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La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie. La mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques relatifs à  une « espèce emblématique ».

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par Audrey Dupont
Université Aix-Marseille - Master Pro Anthropologie et Métiers du développement durable 2014
  

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IV.3. Protection du dugong dans la Zone Côtière Ouest : un enchevêtrement d'échelles, de logiques et de pratiques

Avant d'aller plus loin dans notre développement, nous souhaitons souligner que les activités liées à la mer sont particulièrement diversifiées sur cette côte, notamment du fait de la forte densité humaine, de la forte mixité culturelle et du développement économique et touristique. Si certaines personnes habitent près du bord de mer, la pêche et les sorties en bateaux ne font pas pour autant partie de leurs activités quotidiennes (à moins d'être pêcheur professionnel ou dans la protection maritime). La plupart des habitants de la zone travaille la semaine et ne navigue que lorsque le temps le leur permet le week-end. En règle générale, comme le souligne Jean-Claude Mermoud (1997) et comme nous l'avons constaté sur le terrain, les broussards partent en bateau tôt le matin avec la famille ou des amis, emportent avec eux un pique-nique, leur palmes-masques-tubas, leur matériel de plongée et/ ou leur matériel de pêche afin de s'occuper durant la journée. Le but est de

69 Deux dugongs ont été pêchés, l'un de manière accidentelle et l'autre volontaire, entre janvier et juin 2014

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pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

trouver un coin tranquille où se poser, sur un îlot ou en pleine mer, pour profiter du temps ensemble et de ce bol d'air frais. Autrement dit, la mer est devenue moins une source de revenus qu'un synonyme de plaisir et de loisir entre amis.

Ce sont dans ces moments qu'ils croisent sur leurs routes les « plaisanciers » et les touristes venus de Nouméa ou d'ailleurs pour découvrir les plages de sable fin de Poé, la faille au requin en plongée et en kayak, ou pratiquer du Kite-surf par exemple. Bien évidemment, ces activités sont aussi dans une certaine mesure pratiquées par la population locale. Mais ces visites fréquentes et les « embouteillages de bateaux » dans le lagon sont souvent sources de tensions pour une majorité de broussards qui râlent contre les personnes venues de l'extérieur.

Enfin, dans la Zone Côtière Ouest, les habitants parlent peu de la protection du dugong en soi mais bel et bien de la protection de la mer en général. Ils indiquent souvent que la dégradation des ressources halieutiques est importante dans cette région où la densité population est en forte croissance. Ils ont conscience que les menaces ne pèsent pas seulement sur le dugong mais aussi sur de nombreuses espèces marines. En ce sens, nous définissons dans cette partie quels sont les mesures de protection de la mer qui ont un impact sur la sauvegarde de cet animal et nous analysons les pratiques et les savoir-faire liés à la protection de l'environnement, de la mer ou du dugong qui sont mobilisés par la population et par les acteurs institutionnels.

IV.3.1. Mesures juridiques pour la conservation du milieu marin et du dugong

La gestion de l'espace maritime sur la Zone Côtière Ouest se présente comme un enchevêtrement de mesures légales, mises en place notamment par la Province Sud et Nord. Ces deux structures assurent la surveillance et la règlementation de l'usage maritime de manière propre. Les lois appliquées dans cette région sont ainsi dépendantes de ces deux systèmes distincts, et ce malgré qu'elles aient toutes pour objectif de protéger l'espace maritime, les activités nautiques et les ressources naturelles. Parmi ces mesures, nous comptons plusieurs réserves naturelles plus ou moins anciennes et la création d'un parc marin en 2008, avec la mise au rang de patrimoine mondial de l'UNESCO des lagons de Nouvelle-Calédonie.

Aires marines protégées des communes de Poya et de Bourail

L'AMP de Nékoro (cf. Annexe IV du mémoire) est une Réserve Naturelle Intégrale (RNI), « correspondant à la catégorie de gestion I.a de l'Union internationale pour la conservation de la nature » (Code de l'environnement Province Nord, 2009). Dans l'Agenda des marées de la PN (2014 : 28), il est spécifié qu'en tant que Réserve de Nature Intégrale (RNI), il y est interdit d'exercer « toute pêche de quelque nature que ce soit, plongée ou baignade et installation de cabanes sur les îlots ». D'après l'article de Dolorès Bodmer (Bodmer, 2010) et les témoignages recueillis sur la commune de Poya, elle couvre une superficie d'environ 1260 hectares et a été mise en place en 2000 grâce à la mobilisation des agents de la commune et des coutumiers du district de Muéo depuis 1995. Si certes, l'exploitation minière de la région pollue les eaux marines de la région, les pressions sur les milieux sont relativement faibles et ne sont liées qu'à la pêche.

En fait, les objectifs de l'AMP portaient essentiellement sur la « création d'une zone de conservation d'un habitat et des espèces emblématiques que sont les dugongs et

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les tortues» (Province Nord, 2000). Cette zone a donc été délimitée de façon à intégrer des mangroves, des platiers, une quarantaine de patates coralliennes mais surtout de vastes platiers et herbiers fréquentés par les dugongs et les tortues. Cependant, la mise en place d'un Comité de Gestion qui s'occupe de cette aire protégée a été difficile à concrétiser puisque, selon ce qui est écrit dans l'Agenda des marées, la concertation et la mobilisation des acteurs de la commune (mairie, coutumiers, associations, pêcheurs professionnels et plaisanciers) date de 2014 ; et ce grâce à un travail initié il y a trois ans par un agent de la Province Nord et négocié auprès de la nouvelle mairesse.

Les réserves de Bourail (cf. Annexe IV du mémoire) ont été créées en 1993 à la demande de la commune et en s'appuyant sur des critères biologiques, et notamment l'existence de zones de pontes de tortues et d'habitat unique en Nouvelle-Calédonie pour la langouste Panulirus homarus. L'Assemblée de la PS a fondé trois réserves spéciales marines sur les sites de la baie de la Roche Percée et la Baie des tortues, une autre zone comprenant l'île Verte et un périmètre le long de la plage de Poé. L'ensemble représente une surface totale de 2 339 ha dont 17 de milieu terrestre et 2 322 d'écosystème marin. A l'intérieur de ces réserves, et ce sans que pour autant la fréquentation du public ne soit proscrite, la capture ou la destruction des poissons, crustacés, coquillages et autres animaux marins ainsi que la récolte du corail sont interdits. Des dérogations aux précédentes interdictions peuvent être accordées par la PS à des fins d'étude ou de recherches scientifiques ou pour des raisons tenant à la nécessité de rétablir l'équilibre des espèces. D'après un ancien gendarme à la retraite de la commune, ayant travaillé dans la protection maritime pendant trente ans, ces réserves étaient des zones où la surveillance était gérée par la municipalité qui dépêchait des représentants de l'autorité judiciaire (gendarmes ou policiers) sur place afin de s'assurer le respect de la législation. Aujourd'hui, dans le Code de l'environnement, ces trois aires protégées sont encore des réserves naturelles règlementées mais accessibles au public.

Article 211-10 du Code de l'environnement de la Province Sud, version de 2014, p.36.

Si les AMP de la Roche Percée et de la Baie des tortues et de l'île Verte ont été créées principalement pour protéger les tortues « grosses têtes » (Caretta caretta), en préservant les sites de ponte (plage de la Roche Percée et de l'île Verte), elles protègent aussi quelques dugongs qui viennent profiter des herbiers disponibles. D'après le Code de l'environnement de la Province Sud, les personnes habilitées « à constater les infractions au présent titre, outre les officiers et agents de police judiciaire et les agents des douanes, les fonctionnaires et agents assermentés et commissionnés à cet effet. Les agents assermentés habilités à constater les infractions aux dispositions sont également habilités, dans l'exercice de leurs fonctions, à visiter les aires protégées en vue de s'assurer du respect des règles auxquelles elles sont soumises et d'y constater toute infraction » (article 216-1, p. 83). Autrement dit, les agents de municipaux et les agents

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du service de la Protection Lagon travaillent de concert pour assurer la surveillance de ces aires marines protégées.

Le parc marin de la Zone Côtière Ouest intégrant les réserves

Ces espaces particuliers sont intégrés dans un ensemble plus large : la Zone Côtière Ouest. Dans le cadre de son Code de l'environnement paru en 2009, la Province Sud a attribué le statut de « parc marin » (cf. figure 8) aux sites inscrits au patrimoine Mondial70. Le parc marin de la Zone Côtière Ouest (314500 hectares) est l'une des deux zones, avec le Grand Lagon Sud (48200 hectares), qui assure la protection réglementaire définie sur l'ensemble des sites inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial de l'UNESCO. Elle intègre les trois réserves intégrales précédemment citées dans son aire de limitation, la Zone Côtière Ouest, ainsi que la réserve naturelle marine de « Ouano ». Ce parc marin doit se comprendre comme une aire de plus grande échelle regroupant plusieurs catégories d'aires protégées.

Ce parc provincial est régi par un plan de gestion participative, élaboré par un comité de gestion : il s'agit de l'association de la ZCO qui inclut les représentants de plusieurs catégories socioprofessionnelles de la région. La création de cette structure a été rendue obligatoire par le classement au patrimoine mondial de l'UNESCO, afin de développer une démarche participative qui n'était pas formulée dans les dispositions du Code de l'environnement de la PS. De plus, les activités humaines font l'objet d'un zonage, qui consiste à dédier de vastes étendues soit à la pêche, soit aux activités de loisirs et de tourisme, soit à la conservation.

Le classement de la Zone Côtière Ouest au Patrimoine Mondial de l'UNESCO, et donc la protection législative subventionnée par l'organisation internationale, a été possible grâce à la présence d'une biodiversité et d'espèces marines rares ou menacées. Selon un document présentant le Plan de Gestion participatif de la ZCO, « l'ensemble des passes de la côte Ouest constitue des habitats importants pour le dugong puisque des agrégations répétées ont été constatées sur plusieurs jours. Les populations de dugongs de cette zone sont parmi les plus importantes de Nouvelle-Calédonie. La Zone Côtière Ouest tient donc un rôle essentiel en termes d'enjeu de conservation à l'échelle régionale et internationale concernant les espèces précédemment citées » (Section « Biodiversité et espèces emblématiques », Province Sud, ZCO, UNESCO, Lagons de Nouvelle-Calédonie, 2008-2010 : 14). De fait, le développement des actions en faveur de la protection du dugong et des autres espèces « emblématiques »71 de la région est l'une des missions de la ZCO.72

70 Et ce alors que la PN n'a pas encore déterminé de statut spécifique à la zone du grand Lagon Nord et de la zone Côtière Nord et Est, qui composent l'ensemble du Bien protégé (document UICN, « Les Espaces Protégés Français », 2010).

71 Nous notons là le lien évident entre le terme « emblématique » et « endémique », propre à une aire géographique que l'on ne retrouve nulle part ailleurs.

72 Aussi comprenons-nous pourquoi l'association de la ZCO a choisi de représenter un dugong dans son logo (cf. Annexe V, dans la Tableau des acteurs).

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Figure 8 : La Zone Côtière Ouest inscrite au Patrimoine Mondiale de l'UNESCO et son parc marin en bleu (c)

réalisation : Province Sud

Ainsi, les acteurs institutionnels en charge de la protection environnementale ont fait appel aux organismes internationaux, ce qui a entraîné la création d'un grand espace plus global de protection : le parc marin. En parallèle, cet organisme international a imposé la participation de la population locale dans l'effort de conservation, ce qui a abouti à la création de la ZCO, rassemblant au total plus de soixante-dix membres selon les déclarations de sa présidente. Mais quels savoirs et pratiques liés à la protection maritime cette logique de mobilisation de la population dans l'effort de conservation emploie-t-elle ? Repose-t-elle, comme nous l'avons vu à Pouébo, sur la convergence des savoirs locaux avec les pratiques juridiques ? Pour répondre à ces interrogations, nous nous intéressons aux « courtiers locaux du développement » 73 de la zone, qui garantissent le dialogue entre population locale et acteurs institutionnels, ainsi qu'aux modalités de transfert entre les systèmes cognitifs.

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