers de maisons telles que Hachette et Hetzel, respectivement
éditeurs de la Comtesse de Ségur et de Jules Verne, et la
naissance d'un genre nouveau, l'album.
La volonté des éditeurs d'une littérature
originale et de qualité spécifiquement destinée à
l'enfance conjuguée, aux évolutions techniques permettant aux
procédés d'impressions d'allier caractères d'imprimerie et
images en couleurs sur une même page, entraînent la parution dans
les années 1860 des premiers albums français. Hetzel qui
accordera beaucoup d'importance à l'illustration publie en 1862 Les
Aventures de Mademoiselle Lili et Hachette sort quelques années
plus tard les albums Trim. Le « mauvais livre » n'est plus celui qui
porte un message contraire à la morale mais celui qui ne satisfait pas
au plan intellectuel, esthétique, affectif ou sensitif. « L'album
illustré devient le lieu de recherches artistiques poussées
»4 comme s'attache à le démontrer l'ouvrage de
Sophie Van der Linden5 entièrement consacré à
ce genre.
Ce rapide panorama historique s'attachant à
démontrer le lien étroit qui existe entre conception de l'enfance
et évolution de la littérature enfantine est fondamental pour
comprendre les enjeux qui vont se nouer au cours du XXe siècle.
4CHELEBOURG Christian et MARCOIN Francis, op.
cit., p.55
5VAN DER LINDEN Sophie, Lire l'album. Le
Puy-en-Velay: l'Atelier du ·Poisson Soluble, 2006.
12
1.2. LE TOURNANT DU XXE SIÈCLE
Loin de s'essouffler, la dynamique de ce nouveau secteur de la
littérature perdure tout au long du XXe siècle. Le contexte
social, culturel, économique et politique, marqué par de
profondes transformations, la société de consommation qui
s'instaure progressivement au cours de ce siècle bouleversent
durablement les définitions du livre et de l'enfant. Des questions
majeures ayant trait à la nature de ce dernier, son contenu, ses
objectifs, à l'enfant lui-même, sa psychologie, ses besoins, vont
entraîner une évolution de la littérature enfantine
caractérisée par une suite de ruptures et innovations.
Le livre de jeunesse devient pour les uns, un produit de
consommation, voire un objet consommable, pensé pour un usage
éphémère, appelant de concert un renouvellement constant
de l'offre afin de satisfaire la demande. En effet, comme le rappelle
Michèle Picard, c'est « le xxe qui a vu l'émergence puis
l'explosion du merchandising destiné aux enfants6 ». Il
devient pour d'autres un moyen d'édification idéologique ou
encore pour certains le lieu où s'exprime une recherche
esthétique, un propos innovant ou un regard porté sur le
monde.
1.2.1. Un début de siècle entre
continuité et innovations
Jusque dans les années 1930, l'édition pour la
jeunesse ne produit guère de nouvelles oeuvres de renom, hormis quelques
titres qui demeurent des classiques à l'instar de L'Histoire de
Pierre Lapin publié en 1902 par l'auteur anglaise Beatrix Potter,
de Peter Pan de James Barrie sorti en 1904 ou de Macao et Cosmage
d'Edy-Legrand paru en 1919 pour ne citer qu'eux.
Ces ouvrages isolés côtoient une production de
masse dominée par les magazines illustrés, la déferlante
des comics américains et les collections à fort tirage comme la
Bibliothèque rose et la Bibliothèque verte chez Hachette.
6PIQUARD Michèle, L'édition pour
la jeunesse en France, de 1945 à 1980. Villeurbanne: Presses de
l'École nationale supérieure des sciences de l'information et des
bibliothèques,2004, [thèse de doctorat, 2000], p.175.
13
C'est en 1931 que se produit un événement
éditorial qui fera date. Dans le cadre de la maison Flammarion, Paul
Faucher (1898-1967) fonde les Albums du Père Castor, albums
placés sous le signe d'un animal voué d'instinct à la
construction. Paul Faucher, passionné par les questions
pédagogiques et inspiré par la psychologie, invente un nouveau
concept d'albums destinés à être manipulés, voire
coloriés et même découpés.
Ces années annoncent un bouleversement dans la notion
de livre pour la jeunesse qui commence à acquérir une certaine
légitimité. Le premier Prix littéraire jeunesse est
créé en 1935 par Paul Hazard, professeur au Collège de
France, des guides de sélections de livres pour enfants sont
publiés, des grands noms de la littérature écrivent pour
la jeunesse à l'image d'André Maurois pour Patapoufs et
Filifers en 1930, de Marcel Aymé avec Les Contes du Chat
perché parut en 1934 et surtout de Saint Exupéry qui, avec
Le Petit Prince publié en 1943, donne à lire un conte
poétique et philosophique qui deviendra un phénomène
d'édition international traduit dans plus d'une centaine de langues.
Paradoxalement, c'est au cours de la Seconde Guerre mondiale
que le secteur de l'édition jeunesse connaît une deuxième
vague. La société des Éditions Françaises Nouvelles
qui deviendra les éditions Bordas en 1946, voit le jour en 1941, ainsi
que les Éditions de l'Amitié-G.T. Rageot qui développent
des collections tournées vers le monde et ouvertes à toutes les
cultures7, à l'image de celle qui s'intitule: « Les
heures joyeuses ». Un peu plus tard, l'année 1955 sera, quant
à elle, marquée par la création des éditions La
Farandole, maison liée au Parti communiste français, alors
très présent dans le débat sur l'éducation et la
protection de l'enfance dans les années d'après-guerre.
Cependant, même si de nouvelles maisons ont vu le jour,
dans l'ensemble le paysage éditorial reste stable et il faudra attendre
Mai 68 pour que les grands bouleversements apparaissent.
7Le slogan des Éditions de
l'Amitié-G.T. Rageot est: « Le tour du monde avec les heures
joyeuses » [en ligne] <
http://www.rageotediteur.fr/htm/qui_sommes_nous/qui_sommes_nous.asp/>
14
1.2.2. Mai 68 : Apparition d'une d'édition jeunesse
engagée
Mai 68 constitue le point d'ancrage d'un profond changement
des mentalités qui n'épargne pas le secteur de la
littérature enfantine. Les réformes ont prolongé la
scolarité jusqu'à seize ans et permettent à tout enfant
âgé d'au moins trois ans de bénéficier du droit
à l'éducation publique. Ces réformes ont pour
conséquence d'accroître brutalement la demande en matière
de livres pour enfants ainsi que d'étendre fortement le public
potentiel, c'est-à-dire des tout-petits aux adolescents. Cette
conception alors élargie de la jeunesse conduit les maisons
d'édition à cibler davantage leur production sur tranche
d'âge, dans la mesure où un album pour un non lecteur ne satisfait
assurément pas un jeune en proie à la puberté.
Parallèlement, « un mouvement novateur se dessine
composé de gens qui " ont rompu avec la tradition du marketing, de la
chaîne de produits centrés sur un personnage et
débités en tranches de saucisson étiquetés et
identifiables pour la plus grande masse possible ", selon les propos d'Arthur
Hubschmid, directeur de l'École des Loisirs aux côtés de
Jean Delas et Jean Fabre »8. Se confrontent les fidèles
de l'héritage socio-culturel des siècles passés, et les
partisans d'une modernité qui exhorte une liberté de
pensée et d'action tournée vers l'égalité de tous
et s'appuyant sur les nouvelles théories psychologiques et
pédagogiques. Ces deux conceptions de l'enfant et du livre induisent
deux politiques éditoriales différentes qualifiées de
« traditionnelle » ou « d'avant-gardiste ».
Par « traditionnelle », on renvoie à une
production qui prend ses racines chez les grands éditeurs du XIXe
siècle comme Hachette par exemple. L'enfant est envisagé dans son
rapport de dépendance vis-à-vis de l'adulte. Sa
spécificité se définit par ses manques au regard de
l'adulte. Cette vision simpliste de l'enfant conduit à une idée
limitée du livre pour la jeunesse qui se résumer en trois mots
« regarder, nommer, reconnaître »9. Par le biais
d'albums ancrés dans la réalité et le quotidien de
l'enfant, on donne aux enfants les moyens de désigner et
d'appréhender leur environnement
8PIQUARD Michèle, op.cit. , p.51.
9CHAMBOREDON Jean-Claude et FABIANI Jean-Louis,
Les albums pour enfants, le champ de l'édition et les
définitions sociales de l'enfance, Actes de la Recherche en
sciences sociales, 1977, n°14, p.63.
15
immédiat. Les images ont souvent une fonction
documentaire ou explicative et viennent soutenir le texte, dont la
primauté est manifeste, sans entrer en interaction avec ce dernier. Ces
maisons dites « traditionnelles » ont pour cible un public enfantin
le plus large possible. Peu disposés à prendre des risques, les
éditeurs s'adaptent aux exigences commerciales et aux tendances.
L'aspect commercial prédomine sur la créativité.
À l'inverse, le terme « avant-gardiste »
renvoie quant à lui à une toute autre conception de l'enfance,
moins infantilisante et passant par l'acceptation de ses capacités
intellectuelles et réflexives. En effet, dès les années 60
on va commencer à prôner le droit des individus à devenir
eux-mêmes, à se réaliser. L'important n'est plus de
s'aligner sur ce qui est commun mais de développer ce qui est propre
à chacun. Dans le cadre de cette éducation, les adultes ne
peuvent plus se cantonner à imposer et à transmettre, ils doivent
aussi créer les conditions favorables pour que l'enfant puisse, sans
attendre d'être « grand », découvrir par lui-même
ce qu'il peut être. Une myriade d'éditeurs vont apparaître
à la fin des années 70 parmi lesquels certains se rattachent
à des mouvements politique ou à des courants de pensées
contestataires issus de Mai 68. Ainsi, on peut penser aux éditions
Harlin Quist fondées en 1967 par François Ruy-Vidal. Figure de
« l'avant garde », il définit en 1970 ce que doit être
le livre pour enfants10 :
« Je suis pour l'image, pas forcément contre
le texte littéraire, mais certainement contre l'illustration explicative
et colorée à tout prix [...]. Il n'y a pas de races
spéciales d'écrivains pour enfants, comme je refuse qu'il y ait
des catégories d'images pour enfants et d'autres catégories pour
adultes. [...] Un bon livre est un bon livre. Les effets secondaires d'une
lectureémotion, avec les entrelacs de résonances de l'image et du
texte en contrepoint, ne dépendent certainement pas d'une mastication
explicative, d'une condescendance, d'une sécurisation, d'une concession
à l'âge, au niveau mental, à la catégorie des
enfants, etc. C'est au nom de ce racisme, sécurisant les adultesjuges de
livres pour enfants et psychopédagogues, que beaucoup de livres sont
produits et que les meilleurs sont rejetés.
10GOURÉVITCH Jean-Paul, La
littérature de jeunesse dans tous ses écrits, anthologie de
textes de référence (15291970), Créteil : CRDP de
l'Académie de Créteil, 1998, p. 319.
16
[...] Faire des livres pour les enfants est une erreur.
Faire des livres qu'on peut mettre entre les mains d'enfants, aussi, me
convient beaucoup plus. »
Dans cette même veine d'éditeurs engagés
nous pouvons également citer, les éditions Syros crées en
1972, les Éditions des femmes créées en 1975
par Antoinette Fouque et appartenant au Mouvement de libération des
femmes, les éditions Le Sourire qui mord apparues en 1976 sous
l'égide de Christian Bruel et issues du collectif « Pour un autre
merveilleux » et qui revendiqueront une appartenance au mouvement
gauchiste de Mai 68. L'engagement chez ces éditeurs sera
fortement revendiqué, s'exprimant jusque dans leur identité
visuelle, c'est-à-dire le choix de leur logo11.
Innovation et créativité sont désormais
les mots d'ordre de toute une génération d'éditeurs.
L'esthétique et le graphisme des albums font l'objet d'un renouvellement
considérable tirant leur inspiration de l'art contemporain, de la
photographie et du graphisme publicitaire. L'illustrateur devient un artiste
à part entière, en témoigne la place que François
Ruy-Vidal leur réserve dans l'ouvrage Le géranium sur la
fenêtre vient de mourir mais toi, maîtresse, tu ne t'en es pas
aperçue qu'il publie en 1971 et qui compte pas moins de 13
illustrateurs. Comme l'explique Sophie Van Der Linden12 :
« Les images rompent
délibérément avec la fonctionnalité
pédagogique. Face aux images dénotatives, copies du réel
et support d'apprentissages, émerge une image inattendue, aux nombreuses
résonances symboliques. »
Textes et images portent désormais conjointement la
narration et nourrissent une interaction ce qui requiert distance et
interprétation, soit participation active du lecteur. Il s'agit moins
d'éduquer et de protéger l'enfant que de le faire réagir
et réfléchir afin de l'ouvrir au monde.
11Cf. Annexe A
12VAN DER LINDEN Sophie, Lire l'album, Le
Puy-en-Velay: l'Atelier du ·Poisson Soluble, 2006, p.17.
17
Ces éditeurs font tomber un certain nombre de tabous en
abordant dans leurs albums des sujets tels que la mort, les problèmes
à l'école, le sexisme, etc. La fiction est utilisée comme
un révélateur et non comme une échappatoire.
Portées par cette vague de renouveau et
d'émancipation des années 1970, de nombreuses maisons
d'édition de littérature générale vont ouvrir un
département jeunesse. Ainsi Gallimard Jeunesse voit le jour en 1972,
Grasset Jeunesse en 1973, Albin Michel Jeunesse en 1981, Seuil Jeunesse en
1982. Par la suite, quantité de maisons d'édition
spécialisées en jeunesse particulièrement créatives
apparaissent. À titre d'exemple, nous ne citerons que
Kaléidoscope, le Rouergue, L'Atelier du Poisson Soluble, Rue du Monde,
ou Thierry Magnier. Un tel engouement pour ce secteur entraîne
l'augmentation considérable d'auteurs pour la jeunesse, ainsi que la
création d'un Salon du livre de jeunesse qui se tient tous les ans
à Montreuil et d'une Foire internationale, celle de Bologne rassemblant
auteurs, illustrateurs, éditeurs et libraires.
Parallèlement, ce secteur est aussi porté par la
démocratisation de la psychanalyse qui s'opère dans les
années 70 et qui permet de sensibiliser les mentalités aux
spécificités liées à l'enfance. La
société occidentale contemporaine, grâce aux apports de la
psychologie et de la psychanalyse, reconnaît alors aux jeunes enfants de
plein droit le statut de « sujet pensant » qui a besoin d'être
guidé dans son cheminement existentiel et intellectuel.
1.2.3. Rencontre de la psychanalyse et du grand public
Dès 1967, sous le pseudonyme de Docteur X,
Françoise Dolto médiatise ses thèses psychanalytiques sur
les ondes d'Europe 1, en répondant en direct et anonymement aux
auditeurs. Sa vision inédite du nourrisson et du jeune enfant va
transformer les relations parents-enfants. À ses yeux, le respect de
l'enfant n'est possible que par une collaboration entre enfant et adulte. Une
telle conception implique une responsabilisation réciproque. Refusant
toute domination du sujet humain, elle réprouve l'autoritarisme ainsi
que toute morale risquant de contrôler,
18
d'assujettir et d'aliéner un sujet. Elle souligne en
revanche l'importance de la parole que l'adulte peut adresser à l'enfant
sur ce qui le concerne, parole indispensable à la construction des
individus. L'oeuvre et la pensée de Dolto perceront
définitivement tous les foyers en octobre 1977, date à laquelle
se produira la rencontre avérée entre la psychanalyse et le grand
public par le biais du programme quotidien « Lorsque l'enfant paraît
» qu'elle animera jusqu'en octobre 1978 sur France Inter.
L'autre fait ayant contribué à la
conscientisation et à la libération du désir de l'enfant
ainsi qu'à la prise en compte de ses interrogations métaphysiques
semble être, le succès de la Psychanalyse des contes de
fées écrit par Bruno Bettelheim et publié en 1976.
Cet ouvrage s'attache à démontrer comment les contes concordent
aux angoisses des enfants en les informant sur les épreuves à
venir et les efforts à accomplir avant d'atteindre la maturité.
Les contes parlent de façon symbolique et implicite, de ces questions.
Le jeune lecteur comprend spontanément et de manière intuitive
que ces histoires ne décrivent pas une réalité mais que le
« message » du conte est symbolique et qu'il faut donc
l'interpréter. Ces récits parlent directement à
l'inconscient de l'enfant en donnant forme aux tensions, aux peurs, aux
désirs qu'il éprouve au quotidien lors de son
développement. Ils lui permettent de dépasser ses conflits pour
mieux grandir.
En adéquation avec cette vision de l'enfance, on
constate aujourd'hui que la tendance est aux livres offrant aux jeunes lecteurs
par le biais de leur récit, de façon implicite et non
moralisatrice, la possibilité d'une rencontre initiatique avec
soi-même et le monde. Les instructions officielles du Ministère de
l'Éducation Nationale abondent d'ailleurs dans ce sens et
préconisent aux enseignants du cycle 3 d'aborder des ouvrages
littéraires permettant à l'élève de «
développer dans l'école des débats sur les grands
problèmes abordés par les écrivains, comme sur
l'émotion tant esthétique que morale qu'ils [les ouvrages]
offrent à leurs lecteurs13». L'oeuvre littéraire
doit amener la classe au débat interprétatif ce qui permettra
à chacun de s'interroger et d'interroger le monde.
13SCÉRÉN/CNDP, Qu'apprendon à
l'école élémentaire ?, Paris : XO Éditions,
2006, p.17.
19
1.3. LES GRANDES TENDANCES ACTUELLES
Ces modifications dans les représentations de l'enfant,
de l'éducation, de la lecture, de ce que doit être le livre de
littérature de jeunesse ont un retentissement sur ce secteur. Ainsi,
observe-t-on quelques grandes tendances sur le marché de
l'édition jeunesse.
1.3.1. L'essor du livre documentaire
La première tendance visible est la présence
constante dans tous les catalogues jeunesse de livres documentaires. Ce
phénomène est apparu dans les années 50, période
durant laquelle, nombre de maisons d'éditions, telles Hachette,
Gautier-Langereau, Nathan, etc. vont se jeter dans le créneau de
l'ouvrage documentaire. Ainsi, par exemple, quatre années après
sa création en 1955, La Farandole lance une collection intitulée
« Savoir et Connaître ». L'explication d'un tel essor
réside, selon Marguerite Vérot14, dans le désir
de promotion sociale qui marque la seconde moitié du XXe siècle.
Ce désir est, d'après elle, l'un des éléments
clé qui justifie et explique cet élan vers le livre documentaire.
Elle analyse ce dernier dans ces termes:
« Il faut y voir [dans cet engouement], (...) le
signe d'un changement et aussi un signe des temps. Jadis, éduquer un
enfant, c'était presque le soustraire à l'influence du monde.
Aujourd'hui, c'est le préparer à affronter le monde avec tout ce
qu'il apporte de nouveau. »
Ce type d'ouvrage se développera ensuite
considérablement après les événements de mai 68.
Les collections du type, « Dis pourquoi ? », « Pour comprendre
», « Questions-réponses », « Premiers regards sur...
» commencent à apparaître. L'édition jeunesse
connaît dès lors une plus grande sensibilité pour les faits
d'actualité ou les débats de société. Elle
ambitionne de faire comprendre le monde aux jeunes lecteurs.
14VÉROT Marguerite, Les Tendances
actuelles de la littérature pour la jeunesse, Paris:
Éditions Magnard/Éditions de L'École, 1975, p.23.
20
On remarque progressivement que le nombre de documentaires sur
l'histoire des civilisations du monde entier, des religions,
etc. ne cesse de croître. Ces
publications valorisent la diversité et la multiplicité des
coutumes propres à chaque culture et en ce sens elles constituent un
apprentissage de la tolérance et introduisent des notions telles que
l'humanisme, la citoyenneté, le relativisme, l'ouverture, etc.
Si l'on constate qu'à l'heure actuelle la quasi
totalité des maisons d'éditions jeunesse ont un secteur
documentaire, on observe également qu'outre la porté historique
ou scientifique de bon nombre d'entre eux, la grande majorité des
maisons ont développé récemment des documentaires à
visée « civique » comme nous venons de le voir ou encore
philosophique comme nous l'aborderons plus tard.
1.3.2. Littérature de jeunesse et « sens
international »
La littérature de jeunesse, pendant la seconde
moitié du XXe siècle, se dote d'un « sens international
» comme s`attache à le nommer et à le définir
Michèle Picard15. Cette vogue qui s'exprime dans les
documentaires et les fictions tend à développer chez le lectorat
le sens de la fraternité humaine, la connaissance et la
compréhension des autres. Né de l'après-guerre, on observe
ce penchant pour l'universalisme dès 1948 dans le catalogue des
Éditions de l'Amitié où une collection propose «
d'emmener les enfants faire un merveilleux tour du monde » par le biais de
livres traduits. Toujours dans ce souci d'élargir l'horizon des jeunes,
le livre documentaire voit naître par exemple, au début des
années cinquante, la collection « Les Enfants de la terre »
chez Flammarion, la collection « Enfants du monde » chez Nathan ou
encore la collection « Connais-tu mon pays » chez Hatier. On ne
compte plus aujourd'hui les collections ouvertes sur les autres cultures aux
noms aussi évocateurs que : « Des albums pour voyager » chez
Seuil Jeunesse, « Contes et mythes de la Terre » chez Actes Sud
junior, « Le tour du monde » chez Milan, etc.
Cette tendance au cours des dernières décennies
ne faiblit pas, en témoignent les nombreuses traductions qui paraissent
chaque année et qui selon Livre Hebdo16 représentent
50% de la production totale, soit environ 3 000 titres. Ce penchant des
15PIQUARD Michèle, op. cit., p.242.
16COMBET Claude, op.cit., p.70-80.
21
éditeurs pour les traductions est le signe d'un
désir d'ouverture ce qui colle au plus près de leur
volonté de véhiculer des messages de tolérance.
L'appréhension de cette notion peut en effet passer par cette politique
éditoriale d'ouverture qui permet la découverte de livres venus
du monde entier.
1.3.3. Littérature de jeunesse et philosophie
Autre tendance comparable, l'apparition récente de
thèmes philosophiques dans des collections spécialisées,
bien souvent dans le secteur « documentaire ». Selon Edwige
Chirouter17, professeur de philosophie à l'IUFM des Pays de
la Loire:
« En 1976, par le succès de la Psychanalyse
des contes de fées, Bruno Bettelheim a convaincu beaucoup
d'éducateurs que les véritables préoccupations des
enfants, ce qui les intéresse et les motive profondément, c'est
justement de pouvoir répondre à [leurs] grandes angoisses
existentielles. »
À l'heure actuelle, sur le marché de
l`édition jeunesse, les « petits manuels de philosophie » pour
enfants fleurissent. Albin Michel édite ainsi une collection
intitulée « Sagesse et philosophie », Gallimard une autre
nommée « Chouette! Penser », Nathan a lancé «
Philozenfants », Milan édite les « Goûters philo »,
etc.
Le livre prend désormais au sérieux les enfants,
à une époque où l'idée qu'il faut leur parler de
tout est de plus en plus communément admise dans l'idéologie
éducative dominante. Le combat mené dans les années 70 par
quelques avant-gardistes à l'image de l'éditeur François
Ruy-Vidal pour reconnaître à la littérature de jeunesse la
liberté de s'affranchir de tous les tabous a fait des émules et
permet désormais à tous les thèmes, dits « graves
» comme le travail, la mort, le racisme, l'handicap, la vieillesse, la
maladie, etc., d'être abordés et explorés au travers de
démarches philosophiques qui s'expriment dans des titres tels que :
Pourquoi la mort?, Gagner sa vie, estce la perdre?,
17CHIROUTER Edwige, L'enfant, la
littérature et la philosophie. De la lecture littéraire à
la lecture philosophique d'une même oeuvre, 2008. [en ligne]<
http://www.edwigechirouter.over-blog.com>
Pourquoi les hommes fontils la guerre?, etc.
18
22
Le message apparaît: la littérature de jeunesse
doit dorénavant permettre à l'élève et,
au-delà de ce dernier, à l'enfant de faire une rencontre
esthétique, intellectuelle mais aussi affective avec le texte. C `est ce
que revendique Jean Fabre, l'un des fondateur de l'École des loisirs,
quand il affirme que « la fiction ne devient féconde que dans la
mesure où on peut l'actualiser grâce à son propre
vécu »19.
La conscientisation des adultes vis-à-vis des
capacités et besoins de l'enfant va offrir un contexte propice aux
éditeurs pour la prise d'engagement en littérature de jeunesse,
nous verrons alors dans une seconde partie comment se traduit cet engagement en
littérature et ce qu'il induit.
18Titres de la collection « Chouette !Penser
» chez Gallimard, parus respectivement en 2009, 2008 et 2006/
19AFL, Regards croisés sur la
littérature de jeunesse, Les Actes de Lectures, 1997, n°57, p.
84.
23
CHAPITRE 2
QU'ESTCE QUE L'ENGAGEMENT?
2.1. TENTATIVE D'UNE DÉFINITION
Nous venons de le voir, depuis la seconde guerre mondiale et
surtout après les événements de Mai 68, avoir pris en
compte les interrogations métaphysiques de l'enfant semble être
une des grande tendance de la littérature de jeunesse contemporaine.
La fonction référentielle qui dévoile les
dimensions de la réalité inhérente à toute fiction,
occupe alors une place de plus en plus importante. La préoccupation
d'informer, d'apprendre et d'expliquer se fait progressivement sentir et le
terme « engagé » apparaît pour qualifier la
littérature. Nous nous attacherons ici à essayer d'en saisir le
sens pour mesurer ce que la littérature de jeunesse dite «
engagée » recouvre.
2.1.1. De l'engagement et de ses emplois
La notion d'engagement qui se retrouve dans de nombreux
emplois, renvoie à de multiples acceptions, apparemment très
éloignées : faire une promesse à l'image de deux personnes
qui s'engagent l'une envers l'autre, contracter un engagement militaire ou
professionnel, prendre publiquement position à l'instar d'un artiste ou
d'un intellectuel, etc. Malgré des significations en apparences
très diverses, il y a toutefois, un dénominateur commun entre
tous ces exemples. Ce qui les lie, c'est le fait que dans tous, on s'engage
soi-même en contrepartie d'autre chose. On remarque qu'on ne parle pas
d'engagement lorsque qu'on engage quelque chose ou quelqu'un d'autre. S'engager
signifie donc se donner soi-même en gage, en caution. Plus
précisément, c'est prendre
24
une décision libre qui comporte quelques risques pour
soi-même. Autrement dit, s'engager, serait par conséquent prendre
une responsabilité qu'on n'était pas obligé de prendre. De
fil en aiguille, on en vient à admettre que l'engagement repose sur le
concept de la liberté individuelle propre à chaque citoyen dans
la mesure où il résulte d'une décision, d'un choix
librement consenti. Qu'en est-il alors de ce terme quand il se rapporte
à la littérature?
2.1.2. Le terme « engagée » pour qualifier
la littérature
Historiquement, même si on a pu parler
d'écrivains engagés au XIXe siècle pour qualifier Victor
Hugo ou Émile Zola par exemple, le concept de littérature
engagée est née lors des débats de l'entre deux guerres,
qui ont vu l'affirmation d'idéologies totalitaires, avec des personnages
comme Hitler ou Staline, et la menace bien réelle d'une Seconde Guerre
mondiale promettant des années terribles. En effet, selon les
intellectuels, et Sartre notamment, ce sont les circonstances dramatiques de
cette moitié du XXe siècle qui vont pousser les écrivains
à chercher de nouveaux moyens d'expression, à créer une
sorte de littérature « en situation » qui rende compte de
l'inquiétude du présent. Détachée de la conception
de « l'art pour l'art » qui prévalait au XIXe siècle et
par lequel l'artiste ne cherchait à exprimer que des idées
artistiques, une conception nouvelle de l'art, engagé celui-ci, le
considère comme le moyen d'exprimer des idées qui ne
relèvent pas de l'art en lui-même, notamment d'idées
politiques. L'écriture qui fait de l'écrivain le contemporain de
ses compatriotes qui agissent, souffrent et combattent, va en faire de plus un
porte-parole dans leurs luttes sociales et politiques. La littérature
engagée part alors au combat pour s'attaquer de front aux maux de la
société.
Sartre a théorisé20 et
illustré cette vision de la littérature. Dans son essai
publié en 1951 et intitulé « Qu'est-ce que la
littérature », Sartre y définit ce qu'est pour lui la
littérature engagée. L'écrivain qui utilise des mots est
un prosateur, soit un parleur. Selon lui, « parler c'est agir »
puisque celui qui s'exprime dévoile et révèle le monde de
sorte que personne ne puisse ensuite l'ignorer et s'en dire innocent. Les
notions de
20SARTRE Jean-Paul, « Qu'estce que la
littérature » in Situation II, Paris : Gallimard, 1951.
25
liberté et de responsabilité sont importantes.
L'écriture selon Sartre, doit être à la fois une
volonté et un choix, quant à l'écrivain, homme libre
s'adressant à des hommes libres, il ne doit avoir qu'un seul sujet: la
liberté, autrement dit tous les sujets. La responsabilité quant
à elle est également réciproque. Elle concerne
l'écrivain et le lecteur. En effet, si l'écrivain dévoile
la société, celle-ci, se voyant nue et se découvrant, est
placée devant un choix: s'assumer ou bien changer et évoluer.
Un peu plus tard en 1957, Albert Camus dans son discours de
Suède21, réaffirme cette nécessité de
l'engagement de l'écrivain et plus largement des intellectuels. Selon
lui « l'écrivain ne peut se mettre au service de ceux qui font
l'histoire : il est au service de ceux qui la subissent (...) Notre seule
justification, s'il en est une, est de parler, dans la mesure de nos moyens,
pour ceux qui ne peuvent le faire. » Camus pose la littérature
engagée comme un moyen de prolonger la voix de tous. Elle n'est pas
question de l'expression d'un seul homme. S'il n'aborde pas quant à lui
la responsabilité du lecteur, il revendique et souligne lui aussi celle
de l'écrivain qui doit s'attacher à révéler le
monde. L'écrivain loin d'être dans une tour d'ivoire est en prise
avec la communauté dont il ne peut s'arracher. Son écriture doit
oeuvrer au «service de la vérité et de la liberté
». Elle ne peut s'accommoder du mensonge ou de l'assujettissement. Il y a
chez Camus la même volonté de révéler la
société, de revendiquer le droit à une expression libre et
d'agir pour le peuple.
Cette définition de l'engagement et de la
littérature engagée selon Sartre et Camus, nous aident à
délimiter notre champ d'étude et à en comprendre ses
enjeux. La littérature s'est dotée progressivement d'une fonction
utilitaire, se devant d'être problématique et morale, sans
être toutefois dogmatique. Camus dit d'ailleurs lors de son discours
que:
« La vérité est mystérieuse,
fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse,
dure à vivre autant qu'exaltante. Nous devons marcher vers ces deux
buts, péniblement, mais résolument, certains d'avance de nos
défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain dès lors
oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ?
»
21CAMUS Albert, Discours de Suède,
Paris : Gallimard, 1958.
26
La littérature doit interroger, interpeller, tenter de
comprendre sans juger. On constate actuellement que cet engagement est toujours
très présent en littérature. Loin de ne
s'intéresser qu'au politique et aux problèmes d'une
société, il tend également à évoluer vers un
« engagement civique », spécialisé dans des causes
universelles telles que l'antiracisme, l'humanitaire, la défense des
droits de l'homme ou celle de l'environnement et du développement
durable, etc.
Cet engagement dans la littérature
générale s'exprime également dans la littérature de
jeunesse. Comme nous l'avons vu précédemment, l'engagement dans
ce champ de l'édition est apparu dans les années 50 et s'est
accéléré après les événements de Mai
68. Comme l'expliquent Francis Marcoin et Christian Chelebourg22, la
littérature de jeunesse se dote, à cette époque, elle
aussi de nouvelles ambitions:
« Loin de se situer sur le terrain du divertissement,
[toute une pléiade de maisons d'édition] se dote d'un double
devoir, qui est d'entretenir la vigilance du lecteur sur les questions
essentielles tout en le soumettant à de fortes exigences nées
d'une écriture sans concession, abordant les thèmes les plus
austères (...) ».
L'engagement dans la littérature de jeunesse se
traduira alors à travers un refus de la mièvrerie et la
volonté d'aborder avec l'enfant des « sujets d'adultes ».
François Ruy- Vidal dira d'ailleurs: « Ce n'est pas en
sécurisant les enfants mais au contraire en les exposant progressivement
à la vie qu'on en fait des adultes équilibrés. »
Quels sont alors ces « sujets d'adultes » abordés dans la
littérature de jeunesse engagée?
2.2. LES DIFFÉRENTS CHAMPS DE L'ENGAGEMENT
L'engagement est un terme très vaste qui peut toucher
plusieurs domaines et revêtir différents mode d'expression
à savoir verbale ou graphique, qui plus est dans un livre de jeunesse ou
l'image occupe une place prépondérante. Parce qu'il existe une
22CHELEBOURG Christian et MARCOIN Francis, op.
cit., p.52.
27
multitude de champs dans lesquels la littérature de
jeunesse s'engage, nous allons tenter ici d'en établir une
classification au travers de maisons d'éditions qui illustreront
à chaque fois les différentes « expressions » ou «
lieux » par lesquels l'engagement se réalise.
2.2.1. L'engagement graphique
L'expérience éditoriale de François
Ruy-Vidal à travers les éditions Harlin Quist est sûrement
l'exemple qui illustre le mieux ce que l'on peut appeler « l'engagement
graphique ». Celui-ci développe dans les années 70 un
concept singulier et personnel quant au livre de jeunesse en niant la
spécificité du public enfantin et en érigeant la recherche
d'esthétique comme principe fondamental. En témoignent ces
quelques lignes:
« Il n'y a pas d'arts pour l'enfant, il y a
l'Art.
Il n'y a pas de graphisme pour enfants, il y a le
graphisme.
Il n'y a pas de couleurs pour enfants, il y a les
couleurs.
Il n'y a pas de littérature pour enfants, il y a la
littérature.
Et partant de ces quatre principes, on peut dire qu'un livre
pour enfants est un bon livre
quand il est un bon livre pour tout le monde.
»23
François Ruy-Vidal apporte aux livres pour enfants une
nouvelle esthétique visuelle, inspirée des graphistes venus de la
publicité. Il privilégie des images symboliques suscitant
l'imaginaire des lecteurs et leur participation active afin
d'interpréter l'album. L'image s'adresse à l'imaginaire et
à l'inconscient de l'enfant, elle le met en face de véritables
créations et non plus devant des dessins mièvres et
édulcorés. L'illustration devient alors, au même titre que
les mots, un langage qui va explorer tous les modes d'expression en s'inspirant
par exemple du cinéma, de la photographie ou de l'art contemporain.
23SORIANO Marc, « RuyVidal,
François » in Guide de la littérature pour la jeunesse,
Paris: Flammarion, 1975, p.461.
28
Dans la même veine que François Ruy-Vidal,
l'École des Loisirs fondée par Jean Fabre et Arthur Hubschmid
affiche également son engagement à proposer des albums de
qualité tant au niveau narratif qu'esthétique. Les publications
de cette maison d'édition vont ainsi faire appel à des artistes
internationaux à l'image d'un Maurice Sendak ou d'une Sonia Delaunay par
exemple, favorisant par la même l'expression et la reconnaissance de
créations inhabituelles comme les images abstraites de Petit bleu et
petit jaune de Léo Lionni en 1970 ou encore l'albums sans texte de
Iela Mari, sortit en 1967, qui s'intitule Les aventures d'une petite bulle
rouge, etc.
À l'heure où l'illustration jeunesse a atteint
sa pleine légitimité, où la création
révèle son foisonnement par la multiplication des styles et la
diversité des techniques employées, de tels éditeurs
pourraient désormais passer inaperçus mais ce serait oublier
qu'ils ont été les précurseurs à une époque
où l'illustration était encore largement considérée
comme un accompagnement descriptif du texte. C'est parce qu'ils se sont
engagés et qu'ils ont pris parti que l'illustration du livre de jeunesse
a évolué et changé. Parler aujourd'hui d' «
engagement artistique » au sens où nous l'avons abordé
serait donc un peu anachronique, même s'il existe encore à l'heure
actuelle bon nombre de maisons d'édition jeunesse qui affichent un
réel souci de qualité esthétique et graphique à
l'image des Éditions du Rouergue, lesquelles oeuvrent, selon leurs
propres termes, pour une « expression graphique originale
»24. Les albums de cette maison ont par ailleurs servi à
la réalisation de plusieurs films d'animation ce qui conforte
l'idée que l'illustration jeunesse, qui s'inspirait auparavant des
autres formes d'expressions telles le cinéma, la photographie, la
peinture, le collage, etc., a bel et bien acquis sa légitimité et
son autonomie à l'égard du texte, dont elle n'est plus le
subalterne.
2.2.2. L'engagement politique
Une autre forme d'engagement, peut-être la plus totale,
l'engagement politique qui remet en question l'organisation, le fonctionnement
et la structure d'une communauté, voire d'une société
toute entière. Pour illustrer celui-ci nous pourrons
24« Historique » de la maison [en ligne] <
http://www.lerouergue.com/>
29
évoquer deux maisons d'édition jeunesse à
savoir les éditions La Farandole, puis les éditions Syros.
Les éditions La Farandole, crées en 1955, sont
liées au Parti communiste français. Elles illustrent un cas
extrême des liens qui peuvent exister entre édition jeunesse et
politique. Disparues en 1994, ses principes éditoriaux étaient de
faire connaître la littérature soviétique et socialiste
pour l'enfance par le biais de nombreuses traductions.
Les éditions La Farandole prônaient une
littérature laïque, humaniste, érigeant les valeurs de la
solidarité et s'engageaient dans le monde politique contemporain. Ainsi,
durant la guerre d'Algérie, par exemple, la Farandole publie en 1959 un
livre de contes d'Algérie, Baba Fekrane de Mohammed Dib. Un peu
plus tard, en 1971, alors que la guerre fait rage, est édité le
Trésor de l'Homme, contes et images du Viêt Nam, dans
lequel prennent place quelques vers du poète-dirigeant Ho Chi Minh.
À côté de quelques auteurs français
comme Colette Vivier, les éditions La Farandole accordent une large
place dans leur catalogue aux auteurs de l'Union Soviétique. Il est
à cet égard amusant de constater que leur collection « Mille
couleurs » créée en 1956 et affichant la volonté de
traduire et illustrer les contes de multiples pays, s'attache en
réalité à la carte des états dits "socialistes"
ainsi qu'aux différentes républiques de l'U.R.S.S.: Bulgarie,
Chine populaire, Corée, Russie, Ukraine, Viêt Nam, Yougoslavie,
etc.
Malgré une production prolifique et le soutien
d'enseignants, bibliothécaires, éducateurs, etc., les
éditions La Farandole font l'objet d'un certain ostracisme de la part
des critiques littéraires qui la juge trop ancrée « à
gauche » et parviennent difficilement à s'imposer chez tous les
libraires. De plus, étroitement liées au communisme, elles
connaissent le même déclin progressif et sont mises en liquidation
judiciaire en 1994.
À ce jour, aucune maison d'édition jeunesse n'a
fait preuve d'un tel engagement politique. Cependant, il en existe toujours qui
affichent leur engagement politique à l'image des éditions Syros
qui ont été fondées à Paris en 1974 sous
l'initiative du Parti
30
Socialiste Unifié. Dès sa création, Syros
est un éditeur spécialisé dans les questions
économiques et sociales qui se présente comme un acteur actif de
l'innovation sociale et politique de gauche.
En 1983, elles deviennent Syros jeunesse et propose des
collections affichant le souci de former les jeunes à la
citoyenneté en abordant des thèmes comme: le monde du travail, le
combat des femmes, la justice sociale, etc. Certains livres seront à cet
égard coédités avec Amnesty International ou Handicap
International. Cependant la véritable particularité de Syros
jeunesse, qui nous intéresse ici, réside dans son penchant
affiché pour l'idéologie politique « de gauche ».
On trouve ainsi dans le catalogue Syros jeunesse une
collection, au nom évocateur, « J'accuse » qui milite pour la
défense des droits de l'homme, une autre, parut en 2007 et
intitulée « Au crible », qui « s'attache à
décortiquer la politique actuelle, comprendre et critiquer l'action du
gouvernement, débattre avec ses proches. »25 ou encore
des albums dont le message citoyen se double en filigrane d'un message
politique comme dans l'album L'Agneau qui ne voulait pas être un
mouton de Didier Jean et Zad.26
Les éditions Syros au travers de leur catalogue ont
donc pour objectif de susciter chez les lecteurs une réflexion de
caractère social, culturel, mais aussi politique qui les engage dans le
monde. En effet, Philippe Godard, directeur de collection, et Sandrine Mini,
directrice éditoriale, regrettent que la politique soit un sujet tabou
en France et qu'il n'y ai aucune formation à l'école pour tenter
de la comprendre. Certains de leurs ouvrages et particulièrement leur
collection « Au crible » sont donc un moyen de questionner le domaine
politique comme en témoignent ces propos de Philippe Godard:
25Catalogue Syros [en ligne] <
http://www.syros.fr/feuilletage/>
26JEAN Didier et ZAD, L'agneau qui ne voulait pas
être un mouton, Paris : Syros, 2003 (Albums)
31
« Nous espérons que « Au crible!»
aidera ses lecteurs à élaborer un discours politique critique,
sérieux, qu'ils seront toujours mieux à même d'argumenter
pour qu'ils ne se laissent pas abuser par certaines propagandes.
»27
Fait significatif, qui rejoint ce dernier point, le catalogue
Syros propose dans son index thématique, parmi les entrées «
immigration », « liberté », « racisme », «
précarité », « maltraitance », etc., une
entrée « politique » qui comporte six ouvrages et une autre
entrée intitulée « révolte et résistance
» qui comprend quant à elle seize ouvrages.
2.2.3. L'engagement « sociologique »
Les éditions Des Femmes crées 1972 par
Antoinette Fouque, également co-fondatrice en 1968 du Mouvement de
Libération des Femmes en France28, sont un bon exemple de ce
que peut-être l'engagement sociologique dans la mesure où les
ouvrages de cette maison s'attachent à interroger les
phénomènes sociaux et plus précisément le rapport
entre les genres, hommes-femmes. La politique éditoriale des
éditions Des femmes vise à créer une maison
d'édition par et pour les femmes. Celles-ci doivent pouvoir diffuser
leurs idées librement, chose qui ne va pas de soi pour Antoinette Fouque
puisque selon ses propos:
« (...) jusqu'à maintenant, les idées
que les femmes ont, les textes qu'elles écrivent quand elles se
révoltent, quand elles luttent, quand elles se mettent en mouvement, ces
idées, les éditeurs capitalistes, paternalistes, opportunistes,
les exploitent, les contrôlent, les censurent, les légitiment.
»29
La création de cette maison d'édition serait
donc la réponse à une nécessité, celle de
libérer les femmes de l'oppression. À cet égard, l'accent
est mis sur la publication de textes écrits par des auteurs
féminins et c'est là le principal objectif, au-delà de ses
revendications, du groupe.
27BENARD Jean-Claude (Interview de GODARD Philippe
et MINI Sandrine, «Au crible ! » : la politique expliquée
aux jeunes ?, 2007 [en ligne] <
http:// www.agoravox.fr >
28Antoinette Fouque a co-fondé le MLF avec
Monique Wittig et Josiane Chanel. Ce mouvement féministe français
a milité pour l'égalité des droits et des rapports entre
les sexes au sein de la société.
29PIQUARD Michèle, op. cit., p.310.
32
Fait notable dans l'histoire de cette maison d'édition,
la publication en 1973, de l'ouvrage d'une pédagogue, Elena Gianni
Belotti, qui s'intitule Du côté des petites
filles30. Face au succès de cet ouvrage, les
éditions Des Femmes décident de créer une collection
éponyme, consacrée aux livres pour enfants, spécialement
à destination des petites filles. Ces ouvrages entendent lutter contre
les stéréotypes diffusés dans les collections pour filles
existantes jusqu'alors, qui enferment ces dernières dans un rôle
prédéterminé de futures épouses et mères au
foyer. Elles y expriment l'idée que la littérature enfantine est
responsable d'un discours discriminatoire, misogyne et anti-historique.
Ces revendications sociologiques trouveront un écho
dans d'autres maisons d'éditions. Ainsi, par exemple, le premier livre
des Éditons le Sourire qui mord, Histoire de Julie qui avait une
ombre de garçon, parut en 1976, s'inscrit dans la continuité
des luttes engagées par les éditions Des Femmes, et de la
même manière, on constate aujourd'hui, quantité de maisons
d'éditions jeunesse regorgeant d'ouvrages abordant ces
problématiques.
Néanmoins, dans le paysage éditorial jeunesse
actuel, une seule maison affirme un « engagement sociologique » total
envers le sexisme, à la manière des éditions Des Femmes,
il s'agit des Éditions Talents Hauts créées en 2005 par
deux femmes, Laurence Faron et Mélanie Decourt31, qui
défendent comme ligne éditoriale : la lutte pour
l'égalité des sexes notamment à travers une collection
intitulée « Filles=Garçons » et dont les ouvrages sont
« garantis 100% sans sexisme » . À une époque où
en France, le droit des femmes a considérablement évolué,
une telle politique éditoriale fait figure d'exception et semble servir
de garde fou contre les résurgences du passé. La pléiade
d'éditeurs jeunesse tels Le Seuil, Nathan, Sarbacane ou Milan, etc., qui
consacrent quant à eux des ouvrages sur ce sujet, ont, dans leur
catalogue respectif, une entrée par thème qui s'intitule
toujours: « Garçon-fille ». Le mot « sexisme », plus
vindicatif n'apparaît jamais témoignant d'un engagement moindre
que les éditions Des Femmes ou Talents Hauts, engagement, en
réalité, moins sociologique que civique.
30Du côté des petites filles
est un essai sociologique qui, à l'aide d'une enquête par
observation dans les familles, les crèches et les écoles, met en
évidence la puissance des stéréotypes qui assignent des
propriétés et des qualités différentes aux filles
et aux garçons.
31Mélanie DECOURT, militante
féministe, a été présidente et porte-parole de
l'association Mix-Cité de 2000 à 2002.
33
Outre la problématique des rapports homme-femme,
l'engagement que nous qualifions de sociologique s'exprime également
à travers l'abord de sujet ayant trait à des domaines tels que la
sexualité humaine avec l'homosexualité par exemple,
l'éducation, l'immigration, la pauvreté, etc.
2.2.4. L'engagement civique
Soucieuse d'aider l'enfant à grandir, d'éveiller
sa conscience aux réalités et aux enjeux de la
société et du monde, la quasi totalité des maisons
d'édition jeunesse ont dorénavant dans leur catalogue des titres
qui témoignent de ce que l'on pourrait appeler un « engagement
civique ». De la même façon que l'institution scolaire voit
dans le jeune élève, l'adulte en devenir qu'il faut
éduquer et sensibiliser aux valeurs essentielles de la
République, notamment à travers l'éducation civique,
discipline transversale s'éprouvant dans tous les champs disciplinaires,
la littérature de jeunesse semble elle aussi associer étroitement
l'enfant et le citoyen en maturation qu'il représente. Elle se dote
ainsi d'un rôle éducatif et aborde à travers des ouvrages
des thèmes citoyens qui amènent l'enfant à
réfléchir sur ses droits et sur ses devoirs vis-à-vis de
la société.
Conformément à ce désir d'éduquer
l'enfant, nous constatons par ailleurs que lorsque ces ouvrages sont
rassemblés dans une collection, cette dernière se situe bien
souvent dans la partie « documentaires » ce qui affiche clairement
une volonté didactique et un désir d'informer. Pour ne citer que
quelques exemples, Actes Sud Junior a ainsi une collection intitulée
« À petits pas... » parmi laquelle des sous-collections comme
« À petits pas comprendre la société » ou encore
« À petits pas citoyens de demain », les éditions Milan
quant à elles, ont lancé une collection « Champion du monde
» qui comprend des titres comme De l'écologie ou De la
citoyenneté, la maison Casterman a dans sa collection «
Documentaire », une série « Le petit citoyen », Rue du
Monde avec sa collection « Les grands livres de... » propose des
titres tels que Le grand livre des droits de l'enfant ou encore Le
grand livre du jeune citoyen, etc.
34
Si quelques maisons d'éditions ont créé
des collections réservées à cet engagement civique, la
quasi totalité des catalogues de littérature de jeunesse comprend
des albums relatifs aux Droits de l'Enfant ou aux Droits de l'Homme et entend
faire réfléchir l'enfant sur les valeurs communes de la
société et du monde, par le détour de la fiction.
2.3. L'EXPRESSION DE L'ENGAGEMENT À TRAVERS
L'ANALYSE D'UNE OEUVRE32
Dans le but de mieux saisir ce que peuvent être les
expressions de l'engagement en littérature de jeunesse, nous allons
étudier ici, un album d'Albert Cullum, intitulé, Le
géranium sur la fenêtre vient de mourir, mais toi,
maîtresse, tu ne t'en es pas aperçue, publié aux
éditions Harlin Quist en 1971 et réédité en 1998
chez le même éditeur.
2.3.1. L'organisation spatiale et typographique de la
couverture
Il s'agit ici d'analyser les différentes unités
typographiques de la couverture afin de distinguer les jeux de
hiérarchie qui s'opèrent dès ce premier plat. Nous
observons de manière évidente que cette couverture comprend
d'emblée trois unités typographiques:
· Le titre: Situé en haut de la page et
justifié puisqu'il tient sur deux lignes, ce titre est écrit en
capitales, dans une police avec empâtements. Les caractères, de
couleur noire sur fond blanc, sont d'une taille relativement importante.
· Le nom de l'auteur: Placé en bas de la
couverture, centré, il est également écrit en capitales,
dans la même police que le titre, de couleur noire sur fond blanc. Il se
démarque cependant du titre tout d'abord parce qu'il en est très
éloigné au niveau spatial et ensuite parce qu'il est dans une
taille de corps plus petite.
32Cf. Annexe B
·
35
Le nom de l'éditeur: Placé sous le nom de
l'auteur, c'est-à-dire en bas de la page et centré, il est
également de couleur noire sur fond blanc. La police est en revanche
différente puisqu'il s'agit d'une cursive en bas-de-casse.
Les unités typographiques sont ici clairement
identifiables, bien qu'elles soient toutes de couleur noire sur fond blanc.
Elles ne sont pas de la même taille et/ou n'ont pas la même police.
Des éléments linguistiques indiquent de plus quels sont les
contenus qui se réfèrent aux plans de l'expression. Ainsi la
préposition « par » introduit ici l'auteur qui est le
complément d'agent de la phrase passive (Un livre écrit par
Albert Cullum) quant à l'élément « un livre de
», il nous renvoie clairement à l'idée que l'unité
typographique définit ici « l'éditeur du livre qui a
été écrit par Albert Cullum ».
Si on parvient à distinguer les différentes
unités typographiques de cette couverture, on remarque cependant
qu'elles ne constituent pas l'élément le plus important de la
couverture. L'accent n'est pas mis sur ces unités comme le montre la
sobriété dont elles font preuve tout d'abord et la manière
dont elles s'organisent autour de l'élément proéminent et
central de cette page, l'illustration.
2.3.2. La prédominance de l'illustration
L'illustration est l'élément le plus saillant de
cette couverture, centrée sur la couverture, elle occupe environ les
4/5e de la page. Jusque là rien de surprenant pour un album de jeunesse.
Ce qui l'est plus, en revanche, c'est la volonté de mettre en valeur le
travail fait par l'artiste et la nature de ce travail.
L'illustration étant dépourvue de décor
ou d'arrière plan, les contours du personnage illustré se
détachent ostensiblement sur le fond blanc. La nature de l'image
interpelle le lecteur car il s'agit d'une illustration qui s'apparente
fortement au photomontage et au travail fait par le photographe William Wegman
avec ses braques de Weimar.
36
Elle mêle un dessin à la fois réaliste et
symbolique. On voit ainsi une femme toute droite, assise devant son bureau, un
livre ouvert dans la main droite et un crayon dans la main gauche, avec un
visage de cheval. Si le lecteur comprend qu'il s'agit d'une maîtresse
grâce au titre et au bureau sur lequel trône un globe terrestre, il
s'interroge fortement sur la signification de ce visage non humain dans la
mesure où l'illustration est exploitée au-delà de sa
fonction référentielle.
Comme en témoignent le caractère original et
provocant de cette illustration et l'extrême sobriété de la
couverture visant à mettre en valeur cette dernière, le visuel
occupe ici la place la plus importante.
La couverture, en même temps qu'elle interpelle le
lecteur et qu'elle l'attire, lui annonce également le ton. Il s'agit ici
d'un ouvrage désireux de s'affranchir des limites du genre.
2.3.3. La couverture : promesse d'un ouvrage
engagé
Le lecteur qui prend le temps de regarder cette couverture et
de s'interroger sur sa signification pourra y lire le programme de lecture de
l'oeuvre et approcher le projet éditorial de l'éditeur.
Cette couverture surprend tout d'abord par la longueur de son
titre qui s'étale sur deux lignes. Il est généralement
d'usage de faire des titres plus brefs, un groupe nominal voir au mieux une
phrase simple s'il est phrastique. Or ici, le titre est une phrase complexe,
composée de deux propositions, coordonnées par la
préposition « mais » qui marque une rupture. Si le titre
surprend par sa longueur, il surprend aussi par sa tonalité
réprobatrice, puisqu'un jeune élève blâme sa
maîtresse. Il « condamne » cette dernière pour son
aveuglement, cécité qui est confirmée par le
caractère symbolique de l'illustration à savoir la tête de
cheval avec des oeillères sur le corps enseignant afin de
représenter l'étroitesse d'esprit et la rigidité de ce
dernier.
Le ton est donné, dans cet ouvrage pas de censure ou de
politiquement correct, l'engagement est de mise. Celui-ci se perçoit
tout d'abord dans l'illustration puisque comme nous l'avons vu, il s'agit de
l'élément saillant de la page. Cette dernière par son
37
caractère symbolique met le jeune lecteur face à
une oeuvre dérangeante qui sollicite fortement sa participation et son
engagement pour en déceler la signification. Outre l'engagement
graphique, l'engagement concerne également le contenu. Il se ressent
dans le titre de l'ouvrage qui entend s'attaquer de front à
l'institution scolaire, chose non ordinaire dans les ouvrages de jeunesse pour
lesquelles la tendance est plutôt à la défense de
l'éducation. En dernier lieu, la mention « un livre d'Harlin Quist
», vient souligner la présence de l'éditeur, son engagement
personnel en faisant ressentir le travail de conception, de fabrication, en
somme d'artisanat, qui s'est opéré en amont de la publication.
Conformément à ce qui été
annoncé en couverture, le contenu de l'ouvrage est une violente diatribe
contre l'école où l'éducateur est assimilé à
la violence et à l'autoritarisme. L'éditeur commence son ouvrage
par cette dédicace: « À tous les adultes qui, enfants, sont
morts asphyxiés dans les bras de l'Éducation ».
À travers un texte poétique, le narrateur qui
s'exprime à la première personne et qui représente un
élève ordinaire de primaire s'interroge « naïvement
» sur la place qu'il occupe au sein de l'école. L'auteur et
l'éditeur, à l'aide de ce jeune narrateur un peu candide,
questionnent un système éducatif jugé selon eux trop
policé.
Au delà de l'engagement du texte, ce qui frappe ce sont
les illustrations extrêmement originales et variées, qui font que
cet album se démarque et tranche avec la production éditoriale
ambiante. En effet, pas moins de treize illustrateurs ont participé
à l'élaboration de cet ouvrage de trente-deux pages dans des
registres à chaque fois très différents. On y trouve des
photomontages, des illustrations surréalistes ou au contraire ultra
réalistes, des illustrations de type « comics » avec des
traits francs et des couleurs criardes, d'autres de type BD ou encore certaines
beaucoup plus classiques et traditionnelles faisant penser aux illustrations
d'Anthony Browne. En somme, l'illustration occupe dans cet album une place
prépondérante. Elle surprend, elle interroge, elle provoque, elle
fait sourire ou même rire lorsqu'elle entretient des jeux de mots avec le
texte comme sur la couverture par exemple.
38
En conclusion, on voit bien ici dans quelle mesure s'exprime
l'engagement. Artistique à première vue, il concerne aussi le
contenu de l'ouvrage. L'analyse de ce titre nous montre que l'engagement dans
une oeuvre de littérature de jeunesse est bien souvent multiple,
relevant d'une véritable démarche éditoriale, il touche
aussi bien le graphisme de l'oeuvre que son contenu. Ici, si l'accent est mis
sur la qualité des illustrations, le texte est quant à lui
également très engagé sans être toutefois
dogmatique.
En effet, il est possible de lire cet ouvrage de
manière littérale, en se laissant séduire par la
diversité de ses illustrations et par sa tonalité comique,
légèrement provocatrice. Une autre lecture en filigrane est
également possible, celle qui permet de voir que derrière les
rires se cachent les pleurs et les cris. Au lecteur d'y trouver ce dont il a
envie, l'accès aux différentes strates de la signification est
fonction de son engagement.
2.4. ENGAGEMENT DU LECTEUR DANS LE TEXTE
Le discernement entre le bon et le mauvais livre varie selon
les époques, l'éthique personnelle des individus,
l'idéologie et les représentations ambiantes que l'on se fait de
la lecture et des lecteurs. À l'heure actuelle, on reconnaît comme
capacité à l'enfant, celle de rencontrer des oeuvres fortes aux
sujets graves et sérieux. Cependant comment s'approprie-t-il le texte
littéraire et comment en vient-il à saisir le message dont il est
porteur au-delà quelquefois de sa littéralité,
c'est-à-dire de son sens explicite?
Il s'agit de comprendre ici comment le lecteur s'accommode du
texte, dans la mesure où chacun construit singulièrement son
rapport au texte à l'aune de son vécu, de sa sensibilité,
de ses désirs, de sa culture, etc.
39
« L'appropriation des oeuvres littéraires
interroge les histoires personnelles, les sensibilités, les
connaissances sur le monde, les références culturelles, les
expériences des lecteurs. »33
Si on observe que les mêmes activités
fondamentales sont à l'oeuvre dans la réception du texte, chaque
sujet y accède néanmoins par une appropriation personnelle en
fonction de sa singularité et de son rapport au monde. La lecture serait
donc un dialogue entre le texte et le lecteur. C'est ce que souligne Catherine
Tauveron34 quand elle affirme que le texte littéraire ne se
résume pas à un seul et unique message mais qu'au contraire
plusieurs interprétations sont possibles dans la mesure où il
entre en résonance avec son lecteur par le biais d'une
coopération. Le texte littéraire serait une aire de jeu
réclamant un partenaire, le lecteur, qui soit actif et doté
d'initiatives pour en déceler la signification. Pour elle la
vérité du texte se trouve essentiellement dans la relation que
celui-ci va entretenir avec son lecteur. Cette même idée,
largement répandue, se retrouve dans les programmes du cycle 3 qui
sous-entendent que plusieurs interprétations sont possibles:
« À la fin d'une séquence qui aura
permis de parcourir entièrement une oeuvre, il importe d'organiser un
débat pour mettre à jour les ambigüités du texte et
confronter les interprétations divergentes qu'elles suscitent».
35
Attention cependant, le texte a ses droits et toutes les
interprétations ne sont pas possibles. Lire un texte, c'est en effet
entrer en relation avec un objet qui résiste à la toute puissance
de son imaginaire, ce qui ne va pas de soi pour un jeune lecteur en proie
à l'égocentrisme enfantin. Lire un texte c'est se heurter
à cette « résistance» car la fiction a aussi une
fonction référentielle dans la mesure où elle constitue
une « expérience vivante, authentique, singulière et
universelle à la fois, par laquelle les hommes vont appréhender
le réel. »36 Lire un texte serait donc aussi être
capable d'occuper les ellipses, d'entendre dans les interstices ce qui n'est
pas dit, tout en
33SCÉRÉN/CNDP, Documents
d'application et d'accompagnent 2002, in Qu'apprend-on à
l'école élémentaire, Paris : XO Éditions, 2006,
p.316.
34TAUVERON Catherine (dir.), Lire la
littérature à l'école. Paris : Hatier
Pédagogie, 2002, p.15. 35SCÉRÉN/CNDP,
op.cit., p.185.
36CHIROUTER Edwige, op. cit.
40
respectant scrupuleusement ce qui est dit. Lire un texte
serait donc un savant équilibre entre adhésion, subjectivation et
distanciation, décentration.
En nous aidant des recherches de Nathalie Lacelle et
Gérard Langlade37, nous allons à présent
décrire quelles sont les opérations qui entrent en jeu dans cette
appropriation littéraire du texte.
2.4.1. La concrétisation imageante
La première grande opération est « la
concrétisation imageante » par laquelle une image s'impose dans
l'esprit du lecteur et lui permet de concrétiser la scène et les
personnages. Elle est le résultat d'une réaction du lecteur qui
puisent dans sa personnalité intime, sa culture profonde, son imaginaire
afin de pouvoir répondre aux sollicitations d'une oeuvre. Cette
visualisation permet de s'investir affectivement et de donner corps à la
scène. Le choix des images mentales est tout à fait singulier,
révélateur de la sensibilité, des goûts et du sens
que le lecteur donne à ces dernières. La concrétisation
imageante témoigne aussi des représentations et des projections
que le lecteur peut avoir sur le personnage à un moment de l'histoire.
On voit déjà bien à travers cette opération par
laquelle le lecteur, et donc l'enfant, entre en relation avec le texte que
l'implication affective du sujet et son engagement personnel sont essentiels
dans le processus d'appropriation de l'oeuvre.
2.4.2. L'identification
La deuxième opération est celle par laquelle le
lecteur s'attache affectivement aux personnages. Profondément
marquée par des phénomènes d'adhésion et
d'assimilation, l'identification est une opération que l'on peut
rapprocher du transfert psychanalytique et c'est celle que décrit Bruno
Bettelheim dans sa Psychanalyse des contes de fées quand il
aborde la manière dont l'enfant transfère ses angoisses
inconscientes sur les différents personnages du récit. Le lecteur
va se reconnaître ou
37LACELLE Nathalie et LANGLADE Gérard,
« Former des lecteurs/spectateurs par la lecture subjective des
oeuvres. », in Enseigner et apprendre la littérature
aujourd'hui, pour quoi faire?, Presses Universitaires de Louvain, 2007,
p.55-64.
41
reconnaître un de ses proches dans un personnage, dans
sa sensibilité, sa psychologie, ses doutes et angoisses, la situation
qu'il traverse. Il va compatir à ses malheurs, partager ses bonheurs,
trembler pour son sort, etc. Il peut ainsi projeter sa propre histoire dans le
cours du récit et y voir la façon dont les problèmes s'y
nouent et/ou s'y dénouent.
Cette opération par laquelle le lecteur s'engage
affectivement dans le récit est souvent invoquée par les censeurs
de la littérature de jeunesse. Le raisonnement est simple, l'enfant
s'identifie au personnage, si celui-ci commet des actions amorales ou
délictueuses, l'enfant risque lui-même de les commettre à
son tour et de s'en trouver pervertie. Cette vision est réductrice car
elle oublie que l'enfant est aussi capable de se distancier pour exprimer son
approbation ou son rejet.
2.4.3. Les réactions axiologiques
Cette opération est celle qui provoque un
positionnement axiologique par lequel le lecteur va émettre des
jugements moraux à propos des personnages et de leurs actes. Là
encore, la singularité rentre en jeu car c'est bien avec sa propre
sensibilité et son propre système de valeurs que le lecteur va
penser et juger. Cette opération est très clairement inscrite
dans les documents d'application et d'accompagnement pour la littérature
au cycle 3 qui l'évoquent à travers le terme d'«
interrogation essentielle ». Cette interrogation essentielle, entendons
par là d'ordre axiologique ou éthique, est soulevée par le
fait que:
« La littérature de jeunesse n'a jamais
cessé de mettre enjeu les grandes valeurs, de montrer comment les choix
qui président aux conduites humaines sont difficiles, et comment un
être de papier (comme un être de chair) n'est jamais à
l'abri des contradictions ou des conflits de valeurs qui guettent chacune de
ses décisions. »38
Cette rencontre avec des personnages complexes, non
manichéens, mais traversés par le bien et le mal amène
l'enfant à s'y identifier ou à s'en distancier en fonction de
son
38SCÉRÉN/CNDP, op.
cit., p. 317.
42
éthique personnelle. Cette dimension éthique est
fondamentale dans l'acte d'appropriation de la littérature. Le lecteur
s'identifie alors à des modèles qui tour à tour le
fascinent ou le répulsent, ce qui le contraint à se forger des
jugements moraux et à être un lecteur actif.
Libérés d'une vision édulcorée et
réductrice de l'enfance, nombre d'auteurs à l'image de Marie-Aude
Murail, ou d'éditeurs comme Christian Bruel et François Ruy-Vidal
revendiquent la présence d'héros nuancés, capables du
meilleur comme du pire, en somme authentiques et susceptibles d'interpeller le
lecteur. C'est ce que soutient François Ruy-Vidal :
« Aller à contrecourant des conformismes, des
frilosités, des craintes de l'écrit et plus
généralement de l'imaginaire, c'est oser accéder à
de véritables oeuvres, bien différentes de ces livres, manuels
d'éducation civique ou morale. OEuvres avec des personnages denses,
conflictuels, ambigus, sulfureux, capables de douter, de se tromper, de revenir
en arrière, de n'être pas forcément porteurs de toutes les
valeurs positives ou prétendues telles, d'un système social. Ne
pas trouver d'échos intimes de ses propres fantasmes dans la
littérature est sûrement plus traumatisant que de risquer, un
jour, d'y trouver " quelque chose ". »39
L'enfant n'est pas un être naïf, innocent auquel il
faudrait présenter un monde délavé. Il est lui-même
en proie à ses démons et lui présenter une lecture
aseptisée, fermant les yeux sur la part d'ombre qui traverse chacun de
nous serait sûrement plus anxiogène que de lui soumettre une
lecture affranchie des représentations et normes sociales.
Là encore, on saisit combien ces réactions
axiologiques, provoquées par le récit littéraire sur le
jeune lecteur, amènent ce dernier à se positionner par rapport
aux personnages et, au-delà de ces derniers, par rapport aux autres et
au monde.
À travers ces différentes étapes et
postures, on observe que le processus d'appropriation d'une oeuvre passe par
l'engagement du lecteur. Engagement qui
39PIQUARD Michèle, op. cit. p.318.
43
l'amène à reconsidérer ses valeurs ou
représentations, à émettre des jugements éthiques,
à s'investir affectivement afin d'accéder conjointement à
une meilleure compréhension de l'oeuvre, de soi et du monde, ce
qu'Edwige Chirouter nomme le « saisissement ontologique ». Selon
elle, ce moment est celui de « la rencontre entre la pensée du
texte et la façon dont le lecteur s'approprie singulièrement
cette pensée pour rendre son existence et le monde plus intelligible.
»40 Si le texte aide l'enfant à résoudre ses
conflits intérieurs, comme le disait Bettelheim, il semblerait qu'il
puisse également l'aider dans son rapport à la
réalité et au sens qu'il convient de lui donner.
Aujourd'hui, l'engagement du jeune lecteur dans la
littérature est largement admis, la littérature se doit de
répondre à cette disposition du jeune lecteur en étant
elle-même engagée. Elle se doit de l'interpeller, de l'apostropher
par le bais de sujet denses et problématiques qui le concernent.
L'enfant étant largement considéré comme un sujet pensant
et qui plus est comme un acteur social, tous les sujets sont susceptibles de le
concerner. À cet égard, il ne semble plus y avoir de tabous en
littérature de jeunesse. Il ne s'agit plus du contenu mais de la
manière dont celui-ci est traité. C'est peut être ici que
réside la seule limite en littérature de jeunesse, pas de
dogmatisme.
2.4.4. La littérature de jeunesse engagée
permetelle forcément l'engagement du lecteur?
Afin d'appréhender cette question, nous aborderons
successivement deux albums, parus la même année et traitant du
même thème, à savoir le sexisme, dans le but de saisir les
différences d'engagements offertes au lecteur pour s'approprier une
oeuvre et son contenu.
Nous nous pencherons dans un premier temps sur l'analyse d'un
album de Nella Bosnia, Francesca Cantarelli et Adela Turin, publié en
1976 aux éditions Des femmes, et qui s'intitule, Les cinq femmes de
Barbargent41.
40CHIROUTER Edwige, op. cit. 41Cf.
Annexe C
44
Comme nous pouvons le voir à première vue, la
couverture de l'album ne laisse pas présager du contenu engagé de
l'ouvrage. Très classique tant au niveau des illustrations, que du choix
de la typographie ou de l'organisation de la page, son titre thématique
nous indique de plus qu'il s'agit ici d'un conte, genre traditionnel en
littérature de jeunesse. Comme en témoignent
l'éléphant orné ou les serviteurs en habits traditionnels,
l'histoire comme bien souvent se déroule dans un ailleurs exotique, ici
l'Inde et le nom de Barbargent cité dans le titre affilie
définitivement cet album au genre du conte populaire puisqu'il rappelle
au lecteur Barbe Bleue, personnage éponyme du célèbre
récit de Charles Perrault.
Si l'engagement ne se manifeste pas clairement sur cette
couverture, il est néanmoins perceptible tout au long de ce récit
qui entend lutter contre le sexisme en prônant le droit des femmes
à faire et à être ce qu'elles veulent et en
dénonçant le machisme totalitaire.
L'histoire est celle d'un maharadjah qui décide de se
marier pour tromper l'ennui mais ne parvient pas à trouver
l'épouse idéale. Sa première épouse, Lisa, trop
timide, l'ennuie rapidement. Il l'exile dans un lointain palais vert
émeraude où elle passe le temps en chantant. Quatre autres
femmes, Hanna, Zelda, Flor-Inda et Lil-Yana, épouses successives de
Barbargent ne tardent pas à la rejoindre, elles aussi exilées
dans le palais car tour à tour jugées trop insolente, trop
cultivée, trop indépendante ou trop désinvolte. Aucune ne
lui convient. Menées par Hanna, les anciennes épouses de
Barbargent qui se retrouvent toutes ensemble dans le palais, vont allier leurs
talents de musiciennes et créer un opéra-bouffe dans lequel elles
pourront se moquer allègrement de leur époux, rebaptisé
pour l'occasion Barbentoc.
Ce court conte adopte un ton résolument
féministe qui vire même à la misandrie. Les femmes sont
montrées avec toutes les qualités et les hommes avec tous les
défauts, ils sont inconditionnellement idiots, que ce soit le
maharadjah, son père ou le médecin, aucun homme ne trouve
grâce aux yeux des auteurs. Si le contenu de l'ouvrage est clairement
engagé, les illustrations ne font preuve d'aucune originalité ou
recherche esthétique, le récit littéraire est quant
à lui plutôt répétitif puisque la même
45
scène de divorce se reproduit cinq fois de suite et
l'humour par le biais des jeux de mots, un Barbargent qui se transforme en
Barbentoc, est un peu facile.
En somme, le récit est un peu trop simpliste et
réducteur dans la mesure où les stéréotypes y sont
exacerbés. Il n'y a pas vraiment ici d'implicite et de place pour
l'interprétation et le positionnement axiologique dans la mesure
où le texte manque de nuance et la sentence est sans appel. Cet ouvrage
dénonçant le sexisme amène à penser que ce
problème ne concerne que la seule discrimination à l'égard
des femmes, laissant sur le bord de la route les jeunes lecteurs masculins.
Un autre ouvrage publié la même année au
Sourire qui mord et traitant lui aussi du sexisme peut servir de
contre-exemple, et montrer comment cette problématique peut être
abordée de manière à permettre au lecteur, un plus grand
engagement dans le texte. Cet album est le premier de Christian Bruel et
s'intitule, Histoire de Julie qui avait une ombre de
garçon42.
L'histoire est celle de Julie, une petite fille
énergique au caractère affirmé de « garçon
manqué ». Ses parents, surtout sa mère, veulent la modeler
selon l'image stéréotypée des petites filles. Lorsqu'ils y
parviennent et que Julie est conforme à leurs attentes, celle-ci ne se
reconnaît plus. L'incompréhension s'installe et Julie se
réveille un matin avec une ombre de garçon, mais personne ne la
croit. Elle veut s'en débarrasser, car elle sait qu'elle est une fille.
Elle cherche alors une solution et a l'idée d'aller dans un endroit
où il fait nuit, sous la terre. Arrivée au fond de son trou, elle
rencontre un garçon qui pleure parce que tout le monde le traite de
fille à cause de ses larmes. Après une longue conversation sur ce
monde qui met « chacun dans son bocal (...) Les cornifilles dans un bocal,
les cornigarçons dans un autre, et les garfilles, on ne sait pas
où les mettre! », ils finissent par conclure qu'ils ont droit
à la différence. Confiants et plus sereins ils vont pouvoir aller
affronter leurs parents.
Le message de cet album est plus subtil et tend davantage vers
la recherche et l'affirmation de soi, en somme l'accomplissement personnel, que
dans la dénonciation pure et simple du sexisme. Plus nuancé, cet
album montre que tout n'est pas bleu d'un
42Cf. Annexe D
46
côté et rose de l'autre, comme le suggère
la création de ce mot valise « garfille » sur lequel le
lecteur pourra s'interroger. La fin du récit est quant à elle
ouverte et laissée à la libre appréciation de chaque
lecteur, car si Julie parvient à accepter sa différence, en aucun
cas le problème initial, à savoir le conflit entre Julie et ses
parents dû à cette différence, n'est résolu. Le
lecteur peut ainsi librement prolonger le récit à sa guise.
S'il est désormais possible d'aborder tous les sujets,
la limite est l'autoritarisme ou le dogmatisme qui obstruent le débat
interprétatif ou le positionnement du lecteur et l'empêchent en ce
sens de s'engager librement dans le texte. Nous allons alors dans une
troisième partie nous interroger sur les fonctions et finalités
de ce type de littérature et envisager comment elle se situe au regard
du cadre législatif.
47
CHAPITRE 3
JEUX ET ENJEUX DE LA LITTÉRATURE DE
JEUNESSE ENGAGÉE
3.1 LA FONCTION D'ÉDIFICATION DANS LA
LITTÉRATURE DE JEUNESSE
La littérature de jeunesse se veut au service de la
jeunesse et ambitionne de contribuer au développement et au
bien-être de celle-ci, volonté qui s'expriment pleinement dans le
nom d'une maison d'édition jeunesse comme Grandir43. Au
travers d'une fiction qui se réclame utilitaire et fonctionnelle, la
littérature se dote de trois fonctions. Afin d'expliciter ces fonctions,
nous nous appuierons sur l'ouvrage de Christian Chelebourg et Claude
Marcoin44. La première fonction selon eux, est l'instruction.
Celle-ci concerne la transmission de savoirs fondamentaux par le biais d'un
équilibre entre narration et information. La seconde, est appelée
« récréative » et met au premier plan le divertissement
et la distraction. La dernière quant à elle,
l'édification, touche à la formation des esprits et
s'intéresse essentiellement à la morale. Bien entendu, ces trois
fonctions sont inhérentes à chaque ouvrage de littérature
de jeunesse mais dans des proportions diverses. Nous nous attacherons ici
à cette ultime fonction qu'est l'édification afin d'en saisir les
domaines et les enjeux..
3.1.1. L'édification religieuse
L'édification dans la littérature de jeunesse
peut être tout d'abord religieuse. Ce filon a longtemps été
prolifique avant de se tarir avec le déclin du sentiment religieux.
Parmi les ouvrages interrogeant l'idée de Dieu ou présentant les
principales religions et outre les traditionnelles bibles racontées aux
enfants, on trouve également des
43Les éditions Grandir se situent à
Nîmes et ont été créées par René Turc
et son épouse Aline en 1978 44 CHELEBOURG Christian et MARCOIN Francis,
op. cit.
48
ouvrages conçus dans un dessein d'édification
religieuse. Si les premiers types d'ouvrages cités ont un objectif
éducatif, informatif et s'adressent à tous les enfants
pratiquants, non-pratiquants ou agnostiques, les second quant à eux ont
un dessein d'édification religieuse. L'ouvrage de M. A Murail parut chez
Bayard Jeunesse en 1997 intitulé Jésus comme un roman
est un bon exemple de cette édification religieuse. Par le biais de
la narration, l'histoire vise à séduire le lecteur et à
donner de Jésus l'image d'un héros des temps moderne comme en
témoigne cet engouement de l'éditeur dans sa quatrième de
couverture:
« À ceux qui ne le connaissent pas
Jésus apparaîtra comme un être étrange, qui ne se
laisse pas faire, qui brave les interdits sans violence. À ceux qui le
connaissent déjà
Jésus paraîtra encore plus proche, porteur d'un
formidable message d'amour. »
Cette édification religieuse, un brin
apologétique, n'a rien de bien surprenant quand on sait que les
éditions Bayard appartiennent au même groupe que le quotidien
catholique français La Croix et que ses capitaux proviennent d'une
institution religieuse, la congrégation des Augustins de l'Assomption.
Bayard ne fait pas figure d'exception puisqu'une partie des capitaux des
éditions Fleurus provient de l'Union des oeuvres catholiques de France.
Cette observation est importante pour comprendre les choix éditoriaux de
ces maisons.
3.1.2. L'édification morale
En jouant sur l'identité projective des jeunes enfants
à leur héros préférés, certains albums
entreprennent de forger les comportements de l'enfant et inclinent à
l'édification morale en se approchant pour cela de son quotidien.
Annie-France Belaval, chercheur et documentaliste au CRDP de Lille, analyse
l'identification ainsi:
« l'identification est un processus psychologique par
lequel un sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de
l'autre et se transforme totalement ou partiellement sur le modèle de
celuici. (...) Le héros du livre n'est jamais tout à fait
semblable au lecteur, c'est cette marge qui permet une identification
réussie; la fusion totale deviendrait confusion mentale, et serait
contraire au but
49
psychologique: grandir en s'identifiant à un
être aimé, admiré mais en s'en démarquant analyse
de soi, des différences, prise de conscience de sa personnalité
propre. »45
L'un des ressorts les plus fréquents pour favoriser
l'identification est le recours à un personnage principal ayant
sensiblement le même âge que le lecteur supposé. C'est le
cas de titres comme T'choupi est en colère, T'choupi ne
veut pas prêter ou encore T'choupi s'occupe bien de sa petite
soeur qui sont tous trois des albums de Thierry Courtin. L'enfant se met
à la place du protagoniste de l'histoire en acceptant l'idée que
la réalité de la fiction peut être sa propre
réalité et en recevant les enseignements vécus par le
héros comme les siens propres. Le détour par la fiction permet au
lecteur de mieux appréhender sa propre vie et de vivre par procuration
ses propres angoisses. L'histoire si elle est lue par les parents leur offre
l'occasion d'un débat avec l'enfant sur celles de ses attitudes qu'ils
aimeraient voir corrigées afin qu'elles correspondent en
générale à celles adoptées par le jeune
héros du récit en question. L'édification tend ici
à faire adopter au lecteur des conduites morales.
3.1.3. L'édification idéologique
Tirant parti des jeux de projection ou d'identification du
jeune lecteur, la littérature de jeunesse peut également servir
à des fins de formation idéologique, ce qui est le pendant
politique de son usage en terme de morale. Historiquement, les exemples au XXe
siècle ne manquent pas. À cet égard, on peut penser aux
albums d'Hergé qui tour à tour dénoncent le communisme
comme dans Les Aventures de Tintin, reporter du « Petit
vingtième », au pays des Soviets, publié en 1929 ou au
contraire témoignent d'un esprit paternaliste voire colonialiste envers
l'Afrique comme dans Tintin au Congo46 sortit en 1931.
L'objectif étant à chaque fois de communiquer aux enfants une
vision du monde, le projet s'apparente à de la propagande.
L'arrivée au pouvoir, en 1940, du Maréchal Pétain, qui
aurait souhaité être ministre de l'Éducation
45BELAVAL Annie-France, Pourquoi les adolescents
devraientils lire ?, L'école des lettres, 1999, n°12, p.
.10.
46La controverse autour de cet album a
été relancée en 2007 après qu'un étudiant
congolais de l'Université Libre de Bruxelles a déposé
plainte pour racisme et demandé que l'album soit retiré du
commerce.
50
nationale en 1934, offre également le bon exemple d'une
propagande massive qui se développe à l'usage de la jeunesse en
faisant ici la promotion du folklore et en érigeant le chef de
l'État lui-même en héros. L'ouvrage, Il était
une fois un pays heureux, publié en 1943 et qui se termine par
« Travail, Famille, Patrie. » érigée en morale,
est un exemple d'ouvrage à l'honneur de Pétain. Le
Général de Gaulle connaîtra la même exaltation dans
la littérature de jeunesse avec par exemple l'ouvrage Un grand
français, le Général de Gaulle, paru en 1944. Ce
zèle propagandiste qui s'exprime dans la littérature de jeunesse
fait qu'à la libération, ses publications suscitent de violents
débats pour aboutir comme nous le verrons ultérieurement à
la création d'un texte législatif visant à protéger
les publications destinées à la jeunesse.
À l'heure actuelle, nous assistons plutôt
à une littérature de jeunesse qui viendrait non pas
édifier et conforter le pouvoir établi mais plutôt le
contrebalancer. C'est ce qu'ambitionne par exemple Michel Piquemal, auteur
jeunesse:
« Je me demande à quoi je sers vraiment en
tant qu'auteur jeunesse, à quoi nous servons tous. Avoir un discours qui
ne soit pas antisocial, ne seraitce pas se faire les piliers de la
société en place, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui ? (...)
Les auteurs jeunesse n'auraientils pour fonction que de justifier moralement
ces nouvelles formes de fascisme et le politiquement correct, de fabriquer de
gentils petits moutons nonviolents prêts à être tondus par
ceux qui mettent sans cesse en avant le respect de la loi sans en respecter
aucune ? »47
Un éditeur affiche également clairement cette
volonté d'agir comme un contre pouvoir, c'est l'éditeur Syros.
Pour illustrer ce propos, on peut penser à l'ouvrage qu'il a
publié en 2003 et qui s'intitule L'agneau qui ne voulait pas
être un mouton. Cet album, prônant la résistance, la
solidarité et dénonçant le fascisme, est sortit une
année après la surprise du premier tour de l'élection
présidentielle où le candidat du parti d'extrême droite,
Jean-Marie le Pen fut qualifié pour le second tour. Plus
récemment, nous pouvons également penser à sa collection
« Au crible » qui ambitionne comme nous l'avons vu
précédemment d'interroger la politique actuelle du
gouvernement.
47PIQUEMAL Michel, le billet d'humeur de Figures
rebelles, Citrouille, 2006, n°45
51
3.1.4. Édification idéologique et censure
L'interprétation idéologique des publications
pour la jeunesse peut devenir une occasion de censure et susciter de violentes
polémiques. La plus célèbre est sans conteste celle
déclenchée en 1985 par Marie-Claude Monchaux dans son pamphlet,
Écrits pour nuire: Littérature enfantine et subversion.
Cet ouvrage, édité par le syndicat étudiant
UNI48 avait pour ambition d'aider les parents, éducateurs et
responsables des bibliothèques à faire le bon choix dans une
production littéraire jugée de plus en plus perfide car incitant
à un certain nombre de perversités sociales: le vol, la drogue,
la destruction de la famille et de la société, etc. Marie Claude
Monchaux y aborde le processus d'identification du lecteur au héros pour
le confondre avec le concept d'incitation, réducteur de liberté,
qui amènerait à une « contagion scélérate
». Les enfants lui apparaissent comme un public fragile, incapable de
discernement. Sa quatrième de couverture est univoque quant aux
intentions:
« La gangrène de la Subversion n'a pas
seulement atteint l'économie, la presse, la radio, la
télévision, elle s'est attaquée à l'Enfant.
Beaucoup de parents achètent des livres sans se rendre compte qu'ils
véhiculent les pires idées sur le plan moral ou social, et qu'ils
détruisent lentement et sciemment les valeurs du monde libre (...) Tout
se passe comme si ces auteurs, ces éditeurs, ces responsables
poursuivaient le but d'attiser la lutte, voire la haine des classes; de
démanteler les structures actuelles de la civilisation occidentale
contemporaine, de déstabiliser la famille, de discréditer l'ordre
social, les moeurs et d'affaiblir les lois, l'armée, la
sécurité, la nation ».49
Elle dénonce plusieurs titres publiés entres
autres par L'école des loisirs, Le sourire qui mord ou Syros.
Périodiquement, le débat ressurgit. On peut
citer à cet égard l' « épisode de la
bibliothèque d'Orange », durant les années 90, ville dans
laquelle, en 1995, le nouveau
48L'Union nationale inter-universitaire est une
organisation universitaire française, se revendiquant de « la
droite universitaire » selon son propre slogan.
49MONCHAUX Marie Claude, Écrits pour
nuire: littérature enfantine et subversion, Paris: Éditions
de l'UNI, 1985.
52
maire en place appartenant au Front National, a tenté
d'inféoder la politique d'acquisition de la bibliothèque à
l'idéologie de la nouvelle équipe municipale en place. Cela s'est
traduit par l'introduction massive de centaines d'ouvrages se rattachant de
près ou de loin à l'idéologie d'extrême droite et
prônant les traditions nationales. La censure s'est alors exercée
envers les ouvrages jugés trop « cosmopolites » comme par
exemple les contes africains ou maghrébins ou abordant des thèmes
jugés quant à eux trop tendancieux à savoir le racisme,
l'Europe, etc. L'intervention de municipalités d'extrême droite
dans les bibliothèques publiques a entraîné de vives
réactions chez les acteurs de la chaîne du livre
(bibliothécaire, libraires, écrivains, auteurs) qui se sont
réunis en 1997 dans un numéro hors série de la revue
Livres afin d'y rappeler que « les livres, objets de censure, sont aussi
symboles du combat pour la liberté d'expression, d'opinion, de
création50 ».
Ces réaction et les débats qu'elle suscite
révèlent à quel point la littérature de jeunesse
est un enjeu idéologique voir politique. La vigilance dont elle fait
l'objet est en fait à la mesure de l'influence qu'on lui prête sur
les jeunes esprits.
3.2. L'ARSENAL LÉGISLATIF
L'inlassable désir de contrôle montre à
quel point la littérature de jeunesse est un enjeu politique, social et
culturel. Le zèle propagandiste qui s'est exprimé dans la
littérature de jeunesse fait qu'à la libération, ses
publications vont susciter de violents débats. Sous couvert de
protéger le lecteur, il s'agit en réalité plutôt
d'une lutte d'influence et de questions d'intérêts face à
la concurrence des illustrés américains, la littérature de
jeunesse va alors se doter d'un texte législatif.
50BONNAL Marie-Pascale et ECOCHARD Janine,
Fascisme d'hier et d'aujourd'hui, Association des Bibliothèques
Françaises, 1997 [en ligne] <http://www.abf.asso.fr/>
53
3.2.1. La loi du 16 juillet 1949
Comme le rappelle l'avant propos de Jean-Paul Gabilliet, dans
l'ouvrage de Thierry Crépin et Thierry Groensteen51 :
« La loi n°49956 du 16 juillet 1949 sur les
publications destinées à la jeunesse est un des textes
législatifs les plus représentatifs des idéaux qui
animaient les hommes politiques français de l'immédiat
aprèsguerre. Élaborée (...) dans le triple contexte d'un
antiaméricanisme militant, d'un protectionnisme exacerbé et d'un
projet politique de reconstruction de la société française
plaçant au coeur de ses préoccupations la protection de
l'enfance, etc. »
En effet, cette loi est l'aboutissement d'une polémique
née en réaction au succès des bandes dessinées
américaines depuis la création du Journal de Mickey en
1934. Cette revue qui connaît rapidement 400 000 tirages fait l'objet de
critiques virulentes. Mathilde Leriche membre de l'équipe de l'Heure
Joyeuse52, se lance en 1934 dans une étude sur la presse pour
la jeunesse et ne mâche pas ses mots à l'égard des comics
américains dont le Journal de Mickey fait partie:
« Les journaux les plus mauvais sont souvent les plus
amusants: leurs rédacteurs connaissant l'art de flatter bassement sans
doute, mais sûrement, les goûts du lecteur. Ils n'ignorent aucun
des moyens d'exciter, de troubler l'esprit des enfants (...) Le lecteur se
grise de ces pages fiévreuses, ou se laisse prendre par un mol
engourdissement; stupéfiant à bon marché qui annihile sa
pensée, sa force de réagir... »53
Cette dénonciation culturelle de l'impérialisme
américain ne fera que s'accroître dans les années 40,
décennie pendant laquelle la France connaîtra la déferlante
des illustrés américains et du cinéma hollywoodien. Ses
détracteurs accusent les illustrés
51CRÉPIN Thierry et GROENSTEEN Thierry,
éd. « On tue à chaque page! », Paris:
Éditions du temps, 1999, p.5.
52L'Heure Joyeuse a été
créée en 1924 par Claire Huchet, Marguerite Gruny et Mathilde
Leriche . Elle est la première bibliothèque pour la jeunesse en
France.
53CRÉPIN Thierry et GROENSTEEN Thierry,
éd., Mathilde Leriche, une bibliothécaire d'influence et la
presse enfantine, in « On tue à chaque page ! », Paris :
Éditions du temps, 1999, p.39.
54
américains de dévoyer la jeunesse
française et d'y être pour beaucoup dans la délinquance
juvénile qui frappe la France au sortir de la guerre.
Entre 1938 et 1945, la délinquance juvénile a
augmenté de 40%. Comme le souligne Jean-Pierre Rioux54, bien
que le contexte de guerre, qui a jeté les enfants dans les mêmes
difficultés et souffrances que les adultes, y soit grandement pour
quelque chose, la presse enfantine continue d'être
présentée comme un des principaux responsable de la crise morale
des jeunes, dans une société qui mise désormais beaucoup
sur la jeunesse porteuse d'espoir et de mieux-être. Comme le
démontre l'ouvrage de Thierry Crépin55,
les détracteurs de l'illustré lui reprochent trois choses.
Tout d'abord son caractère pornographique qui s'exprime à travers
des dessins de filles à demi dénudées. Les
illustrés sont une école de la débauche de nature à
compromettre la formation et l'équilibre sexuel des lecteurs.
Deuxième grief, l'irréalité des récits des
illustrés qui exploitent le goût qu'ont les enfants pour le
fantastique plutôt que de l'orienter vers l'aventure ou la poésie.
L'enfant jugé trop malléable et immature risquerait de confondre
le vrai du faux et pourrait donc s'imprégner d'erreurs. Enfin, dernier
reproche, l'illustré contribuerait à faire l'apologie du crime et
du délit par le biais de scènes violentes qui se déroulent
dans des contextes de guerre ou de western et à travers des surhommes
qui ressentent peu d'émotion à l'image d'un Tarzan.
C'est dans cette volonté de protéger la jeunesse
que s'inscrit la loi de 1949 relative aux publications destinées
à la jeunesse. D'après l'article 2 de cette loi, les publications
destinées à la jeunesse « ne doivent comporter aucune
illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune insertion,
présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la
paresse, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou
délits ou de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse
ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques. »
Cette loi comprend aussi des dispositions protectionnistes par son article 13
qui prohibe « l'importation pour la vente ou la distribution gratuite en
France des publications destinées à la jeunesse ne
répondant
54CRÉPIN Thierry et GROENSTEEN Thierry,
éd., L'ardent contexte, in « On tue à chaque page !
», Paris: Éditions du temps, 1999, p. 63.
55CRÉPIN Thierry, « Haro sur le
gangster! » : la moralisation de la presse enfantine, 1934-1954, Paris:
CNRS Éditions, 2001, p.226-238.
55
pas aux prescriptions de l'article 2 ». Cette loi
instaure alors une « commission de contrôle et de surveillance
» chargée d'exercer une censure a posteriori, obligation
étant faite aux éditeurs ou directeurs d'une publication
destinée à la jeunesse de déposer gratuitement, à
l'intention de la commission, cinq exemplaires de cette dernière,
dès sa parution, cela dans le but d'amener les éditeurs à
l'autocensure. La commission jouant plus un rôle d'intimidation que de
répression dans un arsenal législatif avant tout dissuasif. En
effet, avant que la sanction pénale ne tombe, la commission envoie des
« avertissements » ou « recommandations » à
l'éditeur qui lui rappellent les risques encourus s'il ne modifie pas
ses contenus. À travers toute l'histoire de cette loi, un seul
éditeur pour enfants a été condamné, Pierre
Mouchot, et rares sont les publications étrangères qui ont
été interdites à l'importation en France.
3.2.2. Qu'en estil de cette loi aujourd'hui?
Depuis le tournant des années soixante dix et
jusqu'à aujourd'hui, la loi s'est considérablement assouplie.
Jacqueline de Guillenchmidt, présidente de la Commission de surveillance
et de contrôle des publications destinées à l'enfance et
à l'adolescence de 1995 à 1999, témoigne de ce changement
d'esprit: « Il y a (...) moins de velléités moralisatrices
qu'il n'y en a eu dans les années cinquante et soixante. Aujourd'hui,
nous avons simplement le souci de veiller, (...), à ce que n'importe
quelle publication ne soit pas mise entre n'importe quelles mains. 56»
La Commission, qui se réunit chaque trimestre pour
examiner tous les nouveaux titres destinés à la jeunesse, joue
plus à l'heure actuelle le rôle de prescripteur que celui de
censeur. Quasiment aucun livre n'a été réellement
interdit, du fait de l'autodiscipline des maisons d'édition, bien
sûr conscientes de l'épée de Damoclès ainsi
suspendue au-dessus de leur tête. Auteurs et éditeurs
s'autocensurent, se soumettent aux éventuels avis de la Commission, et
redoutent les réactions des prescripteurs courroucés qui ne
manqueront pas d'invoquer la loi. En effet, la saisine de la Commission peut
émaner d'enseignants, d'éducateurs mais également de
parents qui peuvent décider d'envoyer une publication pour examen.
56 CRÉPIN Thierry et GROENSTEEN Thierry, éd.,
La Commission de surveillance aujourd'hui, in « On tue à
chaque page! », Paris: Éditions du temps, 1999, p.211.
56
Soumis à la pression du public et soucieux de ne pas
s'exposer à la censure officielle de la Commission, les éditeurs
sont tentés de s'en tenir à une politique de prudence pour
éviter un scandale, toujours désastreux commercialement. Il en va
de même pour les différents acteurs de la chaîne livre qui
s'interrogent tous quant aux livres qu'il est possible de proposer à la
jeunesse ou pas, adoptant ainsi une posture de censeur.
3.2.3. Posture des acteurs du livre jeunesse : entre
autocensure et revendication du droit à l'expression
Si l'on s'en tient à la lettre de ce que la loi du 16
juillet 1949 dit, bien des aspects du monde contemporain « de nature
à démoraliser la jeunesse » pourraient être
évacués de la sphère de l'édition jeunesse tels que
la guerre, le chômage, le racisme, la violence, les exploitations en tout
genre, ce qui viendrait en contradiction avec cette volonté
affichée de la littérature de jeunesse d'aider l'enfant à
grandir et à comprendre le monde.
À l'heure actuelle, une telle loi peut sembler
désuète pour une application stricte dans la mesure où les
conceptions de l'enfance et de la littérature ont
considérablement évolué, comme nous l'avons abordé
dans notre première partie. Toutefois, cette loi ne cesse de rappeler,
par son existence, le statut particulier de la littérature de jeunesse
et amène cette dernière à être consciente de son
rôle et à y réfléchir. La littérature pour
adultes peut offenser des lecteurs, les inciter à des conduites
délictueuses, l'auteur et l'éditeur pourront toujours plaider
non-coupables au non de la liberté d'expression et parce qu'ils
s'adressent à des adultes capables de ripostes et libres pensants.
L'écrivain et l'éditeur jeunesse n'ont pas ces arguments à
leur disposition car il s'adresse à des mineurs réputés
manipulables, fragiles psychiquement ou intellectuellement.
Si bon nombre d'éditeurs s'accordent à dire
qu'ils veillent à ne pas proposer de sujets litigieux ou provocateurs,
cela ne les empêche pas de s'interroger sur les livres
57
qu'ils veulent proposer aux enfants. Deux attitudes sont alors
possibles. Jean Fabre de l'Ecole des Loisirs les décrit ainsi:
« L'une autoritaire, sécuritaire ou
nostalgique, tente d'isoler les enfants le plus possible pour les
protéger de ce monde, en refermant le cocon familial et en faisant
silence sur ce que la famille réprouve. L'autre réaliste, tente
d'ouvrir progressivement les enfants au monde actuel pour leur apprendre
à vivre avec leur temps. »57
La première attitude se veut consensuelle et tend vers
une exigence de neutralité, la seconde en revanche, se veut plus
engagée dans la mesure où elle s'expose à « ce que la
famille » et, au delà de cette dernière, à ce que les
adultes réprouvent. En effet, il semblerait, à travers ces propos
de l'éditeur, que ce soit davantage les adultes que les enfants qui
soient dérangés par le fait que la littérature de jeunesse
s'intéresse aux problèmes de sociétés et au monde.
Ce point de vue est rejoint par celui de Marie-Aude Murail, auteur entre autres
pour la jeunesse, qui dans son ouvrage Continue la lecture on n'aime pas la
récré tacle l'hypocrisie des adultes qui s'offusquent de la
violence des thèmes traités dans la littérature de
jeunesse sous couvert qu'il faut protéger l'enfant alors que ce sont eux
qui sont à l'origine de cette même violence à laquelle
l'enfant est exposé. Aussi, trouve-t-elle légitime que les livres
pour la jeunesse évoquent la violence, la laideur, la bêtise, la
souffrance, la faim, le mal, car il s'agit du même monde pour tous. Selon
l'auteur, se taire sur ces sujets ce serait livrer les enfants à ces
problèmes. Le livre met en garde car il fait parler et
réfléchir.
Les écrivains ou éditeurs que nous qualifions
ici d'engagés ne se fixent pas de limites quant aux sujets mais
plutôt quant à la manière dont ils sont traités. Le
texte ne doit pas être dogmatique, il doit interroger, interpeller, faire
réagir, dès lors tous les sujets sont permis. L'engagement en
littérature, comme nous l'avons déjà dit, semble
être fonction de l'engagement du lecteur que permet le texte.
Nous allons en dernier lieu nous interroger sur les moyens
permettant à ce type de littérature d'exister. Si comme il l'a
été évoqué plus haut, la littérature de
jeunesse
57MURAIL Marie-Claude, Continue la lecture, on
n'aime pas la récré, Paris : Calmann-Lévy, 1993,
p.69.
58
engagée s'expose à ce que les adultes
réprouvent, nous pouvons demander ce que signifie cette prise de risques
et comment cette littérature parvient à se faire une place dans
le champ éditorial jeunesse.
59
CHAPITRE 4
ENGAGEMENT ET PRISE DE RISQUES
4.1. ENGAGEMENT V/S NEUTRALITÉ
L'engagement parce qu'il est une prise de position comporte
forcément des risques. Assumant un parti pris esthétique,
pédagogique ou idéologique, l'éditeur « engagé
» peut s'exposer à la censure, comme nous l'avons vu, ou «
manquer » son public dans la mesure où l'engagement est un choix
personnel, né d'une logique intrinsèque, celle de
l'éditeur ou de l'auteur, qui désirent le faire partager par le
biais du médium livre. L'éditeur jeunesse qui publie des ouvrages
engagés ne répond pas, a priori, à une logique commerciale
ce qui comporte des risques financiers. Pour mieux comprendre, dans quoi
réside cette prise de risques, nous allons définir l'engagement
grâce à son contraire, la neutralité.
4.1.1. La neutralité comme politique
éditoriale
La neutralité se définit tout d'abord par son
caractère neutre autrement dit, son absence d'implication. Quelque chose
de neutre ne comporte aucune particularité. La neutralité ne vise
donc pas le singulier. En rapprochant ce terme de l'édition et plus
précisément des politiques éditoriales, on comprend que la
neutralité est une stratégie visant la séduction d'un
public le plus large possible par le recours au dénominateur commun le
plus large possible lui aussi. La neutralité ne cherche pas à
cibler un public précis et limite ses prises de risques. Elle est
souvent proche du conformisme qui est selon le TLFI58, l'«
attitude passive de celui ou de celle qui règle ses idées, son
comportement, sur ceux des personnes de son milieu ». Michèle
Picard, quant à elle,
58Trésor de la Langue Française
Informatisé [en ligne] <http://atilf.atilf.fr/>
rapproche ce phénomène de la notion de «
bon goût »59 qui vise à « édulcorer,
à gommer tout ce qui pourrait choquer les parents dans une quelconque de
leurs convictions ».
La logique commerciale qui sous-tend le discours du « bon
goût » et de la neutralité amène bien souvent les
éditeurs à privilégier les formules éditoriales
ayant fait leurs preuves dans le passé, c'est-à-dire
fidélité au répertoire classique avec les fables
animalières, les contes merveilleux, le fantastique, la science-fiction,
etc.
La fonction dominante dans ce genre d'ouvrage est bien souvent
le divertissement. Attention cependant, il ne s'agit pas ici d'une
généralité dans la mesure où si le merveilleux, la
fable animalière, ou la science-fiction, fonctionnent selon le ressort
de la distanciation au monde réel, cette dernière en même
temps qu'elle permet de le rêver, peut aussi amener à le
critiquer.
Une politique éditoriale neutre minimise bien souvent
les risques en s'adaptant aux tendances du marché et en partant de
l'existant pour proposer des ouvrages qui auront à coup sûr leur
public. Le marketing est alors très important et les études de
marché permettront à l'éditeur de faire correspondre son
offre aux attitudes et à la motivation des acheteurs, se basant bien
souvent sur le penchant naturel des enfants pour les produits marketés.
En tête de liste, les livres qui sont l'adaptation de produits
télévisés, cinématographiques ou de jeux
vidéos. La littérature se trouve ici bien souvent
inféodée au marché du loisir.
À côté de ces politiques
éditoriales, quels sont les recours possibles pour les éditeurs
proposant des ouvrages plus engagés, entendons donc par là moins
« attendus » ?
60
59 PIQUARD Michèle, op. cit. p.183.
61
4.1.2. Des avantages de la collection
Le recours à la collection apparaît comme l'un
des premier procédé. Les atouts de cette dernière sont
multiples, économiques d'une part et marketing de l'autre. Comme
l'explique Michèle Picard60, l'un des gros
intérêt de la collection, concerne la fabrication. Parce qu'elle
conserve le même format et le même nombre de pages,
l'éditeur peut abaisser ses coûts de production. En effet, les
commandes de papier pourront par exemple être groupées ce qui
permettra d'en négocier les prix plus facilement, l'éditeur
pourra aussi mettre en avant la pérennité et le
déploiement attendus de sa collection, en somme la
régularité de la production, afin de revoir également les
tarifs de son imprimeur. De plus, la présentation et la mise en maquette
demeurant les mêmes, les frais d'études, de maquette et de
lancement s'en retrouvent amortis. Outre le gros avantage financier, qui
permettra de réduire au final le prix de vente, la collection assure
aussi une certaine sécurité de marché.
D'un point de vue marketing les collections permettent
également de structurer les catalogues, de fidéliser et mettre en
confiance le lectorat. La collection qui se définit comme une
série de titres ayant une unité entre eux, incite fortement le
lecteur à l'achat afin de reconstituer cette série. De plus, un
livre qui paraît dans une collection supportant une grosse audience
grâce à sa ligne éditoriale ou à son directeur de
collection, multiplie ses chances de percer. Un titre phare peut ainsi porter
une collection pouvant elle-même contenir des titres plus originaux.
4.1.3. L'index thématique : réponse à
une demande?
Le second procédé qui s'observe dans la quasi
totalité des catalogues est le recours à un index
thématique. Celui ci permet de rassembler un sujet traité de
manières éparses dans le catalogue, à travers des contes,
des albums, de la poésie, etc., sous un dénominateur commun, le
thème. L'hétérogénéité des genres,
des ouvrages, des écritures, des illustrations se trouvent annihiler par
une indexation thématique qui centre l'attention du lecteur sur un sujet
bien spécifique au risque d'occulter
60PIQUARD Michèle, op. cit. p.179.
62
quelquefois sa curiosité. Cette modalité du
classement « par sujet », qui s'observe aussi dans les catalogues
d'éditeurs engagés, est aujourd'hui très
standardisée puisque présente dans la quasi totalité des
catalogues. Après ce constat, nous pouvons nous demander si finalement
de tels ouvrages se revendiquant engagés ne répondent pas eux
aussi à une logique commerciale, celle de proposer des «
livres-passerelles » répondant aux attentes des parents
désireux de s'en remettre à la littérature pour aborder
avec leur enfants des sujets difficiles ou des problématiques auxquels
l'enfant et/ou sa famille sont confrontées.
« Livres-passerelles » comme l'évoquent les
éditeurs jeunesse qui se défendent par ailleurs de faire des
« livres médicaments ». Valéria Vanguelov,
éditrice chez Grasset jeunesse, exprime clairement cette volonté
à travers des livres dont:
« le principal est d'aider des enfants en
difficulté. (...) l'enfant peut en arriver, à partir du livre,
à verbaliser et à dialoguer avec son entourage. Et
réciproquement, les parents peuvent se servir d'un album pour aborder un
sujet complexe ou traumatisant, et en discuter avec l'enfant. Mais ce n'est en
aucun cas un "médicament". »61
Même réaction chez Hatier Jeunesse:
« Pas question de faire des livres
"médicament", de livrer des réponses "toutes faites". Le
récit et l'illustration sont conçus afin que chaque jeune lecteur
puisse trouver des pistes pour mettre en mots son problème et, s'il le
veut, en discuter avec les adultes."62
L'important serait de permettre l'instauration d'un dialogue,
interne ou externe au livre. En conclusion, le livre doit rester l'allié
de l'enfant ainsi que de ses parents qui ne l'oublions pas sont les principaux
acheteurs.
Les éditeurs de jeunesse qui proposent des ouvrages
engagés sembleraient plus
61[s. n.], La
littérature de jeunesse médiatrice?, Hachette: le mag, 2009.
[en ligne] <
http://www.hachette.com/mag/>
62 id.
63
adresser ces derniers aux parents plutôt qu'aux enfants
dont ils ne flattent pas particulièrement les goûts, comme nous
l'avons évoqué plus haut. Les éditeurs offrant des
ouvrages engagés recourent à cet égard à des
prescripteurs qui influeront considérablement l'acte d'achat des
adultes.
4.2. LE RECOURS À DES PRESCRIPTEURS
Il convient dans un premier temps de définir le terme
de prescripteur. Selon le site e-
marketing.fr:
« Le prescripteur est une personne qui exerce une
influence sur le choix d'un produit ou d'un service et cela eu égard
à sa notoriété, son image, son statut social, sa
profession, ses activités et/ou son style de vie qui est à
même de recommander une entreprise, une marque, un produit, et
d'être reconnue pour la valeur de sa recommandation par un nombre plus ou
moins important de consommateurs. »
Par extension, le prescripteur peut également
être un organisme, une institution, une marque, etc. Le prescripteur a un
fort impact psychologique dans la mesure où il est capable d'influencer
l'acte d'achat. Il a figure d'autorité et renvoie en
général une image positive dans l'esprit de l'acheteur. Le
prescripteur, associé à un produit affiche un même partage
de valeurs.
En observant des couvertures d'ouvrage et des catalogues, on
voit apparaître bien souvent la présence de prescripteurs. Ces
derniers, clairement visibles, puisque apposés fréquemment sur la
couverture de l'ouvrage ou en couleurs dans le descriptif de l'ouvrage figurant
sur le catalogue, relèvent d'une volonté de l'éditeur
d'associer sa démarche et son engagement aux valeurs d'un organisme,
d'un mouvement ou d'une association généralement reconnus.
À cet égard, les éditions Syros sont un bon exemple de ce
que peut-être le recours à des prescripteurs.
64
4.2.1. La coédition
Selon la définition qu'en donne le Centre régional
du livre de Bourgogne sur son
site:
« la coédition est le plus souvent l'association
d'éditeurs pour un projet de livres
illustrés, afin de partager les frais de
création, de fabrication et de diffusion. »
Les risques comme les intérêts financiers sont
partagés, les réseaux de diffusion et de distribution sont quant
à eux doublés. La coédition peut donc permettre à
un éditeur de publier un livre qu'il n'aurait peut-être pas oser
faire seul puisqu'elle limite la prise de risques financière et peut
même ajouter une plus value à l'ouvrage quand le coéditeur
a aussi fonction de prescripteur.
Les éditions Syros ont coédité des titres
avec Amnesty International à l'instar de l'album intitulé
L'agneau qui ne voulait pas être un mouton63. Cela
signifie qu'outre l'engagement financier et le pari éditorial
réciproque, Syros et Amnesty International affichent un même
partage de valeurs à savoir: respect des droits de l'homme,
prévention contre toutes les formes de discrimination, protection des
droits humains, etc. Cette coédition affichée informe le lecteur
et/ou l'acheteur que le contenu de l'ouvrage est cautionné par ce
mouvement international et lui ajoute donc un gage de valeur
supplémentaire. Le lecteur ou l'acheteur se sent en quelques sortes lui
aussi affilié à ces dites valeurs ce qui contribue par ailleurs
à combler son besoin d'estime personnelle pour reprendre l'un des termes
employés par Maslow.64
4.2.2. Les partenariats
À la différence de la coédition, les
risques et les intérêts financiers ne sont pas mutualisés
dans le partenariat. Celui-ci désigne un accord formel entre deux ou
plusieurs parties qui ont convenu de travailler en coopération dans la
poursuite
63Cf. Annexe E
64Abraham Maslow est un psychologue
américain ayant établi une hiérarchisation des besoins (la
pyramide de Maslow) du consommateur afin d'essayer de comprendre ce qui motive
l'achat. Les premiers besoins à satisfaire sont physiologiques, viennent
ensuite les besoins de sécurité, puis d'amour et d'appartenance,
ensuite d'estime et enfin d'accomplissement personnel.
65
d'objectifs communs. Ce procédé est très
fréquent dans les titres engagés car il permet de renforcer
l'engagement de l'éditeur en lui apportant une caution
extérieure.
Les éditions Syros ont développé de
nombreux partenariats avec entre autres: la Cimade65, le
MFPF66, Handicap International, Médecins sans
frontières, l'UNICEF, etc. On retrouve ces partenaires dans des ouvrages
intégrant les collections « J'accuse » ou « Femmes
». Syros s'associe aux valeurs de ces partenaires qui, en retour,
reconnaissent leurs valeurs dans les ouvrages ou collections dudit
éditeur.
À la question quel est le rôle des partenaires,
Sandrine Mini, directrice éditoriale des éditions Syros,
répond:
« Amnesty International a été le
premier partenaire de titres de la collection. Puis selon les sujets, d'autres
associations ont soutenu nos publications : Handicap international, l'Unicef,
Médecins sans Frontières, la Ligue des droits de l'homme, SOS
homophobie, et plus récemment le GAMS (Groupement pour l'abolition des
mutilations sexuelles), le MFPF (Mouvement français du planning
familial). Les partenaires représentent des relais importants pour faire
connaître ces titres dans leurs réseaux (via leurs actions, sites,
catalogues, lettres...) et ils apportent, par leur caution, une
légitimité supplémentaire à la collection. Syros,
de son côté, a toujours souhaité soutenir les associations
militantes qui luttent au quotidien. Nous participons, à notre
échelle, à les faire connaître auprès d'un
réseau grand public (ouvrages présents dans toutes les
librairies, de nombreuses bibliothèques, de nombreux salons du livre...)
Le logo du partenaire est apposé en première de couverture et
plusieurs pages enfin d'ouvrage lui sont consacrées. »67
Le message est clair, Syros, à travers une entreprise
intellectuelle et culturelle, affirme son désir d'oeuvrer dans la
même direction que ces partenaires. Il y a ici une mise en commun de
leurs efforts en vue de réaliser un objectif commun relié
à un problème ou
65La Cimade est une association qui d'après
leur site internet a pour but de « manifester une solidarité active
avec ceux qui souffrent, qui sont opprimés et exploités et
d'assurer leur défense, quelles que soient leur nationalité, leur
position politique ou religieuse. »
66Le Mouvement français pour le planning
familial
67GENTILE Catherine, Entretien avec GODARD
Philippe, Ricochet-Jeune, 2007 [en ligne] <
http://www.ricochet-jeunes.org/entretiens/entretien/113-philippe-godard>
66
à un besoin clairement identifié dans lequel, en
vertu de leur mission respective, ils ont un intérêt, une
responsabilité, une motivation, voire une obligation. Syros affiche donc
son engagement éditorial en s'associant visiblement à des
associations ou organismes militants.
Si nous avons évoqué Syros longuement c'est
parce qu'il s'agit de l'éditeur jeunesse ayant le plus recours à
ce type de prescripteurs. Néanmoins, cette tendance s'observe chez
d'autres éditeurs à plus ou moins grande échelle comme par
exemple les éditions Sarbacane qui ont un partenariat pour des titres
traitant de l'immigration, de la solidarité et de la xénophobie
avec Amnesty International ou encore Actes Sud junior qui a
coédité nombre d'ouvrages de sa collection « À petits
pas citoyens de demain » avec l'ADEME68, etc.
Outre ces deux procédés qui découlent de
la volonté de l'éditeur et de ses stratégies commerciales,
d'autres moyens, plus ou moins, providentiels permettent à ces derniers
de voir leurs titres recommandés.
4.2.3. La reconnaissance affichée
Nous observons ainsi en dernier lieu, la présence de
prescripteurs qui n'émanent pas de l'initiative de l'éditeur
puisqu'il s'agit des prix décernés aux ouvrages ou des listes de
références établies par le Ministère de
l'éducation nationale.
Les prix peuvent récompenser des oeuvres pour leur
qualité littéraire ou graphique (prix des Incorruptibles, prix
des jeunes lecteur, prix Tam-Tam, prix Tatoulu, etc.) mais également
pour leur engagement à l'image du Prix de la tolérance, du prix
de l'UNESCO ou du prix de la citoyenneté. Ces récompenses
témoignent de cet engagement qui s'exprime de plus en plus en
littérature jeunesse. Elles sont un véritable atout pour
l'éditeur puisqu'une instance extérieure à la maison
d'édition attire l'attention du lectorat sur la qualité d'un
ouvrage.
68Agence de Développement et de la
Maîtrise de l'Énergie
67
Les listes de références sont également
un très bon moyen pour les ouvrages de se faire connaître. Depuis
2002, date d'entrée de la littérature de jeunesse dans les
programmes d'enseignement pour l'école élémentaire, le
Ministère de l'éducation nationale dresse une liste des ouvrages
dits de références afin que se construise une culture commune
susceptible d'être partagée par tous. Parmi les ouvrages
recommandés nous retrouvons les classiques de grandes maisons
d'éditions mais aussi des titres de maisons moins visibles telles que:
Syros, Rue du monde, Thierry Magnier ou encore Être, maison fondée
en 1997 par Christian Bruel69. Cette liste de
référence est un prescripteur pour les enseignants tout d'abord
mais aussi pour les parents qu'elle guide au sein d'une production
éditoriale foisonnante. La mention « Sélection
Éducation Nationale » figure d'ailleurs sur tous les ouvrages
concernés et on constate même quelquefois la présence dans
les catalogues d'un index des titres sélectionnés par le
Ministère de l'éducation nationale, comme c'est le cas pour les
éditions Syros ou Être par exemple. Cette mise en avant des
recommandations du Ministère, renforce l'idée que la liste de
référence fonctionne comme un véritable prescripteur
supplémentaire pour les éditeurs.
Nous voyons donc, à travers ces dispositifs, comment
les ouvrages de jeunesse engagés parviennent à se
démarquer et à émerger parmi des produits plus
marketés et c'est sans compter sur les différents
médiateurs du livre.
4.3. LES MÉDIATEURS
Il s'agit dans cette dernière sous-partie d'aborder les
différents acteurs de la chaîne du livre susceptibles de supporter
ce type de littérature. Nous aborderons ici les différents
médiateurs permettant de mettre en contact le lectorat avec ce genre
d'ouvrage.
69Christian Bruel est également le fondateur
des éditions Le sourire qui mord.
68
4.3.1. Les bibliothécaires
Nous évoquerons tout d'abord le rôle des
bibliothécaires dans la mesure où agissant au sein d'un service
public, leur influence est grande puisque tout un chacun peut s'y rendre
gratuitement afin d' y emprunter un titre parmi une large sélection
d'ouvrages.
D'après le code de déontologie du
bibliothécaire, adopté lors du conseil national de l'Association
des bibliothécaires français:
« Le bibliothécaire est chargé par sa
collectivité publique ou privée de répondre aux besoins de
la communauté en matière de culture, d'information, deformation
et de loisirs. » 70
Le bibliothécaire, gardien des livres et professionnel
de l'information se doit donc de mettre à disposition du public toutes
sortes d'ouvrages destinés à la jeunesse, aussi bien les livres
qu'il est possible de trouver dans les hypermarchés ou les grosses
enseignes de type FNAC ou Virgin, que les livres qui ne sont distribués
que par les libraires ou encore les ouvrages qui ne sont plus imprimés.
La bibliothèque fait ainsi se côtoyer les gros éditeurs que
sont Gallimard, Casterman, Bayard, Nathan,
etc. et toute la myriade des petites maisons
que compte le paysage éditorial jeunesse offrant ainsi un panel
d'ouvrages très composite. Le bibliothécaire étant au
service de l'usager et l'accès à l'information étant un
droit fondamental, le code de déontologie stipule également que
le bibliothécaire s'engage à :
« Répondre à chaque demande, ou,
à défaut, la réorienter. Assurer les conditions de la
liberté intellectuelle par la liberté de lecture. Permettre un
accès à l'information respectant la plus grande ouverture
possible, etc. »
Le bibliothécaire a pour mission de favoriser la
réflexion de chacun par la constitution de collections répondant
à des critères d'objectivité, d'impartialité et de
pluralité
70BRIAND Gérard, Code de
déontologie du bibliothécaire, Association des
Bibliothèques Françaises, 2003 [en ligne] : <
http://www.abf.asso.fr>
69
d'opinion. Les bibliothèques sont donc un lieu
où tous les types d'ouvrages se côtoient. Un lieu où les
ouvrages d'éditeurs plus marginaux ont la chance de trouver un
lecteur.
4.3.2. Les libraires spécialisées
jeunesse
Un autre médiateur important, le libraire. Il n'est pas
seulement un commerçant qui vend des livres et parfois des revues. Il
joue un rôle fondamental auprès des éditeurs puisque c'est
lui qui décide de sélectionner ou non leurs ouvrages pour les
conseiller et les défendre ensuite auprès d'une
clientèle.
L'Association des Librairies Spécialisées
Jeunesse71 est un bon exemple du soutien dont peuvent
bénéficier ces éditeurs. Cette association, qui regroupe
une cinquantaine de librairies « Sorcières » sur l'hexagone, a
pour objectifs de :
« (...) proposer des sélections de livres
pertinentes et qualitatives, dans le respect et la connaissance de l'enfant
(...) de promouvoir la littérature jeunesse de qualité, d'en
faciliter l'accès à un public le plus large possible, de soutenir
l'édition de création, d'être par les actions avec les
bibliothèques, écoles et associations, un acteur culturel de la
vie des quartiers, des villes et des régions. »72
Conformément à cette volonté de se
positionner comme un véritable médiateur culturel et à ce
désir d'encourager l'audace des éditeurs jeunesse et de les
soutenir dans leur création, on trouve dans les rayons de ces librairies
des ouvrages édités chez de tout petits éditeurs jeunesse
engagés comme par exemple les éditions Talents Hauts qui voient
leurs ouvrages dans les rayons des librairies « Sorcières ».
La revue Citrouille, éditée par l'ALSJ, destinée
aux parents, enseignants, bibliothécaires propose des critiques, des
analyses de livres, des interviews d'auteurs et des dossiers de fonds. Elle
constitue, elle aussi, un bon outils de médiation pour ces
éditeurs dont les livres peinent à trouver leur place ailleurs
que dans les bibliothèques municipales, les librairies
spécialisées ou les salons du livres destinés à la
jeunesse comme celui de
71L'ALSJ a été créée en
1982 et compte une cinquantaine de librairies à l'heure actuelle (dont
« Rêv'en pages » à Limoges). Elle a fondé une
revue intitulée Citrouille en 1986.
72ALSJ [en ligne]
<http://alsj.citrouille.net/>
70
Montreuil, le plus connu, mais aussi celui de Villeurbanne, de
Lorient, de Troyes, de Montauban, etc.
Au delà, de ce réseau du livre, une autre
sphère permet aux livres faisant preuve d'engagement d'être
médiatisés, c'est celle du militantisme.
4.3.3. Le réseau militant
Parmi les libraires indépendants, les militants, les
critiques, etc. les éditeurs qui font preuve d'un engagement ont la part
belle lors du salon annuel « Plumes rebelles » organisé par
Amnesty International à Rennes depuis neuf ans. « Plumes Rebelles
» qui entend contribuer « activement à la vie des
idées, en faisant le pari de la vigilance et de la réflexion
»73 offre une visibilité pour ces petits éditeurs
engagés à l'instar de la maison d'édition Oskar Jeunesse,
fondée à Paris en 1995 et dont l `éditeur, Bertil Hessel,
revendique une démarche « citoyenne et humaniste » à
travers « des histoires pour réfléchir et lutter contre les
préjugés ».74 Même si commercialement,
comme le reconnaît Bertil Hessel, ce type de salons n'a pas grand
intérêt pour les éditeurs jeunesse, dans la mesure
où le public est essentiellement composé d'adultes, il leur
permet néanmoins de se faire connaître des bibliothécaires,
enseignants, éducateurs ou critiques présents et quelquefois
même d'obtenir un article dans la presse.
Toujours dans le milieu militant, nous pouvons
également citer le cas des librairies indépendantes et
engagées. Nous prendrons pour exemple une librairie parisienne,
Quilombo, qui se définit comme un « lieu de rencontres et
d'informations sur les luttes, l'actualité militante et
contre-culturelle. » 75
À côté des rayons pour adultes proposant
des ouvrages traitant du militarisme, du fascisme, du féminisme, de
l'éducation, de l'écologie, etc. chez des éditeurs
engagés tels : Agone, La Fabrique, Les éditions Libertaires,
etc., cette librairie dispose également d'un rayon jeunesse. La
soixantaine d'ouvrages sélectionnés par Caroline
Séchan,
73L'édito du site « Plumes Rebelles »
[en ligne] <http://www.plumesrebelles.org/>
74MORVAN Agnès, « Plumes rebelles
intéresse les éditeurs jeunesse », in Ouest France, 2
fév. 2009. 75Librairie Quilombo [en ligne]
<http://www.librairie-quilombo.org/>
71
professeur des écoles et bénévole pour
Quilombo, l'ont été au regard de leur originalité
entendons par là, de leur aptitude à proposer quelque chose
d'innovant capable de surprendre et d'interroger le jeune lecteur par le biais
d'une réécriture des personnages archétypaux dont les
rôles s'inversent (le loup est craintif, la princesse poursuit le dragon
pour sauver son prince, le jeune garçon décide d'élever
son papa, les trois petits cochons rêvent de voitures et de fiestas,
etc.) ou par le biais d'ouvrages dont les contenus traitent de
problématiques sociales subtilement abordées (les
préjugés, l'information dans les médias, l'immigration, la
différence, etc.). La sélection de ces ouvrages amène le
jeune lecteur à reconsidérer ce qu'il pensait connaître ou
savoir. Une telle librairie qui fait le choix d'une rotation lente des livres
pour laisser le temps au public de les découvrir, qui propose des
débats autour des livres et qui se définit comme militante et
engagée, est un bon exemple du type de médiateur dont peut
bénéficier cette littérature de jeunesse dans la mesure
où elle lui est de plus exclusive.
L'édition jeunesse engagée, composée
d'une quantité de petites maisons animées par les convictions de
leur fondateur, même si elle peine à se faire connaître
bénéficie d'un double « réseau-médiateur
», celui du militantisme et celui du livre qui représentent tous
deux des relais indispensables aux catalogues d'éditeurs plus ou moins
connus. De plus, comme nous l'avons vu, les éditeurs développent
eux même des stratégies en ayant recours à des
prescripteurs par le biais de partenariats, de coédition et c'est sans
compter sur le soutien dont ils bénéficient dans le monde
culturel ou éducatif puisqu'ils suscitent l'intérêt des
salons mais aussi du Ministère. L'engagement dans des thèmes
graves, sérieux, difficiles ou dans des productions originales loin
d'être censuré, est salué, à une époque
où il n'est plus synonyme de subversion mais plutôt gage d'une
certaine qualité littéraire et esthétique.
72
CONCLUSION
Depuis son émergence, l'édition jeunesse est
guidée par les valeurs de son temps. Le premier véritable livre
pour enfant, qui date du milieu du XVIIe siècle, est un livre à
caractère didactique.
Jusque dans les années 1960, c'est une vision
éducative qui a primé dans l'édition pour la jeunesse.
Cette vision-là va se trouver chamboulée dans le sillage des
mouvements de contestation de la fin des années soixante. On prend alors
en considération la capacité de réflexion, de discernement
de l'enfant et on veut lui offrir une vision du monde non
édulcorée. La littérature de jeunesse s'affranchit des
limites du genre et explore de nouvelles formes d'expressions artistiques, de
nouveaux thèmes plus graves, plus sombres collant au plus près de
ce que l'enfant voit, entend, vit dans son quotidien et capables de
l'interpeller.
Une génération d'éditeurs jeunesse
engagés apparaît dans les années 70, qui soulèvent
de nombreux débats et de violentes polémiques. L'analyse de
quelques-uns de leurs ouvrages nous révèlent alors que cet
engagement recouvre des aspects très divers. S'il est revendiqué
dans toutes les politiques éditoriales de ces maisons, il s'exprime
néanmoins à différents degrés.
Les éditions Des femmes par exemple ne font preuve d'un
engagement que thématique au détriment de la qualité
littéraire et esthétique de l'ouvrage. L'importance et l'urgence
du message amène ainsi l'éditeur à faire quelquefois
l'impasse sur l'illustration et la qualité stylistique. L'engagement
n'est donc assurément pas une valeur en soi, même s'il est souvent
revendiqué par les éditeurs comme étant le gage de
qualité dans la mesure où il ne cède pas à la
facilité faisant le pari de l'intelligence du lecteur.
73
L'engagement est à cet égard souvent multiple:
esthétique, littéraire, thématique, il amène de
surcroît le lecteur à s'engagé lui-même. Cet
engagement offert au lecteur, qui peut le choisir ou l'ignorer, est
peut-être l'une des raisons pour laquelle la littérature de
jeunesse engagée ne tombe pas sur le coup de la loi. En effet, il
semblerait que s'il est possible d'aborder tous les sujets avec l'enfant, il y
ai des manières pour le faire. La limite se situerait en ce sens du
côté du dogmatisme et de la désespérance.
De fait, ces écrits engagés qui proposent des
thèmes très sombres, des sujets d'actualité, des
illustrations innovantes véritable oeuvres d'artistes, tendent à
rétrécir les frontières entre la littérature de
jeunesse et la littérature adulte et posent alors la question du double
destinataire, l'enfant et le parent.
L'édition est guidée par les valeurs de son
temps. À une époque où les notions de
responsabilité et prise de conscience sont souvent
citées, où l'activisme et l'engagement sont partout, cette
tendance, désormais, très généralisée,
à proposer des ouvrages de jeunesse engagés sur des sujets
difficiles semble correspondre à un changement des mentalités qui
s'est traduit par l'augmentation considérable des documents
d'actualités, +124% entre 1990 et 2005.76
La littérature de jeunesse engagée loin
d'être le seul fait de quelques éditeurs, comme c'était le
cas dans les années 70, se retrouve ainsi dans la quasi totalité
des catalogues, la seule variante est la proportion que ces ouvrages occupent
dans la production éditoriale de la maison. Si l'engagement est une
prise de risques comme nous l'avons évoqué, à l'heure
où les ouvrages engagés sont salués par les
bibliothèques, libraires, par le Ministère, etc., peut-on encore
parler d'engagement en littérature jeunesse ? Ce terme est-il encore
approprié? L'engagement est-il forcément subversif?
76BARLUET Sophie, « Rapport du Livre 2010 :
Pour que vive la politique du livre », 2007
[en ligne] <
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000434/0000.pdf/>
74
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www.atilf.atilf.fr
www.desfemmes.fr
www.ducotedesfilles.org
www.educasources.education.fr
www.gallimard.com
www.hachette.com
www.harlinquist.com
www.lajoieparleslivres.org
www.lerouergue.com
www.librairie
quilombo.org
www.plumesrebelles.org
www.rageotediteur.fr
www.ricochet
jeunes.org
www.syros.fr
www.talentshaut.com
78
CORPUS DES ALBUMS
BRUEL Christian, BOZELLEC Anne
et GALLAND Anne, Histoire de Julie qui avait une ombre de
garçon, Paris : Le Sourire qui mord, 1976 (À propos
d'enfance)
CULLUM Albert, Le géranium
sur la fenêtre vient de mourir mais toi, maîtresse, tu ne t'en es
pas aperçue, Paris : Harlin Quist, 1971
JEAN Didier et ZAD, L'agneau qui ne voulait
pas être un mouton, Paris : Syros, 2003 (Albums)
TURIN Adela et GILES Sophie, Les cinq femmes
de Barbargent, Arles: Actes Sud junior, 2000 (Les grands livres)
[édition originale parue en 1976 chez Dalla Parte Delle Bambine,
Milan]
79
ANNEXES
ANNEXE A : Analyse de logos
ANNEXE B : Couverture de l'ouvrage d'Albert CULLUM, Le
géranium sur la fenêtre vient de mourir mais toi, maîtresse,
tu ne t'en es pas aperçue, Paris : Harlin Quist, 1971
ANNEXE C : Couverture de l'ouvrage de Nella BOSNIA, Francesca
CANTARELLI et Adela TURIN, Les cinq femmes de Barbargent, Paris : Des
femmes, 1976 (Du côté des petites filles)
ANNEXE D : Couverture de l'ouvrage de Christian BRUEL, Anne
BOVELLEC et Anne
GALLAND, Histoire de Julie qui avait une ombre de
garçon, Paris : Le Sourire qui mord, 1976 (À propos
d'Enfance)
ANNEXE E : Couverture de l'ouvrage de Didier
JEAN et ZAD, L'agneau qui ne voulait pas être un mouton, Paris :
Syros, 2003 (Albums)
80
ANNEXE A
Figure 1Logo des éditions Le Sourire qui mort
fondées en 1972
Ce logo illustre parfaitement l'engagement, rejoignant
d'ailleurs le logo des éditions Des femmes par l'emploi d'un même
symbole : le poing levé, représentant par excellence la lutte. Ce
poing levé contient un visage d'enfant terminé par une abondante
chevelure frisée aux allures nuageuses, conférant à
l'ensemble l'aspect général d'un arbre. L'enfance apparaît
complexe et dualiste, à la fois enracinée, probablement dans le
réel et rêveuse, tel que le suggère la chevelure diffuse de
l'enfant.
On distingue sur ce logo deux unités typographiques. La
première fait mention du nom de la maison d'édition et la seconde
du type d'ouvrages proposés par cette dernière. Il ne s'agit pas
de livres pour l'enfance mais de «livres à propos d'enfances»
ce qui est bien différent comme projet. En premier lieu parce que
l'auteur revendique ici le fait qu'il n'y a pas une littérature
spécifique destinée à l'enfance, en second lieu parce
qu'il évoque les enfances et non l'enfance ce qui souligne la
complexité de ce terme et l'indétermination qui lui y est
corolaire.
Enfin, la notion de plaisir est présente au travers du
sourire espiègle de l'enfant. L'appellation « Le Sourire qui mord
» renvoie quant à elle au concept fondamental pour la maison
d'édition. Elle fait référence à la volonté
des éditeurs de dénoncer la mièvrerie ambiante de la
littérature pour enfants alors en vigueur, au profit de livres
dynamisant les rapports avec l'enfant et n'hésitant pas à aborder
les sujets les plus subversifs. Elle transmet également une certaine
idée de l'enfance qui, selon Christian Bruel, « n'est pas rose; et
derrière le sourire, se cachent [souvent] les dents...
»77. Il s'agit de rendre accessible à tous la
véritable nature des enfants, mêlant défauts et
qualités, tout en facilitant dans le même temps l'acquisition par
ceux-ci d'un certain plaisir dans la lecture.
77 4Véronique Chabrol, « Petits éditeurs
deviendront grands », Enfants Magazine, no 154, juin 1989.
81
Figure 2Logo des éditions Des femmes pour la
collection "Du côté des petites filles"
Ce logo est lui aussi très explicite. Il est celui
utilisé par tous les mouvements de libération des femmes, soit
tous les mouvements féministes du monde. Ce logo représente le
signe biologique de la femme avec un poing dressé à
l'intérieur. Le poing levé est synonyme de combat et de lutte. Le
fait que ce poing crispé et serré, duquel se dégage un
certain déterminisme, soit inséré dans le symbole
féminin permet au lecteur d'assimiler l'idée de lutte à la
sphère féminine. Un poing révolutionnaire dans un symbole
féminin, le message est univoque, il s'agit de la lutte
féminine.
Nous pouvons ensuite supposer que cette lutte féminine
s'engage ici pour soutenir les petites filles puisque la fillette
représentée sur ce logo enlace et se tient au logo des
éditions Des femmes78 . Nous pouvons émettre par
ailleurs que si cette petite fille est représentée nue, c'est
pour en souligner la vulnérabilité et l'innocence mais aussi pour
en faire un symbole représentatif de toutes les fillettes du monde.
En effet, on peut noter ici la volonté
d'internationaliser l'engagement du groupe. Les symboles « lutte » et
« féminin » sont tout d'abord des symboles universel et
l'unité typographique « du côté des petites filles,
des femmes éditent » montre de plus par son absence de majuscule la
volonté de se référer à l'ensemble des femmes.
78 Les éditions Des femmes ont, depuis leur
création en 1972, adopté ce logo:
|
|
82
Figure 3Logo des éditions Syros
Le logo de cette maison d'édition est un hippocampe. Le
choix de cet animal atypique n'est pas anodin. Considéré comme
l'une des créatures les plus fascinantes de tout le règne animal
il est également appelé cheval marin. L'hippocampe a toujours la
tête droite, ce qui lui donne une allure sérieuse, digne et
intelligente. Ressemblant étrangement au cavalier d'un jeu
d'échec, il a également l'aptitude à mouvoir chaque oeil
indépendamment. Un oeil peut regarder devant, tandis que l'autre tourne
pour regarder derrière. Enfin, bousculant la répartition des
rôles et des tâches, l'hippocampe à l'étrange
particularité que ce sont les mâles qui donnent naissance aux
petits.
Le choix de cet animal pour représenter
l'identité visuelle des éditions Syros est signifiant. De
même que l'hippocampe regarde à la fois devant et derrière,
les éditions Syros porte un regard vaste sur le monde. Comme cet animal
hors normes, les éditions Syros bousculent les codes et remettent en
cause nombre des préjugés à l'image de cet animal qui
prend en charge la naissance des petits.
Le nom de cette maison, Syros, est lui aussi lourd de sens.
Tout d'abord, parce qu'il s`agit d'une île grecque et l'on sait que la
Grèce est le symbole de la démocratie. Ensuite parce que
l'histoire de cette l'île n'est pas banale... Habitée depuis
l'Âge de Bronze (-1800/-700), Syros connut de nombreuses dominations et
invasions (phéniciens, perses, romains, vénitiens, ottomans,
russes...), alternant périodes prospères et désastreuses
jusqu'au XVIIIe siècle. Pendant la Révolution Grecque de 1821,
l'île participa à l'indépendance en devenant un refuge pour
tous les grecs qui étaient persécutés par les turcs, pour
ceux qui s'étaient révoltés contre leurs oppresseurs et
pour ceux qui avaient échappé aux massacres et avaient
quitté leurs terres. Tous ces émigrés construisirent en
quelques années la capitale de l'île, Ermoupolis, qui vit son
économie et sa culture fleurir rapidement du XIXe siècle au XXe
siècle.
Cette île est donc associé aux idées de
résistance et de solidarité ce qui colle au plus près des
valeurs des éditions Syros comme en témoignent quantité de
leurs titres.
83
ANNEXE B
Figure 4Albert CULLUM, Le géranium sur la
fenêtre vient de mourir mais toi, maîtresse, tu ne t'en es pas
aperçue, Paris: Harlin Quist, 1971.
84
ANNEXE C
Figure 5Nella BOSNIA, Francesca CANTARELLI et Adela
TURIN, Les cinq femmes de Barbargent, Paris: Des femmes, 1976 (Du
côté des petites filles)
85
ANNEXE D
Figure 6Christian BRUEL, Anne BOVELLEC et Anne
GALLAND, Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon, Paris
: Le Sourire qui mord, 1976 (À propos d'Enfance)
86
ANNEXE E
Figure 7Didier JEAN et ZAD, L'agneau qui ne
voulait pas être un mouton, Paris: Syros, 2003 (Albums)
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