8.2. Un problème de compétition pour
l'espace du PRA et ses ressources
L'établissement d'aires protégées, dont
l'accès est restreint, et les pressions anthropiques sur les
forêts au Kerala ont remis en cause le mode de vie de populations
à tradition forestière et les ont rendues vulnérables
économiquement et culturellement.
Le PRA d'Aralam visait à fournir à ces
populations vulnérables le moyen de subvenir à leurs besoins de
manière autonome par l'agriculture en distribuant des parcelles de
4000m2 pour chaque famille dans un espace adjacent à l'aire
protégée de l'AWS. Cette initiative a globalement
été acceptée par ses bénéficiaires. Ils
apprécient cet espace peu anthropisé par rapport au reste de la
région, qui offre un compromis entre une vie centrée sur la
forêt impossible à mener actuellement et une vie dans un espace
totalement domestiqué par l'homme. Ils manifestent, de plus, un
réel désir de pouvoir vivre de l'agriculture.
Cependant, la proximité à l'AWS remet en cause
l'objectif de l'initiative de la PRA. Les dégradations agricoles
incessantes des herbivores sauvages empêchent les habitants de cultiver
intensivement leurs parcelles, et donc de pouvoir subvenir à leurs
besoins à travers des cultures commerciales ou vivrières. Ces
animaux, particulièrement les éléphants, créent un
fort sentiment d'insécurité chez les habitants. Bien que les
gestionnaires de l'AWS et l'Aralam Farm mettent en oeuvre des programmes de
soutien à ces habitants, ils sont loin d'être suffisants. En
85
conséquence, de nombreuses familles ont choisi de ne
pas venir y vivre, et ceux qui y habitent sont contraints de rechercher des
emplois journaliers, et donc précaires, à l'extérieur de
la zone du PRA.
La mise en oeuvre du PRA s'est donc avérée peu
réfléchie et ne favorise pas la cohabitation entre hommes et
faune sauvage, alors que les autorités de gestion de l'AWS avaient
conseillé de ne pas distribuer de parcelles directement adjacentes
à l'AWS et de conserver plutôt cet espace pour l'Aralam Farm.
Outre des inégalités d'exposition aux risques, la mise en place
du PRA a créée des inégalités lors de la
distribution des parcelles. Certaines personnes ont, en effet, obtenu des
parcelles d'hévéas, dont l'exploitation permet d'assurer
d'importants revenus et qui est peu sujette aux dommages animaux. La plupart
ont cependant obtenu des anarcadiers, dont le prix des fruits
commercialisables, les noix de cajou, a fortement baissé sur les 15
dernières années d'après les habitants.
Malgré la récurrence des conflits et leur impact
sur la vie quotidienne, les habitants de la zone du PRA ne manifestent
cependant globalement pas de sentiments agressifs envers les animaux. La
majorité soutient en effet la conservation de la faune et leur accorde
le droit de vivre. Bien qu'un tiers supporte l'élimination des animaux
problématiques (et non pas l'ensemble de l'espèce), ceci concerne
essentiellement les sangliers, dont les venues sont journalières et les
ravages très conséquents, notamment sur les cultures
vivrières. Le rapport que les résidents de la zone du PRA
entretiennent avec les animaux se caractérise par un respect pour le
droit des animaux à vivre mais aussi par un désir de
séparation spatiale plus marquée.
Je m'attendais à des complaintes beaucoup plus
importantes concernant l'Aralam Farm, qui représente l'héritage
assimilable au PRA, et les gestionnaires de l'AWS, qui sont en charge de la
gestion de la faune. De nombreuses promesses de développement
d'infrastructures n'ont pas été tenues. Cependant, malgré
le fait que les interviews aient intentionnellement largement
débordé le cadre des questions fixées, très peu de
personnes ont déploré la restriction de l'accès aux
ressources de l'AWS ou ont incriminé l'AWS pour les conflits, voir remis
en cause la gestion du PRA à travers l'Aralam Farm. Par exemple,
seulement un peu plus d'un tiers est insatisfait avec la gestion de la faune
sauvage par l'AWS alors que deux tiers des foyers estiment que la faune impacte
fortement la vie quotidienne. Ces personnes insatisfaites ont essentiellement
reproché aux autorités de l'AWS de ne pas assez réagir en
cas d'urgence avec les éléphants. Ceci indique d'une part que les
habitants semblent accepter le fait que les incursions animales soient
inévitables (du moins selon les capacités de l'AWS) et d'autre
part
86
que le sentiment d'insécurité représente
une préoccupation majeure. Le système de compensation actuel fait
également l'objet de critiques.
D'une manière générale, les habitants de
la zone du PRA n'ont donc pas incriminé les autres acteurs humains comme
étant la cause des conflits, directement (ex. les animaux venant de
l'AWS, ils pourraient être assimilés à l'AWS et à
ses gestionnaires) ou indirectement (les autorités de l'AWS sont
supposées prévenir les incursions animales). Le fait d'être
associé avec l'AWS, par exemple lors d'emplois ponctuels, semble
même s'associer d'une tolérance supérieure. Ils sont, en
majorité, seulement critiques d'une partie de la gestion des
conséquences de ces conflits, concernant principalement le
système de compensation et les réactions aux situations
d'urgences. Ils souhaitent globalement pouvoir plus interagir et collaborer
avec les gestionnaires de l'AWS.
L'héritage culturel de ces populations, qui
s'inscrivent plus dans une philosophie du présent, qui ont une
expérience plus importante de la cohabitation avec les animaux et qui
sont moins ancrés dans la matérialité que le reste de la
population kéralaise, participe sans doute à favoriser la
tolérance des animaux sauvages et à tempérer les
sentiments d'injustice et de rancoeur qui pourraient être
légitimement perçus. Beaucoup réussissant à obtenir
quelques journées de travail par semaine en dehors de la zone du PRA et
les parcelles offrant un revenu minimum (ex. noix de cajou), la plupart des
familles est en mesure de subvenir à ses besoins essentiels.
Sur ce terrain, les conflits entre humains ne sont donc que
peu prégnants, alors que les politiques de conservation de la
biodiversité et de compensation des Adivasi sont en grande
partie responsables de la difficile cohabitation avec les animaux sauvages. Les
résidents de la zone du PRA présentent un degré de
tolérance important, mais les incursions animales ont néanmoins
un impact majeur sur la vie quotidienne, principalement sur la capacité
à subvenir aux besoins de manière autonome et à travers le
sentiment d'insécurité ressenti. Les questions de la
mobilité des herbivores sauvages et de sa gestion sont donc au coeur des
conflits hommes-animaux en périphérie de l'AWS.
8.3. Une mobilité des animaux peu
comprise
La mobilité de la faune sauvage et les conditions
l'impactant demeurent encore peu comprises (Emel et Urbanik, 2010; Poinsot,
2012). Une multitude de facteurs peut en effet influencer les
déplacements des animaux. Pour comprendre comment et pourquoi ils sont
sources de conflits, il s'agit de prendre en compte à la fois les
dynamiques animales (leurs
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stratégies et leurs caractéristiques), les
dynamiques écologiques (qui influencent la qualité et la
quantité de nourriture disponibles), les activités humaines
(l'utilisation des sols et les modifications du paysage) et les pratiques de
gestion des conflits hommes-animaux (ex. clôtures électriques,
relocalisation...) (Guerbois et al., 2012).
Les sangliers, les sambars, les éléphants et les
macaques sont les principaux animaux responsables des conflits sur le terrain
de la zone du PRA d'Aralam. Leurs mobilités sont essentiellement
déterminées par leurs stratégies de recherche
d'espèces végétales comestibles. Une étude des
configurations spatiales et environnementales pouvant favoriser les incursions
animales sur ce terrain a été menée afin de mieux
comprendre les facteurs influençant la mobilité de ces quatre
espèces.
Les animaux de l'AWS ont démontré des
préférences alimentaires plutôt marquées. Ils ne
semblent cependant pas rechercher un type de culture en particulier. D'une
manière générale, la densité humaine augmente
faiblement les risques perçus les animaux. Les routes et la distance au
refuge le plus proche ne s'associent pas à une diminution des venues,
sauf pour les macaques. Le lien entre la couverture des sols, qui est
corrélée à la qualité et la quantité
d'espèces végétales comestibles, et les raids des animaux
n'est également pas significatif, excepté pour les
éléphants. Ces derniers semblent ainsi s'aventurer dans les
parcelles humaines lorsque les espaces de végétation
intermédiaire sont faibles. Les mesures de prévention mises en
place par les habitants ne sont pas efficaces pour prévenir les
incursions. Néanmoins, les méthodes auditives ou visuelles visant
à faire fuir les animaux sont généralement plus ou moins
effectives. Les résultats de ces analyses sont donc globalement
décevants, mais pourraient être améliorés (voir
partie 8.1).
Le fait que les incursions soient régulières
dans l'année et autant intenses peut en tous cas indiquer que l'aire de
l'AWS est certainement trop réduite et pas en mesure de satisfaire les
besoins alimentaires des populations animales l'habitant. Les
éléphants, qui sont les principaux créateurs de
brèches dans les mesures de séparation en bordure de l'AWS,
semblent, en particulier, venir pour profiter d'espaces de
végétation moins denses, qui ne sont pas présents dans
l'AWS. Le fait qu'ils montrent une tendance à éviter les signes
de présence humaine mais à venir plus fréquemment dans les
parcelles habitées quand les espaces de végétation
intermédiaires sont moindres va également dans ce sens.
La compréhension des tenants de la mobilité des
animaux sur ce terrain demeure donc un défi majeur pour la
résolution des conflits. Ceci permettrait de pouvoir concevoir des
solutions adaptées selon les espèces et les moyens à
disposition.
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