IV.2. Mobilisation des « savoirs locaux »64
au service de la protection environnementale : l'aire marine
protégée Hyabé / Lé-Jao
IV.2.1. Clans de la mer et gestion maritime à
Pouébo
La mer est un élément important dans la commune
de Pouébo puisque nombre de tribus se réclament d'être du
bord de mer, comme la tribu de Saint-Denis de Balade (district de Balade au
nord), les tribus de Yambé et Diahoué (district de Lé-Jao
au sud). Suivant la position géographique d'un foyer dans une
tribu65, les habitants se définissent comme issus de la
« chaîne » ou du bord de « mer », ce qui modifie
considérablement leurs univers spirituels et leur pratiques sociales.
Dans la tradition locale, un clan de la « terre » et
un autre de la « mer » ne se référaient pas aux
mêmes espèces végétales ni animales. Par exemple,
les indicateurs temporels observés par la population dans le milieu
naturel variaient selon le lieu d'habitation. Si les tribus de bord de mer de
la commune de Pouébo savent lorsqu'ils doivent planter l'igname en
fonction de l'apparition des baleines, les tribus de la chaîne
repèrent cette période grâce aux feuilles jaunissantes d'un
arbre précis. De même, les membres interrogés de ces tribus
ont souvent exprimé leur illégitimité à parler du
milieu maritime parce que, pour eux, « on ne parle que ce qu'on
connaît ». Or, comme ils sont davantage reliés aux
plantes et aux animaux de la forêt, ils peuvent difficilement aborder le
thème de la mer.
En outre, en fonction de leurs environnements naturels
proches, la population ne pratiquait pas les mêmes activités. Si
les clans d'une tribu n'étaient pas tous dévolus à la
même tâche, seuls certains clans de la montagne étaient
habilités à chasser, et d'autres clans de bord de mer à
pêcher. Ce faisant, ils n'observaient pas non plus les mêmes
rituels de préparation à ces activités. D'après un
entretien réalisé auprès d'une employée de la
médiathèque de Pouébo-village, depuis les années
1870, les tribus de la chaîne s'approvisionnent occasionnellement en
poissons auprès des clans de pêcheurs. Ils faisaient une demande
et un geste auprès d'un individu de la tribu de bord de mer qui, en
réponse, organisait une pêche collective66. Selon cette
même personne, l'inverse était aussi vrai concernant les clans de
bord de mer et l'approvisionnement en viande.
L'organisation traditionnelle de la vie entre les tribus de la
commune de Pouébo reposait sur la répartition entre « peuple
de la mer » et « peuple de la terre » qui étaient
reliés par un système d'échanges réguliers entre
les deux milieux. Ce grand partage, encore reconnu aujourd'hui, oriente
certaines règles sociales et certains modes de penser, ce qui signifie
que les personnes n'ont pas les mêmes perceptions de la mer en fonction
de leur lieu d'origine. Pour résumer, il existe une distinction entre
ceux qui sont nés près de la mer et ceux qui ne la connaissent
« que de loin » et ce sont bien les clans de la mer qui sont
traditionnellement garants de sa gestion.
64 En l'occurrence de « savoirs traditionnels
» kanak ou « savoirs autochtones ».
65 Selon que la tribu se situe du côté
« mer » ou du côté « terre » le long de la
route provinciale.
66 Samuel Cornier explique la même chose dans
son mémoire (2010 : 81).
Juin 2015 80
DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs
et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
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